Vénus Pudique
Quoique, méfiez-vous, elle sort tout juste de sa réserve…
(marbre ; musée du Louvre, Paris)
« Ha que plût aux Dieux que je fusse !
Ton miroir, à la fin que je pusse,
Te mirant dedans moi, te voir. »,
Anacréon (ca - 560, - 478 av. J.-C.) *1
Archétype de la beauté, mythe absolu, déification de l’éternel féminin, finalement elle réconcilie les Anciens et les Modernes.
Déjà, dans le monde gréco-romain, en Egypte et en Syrie, on a trouvé des figures de la déesse aux multiples attributs polythéistes (le gouvernail de la Fortune et la corne d’abondance, le casque de Minerve ceint du diadème de Cybèle, l’emblème d’Isis). C’est l’Aphrodite Panthée, protectrice de l’épousée, dans la lignée d’Isis-Hathor-Astarté, unies-vers-elle la panthéiste.
Produite en série (on la retrouve au Louvre, à Vienne… A Myrina, en Asie mineure, par exemple, on déclinait beaucoup de Vénus accroupie en terre cuite dans l’Antiquité), elle a continué de ravir et d’inspirer nombre d’artistes de la Renaissance aux plus contemporains. Rodin, Maillol, Bourdelle, Redon…
« Exquise vérité des formes, en sorte qu’on aurait pu les croire moulées sur nature,
si la nature produisait d’aussi parfaits modèles. »
Prosper Mérimée (La Vénus d’Ille)
Vénus de Vienne
Sainte-Colombe à sa toilette.
(Ier-IIe s. ; marbre de Paros ; musée du Louvre, Paris)
Rappelons ici que Prosper Mérimée (1803-1870) fut inspecteur général des Monuments historiques. En tant que tel, il visita en 1835 le « Palais du Miroir » à coté de Vienne en Isère. Ce qui amena la découverte, deux ans plus tard, de la Vénus de Vienne dans le frigidarium des thermes de Saint-Romain-en-Gal. Une copie romaine de l’Aphrodite accroupie de Doidalsas de Bithynie, « une Vénus nue, supérieure encore à celle de Praxitèle » pour Pline l’Ancien.
Rodin, ou avant lui Michel-Ange, rejoignaient Lysippe qui, tel que Pline le rapporte, « déclarait volontiers que les Anciens représentaient les hommes tels qu’ils les voyaient, et lui, tels qu’ils lui donnaient l’impression d’être. »
Ce sculpteur grec du IVe siècle avant notre ère dont « on dit qu’il contribua largement au progrès de la statuaire par le rendu minutieux de la chevelure et la modification des proportions du corps : les têtes étant plus petites, les corps plus minces et nerveux, la taille des statues semblait plus élancée. »
… Dali, Arp, Zadkine, Arman ou Andy Warhol…
Un thème universel qui défie le temps.
Attractive, elle séduit toujours et fait vendre des produits en tout genre, les marchands se saisissant de cette image qui capte immédiatement le regard du chaland. Un visuel parfait au fort pouvoir vendeur. Je me souviens que l’on avait même tenté de commercialiser les œufs d’escargot au prix exorbitant d’un « caviar blanc » sous l’alléchante appellation de « Perles d’Aphrodite » !
Oh je sais que d’Hermès, Aphrodite conçut Hermaphrodite, mais ce n’est que de son union avec Salmacis qu’il devint tel un petit hélix.
Et qu’Hésiode a traité Aphrodite - ah ! c’est pas joli… ah ! c’est pas gentil… c’est même retors - d’hélicoblépharos, la « paupière en vrille » !
En flânant, serein, devant les devantures de magasins,
une Aphrodite Mélaenis, Noire, maîtresse de la nuit, nous retient.
(copie d’une céramique dans le style attique à figures noires)
Je ne vais pas vous faire l’article… En boutique, on la vante extra vierge ! Organic (biologique) ! Magnétique !!! C’est la mercatique qui veut cela…
Et elle ne ferait plus recette ? c’est pourtant une huile !
A écouter les sirènes de la publicité, la consommation serait l’alpha et l’oméga 3 de l’existence !
Et ici, notre « Aphrodite de la Mer » rhabillée en magnet !
(je vous livrerai la vraie, bien plus aimante et dans son plus simple appareil, dans le prochain numéro)
Quelle enseigne tout de même !
Dans un jardin de Rhodes
Même mille fois déclinée avec tant de produits dérivés,
Jamais quelconque dans sa conque.
Surtout elle stimule la créativité des artisans qui perpétuent la tradition de la céramique, dans la copie ou son interprétation.
Céramique de Faros (Rhodes)
Enjôleuse et vendeuse, non ?
Aphrodite nous dicte toujours sa loi, elle qui bohème n’en connut guère. Car elle en impose encore notre déesse.
Vénus au miroir
Elle aimait le reflet de sa beauté, coquette au sortir du bain
ou conquérante dans le bouclier de Mars, fatale toujours.
(Copenhague, glyptothèque Carlsberg)
Mais les attributs de la vénusté seraient-ils soumis aujourd’hui à un coefficient de vétusté ?
La taille… plus fine ! Les jambes… plus longues ! Les seins… en obus de canon !!! Ainsi, par les vertus d’un traitement numérique, ou pis, par la chirurgie esthétique, notre almée à l’envoûtant déhanchement en serait-elle réduite à se conformer aux nouveaux diktats de la mode pour défiler sur les podiums ? Mincir pour entrer dans les normes, quel paradoxe ce paradigme !
« Son ventre splendide, large comme la mer. »,
Auguste Rodin, à propos de la Vénus de Milo
Quels que soient les commandements de la modernité, je ne cesserai de tourner autour de ces rondes-bosses…
Vénus accroupie ou Vénus à la toilette
« Une fleur de vie, forme qui me réjouit. »,
Auguste Rodin
D’après un original de Doidalsas de Bithynie
(musée national, Rome)
… autant que de la contempler accrochée aux cimaises me remplit d’aise.
La toilette de Vénus (ou l’Air)
L’Albane (Francesco Albani, dit ; 1578-1660)
(musée du Louvre, Paris)
Et se livrer avec Aphrodite aux délices de Capoue*2…
Toutes veulent être Vénus...
Cette belle romaine arbore une coiffure en vogue au 1er siècle
(Marcia Furnilla, seconde épouse de l’empereur Titus ?)
(Copenhague, glyptothèque Carlsberg)
Pas sûr toutefois que toutes puissent soutenir…
La comparaison
Jean-Frédéric Schall (1752-1825)
« Jouissez amants, la fleur de jeunesse vous rit au visage. »,
Gioachino Rossini (1792-1868)
(musée du Louvre, Paris)
« Il avait à Syracuse un couple surnommé Belles Fesses. », raconte Cercidas de Megalopolis deux siècles avant notre ère. Voici l’histoire…
Deux sœurs s’interrogeaient, et la question était grave. A savoir laquelle avait le plus joli postérieur. Il fallait bien trancher, bien que le partage fût déjà très équitable. Un joli cœur s’en vint par là. « Il est bon de savoir qui de nous a le plus beau. » Bien qu’il y eût à hésiter, il devait en juger, il opta pour l’ainée. Et, bon gars, pour ne pas peiner la cadette, manda de ce pas son frère afin qu’il puisse plaider aussi son cas. Ce dernier lui trouva de sérieux atouts et, ma foi, fort à son goût. Tous se marièrent et firent ériger une statue à Aphrodite, callipyge comme il se doit pour rendre hommage à tant de grâces. On comprend mieux maintenant le motif*3 de ce tableautin libertin et pourquoi tant de messieurs aimeraient tant voir Syracuse avant que leur jeunesse s’use.
« Des jeunes cœurs c’est le suprême bien :
Aimez, aimez ; tout le reste n’est rien. »,
La Fontaine
Les anciens Grecs déjà prisaient fort les jeux de hasard. Aux dés la combinaison gagnante était le « coup d’Aphrodite » (3 fois 6). Victoire assurée… Sinon un « coup de chien » (3 fois 1), sinon l’apocalypse cette bête, était mauvais signe néanmoins. Heureux au jeu… Le perdant pouvait se consoler en se disant qu’aux jeux de l’amour il avait peut-être évité un « coup de pied d’Aphrodite », maladie vénérienne de ceux qui sacrifient trop à Vénus au hasard de rencontres douteuses. « Amour, Amour, quand tu nous tiens
On peut bien dire : « Adieu prudence. », La Fontaine (Le lion amoureux), autant :
« J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien
Qui me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique. »,
Id., Les Amours de Psyché et de Cupidon
Par-delà la légende, Chypre, l’île d’Aphrodite, toujours très sismique, est née de la mer au crétacé, il y a environ 90 millions d’années, d’une surrection du plancher océanique, un choc titanesque entre les plaques anatolienne et africaine. Puis l’île s’est surélevée au pléistocène, il y a environ 1,8 millions d’années, pour dominer à 1952m dans le massif du Troodos au mont Olympe (qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme, siège des dieux de la mythologie grecque).
Au printemps de quoi rêvais-tu Sandro ?
A la naissance de Vénus ?
(musées capitolins, Rome)
Tête dite d’Amazone blessée du type Capitole-Sôsiclès. Copie romaine d’un original grec du Ve s. av. J.-C. La statue aurait été créée par Crésilas pour un concours l’opposant ainsi à Polyclète, Phidias, Phradmon et Cydon. Elle était destinée au temple d’Artémis à Ephèse et serait arrivée en troisième position après celles de Polyclète et Phidias, devançant celles de Cydon et Phradon.
N’est-elle pas confondante cette beauté canonique ? Eternelle korê (jeune fille) qui semble bien avoir inspiré Botticelli pour sa Naissance de Vénus*4, en tout cas cela m’a frappé lorsque je l’ai photographiée. Ou, plus sûrement encore, un dessin à la mine de plomb de Gustave Moreau.
A suivre…
Car l’amour renait sans cesse.
Vous aurez peut-être plaisir à retrouver ici les trois premiers épisodes de ce feuilleton avant son épilogue prochain :
1. A Paphos, l’effrontée Aphrodite fût :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/a-paphos-l-effront-e-aphrodite-f-t-aphrodite-1-5
2.
1. A la poursuite d’Aphrodite la dorée :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/a-la-poursuite-d-aphrodite-la-dor-e-aphrodite-2-5
1. Toujours fondu d’Aphrodite ?
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/toujours-fondu-d-aphrodite-aphrodite-3-6
Michel Lansardière (texte et photos)
*1 Anacréon, poète lyrique grec, adapté pour l’occasion par Rémi Belleau (1528-1577). Sous la plume de Pierre de Ronsard (1524-1585) les vers d’Anacréon deviendront :
« Mais je voudrais être miroir
Afin que toujours tu me visses. »
Un autre de leur contemporain, Olivier de Magny (1529-1561), donna :
« Je voudrais être le miroir
Où vous vous ébattez à voir
Les beautés de votre visage. »
Au XVIIIe siècle, par le truchement de Louis Poinsinet de Sivry (1733-1804), on obtint :
« Que n’est-il en mon pouvoir
D’être cette glace heureuse,
Où vous aimez à vous voir ? »
Enfin, de la réflexion de Charles-Marie Lecomte de Lisle (1818-1894) :
« Pour moi, que ne suis-je, ô chère maîtresse,
Le miroir heureux de te contempler. »
Quant à la statue, exposée depuis peu au public et ici donnée en illustration, elle est du type genitrix (mère ; Vénus, déesse de la fécondité ; cf. A la poursuite d’Aphrodite, 2/7).
A remarquer également, l’hydrie (aiguière), rappelant le bain lustral. L’eau-mère associée à sa naissance, à l’abondance qu’elle génère.
*2 Les « délices de Capoue » font référence à Hannibal et son armée qui prirent Capoue (Santa Maria Capua Vetere de nos jours) aux Romains en – 215. Au lieu de repartir en campagne, ils y firent relâche, attendant des renforts, et cédèrent à la tentation. Après la débauche, les Romains n’eurent plus qu’à faire main basse sur la ville, en – 211, et rafler la mise. Hannibal était défait. Anachronisme, me direz-vous. Pas tant que ça, je fais ici allusion à l’Aphrodite de Capoue du musée archéologique de Naples, attribuée à Lysippe ou à Scopas selon les auteurs, et comparable à la Vénus de Milo. De même l’Aphrodite Landolina du musée de Syracuse avec son drapé qui s’ouvre telle une conque pour révéler les jambes splendides de la déesse.
Un peu plus loin encore (aux jeux de l’amour et du hasard) les époques se carambolent (si le « coup d’Aphrodite » est bien une expression grecque, les autres termes sont nettement postérieurs), autres temps ne signifiant pas nécessairement autres mœurs. Aussi me suis-je accordé quelque licence… littéraire.
*3 Complétons la légende. Sous la Régence, il y avait aussi une « fraternité des Aphrodites ». Ses membres, qui se faisaient aussi appeler Morosophes, aimaient se réunir du côté de Montmorency, au nord de Paris, pour de petites sauteries entre amis amateurs d’académies. Cet « ordre » fut dissout en 1791. Et Schall, qui vivait à Paris, aimait les sujets légers.
*4 Même si on dit souvent que c’est Simonetta Vespucci, « la sans pareille », qui, bien que morte depuis plusieurs années, lui aurait prêté ses traits. Ou, plus osé encore, Alessandra Lippi, sa filleule et fille de son maître Fra Filippo Lippi. Mon hypothèse après tout n’est guère plus risquée et, au moins, l’Amazone de Crésilas de la Vénus de Botticelli a la lippe. Une vraie renaissance de l’idéal antique.