Pour la troisième fois au Théâtre Royal du Parc, et avec le succès que l’on sait, Patrice Mincke s'empare de l'un des textes les plus célèbres du répertoire de Molière : « Le Misanthrope ». Foin cette fois, de sujets d’ordre domestique où sont livrées à notre risée des études de caractère cinglantes qui suscitent les bienfaits du rire.
Ici s’engage un délicat débat de société: Philinte ou Alceste?
Dixit La Bruyère : « Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l’amour d’eux-mêmes et leur oubli des autres: ils sont ainsi faits, c’est leur nature: c’est pouvoir supporter que la pierre tombe ou que le feu s'élève » ( De L’homme)
Philinte, pour sa part est … catégorique « Et mon esprit n’est pas plus offensé de voir un homme fourbe, injuste, intéressé que de voir des vautours affamés de carnage, des singes malfaisants et des loups pleins de rage. »
Ce nouveau «Misanthrope» millésimé 2024 donné au Théâtre Royal du Parc est une splendeur d’interprétation et de jeu théâtral. Acrobatiques, les comédiens jouent tous « haut et sans filets » avec l’énergie de la jouvence et du renouveau théâtral éternels. Ici, on est au sommet de l’art, dans un gratte-ciel de la ville moderne, avec les nuages pour témoins… Et l’herbe tendre pour la tentation. Femmes et marquis s’ébattent dans de superbes liaisons dangereuses. Pas moins de 1.808 alexandrins volent avec saveur exquise et modernité, La troupe est éblouissante, jetant à tout moment des brassées de rires parmi les spectateurs. Que du bonheur.
Touché coulé: Alceste, le super-héros de la rumination atrabilaire a une faiblesse. Il a sans le moindre scrupule déclaré la guerre à Philinte, son meilleur ami, l’accusant de comportements hypocrites avec de vains quidams, au nom de la politesse. Mais en même temps, le voilà paradoxalement envahi par un brûlant désir de reconnaissance et d’intimité avec sa jeune maîtresse, une glamour girl frivole qui manipule ses courtisans avec une adresse aussi féroce qu’ingénue. Solaire, sulfureuse, pleine de verve, la Gossip Girl occupe la scène avec une énergie démentielle. Mais que donc est venu faire Alceste dans cette galère?
Dès la première scène il enrage : « Je ne trouve partout que lâche flatterie, / Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ». O n penche bien sûr aussitôt pour Alceste, nous qui vivons dans un monde en plein dérèglement planétaire, nous qui sommes glacés d’effroi devant l’effondrement de nos modes de vie, de nos valeurs. Ne sommes-nous pas assaillis de sujets qui fâchent, comme jamais on aurait pu être fâché? Même l’essence de notre pensée humaine semble être en danger…
Mais, voyez, vigoureuse à jamais, malgré tous ses défauts et les accusations graves qui l’accablent et la confondent, Célimène, intrépide Pauline Desmet, ne baissera pas la tête et voguera sur les vagues de la modernité. N’ayez aucune crainte pour elle!
« Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, / Et dans votre désert aller m’ensevelir ! »
Majestueux, les colosses de l'économie numérique GAFA président à la mise-en-scène et la scénographie. Ce miroir nous force à regarder en face le monde qui change. À nous, cependant, les aînés ...et les suivants, de continuer à transmettre perles et joyaux du passé, comme ces illustres textes du patrimoine culturel français, mais, …se mettre en travers? Alceste souffre-t-il d’un défaut d’hubris doublé d’un douloureux aveu d’échec devant le monde en marche? Or, qui a jamais pu entraver l’évolution?
Bref, notre Alceste est un formidable paquet d’humanité, et c’est pour cela qu’on l’aime, lui et son merveilleux interprète, nul autre qu’Itsik Elbaz avec à ses côtés, un être d’une tout aussi belle tranche, d’une rare sensibilité pour incarner la sagesse et la modération de Philinte: Stéphane Fenocchi. Quant à, Molière il est tour à tour les deux, non ?
Et vous, qu’en penserez-vous?
Dominique-Hélène Lemaire , Deashelle pour Arts et Lettres
"Le Misanthrope" de Molière, au Parc, du 7/03 au 6/04/2024
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Crédit Photos: Aude Vanlathem
Distribution: Julien Besure (Clitandre), Denis Carpentier (Acaste), Bénédicte Chabot (Eliante), Damien De Dobbeleer (Oronte) , Pauline Desmet Célimène), Itsik Elbaz (Alceste), Stéphane Fenocchi (Philinte) , Benjamin Van Belleghem (garde / valet d'Alceste, Anouchka Vingtier (Arsinoé ) .
Dans une mise en scène de Patrice Mincke, Assistanat: Sandrine Bonjean
La Scénographie de Vincent Bresmal, Matthieu Delcourt,
Les Costumes de Chandra Vellut et Cécile Manokoune
Aux Lumières : Alain Collet
Création musicale : Daphné D’Heur
Maquillage et coiffures de Tiuku Deplus et Florence Jasselette