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opéra (91)

administrateur théâtres

L'imprésario de Smyrne au Théâtre Royal du Parc

« Scènes de la vie d'opéra »

de Carlo Goldoni , L’imprésario de Smyrne 1759 :

 

19.01 > 17.02.2024

 

Avec une distribution éblouissante de vitalité et de férocité devant une salle comble au théâtre du Parc, cette pièce sans concessions de Carlo Goldoni jouée à L'Aula Magna de Louvain-la-Neuve en septembre dernier a recueilli des applaudissements   passionnés.  Dans cette pièce du 18e siècle, Goldoni déterre les racines du théâtre comique et met à jour les travers de l’homme et de la société.  Il faut saluer l’adresse et l’intelligence de ce dramaturge subversif qui continue à plaire jusqu’à nos jours, dans son jeu fatal et splendide d’inexorables touchés-coulés.

 

C’est que le Molière italien se moque du tout Venise, des grands, des puissants, des hypocrites et des gens sans cœur.  Ainsi le metteur en scène travaille à coups de masques blancs brossés au plâtre sur des visages aux bouches de clowns. Comédiens, chanteuses lyriques et ensemble baroque sont tous, de noir habillé pour faire une fois pour toutes le deuil du bon, du beau et du vrai en Majuscules. Ni couleurs, ni nuances, l’image que nous recevons du monde des grands interprètes de l’opéra est celle d’une bande de fausses divas insatiables, qu’ils soient hommes ou femmes, tous, gredins avides et sans conscience. Peu importe le genre ou le sexe, orgueilleux en diable, ils sont pris d’une incroyable frénésie de survie dans leur course au cachet. Car c'est par-dessus tout, l'argent qu'ils convoitent et accessoirement, la renommée. S'ils avaient du cœur, le voilà désormais fibre inutile et desséchée.

 

Goldoni mène dans un rythme affolant une descente aux enfers où l’autre n’existe pas. C’est intense et - en version comique - aussi dur que celle de l’auteur américain… dans « They shoot horses, don’t they ? » Le marathon est désespéré et iconoclaste. Furieusement théâtral.

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Laurent Pelly, metteur en scène de théâtre et d’opéra sert au public interloqué, un chef-d’œuvre d’hypocrisie, de trahisons, d’égoïsmes suraigus, bref, une entretuerie sans merci, dans un monde qui chavire avec ce plateau désertique et son cadre doré de guingois. On est bien sûr aux antipodes de la solidarité, plongés dans l’horreur du sauve qui peut. Les bêtes d’opéra sont prises comme dans un laboratoire qui semble dire que tous les milieux se prêteraient bien à l’exercice ! C’est brillant, incisif, divertissant et amer. Parfait pour les amateurs de roquette : vivifiant et vitaminé, question de réveiller les esprits endormis par la routine et le confort.

 

Bien sûr dans cette course haletante pas la moindre paillette de bonheur, ni de rêves poétiques, encore moins d’amour, mais une vision du monde acéré de Darwin : « Eat or be eaten » Mensonge, perfidie, tout est bon aux arrivistes qui veulent percer dans ce monde travesti. On assiste à une amplification particulièrement satirique et grinçante de la phrase de Shakespeare : « the world is a stage ». Et c’est tellement drôle !

 Par ailleurs, on pourrait se demander si les dieux s’amusent là-haut des travers humains ou si c’est le Dieu Argent lui-même qui est descendu sur le plateau blanc, glissant et bancal pour procéder à son savant jeu de massacres. Dans cette Venise fière, riche et tourbillonnante mais en perdition, chaque humain semble perdre pied pour être pris inexorablement dans la plus dangereuse des danses macabres.

 

Alors, on se laisse très vite gagner par la magie théâtrale du grand guignol mondain si bien mené. C’est la jubilation devant le jeu impeccable des comédiens, le mystère des gondoles invisibles qui débarquent un à un les protagonistes dans l’enfer blanc du plateau, et ces les voix admirables des chanteurs lyriques. Bref, la communion avec les artistes vivants s’installe, et le rire, baume universel des plaies du monde. Et puis la grâce est là, avec ce magnifique trio de musiciens, presque caché aux yeux du public , qui soutient sans relâche les pages du drame cruel avec une ferveur obstinée. Avec la célèbre soprano Natalie Dessay, on gardait ceci pour la fin.

 L’harmonie retrouvée ? Un ressourcement infini : la Musique.

 

Dominique-Hélène Lemaire,Deashelle pour Arts et Lettres

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Au Théâtre Royal du Parc
Rue de la Loi 3,
1000 Bruxelles
+32 2 505 30 30

 

*crédit photos: Dominique Breda

A partir de L’Impresario de Smyrne (1759) et du Théâtre Comique (1750) de Carlo GOLDONI.


Par l’un des plus talentueux metteurs en scène de sa génération, Laurent Pelly.

Avec la grande chanteuse d’opéra et comédienne Natalie Dessay

Distribution :
Natalie Dessay : Tognina, chanteuse vénitienne
Julie Mossay : Annina, chanteuse bolognaise
Eddy Letexier : Ali, marchand de Smyrne et Nibio, impresario
Thomas Condemine : Carluccio, ténor
Cyril Collet : Le Comte Lasca, ami des chanteuses
Antoine Minne : Maccario, pauvre et mauvais poète dramatique
Jeanne Piponnier : Lucrezia, chanteuse bolognaise
En alternance Raphaël Bremard et Damien Bigourdan : Pasqualino, ténor
Musiciens : Louise Acabo (clavecin), Octavie Dostaler-Lalonde et Arthur Cambreling en alternance (violoncelle), Ugo Gianotti et Paul Monteiro en alternance (violon)

Mise en scène et costumes Laurent Pelly
Traduction et adaptation Agathe Mélinand
Scénographie Laurent Pelly et Matthieu Delcourt
Création lumière Michel Le Borgne
Assistanat à la mise en scène Laurie Degand
Création sonore Aline Loustalot
Réalisation costumes Julie Nowak, assistée de Manon Bruffaerts, Jeanne Dussenne et de l’atelier du Théâtre de Liège
La pièce est publiée dans la traduction française d’Agathe Mélinand par L’Avant-scène théâtre.

 

 

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L’Orfeo, Opéra en cinq actes de Claudio Monteverdi sur un livret d’Alessandro Striggio (fils) par la Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur, à la  direction musicale, clavecin et orgue : Leonardo García Alarcón

 

Un reflet de la Lyre céleste? Une soirée  en tous cas, extraordinaire

 

L'argentin Leonardo García Alarcón,  créateur de l'ensemble Cappella Mediterranea, ...explorateur passionné de la musique baroque tourne ce soir le dos au public, assis devant le clavecin pour diriger l'œuvre fondamentale du genre opéra : « L'Orfeo » de Monteverdi, dont il fera un pur élixir de musique et de théâtre. Tandis que sur scène retentissent les sonorités printanières de la harpe, flûtiaux, cordes et basse continue, dans une allée de lumière, s’avancent gravement   une procession de cuivres somptueux. Première surprise, le ton est donné pour un spectacle imaginatif et chatoyant. Du pur cinéma au sens étymologique du terme. Une fonte harmonieuse des habits, des lumières, des mouvements, et  des voix.

Telle une reine d'Égypte parée d'un fourreau étincelant couleur chair, c’est la Musique en personne qui apparaît.  Celle dont les doux accents « Calme, les âmes troublées et enflamme la passion ou la colère. » C’est la brillante Mariana Flores.  Elle aussi prendra le rôle délicat d’Eurydice, l’innocente femme d'Orphée, morte sur le coup pour avoir été mordue par une vipère cachée dans l'herbe le jour même de son mariage. Mais l'amour doit triompher de la mort. Et Orphée bravera les Enfers. Mais auparavant, l’ensemble célèbre la joie de vivre, le bonheur bucolique des bergers et bergères couronnées de fleurs pour célébrer l’hyménée du demi-dieu et de la nymphe.

Le Chœur qui a fait son entrée encercle l'orchestre comme un lever de soleil, appelle à la prière pour que le ciel veille sur l'amour dans un credo, intense fuse qui fuse vers Apollon. « Après les aurores qui accablent le monde, revient la lumière. Après la froidure, les fleurs du printemps. » Tandis que le rythme de talons fougueux martèle la joie sur l'herbe fleurie le violon principal et son archet bondit en danse et bienheureuses cabrioles.  Est-ce même Chagall qui revient de l'au-delà ?  Tout, mystère, grâce, fluidité et douceur, Orphée interprété par Valerio Contaldo, exulte. Son timbre est chatoyant et la chaleur de son interprétation est enchanteresse. Il donnera tour à tour chair et vérité à la joie de l'amour absolu et à la douleur inconsolable de sa perte.

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 « Rosa del ciel » est la plus belle de toutes les déclarations d'amour. Mais le destin en décide autrement, la joie est hélas passagère. Et après la funeste annonce de la mort d’Eurydice par une Messagère éplorée, la musique s'éteint subitement sous les doigts du chef d’orchestre. La colère bout dans le sang des bergers. Et Orphée est prostré.  Il regrette : « Tu es morte et je respire ». Bouleversant les limites de la condition humaine, Orphée, jure descendre aux Enfers. « Ou je la ramènerai auprès de des étoiles, ou je resterai auprès d'elle au séjour des morts. »  Et la Messagère, incarnée par la mezzo-soprano, Giuseppina Bridelli, se morfond dans une page poignante de culpabilité pour avoir terni le merveilleux bonheur du demi-dieu.

Toujours dans la foulée d’une magnifique chorégraphie, le chœur quitte la scène à pas lents dans une émouvante marche funèbre, au fur et à mesure que baisse la lumière. Celle-ci vient ensuite inonder le plateau de rouge :  le feu de l’Espérance, « l’unique bien des mortels » sous les traits d’Anna Reinhold (à la fois Proserpine). Par deux fois, Orphée sera abandonné : par la mort d’Eurydice et par celle de l’Espérance qui guidait ses pas jusqu’aux Enfers. « Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir » chante l’illustre poète Dante.  A l’autre balcon, surgit alors la voix saisissante de la basse, Alex Rosen qui incarne l’implacable Charon. Aussitôt, l’ensemble se ligue pour plaider la cause d’Orphée :  avec le jeu insistant des violons, les voix féminines, le cornettiste, armé de cette longue flûte qui n’est pas sans rappeler un serpent endormi, et la harpe frissonnante soutiennent la voix d’Orphée saccadée par les sanglots. Il y a cette certitude d’Orphée, « Là où se trouve une telle beauté, e s t le paradis !»

La lumineuse musique d'Orphée finit par ensorceler le gardien des enfers qui s’est laissé attendrir.  Les pas d'Orphée vers sa compagne sont couverts par la puissance des chœurs d'homme passés à l'avant-scène sous la force des percussions. Ils entonnent un credo de foi en l'homme, vainqueur de la nature. Cuivres et percussions célèbrent l’audace de l’homme dans cette sublime œuvre d’éternité.

 Et puis, un nouveau climax prend le public à la gorge : il y a ce tragique retournement quand le doute saisit le demi-dieu sur le chemin du retour avec son Eurydice, « Je chante, mais qui me dit qu’elle me suit ? » interrogation fatale. « Don’t fear ! »  Il a été saisi par la peur. Il a bravé sans le vouloir l’interdit de Pluton (Andreas Wolf), et  son monde s’écroule. Il est inexorablement happé par la lumière, loin de son épouse. Le chœur  se mute alors en chœur antique, dans une ode à la vertu et au sacrifice. Il souligne qu’Orphée a vaincu l’Enfer, mais a été vaincu par sa passion. Sur quoi, quittant les lieux  au cours de la conclusion orchestrale, toute la salle verse dans de chaleureux applaudissements très inattendus pour le chef argentin.

Imperturbable, Leonardo García Alarcón relance le thème initial comme un leitmotiv chantant le retour d’une belle saison.  Il reste un cinquième acte ! Celui, où Orphée, fou de douleur s’en prend aux femmes qu’il trouve impitoyables et perfides, clamant son attachement inaliénable à sa compagne. Apollon, alors,  sous les traits d’Alessandro Giangrande,  prend pitié de son fils et l’invite à rejoindre le ciel où vit le Bien. La vertu n’est pas dans les extrêmes, sagesse grecque… Et toutes les mains, certaines munies de tambourins, célèbrent les couleurs miroitantes de La Vie.

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 Les Interprètes : 

 

*Valerio Contaldo,

Orfeo (ténor)

*Mariana Flores,

La Musica & Euridice (soprano)

*Giuseppina Bridelli,

La Messagiera (mezzo-soprano)

*Anna Reinhold,

Proserpina & Speranza (mezzo-soprano)

*Andreas Wolf,

Plutone (baryton-basse)

*Alex Rosen,

Caronte (basse)

*Alessandro Giangrande,

Pastore & Apollo (ténor)

*Leandro Marziotte,

Pastore (alto)

*Pierre-Antoine Chaumien,

Pastore, Spirito & Eco (ténor)

*Matteo Bellotto,

Pastore (basse)

*Estelle Lefort,

Ninfa (soprano)

*Philippe Favette

Spirito (basse)

 

Bozar / Palais Des Beaux Arts. le 24 janvier '24

CONCERT // L'Orfeo
📆 24 janvier 2024 - Bozar
📆 9 mars 2024 - La Cité Bleue Genève

 

 

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SPECTACLES

Spleen, absurdité et  tout le drame de la guerre…un Eugène Oneguine profondément humain à la Monnaie

29 janvier 2023, une première saisissante de l’oeuvre de Tchaïkovski.

Eugène Onéguine est le héros du roman d’ Aleksandr Pushkin, écrit en vers en 1833. C’est  un dandy de Saint Petersbourg, un aristocrate  désillusioné par les oisives futilités de la capitale russe. Il a environ 26 ans quand il  débarque à la campagne chez son ami  naïvement confiant, Vladimir Lensky, un jeune poète rêveur, d’environ 18 ans, plus passionné par l’Art que par la Vie. Onéguine se montre cynique, arrogant, égoïste, vidé de toute passion et fatigué du monde. Childe Harold, vous connaissez?  Ensemble, ils vont rencontrer deux sœurs, filles de propriétaire terrien. Elles sont  fort différentes, l’une, Tatiana Larina, distante, timide et  renfermée, mais passionnée de lectures romanesques, un personnage obsédant  qui semble  voguer dans un monde imaginaire et se nourrit de littérature romantique anglaise. L’autre, Olga, primesautière, ancrée dans la vie. Elle est insouciante et espiègle même si elle ne trouve aucune joie dans sa jeunesse passée aux champs. Et pourtant , lors de la rencontre, chacun des amis choisira paradoxalement celle qui lui ressemble le moins. Premier coup du sort. A l’Art ou à la Vie ?

Surprise étonnante au lever du rideau ! Point de  soleil d’hiver russe,  de champs fraichement moissonnés, de moulin à eau,  de datcha lumineuse à la Tourgueniev, de femmes  vaquant  aux tâches  domestiques comme on pourrait s’y attendre.  … Le plateau est vide,  comme un radeau ivre sur un océan d’émotions et de vagues de passion.  C’est que ce décor unique et étrange,  intemporel,  est animé de vie, il semble même parler comme parlent les livres… Et pourtant, il n’est constitué que d’une immense carré de parquet  en bois blond, mystérieusement articulé et  posé sur un axe… Toute une cosmologie? Les Chinois ne représentent-ils pas la Terre  par un carré, comme les champs qu’ils cultivent ? Le  spectateur du monde que nous sommes peut donc  observer  les  choses:  tandis qu’elles vont, se font et se défont.  Aux quatre coins, tels ceux d’une rose des vents,  siègent,  chacune sur sa chaise rustique, quatre femmes  sans âge en robes simples, de couleurs pastel : Tatiana en bleu tendre, Olga en rose pâle,  Larina, leur mère (la mezzo-soprano Bernadetta Grabias) en vert tilleul et la  vielle nourrice Filippievna (Cristina Melis) en  bleu gris argent.  

© Karl Forster

Et voici que notre folle du logis, ce pouvoir immense de l’imagination, est subitement convoquée - presque à notre insu - tant la musique, le chant, les mouvements et le jeu scénique se correspondent.  La mise en scène  très créative  de Laurent Pelly saisit l’esprit et le cœur par  la mouvante beauté des différents tableaux. Et l’émotion artistique  est à son comble,  à chaque fois qu’une extraordinaire  chorégraphie s’empare des protagonistes et du superbe chœur. Sans doute, l’anecdotique a été complètement gommé, mais ce,  tout au  profit de l’essence et du  symbole.  De savants  jeux de lumière de Marco Giusti  et l’interprétation orchestrale se combinent harmonieusement   pour habiller le texte  de profondeurs insoupçonnées. Il est vrai que le chef de l' Orchestre Symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu, est  comme à l'accoutumée, un très vibrant créateur de climats et d’échos dans sa sublime interprétation de la « vérité lyrique » chère à Tchaïkovski. Il annonce et souligne avec incomparables nuances, les moindres émotions qui ballottent  tous ces  passagers de la vie, et  avec une intensité et un  sens aigu du drame et de ses prémonitions. Il prolonge tous les états d’âme des protagonistes,  par une  très délicate orchestration. Complémentarité du visible et de l’invisible. Il n'empêche,  le folklore, la danse mondaine et des épisodes de rires joyeux  alternent  avec la vérité des sentiments et des frustrations qui mèneront à la débâcle finale.  


 Car  voici que sur le plateau,  l’aveuglante  folle du logis, celle qui fait perdre la tête, s’empare des deux amis !  Ainsi en va-t-il  de l’immonde jalousie qui soudain saisit  Vladimir, en voyant Olga  enchaîner les danses  avec Onéguine et qui va faire basculer un monde de paix vers celui de la guerre et de la désolation. « Vous n’êtes plus mon ami ! … Je n’ai pour vous que du mépris ! » Pire,  la querelle dégénère et  Lenski  ne peut s’empêcher de  provoquer Onéguine en duel. Toute l’assemblée est scandalisée ! ( Finale « V vashem dome! V vashem dome! )

Mais surtout voici les paroles fatidiques qui déclenchent  l’hostilité des deux frères…dans le tableau 18 de l'acte II «  Ennemis, mais y a-t-il longtemps que le désir de tuer nous sépare ? Y a-t-il longtemps que nos plaisirs, nos pensées , nos soucis, et nos loisirs étaient les mêmes ? Aujourd’hui cependant, comme des ennemis héréditaires, perfidement, nous préférons nous taire , prêts de sang-froid à nous entretuer » Onéguine ajoute pourtant «  Mieux vaudrait en rire, avant qu’il ne soit trop tard, avant que nos mains ne soient rougies de sang, mieux vaudrait se quitter à l’amiable…» Hélas, l’un après l’autre ils déclarent : « Mais non ! mais non !» 

        Niet!                                                                                                  Niet!
                                 
нет                                                                                              нет!

 
Le  désastreux duel aura eu lieu, et dans  le troisième acte,  la douleur consumera Tatiana et Onéguine, les protagonistes maudits. Oui, elle l’aime, c’est tragique mais se refuse à lui, comme lui l’a fait dans le premier acte, non  par vengeance, mais   dans un accès de vertu et de soumission aux règles de la société.  Au tomber du rideau,  Onéguine, ce  héros byronien, un Don Juan à sa manière, n’osant pas être émotionnellement vulnérable, est devenu cet  homme, perclus de désespoir, qui aura  tout eu, qui l’aura gaspillé et qui aura vécu pour le regretter. Pathétique et brisé, il a ... à peine 26 ans.  Une très belle prise de rôle par le baryton Stéphane Degout.

Star power: c’est un  casting d’excellence qui  interprète cette  magnifique  œuvre. Partout des sans-faute. Bogdan Volkov est un Lenski hors compétition, qui met les larmes aux yeux par sa résignation devant le destin qui l’attend, la musique en témoigne.  C’est en effet  déjà un  poignant adieu à la Vie que Lensky chante avant le duel, comme s’il écrivait une ultime lettre à ceux qui restent,   où il oppose les jours heureux de sa jeunesse à sa situation actuelle, dans un scandale que ni lui ni Onéguine ne souhaitaient véritablement. Quelle absurdité ! Dire que la  querelle portait sur les attentions  maladroites d’Onéguine pour Olga.  Surtout,  c’est la perte d’Olga que Lensky regrette le plus, se souciant désormais peu de savoir  quelle sera l’issue du  duel imminent.  Il  est salué par des applaudissements nourris et enthousiastes.


Et autant d'applaudissements, bien sûr, pour  la Tatiana délicieusement chantée par la soprano britannique Sally Matthews:  sans la moindre affectation, avec de vertigineux émois et de subtiles nuances pianissimo. Une réussite majeure.  Cette célèbre scène de la chambre à coucher, lorsque Tatiana, éprise d’un amour impulsif pour Onéguine,  exprime ses sentiments dans une lettre, incarne de manière touchante l’étourderie féminine du personnage.

C’est fait. Je ferme cette lettre,

L’effroi, la honte au fond du coeur…

Mais mon garant est votre honneur,

J’ai foi en lui de tout mon être.

Olga, ici chantée par la chaleureuse  mezzo-soprano Lilly Jørsta, est très naturelle, pleine de joie de vivre et  très  convaincante. Soulignons également le charisme et l’ardeur résonnante  du riche prince Gremin  que chante  Nicolas Courjal  et la merveilleuse et rafraichissante bouffonnerie – Molière es-tu là ? – de Christophe Mortagne  dans le rôle de Monsieur Triquet.  Quant au fabuleux  chœur, une masse parfois oppressante, toujours en mouvement, sous la direction de Jan Schweiger,   il  est à la fois radieux  et bouleversant dans  les multiples atmosphères qu’il incarne.

Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour Arts et Lettres

Avec l' Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie Jusqu’au 14 février.

https://www.lamonnaiedemunt.be/fr/program/2313-eugene-oneguine

DISTRIBUTION

Direction musicale

ALAIN ALTINOGLU

Mise en scène & costumes

LAURENT PELLY

Décors

MASSIMO TRONCANETTI

Éclairages

MARCO GIUSTI

Chorégraphie

LIONEL HOCHE

Collaboration aux costumes

JEAN-JACQUES DELMOTTE

Chef des chœurs

JAN SCHWEIGER

Larina

BERNADETTA GRABIAS

Tatyana

SALLY MATTHEWS
NATALIA TANASII (1, 4, 10, 14.2)

Olga

LILLY JØRSTAD
LOTTE VERSTAEN ° (1, 4, 10, 14.2)

Filipp’yevna

CRISTINA MELIS

Yevgeny Onegin

STÉPHANE DEGOUT
YURIY YURCHUK (1, 4, 10, 14.2)

Lensky

BOGDAN VOLKOV
SAM FURNESS (1, 4, 10, 14.2}

Prince Gremin

NICOLAS COURJAL

Captain Petrovitch

KRIS BELLIGH

Zaretsky

KAMIL BEN HSAÏN LACHIRI °

Monsieur Triquet

CHRISTOPHE MORTAGNE

Guillot

JÉRÔME JACOB-PAQUAY

 Precentor

 CARLOS MARTINEZ
HWANJOO CHUNG (31.1 & 2, 5, 7, 9.2)

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SPECTACLES

Un élixir d’émotions et une plongée dans la folie

Sous  la direction de STEFANO MAZZONIS DI PRALAFERA † , on sait que l’opéra de Liège chérissait  les compositeurs italiens et en particulier les  œuvres de  Gaetano Donizetti (1797-1848). Après l’Elixir d’amour, La Favorite,  Anna Bolena, et la récente captation vidéo de La fille du Régiment, voici un dernier chef-d’œuvre romantique – Lucia di Lammermoor  (1835) –  où la passion romantique vire cette fois  à la folie. La mise-en scène est reprise par Gianni Santucci. C’est aussi  un dernier clin d’œil  du regretté directeur de l’opéra, à la folie de notre monde en plein bouleversement.  C’est comme si cette  ultime  mise en scène  de notre artiste regretté était  un   dernier  cadeau,  un  regard plein de tendresse posthume  lancé  à un public  qu’il adorait. Un  adieu  magistral à une époque révolue.  La direction musicale a été confiée à la très belle sensibilité artistique de Renato Balsadonna

Opéra Royal de Wallonie-Liège, de Lucia di Lammermoor

 A la base, il y a  le roman historique  de Walter Scott, « La fiancée de Lammermoor ». Comme Wordsworth,  Byron, Shelley  et Keats,  Walter Scott est l’une des figures les plus illustres du romantisme d’outre-Manche. Défenseur convaincu du retour aux sources populaires, il  fabrique  une image romantique de l’Écosse et de son histoire. Ainsi le décor de  lugubre château hanté signé Jean-Guy Lecat et les  chatoyants costumes de Fernand Ruiz, deux fidèles compagnons de Stefano Mazzonis di Pralafera.  C’est à Walter Scott,  d’ailleurs, que l’on doit le retour de l’usage du tartan et du kilt, dont le port avait été interdit par une loi du Parlement en 1746. Aux lumières: Franco Marri.  

 Ce roman fantastique raconte l’amour tragique de Lucy Ashton et d’Edgar,  laird de Ravenswood. Le père d’Edgar a été déchu de son titre pour avoir soutenu  Jacques Stuart II, roi d’Ecosse sous le nom de James VII,  permettant  ainsi au  père ambitieux de Lucy, Sir William Ashton, de racheter  le domaine  de Ravenswood.  Edgardo déteste  cette famille pour  l’usurpation de  des terres ancestrales de Lammermoor, mais en rencontrant Lucia, dont il tombe amoureux, il renonce à ses sombres projets de vengeance. Leurs fiançailles secrètes deviendront maudites. Le librettiste Salvatore Cammarano  développe alors  dans l’histoire une  puissante figure mâle dominante,  avide de pouvoir et de richesse,  en la personne du frère de Lucia, Enrico, un rôle embrassé avec  présence et  intensité par le belge Lionel Lhote.  


 Il est résolu à forcer Lucia, à contracter un mariage arrangé, politiquement  très avantageux pour lui, avec Arturo le Laird de Bucklaw. Enrico ne se gêne pas pour utiliser de fausses lettres et faire croire à Lucia qu’Edgardo l’a abandonnée.  La mort dans l’âme, Lucia  se voit incapable de résister aux pressions de son frère. Contre toute attente, la veille du mariage, Edgardo revient  d’une mission en France. Constatant avec horreur que Lucia, a signé  le contrat de fiançailles avec Arturo Bucklaw, il répudie Lucia, anéantie et  qui peut à peine parler. Le mariage a lieu le lendemain, suivi d’une fête à Ravenswood. Alors que les invités dansent, Lucia, poignarde Bucklaw dans la chambre nuptiale. Elle sombre rapidement dans la folie, divague, imaginant son mariage avec Edgardo et meurt.  Edgardo (le ténor Lyonnais Julien Behr au mieux de sa forme) met fin à ses jours.Comme dans Roméo et Juliette, l‘intrigue  est condensée sur un infernal triangle amoureux. Le chœur témoigne, comme dans les tragédies grecques. Il est préparé par Denis Second, formé au Conservatoire de Nice.

 L ‘admirable sextuor d’émotions de l’acte II est  un élixir exaltant qui se décline avec un irréprochable casting :  Luca Dall’Amico, natif de Venise,  donne sa  somptueuse voix de basse profonde au chapelin Raimondo  Bibedent, seul personnage  peut-être doué de raison dans l’histoire,   et  la mezzo-soprano  Julie Bailly donne la sienne  à la très  plaisante Alisa,  fidèle suivante de Lucia.  Oreste Cosimo en Arturo et Filippo Adami en Normanno  remplacent Maxime Melnik et le roumain Zeno Popescu, entendu sur cette même scène dans Norma, Rigoletto et I Puritani.  

Au troisième acte, pendant près de 20 minutes de chant ininterrompu Lucia revisite la vision fantasmée de  leur histoire d’amour, imaginant dans une forme d’extase onirique ce mariage auquel elle aspirait tant. Mais cette fresque  de passion  absolue est traversée par  d’épouvantables moments de  cruelle lucidité où elle  prend conscience l’horreur du meurtre commis et  de l’abominable destin qui accable les amants. Zuzana Marková, rompue au bel canto italien, interprète avec la plus grande vérité ce  personnage féminin broyé par une société éminemment oppressante. Elle  dispense avec fulgurance ses immenses phrasés palpitants  sur un solo de violoncelle et projette de manière étincellante  un feu  nourri de traits de virtuosité  exceptionnelle.  En plein cœur de  la performance de l’artiste, il y cette inoubliable  cadence où Lucia dialogue avec son rêve  fracassé. Sa voix s’enroule sur les sonorités cristallines étonnantes d’un armonica de verre – instrument défiant le monde réel, inventé par Benjamin Franklin en 1761. Tenu par Sascha Reckert, il est  situé dans la fosse, à deux  coudées des flûtes insistantes et de la sublime  harpe.  Les couleurs glaçantes de la  dilution de la raison de Lucia  et  le spectre de la mort avec ses sonorités chromatiques s’accrochent jusqu’aux confins de la coupole de l’opéra. Les luxuriantes vocalises, trilles, arpèges brisés et notes suraiguës finales  de la chanteuse évoquent autant  la réalité insupportable de la situation, que  la folie d’un monde en perdition,  et un appel au secours désespéré,  rejeté par  le ciel. Ou la libération finale attendue après un véritable calvaire de souffrances… 

Opéra Royal de Wallonie-Liège, de Lucia di Lammermoor

ET la folie? Donnizetti connaît ! On n’ignore pas qu’après avoir vécu à Naples comme directeur musical des théâtres royaux de 1828 à 1838, Donizetti s‘était  fixé à Paris. Atteint d’une paralysie générale et de troubles mentaux, il fut interné à l’hôpital psychiatrique d’Ivry, puis  ramené à l’automne de l’année suivante dans sa ville natale, où il mourut, le 8 avril 1848…

Du vendredi 19 au mardi 30 novembre 2021

20H00 OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE | THÉÂTRE ROYAL

Dominique-Hélène Lemaire Pour Arts et Lettres




 

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administrateur théâtres

SPECTACLES

Un 8 mars en avance à l’opéra de Liège?

Mese Mariano  de Giordano et Suor Angelica de Puccini,  quel  beau mariage lyrique !  Le sujet est grave, mais il n’y aura pas de  misérabilisme  ou  le  pathos enflammé auquel on aurait pu s’attendre. Rien que de la dignité sous la baguette agile  et fiévreuse de la frêle chef d’orchestre ukrainienne Oskana Lyniv. Elle  se veut  ambassadrice déterminée  d’une culture européenne en marche par laquelle  elle veut défendre la paix et  les valeurs humanistes,  la communication   rationnelle versus la folie du monde et des hommes. On ne sort pas ses mouchoirs, malgré deux histoires poignantes de femmes méprisées,  soumises aux lois mâles de la société, résignées devant leur malheur, violées, battues et privées de leur progéniture. Tous les malheurs à la fois. Par l’ énergie de la musique  que la fringante artiste ukrainienne déploie  en   interprétant ces deux œuvres elle semble dire : «  Nous sommes fortes, nous sommes fières », nous  ne pleurerons pas.  Chez le spectateur, la spectatrice,  c’est plutôt une sorte de colère silencieuse  qui finit par prévaloir,  tandis que  les yeux restent secs malgré  un  cœur qui saigne.


L’ouverture de Mese Mariano est chantante, pleine de charme. Le rideau se lève  presque  aussitôt sur  les  gracieuses  arcades couvertes de glycines de la piazza d’un monastère  surplombant, à l’aube du 20e siècle, une vallée  napolitaine riante et un duomo étincelant sous le soleil. L’ouvre de Francesca Mercurio.  Aux lumières : Luigi Della Monica.  Contrastant avec  la beauté des décors et la foule de cornettes innocentes qui vaquent joyeusement  dans la cour du monastère, le récit bouleversant de Carmela fait peu à peu prendre conscience de toute l’horreur de la condition féminine de l’époque. Sa sujétion au monde des hommes, sa dépendance, son impuissance, son manque de liberté, son infériorisation. Et parmi  toute ces  femmes qui acceptent leur triste et humble condition, il y a ces traîtresses qui jouent le jeu des hommes, ces Cruella hautaines et méprisantes qui  osent marcher sur leurs sœurs. Dans le deuxième opéra, c’est carrément  le mur du monastère  et ses trois imposantes colonnes qui semble tomber du ciel pour  signifier l’enfermement de la jeune suor Angelica.  Une très habile mise en scène de Lara Sansone.  Une formidable Violeta Urmana interprète l’imposante et glaciale Madre Superiore dans Mese Mariano, et la princesse  dans l’œuvre de  Puccini, Suor Angelica . Elle est vêtue d’une  impressionnante tenue Elisabéthaine, qui contraste avec la simplicité et l’humilité des tenues des nonnes du couvent (costumes des mains de Teresa Acone).  Son jeu de véritable marâtre est implacable. Sa voix contient tout  l’orage de la vindicte  des puissants:  des grondements profonds , aux éclairs fulgurants, au silence meurtrier qui condamne sa victime sans appel. A côté de ce dragon, la pauvre Carmela et la suor Angelica n’ont aucune chance. A travers ces deux œuvres miroir, émerge la conviction profonde que les avertissements de Victor Hugo proférés à l’ouverture des “Misérables” résonnent de façon  toujours aussi  pressante, même à notre époque. Et notre frisson  intérieur reste le même: “ tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celuici pourront ne pas être inutiles. » Les femmes et les enfants sont toujours  au premier rang des victimes.

En Italie,  la veine artistique  vériste  signe  l’ entrée fracassante du naturalisme dans l’opéra,  avec des personnages mélodramatiques faisant partie du commun des mortels. La sincérité de l’interprétation de Serena Farnocchia est très  touchante et invite à la compassion, par une vocalité toute en nuances dans les  plaidoyers bouleversants de Carmela et de Suor Angelica.    

La Beauté humble de la musique vériste, ses bouillonnements passionnels émouvants,  la douceur et l’élégant classicisme des décors italiens ont patiemment tissé la parole des femmes…

Les splendides chœurs d’enfants très actifs et attendrissants,  sous la direction aérienne de Véronique Tollet  et une distribution presque totalement féminine  ont donné  une dimension particulièrement émouvante  au spectacle. Un dernier vœux  posthume de Stefano Mazzonis Di Pralafera ?  


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Lors de la dernière du dimanche après-midi, parmi les nombreuses sœurs qui interviennent dans les deux histoires nous avons aussi  eu la chance d’écouter les talentueuses interprétations de Chantal Glaude (artiste des Chœurs à l’ORW) dans le rôle de Suor Celeste et de  Louise Kuykenhoven dans celui de Suor Genovieffa. En remplacement au pied levé de la chanteuse lyrique  Morgane Heyse. Les merveilleuses Julie Bailly et Natacha Kowalsky en suor Cristina et Suor Maria. Patrick Delcour, un habitué de la scène liégeoise, le seul chanteur masculin de cette distribution,  en Don Fabiano.

Dominique-Hélène Lemaire Pour le réseau Arts et Lettres

GIORDANO / PUCCINI Voici deux histoires croisées qui se répondent à huit ans d’intervalle et qui émanent des plus grands protagonistes de la scène vériste italienne, Giordano et Puccini. Au centre du propos, deux jeunes mères éplorées, obligées d’abandonner leur enfant illégitime et bouleversées d’apprendre bientôt leur mort… Deux tragédies fulgurantes et édifiantes qui permettent à leurs auteurs une introspection des recoins les plus intimes de l’âme humaine… Avec Mese Mariano (Le Mois de Marie), en 1910, Giordano condense une trajectoire immuable et nous mène, en une bonne demi-heure profondément émouvante, dans la simplicité des « vinti dalla vita » (les vaincus de la vie). Quant à Puccini, avec Suor Angelica, ce célèbre volet du Trittico créé à New York un soir de 1918, il saisit l’occasion de confier à l’odieuse princesse, la tante d’Angelica, le seul rôle important d’alto et l’une des rares incarnations féminines malfaisantes de toute sa production…

MESE MARIANO
LIVRET DE SALVATORE DI GIACOMO
D’APRÈS LE DRAME ’O MESE MARIANO, TIRÉ DU ROMAN SENZA VEDERLO

SUOR ANGELICA
LIVRET DE GIOVACCHINO FORZANO

A voir en replay dès le 18 février 2022 sur France•TV Culturebox

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ORCHESTRE, CHŒURS ET MAÎTRISE
OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE CHEF DES CHŒURS
DENIS SEGOND
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administrateur théâtres

SPECTACLES

Fête russe à Liège … avec Eugène Onéguine

 Eugène Onéguine, op. 24, est un opéra en trois actes et 7 tableaux composé par Piotr Ilitch Tchaïkovski entre juin 1877 et janvier 1878.

QUE l’ouverture dans les mains  de Speranza Cappucci est envoûtante! Une cheffe créatrice  passionnée, sensible, subtile, précise, attentive au moindre détail !  Fascinante dans sa gestuelle, l’orchestre répond sur le champ et dans une fluidité parfaite.  Les bois sont particulièrement  exaltés, la harpe frissonnante, les cuivres, brillants sans peser. Speranza Cappucci, à l’écoute du destin,  entretient en continu des brasiers de couleurs miroitantes.  La tendre ferveur du  thème  de Tatyana   reflète  le plaisir  d’un  feuilleton passionnant.   En effet, l’opéra de Tchaïkovski prend sa source dans le sublime roman écrit en vers de Pouchkine et publié sous forme de série entre 1825 et 1832.

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 Photos : Jonathan Berger – Opéra Liège Info & Réservation 🔛 bit.ly/oneguin

DES FEMMES s’affairent à déposer des fleurs sur une  longue table, dans un jardin? Une datcha?  Une église orthodoxe?  L ‘imposante veuve Larina ( Zoryana Kushpler) discute avec sa servante Flipyevna (une  pétulante  Margarita Nekrasova). Les filles de Larina, Tatyana et Olga, chantent une chanson d’amour. Larina et la bonne se souviennent  de quand elles aussi étaient jeunes et belles et amoureuses. Tatyana lit  langoureusement un roman de Richardson, tandis que  sa mère lui rappelle que la vraie vie n’est pas  celle des romantiques anglais.

L’HISTOIRE est transposée 100 ans plus tard,  dans la période bolchevik :  point de  costumes ni de fastes mondains ni de décors somptueux…  mais des paysans, des militaires, et  l’étoile rouge qui brille sur l’ensemble et à la boutonnière du costume noir de l’officier Onéguine.  Nouveau parfum à l’opéra de Liège : la mise en scène superbement dépouillée d’Eric Vigié  mérite toute notre considération. Elle se décline  dans toutes les nuances de gris – ce gris haï des routines domestiques ou amoureuses –   et joue avec le rouge vif  de l’espoir communiste. Un espoir qui  se matérialise   grâce à   une étoile vivante : la  très jeune ballerine en tutu  écarlate.  Le fond de la scène est occupé par un store de larges panneaux verticaux ( Gary Mc Cann) qui s’ouvrent comme par magie pour des changements de scène, ouvrir l’horizon ou pour accueillir le chœur (préparés par Denis Segond)  et ses  figurants.  Les yeux convergent chaque fois sur un  point focal fait de  constructions aériennes, presque sculpturales,  symbolisant  la vie quotidienne russe ou la révolution. Effets très réussis. Des lumières qui captent la transparence. (Henri Merzeau)

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L’AMOUREUX d’Olga, Vladimir Lenski  (un attachant Alexei Dolgov) et son ami Eugène Onéguine ( le beau baryton Vasily Ladyuk) arrivent. Lenski  et Olga s’enlacent et chantent la vie. « Espiègle et insouciante est ma nature, On dit de moi que je suis une enfant. La vie me sera toujours belle »  Et c’est le coup de foudre de Tatyana pour le nouveau  voisin,  mais  ce dernier ne lui montre aucun intérêt et semble même détester la vie à la campagne. Misanthrope ?   Dans un crescendo  de passion grandissante, Tatyana  se met à écrire une lettre d’amour enflammée à Onéguine. Moment d’extase et de rêve. « Me voici tout en feu… Je ne sais par quoi commencer ! « Je vous écris !… que vous faut-il de plus ? Que pourrais-je ajouter à cet aveu ? » Elle  envoie  Filippievna  pour la  lui remettre. Le lendemain, Tatyana attend avec impatience  la visite d’ Onéguine. Il se montre insensible et  précise  tout de suite que le mariage n’est pas dans ses projets, et qu’ils ne peuvent être qu’amis. Tatyana  se sent  couverte de honte… D’emblée la superbe voix  de Natalia Tanasii, qui remplace ce dimanche après-midi, Ruzan Mantashyan, souffrante, séduit une salle  sans doute déçue par l’absence de la soprano arménienne.  Mais Natalia Tanasii possède  parfaitement son personnage, elle  assure une présence théâtrale forte et bien construite. Elle fait preuve d’une magnifique projection de voix au timbre chaleureux et souple. Quelle prestation extraordinaire pour une séance faite au pied levé !

 A L’ACTE II, Larina donne un bal pour la fête de Tatyana. Onéguine, furieux de s’être laissé entraîner par Lenski  le provoque  en dansant constamment avec Olga. Emportés par la jalousie et la colère, Lenski  et Onéguine s’engagent dans un duel absurde. Lenski :  « Kuda, kuda… Où donc avez-vous fui, jours radieux de ma jeunesse ? »  Onéguine tire et tue Lenski.

PLUSIEURS ANNÉE PLUS TARD, Tatyana, a épousé le Prince Grémine.  Celui-ci confie à son vieil ami Onéguine l’amour infini que lui inspire son épouse, si différente des codes l’appareil de la société où règne l’esprit de Lénine, statue à l’appui. On a  tout de même moins aimé ce film muet années Great Gastby, sous-titré en russe et projeté pendant la stupéfiante prestation  d’ Ildar Abdrazakov en Prince Grémine  d’une prestance magnifique, à la voix de basse enveloppante et aux phrasés bouleversants. Donc, très déconcentrant de devoir  suivre les deux en même temps.  

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 LA SITUATION EST SANS ISSUE, quand Onéguine reconnaît enfin Tatyana, épouse du prince, et c’est à son tour d’ éprouver de brûlants sentiments, mais Tatyana,  fidèle à son mari, laisse Onéguine seul et désespéré. « Quelle honte! Quelle douleur! Quel sort pitoyable est le mien ! » Une mort intérieure pathétique.

Le clin d’œil facétieux revient au charmant  ténor français Thomas Morris,  un souffleur de bonheur, qui interprétait avec verve le rôle de Monsieur Triquet, l’invité à la fête parisien, haut en couleurs. « A cette fête conviés… »  Oui et pour nous, au-delà du drame romantique, c’est la joie qui l’emporte, celle   assister à  cette inoubliable interprétation de l’opéra de Tchaïkovski  en   splendide langue russe, une véritable  fête au cœur de la beauté  musicale.   

Eugène Onéguine, du 22 au 30 octobre 2021 à L’Opéra de Liège

Dirigé par Speranza Scappucci, mis en scène par Éric Vigié, avec Vasily Ladyuk, Ruzan Mantashyan, Maria Barakova, Alexey Dolgov, Ildar Abdrazakov, Zoryana Kushpler, Margarita Nekrasova, Thomas Morris, Daniel Golossov, Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.

   Dominique-Hélène Lemaire Pour Arts et Lettres

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administrateur théâtres

Ouverture de saison à Liège : La forza

SPECTACLES

Liège craque sous les applaudissements

« La forza del destino » de Giuseppe Verdi (1862)

La Forza à Liège. On craint toujours de prononcer le titre complet en Italie, par superstition tant les malheurs se sont accumulés autour du compositeur en attendant sa création à Saint-Pétersbourg en 1862. L’œuvre, jouée à Varsovie en 1939 marqua aussi, au jour près, le début de la deuxième guerre mondiale. C’est tout dire.

Tout commence avec une ouverture flamboyante: des cuivres vibrants, de somptueuses couleurs qui font craquer d’émotion une salle où flottent tant de souvenirs liés à son directeur honoris causa à vie. Renato Palumbo à la direction d’orchestre fait vibrer les cœurs et couler les larmes de maints spectateurs. Il sera incontestablement l’artisan précieux des échos orchestraux chatoyants soulignant avec précision et finesse extrême tous les soli.

En guise de bulles de bonheur, partageons ici une consécration de la soprano uruguayenne Maria José Siri qui interprétera à merveille le rôle central de l’héroïne Donna Lenora di Vargas dans ce Verdi spectaculaire et passionnant. Nous vous livrons une partie de son interview réalisé par Paul Fourier pour Toute la Culture. Elle parle de ses premières émotions sur la scène liégeoise.  …

« C’est la première fois que je chante à Liège et tout se passe très bien. La première a été un énorme succès pour tous les participants. Je me sens chanceuse d’avoir ces merveilleux partenaires sur scène et d’être dirigée par l’excellent Maestro Renato Palumbo.
C’est une belle production traditionnelle de Gianni Santucci, d’après une idée de l’ancien directeur artistique du théâtre, Stefano Mazzonis di Pralafera, décédé de manière si inattendue et prématurée l’année dernière.
Avec cette production, je fais mes débuts dans ce magnifique théâtre et je dois dire que je me sens très bien ici ; l’ambiance y est très agréable et j’aime aussi beaucoup la ville. Il y a quelques années, j’étais déjà venue en Belgique chanter Amelia dans « Un ballo in maschera » à La Monnaie à Bruxelles et c’est formidable d’être de retour !
Cette Forza del destino marque le début de ma saison 2021/22 et j’espère qu’enfin les choses vont pouvoir se dérouler comme prévu ! Si tout se passe bien, cet opéra devrait être le premier d’une série de titres Verdi »

 Pur bonheur vocal, son soprano large et somptueux a su électriser le public de Liège qui a réservé à la tragédienne des vivats enthousiastes lors de la séance du dimanche après-midi. On a pu admirer sans réserve Maria José Siri, cette habituée des plus grandes scènes de la planète, qui  a assumé aussi pleinement et sans effort apparent, tous les forte de ses interventions, produisant des aigus d’une superbe stabilité. Ses qualités d’artiste totalement engagée ont su donner de très beaux reliefs à son personnage de plus en plus persécuté par le destin. Car on peut dire que plus son malheur s’affirme, plus elle est convaincante. « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots...»  Son « Pace, pace…mio Dio » émeut profondément…  

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La jeune bohémienne Preziosilla interprétée par la mezzo-soprano géorgienne Nino Surguladze, nous offre un timbre rafraîchissant, des vocalises précises et une vocalité pleine qui contraste heureusement avec les lugubres aspects de l’œuvre dramatique. Sa belle présence scénique enjouée, même pour célébrer la guerre et ses tambours, nous donne des moments de respiration bienfaisante. « Viva la buona compagnia ! »   Une foule de choristes, danseurs villageois ou militaires participent à des scènes graphiques qui respirent la vie et une certaine insouciance. Quelle ironie, « Viva la guerra ! »  La victoire, en chantant, non? Une victoire musicale certainement, menée par le chef de chœurs Renato Palumbo.

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Autre cocktail de fantaisie plaisante bienvenu avec Enrico Marabelli en Fra Melitone, un moine de service quelque peu borné mais qui contribue avec la finesse bouffonne des fous shakespeariens à de joyeuses échappées. On a besoin d’air… Car finalement dans quelle mesure est-on encore passionné à notre époque par l’enchaînement infernal de l’honneur bafoué suivi d’une vengeance digne des tragédies grecques ? A moins que, vu sous cet angle plus universel, chacun en son for intérieur ne se sente fort concerné par l’inéluctabilité du Destin qui nous rend proies de la fatalité. Le jeu de Tarot tissé en filigrane sur le rideau est là pour nous rappeler cette force mystérieuse. Quant aux costumes choisis, ils évoquent « La Der des Ders », celle de 14-18 et ses 65.00.000 de victimes, militaires et civils et nous plongent dans les couleurs fatidiques feldgrau des tranchées. Heureusement que les magnifiques décors italiens des scènes de village ou d’église sont eux, intemporels. On gardera le souvenir de ce profil sur le ciel bleu de cette jolie église couleur brique …du centre historique de Bologne ? Viva l’Italia !

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Le Don Alvaro du ténor argentin Marcelo Alvarez, qui a tué le marquis de Calatrava, le père de sa bien-aimée Leonora, est sincère et effervescent. Il témoigne d’une totale générosité expressive. Un modèle de résilience malgré son impuissance à contrer la fatalité. Il fait preuve d’une attachante prestance scénique. Sa voix repose sur de belles résonnances fougueuses et profondes et accède avec éclat aux les harmoniques les plus élevées. Très beaux échanges avec le baryton italien Simone Piazzola dans le rôle de Don Carlo di Vargas.

Angélique Nodus, Alexei Gorbatchev et Maxime Mělník, trois joyeux artistes que l’on adore écouter à Liège, complètent la riche équipe musicale de la production.  Mais aurait-on oublié ce grand prêtre magistral, un modèle de bienveillance, de sagesse, de droiture et de lucidité « Del mondo i disinganni » ? Un second rôle … éblouissant !  C’est Michele Pertusi, une splendide basse, qui respire la compassion et l’humanité enfin lumineuse. Une voix ample et généreuse de pasteur qui rassure malgré tout sur notre sort.

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« La forza del destino » de Giuseppe Verdi (1862)

Opéra en 4 actes
Livret de Francesco Maria Piave
d’après un drame du duc de Rivas,
Don Alvaro o la Fuerza de Sino


 Les talents lyriques :

Marcelo Alvarez (Don Alvaro), María José Siri (Leonora), Simone Piazzola (Don Carlos), Michele Pertusi (Il padre Guardiano), Enrico Marabelli (Fra Melitone), Nino Surguladze (Preziosilla), Maxime Melnik (Trabuco), Alexei Gorbatchev (Il marchese di Calatrava), Angélique Noldus (Curra), Benoit Delvaux (Un chirurgo), Bernard Aty Monga Ngoy (Un alcade)


Avec l’Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Renato Palumbo (direction)
 Et les Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Denis Segond (chef des chœurs)


Le cadre artistique :

Gianni Santucci (mise en scène), Gary Mc Cann (décors), Fernand Ruiz (costumes), Alex Brok (lumières)

A l’Opéra royal de Wallonie à Liège
16/09/2021 – 19, 22, 25, 28 septembre, 1er octobre 2021 durée : 3h15

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administrateur théâtres

                                   Jeanne est d’abord un être humain que je veux libérer du poids des clichés.
                                                                                   Romeo Castellucci

Cet automne, La Monnaie  programme  du 5 au 12 novembre, l'opéra "Jeanne d'Arc au bûcher", oratorio dramatique d'Arthur Honegger sur un livret de Paul Claudel. La mise en scène est signée Romeo Castellucci dont on se souvient lorsque l’an dernier il produisait une mise-en-scène très controversée de « la Flûte Enchantée » de Mozart, dans la même maison. Est-ce sur cette  base,  que les esprits se sont tout de suite échauffés, pour brûler une nouvelle proie, criant  à l’obscénité majeure, pour quelques photos  considérées comme choquantes, et sans avoir  même réellement assisté au spectacle?  Sic  la Fédération Pro Europa Christiana, qui promeut les "valeurs chrétiennes à travers l'Europe" et sa pétition qui a recueilli avant la première du 5 novembre plus de 10.300 signatures. Bon, la tolérance  ne fait-elle pas  partie de nos valeurs chrétiennes, et «Tu ne jugeras point » pareillement ?  

Consentir au souffle clair et aux gestes de sable

S’ils avaient été voir ce spectacle, leur âme aurait été emplie de bonheur, naturel et surnaturel tellement la musique d’Honneger fleurait le bienfait rafraîchissant et l'épopée humaine. Un élixir de joie et d’amour.  Les chœurs  omniprésents étaient installés dans le colombier diffusant leur musique enivrante comme les parfums d’un encensoir diffusant  paix,  beauté et grâce. Des voix tantôt profondes comme racines de la terre, et tantôt angéliques et inouïes comme in Paradisum. Un enchantement et un mystère qui vous tombe sur les épaules comme un manteau bienfaisant  de la Saint-Martin !   

Les derniers moments de la pucelle d'Orléans

Et sur scène on assiste à un seul en scène,  une traversée du désert en 11 flashbacks, à la recherche de l’amour, terrifiée à l’idée de son supplice.  C'est Jeanne (Audrey Bonnet), sorie du monde de silence,   qui occupe tout l’espace, seule, avec ses voix. On  sympathise au sens propre du terme, avec  une lente  épure mystique qui délivre Jeanne de son histoire d’héroïne de la France, qui lui ôte sa cuirasse de guerrière, la décape de tous les poncifs historiques qui entourent le personnage. Elle est peu à peu mise à nu, elle se dépouille de tout ce qui lui a été toxique.  C’est  toujours mieux que d’être mise à mort… Elle perd d’un coup de balai,la détestable image d’idole récupérée  par des partis politiques très peu recommandables. Elle  retrouve  toute sa  chevelure de femme, sa force, sa lumière, son corps virginal tout de blanc poudrée.  Elle est sortie d’un accès de folie  du cerveau d’un concierge d’école. La voilà, naissant du ventre de l’ombre,  ressuscitée d’entre les chaises d’une classe de village. Elle creuse le sol, déterre son passé,  fouille les souvenirs, retrouve le glaive de saint-Michel et le cheval de bataille, le roi de France, l’amour de la patrie. Elle est cet amour qui réunit les communautés, remembre l’unité, réconcilie les extrêmes, fabrique un corps social unifié! Et ainsi elle atteint l’humus sous le plancher qu’ lance autour d’elle comme pour exalter son humanité et retrouver le sein de la terre féconde. Elle renoue ainsi  avec son humilité, sa condition de femme éperdue d’amour, sa nature profonde. C’est une  folie  sauvage, libre  et authentique qui s’attendrit devant les fleurs de pommiers roses de Normandie, qui est bouleversée par un chant de rouge-gorge, - de quoi fondre en larmes -  qui tente d’expliquer ce qu’est l’amour à un frère Dominique enfermé dans une cuirasse de bure inexpugnable, incapable de sentir. Cet oratorio est un choc spirituel  que d’aucuns voulaient livrer aux flammes… « Comburatur igne ! » ( Le Chœur).   Les persécuteurs ont souvent eu bonne presse auprès des foules avides d' événementiel, or il faut toujours revenir à l’essentiel qui fait notre lumière. Ce qu’a voulu chanter, danser et jouer Romeo Castellucci. A tout hasardLa Monnaie a assuré qu'elle prendrait des "mesures de sécurité appropriées afin que les spectateurs puissent profiter des représentations sans dérangement".

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Une lecture dramatiquement magistrale, radicalement dépouillée

Dans un rêve fébrile de chants, de textes dits et de musique, cette œuvre d’une extrême originalité nous entraîne à travers quelques passages-clés de la vie de Jeanne d’Arc au moment où, toute seule, à l’approche de la mort, il lui faut faire face à elle-même et à sa France. Qui d’autre que Romeo Castellucci  pouvait  transposer les visions mystiques et les conflits intérieurs de cette jeune femme en théâtre sublimé ? L’artiste total italien  s’est associé à  l’ancien directeur musical de  la Monnaie, Kazushi Ono, qui s’est retrouvé à nouveau dans la fosse d’orchestre de la Monnaie, dix ans après l’avoir quittée.  Le chef nippon nous a livré la fresque musicale dans  un chatoiement de timbre et d’effets acoustiques stupéfiants.   Ce spectacle  est l’œuvre d’une coproduction de la Monnaie, du Theater Basel, du Perm State Opera and Ballet Theatre et de l’Opéra de Lyon, où a eu lieu la création en 2017. Pour nous ce fut un émerveillement philosophique. Bien sûr on pourrait reprocher qu’aucune voix entourant Jeanne ne se trouve réellement  présente sur le plateau, mais n’est-ce pas le propre des voix… d’être invisibles?

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Visionnaire, prégnant, ambigu : le mystère lyrique d’Honegger 

Arthur Honegger (1895-1955)  tomba d’emblée sous le charme du texte de  Paul Claudel (1868-1955)  et de sa musicalité poétique. La musique d’Honegger ne reflète pas seulement les différents registres stylistiques du livret, mais également l’esprit turbulent et survolté des années 20 et 30. Des chants spirituels austères qui rappellent Bach alternent avec de la musique contemporaine française, des comptines hors d’âge, des ritournelles de  pastoureaux, des blocs de sons cubistes et même une ligne subversive de jazz et de music-hall. Sorte de théâtre musical, les personnages principaux ont des rôles parlés. L’orchestration fait penser à une tragédie antique ou à un mystère médiéval, mais avec un langage musical chromatique et polytonal extrêmement varié. 

 Les chœurs  ont été renforcés pour l’occasion par les chœurs d’enfants et de jeunes et par l’Académie des chœurs de la Monnaie – tous deux sous la direction de Benoît Giaux. Kazushi Ono avait  déjà dirigé cette production avec beaucoup de succès à Lyon  aux côtés de Romeo Castellucci  et ses collaboratrices attitrées, les dramaturges Piersandra Di Matteo et Silvia Costa. L’actrice française Audrey Bonnet interprétait Jeanne d’Arc et occupait la scène quasi seule pendant près d’une heure  et demie. Elle était  accompagnée sur scène par  Sébastien Dutrieux, dans le rôle du Frère Dominique.

Dominique-Hélène Lemaire
DISTRIBUTION

Direction musicaleKAZUSHI ONO
Mise en scène, décors, costumes et éclairagesROMEO CASTELLUCCI
Dramaturgie : PIERSANDRA DI MATTEO
Collaboratrice artistique : SILVIA COSTA
Collaboration aux éclairages : MARCO GIUSTI
Chef des chœurs : CHRISTOPHE TALMONT

Jeanne d’Arc : AUDREY BONNET
Frère Dominique : SÉBASTIEN DUTRIEUX
La Vierge : ILSE EERENS
Marguerite : TINEKE VAN INGELGEM
Catherine : AUDE EXTRÉMO
Une Voix, Porcus, Héraut I, Le Clerc :JEAN-NOËL BRIEND
Une Voix, Héraut II, Paysan : JÉRÔME VARNIER
Héraut III, L'Ane, Bedford, Jean de Luxembourg, Un paysan : LOUKA PETIT-TABORELLI
L'Appariteur, Regnault de Chartres, Guillaume de Flavy, Perrot, Un prêtre  GEOFFREY BOISSY
Soprano Solo : GWENDOLINE BLONDEEL
Une Voix d'Enfant : SIOBHAN MATHIAK

Orchestre symphonique et Chœurs de la Monnaie
Chœurs d’enfants et de jeunes et Académie des chœurs de la Monnaie s.l.d. de Benoît Giaux

CoproductionLA MONNAIE / DE MUNT, OPÉRA NATIONAL DE LYON, PERM STATE OPERA AND BALLET THEATRE, THEATER BASEL

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Production créée à l’Opéra National de Lyon, 21.1.2017

 

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administrateur théâtres

Orphée et Eurydice à l'Opéra Royal de Liège


Une production spectaculaire tout en français! 

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En déployant les couleurs les plus variées des sentiments  d’amour, d’espoir, de chagrin et de détresse, Varduhi Abrahamyan nous a donné une interprétation passionnée du rôle principal dans l’opéra de Gluck arrangé par Berlioz. En 1859, Berlioz arrangea l'opéra de Gluck afin qu'Orphée puisse être chanté par la grande mezzo-soprano Pauline Viardot, avec laquelle il travaillait en étroite collaboration. Il modifia la structure formelle  de l'opéra, l en divisant l'œuvre en quatre actes au lieu de trois et plaça les scènes chez Hadès et aux Champs Élysées dans des actes séparés. Il  modifia également  certaines parties d’Orphée, principalement dans les récitatifs,  tout en reprenant la majeure partie de l’orchestration de Gluck.  L'Orphée de Varduhi Abrahamyan affiche une ligne solide, étendue et puissante tout au long de son voyage amoureux dans le  séjour des morts. Permettant de franchir les portes de l'enfer et de braver ses féroces gardiens, la beauté de sa musique a fait oeuvre de magie. Varduhi Abrahamyan a plongé les spectateurs dans  les brumes bleues du mystère. Le décor très  onirique conçu par Pierre Dequivre est décliné en cinquante nuances de bleu. Cependant, la prononciation plutôt médiocre du chanteur en français nous a poussés à utiliser les sous-titres plus d'une fois, ce qui était en quelque sorte agaçant. Néanmoins, vocalisant aisément à travers la vaste gamme de matière  vocale,  la voix superbe  de Varduhi Abrahamyan se frayait un chemin à travers les flots d'émotions, soulignant à la fois  le pouvoir de guérison inhérent à  la  musique, en tant qu’art suprême. En quête de la note bleue?  Il demande  à Eurydice de l'écouter… Ce qu'elle  fait, même si elle ne souffrait plus de la moindre douleur, un fois échouée dans la paix du royaume des morts.  En accord avec  la vision paisible de Socrate! 

                               « Cet asile aimable et tranquille par le bonheur est habité. Nul objet ici n’enflamme l’âme; une douce ivresse laisse un calme heureux dans tous les sens. Et la sombre tristesse cesse dans ces lieux innocents. C’est le riant séjour de la félicité. » L’image contient peut-être : nuit


 Les débuts de Melissa Petit dans le rôle d’Eurydice à l’Opéra Royal de Wallonie  ont été lumineux et applaudis avec entrain, dès la chute du rideau. Née à Saint-Raphaël dans le sud de la France, Melissa Petit a commencé à étudier le chant à 14 ans à l'École de musique de Saint-Raphaël. En 2009, elle a fréquenté l'Université de musicologie de Nice et a travaillé comme soliste avec l'orchestre de chambre de Saint-Raphaël. La même année, elle remporte le 2e prix du concours international «Concorso Musica Sacra di Roma» et plus tard, récolte  le 1er prix du concours national de chant à Béziers en France. Inutile de dire que sa prononciation  aux impeccables sonorités était  du pur bonheur et impeccables sonorités à l'oreille française. Sa performance cristalline semblait appeler la célèbre étoile inaccessible, celle décrite par Jacques Brel, celle qui symbolise un amour et un désir inaccessibles. Rappelée à la vie par l’art de son amant, Eurydice supplie Orphée de lui parler ... Ce qu’il ne  fait pas,  parce que les Dieux le lui ont interdit. Donc,  le voilà pris dans une double impasse! Entraîné dans  des souffrances insurmontables et, bien sûr, comme il ne pouvait s'empêcher de  lui jeter un regard, voilà Eurydice ravalée par la tombe, pour la deuxième fois! 

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La délicieuse soprano belge Julie Gebhart a chanté le troisième  grand rôle:  celui de l'Amour, l'allégorie utilisée comme tiers dans l'opéra de Berlioz. Amour ou destin?

                                   « Apprends la volonté des dieux: sur cette amante adorée garde-toi de porter un regard curieux, ou de toi pour jamais, tu la vois séparée. Tels sont de Jupiter les suprêmes décrets; rends toi digne de ses bienfaits. »

Son engagement scénique  très admiré, toujours en phase parfaite avec les gracieuses modulations de son chant. Quel talent! 

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D'ailleurs, selon Gluck, «l'opéra et le théâtre vont de pair et doivent être unis jusqu'à la fusion pour exprimer la quintessence du drame». C'est le défi qu'Aurélien Bory a relevé dans  une  mise en scène à couper le souffle. Il a tout d'abord évoqué un tableau extrêmement bucolique «Orphée ramenant Eurydice des Enfers» de Camille Corot (Musée des beaux-arts de Houston, 1867).  Celui-ci capture l'instant même où Orphée est sur le point de se tourner vers Eurydice… Cette image  gigantesque de L'Arcadie se reflétait ensuite dans un dispositif constitué d'un immense miroir pivotant, qui au départ faisait plutôt penser au couvercle d'une boîte de Pandore. Diverses positions d' écrans dévoilaient également une suite de  passages secrets vers  des réalités mystérieuses. Quoi qu'il en soit, les choeurs vibrants  de Pierre Iodice se sont  finalement  installés dans un cercle lumineux au centre du plateau, de même que les six danseurs qui  tissaient  l'histoire sans relâche, bercés par l'opulente matière orchestrale dirigée avec une  énergie de feu  par l'admirable maître de musique,  Guy Van Waas, homme d'une rare sensibilité. Les  chœurs et les danseurs s'unissaient pour soutenir corporellement  la moindre phrase musicale,  fabriquant au fur et à mesure  une sorte de   tapisserie vivante bouleversante.  La matière de rêves ?   Orphée et Eurydice, contrairement au reste des artistes  se mouvaient peu et lentement,  comme s'ils étaient  englués dans la toile de la destinée.  Le déploiement  sonore  était également accompagné de  mouvement fluides de voiles balayant le sol, prêts à emporter les protagonistes impuissants.  Ce spectacle  a donc témoigné  d'une créativité visuelle particulièrement  hypnotisante,  mêlant rêve et imagination, et faite pour  souligner  de visu, les performances vocales  parfaites des chœurs et des solistes au service de la musique de Berlioz. Au final,  un  spectacle d' une modernité absolue, consacrant une histoire légendaire immortelle et bouleversante. Opéra Royal de Wallonie-Liège, de Orphée et Eurydice

Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres  

L'article en anglais :ici

LIVRET DE PIERRE-LOUIS MOLINE

Nouvelle production

  • Opéra Royal de Wallonie-Liège
  • Opéra Comique
  • Opéra de Lausanne
  • Théâtre de Caen
  • Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
  • Opéra Royal-Château de Versailles Spectacles
  • Croatian National Theater in Zagreb
  • Beijing Music Festival    

crédits photos: OPRLW

Prochain spectacle à L'opéra royal de LiègeVe. 08 Novembre 2019

 https://www.operaliege.be/spectacle/les-pecheurs-de-perles-2019/

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administrateur théâtres

Bizet à Liège en Novembre 2019, des perles fabuleuses!

Une perle d’opéra!


« Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège

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Nous attendions beaucoup des « Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège puisque, c’est la deuxième fois que nous assistons à cette production,  dans la mise en scène sobre et poétique du nippon Yoshi Oïda et les décors de Tom Schenk.   La mise en scène  de 2015  n’a pas pris une ride, car elle touche l’universel.   Il s’agit du premier opéra que Bizet composa à 24 ans. Il était  pour l’époque, d’un exotisme délirant dans la partition et le livret, la référence à la mer et  aux pêcheurs de la  côte étant omniprésente. L’opéra se déroulait dans l’île de Ceylan,  ce qui est maintenant devenu le Sri Lanka depuis 1972.  Mais le metteur en scène, Yoshi Oïda,  désireux de nous transporter dans un ailleurs mythique et imaginaire, semble s’être inspiré soit de la culture  matriarcale des plongeuses  japonaises « ama »,  une coutume  vieille de  quatre mille ans en ce qui concerne le culte de la mer,  ou de celle de « noros », ces femmes  chamanes de l’ancien royaume du royaume des Ryûkyû, Okinawa, un archipel  japonais en forme de Dragon, aux portes de Taiwan, un centre du monde habité par les dieux.  Vestales japonaises, ces femmes  sont toujours là à entretenir une communication sacrée avec les forces divines de la nature, et à un degré supérieur, celles de l’univers. La crainte qu’inspirent  les dangers des  flots marins, engageait naturellement  sur les chemins du sacré. Le sensuel et le spirituel se rejoignant.

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 Et voici une nouvelle  distribution, très solide, combinée à une très belle performance musicale sous la direction de  Michel Plasson, 86 ans,   qui connaît  si intimement  cette œuvre  de Bizet. Les costumes dessinés par Richard Hudson sont  des variations du bleu ardoise  de  « Ce toit tranquille, où marchent les colombes », déclinés en turbans, écharpes, chemises frustes, et vêtements de travailleurs de la mer, bleu de Gênes. Un contraste saisissant avec les voiles éclatants de blancheur de la déesse vierge.   Lumières subtiles et ouvragées de Fabrice Kebour qui fait coïncider le soleil levant meurtrier  avec les cuivres orchestraux des premiers rayons d’une aube incandescente.   Pierre Iodice,  fidèle commandeur  des chœurs de la maison liégeoise,  assurait aux choristes  une fluidité de flots marins, ménageant des moments de frissons poétiques et célestes!   Ainsi,  au tomber du rideau, la salle comble  a   offert  une nouvelle fois – à juste titre – une ovation debout, pleine d’enthousiasme associée à un tonnerre d’applaudissements pour cette œuvre dont le foisonnement des joyaux mélodiques regorge  de morceaux pleins de feux et d’un riche coloris selon  les dires de Berlioz. 

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Le livret se déroule comme un long  flashback nostalgique et tragique de solitude héroïque bercée par le roulis de la vague marine.  Zurga et Nadir, deux hommes tombés amoureux de Leïla dans leur jeunesse ne veulent pas risquer leur amitié et  font le serment de  ne pas répondre à leurs sentiments pour elle. Mais plusieurs années plus tard, il semble que l’amour pour  cette femme idéalisée ne  se soit   jamais éteint. « À aucun autre moment le sensuel n’est aussi chargé d’âme et la part d’âme aussi sensuelle que dans la rencontre. Tout est alors possible, tout est en mouvement, tout est dissous. Il y a là une attirance réciproque, vierge encore de convoitise, mélange naïf de confiance et de crainte. Il y a là quelque chose de la biche, de l’oiseau, … pureté angélique, présence du divin… Ce quelque part, cet incertain pourtant animé par la force du désir… La rencontre promet davantage que ne peut tenir l’étreinte. On dirait, si je peux m’exprimer ainsi, qu’elle ressortit à un ordre supérieur des choses, cet ordre qui fait se mouvoir les étoiles et féconde les pensées… »
Hugo von Hofmannsthal, Chemins et rencontres.

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Et bien que la jeune et fougueuse Leïla ait juré  à Zurga  devenu roi, et au reste du village de  rester  la très chaste et pure gardienne du  rocher qui surplombe la mer, et dont la tâche est de repousser les mauvais esprits qui emportent les pêcheurs dans les abysses,   son désir la porte  toujours vers Nadir, le coureur des bois. Cyrille Dubois chante un héros élégiaque, plein  de charme, au timbre galbé et chaleureux et charismatique, porté par un souffle puissant.   Annick Massis développe habilement le rôle féminin de cet opéra, commençant par celui d’une femme  innocente et docile et concluant celui-ci dans  une apogée  d’amour passionné, cueillant à chaque pas de fulgurantes vocalises.  Elle  a promis par trois fois de « vivre sans ami, sans amour, sans amant ! » Malheur à elle si elle succombe !    Le lien qui l’unit  mystérieusement à Zurga est de l’avoir sauvé dans sa jeunesse, lorsqu’il était un pêcheur rescapé, accueilli sous le toit familial. Elle a gardé de lui, un collier de perles.    Intense, impulsive, très passionnée, elle forme avec Nadir  un duo  pris par l’élixir de  la musique et qui chante l’ élévation  vertigineuse es sentiments . Tous deux  atteignent les profondeurs du cœur. C’est ce qui bouleverse le public.  Bien sûr, la chute est imminente. Et lui, flotte dans le ravissement ! « Oui, c‘est elle! C‘est la déesse. Plus charmante et plus belle. Oui, c‘est elle. C‘est la déesse qui descend parmi nous. Son voile se soulève et la foule est à genoux. »  Passent les pêcheurs et leurs nasses d’osier «Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramiers. Ô, nuit enchanteresse, Divin ravissement, Ô, souvenir charmant, Folle ivresse, doux rêve! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir. Ô, nuit enchanteresse, Divin ravissement, Ô, souvenir charmant, Folle ivresse, doux rêve » ponctués par des violoncelles en voix  presqu’humaines.

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L’orchestre construira l’angoisse et le silence, les présages de mort et d’épouvante et leurs chasubles blanches, leurs torches hostiles,  les barques agitées par les flots. Le chœur est rempli d’effroi «  Un  étranger s’est introduit parmi nous ! »Tout est dit ! La vindicte de la foule se lève comme une effroyable tempête. Le quatuor d’interprètes a été complété par le brutal et revêche  Nourabad de Patrick Delcour. Brutalité et cruauté sont les maîtres mots qui enclenchent tout de même le remords chez Zurga. Les erreurs humaines sont sources de larmes, Leila  dans des accents qui font penser à  Norma, agile et palpitante, victime de sa fonction de prêtresse, plaide la cause de Nadir, il est innocent : «  Accorde-moi sa vie, pour m’aider à mourir » : c’est alors que déferle la rage de la jalousie qui rend le roi  Zurga aveugle, barbare et cruel.  Ce rôle est tenu par le baryton belge  Pierre Doyen, au timbre brillant,  qui  retrouve,  après avoir sombré dans la sauvagerie de la jalousie,  une ligne de chant ferme, noble et élégante.   Au bord du trépas romantique, les amants se  fondent  déjà dans l’amplitude de l’éternité lumineuse, dans une ivresse mystique, auprès d’un dieu salvateur.  Mais ils ne mourront pas car Zurga, ayant reconnu le collier donné à la jeune-fille d’antan,  leur ouvre les chemins de  l’exil,  après avoir mis le feu au camp pour brouiller les pistes. Est-ce à dire, que jamais les liens entre  les personnes ne se rompent, ni ici, ni ailleurs? Le couteau est inutile et vain.

Dominique-Hélène Lemaire

«  Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège      

Du 08 au 16 novembre 2019

Photos © Opéra Royal Wallonie-Liège

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administrateur théâtres

Bien que cette version ne soit pas une production théâtrale - il n'y a aucun décor terrifiant des portes de l’enfer, aucune chorégraphie, ni de fantomatique  ballet de nonnes pécheresses, aucun costume du Moyen-Âge fantastique, ni de casques, épées ou chevaux de tournoi - le public des Bozar a été enchanté par cette magnifique  version concertante.  Evelino Pidò a dirigé les artistes avec fougue à travers les tempêtes sauvages de sentiments humains et le désir dévorant du pouvoir et des richesses qui peuple l'allégorie, jetant au passage une énorme pierre dans notre jardin!


Le contraste saisissant de la lourde musique chevaleresque mêlé à l’ambiance festive de chansons à boire,  face aux  lignes fluides et des valeurs spirituelles de l’amour courtois et du divin, a su  émerveiller le public tout au long de  la soirée. L'arme secrète, c'est sans doute  la beauté de l’interprétation raffinée  des deux femmes, Alice et Isabelle en particulier. La soprano colorature Lisette Oropesa, dans  sa magnifique robe jaune safran imprimmée de grands coquelicots noirs, a chanté l'opéra avec vigueur et passion, d'un bout à l'autre, sans fatigue apparente, enchaînant  aigus, graves et vocalises avec le plus grand naturel. La vision authentique de la bonté et de la lumière de l'amour était assortie d'une pureté de son extraordinaire. L'exquise soprano espagnole Yolanda Auyanet, dans le rôle d'Alice, faisait, elle aussi, preuve d'une capacité à couvrir les notes les plus graves et les plus hautes  dans une émission  de souffle continu et une  projection de voix remarquable.Bref, du Bel Canto à l'italienne saisissant et une  inébranlable patience dans l' argumentation  visant à démanteler les stratagèmes des  mécréants. Toutes deux, telles une armée de saintes femmes se trouvaient  résolument engagées dans la lutte contre tout ce qui pouvait nous  tirer vers le bas, projetant un faisceau de lumière  au coeur des sombres violences du 13e siècle… et celles du nôtre, par la même occasion.

Alice, l'innocente  soeur de lait de Robert, se bat courageusement pour l'âme de son frère adoré,  contre ce père démoniaque, Bertram, qui  a pris, dit-elle, les traits trompeurs d’un fidèle chevalier. Dès les premières lignes, Alice l'a percé à jour, son âme pure détectant le Mal qu'il incarne, grâce au souvenir d'un tableau de leur lointain village normand, où l'archange  combattait le dragon. Terrorisée, elle le nomme d'emblée "L'Autre". Mais bien sûr, son frère n' écoute rien. Il lui  faudra tout l’opéra pour s’adoucir,  au nom de leur mère bien-aimée, qui dans sa dernire lettre adressée  à son fils,  lui conseillait de se méfier du diabolique Bertram. Ce dernier  est pleinement incarné par la somptueuse basse française Nicolas Courjal,  vraiment fascinant  dans ses maléfices et son imparable séduction. Sa note la plus basse, frappant le terrible mot français «mort», a été suivie d'un silence  mortel dans la salle,  jetant un froid glacial dans toute  l'assemblée.

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Le stupéfiant ténor russe  Dimitry Korczak, a assumé le rôle de Robert avec autant de vaillance et d’esprit  qu’il pouvait en  trouver,  face  à  la figure implacable de l'incarnation de  Méphistophélès. On l’imaginerait tout de même plus à sa place  dans le rôle d’Orpheo et d’Eurydice. Robert le Diable est en fait un noble normand impénitent,  assoiffé de pouvoir, d´or et de femmes, au génie diabolique hérité de son père, exilé en Sicile pour ses nombreux méfaits perpétrés dans sa ville natale. Heureusement que la rédemption par l'amour, on y croit!

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 On se souvienda aussi du remarquable Raimbaut (chanté par un gent troubadour, le ténor Julien Dran avec plein de  soleil dans la voix) et au passage, on retient aussi la belle performance  du ténor belge, Pierre Derhet, l'émissaire juvénile du prince de Grenade, chanté avec une superbe rondeur et une  belle projection. Enfin,  la belle élocution, la dynamique et la présence du choeur, hommes et femmes,  préparé par Martino Faggiani, sont  à couper le souffle,  contribuant  grandement à l´éblouissante réussite de cette soirée.

Bozar 02/05 April 2019

Dominique-Helene Lemaire

https://www.lamonnaie.be/fr/program/838-robert-le-diable

Direction/ EVELINO PIDÒ
Maîtrise des choeurs/ MARTINO FAGGIANI
Assistant musical/ JONATHAN SANTAGADA

ROBERT/ DMITRY KORCHAK
Bertram/ NICOLAS COURJAL
Raimbaut/ JULIEN DRAN
Alberti / Prêtre/ PATRICK BOLLEIRE
Isabelle/ LISETTE OROPESA
Alice/ YOLANDA AUYANET
Héraut / Maître de cérémonie/ PIERRE DERHET (MM Academy Laureate)
Dame d’honneur/ ANNELIES KERSTENS
Chevaliers/ MARC COULON, ALEJANDRO FONTÉ, DAMIEN PARMENTIER, RICHARD MOORE
Joueur/ GERARD LAVALLE

La Monnaie Symphony Orchestra and Chorus
MM Academy / Benoît Giaux

Production/ DE MUNT / LA MONNAIE
Co-presentation/ BOZAR MUSIC

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administrateur théâtres

Mozart à Rixensart

Pour «Balade Musicale à Rixensart», une association culturelle qui s’engage à apporter son soutien aux jeunes artistes, la musique est un art qui construit tous les autres. Sa 6ème saison s'achèvait  jeudi soir avec un magnifique concert de Mozart donné à l'église Sainte-Sixte de Genval  réunissant  la fine fleur de 31 jeunes musiciens exceptionnels, issus pour la plupart de l'IMEP (Institut supérieur de musique et pédagogie). 


Le programme a tout d’abord  présenté quelques extraits des opéras de Mozart - Die Zauberflöte, Don Giovanni et Cosi fan tutte -, soulignant les talents vocaux des quatre jeunes solistes: Gianna Canete Gallo, Doris Brasseur, Pierre Derhet et Kamil Ben Hsaîn Lachiri. Le baryton belge Kamil Ben Hsaïn Lachiri, âgé de 25 ans, qui a chanté Papageno dans Die Zauberflöte en 2017 à  Liège, a présenté au public un échantillon généreux et ludique de son talent de «Zauber», dit le magicien.  Tout de suite après il enchaînait avec une  belle interprétation de «Deh vieni alla finestra » de Don Giovanni  posée sur un lit de gracieux pizzicati. Le baryton lisse et clair  soutenait ensuite de façon magistrale  les sopranos dans «Soave sia el vento». On se souvient également de son très  remarqué Wagner dans «Faust» produit à l’Opéra de Liège  au début 2019. Dans ces extraits, sa voix étonnante, chaleureuse, est  bien charpentée et veloutée. Elle prend des douceurs de miel sauvage et fuse de façon  merveilleusement sonnante parcourant  une vaste  palette de couleurs.

Puis vint la magnifique interprétation de l’opulente Messe en ut mineur de Mozart, K427. Cette messe aux sonorités baroques (Bach et Haendel) date de la dernière décennie de  la vie de Mozart, ses années à Vienne. Bien qu'inachevée, elle est peut-être considérée comme  l'expression même  de la musique sacrée, car en elle, fleurissent  la présence et la beauté, signe d'éternité.
Sous la direction de L’Ensemble Pizzicato, nous retrouvons  Ayrton Desimpelaere, étoile montante. Parmi ses nombreux engagements en 2018-2019, il y a  son  brillant Matrimonio segreto (Cimarosa), le Don Quichotte de Massenet  un opéra participatif pour les jeunes  à l'Opéra Royal de Wallonie et, récemment, dans la même maison, il a même repris la direction d'Aïda  en remplacement de  Speranza Spaducci, portée malade. Les deux fois, l'ovation debout  fut la réponse enthousiaste d'un public admiratif et  reconnaissant. En une semaine, il avait  fourni pas moins de 12 concerts! Que les étoiles continuent à le protéger! 

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Grande Messe Solennelle en ut de Mozartsafe_image.php?d=AQDRCRfGgbQEUDMU&w=476&h=249&url=https%3A%2F%2Fwww.ulyn.net%2Fgal%2F948608_1.jpeg&cfs=1&upscale=1&fallback=news_d_placeholder_publisher&_nc_hash=AQAazVFPeth_C0Wm&profile=RESIZE_710x

Un réel accomplissement! Après l'entrée exquise des violons, Ayrton Desimpelaere a su construire une  puissance dramatique cumulative.   Celle-ci a rapidement transformé le «Kyrie» en un ensemble monumental, avec un chœur composé d'à peine  8 choristes. Le quatuor de solistes  remarquablement naturels,   a  conféré à l'oeuvre Mozartienne  une  humanité  débordante et  une splendeur tranquille. La première soprano Gianna Canete Gallo a sondé  sa vérité intérieure  dans le  "Christe Eleison" sans craindre une partition faite d'acrobaties vocales où elle a pu pleinement développer ses talents. «Laudamus te» chanté par Doris Brasseur distillait les nuances chaudes et lumineuses. Les deux sopranos ont donné  toute leur énergie dans le  «Dominus deus», un sommet dans les diverses phrases du  Gloria. L'approche douce et aérienne du chef d'orchestre lui a fait fuir la moindre solennité ecclésiastique, à l'exception de la très sombre et pesante marche du  "Qui tollis" qui porte toutes nos  injustices. Il a livré le tout avec fluidité, dévouement extrême à la musique et  secrète passion du sacré. Les différents «Miserere» fusionnés, semblaient venir de  toute part,  et traduire l'humble supplication autant que la noblesse de l'élévation. Un merveilleux équilibre  sous-tendait  le trio chantant le «Quoniam Tu solus sanctus».  Bonheur céleste au sein d’une tempête d’émotions. Le  timbre  plein et robuste du  ténor  passionné Pierre Derhet, donnait à son inspiration une  texture quasi vivante.  On le verra très bientôt  dans «Robert le diable» de Meyerbeer avec l’orchestre de la Monnaie à Bozar. La fugue finale était opulente, soutenue par un  cor admirablement retentissant. Chaque musicien semblait prendre  un plaisir intense à  boire les gestes précis ou furtifs du jeune chef d’orchestre, réagissant dans la connivence des regards. ...De quoi  rejoindre  tour à tour, les rivages de l’infini.

Mais bien sûr, le cœur de l’œuvre réside dans  le bouleversant  «Et Incarnatus est»  du Credo, avec sa ligne solo raffinée richement chantée par Gianna Canete Gallo,  soutenue  par la voix des vents  si respectueux du mystère de l’être, conscients de la  présence divine.  Mais ce passage reflète  tout autant  la  pureté du  tendre amour d'une mère. C’est ainsi que fonctionne le chef-d’œuvre de Mozart: provoquer un goût bruissant d’éternité mêlé à une saisissante humanité. La  perfection est dès lors rendue visible  avec les yeux du  coeur. Le  «Benedictus» voit le  quatuor en plein essor.  Et l'orchestre et les choristes célèbrent ensemble  la vie. Sous la houlette d'Ayrton Desimpelaere:  la joie profonde qui sauve le monde, submerge les auditeurs autant que les artistes.  "In nomine Domini" le "Benedictus" sera offert en Bis!

Dominique-Hélène Lemaire

Concert du 28 mars 2019

Orchestre et choeur Pizzicato,

direction Ayrton Desimpelaere

Gianna Canete Gallo, Doris Brasseur, Pierre Derhet, Kamil Ben Hsain Lachiri

Grande Messe en ut de Mozart


Heure: 20h.

Lieu: Eglise Saint-Sixte (Genval).

Adresse: près du Centre Culturel, place communale

https://www.balademusicale-rixensart.be/

Balade musicale à Rixensart

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« Faust » de Gounod à la cité ardente (ORWL) jusqu’au 2 février 2019

Pertinent et spectaculaire: « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate » Comme dans l’Enfer de Dante, le vieux docteur Faust a tout perdu : amour, espoir et foi.  Sa vie consacrée à l’étude et à la recherche n’a pas réussi à révéler le sens profond de l’existence humaine et il est sur le point de boire une  coupe de poison, appelant la mort à l’aide. « Maudit soit tout ce qui nous leurre ! » Là-dessus, Méphistophélès apparaît « Me voici ! »


On découvre les gémissements de l’alchimiste au pied d’un tas de décombres, une montagne de livres et de documents sertis comme dans un bijou brisé, un immense anneau domine la scène et  nous rappelle l’histoire terrifiante du pendule d’Edgar Poe. Le cercle de fer est gigantesque et se  meut sur lui-même comme une malédiction, il s’ouvre comme une gueule béante,  se relève et redescend changeant de perspective tout au long du spectacle. Est-ce l’un des cercles de l’enfer de Dante ? Le décor est tout sauf de la bouffonnerie. Ceux qui considèrent le Faust de Gounod comme une histoire d’amour bourgeoise inintéressante ou un divertissement comique auront tort. L’ensemble de la production est conçu comme une puissante peinture des vanités.

Accueillir Stefano Poda dans la maison liégeoise  avec sa mise en scène totalement polysémique a été un pari réussi. C’est un alchimiste ! Tout est synonyme de recherche esthétique. Poda recherche la perfection et la pureté comme dans une  fabrication d’Ikebana.

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Surtout quand l’anneau est rempli de deux structures arborescentes blanches qui ne se touchent jamais.  Son art de la mise en scène est  abstrait, philosophique et transcendantal.  Poda déborde d’un symbolisme visuel saisissant. L’image du cercle peut nous rappeler le cercle de la vie,  la notion circulaire du temps, les saisons, le mouvement des étoiles et des planètes, mais aussi l’esclavage humain ou les prisonniers enchaînés avec les fers au col et aux jambes, ou un anneau qui scelle entre deux êtres un pacte comme  les  liens du mariage, préfiguration de celui avec Dieu. A tout prendre, on choisit plutôt le Créateur pour l'alliance,  que  le Diable.

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 La mise en scène, l’interprétation et l’implication du public sont fortes. Le Faust de Gounod désire par dessous tout la jeunesse car  elle englobe tout : la richesse, la gloire, le pouvoir.  « Je veux un trésor qui les contient tous ! » Méphistophélès convainc Faust de signer son contrat en ne lui montrant qu’un mirage de beauté, de grâce et de jeunesse : Marguerite. La fleur même qui symbolise les « Je t’aime »  que l’on effeuille légèrement.

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D’abord séduite par les fleurs de  Siébel, l’attention de Marguerite sera vite  détournée par le coffret à bijoux.  L’humble et naïve jeune femme sera séduite, abandonnée et tuera ensuite  l’enfant à qui elle a donné naissance faisant d’elle une infanticide condamnable à l’échafaud. La société bourgeoise de l’époque de Gounod méprisait les enfants nés  hors  du mariage, et un terrible opprobre pesait sur toutes les filles-mères, qui ne pouvaient  continuer à vivre avec leur famille, ce qui signifie qu’elles  finissaient par se prostituer.  « Ne donne un baiser, ma mie, Que la bague au doigt !…. » Aujourd’hui, nous ne sommes plus d’accord avec des approches aussi sombres et malveillantes, mais  nous connaissons  des endroits dans le monde  où l’on condamne  les filles  apparaissant en public non voilées…

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Stefano Poda dirige tout : la mise en scène, les décors, les costumes, la chorégraphie et l’éclairage, ce qui donne un sentiment d’unité captivante.  Les mouvements de masse  sont construits en lignes d’une fluidité extraordinaire, même si chaque individu dansant est pris de mouvements saccadés, presque  névrotiques, articulés  en  gestes déconnectés qui  rendent palpable  l’image  d’une  société robotisée. On croit voir à travers tout cela, les anneaux d’un immense serpent, ce lui qui présidait à la tentation originelle.


  L’orchestration fougueuse et romantique de Patrick Davin  s’avère  très pittoresque et efficace, menée avec beaucoup d’assurance et d’attention aux détails, avec une vivacité frénétique pour correspondre aux mouvements de masse et aux scènes chorales comme la Kermesse ou la Valse du second acte. Il dépeint avec flamboyance les démons déchaînés  qui assaillent Marguerite alors qu’elle va prier dans l’acte IV, et cisèle comme un orfèvre le magnifique ballet de la Nuit Walpurgis.


Le chant guerrier « Gloire immortelle de nos aïeux »  est franchement  cynique, avec des soldats lourds de souvenirs sanglants,  revenant de la guerre mais disparaissant les uns après les autres! Et puis la musique devient une déferlante  sarcastique qui accompagne un cercle de femmes enceintes tenant des ballons noirs flottants pendant que Méphistophélès leur rend  une diabolique visite ! Mais il met aussi très  habilement en valeur les magnifiques voix  qui soutiennent le chef-d’œuvre.


Le  Faust de Marc Laho, est une voix forte et déterminée avec un timbre clair  et sonore surtout lorsque le diable l’a « rajeuni !». Il chante avec une aisance et un style parfaits et une diction impeccable. A ses côtés,  Anne-Catherine Gillet chante d’abord  comme une sylphide évanescente. Elle rayonne de jeunesse, de joie, d’amour, de passion  mais  devient redoutable de puissance quand elle est cernée par le  désespoir. Ce n’est plus Faust, mais Marguerite qui est devenue le personnage bouleversant de cet opéra. Son dernier souffle la conduit par  escalades vocales vertigineuses  vers le ciel où elle est accueillie en héroïne tragique par les anges et les séraphins dans des sonorités d’orgues de cathédrale La diction de Méphistophélès n’est certainement pas parfaite, mais le très apprécié et brillant  Ildebrando D’Arcangelo   puise sa  force  au  cœur des ténèbres, et de sa superbe voix de basse, il projette de façon stupéfiante  l’aridité d’un esprit manipulateur passionné.  Il joue de l’ironie: «  Si le bouquet l’emporte sur l’écrin, je consens à perdre mon pouvoir ! » Et Marguerite revêtira donc le manteau de diamants et de miroirs!   Valentin s’avère être un autre rôle intense. Il est chanté par Lionel Lhote, qui,  parti à la guerre, laisse sa sœur sous  la garde de l’adorable Siébel, chanté avec ferveur amoureuse, presque angélique  par Na’ama Goldman. A son retour,  pris d’une rage aveugle inspirée par le Démon, il défiera Faust en duel, pour avoir mis sa sœur enceinte et mourra au premier coup de pistolet.


La  truculente femme fatale,  Dame Marthe est endossée par Angélique Noldus, qui joue désespérément les coquettes avec le diable qui la rejette, mais nous ramène par petites touches à la vie nocturne illicite  des bourgeois du  temps de Gounod. Kamil Ben Hsaïn Lachiri dans le rôle de Wagner. Pierre Iodice: chef des Choeurs de l'Opéra royal de Liège. 


Dominique-Hélène Lemaire 

Du 23 janvier au 02 février 2019 à l’ Opéra Royal de Wallonie-Liège, et  le 8 février à Charleroi

Durée 210 minutes (entractes compris)

Opéra en cinq actes
Musique de Charles Gounod (1818-1893)
Livret de Jules Barbier & Michel Carré
D’après le poème de Goethe
Créé à Paris, Théâtre Lyrique, le 19 mars 1859

Direction musicale: Patrick Davin
Chef des choeurs: Pierre Iodice
Mise en scène, Décors, Costumes, Chorégraphie et Lumières: Stefano Poda
Assistant Mise en scène, Décors, Costumes, Chorégraphie et Lumières Paolo GianiCei

Avec
Anne-Catherine Gillet/ Marguerite
Na’ama Goldman / Siébel
 Angélique Noldus/ Marthe
Marc Laho/ Faust
Ildebrando D’Arcangelo/ Méphistophélès
Lionel Lhote / Valentin
Kamil Ben Hsain Lachiri / Wagner

Production :
Fondazione Teatro Regio de Turin
Opéra de Lausanne
New Israeli Opera de Tel Aviv 

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administrateur théâtres

Image may contain: one or more people and people standingLe comte Ory de Rossini (1828) L’amour aiguillonne et l’épouse est …friponne

Quand Rossini présente à Paris « Le Comte Ory » (1828), le public parisien accueille l’opéra-bouffe avec un enthousiasme sans bornes. C’est son avant-dernier opéra, il est écrit en français.  Rossini adapte en grande partie « Il viaggio a Reims »,une œuvre qu’il avait écrite pour le couronnement de Charles X.   Contre toute attente, il cessera de composer pour l’opéra à l’âge de 37 ans, avec sa dernière œuvre : « Guillaume Tell », pour se tourner vers  ses autres passions: la gastronomie et la vie mondaine. Ainsi ouvrit-il  un salon très prisé par les intellectuels de son époque.

Le Comte Ory

Savoureux mélange de genres, d’époques et de virtuosités, Le Comte Ory 2018, dont le personnage éponyme est interprété avec verve et puissance solaire par Antonino Siragusa, magnifique ténor en moine paillard, séduit vraiment  par sa légèreté,  sa brillance, son esprit français et sa joie de vivre.  Bouffée de bonheur estudiantin, le comique gracieux et leste est partout. Ce n’est pas sans rappeler des souvenirs de certaines chansons populaires.  « Partant pour la croisade, un seigneur fort jaloux De l’honneur de sa dame et de son droit d’époux Fit faire une ceinture à solide fermoir Qu’il attacha lui-même à sa femme un beau soir… »  Cette chanson paillarde remonte peut-être elle aussi, à l’époque de Rossini, une époque pour le moins compassée,  hypocrite et austère où l’on s’éclatait en chansons! Le livret du fameux Eugène Scribe, inspiré d’une ballade médiévale,  est truffé de sous-entendus, la rime est riche et prospère en humour. Une analyse psychanalytique en dirait long sur la  nature du  château inexpugnable.  Si l’on décide de suivre le texte à la lettre, on moissonne les sous-entendus à foison.

Le metteur en scène Denis Podalydès signait en décembre 2017 la création de  cette joyeuse œuvre polissonne, il y a un an, à l’Opéra-Comique de Paris.  Le choix pour les décors se porte sur un autre sociétaire de la Comédie française, Eric Ruf, et  le couturier français, Christian Lacroix,  dessine les costumes gothique flamboyant.  Le mot d’ordre semble être de chanter de manière  le plus souvent parodique, moqueuse, limite graveleuse… ne vous en déplaise! Les lumières de Stéphanie Daniel (Molière 2017 du créateur de lumières) contribuent  régulièrement à une dénonciation éclatante  des subterfuges et travestissements… Les mouvements de la chorégraphie et de  la tension amoureuse sont  réglés par Cécile Bon,  la même qui  a travaillé dans « En attendant Bojangles ».   Les chœurs très stylés sont réglés avec souplesse et humour par Pierre Iodice,  formé au conservatoire de Marseille, rappelons-le,  et  qui dirige depuis 2015 le chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.  Enfin, la distribution très homogène  offre une palette de très beaux talents d’une musicalité impeccable, très agréable à écouter.

Premier décalage, le temps des croisés se mue en conquête de l’Algérie en 1830. Les costumes  sont déclinés en haut de forme,  redingotes, culottes, bottes que l’on ôte au pied du lit, pour les messieurs et, pour les dames, chapeaux Comtesse de Ségur et  somptueuses robes évasées à  profond décolleté. Les paysannes vont, légères et court-vêtues.  C’est l’époque de la richesse bourgeoise de la restauration, qui bien sûr  raffole d’histoires scabreuses, de séducteurs et de libertins  pour soulager leur rigide quotidien.

Le Comte Ory

Dans la création de Podalydès (2017) le château de Formoutier est  redevenu un vrai moutier ou valsent les chaises d’église, mais  sans aucun rapport avec l’abbaye de Thélème.  C’est un couvent, où se languit la belle comtesse Adèle, souffrant d’un mal étrange et persistant, admirablement  interprété lors de son entrée en scène, presque hululé, par la sublime Jodie Devos,  abandonnée au début du premier acte, à une atroce solitude physique et morale. Elle garde son merveilleux timbre cristallin et fruité pour  développer le personnage par la suite.  Sa suivante,  Dame Ragonde, sous les traits de  la très alerte Alexise Yerna,  explique de façon joyeusement théâtrale que l’ état cataleptique de sa maîtresse est dû  à l’absence cruelle de l’époux, parti cueillir des lauriers dans les plaines musulmanes.

Le Comte Ory

Autre décalage, Podalydès ne résiste pas à l’envie de dépeindre l’emprise de la religion catholique du 19e siècle  sur les personnages de l’histoire, profitant de faire débarquer les compagnons du comte,  déguisés en nones libertines, question d’enfermer,  l’ivresse du désir sous le voile et les chapelets et de la rendre plus folle encore. 

Après une  introduction musicale tonique projetée sur fond d’une  peinture d’époque représentant les rivages d’Afrique,  les assauts guerriers, le carnage,  le siège  d’une ville…,  le voile se lève sur l’intérieur du couvent éclairé par une  lumière sourde qui  tombe à travers les croisillons de hautes fenêtres inaccessibles.

Le Comte Ory

La guerre au puritanisme est engagée.  Le bric-à-brac hétéroclite d’un mobilier d’église s’offre à la vue.  On a empilé une chaire d’église, un confessionnal, un saint-sacrement, des prie-Dieu, des chaises et le va-et-vient de l’ermite  joufflu qui promet  de les soigner de tous leurs maux les jouvencelles du village qu’il accueille à bras ouverts. C’est le Comte Ory déguisé. La foule de villageois apportant des fruits et des laitages, chante des rimes bucoliques où se chevauchent badinage, feuillage et filles  presque sages. Ah le délicieux timbre de Julie Mossay en Alice ! Le moine, présent des cieux, se met à boire. La flûte de l’orchestre  joue l’espièglerie, les vocalises moqueuses sur le mot « prière » installent un climat comique d’une belle impertinence, et un paralytique touché par la grâce,  lâche même soudainement ses béquilles ! « Venez, mes toutes belles, je donne des époux ! » promet le vertueux homme, prêt à accueillir les prières des demoiselles dans son humble chaumière à tout moment. Voilà, le ton canaille est franchement donné !

Le Comte Ory

 La scène suivante confirme l’esprit fripon de l’ouvrage car  elle met en scène le « gouverneur » du Comte (en fait le pendant masculin de la gouvernante  d’une dame) qui se plaint  amèrement de la dureté de sa  mission. Laurent Kubla  tient magistralement ce rôle, même s’il est taillable et corvéable à merci et se plaint amèrement en enchaînant les graves les plus vertigineuses. Il est  envoyé par le père du comte pour essayer de récupérer  le  gredin de fils fugueur accompagné d’un machiavélique  Raimbaud, (Enrico Marabelli) à la présence scénique dynamique.  La colère du « gouverneur » monte au rythme de son désir secret de se livrer à  d’autres plaisirs. La fin de l’air le retrouve assis à califourchon sur la chaise d’église,  comme  pour entamer un 80 chasseurs.

Le Comte Ory

On n’a pas eu la berlue… Du confessionnal et des armoires, sortent des belles aux épaules dénudées et aux voix lascives…  Le reste est de la même eau, bien que toujours bénite. Un peu grises, elles chantent à tue-tête « Sortons d’ici ! » mais restent toutes, rivées à l’aventure. Le comique d’oppositions règle l’opéra d’un bout à l’autre. Rien de vulgaire cependant,   tout est tracé au cordeau, dans la suggestion et les double-sens. Où que l’on tourne les yeux ou les oreilles, le désir de conquête amoureuse est incandescent et inassouvi…

Le Comte Ory

Si, Dame Angèle, qui n’a rien de franchement angélique, se dérobe aux projets  d’Isolier,   le cousin dont elle est tombée amoureuse et qui accessoirement sert de page  au comte Ory,  elle se prête sans vergogne,  à au  marivaudage impénitent, bien qu’elle assure n’aimer que lui.  Jodie Devos, sûre de son pouvoir,  est  étincelante dans ce rôle de diva et  ses vocalises  acrobatiques ont la fraîcheur et la sève brute de la séduction juvénile.

Le Comte Ory

 Le double sens devient apothéose dans l’air d’Isolier incarné par une femme,  José Maria Lo Monaco qui clame «  on verra qui de nous deux l’emportera » et assure que « le noble page du Comte Ory sera un jour « digne » de lui ! »  Encore un double sens !  Les bravi saluent les voix croisées éblouissantes du généreux Antonio Siragusa pour le Comte Ory  et  la pureté naïve des beaux phrasés du page  José Maria Lo Monaco  tandis qu’ils  s’escriment,   joignant  le corps  à la voix dans un combat de bras de fer, au propre  comme au figuré.  On le voit, cet opéra est pure jouissance de surprises, de contrastes et de vie.

Le Comte Ory

 L’humour musical généré par la direction pétillante de l’impétueux Jordi Benàcer est irrésistible. Il surligne, dans une grande connivence avec le public,  les moindres postures,  jeux de mots et déplacements ou changements d’humeur.  Il nous fait  pressentir  le rythme  fluctuant des voix, comme s’il disposait d’un stéthoscope enregistrant les phases  du désir brûlant régulièrement bridé.  Son orage est parodique et sa sa prière-beuverie ressemble à un De profundis estudiantin! Tant et si bien que le public se retrouve  finalement vraiment complice dans la scène  à trois, sur la couche  de la comtesse, car seul  le Comte Ory déguisé  cette fois en sœur Colette,  semble ignorer combien ils sont, ou feint de savoir compter jusque trois.  Le méli-mélo amoureux…amour charnel (Ory) et amour pur (Isolier) se termine par le retour imminent du croisé de mari,  qui n’y verra sans doute que du feu …. Comme dans la chanson  estudiantine.


Dominique-Hélène Lemaire

A L’opéra de Liège du 21 décembre au 2 janvier 2019

Avec : Antonino Siragusa (Le Comte Ory), Jodie Devos (Comtesse Adèle), Josè Maria Lo Monaco (Isolier), Enrico Marabelli (Raimbaud), Laurent Kubla (Le Gouverneur), Alexise Yerna (Dame Ragonde), Julie Mossay (Alice), Stefano De Rosa (Mainfroy), Xavier Petithan (Gérard), Ludivine Scheers, Réjane Soldano, Stefano De Rosa, Benoit Delvaux, Alexei Gorbatchev (Coryphées)

A Charleroi Le Samedi 5 janvier 2019 – 20:00
► Lieu 
PBA / Grande Salle
► Réservation 
071 31 12 12
www.pba.be / https://bit.ly/2N9rqk1

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administrateur théâtres

La Gioconda à la Monnaie jusqu'au 12 février 2019

Une prodigieuse « Cloaca Maxima » vénitienne à la Monnaie!

 Février 9, 2019 


Olivier Py qui revient pour la cinquième fois à la Monnaie, aime travailler à contre-courant.   Les   merveilleuses scènes et effets de lumière de Canaletto sur les rives du Grand Canal bordées de palais Renaissance et gothiques ? On oublie ! Adieu même à « Mort à Venise» et  l’impressionnant sens de la beauté de Thomas Mann traduit par l’inoubliable réalisateur Luchino Visconti (1971) dans son film éponyme. Voici le Crépuscule des Êtres Humains dans un opéra en forme de polar, où le Mal l’emportera définitivement. Du début à la fin, le désir brutal, le pouvoir phallocratique et la luxure  étouffent la scène dans  un monde souterrain et  sinistre.

 L’enfer à petite échelle : le sexe et la mort dansés, mimés, chantés  comme s’il fallait en faire un mode de vie ! Le carnaval se traduit par danse macabre.   Des actes plats, sans préliminaires ni réflexions posthumes, exposant  leur  urgence brute et  définitive. Le décor choisi est  le grand égout de Venise, avec ses murs sombres et sans fin et le bord glissant et dangereux de choses qui transpire de partout. Les gondoles se sont transformées en cercueils.


Roberto Covatta, Scott Hendricks & Ning Liang – La Joconde par Olivier Py (© Baus)

Finalement, deux gigantesques bateaux de croisière, ruisselants de lumière  seront de passage  à travers le cloaque rempli d’eau où pataugent les artistes,  question de  rappeler brutalement que Venise, pendant des siècles, le cœur même de notre culture occidentale, a toujours été  menacée par de  perfides appétits. Ou est-ce Venise elle-même qui est le mal? Olivier Py et Pierre-André Weitz (scénographie et costumes) ne mâchent pas leurs mots et  avancent que « La beauté de Venise, c’est la mort, la grandeur de Venise, c’est le déclin, la puissance de Venise, c’est le Mal ».  Le déclin inexorable  de l’Europe des Lumières qui a créé l’esprit  du progrès et le rejet de l’obscurantisme   les conduit apparemment à cette triste déclaration. Une déclaration encore plus évidente  se fait   dès  l’ouverture de l’œuvre, sous la forme d’une  baignoire (de l’époque nazie?) dans laquelle un gnome,  un joker, ou un clown  subit le supplice de l’eau  mais que sarcastiquement cela ne dérange même pas! Ce personnage muet, le Mal ex machina,  prendra de la puissance, grandira en taille et en nombre tout au long de l’action. Image de choc: entre de mauvaises mains, l’eau que l’on pense naturellement être  source de vie,  peut provoquer la mort de toute personne  soumise à son pouvoir meurtrier.  « Du pain et des jeux »  réclame la foule: «Viva il doge e la republica!». Que le doge soit ogre ou pantin, la boucle du Mal est refermée.

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À  l’époque, Amilcare Ponchielli était considéré comme le plus important compositeur italien de la génération après Verdi, mais nous le connaissons aujourd’hui principalement pour La Gioconda, et en particulier pour son célèbre ballet, «La danza delle ore». L’histoire, basée sur «Angelo, le tyran de Padoue» de Victor Hugo, se déroule dans une Venise du XVIIe siècle, où complots et régates forment la toile de fond des heurs et malheurs  de la belle chanteuse La Gioconda (l’immense soprano Béatrice Uria-Monzon). Harcelée par Barnaba (le puissant baryton Franco Vassallo),  noir espion de l’Inquisition, la jeune femme a tout sacrifié pour sauver Enzo (Stefano La Colla), l’homme qu’elle aime et  va jusqu’à sauver  sa rivale, Laura, la femme dont  lui  est  amoureux. Elle est mariée à Alvise Baldoèro, un des chefs de l’Inquisition vénitienne.  Sa complainte dans l’Acte III, scène 5 explique son désarroi et son courage «  O madre mia, nell’isola fatale frenai per te la  sanguinaria brama di reietta riva. Or più tremendo è il sacrifizio mio .. o madre mia, io la salva per lui, per lui che l’ama!»  Gioconda  parle de l’indicible  à l’acte IV, scène 2,  dans  l’air déchirant «Suicidio», dont elle donne une  version échevelée et bouleversante.  » Sa seule issue pour tenir parole.
« La Gioconda en un seul mot, ce serait « agapè », en grec. Elle possède ce grand amour inconditionnel qui n’attend rien en retour, entièrement dévoué à l’autre. » explique Béatrice Uria Monzon.

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Pendant ce temps, le tout puissant et pervers Barnaba  utilise La Cieca, sa  pauvre mère aveugle, pour faire chanter La Gioconda, qu’il souhaite soumettre à son désir. Ne parlons pas d’amour !  Il a même  l’idée de la faire juger comme une sorcière méritant d’être brûlée. … Mais « Ne sommes-nous pas toutes des filles de sorcières que vous avez brûlées ? »  Quoi qu’il en soit, Barnaba est déterminée à la détruire car elle incarne  l’amour maternel inconditionnel le plus pur  et  ose entretenir des relations des plus pieuses avec Dieu. On la voit comme  une créature divine délicate, ressemblant à une  statuette de femme de la dynastie Tang, chantée par la contralto angélique Ning Liang. Son air céleste dans le premier acte «Voce di donna o d’angelo» résonne  comme  un élixir d’innocence et de bienveillance et de sagesse. C’est ainsi que  le metteur en scène Olivier Py nous propose un opéra noir de bout en bout.

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En outre, la scène 2 de l’acte III n’est pas sans rappeler des visions affreuses d’un Othello en furie. Nous savons que Victor Hugo aimait Shakespeare. “Invan tu piangi, invan tu speri, Dio non ti puo esaudir no! in lui raccogli in tuoi pensierei preparati a morir! » chanté par Alvise Badoèro, le mari de Laura. Superbes graves de la basse Jean Teitgen. Mais la pauvre épouse est cyniquement contrainte d’avaler elle-même le poison sur fond de chœurs d’enfants en voix off!  Heureusement cette invention de  Victor Hugo dans la célèbre scène de jalousie,  sauvera celle que le mari en colère n’a pas étranglée de ses mains  fumantes de haine et de vengeance.   

La musique enfin, s’offre comme un immense soulagement…  Elle  forme un contraste saisissant et magnifique avec l’atmosphère  délétère de l’action,  produisant  des grappes juteuses  de passion et de vie. Une  beauté torrentielle et puissante, bouffée d’air dans l’environnement toxique. Un tour de force grandiose pour supporter toute cette noirceur. Ou alors lisez un thriller style la trilogie mongole  Yeruldelgger avant de venir, pour amortir le choc.   Le flamboyant « grand opera all’italiana » est dirigé par Paolo Carignani avec une double distribution  exceptionnelle pour les six rôles principaux, tous  terriblement exigeants, la partition étant redoutable.

 Le public est complètement  emporté  par la qualité de l’orchestre, ses textures Verdiennes élaborées et ses harmonies véhiculant une gamme stupéfiante de sentiments, allant de la peur viscérale  à la mort, en passant par le suicide, mais décrivant également les différentes affres d’amour ressenties par tous, à l’exception de  Barnaba. Les performances répétées des choeurs (Martino Faggiani) sont à couper le souffle, de même que celles des danseurs de ballet, tandis que les six solistes sont tous  également  resplendissants dans leur interprétation parfaite des sentiments romantiques fracassants.  Une  galerie  étincelante a pris vie  au cœur de la Cloaca Maxima vénitienne!

 IL FAUT QUE LE DRAME SOIT GRAND, IL FAUT QUE LE DRAME SOIT VRAI.— VICTOR HUGO


Dominique-Hélène Lemaire

Du 29 janvier au 12 février 2019

crédit photos © Baus

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administrateur théâtres

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L'ouverture du canal de Suez au Caire intervient à un moment où l'Occident se passionne pour l'Égypte, lorsque la civilisation pharaonique et  celle l'Égypte moderne réformée par le vice-roi Méhémet Ali et ses successeurs ont été redécouvertes par Champollion. En prévision de l'inauguration d'un nouvel opéra au Caire, le compositeur Giuseppe Verdi (1813-1901) a écrit «Aïda» d'après un article de l'égyptologue français Auguste Mariette. Les décors continuant à être bloqués à Paris à cause de la guerre franco-prussienne de 1870, la première représentation ne put avoir lieu que le 24 décembre 1871 dans le tout nouvel opéra du Caire.

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  Il mettait en scène l’Égypte de l'antiquité et des peuples voisins  pris dans les tirs croisés d’un conflit international. L’Aïda de Verdi, le plus grand des grands opéras, parle d’amour passionné, de jalousie, de trahison, de vengeance, de guerre et  d'amour filial et patriotique. La haine versus le pardon et la soumission à la tyrannie des dieux pour tous. Le noyau de l'intrigue est un triangle romantique où bouillonne  un conflit impossible à éteindre. 

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Aïda, l'esclave éthiopienne, a été contrainte de choisir entre trahir son pays et trahir son cœur. Il en va de même pour son amoureux, le brillant capitaine grec Radames, chargé de diriger l’armée égyptienne. Au combat, il a capturé le père d’Aïda, Amonasro, roi d’Éthiopie, et est revenu triomphant en Égypte, où  l'on lui donne pour récompense  la main d’Amneris, la fille du pharaon, aspirant à réaliser ses rêves de jeune fille. Quelque part, dans l’épaisseur d’une forêt éclairée par la lune, le père d’Aïda exhorte sa fille à faire pression sur Radames pour qu’il  lui dévoile ses secrets militaires. Dans cette performance de Liège en 2019, le rôle est  tenu par le baryton belge éclatant aux magnifiques résonances,  Lionel Lhote, qui joue avec une noblesse naturelle et n’a pas besoin de forcer les notes. C'est lui qui force l'admiration. Aïda rêve de fuir avec son amant vers son Ethiopie bien-aimée

 O fresche valli, o queto asil beato
Che un di promesso dall’amor mi fu
Or che d’amore il sogno è dileguato
O patria mia, non ti vedrò mai più.
Oh patria mia, mai più ti rivedrò!

… et lui fait  trahir son pays en le forçant à lui révéler les déplacements de ses troupes. Malheureusement, Amneris a entendu l'échange et Radames est arrêté par les prêtres. Amneris, qui l'aime toujours, plaide pour lui offrir la liberté en échange de son amour, mais Radames refuse, choisissant un destin mortel. À la fin de l'acte IV, Aïda, qui s'est cachée dans la tombe, partage le  triste sort de son amant et prie pour l'immortelle félicité de leur amour… Aïda, mourant à son tour, implore les dieux pour  que  passage de Radames  vers le  paradis  se fasse dans la paix. Amneris, en sanglotant dans son palais, quelques étages au dessus de la tombe, réitère le dernier et le plus puissant mot de Verdi: Paix! Une déclaration politique? Un ultime cri d'amour?

Le célèbre opéra mis en scène pour la première fois à Liège  cette année,   a pris dès l'ouverture ciselée avec douceur infinie par la chef d'orchestre, Speranza Scappucci, une allure à la fois spectaculaire et  pleine de profondeur,  tant  musicalement que visuellement.

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Le grand choeur verdien, préparé avec soin par Pierre Iodice, était bien sûr essentiel à la qualité du spectacle grandiose  que tout le monde attendait avec impatience. La variété saisissante des registres,  les  mouvements hiératiques et  la  présence inquiétante  de  l'ensemble était renforcée par de magnifiques costumes rutilants signés Fernand Ruiz et les décors mobiles de Jean-Guy Lecat. Une chorégraphie soignée de Michèle Anne de Mey ( Kiss and Cry) évoluait sous les savants  éclairages de Franco Marri. La danse éblouissante des prisonniers éthiopiens devant la fille de Pharaon,  par des danseurs circassiens évoluant à travers un cerceau gigantesque, a été  l’un des moments inoubliables sur le plan visuel: un jeu insistant d'un homme et de deux femmes en pleine voltige.  Dans les  grands ensembles vocaux, le chœur  a produit  des lignes harmoniques impressionnantes servant de cartouche idéal pour que  la distribution exceptionnelle ( à la première du mardi soir en tout cas)   puisse  afficher avec bonheur  son savoir-faire chatoyant et l' intensité intime des sentiments humains exacerbés.

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Le commandant grec Radames, séduisant à souhait, chanté par le vibrant Marcello Giordani au timbre  plein de santé et  joie de vivre résonnant avec vigueur, affiche une musicalité tout à fait poignante. Son "Celeste Aida",  dont la partition  est marquée pianissimo et morendo ( sur le point de  mourir) était tout simplement à couper le souffle,  répandant dans la salle un silence admiratif.  Avec ce personnage, le texte et la musique rappellent immédiatement  la terrible épreuve d’Antigone, l’héroïne grecque,  puisque Radames subit exactement le même sort: être enterré vivant, être obligé de dire adieu à la lumière sacrée tant aimée et  pénétrer  au royaume des ombres éternelles de l’enfer. La scène véhicule un terrible sentiment d’injustice, quelles que soient les questions politiques évoquées par l'opéra.

Nino Surguladze a chanté Amneris, la fille du pharaon, habillée avec somptueuse  élégance et prête à user de toutes les ruses pour arriver à ses fins. Son implication théâtrale  est exemplaire, interprétant méticuleusement tous les gammes de  sentiments d’amour, de jalousie, de haine, de colère et de détresse. Le public  a ainsi pu vivre  des moments de pure beauté et de plaisir. L’interprétation très exigeante de la partition acrobatique  d’Aïda a été mise en vedette par Elaine Alvares, pleinement engagée, qui a incarné les complexités théâtrales du personnage principal avec un équilibre dramatique et un lyrisme  époustouflants. Elle s'est révélée être une experte passionnée de la dualité, de la lumière et de l'ombre,  semant partout su le plateau les  incessantes contradictions  des sentiments amoureux auxquels elle était confrontée.

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La très intéressante mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera, associée à la puissante direction très affirmé et sensible  de Speranza Scappucci, a fait briller le chef-d’œuvre de Verdi comme nulle autre. Elle a excellé dans la création d'ambiances, le rythme des musiciens, la mise en valeur des interludes et des ballets, suscitant des teintes mystérieuses et exotiques. Elle a livré la complexité de l’âme humaine, soutenant les chanteurs et donnant aux mélodies intemporelles de Verdi toute leur couleur et leur gamme d’émotions. Sa connaissance des intentions profondes et de la «théâtralité» de Verdi, ainsi que sa propre compréhension du chef-d’oeuvre, extraient chaque goutte de drame  né de la partition et du livret conjugués, avec un sens impeccable de la dynamique et des tempos.

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 Enfin, Stefano Mazzonis di Pralafera a réussi à maintenir un équilibre parfait et fort imaginatif entre l’apparat monumental égyptien et la tragédie, en rendant les scènes de solistes intimes d’autant plus pertinentes et saillantes, ce qui semble avoir été l'objectif premier de Verdi. En évitant tout signe de  grandiloquence, il a généré un faisceau de tensions palpitantes, tout en fouillant délibérément dans les couches les plus profondes du cœur humain. Il convient également de  mettre en lumière  le rôle du Messager interprété avec  brio  par le splendide  Maxime Melnik, jeune ténor belge, et celui du grand prêtre glacial et rigide, habilement interprété par Luca Dall’Amico, basse. Et enfin, devrions-nous mentionner qu'une double  distribution  est indispensable pour un tel chef-d'œuvre? Les deux  tout aussi brillantes, l'une que l'autre, semble-t-il.

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Dominique-Hélène Lemaire

"Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ; Des femmes dont les dents et les ongles sont teints, Et des jongleurs savants que le serpent caresse. » Charles Baudelaire

Opéra Royal de Wallonie-Liège

26 février> 14 mars 2019

 

Opéra Royal de Wallonie-Liège

Speranza Scappucci

Direction

Stefano Mazzonis di Pralafera

Metteur en scène

Jean-Guy Lecat

Décors

Fernand Ruiz

Costumes

Elaine Alvarez

Soprano

Aida

févr. 26, 28, mars 03 mat, 07, 09

Donata D'Annunzio Lombardi

Soprano

Aida

mars 01, 05, 10 mat, 12, 14

Marcello Giordani

Ténor

Radamès

févr. 26, 28, mars 03 mat, 07, 09

Arnold Rawls

Ténor

Radamès

mars 01, 05, 10 mat, 12, 14

Nino Surguladze

Mezzo-soprano

Amneris

févr. 26, 28, mars 03 mat, 07, 09

Marianne Cornetti

Mezzo-soprano

Amneris

mars 01, 05, 10 mat, 12, 14

Lionel Lhote

Baryton

Amonasro

Luca Dall'Amico

Basse

Ramfis

Luciano Montanaro

Basse

King of Egypt

Tineke Van Ingelgem

Soprano

Priestess

Maxime Melnik

Ténor

A messenger

Chœur de Opéra Royal de Wallonie-Liège

Orchestra de Opéra Royal de Wallonie-Liège

 

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administrateur théâtres

Créé six ans après Les Noces de Figaro,  cet opéra de Cimarosa est  entré dans la légende pour avoir été entièrement bissé le soir de sa création à Vienne à  la demande de l’Empereur Léopold II. Une curiosité : Stendhal était amoureux fou de cet opéra qu’il avait découvert à Ivrée (Italie) le 1er juin 1800 au cours de la seconde campagne d’Italie à laquelle il participait comme “cadre administratif” puis comme sous-lieutenant de dragons. Ensuite, parcourant l’Europe à la suite de la Grande Armée napoléonienne, il n’a jamais manqué de le revoir partout où il a pu être donné, notamment à Dresde le 28 juillet 1813, alors qu’il était intendant de la province de Sagan, peu avant la formidable défaite de Leipzig. « Je ne trouve parfaitement beaux que les chants de deux seuls auteurs : Cimarosa et Mozart » En attendant Rossini, sans doute, puisque cette œuvre de Cimarosa  se situe  comme un trait d’union entre Mozart et l’opera buffa de  Rossini.

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Critique sociale et miroir du 18e siècle comme l’étaient la série de six peintures intitulées « Mariage à la Mode » par William Hogarth,  l’intrigue est très simple, légère et réaliste. Comme nos Musicals modernes? Il Signor Geronimo, négociant en drap,  souhaite marier sa fille aînée Elisetta au comte Robinson. Mais lors de la première rencontre, celui-ci tombe éperdument amoureux de sa plus jeune soeur Carolina, aussi méprisée par sa  prétentieuse sœur aînée qu’une Cendrillon.   Carolina  est amoureuse et mariée secrètement avec Paolino, un humble employé doué de belle intelligence. Ils espèrent secrètement que l’organisation du  mariage d’intérêt de la sœur aînée suffira pour que  les amoureux soient pardonnés. Le père, sourd et aveugle aux choses de l’amour, a  en effet  une  préoccupation principale, celle d’anoblir sa maison et de veiller à sa cassette, quitte à envoyer sa cadette au couvent.   Il porte le syndrome, les habits et les manières  du Bourgois gentilhomme de Molière… Patrick Delcourt, formidable dans ce rôle, entouré de ses laquais qui vaquent docilement, pliés en deux pour mieux courber l’échine.  La chasse au mari est ouverte et la tante Fidalma (on découvre avec bonheur Annunzita Vestri)  ne se prive pas de fantasmer sur Paolino !   A la fin, une fois les amoureux découverts, la journée folle se termine par  les noces de trois couples bien assortis,  grâce à la bonté d’âme du Comte qui voit le bonheur de celle qu’il aime avant le sien et se résout à épouser Elisetta dont le caractère et les traits du visage s’adoucissent  miraculeusement. Même  Fidalma la duègne aux  bons offices  … trouve chaussure à son pied.  All is well that ends well! L’alternance de sentiments et de comique donne à l’ensemble une  force  théâtrale extrêmement porteuse. … En attendant Feydeau, comme  ceux dirigés par George Lini, un maître tailleur dans le  genre Humour et Sentiments.  Le deuxième acte est fait d’un délire de portes qui claquent. Succulente mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera… dans un décor à la fois sobre et brillant de Jean-Guy Lecat.

Bouleversante, cette scène où Le Comte, campé par un Mario Cassi tout de suite attachant, déclare sa flamme  prima vista à une Carolina  abasourdie  devant l’énormité de l’imbroglio qu’il va  falloir démêler… C’est une exquise Céline Mellon, pleine de fraîcheur et de tendresse.  La musique qui sous-tend   la scène tient , elle aussi, de l’évocation des éblouissements du  coup de foudre. Comme si une union d’esprit particulière liait secrètement   Mario Cassi et le jeune chef d’orchestre, Ayrton de Simpelaere, dans  une déclaration d’amour faite  à la fois avec tous les accents de vérité et les pétillements de l’humour. Notons que le comique est partout. Des citations  en situation au clavecin émaillent la partition, et produisent une source supplémentaire de comique … musical et spirituel,  avec des allusions à Aïda ? La chevauchée des Walkyries ?  La marche nuptiale?  La 5e de Beethoven… Tout fait farine au moulin des amoureux!

Inoubliable et  renversante de drôlerie, cette  magnifique scène où  Le Comte  décline  à Elisetta (Ah ! Sophie Junker) toutes ses mauvaises habitudes, son sale caractère et ses pires défauts, espérant qu’elle le rejettera afin qu’il puisse épouser Carolina, mais Elisetta, bien sûr, reste  de glace. Il avoue enfin qu’elle lui est insupportable et quitte les lieux! Aussi cette course-poursuite au son des cors de chasse! Le rire est dans la salle. Les maquillages, c’est du pur Permeke! Les éventails en prime !

Un "maestro" est né.

…With flying colours

Mais revenons à ce jeune chef que les médias encensent  à chaque occasion, depuis qu’il a pris son envol à Moscou lors de la demi-finale piano du « Concours international Tchaikovsky » en 2015 où il a dirigé les « Solistes de Moscou ». Nous avons eu le plaisir de le voir diriger avec brio l’opéra participatif Jeune Public «  la flûte Enchantée » de Mozart en début d’année, et une création : « Folon » de Nicolas Campogrande , en mars dernier. Lors de cette première  de  l’opéra « Il matrimonio segreto », Ayrton de Simpelaere a pleinement réussi le défi qu’on lui offrait,  faisant preuve d’une grande maîtrise de la balance, d’une concentration et d’une précision extraordinaires dans son interprétation musicale. … Une habitude ancrée dans l’exigence personnelle.  Dès l’ouverture,  les  dynamiques se créent comme par  enchantement, le velouté des vents raconte les effusions de joie, la finesse des cordes est omniprésente, les accents, les legatos, s’enchaînent avec grâce. Le grain de la musique est lisse et lumineux.  Une  ouverture avec trois mesures de Flûte enchantée et le reste est bonheur.    Flying colours aussi pour la direction des solistes dont la diction est un véritable délice.  La palette de ses couleurs orchestrales aligne chaque nouveau climat sur les couleurs et les voix  rutilantes des personnages. Les costumes  18e siècle, y compris les coiffures monumentales,   déclinent elles aussi toutes les nuances du bonheur:  du vert tilleul pour Elisetta, les safrans  épicés de Vidalma, les shocking blue du Comte, les ors et gris du marchand, les  flamboyantes lueurs de braises de Paolino au bras de la délicate Carolina, une symphonie de sentiments délicats bordés de rose rouge. Le développement des très nombreux morceaux d’ensemble, harmonieux malgré les différences  très  intenses de sentiments,  dynamisent la partition et sont savourés par un public conquis par une mise en scène et des éclairages distingués ( signés Franco Marri) , un sens de la beauté, qui n’est  jamais  gommé par la bouffonnerie du genre. Oui, même la caricature est plaisante. Bon, les tenues que  l’on découvre sous les peignoirs et les bonnets de nuit à la fin du deuxième acte, ont  de quoi surprendre, une dernière estocade du comique de situation?  Peut-être pas du meilleur goût, on oublie!

Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres

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https://www.operaliege.be/spectacle/il-matrimonio-segreto/ 

 “ IL MATRIMONIO SEGRETO “ (Le mariage secret)

  • COMPOSITEUR : Domenico Cimarosa (1749-1801)
  • LIBRETTISTE : Giovanni Bertati
  • ANNÉE DE CRÉATION : 1792
  • LIEU DE CRÉATION : Vienne
  • NOMBRE D'ACTE : 2
  • LANGUE ORIGINALE : Italien
-  A LIEGE, Opéra Royal de Wallonie-Liège : Ve. 19 Octobre 2018, Di. 21 Octobre 2018, Ma. 23 Octobre 2018, Je. 25 Octobre 2018, Sa. 27 Octobre 2018
-  Au Palais des Beaux-Arts de Charleroi :  le mercredi 7 novembre 2018 à 20h.
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administrateur théâtres

Don Pasquale

de Gaetano Donizetti

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***Après L’Elisir d’amoreLe Coq d’or et le diptyque Cavalleria rusticana & I Pagliacci***

Succès public considérable aujourd’hui comme hier, l’opéra de Donizetti Don Pasquale est une comédie sur le thème du triangle amoureux. Le compositeur s’y empare du style bouffe de Rossini, dont il emprunte la virtuosité et l’énergie, pour en extraire une « substantifique moelle » par son écriture limpide et sa verve toute personnelle. 

 

Building Bridges, la représentation spécialement programmée par La Monnaie  afin d’y accueillir des publics d’horizons variés, aura lieu le jeudi 20 décembre à 14 heures. Cette saison, le choix s’est porté sur  Don Pasquale, sous la direction musicale étincelante  d’Alain Altinoglu et dans une mise en scène de Laurent Pelly, un tandem qui avait déjà collaboré pour Le Coq d’or (2016) et Cendrillon (2011).
 
Avec son intrigue hilarante, ses personnages hauts en couleur et ses mélodies accrocheuses, la comédie satirique de Gaetano Donizetti est l’opéra idéal pour  se mettre dans l’esprit des fêtes de fin d’année !
 
Voici plusieurs saisons que La Monnaie se propose de rassembler différents publics lors d’une représentation spécialement prévue à cet effet. Ainsi, aux côtés de spectateurs payant le tarif plein, sont accueillis à cette occasion,  des groupes fragilisés (associations et institutions du secteur social et personnes bénéficiant d’une allocation sociale), des élèves (ayant participé à un workshop ou à une introduction ciblée), des étudiants, des artistes et des professionnels du spectacle. Le tout à des tarifs privilégiés.

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Building Bridges a été aménagé dans cette optique tant par le choix d’un après-midi de semaine et d’un horaire particulier  commençant à 14:00, doublé  d’un tarif exceptionnel (10, 15 ou 20 € pour des places qui coûtent de 99 à 159 €). Il s’agit d’une initiative qui s’ajoute à d’autres menées dans le même sens,  comme les répétitions ouvertes, les accès à prix réduit aux représentations publiques, les projets participatifs, les workshops et ateliers de chants…
 
Le choix de Don Pasquale – première parisienne en 1843 – souligne la préoccupation de La Monnaie de faciliter l’accès à un public pour lequel franchir les portes d’une maison d’opéra constitue une démarche peu ordinaire.

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En tant qu’institution culturelle bruxelloise pleinement consciente de la très grande diversité urbaine et des défis sociétaux propres à l’époque, la Monnaie s’engage à donner à tous une occasion de découvrir l’opéra, prouvant ainsi que cet art est manifestement accessible à tous.
Building Bridges illustre les valeurs humanistes qui sous-tendent les différents programmes de La Monnaie développés depuis les années 90 pour les écoles, les jeunes, les familles et les groupes précarisés.

BREF?

...Impossible de résister à cette musique qui fuse, riposte, caresse, enjôle, tourbillonne, se teinte de nostalgie parfois. Confié à la direction d’Alain Altinoglu, ce délicieux et festif épilogue de l’année est mené tambour battant par un Laurent Pelly dont on connaît le penchant pour le rire.

Crédit photos © H. Segers

https://www.demunt.be/nl/program/833-don-pasquale

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administrateur théâtres

Une mise en scène qui dérange…

« Nous ne sommes pas en train de fabriquer un autre univers idéal, mais de faire face à la réalité de notre propre monde, avec toute sa joie et sa tristesse. » Ce sont les mots de Patricia Kinard, une artiste-peintre  belge contemporaine qui a une faculté particulière de ressentir l’invisible à travers ses sublimes peintures qui déclinent toutes les nuances de bleus. Elle cite Akong Rimpoche. Des mots qui nous parlent quand on repense à la mise en scène dérangeante de Romeo Castellucci dans « sa » Flûte Enchantée de Mozart.  Voici le texte complet : "L'important, c'est de changer notre attitude. Cela nous donnera la liberté. La liberté a l'attitude d'accueillir tout ce qui nous arrive. C'est aussi simple que ça. En tant qu'êtres humains, nous sommes vivants. Être en vie, nous aurons toujours des expériences, qui que ce soit ou quoi que ce soit. Si nous nous félicitons de tout, le manque de liberté n'est pas un problème. Nous ne sommes pas en train de fabriquer un autre univers idéal, mais de faire face à la réalité de notre propre monde, avec toute sa joie et sa tristesse. Nous développons une maîtrise de nos circonstances afin de ne pas être limité par les vieilles habitudes de pensée, de sentiment et de comportement." Serait-ce une morale partagée par Romeo Castellucci?

https://www.arte.tv/fr/videos/082237-000-A/la-flute-enchantee-dans-une-mise-en-scene-de-romeo-castellucci/

La Monnaie a laissé carte blanche à Romeo Catellucci qui greffe sur sa Flûte une approche  des plus personnelles et engagée. Chapeau quand même, d’oser mettre en scène  ce qu’il considère comme l’envers de la Flûte enchantée, à la façon d’une « Böse Fee» qui, en plein 21e siècle, se met à dénoncer l’absolutisme du pouvoir masculin de la tradition franc-maçonne du XVIII siècle. Sacrilège!  Il réhabilite la Reine de la Nuit, qu’il nomme mère-protectrice, lieu géométrique de tendresse universelle, dont le lait est source d’humanité. Comme celui de la Vierge à l’enfant, dépeinte aussi couronnée d’étoiles et foulant aux pieds l’immonde serpent… Maintenant, les images qu’il donne à voir sur scène de cette symbolique sont plutôt perturbantes à regarder, car les  trois mères-laitières semblent faire partie d’une épouvantable  ferme humaine ! On vous passe les détails.

https://www.rtbf.be/ouftivi/video/embed?id=2401553&autoplay=1

 Romeo Catellucci insiste sur la souffrance de la Reine de la Nuit: « Zum Leiden bin ich ausgekoren ! » lorsqu’elle  évoque l’enlèvement de sa fille… Mais contrairement à la Vierge, « Der Hölle Rache » la vengeance infernale  devient  son destin, que l’on peut lire en « mort et désespoir ». Son cœur de mère, « Mutter Herz » est dévasté. Quelle lecture inédite de l’opéra de Mozart !  Romeo Castellucci va plus loin, il donne la parole aux mots écrits par sa propre  sœur en lui offrant une large fenêtre au beau milieu de la fête des lumières, où les facéties bienveillantes de Papageno et de Papagena ont été réduites au strict minimini-mum… . Il projette au contraire et concentre dans cette fenêtre la souffrance de l’amour aveugle (?)  vécu par des femmes malvoyantes qu’il met en lumière, et la souffrance d’hommes écorchés et brûlés accidentellement, qu’il installe dans la souffrance de la fournaise. Ou bien, sont-ils les victimes des flammes de l’amour qui brûle dès le premier coup de foudre?  Ensuite, chacun de ces  groupes,  les femmes au service  de la Reine de la Nuit, les hommes  à celui de  Sarastro, sert d’écrin de rites initiatoires. Les femmes entourent de leurs soins  Tamino, tandis que  les hommes accueillent  Pamina. Au terme de cette initiation, tous deux sont comme décapés de leur souffrance. On finit par leur ôter leur perruque de scène. Ils retrouvent ainsi leur être intérieur et leur véritable chevelure…  source de force secrète et mystérieuse.  

Si la souffrance est une initiation pour les chrétiens,  une absurdité et un scandale pour Camus, à nous de choisir,  pourquoi pas, une troisième voie : celle qui conduit à regarder le monde sans complaisance, regarder en face la réalité avec toute sa joie et sa tristesse. Sans jugement. Dans l’accueil de l’autre qui est  toujours, tellement … « autre », chacun avec sa propre réalité! Il est un fait que la production de Romeo Castellucci donne sur la scène prestigieuse de la Monnaie, un accès public aux handicapés, aux déshérités et  aux  éclopés de toute origine.  Voici, au 21e siècle, exposée, la réalité des aveugles de Breughel le visionnaire,  et la chute d’Icare.  Tout cela se passe au beau milieu d’un décor à l’inverse intégral du rêve étincelant de blancheur présenté au premier acte fait de costumes XVIIIe, de masques, de  coiffures et  de maquillages parfaits et resplendissants de lumière dont aurait pu rêver la reine Marie-Antoinette. D’une ode à la perfection de la symétrie sans faille, sans défaut, sans paroles,  on passe insensiblement à une esthétique de logiciel arbitraire et omnipotent. Néanmoins, la  munificence évoque pour certains, la beauté légendaire des cérémonies des rois du Siam, les ballets de plumes d’autruche évoque les palmes, les oiseaux, l’envol vers des réalités chimériques… On ne peut pas échapper à la beauté de la réalisation. Mais Romeo Castellucci nous fait retomber au deuxième acte sur terre, et la chute fait mal…  

 

 Dès lors, on peut  aussi comprendre  la révolte de spectateurs qui, choqués par l’extrémisme naturaliste de la mise en scène du deuxième acte et son allongement intempestif par des « textes qui n’y ont rien à faire », outrés par la rébellion du metteur en scène contre l’esprit des lumières dont il veut exorciser «  l’imposture », blessés, dans le droit fil de leur patrimoine de traditions artistiques, sont ressortis fâchés et heurtés par cette mise en scène iconoclaste, criant … à l’imposture.  

Le premier acte, en tout cas, malgré l’éviction complète des parties parlées du livret de Schikaneder est  un bouquet magistral de musiques et de beauté esthétique incluant des installations étourdissantes sur plateaux tournants. C’est bluffant. Mais surtout, la finesse et sensibilité extrême  du moindre mouvement d'Antonello Manacorda , le chef qui initie voix et instruments, sont en soi  plaisir et  délices. Il cisèle  la moindre nuance, apporte une galaxie de variations dynamiques, nous donne à entendre une mystérieuse voie lactée musicale. La direction musicale du maître Antonello Manacorda est plus que brillante et  la distribution foisonne de belles voix  qui  excellent dans la prononciation allemande, ce que l’on ne peut pas dire pour l’anglais maltraité par les figurants du deuxième acte, où apparaît un accent flamand très prononcé, dérangeant, lui aussi. On aurait au moins préféré que les textes italiens de la sorella aient été traduits directement en flamand et en français… Qu’est-ce que l’anglais vient faire dans cette galère? On regrette aussi les voix de fausset des jeunes garçons. Est-ce intentionnel, par esprit de dérision? Les instruments semblent de mèche... Mais, tant Jodie Devos que Sabine Devieilhe interprètent une Reine de la Nuit d’une humanité poignante tandis que  les autres artis deux productions  font également merveille. On est certes pleinement charmé par le ravissant trio de dames : Tineke Van Ingelgem, Angélique Noldus et Esther Kuiper. 

Avec en alternance Ed Lyon et Reinoud Van Mechelen comme superbe Tamino, Georg Nigel comme Papageno et  sa rayonnante  compagne Papagena, Elena Galitzkaya.  Gabor Bretz /Tijl Faveyts comme Sarastro. L’exquise Pamina, c’est en alternance Sophie Karthäuser et Ilse Eerens.

Que voilà un  beau rassemblement d’étoiles dans la nuit, sous la baguette d’Antonello Manacorda, le  chef lumineux, ovationné  dans un feu d’applaudissement sans oublier les chœurs si  émouvants et invisibles de Martino Faggiani

 


Architecture algorithmique MICHAEL HANSMEYER
Collaboration artistique  SILVIA COSTA
Dialogues supplémentaires CLAUDIA CASTELLUCCI
Dramaturgie PIERSANDRA DI MATTEO, ANTONIO CUENCA RUIZ
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANI

DIE ZAUBERFLÖTE

W. A. Mozart, R. Castellucci, A. Manacorda, B. Glassberg
Du 18 septembre au 04 octobre 2018 | 12 rep. | Bruxelles | Palais de la Monnaie


https://www.lamonnaie.be/fr/program/831-die-zauberflote 

Danseurs
STÉPHANIE BAYLE, MARIA DE DUENAS LOPEZ, LAURE LESCOFFY, SERENA MALACCO, ALEXANE POGGI, FRANCESCA RUGGERINI, STEFANIA TANSINI, DANIELA ZAGHINI, TIMOTHÉ BALLO, HIPPOLYTE BOUHOUO, LOUIS-CLÉMENT DA COSTA, EMMANUEL DIELA NKITA, AURÉLIEN DOUGÉ, JOHANN FOURRIÈRE, PAUL GIRARD, NUHACET GUERRA, GUILLAUME MARIE, TIDIANI N’DIAYE, XAVIER PEREZ

Comédiens amateurs
DORIEN CORNELIS, JOYCE DE CEULAERDE, MONIQUE VAN DEN ABBEEL, KATTY KLOEK, LORENA DÜRNHOLZ, JAN VAN BASTELAERE, MICHIEL BUSEYNE, JOHNNY IMBRECHTS, YANN NUYTS, BRECHT STAUT

Comédiens
SOPHY RIBRAULT, CINZIA ROBBIATI, MICHAEL ALEJANDRO GUEVARA, GIANFRANCO PODDIGHE, BOYAN DELATTRE / AMOS SUCHEKI

Zauberflöte at La Monnaie, directed by Romeo Castellucci

https://www.facebook.com/ARTEConcert/videos/2265681350326666/

Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
Académie des chœurs et chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie s.l.d. de Benoît Giaux

La presse en parle: 

Deux articles dans Crescendo magazine, la référence en musique classique! 

http://www.crescendo-magazine.be/a-la-monnaie-la-flute-dejantee-de-castellucci-questionne-mozart/

http://www.crescendo-magazine.be/la-flute-enchantee-a-la-monnaie-peut-on-tout-se-permettre-avec-mozart/

  

 

 

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administrateur théâtres

 

La Tosca  est revenue !

 

 Back to basics, voici  « La Tosca» le chef d’œuvre de Puccini présenté 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi de Rome!   Elle se joue depuis  le mardi 13 décembre  à l’Opéra Royal de Wallonie et se jouera jusqu’au 2 décembre.  Cet opéra populaire en trois actes - le cinquième le plus joué au monde - mêle meurtre (sur scène, comme dans le grand théâtre romantique), passion, jalousie, pouvoir et trahison.

Tosca

 

L’histoire, inspirée d’un drame naturaliste de Victorien Sardou,  se situe  à Rome en 1800, à une époque où l’Italie et l’Europe conservatrice étaient en conflit  contre  une  France révolutionnaire, techniquement « républicaine » mais déjà dirigée par Napoléon.  L’action s’ouvre sous les voûtes d’une église baroque et sombre dont le point focal est une magnifique grille ouvragée.   Mario Cavaradossi, peintre radical et idéaliste y peint un tableau dont la sensualité signera  hélas son arrêt de mort.  La  séduisante  cantatrice Floria Tosca tombe sous le regard du baron Scarpia, un prédateur odieux,  chef corrompu  d’une  police secrète. Il est uniformément  pervers,  mu par la soif de pouvoir et de luxure.   Nourri d’ignoble desseins, il réussit à lui insuffler  le poison de la jalousie à cause de la beauté de  cette admirable peinture réalisée à l’église par son amant. Il ne s’agit pourtant que de la conversion de Marie-Madeleine… mais elle possède  un tel regard… Pourtant,  Tosca est  follement amoureuse du  Cavaradossi qui lui voue un amour pur et  inconditionnel. Scarpia s’est aperçu  que celui-ci a prêté main forte au prisonnier politique évadé de ses prisons – Cesare Angelotti, ancien Consul de la République de Rome –  et décide de les liquider tous les deux. Scarpia,   qui les retient prisonniers au château Saint-Ange,  offre la liberté de Cavaradossi  contre les  faveurs de Tosca. Elle fait semblant de céder, mais saisissant une chance inespérée, poignarde sauvagement son bourreau,  juste après qu’il  lui ait donné sa parole d’arranger un simulacre d’exécution. C’est sans compter sur le double jeu de l’immonde Scarpia qui n’a pas fait prévenir le peloton d’exécution.  Cavaradossi  s’effondre tragiquement sous les balles réelles et La Tosca, dévastée par la perte de son amant et piégée par son propre assassinat de Scarpia, se jette du haut des remparts  alors que fusent  les notes torturées de  la musique romantique rappelant les moments les plus tendres  du malheureux couple.

Tosca

 

En effet, L’orchestre  placé sous l’auguste direction de Gianluigi Gelmetti est un miroir parfait des couleurs du mélodrame sanglant. La direction  transparente, raffinée  tout en se montrant dramatique flirte avec une lecture cinématographique de la partition. On retient l’émerveillement, la dimension spectaculaire et la  puissance visuelle  du « Te Deum » doré,  hérissé de mitres de dignitaires religieux qui s’offre  comme un saint-Sacrement, aux yeux et aux oreilles,  dans  une  magnificence à couper le souffle.

Tosca Pour le reste, mise en scène et décors - et n’y a rien à redire sur cette heureuse réutilisation - ce sont ceux de Claire Servais,  utilisés en 2014 lors de la première représentation de cette œuvre à L’opéra Royal de Wallonie.  Faits de quelques marches d’escalier, de lignes  épurées et sobres, ils sont  balayés de jeux de lumières et de clair-obscur très  ciblés dont la réalisation est signée Olivier Wéry.  Encore une fois, c’est une habitude à l’Opéra Royal de Wallonie, les  somptueux costumes  d’époque  apparaissent comme  de véritables bijoux surgissant  de façon très graphique  de ce cadre  très porteur.L’image contient peut-être : 1 personne, nuitL’image contient peut-être : une personne ou plus

Soulignons que les chœurs, pourtant peu présents, de la volonté du compositeur pour accentuer la dimension vériste de l’opéra,  ont le don de donner une belle perspective au tableau musical. On est particulièrement touché par  la  voix off enfantine du pastoureau ou de la pastourelle  qui  égrène sa tendresse dans le lointain, en contraste saisissant avec la noirceur de l’action.

 

Au centre, le magnétisme de la tragédienne et la projection irréprochable de Virginia Tola, une véritable étoile lyrique, ne cessent d’émouvoir.  On  est sous le charme des vibratos souples et fruités des rencontres amoureuses. Son  timbre éclatant et  sa puissance vengeresse truffé d’aigus aussi lestes que si on cueillait des fleurs ses champs, ressortent d’autant mieux.  On a les larmes aux yeux en entendant son  Vissi d'arte « J'ai vécu d'art »,  après que Scarpia lui eut proposé son horrible marché.

 

A ses côtés le ténor vénézuélien Aquiles Machado, plein d’embonpoint et de bonhommie est craquant de vie,  de bienveillance, d’innocence et de purs sentiments. Son air E lucevan le stelle « Et les étoiles brillaient »qu’il chante  avant son exécution, évoquant le souvenir de Tosca est un réel arrache-cœur.

 

Mais entre tous, c’est Il Barone Scarpia qui crève l’écran. Marco Vratogna est à lui tout seul une machine infernale sous des dehors de courtisan élégant. On pense, à Créon,  à Richard II, à Torquemada, au Duc D’Albe. Dépourvu du  moindre sursaut d’humanité,   il coiffe tous les méchants au poteau, par la  puissance  de son venin hypocrite,  sa volonté organique de  détruire, voire, de violer.   Il possède une voix diabolique sonnant le glas du bonheur,  éclatante de maléfices.  Elle projette ses  puissantes ondes obscures  et délétères avec une  opiniâtreté de métronome, d’un bout à l’autre du spectacle.  

Tosca

La galerie des seconds rôles n’a rien  à envier aux vedettes lyriques du triangle tragique.  Excellentes prestations et projection irréprochable de Cesare Angelotti par le fidèle Roger Joachim tandis que  Pierre Derlet interprète un  Spoletta  fort bien campé en serviteur du Diable!   Laurent Kubla  c'est le formidable Sacristain: on  l’adore,  une soutane volante entourée de sa marmaille d’enfants de choeur!  Ajoutez deux membres des  Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège:  Marc Tissons qui incarne Sciarrone  et  Pierre Gathier  qui joue un gardien. Sans oublier  le sel du bonheur:  le joli pastoureau dont on entend la voix  pure et flûtée au loin et qui fait partie de la maîtrise de L’ORW, garçon ou fille.    Cet ensemble particulièrement équilibré contribue  grandement à l’éclat lyrique  de la soirée. Et puisque « La Tosca » est là… vous irez, ou vous y retournerez.  

Dominique-Hélène Lemaire

Crédits photos 

Infos et réservations: www.operaliege.be

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