Une mise en scène qui dérange…
« Nous ne sommes pas en train de fabriquer un autre univers idéal, mais de faire face à la réalité de notre propre monde, avec toute sa joie et sa tristesse. » Ce sont les mots de Patricia Kinard, une artiste-peintre belge contemporaine qui a une faculté particulière de ressentir l’invisible à travers ses sublimes peintures qui déclinent toutes les nuances de bleus. Elle cite Akong Rimpoche. Des mots qui nous parlent quand on repense à la mise en scène dérangeante de Romeo Castellucci dans « sa » Flûte Enchantée de Mozart. Voici le texte complet : "L'important, c'est de changer notre attitude. Cela nous donnera la liberté. La liberté a l'attitude d'accueillir tout ce qui nous arrive. C'est aussi simple que ça. En tant qu'êtres humains, nous sommes vivants. Être en vie, nous aurons toujours des expériences, qui que ce soit ou quoi que ce soit. Si nous nous félicitons de tout, le manque de liberté n'est pas un problème. Nous ne sommes pas en train de fabriquer un autre univers idéal, mais de faire face à la réalité de notre propre monde, avec toute sa joie et sa tristesse. Nous développons une maîtrise de nos circonstances afin de ne pas être limité par les vieilles habitudes de pensée, de sentiment et de comportement." Serait-ce une morale partagée par Romeo Castellucci?
La Monnaie a laissé carte blanche à Romeo Catellucci qui greffe sur sa Flûte une approche des plus personnelles et engagée. Chapeau quand même, d’oser mettre en scène ce qu’il considère comme l’envers de la Flûte enchantée, à la façon d’une « Böse Fee» qui, en plein 21e siècle, se met à dénoncer l’absolutisme du pouvoir masculin de la tradition franc-maçonne du XVIII siècle. Sacrilège! Il réhabilite la Reine de la Nuit, qu’il nomme mère-protectrice, lieu géométrique de tendresse universelle, dont le lait est source d’humanité. Comme celui de la Vierge à l’enfant, dépeinte aussi couronnée d’étoiles et foulant aux pieds l’immonde serpent… Maintenant, les images qu’il donne à voir sur scène de cette symbolique sont plutôt perturbantes à regarder, car les trois mères-laitières semblent faire partie d’une épouvantable ferme humaine ! On vous passe les détails.
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Romeo Catellucci insiste sur la souffrance de la Reine de la Nuit: « Zum Leiden bin ich ausgekoren ! » lorsqu’elle évoque l’enlèvement de sa fille… Mais contrairement à la Vierge, « Der Hölle Rache » la vengeance infernale devient son destin, que l’on peut lire en « mort et désespoir ». Son cœur de mère, « Mutter Herz » est dévasté. Quelle lecture inédite de l’opéra de Mozart ! Romeo Castellucci va plus loin, il donne la parole aux mots écrits par sa propre sœur en lui offrant une large fenêtre au beau milieu de la fête des lumières, où les facéties bienveillantes de Papageno et de Papagena ont été réduites au strict minimini-mum… . Il projette au contraire et concentre dans cette fenêtre la souffrance de l’amour aveugle (?) vécu par des femmes malvoyantes qu’il met en lumière, et la souffrance d’hommes écorchés et brûlés accidentellement, qu’il installe dans la souffrance de la fournaise. Ou bien, sont-ils les victimes des flammes de l’amour qui brûle dès le premier coup de foudre? Ensuite, chacun de ces groupes, les femmes au service de la Reine de la Nuit, les hommes à celui de Sarastro, sert d’écrin de rites initiatoires. Les femmes entourent de leurs soins Tamino, tandis que les hommes accueillent Pamina. Au terme de cette initiation, tous deux sont comme décapés de leur souffrance. On finit par leur ôter leur perruque de scène. Ils retrouvent ainsi leur être intérieur et leur véritable chevelure… source de force secrète et mystérieuse.
Si la souffrance est une initiation pour les chrétiens, une absurdité et un scandale pour Camus, à nous de choisir, pourquoi pas, une troisième voie : celle qui conduit à regarder le monde sans complaisance, regarder en face la réalité avec toute sa joie et sa tristesse. Sans jugement. Dans l’accueil de l’autre qui est toujours, tellement … « autre », chacun avec sa propre réalité! Il est un fait que la production de Romeo Castellucci donne sur la scène prestigieuse de la Monnaie, un accès public aux handicapés, aux déshérités et aux éclopés de toute origine. Voici, au 21e siècle, exposée, la réalité des aveugles de Breughel le visionnaire, et la chute d’Icare. Tout cela se passe au beau milieu d’un décor à l’inverse intégral du rêve étincelant de blancheur présenté au premier acte fait de costumes XVIIIe, de masques, de coiffures et de maquillages parfaits et resplendissants de lumière dont aurait pu rêver la reine Marie-Antoinette. D’une ode à la perfection de la symétrie sans faille, sans défaut, sans paroles, on passe insensiblement à une esthétique de logiciel arbitraire et omnipotent. Néanmoins, la munificence évoque pour certains, la beauté légendaire des cérémonies des rois du Siam, les ballets de plumes d’autruche évoque les palmes, les oiseaux, l’envol vers des réalités chimériques… On ne peut pas échapper à la beauté de la réalisation. Mais Romeo Castellucci nous fait retomber au deuxième acte sur terre, et la chute fait mal…
Dès lors, on peut aussi comprendre la révolte de spectateurs qui, choqués par l’extrémisme naturaliste de la mise en scène du deuxième acte et son allongement intempestif par des « textes qui n’y ont rien à faire », outrés par la rébellion du metteur en scène contre l’esprit des lumières dont il veut exorciser « l’imposture », blessés, dans le droit fil de leur patrimoine de traditions artistiques, sont ressortis fâchés et heurtés par cette mise en scène iconoclaste, criant … à l’imposture.
Le premier acte, en tout cas, malgré l’éviction complète des parties parlées du livret de Schikaneder est un bouquet magistral de musiques et de beauté esthétique incluant des installations étourdissantes sur plateaux tournants. C’est bluffant. Mais surtout, la finesse et sensibilité extrême du moindre mouvement d'Antonello Manacorda , le chef qui initie voix et instruments, sont en soi plaisir et délices. Il cisèle la moindre nuance, apporte une galaxie de variations dynamiques, nous donne à entendre une mystérieuse voie lactée musicale. La direction musicale du maître Antonello Manacorda est plus que brillante et la distribution foisonne de belles voix qui excellent dans la prononciation allemande, ce que l’on ne peut pas dire pour l’anglais maltraité par les figurants du deuxième acte, où apparaît un accent flamand très prononcé, dérangeant, lui aussi. On aurait au moins préféré que les textes italiens de la sorella aient été traduits directement en flamand et en français… Qu’est-ce que l’anglais vient faire dans cette galère? On regrette aussi les voix de fausset des jeunes garçons. Est-ce intentionnel, par esprit de dérision? Les instruments semblent de mèche... Mais, tant Jodie Devos que Sabine Devieilhe interprètent une Reine de la Nuit d’une humanité poignante tandis que les autres artis deux productions font également merveille. On est certes pleinement charmé par le ravissant trio de dames : Tineke Van Ingelgem, Angélique Noldus et Esther Kuiper.
Avec en alternance Ed Lyon et Reinoud Van Mechelen comme superbe Tamino, Georg Nigel comme Papageno et sa rayonnante compagne Papagena, Elena Galitzkaya. Gabor Bretz /Tijl Faveyts comme Sarastro. L’exquise Pamina, c’est en alternance Sophie Karthäuser et Ilse Eerens.
Que voilà un beau rassemblement d’étoiles dans la nuit, sous la baguette d’Antonello Manacorda, le chef lumineux, ovationné dans un feu d’applaudissement sans oublier les chœurs si émouvants et invisibles de Martino Faggiani.
Architecture algorithmique MICHAEL HANSMEYER
Collaboration artistique SILVIA COSTA
Dialogues supplémentaires CLAUDIA CASTELLUCCI
Dramaturgie PIERSANDRA DI MATTEO, ANTONIO CUENCA RUIZ
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANI
DIE ZAUBERFLÖTE
https://www.lamonnaie.be/fr/program/831-die-zauberflote
Danseurs
STÉPHANIE BAYLE, MARIA DE DUENAS LOPEZ, LAURE LESCOFFY, SERENA MALACCO, ALEXANE POGGI, FRANCESCA RUGGERINI, STEFANIA TANSINI, DANIELA ZAGHINI, TIMOTHÉ BALLO, HIPPOLYTE BOUHOUO, LOUIS-CLÉMENT DA COSTA, EMMANUEL DIELA NKITA, AURÉLIEN DOUGÉ, JOHANN FOURRIÈRE, PAUL GIRARD, NUHACET GUERRA, GUILLAUME MARIE, TIDIANI N’DIAYE, XAVIER PEREZ
Comédiens amateurs
DORIEN CORNELIS, JOYCE DE CEULAERDE, MONIQUE VAN DEN ABBEEL, KATTY KLOEK, LORENA DÜRNHOLZ, JAN VAN BASTELAERE, MICHIEL BUSEYNE, JOHNNY IMBRECHTS, YANN NUYTS, BRECHT STAUT
Comédiens
SOPHY RIBRAULT, CINZIA ROBBIATI, MICHAEL ALEJANDRO GUEVARA, GIANFRANCO PODDIGHE, BOYAN DELATTRE / AMOS SUCHEKI
https://www.facebook.com/ARTEConcert/videos/2265681350326666/
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
Académie des chœurs et chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie s.l.d. de Benoît Giaux
La presse en parle:
Deux articles dans Crescendo magazine, la référence en musique classique!
http://www.crescendo-magazine.be/a-la-monnaie-la-flute-dejantee-de-castellucci-questionne-mozart/
- https://www.lecho.be/dossier/portraits/romeo-castellucci-provocateur-et-visionnaire/9992609.html
- https://www.lecho.be/tablet/newspaper/une/romeo-castellucci-ouvre-la-saison-18-19-de-la-monnaie-et-visite-le-citroen/9930695.html ;
- https://www.szenik.eu/fr/Classique/Die-Zauberflote-message-philosophique-derriere-Flute-4255
- https://focus.levif.be/culture/arts-scenes/romeo-castellucci-une-touche-d-abject-dans-le-sublime/article-longread-902633.html
- http://www.lalibre.be/culture/musique/les-belges-sont-dans-la-flute-5ba5107acd70d3638d716e14
- https://www.diapasonmag.fr/actualite/critiques/monnaie-de-bruxelles-une-flute-enchantee-du-cote-obscur-de-la-force-28554
- http://www.michael-hansmeyer.com/zauberfloete
- https://www.giornaledellamusica.it/recensioni/romeo-castellucci-stravolge-il-flauto-magico#.W6iybMXUY34.facebook
- https://www.forumopera.com/die-zauberflote-bruxelles-la-monnaie-schikaneder-assassine