09 août 2025. Avec Gluck, un invisible Victor Hugo, et Mozart réunis dans la même soirée, sans compter Schubert et Verdi, on a de quoi faire battre le cœur de n’importe quel mélomane. A night at the Opera? Merci au maître de musique, Marc Grauwels de nous avoir concocté des rencontres musicales aussi foisonnantes et surprenantes lors du festival Classissimo.
Silence religieux. Les Champs-Élysées de Gluck s’ouvrent sur un menuet: danse pure, aérienne, d’une flûte radieuse et de la pianiste qui l’accompagne. Chemise à fleurs (même stylisées) oblige, le flûtiste, Marc Grauwels en Gauguin de la musique, y fait flotter chaque note comme une respiration suspendue. La scène est à lui, il se balance comme roseau au vent. Comment séparer musique et danse?
Ensuite vient la plainte noble et poignante de Marie-Juliette Ghazarian, mezzo-soprano, en longue robe de soirée, vert forêt noire. Rien n’est égal à mon malheur, « J’ai perdu mon Eurydice » — un cri d’amour éperdu, soutenu par la sobre tendresse du piano de Marie Datcharry.
Aussi vêtue d’une longue robe vert pastoral, la soprano Marion Bauwens se drape dans Schubert: Der Hirt auf dem Felsen. Se déploie alors un dialogue à trois voix : soprano, clarinette et piano. La clarinette de Ronald Van Spaendonck, d’abord ombre discrète, se fait de plus en plus volubile, même, carrément dansante elle aussi. La pianiste se berce dans les accords insistants percutés avec régularité et vigueur. Un magnifique solo de la clarinette précède la joie du berger ,heureux de s’élancer vers le printemps … éternel! Quel regard sur l’infini dans les dernières notes printanières de cette ravissante soprano!
Et, surprise! Marc Grauwels, rompant le charme, annonce subitement une pause pour la voix! Les chanteuses ont disparu! Il explique qu’une flûte peut très bien imiter tout un orchestre ! En témoignent ces fameuses fantaisies brillantes, souvent jouées dans les salons au 19e siècle, surtout tellement prisées par ceux qui ne pouvaient pas se payer l’opéra! Ce sera un vrai défi de virtuosité et de précision pour qu’une flûte puisse imiter tout un orchestre et même une voix! Mais la maestria et l’humour font tout et le public aurait presqu’envie de … d’accompagner et de chanter La Traviata! Pendant l’exercice ! Magique, cette flûte traversière et bourrée d’esprit!
Après l’entracte, ce que les chanteuses vont faire est inouï! Nous faire imaginer un ins-tru-ment, car cette fois c’est la flûte qui est invisible!
Marion nous présente en effet « Une flûte invisible» ,œuvre de Camille Saint Saens pour voix, flûte et piano. Sur un poème de Victor Hugo. La soprano porte la tendresse d’un message d’amour invisible, la flûte en est l’écho invisible et mystérieux.
Une flûte invisible soupire,
Et, par instants, un chant léger
Semble, dans l’air qu’on croit respirer,
S’élever comme un vague sourire.
Ce doux charme qui vous attire
Vient-il de loin ou de si près ?
Est-ce une voix dans l’air discret,
Ou n’est-ce qu’un souffle qui expire ?
Puis, c’est au tour de Marie-Juliette Ghazarian de flirter avec l’invisible. Sur le même poème, dans une amplification musicale d’ André Caplet, ce favori des jeunes pianistes… Le timbre est plus sombre, élégamment voilé, avec l’impression que la voix vient du lointain, comme le parfum d’un souvenir.
Ensuite, Marie-Juliette, toujours soutenue par la flûte traversière, bien présente celle-ci, et la fidèle pianiste ,enchaîne les cœurs avec « La flûte enchantée». Clin d'œil, c’est une mélodie pour voix et orchestre de Maurice Ravel sur des vers d'un artiste des années 1900, Tristan Klingsor
Enfin, le jeu des imitations instrumentales reprend. C’est au tour de la clarinette de tenter l’expérience de mimer la voix absente. Avec Louisa Miller, de Verdi.
Puis les deux compères, sans doute galvanisés par l’aventure, se piquent de remonter… Rigoletto! Rien de plus drôle cette Dona e mobile! Il y a de quoi se tordre de rire! On espère même que ce sera le Bis! Les instruments remplacent la voix lyrique. Sans paroles, mais avec phrasé et respiration, ils redonnent aux airs de Verdi toute leur vitalité dramatique. Marc Grauwels a même du taire les applaudissements pour se livrer à ce programme de haute voltige, toujours soutenu avec sourire par la fidèle Marie Datcharry au piano.
L’apothéose de la soirée? Un final Mozartien, l’accord parfait. Les deux chanteuses se réunissent en duo de sylphides en voiles verts, pour interpréter avec beaucoup d’allant deux joyaux de Mozart : "Ah perdona al primo affetto" (La Clemenza di Tito) et "Via resti servita madama brillante" (Les Noces de Figaro)
Des dialogues vif-argent, bien joués, comme à l’opéra, où voix et instruments se mêlent, comme pour sceller cette amitié musicale née sous la coupole du Théâtre Royal du Parc. Ce soir, Flûte et Voix se sont échangé leurs âmes devant un public à la fois médusé et heureux. Tantôt suppléantes, tantôt indissociables, elles racontaient la même vérité : que la musique est toujours une histoire d’amour.
@Festival Classissimo Du 07 au 13 août 2025
Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour le réseau Arts et lettres








Pour le reste, mise en scène et décors - et n’y a rien à redire sur cette heureuse réutilisation - ce sont ceux de Claire Servais, utilisés en 2014 lors de la première représentation de cette œuvre à L’opéra Royal de Wallonie. Faits de quelques marches d’escalier, de lignes épurées et sobres, ils sont balayés de jeux de lumières et de clair-obscur très ciblés dont la réalisation est signée Olivier Wéry. Encore une fois, c’est une habitude à l’Opéra Royal de Wallonie, les somptueux costumes d’époque apparaissent comme de véritables bijoux surgissant de façon très graphique de ce cadre très porteur.







Gidon Kremer insiste pour sous-titrer ce projet musical et visuel « Tableaux d’une autre exposition » Selon lui, il est possible grâce à la musique de s’adresser au conscient et au subconscient du public sans faire appel à des stéréotypes politiques mensongers. La combinaison des perceptions musicales et visuelles est capable d’agir sur l’auditeur et le spectateur, comme un œuvre de Bach et de Vermeer, ou de Tchaïkovski et de Petrov-Vodkin. La confrontation des images et du son génère un espace pour la recherche de soi-même et de son rapport au monde. « Avec notre projet, insiste-t-il, nous essayons de rendre une conscience qui ne soit pas anesthésiée par des moyens de communication de masse et de nous forcer à sentir les événements tragiques qui nous entourent, ainsi que notre responsabilité par rapport à ces événements. Pousser chaque spectateur et auditeur à regarder au fond de lui-même, à réfléchir au destin de l’humanité et à notre propre rôle dans ce qui se joue aujourd’hui. En dépit de la manipulation des media. L’indifférence est la plus dangereuse maladie. Si l’art ne possède pas la capacité de sauver le monde, il possède au moins le pouvoir de nous rendre meilleurs. »
La deuxième partie du concert est dédiée « à ceux qui… » « To those who continue to suffer in Ukraine » C’est le Requiem for Ukraine pour violon d’Igor Loboda (1956). Ce sont de longues notes lancinantes explosées par des syncopes brutales, puis un bras le corps d’accents slaves. Au cœur de l’acidité mordante d’une déconstruction inéluctable, le violoniste se débat avec une énergie opiniâtre. Le public respire à peine.
La puissante version pour orchestre de chambre de Jacques Cohen de l’œuvre de Mussorgsky, est soutenue par les toiles insoutenables de souffrance humaine de Maxim Kantor. Les percussions claquent comme des armes de guerre. Le temps n'est plus à la douceur impressionniste, ni aux pleurs pour la mort d'un ami cher! On est au temps des génocides...




