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Spectacles

« Un univers visuel et esthétique fort » dans « La Belle et la Bête »au théâtre du Parc

Loin des tumultes du monde et des discours belliqueux des puissants, Belle murmure : « Je voudrais une rose… »

Bienvenue dans le refuge des rêveurs, un miroir magique aux multiples échos, véritable enchantement.

Ce spectacle magnifiquement écrit suit la trame du conte « La Belle et la Bête », tel que Jean Cocteau l’a narré dans son film en noir et blanc de 1946, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Rêvait-il d’une approche plus généreuse du monde ? C’est sûrement ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui : une Belle histoire.

Contrairement aux plans graphiques en noir et blanc du film de Cocteau, l’adaptation de Thierry Debroux nous offre un festival de couleurs gourmandes, peintes au pinceau du merveilleux, même si le château a parfois des allures de carton-pâte. Inspiré par le récit de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, le conteur navigue volontairement dans les méandres du sombre et du mystérieux pour nous mener à travers les énigmes de l’attraction, vers une éclosion magique et lumineuse de la joie. Les éléments moteurs de l’histoire sont des principes vitaux : l’amour, les métamorphoses et le rire salvateur, pour conjurer maléfices et sortilèges.

On se prend donc à rêver. Et si la vie n’était que métamorphoses toujours recommencées, faites d’élans vers le Beau, le Bien, le Vrai ? Où l’évolution du royaume de la Nature finit toujours par gagner. Si nous allions, nous aussi, gagner sur la violence, la destruction, le mensonge, l’hypocrisie, l’avidité, la vanité du pouvoir et l’orgueil. Si c’était l’essentiel ?

Remercions donc les créateurs qui donnent à voir et à entendre. La création musicale originale envoûtante est signée par les compositeurs Nicolas Fiszman et Fabian Finkels. La distribution de rêve, dirigée par Emmanuelle Lamberts, met en scène des valeurs dans lesquelles on voudrait bien croire, ne serait-ce que l’espace d’un soir.

C’est donc une invitation à la légèreté qui nous est faite cette année, sur le plateau du Théâtre du Parc, un heureux cadeau pour clore cette année 2024 et augurer du meilleur. « Je vous souhaite des rêves, à n’en plus finir… »

L’habile scénographie de Thibaut De Coster et Charly Kleinermann est délicieusement païenne – vivent les Celtes, les elfes, les villageois et les fées ! Humaine et bienveillante, cette féerie théâtrale et musicale posée en Irlande s’engage sous des décors presque organiques qui ne cessent de se mouvoir, de respirer, de prendre vie et de nous entraîner dans la rêverie. Tout est à contempler par les yeux ou les oreilles. On est véritablement happé par une synergie et une fluidité extraordinaires qui circulent en continu, comme dans les fondus enchaînés du cinéma. Entre les ballets, le mouvement des décors et des tableaux, les voix de belle musicalité, les chœurs, les lumières, les costumes (Chandra Vellut), c’est l’interprétation du texte souvent farceur, dit par des comédiens de haut niveau, qui fascine par sa justesse de ton et sa vivacité. Une Belle comédie musicale. Enfants admis!

Les contrastes ont également le beau rôle. L’extraordinaire entrée en scène de La Bête monstrueuse (Nicolas Kaplyn) est fracassante… de beauté ! La présence et le jeu sensible de Belle (Romina Palmeri) sont un pur message de bonté. Quel couple exquis au cœur de cette incessante chorégraphie !

L’humanité et le désarroi du personnage du père ruiné, qui fait tout pour sauver sa famille, émeuvent profondément. Fabian Finkels est d’ailleurs presque omniprésent et plane comme un appel muet sur l’ensemble. La complicité des deux sœurs (Marie Glorieux) finit par effacer l’ombre des jalousies toxiques qui hantent les contes. Vous remarquerez sûrement cette oreille jalouse dans l’entrebâillement d’une porte, mais leur émouvant duo vous fera basculer dans des larmes de tendresse. Le majordome de la Bête (Jérôme Louis) est drôle et attachant comme pas deux. Le jeu incisif du pasteur ambivalent (Antoine Guillaume) suscite à la fois le rire et la pitié, et le cocktail réussi de tous ces personnages est vraiment explosif, avec une méchante fée franchement méchante. Quitte à faire exploser nos stéréotypes ?

De quoi rallumer la générosité et la chaleur humaine ! Puisque l’invisible se présente, non seulement chez les danseurs de forêt, arbres et plantes humaines, mais aussi sous les traits de deux comédiens facétieux et captivants (Perrine Delers et Emmanuel Dell’Erba), qui intègrent le tableau, tantôt sages, tantôt burlesques, et que l’on verrait bien siéger dans l’imaginaire de Saint-Exupéry, Lewis Carroll ou Maeterlinck ! Ah ! Les correspondances…

Vous ressortirez, figurez-vous, le cœur enluminé et battant. La rose, …sans le fusil.

 

 

Dominique-Hélène Lemaire , Deashelle pour le réseau Arts et lettres 

Crédits photos Aude Vanlathem 

N.B.

Les réservations dès le soir de la première couvraient déjà les deux premières semaines de spectacle!

« La Belle et la Bête », jusqu’au 7 décembre au Théâtre Royal du Parc

 

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SPECTACLES

Un bug dans la barbe de Saint Nicolas

au théâtre des Galeries

Absurdisthan, troisième vendredi, veille de Saint Nicolas. Hier, après les décisions catastrophiques prises par le Codeco en ce qui concerne notamment le monde de la Culture, le comédien Pierre Pigeolet s’insurgeait contre le chaos organisé. « Malgré les contraintes, je salue la décision du Théâtre Royal des Galeries (900 places) de maintenir toutes les représentations de la Revue avec 200 spectateurs… J'appelle cela du respect tant pour notre profession que pour les spectateurs… » Nous l’applaudissons. Comme on applaudit les gens qui veillent jour et nuit sur notre santé.

Foule sentimentale, soif d’idéal ? Cette Revue 2022 est glorieuse, lisse, belle, montée comme une crème Chantilly alors que la disette de joie et de bonne humeur sévit gravement partout autour de nous. Autant dans les cœurs meurtris de nos artistes, que dans celui du public persécuté par les mesures sanitaires contradictoires. « La Revue », le must royal bruxellois s’est toujours voulu moqueur, parodique, léger, rythmé, endiablé, pétillant de traits d’esprit et de gaité communicative. C’est un art de vivre ne lésinant pas sur la zwanze. Bouillant de parodie, de facéties, de jeux de mots et calembours. Scintillant de lumières, de costumes et d’effets grandioses. On y allait comme en pèlerinage de rire, pour se saouler de verbe, d’autodérision et de présence scénique. Pour attendre l’esprit en fête, la mise au placard de l’année en cours.

Mais comment célébrer dignement une année 2021 si peu fastueuse ? Et le mot est faible. Les artistes y ont mis leur cœur, tous lestés d’amour, d’espoir, de joie et de paix. Ils y ont mis la tendresse humaine et une humilité peu commune. Cette fois, la Revue est entrée en résistance, elle a mis la pédale douce. Moins de bling-bling, moins d’artistes en scène, moins d’exagérations… Tout en réveillant à bout de bras et de jeu scénique nos consciences endormies. Le menu n’a rien de blasphématoire, d’iconoclaste, d’offensif, rien de déplacé ni d’outrecuidant, le ton est juste et mesuré. Et il plaît. Des demi-teintes automnales dans un vent d'empathie, comme si la nostalgie de nos jeunes années - artistes et public - tenaillait les spectateurs riant sous masque. Personne ne s’est saoulé de rire, mais tout le monde est ressortit le sourire aux lèvres. Un pied de nez gracieux aux systèmes qui nous embrouillent et nous entortillent.

codeco-revue-2022.jpg?w=1024&profile=RESIZE_710xCrédits photos : Isabelle De Beir et Kim  Leleux

Prenez allègrement vos billets : c’est le meilleur moyen de contrer la sinistre transformation de notre société. Refuser notre pernicieux isolement. Retrouver rimes et raison. C’est retrouver le vif plaisir de franchir les portes de verre, tendre son billet, accéder à la salle mythique, se carrer dans le velours oublié du fauteuil, attendre que les lumières s’éteignent, et revivre le rêve et le charme de la découverte théâtrale. Un joyeux chemin vers l’autre. On y glousse, on y gronde, on échappe à l’étau de la pandémie. La salle vibre autour de soi, la ruche héroïque revit, le miel de l’humour coule à flots sur le plateau.

Chapeau les artistes ! Ils ont répété, travaillé, inventé, affiné, sauvé le meilleur pour l’extraordinaire plaisir d’offrir.

Dominique-Hélène Lemaire

Galerie des Princes 6, 1000 Bruxelles Jusqu'au 23 janvier 2022

L'affiche :
Réalisation musicale : Bernard Wrincq
Avec :  Bernard Lefrancq, Angélique Leleux, Pierre Pigeolet, Marie-Sylvie Hubot, Gauthier Bourgois, Arnaud Van Parys, Natasha Henry, Frédéric Celini, Enora Oplinus, Jérôme Louis et Bénédicte Philippon. Décor :   Décor : Francesco Deleo Costumes : Fabienne Miessen et Maria Spada
Mise en scène : Alexis Goslain, assistante: Catherine Laury Lumières : Laurent Comiant
Chorégraphies : Kylian Campbell

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12273098498?profile=originalL'écrivain français Albert Camus (1913-1960) a réuni sous ce titre "Actuelles" trois recueils d'articles, conférences et polémiques représentant le bilan de ses prises de position face aux problèmes de l' actualité de son temps.

Publié en 1950, le premier volume, "Actuelles I. Chroniques 1944-1948", se compose pour une bonne part des éditoriaux donnés  par Camus au journal Combat, du temps où il en était le rédacteur en chef. Camus s'y efforce de définir "les conditions d'une pensée politique modeste, c'est-à-dire délivrée de tout messianisme, et débarrassée de la nostalgie du paradis terrestre". Dans un siècle qu'il considère comme le siècle de la peur, il voudrait promouvoir une nouvelle morale et un nouveau contrat social basé sur le respect de la pensée d'autrui, la défense de la jeunesse, de l' intelligence et du bonheur. Avec le refus constant de la rhétorique, il dénonce le racisme, les fallacieuses légitimations du meurtre politique et les divers totalitarismes, demandant que "la vie soit libre pour chacun et juste pour tous".

Le recueil "Actuelles II. Chroniques 1948-1953", publié en 1953, débute par l'affirmation que notre monde sortira du nihilisme et connaîtra une renaissance "quand le travail de l' ouvrier comme celui de l' artiste aura conquis une chance de fécondité". La première partie, "Justice et haine", découvre une première volonté de promouvoir une morale basée sur la justice et la liberté. "La justice, dit Camus, meurt dès l'instant où elle devient confort, où elle cesse d'être une brûlure, et un effort sur soi-même". La deuxième partie, intitulée "Lettres sur la révolte", réunit les diverses réponses de Camus (notamment à Breton et à Sartre aux polémiques suscitées par la parution de son essai "L'homme révolté"; quant à la dernière partie, "Création et liberté", elle dénonce à nouveau le racisme et la tyrannie, attaquant particulièrement le régime sanglant de Franco et s'élevant contre son admission à l' UNESCO. Au terme de ce recueil, Camus rappelle la place de l' art au niveau de la réalité la plus humble et trouve pour le justifier cette belle formule: "toute création authentique est un don à l' avenir".

Le dernier recueil, "Actuelles III. Chronique algérienne 1939-1958", publié en 1958, rassemble l'essentiel des textes publiés par Camus sur le problème algérien, depuis l'époque où il débutait à "Alger républicain". "Ces textes, écrit-il en préface, résument la position d'un homme qui, placé très jeune devant la misère algérienne, a multiplié vainement les avertissements et qui, conscient depuis longtemps des responsabilités de son pays, ne peut approuver une politique de conservation ou d'oppression en Algérie". A partir d'une étude honnête des causes économiques du drame algérien, Camus s'efforce d'esquisser une solution à ce drame mais la "trêve civile" qu'il prône pour sortir du terrorisme aussi bien que son refus de l'indépendance algérienne, en vertu du fait qu'il n'y aurait pas trace dans l'histoire d'une nation algérienne, prouvent un curieux manque de réalisme que les événements se sont chargés de dénoncer. Devant l'acuité du drame, on a l'impression pénible que la bonne volonté et l' humanisme de Camus sont bien essoufflés, bien impuissants, et qu'il est incapable de quitter le domaine du sentiment pour s'élever à la pensée politique lucide et constructrice.

En dépit de l'échec que constitue ce dernier recueil d'Actuelles, Camus demeurera, grâce aux deux autres, l'homme qui ne cessa d'affirmer la valeur de la révolte, de la générosité et de la jeunesse, de la tolérance, de la liberté et de la justice; l'homme qui n'accepta jamais que la fin justifie les moyens et ne craignit pas d'affirmer: "il y a l' histoire et il y a autre chose, le simple bonheur, la passion des êtres, la beauté naturelle."

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