La Tosca est revenue !
Back to basics, voici « La Tosca» le chef d’œuvre de Puccini présenté 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi de Rome! Elle se joue depuis le mardi 13 décembre à l’Opéra Royal de Wallonie et se jouera jusqu’au 2 décembre. Cet opéra populaire en trois actes - le cinquième le plus joué au monde - mêle meurtre (sur scène, comme dans le grand théâtre romantique), passion, jalousie, pouvoir et trahison.
L’histoire, inspirée d’un drame naturaliste de Victorien Sardou, se situe à Rome en 1800, à une époque où l’Italie et l’Europe conservatrice étaient en conflit contre une France révolutionnaire, techniquement « républicaine » mais déjà dirigée par Napoléon. L’action s’ouvre sous les voûtes d’une église baroque et sombre dont le point focal est une magnifique grille ouvragée. Mario Cavaradossi, peintre radical et idéaliste y peint un tableau dont la sensualité signera hélas son arrêt de mort. La séduisante cantatrice Floria Tosca tombe sous le regard du baron Scarpia, un prédateur odieux, chef corrompu d’une police secrète. Il est uniformément pervers, mu par la soif de pouvoir et de luxure. Nourri d’ignoble desseins, il réussit à lui insuffler le poison de la jalousie à cause de la beauté de cette admirable peinture réalisée à l’église par son amant. Il ne s’agit pourtant que de la conversion de Marie-Madeleine… mais elle possède un tel regard… Pourtant, Tosca est follement amoureuse du Cavaradossi qui lui voue un amour pur et inconditionnel. Scarpia s’est aperçu que celui-ci a prêté main forte au prisonnier politique évadé de ses prisons – Cesare Angelotti, ancien Consul de la République de Rome – et décide de les liquider tous les deux. Scarpia, qui les retient prisonniers au château Saint-Ange, offre la liberté de Cavaradossi contre les faveurs de Tosca. Elle fait semblant de céder, mais saisissant une chance inespérée, poignarde sauvagement son bourreau, juste après qu’il lui ait donné sa parole d’arranger un simulacre d’exécution. C’est sans compter sur le double jeu de l’immonde Scarpia qui n’a pas fait prévenir le peloton d’exécution. Cavaradossi s’effondre tragiquement sous les balles réelles et La Tosca, dévastée par la perte de son amant et piégée par son propre assassinat de Scarpia, se jette du haut des remparts alors que fusent les notes torturées de la musique romantique rappelant les moments les plus tendres du malheureux couple.
En effet, L’orchestre placé sous l’auguste direction de Gianluigi Gelmetti est un miroir parfait des couleurs du mélodrame sanglant. La direction transparente, raffinée tout en se montrant dramatique flirte avec une lecture cinématographique de la partition. On retient l’émerveillement, la dimension spectaculaire et la puissance visuelle du « Te Deum » doré, hérissé de mitres de dignitaires religieux qui s’offre comme un saint-Sacrement, aux yeux et aux oreilles, dans une magnificence à couper le souffle.
Pour le reste, mise en scène et décors - et n’y a rien à redire sur cette heureuse réutilisation - ce sont ceux de Claire Servais, utilisés en 2014 lors de la première représentation de cette œuvre à L’opéra Royal de Wallonie. Faits de quelques marches d’escalier, de lignes épurées et sobres, ils sont balayés de jeux de lumières et de clair-obscur très ciblés dont la réalisation est signée Olivier Wéry. Encore une fois, c’est une habitude à l’Opéra Royal de Wallonie, les somptueux costumes d’époque apparaissent comme de véritables bijoux surgissant de façon très graphique de ce cadre très porteur.
Soulignons que les chœurs, pourtant peu présents, de la volonté du compositeur pour accentuer la dimension vériste de l’opéra, ont le don de donner une belle perspective au tableau musical. On est particulièrement touché par la voix off enfantine du pastoureau ou de la pastourelle qui égrène sa tendresse dans le lointain, en contraste saisissant avec la noirceur de l’action.
Au centre, le magnétisme de la tragédienne et la projection irréprochable de Virginia Tola, une véritable étoile lyrique, ne cessent d’émouvoir. On est sous le charme des vibratos souples et fruités des rencontres amoureuses. Son timbre éclatant et sa puissance vengeresse truffé d’aigus aussi lestes que si on cueillait des fleurs ses champs, ressortent d’autant mieux. On a les larmes aux yeux en entendant son Vissi d'arte « J'ai vécu d'art », après que Scarpia lui eut proposé son horrible marché.
A ses côtés le ténor vénézuélien Aquiles Machado, plein d’embonpoint et de bonhommie est craquant de vie, de bienveillance, d’innocence et de purs sentiments. Son air E lucevan le stelle « Et les étoiles brillaient »qu’il chante avant son exécution, évoquant le souvenir de Tosca est un réel arrache-cœur.
Mais entre tous, c’est Il Barone Scarpia qui crève l’écran. Marco Vratogna est à lui tout seul une machine infernale sous des dehors de courtisan élégant. On pense, à Créon, à Richard II, à Torquemada, au Duc D’Albe. Dépourvu du moindre sursaut d’humanité, il coiffe tous les méchants au poteau, par la puissance de son venin hypocrite, sa volonté organique de détruire, voire, de violer. Il possède une voix diabolique sonnant le glas du bonheur, éclatante de maléfices. Elle projette ses puissantes ondes obscures et délétères avec une opiniâtreté de métronome, d’un bout à l’autre du spectacle.
La galerie des seconds rôles n’a rien à envier aux vedettes lyriques du triangle tragique. Excellentes prestations et projection irréprochable de Cesare Angelotti par le fidèle Roger Joachim tandis que Pierre Derlet interprète un Spoletta fort bien campé en serviteur du Diable! Laurent Kubla c'est le formidable Sacristain: on l’adore, une soutane volante entourée de sa marmaille d’enfants de choeur! Ajoutez deux membres des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège: Marc Tissons qui incarne Sciarrone et Pierre Gathier qui joue un gardien. Sans oublier le sel du bonheur: le joli pastoureau dont on entend la voix pure et flûtée au loin et qui fait partie de la maîtrise de L’ORW, garçon ou fille. Cet ensemble particulièrement équilibré contribue grandement à l’éclat lyrique de la soirée. Et puisque « La Tosca » est là… vous irez, ou vous y retournerez.
Infos et réservations: www.operaliege.be