Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

jalousie (26)

administrateur théâtres

SPECTACLES

Spleen, absurdité et  tout le drame de la guerre…un Eugène Oneguine profondément humain à la Monnaie

29 janvier 2023, une première saisissante de l’oeuvre de Tchaïkovski.

Eugène Onéguine est le héros du roman d’ Aleksandr Pushkin, écrit en vers en 1833. C’est  un dandy de Saint Petersbourg, un aristocrate  désillusioné par les oisives futilités de la capitale russe. Il a environ 26 ans quand il  débarque à la campagne chez son ami  naïvement confiant, Vladimir Lensky, un jeune poète rêveur, d’environ 18 ans, plus passionné par l’Art que par la Vie. Onéguine se montre cynique, arrogant, égoïste, vidé de toute passion et fatigué du monde. Childe Harold, vous connaissez?  Ensemble, ils vont rencontrer deux sœurs, filles de propriétaire terrien. Elles sont  fort différentes, l’une, Tatiana Larina, distante, timide et  renfermée, mais passionnée de lectures romanesques, un personnage obsédant  qui semble  voguer dans un monde imaginaire et se nourrit de littérature romantique anglaise. L’autre, Olga, primesautière, ancrée dans la vie. Elle est insouciante et espiègle même si elle ne trouve aucune joie dans sa jeunesse passée aux champs. Et pourtant , lors de la rencontre, chacun des amis choisira paradoxalement celle qui lui ressemble le moins. Premier coup du sort. A l’Art ou à la Vie ?

Surprise étonnante au lever du rideau ! Point de  soleil d’hiver russe,  de champs fraichement moissonnés, de moulin à eau,  de datcha lumineuse à la Tourgueniev, de femmes  vaquant  aux tâches  domestiques comme on pourrait s’y attendre.  … Le plateau est vide,  comme un radeau ivre sur un océan d’émotions et de vagues de passion.  C’est que ce décor unique et étrange,  intemporel,  est animé de vie, il semble même parler comme parlent les livres… Et pourtant, il n’est constitué que d’une immense carré de parquet  en bois blond, mystérieusement articulé et  posé sur un axe… Toute une cosmologie? Les Chinois ne représentent-ils pas la Terre  par un carré, comme les champs qu’ils cultivent ? Le  spectateur du monde que nous sommes peut donc  observer  les  choses:  tandis qu’elles vont, se font et se défont.  Aux quatre coins, tels ceux d’une rose des vents,  siègent,  chacune sur sa chaise rustique, quatre femmes  sans âge en robes simples, de couleurs pastel : Tatiana en bleu tendre, Olga en rose pâle,  Larina, leur mère (la mezzo-soprano Bernadetta Grabias) en vert tilleul et la  vielle nourrice Filippievna (Cristina Melis) en  bleu gris argent.  

© Karl Forster

Et voici que notre folle du logis, ce pouvoir immense de l’imagination, est subitement convoquée - presque à notre insu - tant la musique, le chant, les mouvements et le jeu scénique se correspondent.  La mise en scène  très créative  de Laurent Pelly saisit l’esprit et le cœur par  la mouvante beauté des différents tableaux. Et l’émotion artistique  est à son comble,  à chaque fois qu’une extraordinaire  chorégraphie s’empare des protagonistes et du superbe chœur. Sans doute, l’anecdotique a été complètement gommé, mais ce,  tout au  profit de l’essence et du  symbole.  De savants  jeux de lumière de Marco Giusti  et l’interprétation orchestrale se combinent harmonieusement   pour habiller le texte  de profondeurs insoupçonnées. Il est vrai que le chef de l' Orchestre Symphonique de la Monnaie, Alain Altinoglu, est  comme à l'accoutumée, un très vibrant créateur de climats et d’échos dans sa sublime interprétation de la « vérité lyrique » chère à Tchaïkovski. Il annonce et souligne avec incomparables nuances, les moindres émotions qui ballottent  tous ces  passagers de la vie, et  avec une intensité et un  sens aigu du drame et de ses prémonitions. Il prolonge tous les états d’âme des protagonistes,  par une  très délicate orchestration. Complémentarité du visible et de l’invisible. Il n'empêche,  le folklore, la danse mondaine et des épisodes de rires joyeux  alternent  avec la vérité des sentiments et des frustrations qui mèneront à la débâcle finale.  


 Car  voici que sur le plateau,  l’aveuglante  folle du logis, celle qui fait perdre la tête, s’empare des deux amis !  Ainsi en va-t-il  de l’immonde jalousie qui soudain saisit  Vladimir, en voyant Olga  enchaîner les danses  avec Onéguine et qui va faire basculer un monde de paix vers celui de la guerre et de la désolation. « Vous n’êtes plus mon ami ! … Je n’ai pour vous que du mépris ! » Pire,  la querelle dégénère et  Lenski  ne peut s’empêcher de  provoquer Onéguine en duel. Toute l’assemblée est scandalisée ! ( Finale « V vashem dome! V vashem dome! )

Mais surtout voici les paroles fatidiques qui déclenchent  l’hostilité des deux frères…dans le tableau 18 de l'acte II «  Ennemis, mais y a-t-il longtemps que le désir de tuer nous sépare ? Y a-t-il longtemps que nos plaisirs, nos pensées , nos soucis, et nos loisirs étaient les mêmes ? Aujourd’hui cependant, comme des ennemis héréditaires, perfidement, nous préférons nous taire , prêts de sang-froid à nous entretuer » Onéguine ajoute pourtant «  Mieux vaudrait en rire, avant qu’il ne soit trop tard, avant que nos mains ne soient rougies de sang, mieux vaudrait se quitter à l’amiable…» Hélas, l’un après l’autre ils déclarent : « Mais non ! mais non !» 

        Niet!                                                                                                  Niet!
                                 
нет                                                                                              нет!

 
Le  désastreux duel aura eu lieu, et dans  le troisième acte,  la douleur consumera Tatiana et Onéguine, les protagonistes maudits. Oui, elle l’aime, c’est tragique mais se refuse à lui, comme lui l’a fait dans le premier acte, non  par vengeance, mais   dans un accès de vertu et de soumission aux règles de la société.  Au tomber du rideau,  Onéguine, ce  héros byronien, un Don Juan à sa manière, n’osant pas être émotionnellement vulnérable, est devenu cet  homme, perclus de désespoir, qui aura  tout eu, qui l’aura gaspillé et qui aura vécu pour le regretter. Pathétique et brisé, il a ... à peine 26 ans.  Une très belle prise de rôle par le baryton Stéphane Degout.

Star power: c’est un  casting d’excellence qui  interprète cette  magnifique  œuvre. Partout des sans-faute. Bogdan Volkov est un Lenski hors compétition, qui met les larmes aux yeux par sa résignation devant le destin qui l’attend, la musique en témoigne.  C’est en effet  déjà un  poignant adieu à la Vie que Lensky chante avant le duel, comme s’il écrivait une ultime lettre à ceux qui restent,   où il oppose les jours heureux de sa jeunesse à sa situation actuelle, dans un scandale que ni lui ni Onéguine ne souhaitaient véritablement. Quelle absurdité ! Dire que la  querelle portait sur les attentions  maladroites d’Onéguine pour Olga.  Surtout,  c’est la perte d’Olga que Lensky regrette le plus, se souciant désormais peu de savoir  quelle sera l’issue du  duel imminent.  Il  est salué par des applaudissements nourris et enthousiastes.


Et autant d'applaudissements, bien sûr, pour  la Tatiana délicieusement chantée par la soprano britannique Sally Matthews:  sans la moindre affectation, avec de vertigineux émois et de subtiles nuances pianissimo. Une réussite majeure.  Cette célèbre scène de la chambre à coucher, lorsque Tatiana, éprise d’un amour impulsif pour Onéguine,  exprime ses sentiments dans une lettre, incarne de manière touchante l’étourderie féminine du personnage.

C’est fait. Je ferme cette lettre,

L’effroi, la honte au fond du coeur…

Mais mon garant est votre honneur,

J’ai foi en lui de tout mon être.

Olga, ici chantée par la chaleureuse  mezzo-soprano Lilly Jørsta, est très naturelle, pleine de joie de vivre et  très  convaincante. Soulignons également le charisme et l’ardeur résonnante  du riche prince Gremin  que chante  Nicolas Courjal  et la merveilleuse et rafraichissante bouffonnerie – Molière es-tu là ? – de Christophe Mortagne  dans le rôle de Monsieur Triquet.  Quant au fabuleux  chœur, une masse parfois oppressante, toujours en mouvement, sous la direction de Jan Schweiger,   il  est à la fois radieux  et bouleversant dans  les multiples atmosphères qu’il incarne.

Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour Arts et Lettres

Avec l' Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie Jusqu’au 14 février.

https://www.lamonnaiedemunt.be/fr/program/2313-eugene-oneguine

DISTRIBUTION

Direction musicale

ALAIN ALTINOGLU

Mise en scène & costumes

LAURENT PELLY

Décors

MASSIMO TRONCANETTI

Éclairages

MARCO GIUSTI

Chorégraphie

LIONEL HOCHE

Collaboration aux costumes

JEAN-JACQUES DELMOTTE

Chef des chœurs

JAN SCHWEIGER

Larina

BERNADETTA GRABIAS

Tatyana

SALLY MATTHEWS
NATALIA TANASII (1, 4, 10, 14.2)

Olga

LILLY JØRSTAD
LOTTE VERSTAEN ° (1, 4, 10, 14.2)

Filipp’yevna

CRISTINA MELIS

Yevgeny Onegin

STÉPHANE DEGOUT
YURIY YURCHUK (1, 4, 10, 14.2)

Lensky

BOGDAN VOLKOV
SAM FURNESS (1, 4, 10, 14.2}

Prince Gremin

NICOLAS COURJAL

Captain Petrovitch

KRIS BELLIGH

Zaretsky

KAMIL BEN HSAÏN LACHIRI °

Monsieur Triquet

CHRISTOPHE MORTAGNE

Guillot

JÉRÔME JACOB-PAQUAY

 Precentor

 CARLOS MARTINEZ
HWANJOO CHUNG (31.1 & 2, 5, 7, 9.2)

Lire la suite...
administrateur théâtres

SPECTACLES

Fête russe à Liège … avec Eugène Onéguine

 Eugène Onéguine, op. 24, est un opéra en trois actes et 7 tableaux composé par Piotr Ilitch Tchaïkovski entre juin 1877 et janvier 1878.

QUE l’ouverture dans les mains  de Speranza Cappucci est envoûtante! Une cheffe créatrice  passionnée, sensible, subtile, précise, attentive au moindre détail !  Fascinante dans sa gestuelle, l’orchestre répond sur le champ et dans une fluidité parfaite.  Les bois sont particulièrement  exaltés, la harpe frissonnante, les cuivres, brillants sans peser. Speranza Cappucci, à l’écoute du destin,  entretient en continu des brasiers de couleurs miroitantes.  La tendre ferveur du  thème  de Tatyana   reflète  le plaisir  d’un  feuilleton passionnant.   En effet, l’opéra de Tchaïkovski prend sa source dans le sublime roman écrit en vers de Pouchkine et publié sous forme de série entre 1825 et 1832.

Peut être une image de 1 personne et position debout
 Photos : Jonathan Berger – Opéra Liège Info & Réservation 🔛 bit.ly/oneguin

DES FEMMES s’affairent à déposer des fleurs sur une  longue table, dans un jardin? Une datcha?  Une église orthodoxe?  L ‘imposante veuve Larina ( Zoryana Kushpler) discute avec sa servante Flipyevna (une  pétulante  Margarita Nekrasova). Les filles de Larina, Tatyana et Olga, chantent une chanson d’amour. Larina et la bonne se souviennent  de quand elles aussi étaient jeunes et belles et amoureuses. Tatyana lit  langoureusement un roman de Richardson, tandis que  sa mère lui rappelle que la vraie vie n’est pas  celle des romantiques anglais.

L’HISTOIRE est transposée 100 ans plus tard,  dans la période bolchevik :  point de  costumes ni de fastes mondains ni de décors somptueux…  mais des paysans, des militaires, et  l’étoile rouge qui brille sur l’ensemble et à la boutonnière du costume noir de l’officier Onéguine.  Nouveau parfum à l’opéra de Liège : la mise en scène superbement dépouillée d’Eric Vigié  mérite toute notre considération. Elle se décline  dans toutes les nuances de gris – ce gris haï des routines domestiques ou amoureuses –   et joue avec le rouge vif  de l’espoir communiste. Un espoir qui  se matérialise   grâce à   une étoile vivante : la  très jeune ballerine en tutu  écarlate.  Le fond de la scène est occupé par un store de larges panneaux verticaux ( Gary Mc Cann) qui s’ouvrent comme par magie pour des changements de scène, ouvrir l’horizon ou pour accueillir le chœur (préparés par Denis Segond)  et ses  figurants.  Les yeux convergent chaque fois sur un  point focal fait de  constructions aériennes, presque sculpturales,  symbolisant  la vie quotidienne russe ou la révolution. Effets très réussis. Des lumières qui captent la transparence. (Henri Merzeau)

Peut être une image de 2 personnes, personnes debout et intérieur

  

L’AMOUREUX d’Olga, Vladimir Lenski  (un attachant Alexei Dolgov) et son ami Eugène Onéguine ( le beau baryton Vasily Ladyuk) arrivent. Lenski  et Olga s’enlacent et chantent la vie. « Espiègle et insouciante est ma nature, On dit de moi que je suis une enfant. La vie me sera toujours belle »  Et c’est le coup de foudre de Tatyana pour le nouveau  voisin,  mais  ce dernier ne lui montre aucun intérêt et semble même détester la vie à la campagne. Misanthrope ?   Dans un crescendo  de passion grandissante, Tatyana  se met à écrire une lettre d’amour enflammée à Onéguine. Moment d’extase et de rêve. « Me voici tout en feu… Je ne sais par quoi commencer ! « Je vous écris !… que vous faut-il de plus ? Que pourrais-je ajouter à cet aveu ? » Elle  envoie  Filippievna  pour la  lui remettre. Le lendemain, Tatyana attend avec impatience  la visite d’ Onéguine. Il se montre insensible et  précise  tout de suite que le mariage n’est pas dans ses projets, et qu’ils ne peuvent être qu’amis. Tatyana  se sent  couverte de honte… D’emblée la superbe voix  de Natalia Tanasii, qui remplace ce dimanche après-midi, Ruzan Mantashyan, souffrante, séduit une salle  sans doute déçue par l’absence de la soprano arménienne.  Mais Natalia Tanasii possède  parfaitement son personnage, elle  assure une présence théâtrale forte et bien construite. Elle fait preuve d’une magnifique projection de voix au timbre chaleureux et souple. Quelle prestation extraordinaire pour une séance faite au pied levé !

 A L’ACTE II, Larina donne un bal pour la fête de Tatyana. Onéguine, furieux de s’être laissé entraîner par Lenski  le provoque  en dansant constamment avec Olga. Emportés par la jalousie et la colère, Lenski  et Onéguine s’engagent dans un duel absurde. Lenski :  « Kuda, kuda… Où donc avez-vous fui, jours radieux de ma jeunesse ? »  Onéguine tire et tue Lenski.

PLUSIEURS ANNÉE PLUS TARD, Tatyana, a épousé le Prince Grémine.  Celui-ci confie à son vieil ami Onéguine l’amour infini que lui inspire son épouse, si différente des codes l’appareil de la société où règne l’esprit de Lénine, statue à l’appui. On a  tout de même moins aimé ce film muet années Great Gastby, sous-titré en russe et projeté pendant la stupéfiante prestation  d’ Ildar Abdrazakov en Prince Grémine  d’une prestance magnifique, à la voix de basse enveloppante et aux phrasés bouleversants. Donc, très déconcentrant de devoir  suivre les deux en même temps.  

Peut être une image de 2 personnes, personnes debout et intérieur

 LA SITUATION EST SANS ISSUE, quand Onéguine reconnaît enfin Tatyana, épouse du prince, et c’est à son tour d’ éprouver de brûlants sentiments, mais Tatyana,  fidèle à son mari, laisse Onéguine seul et désespéré. « Quelle honte! Quelle douleur! Quel sort pitoyable est le mien ! » Une mort intérieure pathétique.

Le clin d’œil facétieux revient au charmant  ténor français Thomas Morris,  un souffleur de bonheur, qui interprétait avec verve le rôle de Monsieur Triquet, l’invité à la fête parisien, haut en couleurs. « A cette fête conviés… »  Oui et pour nous, au-delà du drame romantique, c’est la joie qui l’emporte, celle   assister à  cette inoubliable interprétation de l’opéra de Tchaïkovski  en   splendide langue russe, une véritable  fête au cœur de la beauté  musicale.   

Eugène Onéguine, du 22 au 30 octobre 2021 à L’Opéra de Liège

Dirigé par Speranza Scappucci, mis en scène par Éric Vigié, avec Vasily Ladyuk, Ruzan Mantashyan, Maria Barakova, Alexey Dolgov, Ildar Abdrazakov, Zoryana Kushpler, Margarita Nekrasova, Thomas Morris, Daniel Golossov, Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.

   Dominique-Hélène Lemaire Pour Arts et Lettres

Lire la suite...
administrateur théâtres

Opéra Royal de Wallonie-Liège, de Don CarlosPlay it on ! "Don Carlos" à l'Opéra de Liège

La superbe version française de «Don Carlos» à l’Opéra de Liège a fait dernièrement l’unanimité aussi bien dans la critique musicale élogieuse qu’auprès d’un public totalement conquis. En version longue, dite « originale de Paris» de 1866. En version d’une diction française parfaite. Paolo Arrivabeni à la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a distillé quelques merveilleuses heures de déploiement musical et lyrique tout en délicatesse. La théâtralité subtile et sombre des amours et amitiés contrariées a envahi le plateau et bouleversé le public touché par la musique chatoyante ce drame lyrique signé Giuseppe Verdi. On pourra écouter la retransmission intégrale de l’
enregistrement de la soirée du 14 février le 7 mars 2020 sur Musiq 3.

La vivacité de l’orchestre, son engagement dans les souffrances romantiques sans la moindre lourdeur, la distribution lyrique irréprochable, le défilé soyeux de 800 costumes et chapeaux Renaissance de Fernand Ruiz, les décors fastueux de Gary Mc Cann qui font valser les multiples tableaux de cette œuvre en cinq actes, la conduite rutilante des chœurs de Pierre Iodice, les savants éclairages de Franco Marri ont fondu l’ensemble dans un creuset quasi cinématographique. La mise en scène intelligente et pétrie d’historicité bien documentée de Stefano Mazzonis di Pralafera a conféré une fidélité intense à l’œuvre Verdienne et une fusion parfaitement onctueuse de tous les éléments de l’opéra.

L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes debout, plein air et intérieur

Cette œuvre est grandiose pour sa dimension historique, et poignante pour sa vérité dramatique. En cause, ce Rodrigue, prénom prédestiné qui a tant de coeur, et qui développe un personnage si complexe et si attachant? Ou est-ce la versification française si limpide qui fait penser à la tension dramatique des grands classiques français?
Est-ce, plus simplement, le charisme rutilant de l’interprète de ce Rodrigue, Marquis de Posa incarné par le fabuleux belge Lionel Lhote acclamé de toues parts qui livre sur scène une prestation d’une incomparable fluidité théâtrale?
La voix est chaude, enveloppante, débordante de grandeur sublime. La personne du chanteur diffuse son sage humanisme en continu. Le personnage incarne le débat cornélien: le devoir de fidélité au roi Philippe II qu’il a juré de servir, ou l’attachement inconditionnel à ses serments d’amitié avec Don Carlos. Le choix est cruel et dangereux.

La  fascinante  basse cantabile Ildebrando D’Arcangelo dans le rôle de Philippe II, est superbement grave, orgueilleux, manipulateur. Il est autoritaire et souverain, au lit comme à la cité. On apprend qu’il ne dédaigne pas les charmes de la bouillante princesse Eboli qui aura grand mal à faire acte de contrition et rétablir la justice après avoir rêvé de vengeance et empoisonné la cour de ses immondes machinations
pour obtenir l’amour de Carlos. L’amour est cruel et Kate Aldrich l’interprète avec fougue et exaltation. Mais, pauvre chose féminine, comment pourrait-elle agir face à l’infâme machine de l’inquisition? Le sombre Philippe II est flanqué de Roberto Scandiuzzi, un Grand Inquisiteur bien glaçant.

En version féminine, le même débat cornélien se présente à la pauvre Elisabeth de Valois, fille d’Henri II priée d’oublier ses amours adolescentes et forcée d’endosser les lourdes robes qui l’emprisonnent dans son nouveau rôle de reine d’Espagne pour garantir la paix après des années de guerres dévastatrices. Une très émouvante Yolanda Auyanet. En dépit de ses émois amoureux vrais, bons et naturels la voilà embarquée dans un sérail irrespirable aux côtés d’un roi jaloux prêt à l’immoler. On le voit complètement dépité au 4e acte quand il perçoit que finalement « Elle ne l’aime pas! ». Elle est si jeune et palpitante, d’un naturel si tendre et si sincère. La voilà cloîtrée, obligée de plier devant un seigneur inflexible qui la voit comme sa chose! Dire qu’elle choisit son devoir de reine car elle a promis d’être l’otage de la paix. Que de vibrante vertu!

Et les Flamands dans tout cela? Une équipe vibrante elle aussi avec Patrick Delcour, Roger Joachim, Emmanuel Junk, Jordan Lehane, Samuel Namotte et Arnaud Rouillon. Ils symbolisent la rébellion, la voix du peuple affamé, le pays conquis mis à feu et à sang par les exécutions de l’Inquisition, un pays réduit à une populace de morts-vivants pris dans les affres de la guerre. Une situation politique que dénonçait à travers eux le grand Verdi, défenseur de la liberté et de sa patrie. Les Flamands résistent. L’infant se révolte contre son père dénaturé… Même combat. La salle pleure des larmes d’indignation et pense à l’innommable duc d’Albe qui sévissait dans nos régions. La musique enflamme des sentiments d’injustice à vif. L’impressionnant ténor Gregory Kunde qui a endossé le rôle-titre est héroïque et somptueux avec ses aigus qui s’envolent avec aisance d’un tapis de vibrations chaleureuses.

Le rejet de la tyrannie sous toutes ses formes est le fil rouge omniprésent dans l’oeuvre. Comme cela fait du bien! On éprouve gratitude et admiration devant tant de résistance face à la dictature d’état ou celle de la religion. On se laisse emporter par tant de beauté musicale pour dépeindre la cruauté de l’injustice et l’orgueil démesuré des grands.

L’image contient peut-être : 1 personne, debout

« If music be the food of love, play on. » -William Shakespeare, « Twelfth Night »

Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres 

En direct, le vendredi 14 février, sur la plateforme de France TV à 19h00 Opéra Royal de Wallonie-Liège, de Don Carlos

https://www.operaliege.be/actualites/lopera-royal-de-wallonie-liege-fete-ses-200-ans-episode-03/

Lire la suite...
administrateur théâtres

Les parfums de fleurs de couteau. Rite funéraire. Sous le chapiteau,  toute la Méditerranée en pleurs. Mantilles noires,  mains jointes, les visages chantent un Kyrie Eleison bouleversant. Lux perpetua luceat eis. Pour qui ?  On entoure la veuve.  Le fils voudrait que la mère lui rende son couteau. Tout est là : le désir, la terre et le sang. On plonge d’un coup dans l’univers de Garcia Lorca. Derrière les bribes de mélopée  qui vous prennent  au ventre, surgit le fil rouge,  l’instituteur rouge et libre penseur, ami du poète qui égrènera  son hommage tout au long du spectacle. Cela aussi c’est un rite funéraire.

Le décor est fait d’une roulotte, un fois le voile noir levé,  d’un plateau circulaire de bois blond sur lequel les chaises s’envolent comme des brassées de feuilles mortes.   Décidément, Dominique Serron adore cela! C’est beau, on attend le développement. C’est alors que l’on est pris  par la  bourrasque théâtrale. Le parcours  prend le rythme d’une  traque. Le spectateur s’accroche aux racines pour ne pas tomber.  Il est hors d’haleine, il vient de comprendre que trois histoires  différentes s’entremêlent comme des battements de cœur régulier, pour souligner les thèmes favoris du poète espagnol. C’est ingénieux, parfois dur à suivre, mais tellement palpitant. Il va de soi que les dix-sept  comédiens -danseurs,-chanteurs  changent de peau et d’histoire à chaque tournant… L’inventive Dominique Serron à la mise en scène s’amuse et se repaît des apparences, des visions fugaces, fouaillant toujours  pour atteindre le drame pur. Les yeux des spectateurs sont éblouis par les scènes de village, les chiens, la pleine lune,les malédictions,  la discussion des brodeuses, le deuil omniprésent, le rêve de vie encore plus tenace, la campagne crucifiée par la sécheresse, les préparatifs de noces, le rapport fétide filles-mère, les personnages déchaînés,  la folie, le mal, les danses, les ensembles vocaux. Le corps à corps des amants  ennemis, un paroxysme de tension dramatique,  est un sommet de la  mise en scène. Béjart en aurait fait tout un spectacle.

 Cette trilogie rurale de Lorca qui regorge de mauvais présages: « Les noces de sang », « La maison de Bernarda Alba » et « Yerma » se trouve  ainsi déclinée en musiques chorales, danses et textes  si brûlants de non-dits palpables qu'ils  émeuvent au plus  intime. Cette trilogie  devient une bacchanale envoûtante. Utile de souligner  combien Garcia Lorca  a été  un poète  de la libération féminine, lui qui est tombé sous les balles des phalangistes, quelques mois après l’écriture de ces  trois chef d’œuvres qui dépeignent  l’âme féminine et l’Andalousie profonde. 

Chapiteau Des Baladins du Miroir
Boulevard Baudouin Ier
1340 Louvain-La-Neuve
Téléphone :
0800/25 325 - Réservation préférable
Tarif :
10 à 22€
Public :
à partir de 12 ans
Internet :
https://atjv.be/Desir-Terre-et-Sang

D’après l'œuvre de Federico Garcia Lorca - Adaptation et mise en scène : Dominique Serron - Avec (en alternance) : Irène Berruyer / Léonard Berthet-Rivière / Andréas Christou / Stéphanie Coppé / Elfée Dursen / Monique Gelders / Aurélie Goudaer / Florence Guillaume / François Houart / Geneviève Knoops / Sophie Lajoie / Léa Le Fell / Gaspar Leclère / Diego Lopez Saez / David Matarasso / Virginie Pierre / Géraldine Schalenborgh / Léopold Terlinden / Juliette Tracewski / Julien Vanbreuseghem / Coline Zimmer (Sous réserve de modification. Voir www.atjv.be

Du 19 septembre au 1er octobre 2019

 

Lire la suite...
administrateur théâtres

Bizet à Liège en Novembre 2019, des perles fabuleuses!

Une perle d’opéra!


« Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège

L’image contient peut-être : 1 personne, debout

Nous attendions beaucoup des « Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège puisque, c’est la deuxième fois que nous assistons à cette production,  dans la mise en scène sobre et poétique du nippon Yoshi Oïda et les décors de Tom Schenk.   La mise en scène  de 2015  n’a pas pris une ride, car elle touche l’universel.   Il s’agit du premier opéra que Bizet composa à 24 ans. Il était  pour l’époque, d’un exotisme délirant dans la partition et le livret, la référence à la mer et  aux pêcheurs de la  côte étant omniprésente. L’opéra se déroulait dans l’île de Ceylan,  ce qui est maintenant devenu le Sri Lanka depuis 1972.  Mais le metteur en scène, Yoshi Oïda,  désireux de nous transporter dans un ailleurs mythique et imaginaire, semble s’être inspiré soit de la culture  matriarcale des plongeuses  japonaises « ama »,  une coutume  vieille de  quatre mille ans en ce qui concerne le culte de la mer,  ou de celle de « noros », ces femmes  chamanes de l’ancien royaume du royaume des Ryûkyû, Okinawa, un archipel  japonais en forme de Dragon, aux portes de Taiwan, un centre du monde habité par les dieux.  Vestales japonaises, ces femmes  sont toujours là à entretenir une communication sacrée avec les forces divines de la nature, et à un degré supérieur, celles de l’univers. La crainte qu’inspirent  les dangers des  flots marins, engageait naturellement  sur les chemins du sacré. Le sensuel et le spirituel se rejoignant.

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes debout

 Et voici une nouvelle  distribution, très solide, combinée à une très belle performance musicale sous la direction de  Michel Plasson, 86 ans,   qui connaît  si intimement  cette œuvre  de Bizet. Les costumes dessinés par Richard Hudson sont  des variations du bleu ardoise  de  « Ce toit tranquille, où marchent les colombes », déclinés en turbans, écharpes, chemises frustes, et vêtements de travailleurs de la mer, bleu de Gênes. Un contraste saisissant avec les voiles éclatants de blancheur de la déesse vierge.   Lumières subtiles et ouvragées de Fabrice Kebour qui fait coïncider le soleil levant meurtrier  avec les cuivres orchestraux des premiers rayons d’une aube incandescente.   Pierre Iodice,  fidèle commandeur  des chœurs de la maison liégeoise,  assurait aux choristes  une fluidité de flots marins, ménageant des moments de frissons poétiques et célestes!   Ainsi,  au tomber du rideau, la salle comble  a   offert  une nouvelle fois – à juste titre – une ovation debout, pleine d’enthousiasme associée à un tonnerre d’applaudissements pour cette œuvre dont le foisonnement des joyaux mélodiques regorge  de morceaux pleins de feux et d’un riche coloris selon  les dires de Berlioz. 

L’image contient peut-être : une personne ou plus, nuit et plein air

Le livret se déroule comme un long  flashback nostalgique et tragique de solitude héroïque bercée par le roulis de la vague marine.  Zurga et Nadir, deux hommes tombés amoureux de Leïla dans leur jeunesse ne veulent pas risquer leur amitié et  font le serment de  ne pas répondre à leurs sentiments pour elle. Mais plusieurs années plus tard, il semble que l’amour pour  cette femme idéalisée ne  se soit   jamais éteint. « À aucun autre moment le sensuel n’est aussi chargé d’âme et la part d’âme aussi sensuelle que dans la rencontre. Tout est alors possible, tout est en mouvement, tout est dissous. Il y a là une attirance réciproque, vierge encore de convoitise, mélange naïf de confiance et de crainte. Il y a là quelque chose de la biche, de l’oiseau, … pureté angélique, présence du divin… Ce quelque part, cet incertain pourtant animé par la force du désir… La rencontre promet davantage que ne peut tenir l’étreinte. On dirait, si je peux m’exprimer ainsi, qu’elle ressortit à un ordre supérieur des choses, cet ordre qui fait se mouvoir les étoiles et féconde les pensées… »
Hugo von Hofmannsthal, Chemins et rencontres.

L’image contient peut-être : une personne ou plus et personnes sur scène

Et bien que la jeune et fougueuse Leïla ait juré  à Zurga  devenu roi, et au reste du village de  rester  la très chaste et pure gardienne du  rocher qui surplombe la mer, et dont la tâche est de repousser les mauvais esprits qui emportent les pêcheurs dans les abysses,   son désir la porte  toujours vers Nadir, le coureur des bois. Cyrille Dubois chante un héros élégiaque, plein  de charme, au timbre galbé et chaleureux et charismatique, porté par un souffle puissant.   Annick Massis développe habilement le rôle féminin de cet opéra, commençant par celui d’une femme  innocente et docile et concluant celui-ci dans  une apogée  d’amour passionné, cueillant à chaque pas de fulgurantes vocalises.  Elle  a promis par trois fois de « vivre sans ami, sans amour, sans amant ! » Malheur à elle si elle succombe !    Le lien qui l’unit  mystérieusement à Zurga est de l’avoir sauvé dans sa jeunesse, lorsqu’il était un pêcheur rescapé, accueilli sous le toit familial. Elle a gardé de lui, un collier de perles.    Intense, impulsive, très passionnée, elle forme avec Nadir  un duo  pris par l’élixir de  la musique et qui chante l’ élévation  vertigineuse es sentiments . Tous deux  atteignent les profondeurs du cœur. C’est ce qui bouleverse le public.  Bien sûr, la chute est imminente. Et lui, flotte dans le ravissement ! « Oui, c‘est elle! C‘est la déesse. Plus charmante et plus belle. Oui, c‘est elle. C‘est la déesse qui descend parmi nous. Son voile se soulève et la foule est à genoux. »  Passent les pêcheurs et leurs nasses d’osier «Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramiers. Ô, nuit enchanteresse, Divin ravissement, Ô, souvenir charmant, Folle ivresse, doux rêve! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir. Ô, nuit enchanteresse, Divin ravissement, Ô, souvenir charmant, Folle ivresse, doux rêve » ponctués par des violoncelles en voix  presqu’humaines.

L’image contient peut-être : 1 personne, plein air

L’orchestre construira l’angoisse et le silence, les présages de mort et d’épouvante et leurs chasubles blanches, leurs torches hostiles,  les barques agitées par les flots. Le chœur est rempli d’effroi «  Un  étranger s’est introduit parmi nous ! »Tout est dit ! La vindicte de la foule se lève comme une effroyable tempête. Le quatuor d’interprètes a été complété par le brutal et revêche  Nourabad de Patrick Delcour. Brutalité et cruauté sont les maîtres mots qui enclenchent tout de même le remords chez Zurga. Les erreurs humaines sont sources de larmes, Leila  dans des accents qui font penser à  Norma, agile et palpitante, victime de sa fonction de prêtresse, plaide la cause de Nadir, il est innocent : «  Accorde-moi sa vie, pour m’aider à mourir » : c’est alors que déferle la rage de la jalousie qui rend le roi  Zurga aveugle, barbare et cruel.  Ce rôle est tenu par le baryton belge  Pierre Doyen, au timbre brillant,  qui  retrouve,  après avoir sombré dans la sauvagerie de la jalousie,  une ligne de chant ferme, noble et élégante.   Au bord du trépas romantique, les amants se  fondent  déjà dans l’amplitude de l’éternité lumineuse, dans une ivresse mystique, auprès d’un dieu salvateur.  Mais ils ne mourront pas car Zurga, ayant reconnu le collier donné à la jeune-fille d’antan,  leur ouvre les chemins de  l’exil,  après avoir mis le feu au camp pour brouiller les pistes. Est-ce à dire, que jamais les liens entre  les personnes ne se rompent, ni ici, ni ailleurs? Le couteau est inutile et vain.

Dominique-Hélène Lemaire

«  Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège      

Du 08 au 16 novembre 2019

Photos © Opéra Royal Wallonie-Liège

Lire la suite...
administrateur théâtres

La Gioconda à la Monnaie jusqu'au 12 février 2019

Une prodigieuse « Cloaca Maxima » vénitienne à la Monnaie!

 Février 9, 2019 


Olivier Py qui revient pour la cinquième fois à la Monnaie, aime travailler à contre-courant.   Les   merveilleuses scènes et effets de lumière de Canaletto sur les rives du Grand Canal bordées de palais Renaissance et gothiques ? On oublie ! Adieu même à « Mort à Venise» et  l’impressionnant sens de la beauté de Thomas Mann traduit par l’inoubliable réalisateur Luchino Visconti (1971) dans son film éponyme. Voici le Crépuscule des Êtres Humains dans un opéra en forme de polar, où le Mal l’emportera définitivement. Du début à la fin, le désir brutal, le pouvoir phallocratique et la luxure  étouffent la scène dans  un monde souterrain et  sinistre.

 L’enfer à petite échelle : le sexe et la mort dansés, mimés, chantés  comme s’il fallait en faire un mode de vie ! Le carnaval se traduit par danse macabre.   Des actes plats, sans préliminaires ni réflexions posthumes, exposant  leur  urgence brute et  définitive. Le décor choisi est  le grand égout de Venise, avec ses murs sombres et sans fin et le bord glissant et dangereux de choses qui transpire de partout. Les gondoles se sont transformées en cercueils.


Roberto Covatta, Scott Hendricks & Ning Liang – La Joconde par Olivier Py (© Baus)

Finalement, deux gigantesques bateaux de croisière, ruisselants de lumière  seront de passage  à travers le cloaque rempli d’eau où pataugent les artistes,  question de  rappeler brutalement que Venise, pendant des siècles, le cœur même de notre culture occidentale, a toujours été  menacée par de  perfides appétits. Ou est-ce Venise elle-même qui est le mal? Olivier Py et Pierre-André Weitz (scénographie et costumes) ne mâchent pas leurs mots et  avancent que « La beauté de Venise, c’est la mort, la grandeur de Venise, c’est le déclin, la puissance de Venise, c’est le Mal ».  Le déclin inexorable  de l’Europe des Lumières qui a créé l’esprit  du progrès et le rejet de l’obscurantisme   les conduit apparemment à cette triste déclaration. Une déclaration encore plus évidente  se fait   dès  l’ouverture de l’œuvre, sous la forme d’une  baignoire (de l’époque nazie?) dans laquelle un gnome,  un joker, ou un clown  subit le supplice de l’eau  mais que sarcastiquement cela ne dérange même pas! Ce personnage muet, le Mal ex machina,  prendra de la puissance, grandira en taille et en nombre tout au long de l’action. Image de choc: entre de mauvaises mains, l’eau que l’on pense naturellement être  source de vie,  peut provoquer la mort de toute personne  soumise à son pouvoir meurtrier.  « Du pain et des jeux »  réclame la foule: «Viva il doge e la republica!». Que le doge soit ogre ou pantin, la boucle du Mal est refermée.

Image may contain: 2 people

À  l’époque, Amilcare Ponchielli était considéré comme le plus important compositeur italien de la génération après Verdi, mais nous le connaissons aujourd’hui principalement pour La Gioconda, et en particulier pour son célèbre ballet, «La danza delle ore». L’histoire, basée sur «Angelo, le tyran de Padoue» de Victor Hugo, se déroule dans une Venise du XVIIe siècle, où complots et régates forment la toile de fond des heurs et malheurs  de la belle chanteuse La Gioconda (l’immense soprano Béatrice Uria-Monzon). Harcelée par Barnaba (le puissant baryton Franco Vassallo),  noir espion de l’Inquisition, la jeune femme a tout sacrifié pour sauver Enzo (Stefano La Colla), l’homme qu’elle aime et  va jusqu’à sauver  sa rivale, Laura, la femme dont  lui  est  amoureux. Elle est mariée à Alvise Baldoèro, un des chefs de l’Inquisition vénitienne.  Sa complainte dans l’Acte III, scène 5 explique son désarroi et son courage «  O madre mia, nell’isola fatale frenai per te la  sanguinaria brama di reietta riva. Or più tremendo è il sacrifizio mio .. o madre mia, io la salva per lui, per lui che l’ama!»  Gioconda  parle de l’indicible  à l’acte IV, scène 2,  dans  l’air déchirant «Suicidio», dont elle donne une  version échevelée et bouleversante.  » Sa seule issue pour tenir parole.
« La Gioconda en un seul mot, ce serait « agapè », en grec. Elle possède ce grand amour inconditionnel qui n’attend rien en retour, entièrement dévoué à l’autre. » explique Béatrice Uria Monzon.

Image may contain: 1 person, night

Pendant ce temps, le tout puissant et pervers Barnaba  utilise La Cieca, sa  pauvre mère aveugle, pour faire chanter La Gioconda, qu’il souhaite soumettre à son désir. Ne parlons pas d’amour !  Il a même  l’idée de la faire juger comme une sorcière méritant d’être brûlée. … Mais « Ne sommes-nous pas toutes des filles de sorcières que vous avez brûlées ? »  Quoi qu’il en soit, Barnaba est déterminée à la détruire car elle incarne  l’amour maternel inconditionnel le plus pur  et  ose entretenir des relations des plus pieuses avec Dieu. On la voit comme  une créature divine délicate, ressemblant à une  statuette de femme de la dynastie Tang, chantée par la contralto angélique Ning Liang. Son air céleste dans le premier acte «Voce di donna o d’angelo» résonne  comme  un élixir d’innocence et de bienveillance et de sagesse. C’est ainsi que  le metteur en scène Olivier Py nous propose un opéra noir de bout en bout.

Image may contain: one or more people, crowd and outdoor

En outre, la scène 2 de l’acte III n’est pas sans rappeler des visions affreuses d’un Othello en furie. Nous savons que Victor Hugo aimait Shakespeare. “Invan tu piangi, invan tu speri, Dio non ti puo esaudir no! in lui raccogli in tuoi pensierei preparati a morir! » chanté par Alvise Badoèro, le mari de Laura. Superbes graves de la basse Jean Teitgen. Mais la pauvre épouse est cyniquement contrainte d’avaler elle-même le poison sur fond de chœurs d’enfants en voix off!  Heureusement cette invention de  Victor Hugo dans la célèbre scène de jalousie,  sauvera celle que le mari en colère n’a pas étranglée de ses mains  fumantes de haine et de vengeance.   

La musique enfin, s’offre comme un immense soulagement…  Elle  forme un contraste saisissant et magnifique avec l’atmosphère  délétère de l’action,  produisant  des grappes juteuses  de passion et de vie. Une  beauté torrentielle et puissante, bouffée d’air dans l’environnement toxique. Un tour de force grandiose pour supporter toute cette noirceur. Ou alors lisez un thriller style la trilogie mongole  Yeruldelgger avant de venir, pour amortir le choc.   Le flamboyant « grand opera all’italiana » est dirigé par Paolo Carignani avec une double distribution  exceptionnelle pour les six rôles principaux, tous  terriblement exigeants, la partition étant redoutable.

 Le public est complètement  emporté  par la qualité de l’orchestre, ses textures Verdiennes élaborées et ses harmonies véhiculant une gamme stupéfiante de sentiments, allant de la peur viscérale  à la mort, en passant par le suicide, mais décrivant également les différentes affres d’amour ressenties par tous, à l’exception de  Barnaba. Les performances répétées des choeurs (Martino Faggiani) sont à couper le souffle, de même que celles des danseurs de ballet, tandis que les six solistes sont tous  également  resplendissants dans leur interprétation parfaite des sentiments romantiques fracassants.  Une  galerie  étincelante a pris vie  au cœur de la Cloaca Maxima vénitienne!

 IL FAUT QUE LE DRAME SOIT GRAND, IL FAUT QUE LE DRAME SOIT VRAI.— VICTOR HUGO


Dominique-Hélène Lemaire

Du 29 janvier au 12 février 2019

crédit photos © Baus

Lire la suite...
administrateur théâtres

Créé six ans après Les Noces de Figaro,  cet opéra de Cimarosa est  entré dans la légende pour avoir été entièrement bissé le soir de sa création à Vienne à  la demande de l’Empereur Léopold II. Une curiosité : Stendhal était amoureux fou de cet opéra qu’il avait découvert à Ivrée (Italie) le 1er juin 1800 au cours de la seconde campagne d’Italie à laquelle il participait comme “cadre administratif” puis comme sous-lieutenant de dragons. Ensuite, parcourant l’Europe à la suite de la Grande Armée napoléonienne, il n’a jamais manqué de le revoir partout où il a pu être donné, notamment à Dresde le 28 juillet 1813, alors qu’il était intendant de la province de Sagan, peu avant la formidable défaite de Leipzig. « Je ne trouve parfaitement beaux que les chants de deux seuls auteurs : Cimarosa et Mozart » En attendant Rossini, sans doute, puisque cette œuvre de Cimarosa  se situe  comme un trait d’union entre Mozart et l’opera buffa de  Rossini.

L’image contient peut-être : intérieur

Critique sociale et miroir du 18e siècle comme l’étaient la série de six peintures intitulées « Mariage à la Mode » par William Hogarth,  l’intrigue est très simple, légère et réaliste. Comme nos Musicals modernes? Il Signor Geronimo, négociant en drap,  souhaite marier sa fille aînée Elisetta au comte Robinson. Mais lors de la première rencontre, celui-ci tombe éperdument amoureux de sa plus jeune soeur Carolina, aussi méprisée par sa  prétentieuse sœur aînée qu’une Cendrillon.   Carolina  est amoureuse et mariée secrètement avec Paolino, un humble employé doué de belle intelligence. Ils espèrent secrètement que l’organisation du  mariage d’intérêt de la sœur aînée suffira pour que  les amoureux soient pardonnés. Le père, sourd et aveugle aux choses de l’amour, a  en effet  une  préoccupation principale, celle d’anoblir sa maison et de veiller à sa cassette, quitte à envoyer sa cadette au couvent.   Il porte le syndrome, les habits et les manières  du Bourgois gentilhomme de Molière… Patrick Delcourt, formidable dans ce rôle, entouré de ses laquais qui vaquent docilement, pliés en deux pour mieux courber l’échine.  La chasse au mari est ouverte et la tante Fidalma (on découvre avec bonheur Annunzita Vestri)  ne se prive pas de fantasmer sur Paolino !   A la fin, une fois les amoureux découverts, la journée folle se termine par  les noces de trois couples bien assortis,  grâce à la bonté d’âme du Comte qui voit le bonheur de celle qu’il aime avant le sien et se résout à épouser Elisetta dont le caractère et les traits du visage s’adoucissent  miraculeusement. Même  Fidalma la duègne aux  bons offices  … trouve chaussure à son pied.  All is well that ends well! L’alternance de sentiments et de comique donne à l’ensemble une  force  théâtrale extrêmement porteuse. … En attendant Feydeau, comme  ceux dirigés par George Lini, un maître tailleur dans le  genre Humour et Sentiments.  Le deuxième acte est fait d’un délire de portes qui claquent. Succulente mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera… dans un décor à la fois sobre et brillant de Jean-Guy Lecat.

Bouleversante, cette scène où Le Comte, campé par un Mario Cassi tout de suite attachant, déclare sa flamme  prima vista à une Carolina  abasourdie  devant l’énormité de l’imbroglio qu’il va  falloir démêler… C’est une exquise Céline Mellon, pleine de fraîcheur et de tendresse.  La musique qui sous-tend   la scène tient , elle aussi, de l’évocation des éblouissements du  coup de foudre. Comme si une union d’esprit particulière liait secrètement   Mario Cassi et le jeune chef d’orchestre, Ayrton de Simpelaere, dans  une déclaration d’amour faite  à la fois avec tous les accents de vérité et les pétillements de l’humour. Notons que le comique est partout. Des citations  en situation au clavecin émaillent la partition, et produisent une source supplémentaire de comique … musical et spirituel,  avec des allusions à Aïda ? La chevauchée des Walkyries ?  La marche nuptiale?  La 5e de Beethoven… Tout fait farine au moulin des amoureux!

Inoubliable et  renversante de drôlerie, cette  magnifique scène où  Le Comte  décline  à Elisetta (Ah ! Sophie Junker) toutes ses mauvaises habitudes, son sale caractère et ses pires défauts, espérant qu’elle le rejettera afin qu’il puisse épouser Carolina, mais Elisetta, bien sûr, reste  de glace. Il avoue enfin qu’elle lui est insupportable et quitte les lieux! Aussi cette course-poursuite au son des cors de chasse! Le rire est dans la salle. Les maquillages, c’est du pur Permeke! Les éventails en prime !

Un "maestro" est né.

…With flying colours

Mais revenons à ce jeune chef que les médias encensent  à chaque occasion, depuis qu’il a pris son envol à Moscou lors de la demi-finale piano du « Concours international Tchaikovsky » en 2015 où il a dirigé les « Solistes de Moscou ». Nous avons eu le plaisir de le voir diriger avec brio l’opéra participatif Jeune Public «  la flûte Enchantée » de Mozart en début d’année, et une création : « Folon » de Nicolas Campogrande , en mars dernier. Lors de cette première  de  l’opéra « Il matrimonio segreto », Ayrton de Simpelaere a pleinement réussi le défi qu’on lui offrait,  faisant preuve d’une grande maîtrise de la balance, d’une concentration et d’une précision extraordinaires dans son interprétation musicale. … Une habitude ancrée dans l’exigence personnelle.  Dès l’ouverture,  les  dynamiques se créent comme par  enchantement, le velouté des vents raconte les effusions de joie, la finesse des cordes est omniprésente, les accents, les legatos, s’enchaînent avec grâce. Le grain de la musique est lisse et lumineux.  Une  ouverture avec trois mesures de Flûte enchantée et le reste est bonheur.    Flying colours aussi pour la direction des solistes dont la diction est un véritable délice.  La palette de ses couleurs orchestrales aligne chaque nouveau climat sur les couleurs et les voix  rutilantes des personnages. Les costumes  18e siècle, y compris les coiffures monumentales,   déclinent elles aussi toutes les nuances du bonheur:  du vert tilleul pour Elisetta, les safrans  épicés de Vidalma, les shocking blue du Comte, les ors et gris du marchand, les  flamboyantes lueurs de braises de Paolino au bras de la délicate Carolina, une symphonie de sentiments délicats bordés de rose rouge. Le développement des très nombreux morceaux d’ensemble, harmonieux malgré les différences  très  intenses de sentiments,  dynamisent la partition et sont savourés par un public conquis par une mise en scène et des éclairages distingués ( signés Franco Marri) , un sens de la beauté, qui n’est  jamais  gommé par la bouffonnerie du genre. Oui, même la caricature est plaisante. Bon, les tenues que  l’on découvre sous les peignoirs et les bonnets de nuit à la fin du deuxième acte, ont  de quoi surprendre, une dernière estocade du comique de situation?  Peut-être pas du meilleur goût, on oublie!

Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres

L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes debout, personnes sur scène et mariage

 

https://www.operaliege.be/spectacle/il-matrimonio-segreto/ 

 “ IL MATRIMONIO SEGRETO “ (Le mariage secret)

  • COMPOSITEUR : Domenico Cimarosa (1749-1801)
  • LIBRETTISTE : Giovanni Bertati
  • ANNÉE DE CRÉATION : 1792
  • LIEU DE CRÉATION : Vienne
  • NOMBRE D'ACTE : 2
  • LANGUE ORIGINALE : Italien
-  A LIEGE, Opéra Royal de Wallonie-Liège : Ve. 19 Octobre 2018, Di. 21 Octobre 2018, Ma. 23 Octobre 2018, Je. 25 Octobre 2018, Sa. 27 Octobre 2018
-  Au Palais des Beaux-Arts de Charleroi :  le mercredi 7 novembre 2018 à 20h.
Lire la suite...
administrateur théâtres

 

La Tosca  est revenue !

 

 Back to basics, voici  « La Tosca» le chef d’œuvre de Puccini présenté 14 janvier 1900 au Teatro Costanzi de Rome!   Elle se joue depuis  le mardi 13 décembre  à l’Opéra Royal de Wallonie et se jouera jusqu’au 2 décembre.  Cet opéra populaire en trois actes - le cinquième le plus joué au monde - mêle meurtre (sur scène, comme dans le grand théâtre romantique), passion, jalousie, pouvoir et trahison.

Tosca

 

L’histoire, inspirée d’un drame naturaliste de Victorien Sardou,  se situe  à Rome en 1800, à une époque où l’Italie et l’Europe conservatrice étaient en conflit  contre  une  France révolutionnaire, techniquement « républicaine » mais déjà dirigée par Napoléon.  L’action s’ouvre sous les voûtes d’une église baroque et sombre dont le point focal est une magnifique grille ouvragée.   Mario Cavaradossi, peintre radical et idéaliste y peint un tableau dont la sensualité signera  hélas son arrêt de mort.  La  séduisante  cantatrice Floria Tosca tombe sous le regard du baron Scarpia, un prédateur odieux,  chef corrompu  d’une  police secrète. Il est uniformément  pervers,  mu par la soif de pouvoir et de luxure.   Nourri d’ignoble desseins, il réussit à lui insuffler  le poison de la jalousie à cause de la beauté de  cette admirable peinture réalisée à l’église par son amant. Il ne s’agit pourtant que de la conversion de Marie-Madeleine… mais elle possède  un tel regard… Pourtant,  Tosca est  follement amoureuse du  Cavaradossi qui lui voue un amour pur et  inconditionnel. Scarpia s’est aperçu  que celui-ci a prêté main forte au prisonnier politique évadé de ses prisons – Cesare Angelotti, ancien Consul de la République de Rome –  et décide de les liquider tous les deux. Scarpia,   qui les retient prisonniers au château Saint-Ange,  offre la liberté de Cavaradossi  contre les  faveurs de Tosca. Elle fait semblant de céder, mais saisissant une chance inespérée, poignarde sauvagement son bourreau,  juste après qu’il  lui ait donné sa parole d’arranger un simulacre d’exécution. C’est sans compter sur le double jeu de l’immonde Scarpia qui n’a pas fait prévenir le peloton d’exécution.  Cavaradossi  s’effondre tragiquement sous les balles réelles et La Tosca, dévastée par la perte de son amant et piégée par son propre assassinat de Scarpia, se jette du haut des remparts  alors que fusent  les notes torturées de  la musique romantique rappelant les moments les plus tendres  du malheureux couple.

Tosca

 

En effet, L’orchestre  placé sous l’auguste direction de Gianluigi Gelmetti est un miroir parfait des couleurs du mélodrame sanglant. La direction  transparente, raffinée  tout en se montrant dramatique flirte avec une lecture cinématographique de la partition. On retient l’émerveillement, la dimension spectaculaire et la  puissance visuelle  du « Te Deum » doré,  hérissé de mitres de dignitaires religieux qui s’offre  comme un saint-Sacrement, aux yeux et aux oreilles,  dans  une  magnificence à couper le souffle.

Tosca Pour le reste, mise en scène et décors - et n’y a rien à redire sur cette heureuse réutilisation - ce sont ceux de Claire Servais,  utilisés en 2014 lors de la première représentation de cette œuvre à L’opéra Royal de Wallonie.  Faits de quelques marches d’escalier, de lignes  épurées et sobres, ils sont  balayés de jeux de lumières et de clair-obscur très  ciblés dont la réalisation est signée Olivier Wéry.  Encore une fois, c’est une habitude à l’Opéra Royal de Wallonie, les  somptueux costumes  d’époque  apparaissent comme  de véritables bijoux surgissant  de façon très graphique  de ce cadre  très porteur.L’image contient peut-être : 1 personne, nuitL’image contient peut-être : une personne ou plus

Soulignons que les chœurs, pourtant peu présents, de la volonté du compositeur pour accentuer la dimension vériste de l’opéra,  ont le don de donner une belle perspective au tableau musical. On est particulièrement touché par  la  voix off enfantine du pastoureau ou de la pastourelle  qui  égrène sa tendresse dans le lointain, en contraste saisissant avec la noirceur de l’action.

 

Au centre, le magnétisme de la tragédienne et la projection irréprochable de Virginia Tola, une véritable étoile lyrique, ne cessent d’émouvoir.  On  est sous le charme des vibratos souples et fruités des rencontres amoureuses. Son  timbre éclatant et  sa puissance vengeresse truffé d’aigus aussi lestes que si on cueillait des fleurs ses champs, ressortent d’autant mieux.  On a les larmes aux yeux en entendant son  Vissi d'arte « J'ai vécu d'art »,  après que Scarpia lui eut proposé son horrible marché.

 

A ses côtés le ténor vénézuélien Aquiles Machado, plein d’embonpoint et de bonhommie est craquant de vie,  de bienveillance, d’innocence et de purs sentiments. Son air E lucevan le stelle « Et les étoiles brillaient »qu’il chante  avant son exécution, évoquant le souvenir de Tosca est un réel arrache-cœur.

 

Mais entre tous, c’est Il Barone Scarpia qui crève l’écran. Marco Vratogna est à lui tout seul une machine infernale sous des dehors de courtisan élégant. On pense, à Créon,  à Richard II, à Torquemada, au Duc D’Albe. Dépourvu du  moindre sursaut d’humanité,   il coiffe tous les méchants au poteau, par la  puissance  de son venin hypocrite,  sa volonté organique de  détruire, voire, de violer.   Il possède une voix diabolique sonnant le glas du bonheur,  éclatante de maléfices.  Elle projette ses  puissantes ondes obscures  et délétères avec une  opiniâtreté de métronome, d’un bout à l’autre du spectacle.  

Tosca

La galerie des seconds rôles n’a rien  à envier aux vedettes lyriques du triangle tragique.  Excellentes prestations et projection irréprochable de Cesare Angelotti par le fidèle Roger Joachim tandis que  Pierre Derlet interprète un  Spoletta  fort bien campé en serviteur du Diable!   Laurent Kubla  c'est le formidable Sacristain: on  l’adore,  une soutane volante entourée de sa marmaille d’enfants de choeur!  Ajoutez deux membres des  Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège:  Marc Tissons qui incarne Sciarrone  et  Pierre Gathier  qui joue un gardien. Sans oublier  le sel du bonheur:  le joli pastoureau dont on entend la voix  pure et flûtée au loin et qui fait partie de la maîtrise de L’ORW, garçon ou fille.    Cet ensemble particulièrement équilibré contribue  grandement à l’éclat lyrique  de la soirée. Et puisque « La Tosca » est là… vous irez, ou vous y retournerez.  

Dominique-Hélène Lemaire

Crédits photos 

Infos et réservations: www.operaliege.be

Lire la suite...
administrateur théâtres

Littérature, théâtre, valeurs, classique, roman épistolaire, désir, jalousie, confessions, psychologie, amour, 21e siècle, passion, coup de foudre, abandon, femme, paix, dignité…

12273293471?profile=original

«  24 HEURES DE LA VIE D’UNE FEMME SENSIBLE » d’Eva BYELE

« Je vous aime, mon ami, plus que l’on n’a jamais aimé ; mais il ne se passe pas une minute de ma vie sans qu’une secrète anxiété ne se mêle à l’enchantement de ma passion. » Voilà ce qu’écrit, dans un  fatal mécanisme de  jalousie, ajouté à la tendance qu’ont beaucoup de femmes à  attiser le malheur, à le projeter dans des mots qui finalement signent leur arrêt de mort, Constance de Salm (1767-1845), femme libre  du XVIIIe siècle. Elle écrit anonymement en 1824 un roman épistolaire bouleversant et lucide qui inspirera les « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme  » de Stefan Zweig en 1927.


L’écriture comme manière d’être au monde.
 A son tour, la jeune écrivaine Eva Byele, en 24 lettres numérotées, décide de faire le tour de l’horloge des sentiments avec sa propre  sensibilité du 21esiècle.  Les «  24 heures de la vie d’une femme sensible » d'Eva Beyele se déclinent en vaillants battements de cœur, se lisent et s’écoutent comme une calligraphie de la passion. Ira-t-on vers une catharsis ?  Chaque lettre contient un chapelet de paragraphes qui pourraient vivre tout seul, comme  autant de  bouteilles à la mer.  Comme dans l’œuvre de Jane Austern, les concepts de  Sense and Sensibility se livrent un duel poignant et romantique.  La sentimentalité détruira-t-elle la dame comme ce fut le cas de madame Bovary? La dame artiste finira-t-elle enfermée comme Camille Claudel ?

Ou assistera-t-on à l’avènement d’une femme  cultivée et intelligente de cœur et d’esprit,  émergeant de sa passion, renouvelée, solidifiée, resplendissante? L’écriture aborde avec grande pudeur mais combien de justesse, les errances intimes de cette jeune épouse artiste, livrée aux exigences domestiques d’un milieu bourgeois où elle vit, emprisonnée dans  un  carcan  cotonneux et insipide, en plein dans les années folles. Son mariage érodé la suffoque, l’insensibilité du mari l’a poussée à l’incartade adultère. Le mari est devenu un mur de silences. Soit dit en passant: « La société n’a pas appris aux hommes à parler, c’est pour cela qu’ils condamnent les femmes au silence ». Scripsit.  Elle se le dit, l’écrit, le lit avec effroi et se rebelle par l’écriture que le milieu où elle vit, condamne.

Le mari prend ombrage des livres qui sont son refuge, Le voilà jaloux et de la plume, et de l’écriture. Le terrain est libre pour Octavio,  le compositeur qui la ravit et lui ravit les sens avec son espièglerie d’enfant. Le rire lui revient. La sensualité se savoure comme si on relisait les voluptés de Christine de Pizan… Voici le baiser brûlant, la fougue, l’extase,  l’éphémère, et l’immortel. « Le relent de la fenêtre sur l’impossible ». On pense aux rêves de Jacques Brel... au baiser d'Alain Souchon. Comme cela est  vivement tourné! 

Quelle chute inattendue, quel parcours initiatique vers la paix intérieure, quelle éclosion à ce qu’elle « est », quelle hauteur soudaine  vis-à-vis de ce qu’elle « hait ». Le bonheur, elle le découvre, est « en soi ». Donc,  jamais elle ne retombera en « esclavage ».   Voici un avènement  pur et dur de femme du 21e siècle, droite, sûre d’elle mais  dénuée du  moindre orgueil. No Pride, no Prejudice. La romancière féministe anglaise Jane Austern,  doit se réjouir, de l’autre côté du miroir. Voici, grâce au verbe,  l’existence versus les silences qui tuent.

Comme cela est vivement joué! Dans une mise-en scène fourmillant de détails intéressants, jusqu’à la couleur de l’encrier. Du vieux Rouen? Le texte est incomparablement habité par celle qui l’a écrit. La partition musicale, signée Louis Raveton, souligne le propos par ses clair-obscurs, ou ses mouvements haletants dignes des meilleurs suspenses. Celle-ci rejoint  le moindre frisson de l’âme, chaque révolte, chaque poison combattu avec opiniâtreté, chaque aveuglement …dissipé par la beauté des mots sur la page.

    Voici d'ailleurs le "credo" de l'artiste: "Ce seule en scène est l’occasion de proclamer, à nouveau, l’importance de l’écriture pour les femmes ; véritable lieu de liberté qui leur permet d’avoir accès à elles-mêmes, à leurs pensées, leurs sentiments ainsi que de rêver, de se rêver et de rêver leur vie. 
Comme l’écriture est performative, la femme qui crée acquiert le pouvoir de devenir autre et de choisir sa vie, devenant par là-même un modèle de liberté et d’émancipation. 
Par l’acte même d’écrire, la femme s’affirme comme sujet et non plus comme objet. C’est comme si elle déclarait : «J’écris donc je suis». 
Dans un monde où l’on cherche continuellement à réduire la place des femmes, l’écriture, la création – au-delà de l’acte de subversion – sont un premier pas vers la libération. 
Puissent le livre de la pièce et ce seule en scène être lus, entendus ; puissent les mots écrits et prononcés résonner en chaque être afin de trouver le chemin du cœur et de l’esprit."

Cette pièce, présentée au théâtre de la Clarencière ces jours derniers, a été jouée à Barcelone, à l’Ateneu del Raval, du 10 au 13 mai 2018, au Festival d’Avignon, au Théâtre Littéraire Le Verbe fou, du 6 au 29 juillet 2018 et à Montpellier, au Théâtre du Carré Rondelet du 14 au 16 septembre 2018.

46482950_10215112832107904_2473254108492988416_n.jpg?_nc_cat=111&_nc_ht=scontent.fbru2-1.fna&oh=9b19b73758e29ab9eff7801096801f3b&oe=5C6BC061 Crédit photos : Lucia Herrero

"24 heures de la vie d'une femme sensible"
Texte, mise en scène et interprétation : Eva Byele
Assistante à la mise en scène : Marion Peltier
Création musique : Louis Raveton

Télécharger le dossier de presse

Les jeudi 15, vendredi 16 et samedi 17 novembre 2018 à 20h30  https://www.laclarenciere.be/

Dominique-Hélène Lemaire

11401314_722312941229242_3454305042167414747_n.jpg?_nc_cat=104&_nc_ht=scontent.fbru2-1.fna&oh=07fc23057acb750a38efbe97dd82555b&oe=5C6B9D1C

Lire la suite...
administrateur théâtres

La Thébaïde est considérée comme une oeuvre de jeunesse, mais la beauté et la force des vers de Racine sont déjà là. Le sous-titre de cette tragédie, "Les frères ennemis", désigne Etéocle et Polynice, qui se battent pour le trône de Thèbes sous le regard éploré de leur mère Jocaste. Antigone n'occupe pas le premier plan, mais n'en demeure pas moins un personnage marquant. Quand les vertus de la réconciliation  sont ...bafouées. Présenté au Théâtre des Martyrs.

Première pièce de Jean Racine représentée et publiée en 1664, il a alors 24 ans et marche contre la guerre. Dans son introduction, Racine écrit : « La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante. En effet, il n’y paraît presque pas un acteur qui ne meure à la fin. Mais aussi c’est la Thébaïde, c’est-à-dire le sujet le plus tragique de l’antiquité. »

Il explique aussi que l’amour, qui d’ordinaire prend tant de place dans les tragédies, n’en a que très peu dans la sienne et touche plutôt des personnages secondaires. Ce qui l’occupe c’est bien la haine viscérale profonde que se vouent les deux frères ennemis, Etéocle et Polynice condamnés par un destin implacable, à s'entre-tuer.

L’image contient peut-être : 1 personne

« De tous les criminels, vous serez les plus grands –Silence– »

Les personnages:

ÉTÉOCLE, roi de Thèbes.

POLYNICE, frère d’Étéocle.

JOCASTE, mère de ces deux princes et d’Antigone.

ANTIGONE, sœur d’Étéocle et de Polynice.

CRÉON, oncle des princes et de la princesse.

HÉMON, fils de Créon, amant d’Antigone.

OLYMPE, confidente de Jocaste.

ATTALE, confident de Créon.

UN SOLDAT de l’armée de Polynice.

Gardes. 

La scène est à Thèbes, dans une salle du palais royal.

Cédric Dorier, le metteur en scène ne ménage pas son public. Point de toges antiques, de gracieuses couronnes, de colonnades dorées par le soleil au milieu de champs couvert de coquelicots rappelant pourtant le sang des Atrides sous l’immensité bleue d’un ciel d’Attique… Non, nous sommes conviés aux premières loges d’un huis-clos dont les couleurs glauques sont habitées par l’esprit de 1984, Ninety-eighty Four, la tragédie humaine la plus noire que l’on puisse lire, inventée par George Orwell en 1948. Et dont, jour après jour nous voyons les sombres prédictions se réaliser. Tout autour de ce QG militaire, où règne encore le bon sens de la très attachante Jocaste, on perçoit les bruits du monde dominés par la guerre. A chaque ligne du texte, Jocaste, aidée d’Antigone se dépense corps et âme pour sauver la paix avec une volonté farouche et un instinct de vie incandescent. Saurons-nous écouter ses prières et ses imprécations ? Le texte est envoûtant. Le rythme en alexandrins est un berceau où le verbe fait tout pour sauver du glissement vers les Enfers. Le verbe peut-il sauver ? Les mots feront-ils la différence ? Les femmes, en évoquant l’amour et l’innocence, réussiront-elles à inverser le sort, à juguler la trinité de mal représentée pat Créon, Etéocle et Polynice, tous habités par la haine et la vengeance? 

Le duo des frères ennemis est incarné par Romain Mathelart et Cédric Cerbara qui jouent la mise à mort comme des gladiateurs de théâtre romain, tant dans le verbe et le discours que dans l’affrontement physique. Une scène totalement inoubliable, surtout pour le public scolaire invité. Julie Lenain, en Antigone, Sylvie Perederejew en Olympe, complètent agréablement le trio du Bien et de la lumière.

L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes assises et intérieur

Jocaste (IV,3) 
« Ne vous lassez-vous point de cette affreuse guerre ?
Voulez-vous sans pitié désoler cette terre ?
Détruire cet empire afin de le gagner ?
Est-ce donc sur des morts que vous voulez régner ? »

La soif de puissance de Créon, doublée d’immense fourberie et de manipulation machiavélique est chez Racine effrénée et absolument abominable. Elle dénonce le totalitarisme rampant de nos sociétés.  Brillant comédien, Stéphane Ledune met la puissance d’évocation à son comble. L’orgueil du personnage est un sommet rarement atteint. Même au bord de son dernier geste fatal, Créon menace encore! Que n’écoutons-nous la sagesse grecque antique, pour qui l’hubris est la pire des choses aux yeux des Dieux. Cette mise en scène fait penser que notre monde en serait peut-être à Minuit moins deux minutes sur l’horloge de la fin du monde. En effet, depuis le 25 janvier 2018, l’horloge affiche minuit moins deux minutes (23 h 58) en raison de l’« incapacité des dirigeants mondiaux à faire face aux menaces imminentes d’une guerre nucléaire et du changement climatique ». Si Cédric Dorier voulait par sa mise en scène, dépeindre un enchaînement apocalyptique de rebondissements tous plus destructeurs les uns que les autres, il y parvient pleinement.

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes sur scène

Non seulement le texte est porteur – bien que souvent, hélas peu audible, passé le troisième rang, et …qu’entendre, au fond de la salle ? – mais la modernité, les jeux de lumière, de musique et l’appropriation chorégraphique de l’espace se font de manière magistrale pour épouser le propos de manière organique.

Dommage tout de même, que l’on n’ait pas pu disposer, comme à l’opéra, d’un dispositif défilant le texte. Cela aurait particulièrement aidé les jours où, Hélène Theunissen que l’on adore, jouait en dépit d’une laryngite aiguë. Il est apparu, néanmoins qu’elle n’était pas la seule à capter le dépit, le désespoir ou la colère dans le registre des murmures les plus inaudibles… Ceux-ci font sans doute partie d’un parti pris esthétique et émotionnel très conscient du metteur en scène, mais que l’on a du mal à admettre quand on a résolument pris rendez-vous avec la si belle langue d’un auteur du 17e siècle, surtout lorsqu’il s’agit de chants si désespérés et si beaux!. Ou bien, faut-il avoir relu la pièce avant la représentation ?

Mais, grâce aux vertus cathartiques de la tragédie, il est certain que l’ on est amené, une fois le rideau tombé à questionner notre monde et à repousser ses pulsions mortifères par la raison et le questionnement lucide. Une production brillante et ...désespérante à la fois.

MISE EN SCÈNE
Cédric Dorier
COPRODUCTION Les Célébrants (Lausanne, Suisse), Théâtre en Liberté

JEU Cédric CerbaraStéphane LeduneJulie LenainRomain Mathelart, Sylvie PerederejewHélène TheunissenLaurent TisseyreAurélien Vandenbeyvanghe 

Photos : Isabelle De Beir

RÉSERVER
UNE
PLACE

Grande salle

08.11 > 30.11.18

INFOS & RÉSERVATIONS
02 223 32 08 - http://theatre-martyrs.be/

Dominique-Hélène Lemaire

11401314_722312941229242_3454305042167414747_n.jpg?_nc_cat=104&_nc_ht=scontent.fbru2-1.fna&oh=07fc23057acb750a38efbe97dd82555b&oe=5C6B9D1C

Lire la suite...
administrateur théâtres

Après notre brûlant été 2018, c’est une saison fantastique  qui s’ouvre à Liège avec Il Trovatore de Verdi,  et voilà  un incendie qui se déclare! Alerta ! Alerta ! Du coup de foudre, au brasier des passions, aux tourments du bûcher, aux glaives incandescents sous l’enclume, à cette croix monumentale du Christ rongée aux quatre bouts par les flammes, au feu de camp des gitans,  à l’incandescence des voix…

 S'inspirant du roman gothique romantique de Gutiérrez, Verdi offre des rôles solistes superbement caractérisés qui sont interprétés avec fougue par un casting irréprochable. Voici une sublime installation de tragique sans jamais rien de statique, des voix off oniriques du choeur et de certains solistes, des chants rutilants et visionnaires...  Verdi  fait jaillir la musique enflammée des passions dont nous voyons l’embrasement se propager inexorablement  comme un feu de forêt jusqu’à l’apocalypse finale et ses paroles de damnation. Les solistes, le choeur et son choriphée très proche du théâtre antique sont portés en parfait équilibre avec un orchestre où ils se partagent crépitements, jaillissements, sublimations, éclats, fureurs, explosions et contribuent à accentuer les cascades de pressentiments, les sanglots de douleur et d’amour, les tourments de la jalousie, de l’envie, et de la vengeance. Le châtiment  pour tous. L’œil de la vengeance est immense comme celui de Caïn dans la tombe.  

L’image contient peut-être : une personne ou plus, feu et ciel 

 L’action se déroule dans la Saragosse du XVème siècle. Le comte de Luna est éconduit par la dame d’honneur de la princesse de Navarre, Leonora dont il est éperdument amoureux. Lenora, une divine Yolanda Auyanet  a eu le coup de foudre pour le vaillant Manrico, mais aveuglée par l’amour, elle se trompe de galant...  Azucena, la mère de Manrico, est une gitane obsédée par l’image de sa mère envoyée au  bûcher pour sorcellerie  et qui sur le chemin de son supplice  lui a fait jurer de la venger.  Manrico décide de fuir avec Leonora mais défie Luna qui veut le tuer et  envoyer sa mère au bûcher elle aussi.  Les voilà emprisonnés.   Manrico  en arrive à maudire Leonora dont il croit qu’elle  s’est donnée au Comte pour le sauver. Mais celle-ci bien sûr  a avalé du poison et ne sera jamais l’épouse de Luna.  De rage,  celui-ci ordonne  l’exécution par les flammes de Manrico  tandis qu’Azucena lui explique  qu’il vient de tuer son propre frère  puisque Maurico a été adopté suite à un malencontreux échange d’enfants sur le bûcher. L’opéra s’achève sur la vengeance d’Azucena  qui  a enfin vengé la mort de sa mère… Stefano Virioli signe la mise en scène, Franco Marri est aux lumières: scènes de genre embrasées et flaques de lumière dans les scènes intimes.   

 Cet opéra, un monument de séduction musicale,  dirigé par Daniel Oren aura subjugué une salle, elle aussi enflammée.  Comment ne pas être consumé de plaisir devant la beauté vocale périlleuse des différents  interprètes, tous animés d’une gigantesque flamme intérieure, d’une force et d’une énergie impressionnantes. La complexité musicale de la partition, sa finesse et ses paroxysmes sont  rendus  à la perfection  par l’illustre Daniel Oren, figure légendaire du monde musical  régulièrement invité  dans les lieux les plus prestigieux de notre planète.  On  est certes reconnaissant  au directeur de L'Opéra de Liège Stefano Mazzonis di Pralafera d’avoir pu le convier sur la scène liégeoise. Scrupuleusement attentif aux possibilités vocales de chacun, il maintient une balance parfaite entre les chanteurs et l’orchestre, offre des litières de pizzicati quasi inaudibles pour accueillir les émotions les plus délicates  lors des moments de grâce. Chaque phrasé et chaque nuance sont presque palpables. Quelle douceur infinie dans cette scène avec Violetta Urmana en Azucena,  « mère » passionnée de Manrico-Il Tovatore et figure prophétique,  qui, dévastée par la douleur, clouée au sol, presque morte, émet un chant en duo avec Leonora  que l’on sent émerger de façon quasi imperceptible,  sans que personne ne puisse dire quand cela a commencé. 

 L’œuvre, un monument d’imbroglio romantique et d’invraisemblances, prend le public au cœur de l’irrationnel et de l’émotionnel,  là où siègent les pires pulsions humaines, un lieu sombre où prospèrent les superstitions,  l’on met à mort les sorcières, où fleurit la rivalité,  la haine, où règnent l’orgueil, la jalousie et la soif du pouvoir et finit par conduire inexorablement vers l’enfer.

  O terque qua terque… voici l’inévitable triangle  évoqué par le choix du décor qui évoque une  sorte de pyramide monumentale au pied de laquelle coule le sang des sacrifices humains et rappelle la forme préférée des bûchers. Elle est constituée de deux volées d’escaliers sur lesquels fourmille la sombre dramaturgie espagnole et les gitans.

Le triangle évoque le personnage central, Il Trovatore, un légendaire Fabio Sartori qui est à la fois le rival amoureux du Comte de la Luna, son ennemi guerrier, et l’enfant volé qui s’avère être son frère perdu... Hélas, les retrouvailles sont sanglantes, et frappées par un destin aveugle et destructeur qui indique que la vengeance n’a pas de fin dans la lutte subconsciente entre frères… 

Cette pyramide souligne bien sûr aussi le triangle infernal dans lequel évolue le mysticisme de l’amour  indéfectible de l’ardente  Leonora et son formidable trouvère, Fabio Sartori, un monstre de la scène,  face à  Mario Cassi dans le rôle du Comte de la Luna, qui  nous offre une remarquable performance de  la passion virile et  dévorante. Tous trois jouent à fond l’intensité dramatique, jusqu’aux limites de l’insoutenable violence des sentiments.

La pyramide  est aussi couronnée par trois pics d’actes manqués, qui stigmatise l’aveuglement des passions humaines et souligne une  criante   symbolique  émotionnelle  chez ces personnages.  Leonora, dans la scène du balcon  dans son duo plein de fraîcheur avec Inès (Julie Bailly)  rêve à son idylle, mais  se trompe  fâcheusement d’amoureux! Ensuite, la sorcière se trompe d’enfant et jette le  sien dans le brasier, et finalement, le frère finit par tuer par erreur, son propre frère.  Et c’est la musique somptueuse de Verdi sculptée dans  une infinité de  clairs-obscurs qui soutient  ces  différents édifices de façon grandiose.  C’est ainsi que le public, conquis par cette production fantastique entre mélodrame, onirisme et symbolisme, offrira de longues flambées d’ovations et d’applaudissements pour saluer le succès de ce spectacle monumental servi par des artistes flamboyants.  

Streaming

SAMEDI 22 SEPT. 2018 à 20h30 sur Culturebox.

    https://www.operaliege.be/spectacle/il-trovatore/

Lire la suite...
administrateur théâtres

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes deboutJuste ce qu’il faut d’atmosphère sensuelle et méridionale des palais de l’Andalousie du XVIIIe siècle et au bout…. Le bonheur !

 Envoûtés par la qualité de la musique et  celle de la distribution éblouissante réunie sur le plateau de l’Opéra de Liège,  les spectateurs  participent, à  une  folle journée (le sous-titre même  de la pièce  Le Barbier de Séville  de Beaumarchais) vécue par Figaro, valet du Comte et Suzanne,  camériste au service de la Comtesse Almaviva, habitant une belle demeure à Séville.

7._van_wanroij_acte_2_01.jpg 

Après une ouverture fulgurante,  augurant le caractère ludique de l’opéra et de son issue heureuse,  les deux amoureux préparent leurs noces, mais  le Comte, un coureur impénitent, a juré  d’exercer son « droit de cuissage » sur Suzanne, la   jeune  et séduisante  fiancée. Mis au courant, Figaro, jure de déjouer les plans de son maître.  «  Se vuol ballare signor contino » déborde d’énergie  combattante et annonce un personnage de haute voltige.   Mais  Figaro se heurte  à de nombreux écueils :  Don Basilio (Enrico CASARI), le maître de musique, qui joue le douteux rôle de l’entremetteur pour le Comte,  Marcellina ( une ébouriffante Alexise YERNA), soutenue par maître Bartholo (Julien VÉRONÈSE) , qui,  après avoir prêté de l’argent à Figaro contre promesse de mariage, espère bien se faire épouser, mais finit  par découvrir qu’elle est sa mère, ce qui résout la question! Et aussi, parmi les gêneurs,  l'adolescent craquant et adorable, Cherubino,  amoureux de « sa marraine », la Comtesse, mais aussi  amoureux de toutes les femmes à la ronde.

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes sur scène et mariage

Judith VAN WANROIJ,  La Comtesse,  loin d’être une personne figée et compassée, vit dans l’opulence  mais elle est désabusée par les frasques  de son mari volage, par ailleurs "Grand d'Espagne!". Elle se révèle  être d’une  vive et belle intelligence et d’une humanité touchante, comme dans son air «  Porgi Amor », un vrai coup de cœur.  Tout ce qu’elle chante porte un relief extraordinaire.   Elle est restée la Rosine pétulante, enlevée jadis par le Comte et partage l’esprit rebelle et critique de son impertinente  compagne, Suzanne. Ensemble elles vont tramer des pièges pour faire ... entendre raison!  Ainsi ce   merveilleux duo « Sull'aria » où la comtesse dicte  le billet donnant rendez-vous au comte. Une merveille d’harmonies féminines.  

L’image contient peut-être : 2 personnes

Surprises, déguisements, quiproquos, situations embarrassantes, rebondissements dignes de vaudeville émaillent donc l’histoire  dans un  tempo vif et enjoué, jusqu’à ce que tombent les masques au quatrième acte. Le tout est ciselé avec finesse, saveur et jubilation par le maître de musique: Christophe Rousset,  titulaire de deux rôles.  D'une part, instrumentiste délicat et talentueux, au piano forte qui illumine l'ouvrage, et de l'autre,  incomparable chef  de l’architecture musicale de l'opéra.  Il a un don extraordinaire pour mettre  les choses en musique : révélations, surprises et revirements... Il narre cette histoire hautement ludique avec brio  et  intercepte  la  multitude  des états psychologiques  tout en faisant mystérieusement  ressortir  le regard critique  de Mozart sur de l’Ancien régime, par des modes burlesques. Il pénètre inlassablement l’arrière des masques et déjoue les singeries sociales, questionnant avec humour les rapports homme-femmes. Avec une préférence pour les femmes? 

En dehors du plaisir intense de la musique, la réussite de ce spectacle tient  particulièrement à la mise en scène d’une pureté dé(?)concertante! Signée Emilio Sagi.  Cela dit beaucoup!  Les décors et les costumes en élégantes teintes pastel ou sable, sont  comme  - idéalisés -  et jouent avec de belles  luminosités et la subtile blancheur du palais, jusqu’au dernier acte - le plus fou et où la musique a atteint un niveau quasi charnel -    qui se déroule, lui  dans un  luxuriant jardin semi-tropical, un paradis où ne peut qu’advenir le pardon, indissociable compagnon de l’amour véritable.

Mais la réussite parfaite de cette production tient  bien sûr surtout  à la qualité de ses interprètes.  Aux côtés de la  Comtesse  pleine de charme, de noblesse  et  de profondeur, Jodie DEVOS met sa voix claire et naturelle ainsi que  sa malicieuse théâtralité au service du  fougueux personnage de Suzanne, plus maîtresse que suivante!  Elle est le centre de tous les duos qu’elle mène sans faiblir…avec la vaillance musicale  intrépide que l’on lui connaît.  L’exquise Raffaella MILANESI  est le jeune Chérubin: du vif-argent éveillé à l’amour qui gambade sans la moindre retenue, tel un jeune dieu, libre, farceur, tendre, passionné, possédé par l’énergie grisante et urgente  de son personnage.  Quant au Comte Almaviva, il est superbe,  tellement déterminé et sûr de lui dans son inconstance toute masculine.  Il  est interprété par un  Mario CASSI tout-à-fait solaire. Sa tessiture semble rayonner et vibrer, caressant les plafonds et les  fenêtres du palais, continuant à jouer  de splendides couleurs de parade masculine,  même si  ...c’est finalement  Suzanne qu’il découvre dans le placard à la place du jeune amant qu’il brûlait de surprendre  à l'acte II, ou  même s’ il ...se  fait piéger par Suzanne et la Comtesse à l'acte IV,  et apparaît  comme un personnage plutôt ridicule.

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes assises

Délicieuse Julie MOSSAY dans  Barbarina, qui elle aussi décline une des facettes de l’amour dans sa belle cavatine de l'Acte IV  … et un jardinier râleur et intempestif à souhait, très bien campé sous les traits de Patrick DELCOUR.    Mais la palme revient sans doute  au chatoyant  Figaro,  le jeune baryton Leon KOŠAVIC à l’élocution parfaite. Un homme de caractère,  qui n’a rien à envier à son maître en termes de voix masculine  affirmée, héroïque et radieuse, et  à travers lequel on perçoit  un  brûlant de désir de construire un nouveau monde, rêvant pour  celui-ci,  de  plus d’amour,  plus de  justice et de  plus  de liberté. La densité et la musicalité du  final est un  sorte d’aboutissement heureux, de fusion parfaite du comique et du sérieux du livret, le moment  où s’arrête enfin  le tourbillon de ces personnages illustrant si bien l'esprit du XVIIIe siècle, celui  où le regard et l’oreille se trouvent confondus d’admiration devant l’esthétique de la  mise en scène  et  la  qualité  sonore  de la production.

29793670_2066193180076725_8585094485979955200_n.jpg?_nc_cat=0&oh=f4eeb8a113c2d64822e99f1c281fca36&oe=5B6022C1

 En Italien DIRECTION MUSICALE : Christophe Rousset MISE EN SCÈNE : Emilio Sagi CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice  ARTISTES : Mario Cassi, Judith Van Wanroij, Leon Kosavic, Jodie Devos , Raffaella Milanesi, Julien Véronèse, Alexise Yerna, Julie Mossay, Enrico Casari,Patrick Delcour  

NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS : 5 DATES : Du vendredi, 06/04/2018 au samedi, 14/04/2018

 

Avec L’Orchestre et Chœurs de l’ Opéra Royal de Wallonie-Liège, nouvelle production

Vous trouverez ici des Ressources  à propos de  la biographie de Mozart.

 

Lire la suite...
administrateur théâtres


Ce « Double bill » comme on l’appelle à New-York, surnommé "CavPag"  par certains spécialistes,  est une nouvelle perle  au diadème du répertoire de la Monnaie. Il présente donc deux opéras  "Cavalleria rusticana" et "Pagliacci"  écrits par deux compositeurs italiens différents et  qui se connaissaient à peine mais dont la parenté littéraire est évidente.  Héritières de Verdi,  les deux  œuvres  qui traitent le même thème, se trouvent aujourd’hui liées pour l’éternité dans l’histoire de l’opéra et annoncent déjà Puccini.  Le drame en un acte de Verga « Cavalleria rusticana »,   a inspiré Mascagni et  a permis au souffle vériste de se propager dans le monde de l'art lyrique. La première de l'œuvre eut lieu à Rome en 1890 et  aété pendant deux décennies, la figure de proue de l'opéra italien. « Pagliacci » l’opéra en deux actes de Ruggero Leoncavallo, fut créé le 21 mai 1892 au Teatro Dal Verme à Milan.

A la fin du XIXe,  Pietro Mascagni et Ruggiero Leoncavallo sont les deux porte-étendards  du mouvement vériste qui se greffe sur  l'œuvre littéraire d'Émile Zola (1840-1902)  illustrant  par le nouveau genre de  ses romans réalistes,  la vie  précaire réservée aux couches modestes de la société et aux opprimés.  Ces  deux opéras véristes parlent un langage ordinaire, vivent  humblement par opposition aux figures sublimes qui peuplent les opéras italiens classiques  et mettent en scène des personnages de la vie de tous les jours, aux comportements peu  édifiant et aux réactions spontanées parfois très dévastatrices. En n’excluant pas la violence domestique…et le meurtre passionnel.

Cavalleria rusticana 

 Veristissimo bouleversant ! Tragique destin de deux tranches de vie dépeignant l’amour entre  simples gens du peuple qui,  hantés  par la jalousie,  ne voient comme issue, que la mort.   Mais avant cela, que d’intensité dans l’exposition des deux mélodrames aux contours hyper réalistes! 

Cavalleria rusticana

Créativité intense dans la recherche du sens : la mise en scène de Damiano Michieletto est très adroite  car elle réussit à imbriquer les deux œuvres l’une dans l’autre, en travaillant notamment  sur  des incursions des personnages d’un drame  vers l’autre.  On peut observer soit des signes annonciateurs,  soit des  flashbacks émouvants qui font référence à  l'histoire d'à côté…  En effet Silvio et Nedda apparaissent dans l’intermezzo de la première histoire, tandis que  Santuzza  se retrouve dans les bras de Mamma Lucia dans  la deuxième.  La force  destructive de la jalousie est le point commun des deux œuvres et la confusion entre réalité et fiction est clairement le pivot de «  Pagliacci ». Quant à la jalousie, n’est-elle pas  elle aussi le fruit toxique d’un imaginaire qui prend ses doutes et ses craintes pour de la réalité? Pour couronner le tout, le temps de Pâques et  de l’Assomption se font la révérence, abolissant le temps  et le délires humains, en un clin d’œil farceur…

Cavalleria rusticana

 Créativité intense dans la recherche de l’esthétique : le plateau tournant permet l’utilisation de différents lieux du drame, en variant la profondeur de l’approche, comme une caméra de cinéma italien des années 50. Les moments « d’entre-deux » où l’on peut contempler en même temps la scène qui s’éloigne et  la suivante qui  est en train de surgir  se parent d’émotion presque métaphysique,  car  le spectateur cesse brutalement  de  participer directement  au drame pour accéder à une approche omniscient de l’action.  Esthétiquement, les différents moments de chaque tableau pourraient  chacun constituer des  tableaux très plastiques de la vie simple des petites gens. Pour exemple ces images captant la vie qui palpite dans l’atelier de pâtisserie où la pâte  généreuse se pétrit, la farine vole et les fours s’allument   et celle qui frémit dans la loge de théâtre et dans la salle de spectacles de "Pagliacci".  Les décors, c’est du Hopper live ! ...On est comblé. De très beaux mouvements de foule contribuent aussi  à lisser  le dénominateur commun des deux actions et de fondre  les deux œuvres l’une dans l’autre. 

Cavalleria-Rusticana-400x215.jpg

Interprétation primordiale : Dans ce genre d’opéra, en dehors des couleurs totalement pittoresques portées par un orchestre sous la baguette narrative d' Evelino Pido, l’interprétation est primordiale et le défi de chanter, jouer et convaincre est pleinement réussi dans cette extraordinaire  production de la Monnaie.   Pour les voix, nous avons été bouleversés par Mamma Lucia, plus vraie que tout, d'une cuisante d’humanité, incarnée à la perfection par Elena Zilio. Chacune de ses paroles, chacun de ses gestes pèse un million  d’affects et de justesse de sentiments. La jeune excommuniée, Santuzza (Eva-Maria Westbroek) aux abois est en tout point plus vraie que nature…et surtout stupéfiante dans ses côtés sombres. Elle est très convaincante aussi  dans ses échanges désespérés avec Turridu (Teodor Ilincai)   qui brandit de  très beaux vibratos. Le ténor projette avec éclat le machisme made in Italy et une violence qui n’a rien de larvé.  L’immense Sylvio, symbole du pouvoir et de la frime est joué par un formidable Dimitri Platanias, baryton plein de panache qui s’alimente  au monstre aux yeux verts de Shakespeare, mais n’aura jamais l’occasion de regretter son geste.

Pagliacci

Dans "Pagliacci", franchement plus manichéen, on retrouve une  très habile mise en abîme de scènes naïves de la Passion rappelant le temps de Pâques,  -  anges y compris - …alors  que les pittoresques processions mariales du 15 août que l'on a pu admirer dans le premier opéra devraient battre leur plein devant la salle des fêtes où se jouera le drame à 23 heures… Le personnage de Canio (Carlo Ventre) très attendu  et brillant dans son « Recitar ! - Vesti la giubba », impressionne tandis que le jeune couple Nedda-Silvio, joue l’amour innocent,  léger et bucolique. On est  franchement gâtés par les duos  de Simona Mihai et de Gabriele NaniEt Tonio (Scott Hendricks) s’avère bien  lourd, harcelant et écœurant, après un prologue pourtant très  "matter-of-fact" ... mais cela, c’est sans doute la faute au vérisme!  

Pagliacci

https://www.lamonnaie.be/fr/program/427-cavalleria-rusticana-pagliacci

Lire la suite...
administrateur théâtres

Le titre est franchement plus sarcastique en anglais : How the Other Half Loves… Mais la référence,  coup de griffe à l’œuvre proustienne, ne manque certes pas de sel…   La  pièce (1969) a lancé le succès fulgurant de l’auteur dramatique anglais Alan Ayckbourn, probablement le dramaturge anglais  le plus joué après Shakespeare, avec plus de 80 pièces. Il  fut anobli par la Reine Elizabeth II en 1997  "pour services rendus au théâtre".

Daniel Hanssens  en signe la mise en scène et l’adaptation.    Laure Godisiabois, Frédéric Nyssen, Catherine Decrolier, Pierre Poucet, Amélie Saye, Thomas Demarez sont les joyeux lurons qui feront de cette œuvre un festival d’humour burlesque féroce et se partagent le carnage domestique. Le réalisateur, producteur Francis Veber, auteur du « Dîner de cons »  en fit la première adaptation pour le théâtre de la Madeleine à Paris en 1971.  

L’image contient peut-être : 1 personne, assis et intérieur

Il y a deux couples voisins : Frank et Fiona Foster, couple distant  bon chic bon genre,  vs Bob et Terry Phillips, plutôt peuple, orageux et déjanté!  On découvre la   relation adultère entre un homme marié (Bob) et la femme de son patron (Fiona)  et leurs tentatives  pour couvrir leurs traces en  utilisant un troisième couple, William  et Mary Featherstone qui doit être leur alibi.  Une série de malentendus, de conflits et de révélations ne manque pas d’éclore à chaque pas. Le terrain est miné et  fait trembler le plateau divisé en deux appart’ début des années 70dans les chaudes couleurs orange. Ils sont  tellement  identiques qu’ils se confondent et partagent la même table de cuisine ou de salle à manger, avec une même nappe, à  part sa couleur! All on the same boat ! Costumes d’époque.  L’effet de théâtre absurde bien inventé dure à souhait, conforté par  une  même sonnerie de téléphones fantômes. Les couples se frôlent sans se voir ni se cogner, se parlent sans savoir que les autres sont là! Sacré vertige pour le spectateur admis dans le secret des dieux!  C’est notre partie préférée.

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes debout, table et intérieur

 On peut aussi pointer le contraste intéressant entre la nature des relations entre Fosters et Phillips  qui est  accentué par la différence visuelle dans leurs espaces de vie et leurs meubles respectifs, tout en coexistant dans le même espace  scénique. Jolie entourloupe : lorsqu'on leur a demandé où ils se trouvaient, Bob et Fiona mentent chacun à leur conjoint, prétendant avoir dû réconforter, respectivement, William et Mary Featherstone. Encore un couple très bien campé. Mary va-elle prendre sa revanche sur un mari qui la contrôle, et l’intimide à mort? Le conflit de Teresa et Bob culmine quant à lui lorsqu’ils s’arrachent sur une progéniture envahissante et intempestive qui enchaîne les bêtises. L’action burlesque violente sur scène  culmine autour de la table d’invités,  remettra-t-elle tous les compteurs à zéro ? La  sauvagerie comique délirante est grinçante à souhait.  Poivrez  le tout cela d’appels téléphoniques fantômes,  et vous aurez la recette d’une comédie pathétique et  désopilante, signée par notre amoureux des lettres anglaises, Daniel Hanssens et qui vous promène dans les mécaniques boulevardières  avec le plus grand sérieux sarcastique.  

L’image contient peut-être : 2 personnes, personnes debout et intérieur

« Du côté de chez l'autre »
d'Alan Ayckbourn

Crédit photos : Grégory Navarra

 

Du 5 au 9 décembre au Centre Culturel d'Auderghem – CCA

Spectacle des fêtes 

 


Du 15 au 31 décembre au Centre Culturel d'Uccle

Infos & Réservations : 02/560.21.21 ou comediedebruxelles.be

L’image contient peut-être : 6 personnes, personnes debout

 

Lire la suite...
administrateur théâtres

Second Degré

...comme on les aime !

Déflagration : entre fable d’histoire naturelle et scalpel qui dépiaute les maladies de la société, Geneviève Damas se livre, sur papier et sur le plateau, au propre et au figuré, sans réserves comme si l’urgence était de sauver une espèce en voie de disparition, celle de la femme vivante, animale, animée de désir, prête à risque tout pour vivre sa vie de chèvre de Monsieur Seguin : enfin libre d’ « être », même au risque de se faite dévorer. Plutôt que de se sentir la corde au cou, corvéable à merci et d’être rangée parmi les robots nés pour servir les hommes. C’est dit. Bien qu’à demi-mots. Car la peine profonde reste toujours très silencieuse si pas muette.

LaSolitudeDuMammouth-DominiqueBreda5 Bérénice est une femme parfaite, comme dans American Beauty. Elle fait tout, contrôle tout, jusqu’au moindre brin d’herbe du gazon, jusqu’au nombre de pommes du pommier qui trône dans son paradis sur terre. Mais elle se meurt aux côtés de son professeur de mari, qui ne rêve qu’à ses palmes académiques. Sauf que, lorsque son mec, met les bouts avec une jeune et ravissante monture pour ses ébats amoureux, elle s’écroule d’abord, et croque ensuite avec délices, question de se relever, la pomme de la vengeance. Plus la violence est dissimulée, plus elle la galvanise. Elle perd tout principe moral, toute notion de civilisation et renoue dans un crescendo renversant, avec la sauvagerie originelle. Là est la fable. Le rire salvateur est au rendez-vous, il fuse à chaque ligne du monologue. Le jeu théâtral et la mise en scène sont succulents. On ressort rincé et rafraîchi par ce déluge de fantasmes qui déboulent sur scène et dans le texte, au rythme d’une révolution cosmique. Bousculant tous les codes, retournant toutes les médailles, faisant feu de la moindre convention, l’écriture est incisive et tranchante. Le texte se dévide, implacable. La mise en scène des frustrations et des désillusions sonne on ne peut plus juste …et la vengeance sophiste sur l’estrade sera caricaturale. Une fausse justice fait écho à une cause désespérée !

Geneviève Damas pendant une répétition de "La Solitude du Mammouth"

Grande habileté artistique due à la connivence des artistes, Emmanuel Dekoninck, le metteur en scène, joue un duo parfait de ce texte bourré de dynamite, avec la romancière et la comédienne, Geneviève Damas. L’action se précise au rythme corrosif d’un succulent thriller, qui n’est pas sans rappeler des nouvelles de Roald Dahl ou des romans de Barbara Abel.

25158013_1895501763798032_8434870910700125811_n.png?oh=c64d9c143c839e2fe8e7164aced5fcf8&oe=5A88EF33Aussi désillusionnée qu’une Madame Bovary, Bérénice déclare la guerre à qui lui a ravi son désir, rendu la vie étriquée, mis les sentiments aux abonnés absents …. Comme Médée, cette Bérénice a deux enfants. Ils sont invisibles, Rufus et Paëlla. Elle les laisse sans vergogne aux soins de la voisine. Qui sait, une chance pour eux ? Au passage, quelle preuve de désamour que ces noms-là ! Et comme la Médée antique, elle découvre la cruauté sans limites, se servant de la vengeance pour combler son abandon et y survivre. La loi sauvage du plus fort prévaudra. C’est comme cela, en histoire naturelle. La caricature est diablement efficace. Il n’y a rien d’innocent dans la démarche. Et il y a des plumes à perdre pour certains adeptes des robots féminins living in a Perfect World !

http://theatre-martyrs.be/saison/la-solitude-du-mammouth/8FE8AF55-D332-B17E-18F4-9A1A90CD7F22/

La solitude du mammouth

Lire la suite...
administrateur théâtres

La Chypre imaginaire de Shakespeare est une  riche possession vénitienne, bastion  entre l’Islam et la chrétienté orientale. Priorité à la structure et aux couleurs : les notables festoient sur  l’esplanade d’un palais vénitien dans un déluge de tenues d’apparat, dignes de tableaux renaissance de Véronèse : Les noces de Canna (1562)?    On ne peut qu’être remplis d’admiration pour ces costumes rutilants faits de  tissus et  soieries tellement  raffinés -“Stuff dreams are made of” -   et signés  par le fidèle  créateur de L’opéra Royal de Wallonie: Fernand Ruiz. Ceux-ci, tous différents, font  presque passer au second plan les colonnades antiques du palais où se déroule l’action après la  bataille de Lépante…

Cette histoire Shakespearienne encensée par Verdi avait été écrite en 1603-1604 après la publication d’un édit royal de 1601 ordonnant l'expulsion de tous les Noirs d'Angleterre. Otello, le général maure de l’armée Vénitienne est en extase devant  sa jeune  épouse Desdemona qu’il a épousée contre le consentement de ses parents. Cependant,  son conseiller de confiance, Iago, commence à laisser  entendre que Desdemona est infidèle. Il veut causer la perte d’Otello et le pousser au crime passionnel.  Qui des deux, Otello va-t-il croire : son perfide et envieux compagnon d’armes  ou son innocente  femme? Avec une exactitude presque mathématique, on assiste au développement  du sentiment de  jalousie, depuis sa naissance à peine perceptible jusqu’à son fatal paroxysme. Les chœurs toujours dirigés par Pierre Iodice sont somptueux et constituent un renouvellement ininterrompu de  tableaux vivants  de l’époque Elisabéthaine!

19149332_1732475403448506_8008282694085806649_n.jpg

 

Otello se confond impeccablement avec la ligne ascendante implacable de la jalousie, depuis la confiance extatique au premier acte, jusqu’à l’instant où naît le soupçon infusé avec machiavelisme par Iago, celui où commence la traque de la trahison imaginaire dans une  passion qui s’exaspère jusqu’à la folie bestiale. Et puis, devant le constat de son crime et l’innocence certaine de la victime, il se précipite dans l’abîme du désespoir et de l’inutile repentir. Le ténor   argentin José Cura, formé par Domingo Placido  explore sa partition avec vigueur brûlante et profusion de couleurs.  Son «Abbasso le spade!» clamé avec autorité contraste pleinement avec son duo  avec Desdemona, qui clôt le premier acte. Il diffuse parfaitement sa perception de  la volatilité du bonheur lorsqu’il dit vouloir mourir dans l’extase de l’étreinte de sa compagne.  «Già nella notte densa» déborde de tendresse. Les dieux seraient-t-ils jaloux de ce pur bonheur?

Otello

Jose Cura © Lorraine Wauters 

«  Credi in un Dio cruel che m’ha creato simile a sè ! » Je crois à un Dieu cruel qui m’a fait à son image ! Le sulfureux Iago (Pierre-Yves Pruvot), humilié de s’être vu refuser une promotion,  a engagé une machination infernale pour détruire celui qu’il s’est mis à haïr avec passion.  Il est  consumé par l’orgueil, la jalousie, l’envie et le désir de vengeance. Sa duplicité monstrueuse  fascinante  en fait une figure d’un charisme  infernal qui force  malgré tout l’admiration du public. Quelle prestation et quelle sonorité ! Le baryton Pierre-Yves Pruvot  endosse le costume de l’hypocrisie avec une conviction et un talent vocal et théâtral exceptionnel. Ses moindres inflexions changeantes tantôt caressantes, tantôt menaçantes donnent froid dans le dos tant la fourberie est toxique!

19145793_1732477266781653_2136085662843167168_n.jpg  

 

Desdemona est remarquablement intense dans sa naïveté et son aveuglement amoureux, mais aussi d’une lucidité  surnaturelle  devant l’imminence de sa fin brutale. Cinzia Forte  qui s’est illustrée sur la scène de l’Opéra de Wallonie plusieurs fois, RigolettoLe Nozze di FigaroFidelio et La Bohème) possède une voix pleine de fraîcheur de délicatesse et de rondeur. Ses aigus soulignés par la finesse des violons et en suite  celle des  bois sont super légers !  Son désarroi devant les accusations injustes est  immensément touchant. « Atterré, je fixe ton terrible regard, en toi, parle une furie ! » « L’Eternel voit ma foi ! »L’orchestre est en délire et l’accompagne dans son sentiment d’injustice. Otello l’étouffe sur sa poitrine, elle fuit et les cordes soulignent son isolement. Plainte douloureuse, le soleil s’est éteint.  On retrouve la hantise de l’antiquité grecque.  Dans la fange amère et glacée, elle pleure son âme qui se meurt. Après son Ave Maria, « prega per noi ! » elle quitte le coussin sur lequel elle s’était agenouillée pour s’approcher du lit mortel. L’Amen est illuminé bordé de violons fins comme des cheveux d’ange  Son jeu  final d’oiseau pour le chat est pleinement attendrissant et semble penser :  « Tue-moi mais fais vite !» « As-tu prié » demande Otello ! «  Mon pacte est l’amour. » Tout est dit !

19149373_1732478070114906_3282010000752505476_n.jpg

S’il visait l’excellence  pour sa dernière représentation à L’Opéra de Liège,  Paolo Arrivabeni, dont  c’est la dernière saison, a atteint pleinement son but. Il  confirme sa très fine et profonde  connaissance de l’œuvre et son habileté pour traduire tous les sentiments. Il  parcourt la triple tragédie  dans les moindres détails, avec un sens aigu des variations d’atmosphères et un traitement époustouflant des orages annonciateurs de  tempêtes de sentiments dont les humains sont victimes. La pâte sonore luxuriante semble monter comme un immense soufflé de haine, de jalousie et de désarroi d’une rare  intensité. De la place où nous étions, nous avions une vue plongeante sur l’orchestre, de quoi pouvoir observer les moindres détails des interventions des instrumentistes. Joie musicale redoublée. Quatre notes de harpe disent la nuit qui descend, l’accompagnement du rire de Iago est fracassant et quand le doute pénètre Otello, les cordes en tremblent ! Le venin de la trahison imaginaire s’infuse dans les bois, la colère d’Otello bouillonne avec un orchestre en folie alors que genou à terre celui-ci fait un pacte avec le Diable! Les cuivres sont sanguinaires : « Comment vais-je la tuer » se demande Otello ! Et la munificence de la cour vénitienne déferle avec les chœurs qui saluent le vainqueur de Chypre. A la fin du 3e acte le chef a donné toute sa force et est épuisé par le paroxysme musical. A la fin du 4e acte, le dernier souffle de vie est expulsé par l’orchestre.    19224769_1732477563448290_253497608858692607_n.jpg

Le jeu de la suivante, Emilia n’est pas moins convainquant « Je suis ta femme, pas ton esclave ! » assène-t-elle à Iago. Alexise Yerna a été entendue sur la même scène dans Manon, Luisa Miller, Rigoletto, Ernani, Il Barbiere di Siviglia, Lucia di Lammermoor, La Traviata et Orphée aux enfers. Les deux femmes sont à la pointe de l’intimité, elles s’entraident avec la ferveur du désespoir.  Leur duo tendre souligné par les hautbois est un moment d’émotion intense et lumineuse. C’est elle qui expliquera avec détermination la félonie de son mari  à l’ambassadeur de Venise (notre cher Roger Joachim). Et Cassio, le jouet du destin, c’est  Gulio Pelligra (dans Nabucco en octobre dernier) qui l’habille d’une très belle humanité.

SAISON : 2016-2017

DIRECTION MUSICALE : Paolo Arrivabeni MISE EN SCÈNE : Stefano Mazzonis di Pralafera CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice ARTISTES : José CuraCinzia FortePierre-Yves PruvotGiulio PelligraAlexise YernaRoger JoakimPapuna TchuradzePatrick DelcourMarc Tissons

NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS : 6DATES : Du vendredi, 16/06/2017 au jeudi, 29/06/2017  

http://www.operaliege.be/fr/activites/otello

Crédit photos: Lorraine Wauters

Lire la suite...
administrateur théâtres

Aida - Verdi à la Monnaie

L’image contient peut-être : 1 personne, nuit et plein airDirection musicale : Alain Altinoglu / Samuel Jean (les 30, 31 mai et 2 juin)

Mise en scène : Stathis Livathinos

Aida ou le rêve d’un ailleurs, Radamès ou le rêve du devoir et de l’amour réunis, Ramfis, ou le rêve de  la justice divine, Amnéris ou le rêve de la jalousie surmontée, Amonastro ou le rêve du royaume retrouvé, Verdi ou le rêve de l’amour transcendé… Une île au large du désespoir!

Faisant fi de l’esthétique monumentale – disparus : éléphants,  pyramides, toute l’Egyptomanie ruisselante de fastes pharaoniques –  nous voici sur un vulgaire caillou, récif hostile et déserté par la vie, quelque part en Méditerranée.  Un « Paradise lost » pour Aida, la belle esclave éthiopienne au service de la fille du pharaon, Amnéris, par malheur  également amoureuse de Radamès le vaillant héros. Aida, partagée entre l’amour et les devoirs qu’elle doit à son père, ennemi du pharaon et son amour pour le vaillant  Radamès.  Radamès, partagé entre son amour inaltérable pour Aida et son amour et devoirs pour la patrie.  

Mais il ne s’agit pas de simples rivalités amoureuses ou de fresque pseudo-historique, la  mise en scène de  Stathis Livathinos  (dont c’est la première mise en scène d’opéra), est digne d’une tragédie grecque. Importent au premier chef, l’intemporalité et la lutte existentielle  perdue d’avance entre les trois tenants du triangle amoureux  que le Destin se charge d'écraser. La souffrance humaine est au centre, le couple est maudit. Radamès emmuré dans la tombe, n’est-il pas l’incarnation masculine d’une Antigone injustement  privée de  cette lumière qu’elle adorait plus que tout?  « La pierre fatale s’est refermée sur moi, Voici ma tombe, je ne reverrai plus la lumière du jour… »

Nous sommes déjà  dès le début avec un pied dans  la tombe, la machine infernale, telle le pendulum d’Edgar Poe est prête à faire son œuvre. Vents, rafales, nuées hostiles  étranglent le décor dès l’ouverture du rideau. Le ciel est comme un couvercle… mais l’imaginaire a gagné ! L’œuvre se recentre sur la musique, et quelle musique!  Un concert de sentiments à vif et d’introspection, d’atmosphères orientales et de désirs intenses dirigé tout en finesse par Alain Altinoglu. Le lyrisme orchestral est omniprésent. Le rêve de gloire de Radamès exulte dans la richesse des sonorités  des cuivres et trompettes. La harpe et la douceur irisée des bois et des cordes souligne les moments de tendresse, lorsque par exemple  Aida endormie dans le rocher fait une apparition divine, « Céleste Aida ».   L’impitoyable duo d’Aida et d’Amnéris  à qui elle a involontairement avoué son amour pour Radamès, est trempé de larmes musicales. Le trio « Mes larmes sont celles d’un amour impossible » chanté par les trois infortunés  se termine par des accords déchirants.  Les évocations de drame intime diffusent des vibrations profondes et sincères  au sein d’une très grande variété d’expressions.   A chaque étape, un silence lourd comme un tomber de rideau étreint l’assistance totalement prise par l’émotion,  avant que la tragédie ne poursuive son  cours inexorable. Dans cette chanson de geste tragique, chaque nouveau rebondissement ajoute une recrudescence de désolation répercutée par l'orchestre.  Alain Altinoglu relance inlassablement l’intérêt et joue à merveille tous les registres, de l’intime au spectaculaire:  les cris de vengeance et de puissance, les fanfares guerrières, les  terribles déclarations de guerre,  les  implorations  sacrées des prêtresses, les  jugements iniques des  grands prêtres,  les  foules aveugles en liesse, les plaintes des esclaves et des prisonniers,  les  éléments en furie et le silence du ciel!  Sa musique est enveloppante comme le chœur  d'une tragédie grecque! 

 

On ne pouvait pas élire meilleure interprète du rôle d’Aida que la sublime Adina Aaron, jeune  soprano lyrique  américaine,  bien connue dans le rôle d’Aïda depuis sa prestation à Busseto (Italie)  pour la commémoration du  centenaire de la mort de Verdi en 2001, dans la mise en scène de Franco Zeffirelli. Une voix extraordinaire qui dispose d'une maîtrise technique parfaite. Les affres éprouvées dans son rôle d’esclave alors qu’elle est fille de roi, sont pleinement convaincantes. Elle joue sans fards, avec une émotion, une  intelligence et une sincérité remarquables.  « Dois-je oublier l’amour qui a illuminé mon esclavage? Puis-je souhaiter la mort de Radamès, moi qui l’aime plus que tout ? »  Est-ce son espoir éperdu de fuite avec Radamès  évoquant  le sort des milliers de réfugiés qui parcourent la Méditerranée aujourd’hui, qui nous émeut jusqu’aux larmes? Dans l’« air du Nil », la jeune esclave exprime toute la nostalgie et son attachement au pays natal. Comment ne pas voir à travers cette prestation  que l’espoir intime des milliers de réfugiés est justement d’oublier les persécutions, la guerre. « Fuyons les chaleurs inhospitalières de ces terres nues, une nouvelle patrie s’ouvre à notre amour ! Là nous oublierons le monde dans un bonheur divin… »   Sa prestation vocale charnelle et généreuse rejoint la plainte d’une Antigone, victime expiatoire de la superbe et de l’intransigeance des puissants. Le duo final du couple dans la tombe  les mène d’ailleurs au bonheur divin : « Déjà je vois le ciel s’ouvrir - et il s’ouvre vraiment scéniquement - là cessent tous les tourments, là commence l’extase d’un amour immortel! »  Ce duo  rappelle les premières notes impalpables du prélude de l’œuvre. De crépusculaire,  celui-ci devient lumineux.

 L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes debout et nuit

Enrico Iori (Il Re) ; Mika Kares (Ramfis) © Forster

Dans les rôles masculins il y a a le ténor, Andrea Carè, au début, héros assez conventionnel,  mais qui  se développe en un personnage de plus en plus  dramatique et convainquant. On retient cette image inoubliable où, laissés seuls à la fin de l'acte II,  il lâche  avec dégoût et de manière définitive  la main d’Amnéris. Le héros déshonoré aura trahi pour Aida et sa patrie et son honneur... Il se taira devant ses juges. Mais il  ne trahira pas  l’amour!  Quelle posture magnifique! La basse qui interprète le chef des prêtres (dans un magnifique costume) c'est un excellent Giacomo Prestia et le baryton Dimitris Tiliakos qui incarne le père d'Aida, est un Amonasro  d'une  ascendance tout à fait  impressionnante.   

 L’image contient peut-être : 1 personne

© Forster 

A l’opposé de tant de finesse et de nuances chez Aida, il y a évidemment la méchante, interprétée  le jour de la première par Nora Gubisch. La grotesque Amnéris  a transformé son amour inassouvi en colère abyssale. Elle est aveuglée par la colère – une grande faute de goût chez les Grecs. Elle ne se rend compte qu’à la fin, que c’est sa jalousie pure  qui a causé la perte de tout le monde et que la clémence aurait été préférable. Contrairement à Aida, son jeu scénique n’est pas très développé, elle brutalise son esclave, s’arrache les cheveux et lacère se vêtements… On constate que  ses interventions collent au caractère glauque qu’elle incarne, et sa perruque, si perruque il y a,  parodie la coiffure de la très puissante Reine Elisabeth I,  aux pieds de laquelle se prosternaient des dizaines d’amants éconduits… Mais Verdi lui accorde une rédemption puisque Amnéris, la voix étouffé par les pleurs et se prosternant sur la dalle de la tombe implore enfin la paix au tout-Puissant Ptah!   

 

Et qu’est-ce que les mouvements de masse nous donnent-ils à voir ?   Encore le désespoir des déplacés et le cri de l’injustice. Les hommes transformés en chiens et en faucons. Une outrecuidante soldatesque qui appelle à la guerre  et des éclopés de  guerre agités de mouvements frénétiques.  Le mystère d’Isis dissimulé derrière le voile brodé du temple qui cache le saint des saints. La superbe des nantis qui exploitent la valetaille. La foule couleur sable, qui s’enivre de plaisirs ou de mortelles sentences. Cheveux cachés ou poudrés,  leur cœur bat au bruit des drapeaux qui claquent  tels des  nuées d’oiseaux d’Hitchcok, ils symbolisent un peuple muselé, ignare sans doute, manipulé et sans voix… Une sacrée performance pour  un  chœur! Il est  parfois proche, parfois lointain, comme dans le magnifique hymne à Ptah, où leurs harmonies et leur dialogue avec l'orchestre  sont  sublimes! Que de tableaux de  vaine poussière, face à l’héroïsme vivant du couple que l’amour rend éternel!


Distribution : 

Aida ADINA AARON
MONICA ZANETTIN (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Radamès ANDREA CARÈ
GASTON RIVERO* (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Amneris NORA GUBISCH
KSENIA DUDNIKOVA (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Amonasro DIMITRIS TILIAKOS
GIOVANNI MEONI (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Ramfis GIACOMO PRESTIA
MIKA KARES (17, 20, 23, 26, 31/5 & 4/6)
Il Re ENRICO IORI
Una sacerdotessa TAMARA BANJESEVIC
Un messaggero JULIAN HUBBARD

 

https://www.lamonnaie.be/fr/program/219-aida

http://concert.arte.tv/fr/aida-de-verdi-au-theatre-de-la-monnaie

http://opera.stanford.edu/Verdi/Aida/libretto_f.html

interviews/ extraits:   

http://www.bruzz.be/nl/video/de-munt-speelt-aida-voor-het-laatst-op-thurn-taxis

L’image contient peut-être : une personne ou plus, nuage, ciel, plein air et natureMonica Zanettin (Aida) © Forster

Monica Zanettin (Aida) ; Ksenia Dudnikova (Amneris) © ForsterL’image contient peut-être : 1 personne, nuit

Lire la suite...
administrateur théâtres

L’image contient peut-être : 1 personne

Jérusalem, fresque épique qui retrace les chemins de l’amour sur fond de première croisade, est une refonte en français  par Verdi en 1847 d'I Lombardi alla prima crocciata, pour l’Opéra Français : musique de circonstance,  grandes scènes dramatiques, incontournable ballet réclamés par le genre, et de nombreux airs à cabalette… Durée 3heures 30! Mais pas une seconde d’ennui dans la  rare et magistrale exécution entendue à l'Opéra Royal de Wallonie.

 

 La mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera, les décors à la fois sobres et  captivants de Jean-Guy Lecat, les costumes tantôt rutilants, tantôt manteaux de déserts de Fernand Ruiz et les  éclairages recherchés de Franco Marri auront tout  fait  pour séduire l’imaginaire dans cette fresque guerrière qui sert de toile de fond à l’amour face au destin, à la  vengeance des clans, à la guerre des religions, à la justice et à la réconciliation. C’est grandiose et dépouillé à la fois. Pour exemple: cette réponse  muette du ciel à la prière de l’héroïne, magnifique morceau d’interprétation orchestrale sous la baguette de la fougueuse Speranza Scappucci, semble parvenir d’une immense flaque  de ciel bleu au centre des palais lombards vide de toute âme… Le contraste entre les foules et la solitude des personnages est admirablement rendu, que l’on soit en Lombardie, dans le désert ou dans la ville sainte où Godefroid de Bouillon reconquiert le Saint-Sepulcre.  La direction musicale de Speranza Scappucci  serre la partition au plus près  et conduit l'orchestre dans des accents prémonitoires, des envolées tragiques, des sonorités raffinées et de puissants effets symboliques aux larges phrasés, très inspirés. Les  nombreuses interventions des choeurs dirigés par Pierre Iodice ne sont pas sans rappeler les choeurs de Nabucco et la scansion du texte français particulièrement harmonieux est  chaque fois un  réel plaisir  pour l’oreille. Ajoutons à cela des solistes de tout premier rang : Eliane Alvarez,  Natacha Kowalski, Isaure,  la gracieuse confidente d'Hélène,  Marc Laho, Roberto Scandiuzzi et Ivan Thirion flanqué de son fidèle écuyer (le charmant ténor Pietro Picone) qui font de cette œuvre une complète réussite !

L’image contient peut-être : une personne ou plus

Solaire dans les aigus acrobatiques, la prononciation  de la diva dans le rôle d’Hélène est parfois déconcertante. La puissance d’Eliane Alvarez, donne parfois l’impression d’une certaine lourdeur, surtout dans ses chagrins, où elle fait un usage intensif de sombres vibratos particulièrement dans les solos. En revanche,  les mouvements d’ensemble où elle règne en maître  sont absolument majestueux et on finit  même par aimer Roger (Roberto SCANDIUZZI ), cet oncle maléfique et incestueux, tant sa voix est belle, sculptée, épanouie et profonde. Marc LAHO, très lyrique  dans le rôle de  Gaston, Vicomte de Béarn, séduit par la largeur de sa voix,  sa noblesse, la hauteur de ses sentiments, aussi bien dans l’amour qu’il éprouve pour Hélène que  dans sa ferme volonté de réconciliation des deux familles ennemies et sa soif désespérée de justice. Il est un vibrant appel à la compassion car il est le jouet de l’injustice, accusé à tort de meurtre parricide. Il est victime de cet oncle  coupable, qui s’est lui-même exilé vers la ville sainte, dans l’espoir de faire pénitence et  d’obtenir sa rédemption pour un crime fratricide qu’il pense avoir commis.

L’image contient peut-être : 2 personnes

Le comte de Toulouse, le père d’Hélène, qui n’est -contre toute attente- finalement pas mort, est  interprété par  le vibrant baryton Ivan THIRION.  Sa  très belle stature de  redoutable pater omnipotens est fort intéressante, partagé entre l’amour pour sa fille et  l’idée qu’il  se fait  de la justice : celle de venger par le sang la tentative de meurtre.   La scène de la désacralisation des armes du chevalier et de sa terrible dégradation lors le jugement inique, est, pour le noble chevalier Gaston, pire supplice que l’imminence de sa mise à mort physique. « Barons et chevaliers, je proteste… » ll y a aussi cette  poignante marche funèbre…  Patrick DELCOUR interprète le  légat du pape Urbain VII, Adhémar de Monteil. Il est brillant  et net comme un joyau, mélange de rubis  dans un ciboire précieux. On frissonne avec le souvenir des larmes du Christ dans le jardin des oliviers chanté par les chœurs. L'émir de Ramla (Alexei GORBATCHEV) est captivant par  son étrange sagesse, sa grandeur et sa sérénité. C’est lui qui fait appel à l’ermite pour absoudre le « coupable »… « Pour te bénir, je suis hélas trop coupable ! »  se lamente Roger devant l’ironie du destin! Personne que lui, ne sait mieux l’innocence du valeureux Gaston!   

Une belle surprise attend le spectateur à la fin de l’opéra, où l’œuvre de rédemption et de pardon prend toutes sa signification grâce à un  subtil et fabuleux  jeu d’écharpes, tandis que s’élève le chant des pèlerins à la gloire de Dieu…

Et on ne se lasse pas des  innombrables retours sur scène de cette très glorieuse distribution qui irradie la joie et la victoire. On ne se lasse pas d’apprécier en pleine lumière les somptueux costumes de la foule de figurants et des solistes.

L’image contient peut-être : 1 personne, debout

 
Gaston: Marc LAHO
Hélène: Elaine ALVAREZ
Roger: Roberto SCANDIUZZI *
Comte de Toulouse: Ivan THIRION
Raymond, l’écuyer de Gaston: Pietro PICONE
Isaure: Natacha KOWALSKI
Adémar de Montheil, légat papal: Patrick DELCOUR
Un Soldat: Victor COUSU
Un Héraut: Benoît DELVAUX
Émir de Ramla: Alexei GORBATCHEV
Un officier: Xavier PETITHAN

Nouvelle coproduction : Opéra Royal de Wallonie / Fondazione Teatro Regio de Turin
Avec la collaboration de l’Institut Supérieur de Musique et de Pédagogie de Namur (IMEP)

Dates: 

Du vendredi, 17/03/2017 au samedi, 25/03/2017

http://www.operaliege.be/fr/activites/jerusalem

Lire la suite...
administrateur théâtres

Première scène, Elle : Tu me prends pour une bille? Quelques scènes plus tard, Lui : Tu me prends pour une bille?

Pierre Arditi a triomphé dans « La Vérité »  en 2011, le voici écumant  dans les eaux marécageuses du nouveau spectacle de Florian Zeller : « Le  Mensonge ».  Paul, le mari d’Alice ment par habitude, par bonté d’âme, par bienveillance, comme preuve d’amitié et même d’amour. Peut-on l’accuser d’être hâbleur, roublard, hypocrite et dissimulateur ? Démonstration.

 In vino veritas. La vérité est dans le vin n’est-ce pas ? Pas étonnant que sa jeune femme ait  toutes les  peines du monde à avaler  le Château Mabille millésimé tant  l’humeur est tendue ce soir-là. Le Mensonge plane. L’heure est à la Vérité. La scène de ménage est prête à éclater.  Nous  en sommes  à quelques instants de recevoir à dîner  leurs meilleurs amis, Laurence et Michel. Trinqueront-ils dans la complicité à la fin de l’exercice ? On le leur souhaite! Qui, de fait,  souhaite pour soi ou les autres, déchirures,  humiliations,  et perte de confiance  mutuelle à cause des mensonges?

editor_e36aa8b054e47087768289871ce154cc_c03d0c.jpeg    

Cette comédie sur  les 50 nuances de la vérité se reflète dans les magnifiques jeux de lumière sur un  décor  fait de panneaux translucides blancs qui composent l’intérieur très design de l’appartement. On est au salon, plus que dépouillé, quelques fauteuils identiques, deux dressoirs vides surplombés de peintures baroques luminescentes.  A droite une femme observe derrière son masque, à gauche une escalade de chairs nous renvoie le reflet d’une société aux mœurs légères et décadentes. Au fond, dans le dégagement qui mène à la cuisine est-ce un hologramme ou une toile à la Zubaran  qui représente des coquillages symboliques. C’est tout. Plus aucun changement de décor tout au long de la pièce mais une multitude de virages  lumineux entre les vérités de chacun. Du Pirandello de boulevard 2000. On n’est pas sorti de la caverne !  

La mise en scène de Bernard Murat  à la façon d’un étourdissant slalom, exploite les mouvements de scène et les mimiques  corporelles changeantes ad libitum. Body language never lies ?  Le public ne s’y fie pas ! Au contraire, c’est une occasion  pour lui d’observer à la loupe toutes les postures des menteurs et des menteuses ! Pleines lumières sur les ficelles utilisées et l’empreinte du faux. Mais les manipulateurs se trahissent par des lapsus, des actes manqués, des contradictions, des poses théâtrales, des intonations de bonne foi effarouchée. Et le dossier à charge se constitue… laissant la porte ouverte, pour celui qui l’écoute,  à la permission de mentir à son tour!  Le jeu s’emballe et se multiplie par 4 personnages, avec  la  répétition systématique  des  questions du partenaire, les généralisations de cas particuliers, la temporisation, la reprise des arguments de l’autre retournés contre lui, les doubles discours. Mais les bribes de vérité s’échappent comme d’un panier trop rempli et se fraient un passage dans les fractures - c’est le propre de la lumière -  malgré tous les efforts de dissimulation. Et c’est  fort  plaisant, car chacun peut s’entr’apercevoir dans ce miroir  éclaté.   Paul n’a pas l'intention de tromper, il veut protéger ses relations avec ses amis, avec sa femme. Il appelle cela la délicatesse !  C’est vrai. Le mensonge est inexcusable, c’est vrai aussi. Les vérités factuelles peuvent avoir des causes différentes, et le réel apparaît alors  différent pour tout le monde : quoi de plus vrai ?

LeMensonge_Presse_1.jpg  

Avec les 30 ans d’amour de Pierre Arditi et Evelyne Bouix, Josiane Stoléru, Jean-Michel Dupuis, applaudis avec fracas par le public du Centre Culturel d’Auderghem, où l’on ne trouvait, le jour de la première, plus le moindre strapontin de libre. Pendez-moi, si  mon billet ment!

http://www.ccauderghem.be/index.php?mact=Agenda,cntnt01,DetailEvent,0&cntnt01id_event=59&cntnt01returnid=83

Lire la suite...
administrateur théâtres

Le 30ème spectacle d'été de l'Abbaye de Villers-la-Ville, AMADEUS, de Peter Shaffer, est mis en scène par ...Alexis Goslain.13691099_1116661748421338_7257732583696250803_o.jpg  

Cloches divines et chuchotements,  génie versus talent : suspense tragique.  Antonio Salieri souffre d’un mal terrible, une souffrance hélas très humaine : un mal profond, nourri au sentiment d’injustice,  au désenchantement, au dépit, à la frustration, à la vanité et à l’envie, à l’incompréhension et finalement à la colère amplifiée de scène en scène jusqu’à l’apothéose finale. Un mal du siècle?

Cette jalousie maladive nourrit sa colère contre Dieu et la voix de son interprète, le jeune et joyeux Mozart. L’adepte malgré lui de la Médiocratie passera-t-il à l’acte? Devant la foule des « ombres du futur » il  rejoue, pas à pas, mot à mot, affect par affect, sa propre mise à mort. Il est rongé par la culpabilité. Il tente de se faire comprendre et explique pourquoi il devint l’assassin de Wolfgang Amadeus Mozart.12273175856?profile=original

 Un rôle en force, en nuances, en reliefs psychologiques intenses et noirs qui s’opposent merveilleusement au brillant personnage de Mozart, enfant gâté, génie  spirituel exhibé à travers l’Europe par son père, au rire ravageur mais vulgaire, à la limite de l’obscénité, coureur de jupons, incapable de gérer sa famille, caustique vis-à-vis de ses prédécesseurs,  cinglant en paroles, mais aussi libre et lumineux que l’autre est sombre et diabolique. L’adolescent gonflé de gloire enfantine est en effet  incapable de se prendre en charge, notamment  à cause d’un père abusif, omniprésent, régentant toute la vie de son fils jusque dans les moindres détails et vivant une célébrité factice au travers de la gloire de son fils, au moins jusqu’au mariage non autorisé avec la douce Constance Weber. Comme on le sait, son opéra Don Juan et d’autres comme Mitridate Re di Ponto témoignent de ce malaise intense et de l’absolue nécessité de la clémence. Ironie du sort, au cours de la pièce, on assiste à un développement poignant où Salieri  passe presque aux yeux de Wolfgang comme un père de substitution, sans savoir que ce dernier complote à sa perte.

13718725_1116656381755208_6618804201265226960_n.jpg?oh=3ef22eaa1e5e3f541ae42af7eca23be5&oe=5831C96E

Le ballet psychologique des deux personnages principaux est un combat de héros qui ne plait   pas  seulement aux jeunes générations ! Ainsi, Didier Colfs dans le rôle de Salieri et Denis Carpentier dans celui de Mozart sont totalement gagnants dans leur interprétation masculine. Affublés de merveilleux costumes, signés Thierry Bosquet, ils virevoltent devant les décors irréels  et pourtant si  évocateurs de François Jaime Preisser, qui  emportent l’imaginaire en défilant sur la muraille de la grande scène de Villers-la-Ville. Les « Venticelli », sortes d’oiseaux de malheur,  ces espions à la solde de Salieri, forment une sorte de chœur antique  très dynamique. Le tout est cadré par un  flux d’extraits de la divine musique de Mozart, symbole de lumière parmi les ombres que nous sommes. Le décor sonore est de Laurent Beumier.     

Antonio Salieri, nanti d’un  défaut d’Hubris démesuré,  aimait tant  la musique qu’il voulait l’inscrire dans une vie consacrée à Dieu. Mais  il commit  l’erreur fatale de mettre  Dieu au défi.  Dieu ne l’entendit pas de cette oreille, on n’achète pas le Seigneur!   De plus,  il déteste les pharisiens. Donc, malgré son mode de vie chaste et exemplaire en surface,  Salieri  déploie une âme immonde. Constance Weber, la jeune épousée de Wolfgang qui s’est  résignée à venir lui demander de l’aide, en témoigne. Julie Lenain dans ce rôle est un bijou de vivacité et de féminité, elle est au mieux de sa forme.  Mais de manière  hypocrite, perfide  et insidieuse, Salieri va faire en sorte que Mozart et sa jeune famille  sombrent dans le désespoir et la déchéance. Il  rejoue devant nos yeux, nous les  « ombres du futur »,  le  crime  pervers et parfait. L’italien s’approprie la mort de Mozart à défaut d’avoir pu égaler sa musique, afin qu’à tout jamais, son nom, associé à celui de Mozart, se fraie un chemin d’éternité.

13640961_10209537135766584_8265155623697364043_o.jpg

Le spectateur se trouve comblé de toutes parts. Tout d’abord bien sûr par la beauté estivale de  l’écrin des  ruines abbatiales mais surtout  par le texte de Peter Shaffer si bien mis en scène et interprété par  une  équipe de comédiens  enthousiastes que l’on a envie d’applaudir encore et encore: Maroine Amini, Camille Pistone, Michel Poncelet, Marc Deroy, Jean-François Rossion, Lucas Tavernier en très germanique Empereur d’Autriche, et un majordome … Anthony Molina-Diaz, ravi de participer  à ce  30ème spectacle d'été de l'Abbaye de Villers-la-Ville, une production de Del Diffusion.  Vu le succès, le spectacle se prolongera jusqu’à la mi-août! 

13754180_1118299478257565_2996445823455414669_n.jpg?oh=ac3834a854245e3af6f967cd4b89f920&oe=581C63A4

http://www.villers.be/fr/spectacle-amadeus

http://www.deldiffusion.be/

http://www.rtbf.be/culture/scene/theatre/detail_wolfgang-amadeus-mozart-s-invite-aux-ruines-de-l-abbaye-de-villers-la-ville?id=9354391

http://www.rtbf.be/musiq3/article/detail_amadeus-a-l-abbaye-de-villers-la-ville?id=9356579&utm_source=musiq3&utm_campaign=social_share&utm_medium=fb_share

Lire la suite...

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles