Créé à Paris le 2 décembre 1840, « La Favorite » de Gaetano Donizetti s'installe à Liège dans sa version originale française! Fernand (Celso Albelo), un jeune novice, fils spirituel du Grand-prêtre Balthasar (Ugo Guagliardo) , est déchiré entre sa foi et son coup de foudre pour une inconnue. Il abandonne son monastère pour rejoindre les forces armées d’Alphonse XI, roi de Castille (1311–1350) qui se prépare à partir en guerre contre l'envahisseur maure. Il ne se doute cependant pas un seul instant que la femme qu'il aime est la maîtresse "favorite" du roi. Nous sommes dans l'Espagne du XIVe siècle, au temps des luttes de pouvoir entre l’Église et l’État et leurs tumultes illustrés par les somptueuses pages lyriques de Donizettti, brillamment dirigées par Luciano Acocella. Alphonse a bien caressé l’intention de répudier sa femme pour faire de Léonor, sa nouvelle reine…comme le fera deux siècles plus tard le roi anglais Henry VIII (1491–1547) mais il craint l’excommunication. Pour récompenser Fernand de sa bravoure, le roi (Mario Cassi) le couvre d’honneurs et accède à son désir en lui accordant la main de Léonor. Il conseille sarcastiquement à Leonor d’être fidèle au moins à Fernand. Ce n'est que le jour même de leur mariage que Fernand découvre avec horreur la relation de Léonor avec le roi. Sa colère virile explose : S O N honneur est définitivement trahi ! Voyez-vous donc ! Humilié et ostracisé par ses compagnons d’armes, il repousse alors ses titres et ses trésors et retrouve ainsi l’estime de Don Gaspar (Matteo Roma) et des Seigneurs. Il retourne au monastère, laissant ses vœux et sa nouvelle épouse sombrer dans le désespoir. On assiste aux rites de son ordination. Mais la tragédie romantique est loin d’être achevée car Leonor, mourante vient s’expliquer avec lui. L’amour de Fernand renaît. Bouleversé, il veut s’enfuir avec elle, mais elle lui demande de respecter ses vœux et s’éteint dans ses bras.
Stupéfaction, le rideau s’ouvre sur une sombre salle des coffres, où l’on véhicule des bocaux étranges sur une table roulante. Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley se déploie. Le rituel s’installe devant un triangle lumineux sur la pointe. Le glaive du pouvoir divin et de l’injustice? 2080 est bien pire que 1984 de Georges Orwell. La nature, « cette sève de l’être humain » a disparu. Les vestiges se retrouvent dans des bocaux gardés par le pouvoir suprême, un monastère-laboratoire. Dans ce monde d’éprouvettes, plus de pacte familial, ou social, plus de droit à la pensée ou au discernement. Les femmes aux longues chevelures voilées de blanc, toutes identiques, sont offertes à la contemplation. Futures porteuses de guerriers, elles sont cloîtrées sous globe dans la ruche …de plastique, en l’occurrence. Contrôlées, dépossédées de leur libre-arbitre elles font partie d’un monde fait de splendides paysages lumineux tous artificiels. Le seul arbre de l’œuvre, placé dans un cylindre, agrémente comme un saint-sacrement, la chambre du roi. En 2080 ? La liberté est bien morte, et malgré son caractère trempé le roi plie le genou devant l’autorité religieuse. En forme de leçon de morale glaçante, un très beau ballet met en scène deux femmes-papillons qui, ayant conservé leurs couleurs, et malgré la beauté de leur art, meurent sous les regards assassins. Chorégraphie: Luisa BALDINETTI. Rosetta Cucchi est la metteuse en oeuvre de ce monde minéral désenchanté. Les costumes, - le ou la - plastique des lumières et la scénographie soulignée par des ronces tentaculaires fluorescentes quand on n’est pas dans le monastère-laboratoire, éclatent d’ironie.
Honneur aux femmes. La brûlante mezzo-soprano Sonia Ganassi, incarne dans un portrait sincère de Léonor. Palpitante, humaine, elle s’insurge contre le sérail de ses sœurs qui toutes penchent la tête sous leurs voiles nacrés. Se fait-elle torche incandescente de désespoir au dernier acte, dans ses échanges déchirants avec Fernand ? Donnant beaucoup de tenue aux duos avec Fernand (Celso Albelo) , elle passe des couleurs sombres aux assauts verbaux désespérés et au délire de l’amour avec une incomparable virtuosité. Et son français est bien audible, ce qui est beaucoup moins le cas pour les interprètes masculins de cette production où il faut souvent se référer à la bande déroulante pour en comprendre la diction. Sa compagne, Inès resplendit de fraîcheur, incarnant par la qualité de la voix, la fameuse sève humaine disparue de ce monde minéral. Une voix solaire, une diction parfaite, un rayonnement musical qui s’avère être un réel répit dans ce monde fossilisé malgré tous ses effets de lumières (Fabio Barettin/Sylvain Geerts ).
Les chœurs aussi sont à l’honneur : de véritables rafales de pluie bénéfique bruissante où vibre une humanité chaleureuse restée indépendante de la volonté de la mise en scène. Une production saisissante par sa modernité et surtout pour la superbe prise de rôle d’Ines (Cécile Latschenko), l’exquise compagne de Leonor qui devait en principe trouver Fernand pour lui avouer la vérité sur elle. Interceptée par Don Gaspar (Matteo Roma) elle a été arrêtée par ordre du Roi, pour avoir aidé Léonor dans sa trahison.
Quel monde… d’hommes!