Avec la mise en scène dynamique de Cécile Roussat et Julien Lubek cette nouvelle production de L’Opéra Royal de Wallonie ouvre la saison avec flamboyance. La satire sociale est forte. Un don Magnifico magnifiquement caricatural et grotesque, outrageusement accoutré et perruqué, tente de caser auprès de celui qu'il pense être le Prince, ses deux filles suprêmement orgueilleuses, égoïstes et laides (que ce soit dans l’âme ou le maquillage). L’interprète, c’est l’excellent Bruno De Simone un splendide baryton napolitain qui n’hésite pas à entonner des vocalises ridicules et emprunter des voix de fausset au cours de ses ascensions grandiloquentes ! Il a transformé sa belle-fille Angelina - la Cenerentola - en vulgaire domestique après l'avoir dépouillée de son héritage. Mais la vulgarité n’est évidemment pas du côté que l’on pense! La mère est morte après la naissance de leurs deux filles communes, Clorinda et Tisbé. Il a évidemment dilapidé la fortune. Les deux jeunes mégères survoltées, sont odieuses à souhait : Sarah Defrise et Julie Bailly ont une présence scénique sidérante!
La « Cenerentola » de Gioacchino Rossini (1817) est à la fois un opéra seria et un opéra buffa. Cet artifice de forme très contrastée met évidemment en lumière le fond où s’oppose le Vrai et l’authentique face aux grimaces du Faux et de l’hypocrisie. Rossini n’a pas hésité à couper les ailes à tout le merveilleux du conte de Perrault et des frères Grimm. Il a jeté carrosse, citrouille et pantoufle de vair ou de verre aux orties pour recentrer le propos sur la Raison et analyser le comportement moral. Le compositeur veut faire avaler une pilule fort amère au monde bourgeois ou à celui de la haute société. Il a l’intention de réduire en poussière cet orgueil humain si dévastateur, les rêves de puissance, la vanité et la cupidité afin que triomphent enfin les sentiments profonds et vrais. Il y a lieu de suivre trois principes : en amour il faut chercher, connaître et aimer. Célèbre-ton ici l’avènement des mariages d’amour, face aux mariages de raison ? La machine de guerre de Rossini est en tous cas, une musique plus que tourbillonnante, elle est grisante.
La Cenerentola est interprétée par la très sensible mezzo-soprano italienne Marianna Pizzolato dont la voix, le timbre et la chaleur humaine semblent incarner la Bonté faite Femme et descendue du ciel. Le sous-titrage est d’ailleurs éloquent : La Cenerentola ossia La bontà in trionfo. Dès la première balade nostalgique qu’elle chante tout au début, et qui préfigure son rêve intime, la chanteuse module sa voix et capte des couleurs émotionnelles très justes, en rapport direct avec le texte du livret et en rapport direct avec sa propre intelligence de cœur. Il y a des étoiles dans sa voix, comparables au scintillement des yeux débordants d’amour.
Rossini avait opté pour une contralto colorature et Marianna Pizzolato est parfaite dans le rôle. Des cascades d’aigus, des guirlandes de notes lumineuses, des effusions de bonheur, toute une virtuosité vocale dictée par l’expression des sentiments. Que cela fait du Bien ! « J’ai toujours comparé ma voix à une île merveilleuse... A la fois sombre et solaire, drôle et sérieuse, une terre qui aime le mystère et le clair-obscur, comme la voix de mezzo-soprano! » Le merveilleux est donc bien présent, quoi que Rossini en dise!
Les combinaisons d’ensembles, en duos, trios, quatuors, quintets, sextuors, sont chaque fois une fête musicale sous la baguette du chef de chœurs, Marcel Seminara. Chaque scène se termine par un beau final, élément de structure de la fin des actes. Mais au cours de la représentation l’allure s’accélère vers une allure presque surréaliste, si pas diabolique. Les syllabes sont prises en otage par une musique tourbillonnante, lancée comme une toupie en folie ! La folie est d’ailleurs aussi dans les accessoires, illustrant le comique grinçant des différents tableaux. Face à l’accumulation de pitreries, chaque rencontre entre Don Ramiro (Dmitry Korchak) et la douce Cenerentola est empreinte de grande simplicité et d’une profonde pudeur de sentiments. Une merveille d’équilibre et de bonheur musical. Le valet (Enrico Marabelli) déguisé en faux prince d’opérette nous fiat pouffer de rire par sa verve, ses postures et sa malice. Il s’amuse d’un bout à l’autre de la mascarade, ne manquant pas d’annoncer que cette comédie finira en tragédie…
Trois tranches de décor réaliste d’un château de Capitaine Fracasse sont posées sur un plateau tournant et semblent défiler de plus en plus vite au gré des rebondissements de l’histoire vers le dénouement final. Une lourdeur qui, loin d’affecter la musique la rend encore plus légère et parodique. Les personnages, véritables passe-murailles, passent d’une tranche à l’autre comme s‘ils pouvaient empêcher le destin de faire son œuvre. Des trappes dans tous les coins, des escaliers, des balcons, une montgolfière, des vrais oiseaux annonciateurs de paix, tout y est pour contribuer au mouvement de folie collective qui aboutira au happy end final, couronné par le pardon… Le tout placé sous le regard indulgent du très sage Alidoro, conseiller du Prince, philosophe, deus ex machina qui veille sur l’Amour, formidablement interprété par un Laurent Kubla en pleine forme!