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haine (9)

administrateur théâtres

Ramsès II, une pièce de Sébastien Thiery

SPECTACLES

Un boulevard original, d’une étrange cruauté

Dès la première, public ravi dans une salle comble. Mais quelle drôle de pièce … pourtant, tout aussi drôle que le film de Tatie Danielle avec son humour corrosif et débridé. Sauf que plane au fur et à mesure, une incroyable menace comme dans les films d’Hitchcock. Rien ne laisse présager  la fin, le suspense durera en effet jusqu’à la dernière réplique.


On peut dire aussi, qu’à certains égards, cette pièce renoue carrément avec le malaise existentiel du théâtre de l’absurde. Ionesco es-tu là? Au début de chaque acte, on assiste à  un étrange retour de situations et de répliques identiques qui apparaissent comme autant de sourds avertissements du Destin.

Dans ce cycle infernal, où est le réel? Où commence le cauchemar? Le déjà vu, de plus en plus aigu et oppressant vous prend à la gorge! Le personnage  central, père de famille en chaise roulante admirablement joué par Daniel Hanssens,  se retrouve coincé dans un effroyable huis clos remarquablement étouffant. Effet thriller garanti: le spectateur est pris lui aussi dans ce glaçant cauchemar de plus en plus … réel?

Le Goliath du rire à la voix stentorienne va-t-il se laisser terrasser par un  jeune Daniel (Clément Manuel) impassible et … pervers? Il s’appelle Matthieu, cet incompréhensible beau-fils qui a débarqué chez ses beaux-parents après un voyage en Egypte, mais sans sa femme Bénédicte. Est-il finalement fou à lier ou passible de poursuites judiciaires? Qui sont ses complices?

L’auteur semble en outre procéder à une froide analyse de la haine gratuite, puisque sous des dehors de comédie bourgeoise lestée de codes actuels, se déploie le plan maléfique de ce Mathieu, personnage hautement manipulateur et forcément haïssable. Celui-ci pratique-t-il le mal pour le mal? Pour quelle offense se livre-t-il à une incompréhensible vengeance ? Quelle force guide sa main? En effet, on ne cesse de s’interroger sur ses mobiles d’acharnement. Et il n’y a pas de réponse.

Critique acerbe de la manipulation de la réalité – toujours une source d’angoisse profonde – cette pièce est une condamnation implicite d’une société basée sur le mensonge et totalement dénuée d’humanité. Et pourtant les rires fusent dans la salle. C’est tout l’art de l’auteur. Est-ce par pur cynisme que les aînés sont poussés en dehors des derniers joyeux sentiers de la vie pour finir reclus et abandonnés loin de leurs repères et de leur famille? Inès Dubuisson, au jeu très sûr incarne parfaitement l’attitude passive et égarée de la femme de ce chef de famille, certes un peu caractériel, mais qui aurait eu droit à plus d’égards, non? Enfin, ce spectacle étrange illustre bien l’égoïsme foncier de notre société où tout est bon à jeter.

 Pire que tout, la mystérieuse Bénédicte (la fille adorée du couple interprétée par une brillante Marie-Hélène Remacle), porte vraiment mal son nom puisque l’on découvre dans un rythme haletant qu’elle fait partie du plan iconoclaste de l’insatiable Mathieu.

L’ensemble est mené de main de maître, les situations absurdes et comiques s’égrènent avec brio sur un canevas d’enfer. Et c’est le Goliath vaincu qui recueille toute notre sympathie devant l’horreur de la machine infernale en branle. Edgar Poe n’est pas loin. La dernière phrase de cette comédie est un sommet de désespoir.

Jack Nicholson, où es-tu?


Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour Arts et Lettres

https://comediedebruxelles.be/

Distribution : Marie-Hélène Remacle, Inès Dubuisson, Clément Manuel et Daniel Hanssens 

Mise en scène : Daniel Hanssens
Assistanat : Victor Scheffer

Scénographie : Francesco Deleo

Lumières : Laurent Kaye

Billetterie : ici

La tournée s’est arrêtée Au Centre Culturel d’Auderghem :

Du mardi 4 au samedi 8 avril à 20h00 et le dimanche 9 avril à 15h00

Autres dates:

Dinant : le mardi 11 avril

Ottignies : le mercredi 12 avril

Huy : le vendredi 14 avril

Au Centre Culturel d’Uccle :

Du mardi 18 au samedi 22 avril à 20h15 et le dimanche 23 avril à 15h00

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« Anna Bolena »… Ou la somptueuse innocence condamnée par un crime prémédité !

Maxime Melnik, de Anna Bolena

Le samedi 20 avril, 20 heures à l’Opéra des Liège,  se tenait  la fabuleuse dernière de « Anna Bolena », le 29e opéra tragique de Donnizetti.  Brillance, effusions prémonitoires de tendresse,  amour de la liberté, le rideau se lève sur de véritables  ébats amoureux. Un lit royal, à Richmond ?  Les courtisans  piétinent  dans l’antichambre, ne perdant rien du spectacle.  Le cœur volage d’Henry VIII brûle d’un nouvel amour, celui de  Jane Seymour (Giovanna). Un grand malheur attend Anne,  la  reine  d’Angleterre. «  Ne te force pas à la joie, ta tristesse est aussi belle que ton sourire »  se plaint-elle à son fidèle page qui lui  chante sur fond de harpe les joies du premier amour.  Francesca Ascioti, frémissante, juvénile et passionnée interprète joyeusement ce jeune Smeton  si amoureux de la reine.  Celle-ci tient tendrement sur les genoux une petite fille sérieuse : la future Reine Elisabeth I en habits d’apparat dorés, comme ceux des peintures de cour où on la verra plus tard, auguste, souveraine et intouchable.  Anna est sensible aux paroles de Smeton, elle  aussi a eu un premier amour dont les cendres sont encore chaudes… mais, utilisées perfidement par le roi pour confondre la reine, elles enflammeront l’opéra jusqu’au  brasier  final où se consumera  la reine répudiée. Cet unique soir du 20 avril, c’est  Elaine Alvarez  qui, pleine de ressources et de talent  dramatique interprète avec un  feu inimaginable, cette femme au long développement psychologique, accusée d’adultère et de trahison et injustement condamnée à mort et dont  le poids de chaque mot  est émotion incandescente.

Dès les premières scènes, ironie du sort et de l’écriture,  Anne  conseille avec grande sagesse à sa rivale Giovanna de ne pas se laisser abuser par l’éclat du trône et se plaint de la solitude dans laquelle son époux la laisse. L’ardente Sofia Soloviy s’oppose avec fracas à la sagesse de la reine. A la mise en scène fabuleuse, Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Liège Wallonie. Et oui toutes les voix sont à la hauteur du festival de costumes rutilants, créés par Fernand Ruiz. Sur le plateau, nous assistons à un défilé ininterrompu de brocards, de soieries, de coiffes, et riches manteaux, dans le palais d’Henry VIII lambrissé de chêne et éclairé par des lustres de Venise à couper le souffle. La scène dans la forêt dans un décor signé Gary McCann pour la première fois sur la scène liégeoise,  est tout aussi évocateur des munificences  des Tudors. Les lambris de chêne  de Richmond ont fait place à l’arbre vivant, le chêne majestueux sous lequel se rend l’imparfaite justice humaine,  sous lequel se réunissent   les  chasseurs princiers et leurs chiens assoiffés de sang… Lord Rochefort, le frère de la reine y rencontre Richard Percy (Riccardo), qu’Heny VIII (Enrico), sûr de la réussite de son complot a rappelé pour confondre celle-ci. Maxime Melnik qui possède  jovialité et élégance d’une voix de ténor lumineuse est le Lord.  Riccardo, l’amoureux pour l’éternité, avec un timbre convainquant au possible, vibrant d’émotion, et des postures irrésistibles,  qui résisterait ? C’est Celso Albelo, le puissant ténor espagnol qui a déjà incarné ce superbe rôle à Vienne et Santa Cruz. 

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 Enrico  a bien sûr  juré à Giovanna, sa nouvelle conquête,  qu’elle n’aura pas de rivale et déteste désormais Anna, cette reine incapable de procréer un héritier mâle ! … Insensée, dupée par l’ambition,  Giovanna rêve, comme Anna en son temps,   du trône et de la  renommée. Quelles vanités !  Anne, convoitait elle aussi  le trône d’Angleterre  elle aussi, lui avait offert  l’amour  en échange. Quelle erreur funeste! Donizetti souligne de toutes parts que l’ambition du pouvoir et des richesses n’apporte que couronnes d’épines…

L’amour a la parole sous les traits du charmant page et de Percy, le premier amour de la reine,  que  le roi  a fait revenir d’exil pour accuser son épouse d’adultère. La présence passionnée de Percy dans les appartements de la reine confirme les soupçons du roi.    Parole au page qui s’est saisit en cachette d’un portrait de la reine en pendentif : « Ne préfères-tu pas un amant qui t’adore qu’un mari cruel qui t’ignore ? » Nul besoin de juges pour Anna, le médaillon l’accuse déjà, c’est elle qui est volage ! Le  sort de la reine est scellé par le roi,  un doigt accusateur absolu. Un  Marko Mimica absolument maître de la situation, maniant le regard, la voix et les postures de façon impériale et inflexible. Est-il sorti vivant du tableau d’après Hans Holbein qui trône au font à gauche dans les salles du palais ?

Maxime Melnik, de Anna Bolena

Lorsque le chœur des femmes pénètre dans le parloir de la tour où est détenue Anne, elles s’exclament « Qui peut garder les yeux secs devant tant d’angoisse ? Et ne pas sentir son cœur se briser ? » Le public ressent la même chose. La reine souhaite  un instant revoir le château de sa naissance qui lui ferait oublier toutes ses épreuves… « Rends- moi un seul jour de notre amour… » La salle émue aux larmes par la vérité absolue  de son interprétation lâche des bravi passionnés. La dramaturgie  elle aussi, est cinglante de vérité. Sous les coups sourds de cloches fatidiques, Anne donne sa couronne à la très  jeune Elisabeth. Dans un long délire vocal  aux merveilleuses coloratures, elle a même pardonné à sa rivale, et prie que ce pardon lui accorde la miséricorde divine. Elaine Alvarez dans cet immense  rôle romantique, « Tu, mia rivale ! », a vraiment raflé tous les suffrages. 

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https://www.operaliege.be/spectacle/anna-bolena/ 

Une tragédie lyrique où vibrent à la fois l’histoire, l’amour, la trahison, la passion et la virtuosité vocale! Sous la baguette de Giampaolo Bisanti, dans une mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera, avec Olga Peretyatko, Elaine Alvarez, Sofia Soloviy, Celso Albelo, Marko Mimica, Francesca Ascioti, Luciano Montanaro et Maxime Melnik

Anna Bolena (Donizetti) du 9 au 20 avril  à l'Opéra Royal de Wallonie-Liège 

LIVE WEB sur Culturebox  : le mercredi 17 avril à 20h30

 

Marquez sur vos tablettes, lee prochain rendez-vous à L’Opéra de Liège, où  d'autres merveilles  vous attendent :

« La Clemenza di Tito » de Mozart (15 mai - 24 mai 2019) 

«  I Puritani » de Vincenzo Bellini ( 16 juin - 28 juin 2019)

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« 1984 » George Orwell au théâtre du Parc (Bruxelles)

Mars16, 2019

On dirait qu’après avoir extrait l’élixir maléfique de ce roman d’anticipation écrit en 1948 , Thierry Lebroux a investi le plateau avec une œuvre encore plus parlante et plus explicite … Nos jeunes, installés aux premières loges, car c’est sur eux que repose tout notre avenir, apprécieront!

D’un visionnaire à l’autre...

Si on avait la moindre tentation de banaliser le propos que Georges Orwell développe minutieusement dans son roman « 1984 », l’adaptation qu’en a faite Thierry Debroux à l’aube de la nouvelle décennie l’an 2000, brûle d’un pouvoir de suggestion et d’urgence encore plus vif que l’œuvre mère. Savamment filtrée par le mystérieux alambic du directeur du théâtre du Parc, l’adaptation retient l’essentiel et nous parle en direct et sans ambages. Elle se fonde sur notre vécu et l’observation des multiples dérives du monde abrutissant qui nous entoure. Ce ne sont plus les dérives épouvantables de l’hitlérisme et du stalinisme conjugués qui sont ici évoquées, mais celles des temps présents, que nous ne cessons de déplorer chaque jour et qui semblent projeter un horizon 2050 totalitaire, encore plus désincarné et déspiritualisé et certainement totalement déshumanisé. Le prix à payer à l’essor des technologies et de l’intelligence artificielle dans un monde hyperconnecté et à la gourmandise des puissants? Un froid glacial nous glisse dans le dos.

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Comme à la sortie du roman d’Orwell, on est à nouveau devant un faisceau d’avertissements dont on craint à juste titre qu’il soient prophétiques. Les prendrons-nous en compte, cette fois?

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Le super duo Fabian Finkels-Guy Pion a fait merveille une fois de plus. Présence théâtrale confirmée, esprit, vivacité, diction impeccable, justesse de ton, sensibilité, charisme, tout y est.Guy Pion prend habilement les habits de la « mauvaise pensée » du héros Winston, (Fabian Finkels) et sert de personnage supplémentaire à Thierry Debroux pour mettre en scène le journal intime , fil conducteur de l’œuvre d’Orwell. Coup de maître, puisque le même Guy Pion, très astucieusement vêtu du même manteau et chapeau appartenant à un siècle révolu, joue aussi le rôle d’O Brien , l’opposant au régime, ou pas… La résultante des méprises est d’autant plus glaçante. Une méprise semblable à celle annoncée dans la conclusion de « Animal Farm» (1945) la fable prophétique d’Orwell où les personnages finissent par se mélanger indistinctement dans l’esprit du narrateur. ..Et si ce splendide équipage Finkels-Pion , un véritable bijou d’art scénique, représentait par leur ensemble tellement bien huilé, l’essence charnelle et spirituelle de notre nature humaine? Quelle paire! Unique en son genre, extraordinairement vibrante et bouleversante!

De même, le formidable duo Winston -Julia (Muriel Legrand) creuse les sentiers interdits de l’amour prêt à succomber. Ou ceux de la trahison… Mention spéciale décernée au terrifiant duo mère-fille, Magda et Lysbeth Parsons, joué à la perfection par Perrine Delers et en alternance, Ava Debroux, Laetitia Jous et Babette Verbeek , aussi impressionnante que Misery, personnage de Stephen King. C’est tout dire! Pierre Longnay tient le rôle de Syme, avec conviction. La mise en scène de Patrice Mincke, alterne dialogues, chansons et les superbes chorégraphies de Johann Clapson et Sidonie Fossé. Fort heureusement, les voix humaines qui s’élèvent à travers les chants et les ballets des danseurs trouent par moment l’univers étouffant des circuits électroniques et des écrans omniprésents et convoquent notre émotion en aiguisant notre nostalgie, comme si déjà on y était, au cœur de cette détestable uchronie, où sévissent des drones de tout poil. C’est à pleurer! Et pas de rire…

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Le décor irrespirable et oppressant de Ronald Beurms est fait de monstrueux containers imbriqués au début du spectacle, dans une sorte de rubik’s cube glauque fait de métal et de bois brut comme un immense coffre-fort.

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« Morituri te salutant » Le monde ne tourne plus rond, il se bloque dans des mouvements d’abscisse et d’ordonnée, , celui d’un ordre nouveau jouant sur la verticalité et l’horizontalité ne laissant plus aucune place à la pensée, à la vie, aux courbes, à la nature, à la féminité. Les concepts sont inversés, on marche donc sur la tête. L’Amour n’est plus, vaincu par la Haine que l’on se doit de vénérer en groupes. Elle est érigée en principe de vie dès le plus jeune âge, la dénonciation d’autrui étant devenu le modus vivendi. Vivre ou mourir, quelle importance? La seule raison d’exister est de servir Big Brother ou vous êtes vaporisé. Le monde n’a plus aucune notion de paix puisqu’il est en état de guerre perpétuelle. La liberté, même celle inscrite au plus profond de nos rêves est mise hors la loi. Le langage, à long terme est appelé à disparaître, pour empêcher toute ébauche de critique du régime politique en place. L’inoffensif terme «Monsieur» est même en passe de disparaître du dictionnaire. Tout comme l’amour, le vin, la musique, les parfums et Shakespeare. C’est l’avènement d’un langage épicène visant à l’extinction de la pensée. «Big Brother »vise à ce que les citoyens soient rendus à une existence de moutons coupables, dociles et décérébrés. Happy End.

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Applaudir ou ne pas applaudir? Là est la question. On applaudira à tout rompre, mus par la pertinence et la beauté du spectacle, sa créativité parfaitement aboutie et l’élan vital et spirituel qui nous habite encore.

Dominique-Hélène Lemaire

« 1984 »

Du jeudi 7 mars 2019 au samedi 6 avril 2019

Avec : Perrine DELERS
Julie DIEU
Béatrix FERAUGE
Fabian FINKELS
Muriel LEGRAND
Pierre LOGNAY
Guy PION
les enfants Ava DEBROUX, Laetitia JOUS ou Babette VERBEEK

Ainsi que les figurants:
Pauline BOUQUIEAUX, Johann FOURRIÈRE, Laurie GUENANTIN, Vanessa KIKANGALA, Barthélémy MANIAS-VALMONT, Romain MATHELART, Franck MOREAU et Lucie VERBRUGGHE.

Mise en scène : Patrice MINCKE

Assistanat : Melissa LEON MARTIN
Scénographie et costumes : Ronald BEURMS

Éclairages : Laurent KAYE

Vidéos : Allan BEURMS

Musique originale : Laurent BEUMIER
Maquillages : Urteza DA FONSECA

Chorégraphie : Johann CLAPSON et Sidonie FOSSÉ

Crédit photos: ZvonocK

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Basée sur le roman Mille neuf cent quatre-vingt-quatre de George Orwell (Copyright, 1949), avec l’accord de Bill Hamilton, ayant-droit du patrimoine littéraire de la défunte Sonia Brownell Orwell.

Une coproduction du Théâtre Royal du Parc, du Théâtre de l’Eveil et de La Coop asbl.

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La Thébaïde est considérée comme une oeuvre de jeunesse, mais la beauté et la force des vers de Racine sont déjà là. Le sous-titre de cette tragédie, "Les frères ennemis", désigne Etéocle et Polynice, qui se battent pour le trône de Thèbes sous le regard éploré de leur mère Jocaste. Antigone n'occupe pas le premier plan, mais n'en demeure pas moins un personnage marquant. Quand les vertus de la réconciliation  sont ...bafouées. Présenté au Théâtre des Martyrs.

Première pièce de Jean Racine représentée et publiée en 1664, il a alors 24 ans et marche contre la guerre. Dans son introduction, Racine écrit : « La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante. En effet, il n’y paraît presque pas un acteur qui ne meure à la fin. Mais aussi c’est la Thébaïde, c’est-à-dire le sujet le plus tragique de l’antiquité. »

Il explique aussi que l’amour, qui d’ordinaire prend tant de place dans les tragédies, n’en a que très peu dans la sienne et touche plutôt des personnages secondaires. Ce qui l’occupe c’est bien la haine viscérale profonde que se vouent les deux frères ennemis, Etéocle et Polynice condamnés par un destin implacable, à s'entre-tuer.

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« De tous les criminels, vous serez les plus grands –Silence– »

Les personnages:

ÉTÉOCLE, roi de Thèbes.

POLYNICE, frère d’Étéocle.

JOCASTE, mère de ces deux princes et d’Antigone.

ANTIGONE, sœur d’Étéocle et de Polynice.

CRÉON, oncle des princes et de la princesse.

HÉMON, fils de Créon, amant d’Antigone.

OLYMPE, confidente de Jocaste.

ATTALE, confident de Créon.

UN SOLDAT de l’armée de Polynice.

Gardes. 

La scène est à Thèbes, dans une salle du palais royal.

Cédric Dorier, le metteur en scène ne ménage pas son public. Point de toges antiques, de gracieuses couronnes, de colonnades dorées par le soleil au milieu de champs couvert de coquelicots rappelant pourtant le sang des Atrides sous l’immensité bleue d’un ciel d’Attique… Non, nous sommes conviés aux premières loges d’un huis-clos dont les couleurs glauques sont habitées par l’esprit de 1984, Ninety-eighty Four, la tragédie humaine la plus noire que l’on puisse lire, inventée par George Orwell en 1948. Et dont, jour après jour nous voyons les sombres prédictions se réaliser. Tout autour de ce QG militaire, où règne encore le bon sens de la très attachante Jocaste, on perçoit les bruits du monde dominés par la guerre. A chaque ligne du texte, Jocaste, aidée d’Antigone se dépense corps et âme pour sauver la paix avec une volonté farouche et un instinct de vie incandescent. Saurons-nous écouter ses prières et ses imprécations ? Le texte est envoûtant. Le rythme en alexandrins est un berceau où le verbe fait tout pour sauver du glissement vers les Enfers. Le verbe peut-il sauver ? Les mots feront-ils la différence ? Les femmes, en évoquant l’amour et l’innocence, réussiront-elles à inverser le sort, à juguler la trinité de mal représentée pat Créon, Etéocle et Polynice, tous habités par la haine et la vengeance? 

Le duo des frères ennemis est incarné par Romain Mathelart et Cédric Cerbara qui jouent la mise à mort comme des gladiateurs de théâtre romain, tant dans le verbe et le discours que dans l’affrontement physique. Une scène totalement inoubliable, surtout pour le public scolaire invité. Julie Lenain, en Antigone, Sylvie Perederejew en Olympe, complètent agréablement le trio du Bien et de la lumière.

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Jocaste (IV,3) 
« Ne vous lassez-vous point de cette affreuse guerre ?
Voulez-vous sans pitié désoler cette terre ?
Détruire cet empire afin de le gagner ?
Est-ce donc sur des morts que vous voulez régner ? »

La soif de puissance de Créon, doublée d’immense fourberie et de manipulation machiavélique est chez Racine effrénée et absolument abominable. Elle dénonce le totalitarisme rampant de nos sociétés.  Brillant comédien, Stéphane Ledune met la puissance d’évocation à son comble. L’orgueil du personnage est un sommet rarement atteint. Même au bord de son dernier geste fatal, Créon menace encore! Que n’écoutons-nous la sagesse grecque antique, pour qui l’hubris est la pire des choses aux yeux des Dieux. Cette mise en scène fait penser que notre monde en serait peut-être à Minuit moins deux minutes sur l’horloge de la fin du monde. En effet, depuis le 25 janvier 2018, l’horloge affiche minuit moins deux minutes (23 h 58) en raison de l’« incapacité des dirigeants mondiaux à faire face aux menaces imminentes d’une guerre nucléaire et du changement climatique ». Si Cédric Dorier voulait par sa mise en scène, dépeindre un enchaînement apocalyptique de rebondissements tous plus destructeurs les uns que les autres, il y parvient pleinement.

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Non seulement le texte est porteur – bien que souvent, hélas peu audible, passé le troisième rang, et …qu’entendre, au fond de la salle ? – mais la modernité, les jeux de lumière, de musique et l’appropriation chorégraphique de l’espace se font de manière magistrale pour épouser le propos de manière organique.

Dommage tout de même, que l’on n’ait pas pu disposer, comme à l’opéra, d’un dispositif défilant le texte. Cela aurait particulièrement aidé les jours où, Hélène Theunissen que l’on adore, jouait en dépit d’une laryngite aiguë. Il est apparu, néanmoins qu’elle n’était pas la seule à capter le dépit, le désespoir ou la colère dans le registre des murmures les plus inaudibles… Ceux-ci font sans doute partie d’un parti pris esthétique et émotionnel très conscient du metteur en scène, mais que l’on a du mal à admettre quand on a résolument pris rendez-vous avec la si belle langue d’un auteur du 17e siècle, surtout lorsqu’il s’agit de chants si désespérés et si beaux!. Ou bien, faut-il avoir relu la pièce avant la représentation ?

Mais, grâce aux vertus cathartiques de la tragédie, il est certain que l’ on est amené, une fois le rideau tombé à questionner notre monde et à repousser ses pulsions mortifères par la raison et le questionnement lucide. Une production brillante et ...désespérante à la fois.

MISE EN SCÈNE
Cédric Dorier
COPRODUCTION Les Célébrants (Lausanne, Suisse), Théâtre en Liberté

JEU Cédric CerbaraStéphane LeduneJulie LenainRomain Mathelart, Sylvie PerederejewHélène TheunissenLaurent TisseyreAurélien Vandenbeyvanghe 

Photos : Isabelle De Beir

RÉSERVER
UNE
PLACE

Grande salle

08.11 > 30.11.18

INFOS & RÉSERVATIONS
02 223 32 08 - http://theatre-martyrs.be/

Dominique-Hélène Lemaire

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                                               Le dictateur romain Lucio Silla chef de file des optimates, qui s'opposent aux populares de Marius, s’est octroyé tous les pouvoirs en  écartant physiquement  ses opposants. Il les a vaincus au cours de deux guerre civiles, ayant par ailleurs récolté les lauriers d’une victoire lors d’une  expédition en Grèce contre le roi Mithridate VI. La Rome antique sert d’écran sur lequel se projettent les inquiétudes politiques du XVIII siècle.  Dans l’opéra de Mozart,  Silla, interprété dans la production du théâtre de la Monnaie par le ténor Jeremy Ovenden, a tué Mario, le père de Giunia et a exilé son bien-aimé Cecilio - le castrat original de Mozart a les traits de la soprano  Anna Bonitatibus.  Sylla exige  de Giunia qu’elle l’épouse. Incarnée par la talentueuse soprano néerlandaise Lenneke Ruiten, fidèle à la scène du Théâtre de de la Monnaie, la belle Guinia est séquestrée, elle est  au désespoir et tente de mettre fin à ses jours. Elle trouve un allié en Cinna - une sulfureuse Simona Saturová,  qui s’avère être une sorte d’agent double splendidement manipulateur, masculin ? féminin ? -, qui rêve de  faire renverser le tyran. Cecilio, qu’elle croyait mort, réapparaît dès le début de l’acte I et rend à tous, l’espoir d’un renversement proche… Les complots réussiront-ils ? Action directe, soumission, ou mort consentie? Après une analyse fouillée de l’origine  du mal, à travers les états d’âme des protagonistes et  leurs rivalités sentimentales sur fond de conflit politique, la vertu sera finalement  exaltée à  la fin du troisième acte, car Silla, coup de théâtre,  surprend la scène d’adieu des deux amoureux promis à la mort et se laisse peut-être gagner par la grâce, pardonne, renonce à ses châtiments  et, magnanime, s’élève au-dessus des conflits. Brillant !  Tout comme plus tard, dans « La clémence de Titus » (1791)  

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  Puisant l’énergie créatrice dans ses tourments d’adolescent et ses démêlés avec son père omnipotent,  Mozart compose ce drame amoureux et politique à seize ans à peine. C’est son  troisième opera seria, noble et sérieux après « Mitridate, re di ponto »(1770) et « Ascanio in Alba »( 1771) au Teatro Regio Ducal de Milan. Mais la  partition où se succèdent les airs et récitatifs habituels  innove et introduit une grande richesse orchestrale, de nombreux  duos bouleversants et  ajoute l’intervention du chœur. On est devant un joyau musical …qu’il suffirait peut-être d’entendre les yeux fermés en version concertante, tant l’œuvre semble parfaite et tant  la palette et la densité des sentiments des solistes de cette splendide production est chatoyante, expressive et variée.

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Le metteur en scène allemand Tobias Kratzer a choisi un nouvel écran sur lequel projeter les inquiétudes politiques du XXIe siècle. Il a  pris  le cadre épuré d’une  villa  hors de prix. Au milieu d’une impénétrable forêt, deux étages, en forme de cube de lumière et de ciment monté sur un podium  constituent  la retraite secrète et solitaire du dictateur. Elle est gardée par des chiens loups. …Un seul, en l’occurrence et qui ne fait pas vraiment peur, mais le symbolisme est limpide.  Signé Rainer Sellmaier, le décor (contemporain) joue continuellement sur les ombres et les lumières avec de très beaux effets de stores vénitiens et de violents jeux d’écrans. Il joue sur les tombes (romantiques) dans le parc entouré de murs et d’une grille sévère,  et  joue sur de lugubres sapins (de forêt noire)  accentuant l’impression d’enfermement. La villa est truffée de micros et de caméras de surveillance dans une approche bien Orwellienne. Le dictateur, incapable de vrais sentiments ou de quelconque empathie, vit à travers son obsession des écrans. Son pouvoir sera anéanti lors qu’il cassera brutalement sa commande à distance dans un dernier mouvement de colère.  Deux personnages secondaires exposent ses choix possibles. Les pulsions de mort : c’est Aufidio (Carlo Allemano)… sorte de spectre d’un autre âge, voire un vampire ? Ou l’ami inexistant…?  Quoi qu’il en soit, il incarne l’esprit du mal. L’autre c’est la jeune sœur  du dictateur, Celia (Ilse Eerens) qui survit grâce à sa maison de poupées et est amoureuse de Cinna. Elle  exalte  les pulsions de vie, d’espoir et de paix… Mais l’atmosphère reste macabre tout de même. Les choristes balancent et rampent entre Lumpenprolétariat et  monstres d’Halloween.  Nous voilà donc dans un opéra bien  noir qui brasse vampirisme et  pulsions de monstre machiste. Il pourrait tweeter: « Celui qui ne m’aime pas mérite tous les châtiments ! » Un enfant gâté, jamais arrivé à maturité?

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La mise en scène rappelle les thrillers gothiques ou …American Psycho. On se met à rechercher un écran contre des humeurs violentes en se recentrant sur l’orchestre ou les solistes aux voix divines.  Un antidote pendant que défilent déclarations d’amour-haine, scènes de plus en plus sanglantes, scènes  de sexe ou de mort, de cruauté, de colère, d’humiliations… de suicide ou de toute puissance ? Peut-être, mu par son envie de dénoncer les maux du siècle, Thomas Kranzer en fait-il  un peu trop. Car la dérive attend le metteur en scène quand, contre toute attente, après des vidéos de viol explicite sur grand écran, la villa se fait cerner par les forces de l’ordre et attaquer comme si l’enjeu était de traquer un vulgaire terroriste… Stupéfaction des auditeurs soudainement enlisés dans l’horreur, la danse macabre ? Agressés par un éclat de rire infernal? Dommage pour ceux qui  désiraient savourer  la joie musicale qui les reliait au génial Mozart  grâce à l’incomparable complicité du chef d’orchestre Antonello Manacorda et à la beauté du pardon.    



LUCIO SILLA  de WOLFGANG AMADEUS MOZART
Direction musicale – ANTONELLO MANACORDA
Mise en scène – TOBIAS KRATZER
Décors et costumes – RAINER SELLMAIER
Éclairages – REINHARD TRAUB
Video – MANUEL BRAUN
Dramaturgie – KRYSTIAN LADA
Chef des chœurs – MARTINO FAGGIANI
 
Lucio Silla – JEREMY OVENDEN
Giunia – LENNEKE RUITEN
Cecilio – ANNA BONITATIBUS
Lucio Cinna – SIMONA ŠATUROVÁ
Celia – ILSE EERENS
Aufidio – CARLO ALLEMANO
 
ORCHESTRE SYMPHONIQUE & CHOEURS DE LA MONNAIE


NOUVELLE PRODUCTION 

Première, 29 octobre 2017 - 15:00
31 octobre - 19:00
02, 04, 07, 09 & 15 novembre - 19:00
12 novembre - 15:00

La production sera accessible intégralement et gratuitement sur Arte Concert en live le 9 novembre et en streaming du 5 au 25 décembre sur  www.lamonnaie.be
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administrateur théâtres

La Chypre imaginaire de Shakespeare est une  riche possession vénitienne, bastion  entre l’Islam et la chrétienté orientale. Priorité à la structure et aux couleurs : les notables festoient sur  l’esplanade d’un palais vénitien dans un déluge de tenues d’apparat, dignes de tableaux renaissance de Véronèse : Les noces de Canna (1562)?    On ne peut qu’être remplis d’admiration pour ces costumes rutilants faits de  tissus et  soieries tellement  raffinés -“Stuff dreams are made of” -   et signés  par le fidèle  créateur de L’opéra Royal de Wallonie: Fernand Ruiz. Ceux-ci, tous différents, font  presque passer au second plan les colonnades antiques du palais où se déroule l’action après la  bataille de Lépante…

Cette histoire Shakespearienne encensée par Verdi avait été écrite en 1603-1604 après la publication d’un édit royal de 1601 ordonnant l'expulsion de tous les Noirs d'Angleterre. Otello, le général maure de l’armée Vénitienne est en extase devant  sa jeune  épouse Desdemona qu’il a épousée contre le consentement de ses parents. Cependant,  son conseiller de confiance, Iago, commence à laisser  entendre que Desdemona est infidèle. Il veut causer la perte d’Otello et le pousser au crime passionnel.  Qui des deux, Otello va-t-il croire : son perfide et envieux compagnon d’armes  ou son innocente  femme? Avec une exactitude presque mathématique, on assiste au développement  du sentiment de  jalousie, depuis sa naissance à peine perceptible jusqu’à son fatal paroxysme. Les chœurs toujours dirigés par Pierre Iodice sont somptueux et constituent un renouvellement ininterrompu de  tableaux vivants  de l’époque Elisabéthaine!

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Otello se confond impeccablement avec la ligne ascendante implacable de la jalousie, depuis la confiance extatique au premier acte, jusqu’à l’instant où naît le soupçon infusé avec machiavelisme par Iago, celui où commence la traque de la trahison imaginaire dans une  passion qui s’exaspère jusqu’à la folie bestiale. Et puis, devant le constat de son crime et l’innocence certaine de la victime, il se précipite dans l’abîme du désespoir et de l’inutile repentir. Le ténor   argentin José Cura, formé par Domingo Placido  explore sa partition avec vigueur brûlante et profusion de couleurs.  Son «Abbasso le spade!» clamé avec autorité contraste pleinement avec son duo  avec Desdemona, qui clôt le premier acte. Il diffuse parfaitement sa perception de  la volatilité du bonheur lorsqu’il dit vouloir mourir dans l’extase de l’étreinte de sa compagne.  «Già nella notte densa» déborde de tendresse. Les dieux seraient-t-ils jaloux de ce pur bonheur?

Otello

Jose Cura © Lorraine Wauters 

«  Credi in un Dio cruel che m’ha creato simile a sè ! » Je crois à un Dieu cruel qui m’a fait à son image ! Le sulfureux Iago (Pierre-Yves Pruvot), humilié de s’être vu refuser une promotion,  a engagé une machination infernale pour détruire celui qu’il s’est mis à haïr avec passion.  Il est  consumé par l’orgueil, la jalousie, l’envie et le désir de vengeance. Sa duplicité monstrueuse  fascinante  en fait une figure d’un charisme  infernal qui force  malgré tout l’admiration du public. Quelle prestation et quelle sonorité ! Le baryton Pierre-Yves Pruvot  endosse le costume de l’hypocrisie avec une conviction et un talent vocal et théâtral exceptionnel. Ses moindres inflexions changeantes tantôt caressantes, tantôt menaçantes donnent froid dans le dos tant la fourberie est toxique!

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Desdemona est remarquablement intense dans sa naïveté et son aveuglement amoureux, mais aussi d’une lucidité  surnaturelle  devant l’imminence de sa fin brutale. Cinzia Forte  qui s’est illustrée sur la scène de l’Opéra de Wallonie plusieurs fois, RigolettoLe Nozze di FigaroFidelio et La Bohème) possède une voix pleine de fraîcheur de délicatesse et de rondeur. Ses aigus soulignés par la finesse des violons et en suite  celle des  bois sont super légers !  Son désarroi devant les accusations injustes est  immensément touchant. « Atterré, je fixe ton terrible regard, en toi, parle une furie ! » « L’Eternel voit ma foi ! »L’orchestre est en délire et l’accompagne dans son sentiment d’injustice. Otello l’étouffe sur sa poitrine, elle fuit et les cordes soulignent son isolement. Plainte douloureuse, le soleil s’est éteint.  On retrouve la hantise de l’antiquité grecque.  Dans la fange amère et glacée, elle pleure son âme qui se meurt. Après son Ave Maria, « prega per noi ! » elle quitte le coussin sur lequel elle s’était agenouillée pour s’approcher du lit mortel. L’Amen est illuminé bordé de violons fins comme des cheveux d’ange  Son jeu  final d’oiseau pour le chat est pleinement attendrissant et semble penser :  « Tue-moi mais fais vite !» « As-tu prié » demande Otello ! «  Mon pacte est l’amour. » Tout est dit !

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S’il visait l’excellence  pour sa dernière représentation à L’Opéra de Liège,  Paolo Arrivabeni, dont  c’est la dernière saison, a atteint pleinement son but. Il  confirme sa très fine et profonde  connaissance de l’œuvre et son habileté pour traduire tous les sentiments. Il  parcourt la triple tragédie  dans les moindres détails, avec un sens aigu des variations d’atmosphères et un traitement époustouflant des orages annonciateurs de  tempêtes de sentiments dont les humains sont victimes. La pâte sonore luxuriante semble monter comme un immense soufflé de haine, de jalousie et de désarroi d’une rare  intensité. De la place où nous étions, nous avions une vue plongeante sur l’orchestre, de quoi pouvoir observer les moindres détails des interventions des instrumentistes. Joie musicale redoublée. Quatre notes de harpe disent la nuit qui descend, l’accompagnement du rire de Iago est fracassant et quand le doute pénètre Otello, les cordes en tremblent ! Le venin de la trahison imaginaire s’infuse dans les bois, la colère d’Otello bouillonne avec un orchestre en folie alors que genou à terre celui-ci fait un pacte avec le Diable! Les cuivres sont sanguinaires : « Comment vais-je la tuer » se demande Otello ! Et la munificence de la cour vénitienne déferle avec les chœurs qui saluent le vainqueur de Chypre. A la fin du 3e acte le chef a donné toute sa force et est épuisé par le paroxysme musical. A la fin du 4e acte, le dernier souffle de vie est expulsé par l’orchestre.    19224769_1732477563448290_253497608858692607_n.jpg

Le jeu de la suivante, Emilia n’est pas moins convainquant « Je suis ta femme, pas ton esclave ! » assène-t-elle à Iago. Alexise Yerna a été entendue sur la même scène dans Manon, Luisa Miller, Rigoletto, Ernani, Il Barbiere di Siviglia, Lucia di Lammermoor, La Traviata et Orphée aux enfers. Les deux femmes sont à la pointe de l’intimité, elles s’entraident avec la ferveur du désespoir.  Leur duo tendre souligné par les hautbois est un moment d’émotion intense et lumineuse. C’est elle qui expliquera avec détermination la félonie de son mari  à l’ambassadeur de Venise (notre cher Roger Joachim). Et Cassio, le jouet du destin, c’est  Gulio Pelligra (dans Nabucco en octobre dernier) qui l’habille d’une très belle humanité.

SAISON : 2016-2017

DIRECTION MUSICALE : Paolo Arrivabeni MISE EN SCÈNE : Stefano Mazzonis di Pralafera CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice ARTISTES : José CuraCinzia FortePierre-Yves PruvotGiulio PelligraAlexise YernaRoger JoakimPapuna TchuradzePatrick DelcourMarc Tissons

NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS : 6DATES : Du vendredi, 16/06/2017 au jeudi, 29/06/2017  

http://www.operaliege.be/fr/activites/otello

Crédit photos: Lorraine Wauters

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administrateur théâtres

Menus Plaisirs d'estaminets... Ebats de Couples

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Avec :

Delphine Charlier

Anne Chantraine

Boris Olivier

Marc De Roy

Mise en scène: Delphine Charlier

Que fait-on dans les estaminets, sinon, dévorer dans une atmosphère détendue,  des mets de terroir, respirer des fumets de cuisine locale  bien arrosés de  chaleureux breuvages sans prétention? Cela vaut pour  les Flandres Françaises, mais à Bruxelles ? Il y a  le célèbre « Jardin de ma sœur »... situé dans le vieux quartier du marché aux poissons, où la gastronomie a laissé la place au théâtre. Un croisement romanesque d’Au temps passé et de Lieux aujourd’hui disparus a donné naissance à ce qu'on imaginerait être une ancienne épicerie-crèmerie, ou même le salon peu prétentieux  d’une maison privée. C’est  devenu maintenant un petit café populaire, où  Arthème Glickman vous sert avec amour de la lenteur des bières précieuses et rares, du vin au verre, en attendant le spectacle ... Pas un seul signe de vie moderne apparent: une cheminée  et ses ustensiles, des gravures et peintures de haut en bas des murs, quelques tables,  le confort de chaise de cuisines en bois de nos grand-mères,  peut-être quatre bancs d'église trouvés aux puces agrémentés de coussins pour les fesses sensibles. Par la fenêtre, on aperçoit une façade blanche d’une maison rustique d’autrefois. L'atmosphère nous reporte irrésistiblement  un siècle ou deux en arrière, au  cœur d'un  village  plutôt que celui  d’une capitale européenne. Quand la bonne trentaine d’habitués  de cette chapelle de convivialité est servie, on ferme les rideaux et on tire la porte, pour faire place à la veillée poétique, musicale ou littéraire qui se tiendra dans ce lieu sans frontières.

 

Les chansons de phonographe s’estompent et le regard se porte sur cette femme endormie sur sa couche… 1941, Madeleine Renaud? Non, c’est Delphine Charlier, 2017 qui joue Yvonne dans  «  FEU LA MERE DE MADAME » une scène de ménage féroce en un acte de Georges Feydeau (1862-1921), représentée pour la première fois  à la Comédie Royale de Paris le 15 novembre 1908. La farce s’articule autour des relations tendues d’un couple, alors que Lucien, le mari volage, déguisé en Louis XIV,  rentre à une heure avancée du bal des  quat'z'arts,  une soirée de fête aux accents orgiaques. Sous la perruque : Marc De Roy. Il est artiste peintre mais ne vend pas de toiles, ce qui exaspère Yvonne, jalouse de surcroît des modèles nus que son ami côtoie. Les tensions dont Annette, la  servante allemande, est témoin,  ne feront que s'exacerber avec l'arrivée d’un domestique, Joseph venant annoncer que la mère de Madame est morte. En valet, Boris Olivier est admirable.   Les jeux de scènes sont piquants et imaginatifs, les sentiments explosifs, la mauvaise foi et les mensonges une constante incendiaire. La dispute prend des allures d’éruption de lave volcanique.  Les comédiens  tiennent bien leur rôle de mousquetaires de la querelle perpétuelle  élevée au rang de mode de vie. Devant la Comédie Humaine, l’assistance tour à tour,  se tait, médusée ou se laisse gagner par le rire. L’entreprise dans un si petit lieu était une gageure, car trop de proximité peut parfois mettre mal à l'aise. La deuxième partie du spectacle mis en scène par l'excellente Delphine Charlier  confirmera leur savoir-faire et l’ampleur de leur énergie.

  

Nous voici après l’entracte,  avec Courteline (1858-1929)  et ses ignobles créatures dans  «  LES BOULINGRIN » vaudeville en un acte, créé en 1898 au Théâtre du Grand-Guignol à Paris. L’ironie cruelle  et le surréalisme montent  encore en puissance. La farce grand-guignolesque est de plus  que malveillante, le dérèglement total,  la scène de ménage a atteint un paroxysme de  haine. Le pique- assiette, Des Rillettes (Marc De Roy),  qui pensait faire régulièrement bonne chère chez ses amis Sieur et dame Boulingrin se voit transformé en poupée de chiffon  et sert d’exutoire à leurs querelles domestiques. Pris à son propre piège, il  devient la victime et le souffre-douleur de ses hôtes. Félicie, la bonne est de mèche… Encore plus vicieuse que la bonne de Feydeau. Bravo à Anne Chantraine pour les deux rôles, mais on la préfère dans Courteline! Apocalypse, now !  Les coups pleuvent sur le pantin de service qui croyait tirer les marrons du feu. Les  humiliations les mauvais-coups et les injures  s’amoncellent, la mort aux rats côtoie la furie furieuse et Des Rillettes a bien du mal à sortir indemne de cette farce infernale.  Et Marc  De Roy, bien sûr,  est royal dans ses deux interprétations!  Oui, les  quatre comédiens ont été parfaits dans cette course à la violence  autant verbale  que physique… Et ce n’est pas nous qui avons appelé les pompiers! Juré! 

 

théâtreEbats de Couples (03/05 jusqu'au 20/05)
du mercredi 03 au samedi 20 mai 2017

                              Tel: +32.2.217.65.82 
                              E-mail: info@leJardindemaSoeur.be

https://www.lejardindemasoeur.be/jd-commence.php?language=fr12273224257?profile=original12273224473?profile=original

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administrateur théâtres

              "Roméo et Juliette" de  Charles Gounod à l'Opéra Royal de Liège. Roméo et Juliette, Opéra en un prologue et cinq actes, Livret de Jules Barbier et Michel Carré d'après Shakespeare,  créé à Paris au Théâtre-Lyrique le 27 avril 1867

la-coupole.jpg?width=250Mise en scène
Arnaud Bernard
Décors et Costumes
Bruno Schwengl
Lumières
Patrick Méeüs
Maître d'armes
André Fridenbergs

Juliette
Annick Massis
Roméo
Aquiles Machado
Stephano / Benvolio
Maire-Laure Coenjaerts
Frère Laurent
Patrick Bolleire
Tybalt
Xavier Rouillon
Mercutio
Pierre Doyen
Le comte Capuletopera-royal-de-liege.jpg?width=250
Laurent Kubla
Gertrude
Christine Solhosse
Gregorio
Roger Joachim
Le Duc de Vérone
Patrick Delcourt
Le comte Pâris
Benoît Delvaux
  
Orchestre et Chœurs de L'Opéra Royal de Wallonie
Chef des chœurs
Marcel Seminara
Direction musicale
Patrick Davin

 Dans le silence pacifique d’un immense écran bleu, deux amoureux se dévorent de désir cependant que rugissent des batailles  de rues  de jeunes jouvenceaux armés d’épées, une victime est déjà au sol. L’Amour et la Haine sont en présence. Le prologue commence. Le très sensible Patrick Davin,  à la direction musicale de l’orchestre, préfigure déjà avec grande finesse toute la dramaturgie  de Roméo et Juliette, où se mêlent l’amour désarmant et pur, la sensualité, le tragique et les féroces rivalités ancestrales avides de sang.  Les combats reprennent de plus belle. Cymbales, cuivres tragiques, cris, il y a maintenant six victimes et la septième s’écroule sans vie tuée par un mort vivant. Le chœur bordé des pleurs de harpe soupire comme dans les tragédies antiques : «  Vérone vit jadis deux familles rivales, Les Montaigus, les Capulets, De leurs guerres sans fin, à toutes deux fatales, Ensanglanter le seuil de ses palais. »

On sait que le livret de Gounod est au plus proche de la pièce de Shakespeare, et cela fait grand plaisir. Les personnages auront une profonde authenticité sans aucun chiqué, Ils sont fabriqués avec le tissu même de la réalité et des émotions humaines. Dès son apparition, Juliette est flamboyante, spontanée et gaie comme la jeune Juliette adolescente. « Tout un monde enchanté semble naître à mes yeux! Tout me fête et m'enivre! Et mon âme ravie S'élance dans la vie Comme l'oiseau s'envole aux cieux! » Juliette vocalise sur la harpe comme un oiseau posé sur la branche. Son ariette joyeuse émeut : « Je veux vivre, Cette ivresse De jeunesse Ne dure, hélas! qu'un jour! Puis vient l'heure Où l'on pleure, Le cœur cède à l'amour Et le bonheur fuit sans retour. Ah! - Je veux vivre! » Elle respire longtemps la rose dans une dernière vocalise.  La voix parfaite d’Annick Massis rayonne d’amour et de douceur.   Après la tendre scène du balcon où elle envoie son mouchoir à Roméo, la scène  de la bénédiction nuptiale par  le frère Laurent émeut profondément par l’espoir infini et insensé qu’elle inspire et par sa  profonde simplicité.  Une scène qui revêt les  qualités du sacré : c’est le recueillement absolu. Le frère Laurent, notre préféré, Patrick Bolleire,  en impose par  une  voix fabuleusement grave,  des gestes et  une  stature paternelles. Au quatrième acte  Juliette est devenue une  femme déterminée et profonde et sa voix s’élargit, s’assombrit et intensifie ses aigus puissants.  

Le personnage de Roméo (Aquiles Machado) se montre jovial et naturel et ne sombre jamais dans le mélodrame à défaut d’incarner  physiquement un jeune  jouvenceau.  Heureux caractère, il reste   candidement  illuminé par l’amour  et en oublie de répondre aux insultes de Tybalt (un excellent Xavier Rouillon). Ce n’est que lorsque Mercutio (Pierre Doyen) expire et que le silence de mort se fait que Roméo ose laisser libre cours à sa colère, suite à  un prélude orchestral  particulièrement lugubre.  « Remonte au ciel, prudence infâme, Tybalt il n’est ici d’autre lâche que toi !»  C’est un  amoureux plein de lyrisme que nous  voyons  dans la scène du balcon « De grâce demeurez ! Effacez l’indigne trace de la main par un baiser!»  et il est très  touchant lorsqu’il tombe à genoux en chantant « laisse-moi renaître un autre que moi! » Deux très beaux  rôles principaux émergent également, celui de la nurse et celui du père de Juliette, sa mère ayant été passée aux oubliettes par Gounod.  Une truculente Gertrude incarnée par Christine Solhosse et le père par Laurent Kubla.   

La poésie du livret touche autant que la musique qui oscille entre drame et lyrisme. La mise en scène contribue beaucoup à un sentiment d’harmonie et d’équilibre entre l’intime et les scènes  spectaculaires épaulées par la présence dramatique des chœurs.  Hommes et femmes de la maison Capulet  soulignent de façon très vivante et graphique  toutes les scènes de violence. Les scènes de combat mortel et de double mise à mort dans une lumière incandescente semblent réglées par le destin lui-même. La scène où le duc (un auguste Patrick Delcour) rend justice est aussi très impressionnante.  

 Les costumes sont d’époque, le faste des palais de Vérone  est bien esquissé mais de façon très aérienne et sobre. La cellule de Frère Laurent est un  laboratoire d’alchimie  perdu dans l’immensité bleue. La chambre de Juliette qui accueille la nuit d’amour est à la fois  épurée et symbolique: la couche d’un blanc immaculé est entourée d’un lys dans un grand vase à gauche et un cierge à droite. Leur duo bouleversant (Nuit d’hyménée, douce nuit d’amour) se conclut par la phrase désespérée «Non ce n’est pas l’alouette, c’est le doux rossignol, confident de l’amour! » La scène de l’union de Juliette au comte Pâris devant les prêtres est aussi un tableau inoubliable. Cette scène ménage un lent et douloureux suspense  lorsque  les innocentes  petites demoiselles d’honneur déroulent le   triste voile nuptial  dans la magnificence dorée  de la  musique jouée  à l’orgue. « Une haine  est  le berceau de cet amour fatal, que le cercueil  soit mon lit nuptial. » chante Juliette avant de s’écrouler, une phrase  prémonitoire et déchirante qu’elle avait déjà chanté au début.  Et dans la lueur des bougies autour du tombeau qui a remplacé la couche de Juliette, c’est le souvenir poignant  de leur nuit d’amour qui les réunit dans la mort « non ce n’est pas l’alouette, c’est le doux rossignol … Seigneur, pardonne-nous! » Ils ont fui hors du monde. Hors d’atteinte de la haine.

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Regardez les photos: http://www.operaliege.be/fr/photos/romeo-et-juliette-acte-ii-0

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Le mariage du ciel et de l' enfer

William Blake: Le grand Dragon Rouge et la Femme vêtue de soleil

« Le mariage du ciel et de l' enfer » est un des "Livres prophétiques" de William Blake (1757-1827), publié en 1790. Ce texte en prose se ressent de la majesté des versets bibliques. Il veut être une contre-partie à "La sagesse des Anges" d'Emmanuel Swedenborg (1688-1772). Parmi les notes que Blake écrivit en marge de la traduction anglaise de l'oeuvre de Swedenborg (publiée en 1787), on peut trouver la trace du titre du "Mariage" dans ce commentaire: "Ici, le Bien et le Mal sont tous deux le Bien et ces deux contraires s'épousent". Ce titre rappelle aussi "Le ciel et l' enfer" du même Swedenborg.

L'argument central de ce poème est que, "sans les Contraires, il n'y a pas de Progression. L' attraction et la répulsion, la raison et l' énergie, l' amour et la haine sont nécessaires à l'existence humaine". Mais, de ce choc des contraires, ne naît pas chez Blake l' unité intermédiaire, véritable force créatrice de tout progrès réel; le poète s'enferme dans son dualisme et professe que "de ces contraires naissent ce que les hommes religieux appellent le Bien et le Mal. Le Bien, c'est l'élément passif qui obéit à la raison. Le Mal, c'est l'élément actif qui est produit par l' énergie. Le Bien, c'est le Ciel; le Mal, c'est l' enfer. Mais "l' énergie (donc: le mal) est la Joie éternelle", et c'est là qu'est tout le drame du prophète révolté.

Le poète chante la vertu créatrice du désir, qui ne doit jamais être freiné, sous peine de devenir passif et improductif. Et il ne s'agit pas en l'occurence d'un désir quelconque: ainsi que le proclame un des aphorismes de "Il n'y a pas de religion naturelle": "Le désir de l'homme étant infini, la possession est infinie et lui-même est l' infini." Le refus de Blake d'accepter la primauté de la raison humaine semble, à première vue, d'autant plus étrange que "Le mariage du Ciel et de l' enfer" fut composé à une époque où la raison était le mot-cléf de toute philosophie. En était-il venu à penser que ce "royaume de la raison" est essentiellement instable? Ou, tout simplement, s'était-il insurgé -une fois de plus- contre les opinions reçues, comme il se révoltait contre les Eglises établies, gardiennes des lois et des principes, et contre l'organisation sociale qui les sanctionne? On ne saurait rien affirmer.

Toujours est-il que les "Proverbes de l' enfer", qui forment le 5ème chapitre du "Mariage", ont été considérés par les contemporains du poète (et le sont encore de nos jours, par Daniel-Rops, par exemple) comme de véritables axiomes d' anarchie. "Damner fortifie, bénir affaiblit", ou "Les prières ne labourent pas"; ou encore "Les prisons sont bâties des pierres de la Loi; les maisons de prostitution des briques de la Religion". Il est évident que ce sont là des propositions difficiles à accepter pour quiconque reste conformiste; mais pour celui qui juge Blake sans s'arrêter à certaines phrases qui n'ont plus le même sens quand on les sépare de leur contexte, il apparaîtra que, contrairement à Rimbaud qui finit par nier toute possibilité de morale, le but de l'oeuvre de Blake restera strictement moral dans son ensemble.

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