Un boulevard original, d’une étrange cruauté
Dès la première, public ravi dans une salle comble. Mais quelle drôle de pièce … pourtant, tout aussi drôle que le film de Tatie Danielle avec son humour corrosif et débridé. Sauf que plane au fur et à mesure, une incroyable menace comme dans les films d’Hitchcock. Rien ne laisse présager la fin, le suspense durera en effet jusqu’à la dernière réplique.
On peut dire aussi, qu’à certains égards, cette pièce renoue carrément avec le malaise existentiel du théâtre de l’absurde. Ionesco es-tu là? Au début de chaque acte, on assiste à un étrange retour de situations et de répliques identiques qui apparaissent comme autant de sourds avertissements du Destin.
Dans ce cycle infernal, où est le réel? Où commence le cauchemar? Le déjà vu, de plus en plus aigu et oppressant vous prend à la gorge! Le personnage central, père de famille en chaise roulante admirablement joué par Daniel Hanssens, se retrouve coincé dans un effroyable huis clos remarquablement étouffant. Effet thriller garanti: le spectateur est pris lui aussi dans ce glaçant cauchemar de plus en plus … réel?
Le Goliath du rire à la voix stentorienne va-t-il se laisser terrasser par un jeune Daniel (Clément Manuel) impassible et … pervers? Il s’appelle Matthieu, cet incompréhensible beau-fils qui a débarqué chez ses beaux-parents après un voyage en Egypte, mais sans sa femme Bénédicte. Est-il finalement fou à lier ou passible de poursuites judiciaires? Qui sont ses complices?
L’auteur semble en outre procéder à une froide analyse de la haine gratuite, puisque sous des dehors de comédie bourgeoise lestée de codes actuels, se déploie le plan maléfique de ce Mathieu, personnage hautement manipulateur et forcément haïssable. Celui-ci pratique-t-il le mal pour le mal? Pour quelle offense se livre-t-il à une incompréhensible vengeance ? Quelle force guide sa main? En effet, on ne cesse de s’interroger sur ses mobiles d’acharnement. Et il n’y a pas de réponse.
Critique acerbe de la manipulation de la réalité – toujours une source d’angoisse profonde – cette pièce est une condamnation implicite d’une société basée sur le mensonge et totalement dénuée d’humanité. Et pourtant les rires fusent dans la salle. C’est tout l’art de l’auteur. Est-ce par pur cynisme que les aînés sont poussés en dehors des derniers joyeux sentiers de la vie pour finir reclus et abandonnés loin de leurs repères et de leur famille? Inès Dubuisson, au jeu très sûr incarne parfaitement l’attitude passive et égarée de la femme de ce chef de famille, certes un peu caractériel, mais qui aurait eu droit à plus d’égards, non? Enfin, ce spectacle étrange illustre bien l’égoïsme foncier de notre société où tout est bon à jeter.
Pire que tout, la mystérieuse Bénédicte (la fille adorée du couple interprétée par une brillante Marie-Hélène Remacle), porte vraiment mal son nom puisque l’on découvre dans un rythme haletant qu’elle fait partie du plan iconoclaste de l’insatiable Mathieu.
L’ensemble est mené de main de maître, les situations absurdes et comiques s’égrènent avec brio sur un canevas d’enfer. Et c’est le Goliath vaincu qui recueille toute notre sympathie devant l’horreur de la machine infernale en branle. Edgar Poe n’est pas loin. La dernière phrase de cette comédie est un sommet de désespoir.
Jack Nicholson, où es-tu?
Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour Arts et Lettres
https://comediedebruxelles.be/
Distribution : Marie-Hélène Remacle, Inès Dubuisson, Clément Manuel et Daniel Hanssens
Mise en scène : Daniel Hanssens
Assistanat : Victor Scheffer
Scénographie : Francesco Deleo
Lumières : Laurent Kaye
Billetterie : ici
La tournée s’est arrêtée Au Centre Culturel d’Auderghem :
Du mardi 4 au samedi 8 avril à 20h00 et le dimanche 9 avril à 15h00
Dinant : le mardi 11 avril
Ottignies : le mercredi 12 avril
Huy : le vendredi 14 avril
Au Centre Culturel d’Uccle :
Du mardi 18 au samedi 22 avril à 20h15 et le dimanche 23 avril à 15h00