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foule (2)

administrateur théâtres

Pharisiens ou patriciens ?  ... Peu de différence!

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Quand on a 18 ans, on  se sent  un héros. Aveuglé par l’amour, on ne supporte pas le monde tel qu’il est, on se révolte contre la mort, on est prêt à faire tout seul la révolution contre tous les jougs. On se sent gonflé de la puissance quasi divine, prêt  à faire tabula rasa de tout le passé, de toutes les hypocrisies de tous les mensonges et on est prêt à tous les crimes de lèse-majesté, quelle que soit la chute. On se sent libre, lucide, logique. On a des ailes. On crache sur les dieux qui autorisent la souffrance. On veut la Lune. Le rêve de l’impossible. Mais quand Caligula enclenche sa logique, c’est sa propre mort qu’il signe.

Il est jeune, il est beau, il est éphémère... comme Gérard Philippe en 1948. Il est humain, il est exalté et charismatique,  il va jusqu’au bout de la folie, comme Itsik Elbaz, en 2018. Le jeu est mené de main de maître-tailleur de pièces iconoclastes, par Georges Lini. Le spectacle?  Une machine infernale. « Il s’adressera aux gens d’aujourd’hui avec les moyens d’aujourd’hui, dans une scénographie qui sera une machine à jouer, de manière à ramener le propos de Camus à la lumière et exposer sa richesse contemporaine. « L’insécurité ! Voilà ce qui fait penser ! »  Je vais faire tomber quelques gouttes de poison dans l'intimité de chaque spectateur et faire en sorte qu'il assume entièrement ce poison.   C’est  l'expérience de la tragédie moderne, à laquelle toute l’équipe vous convie. »  La distribution de "Belle de nuit", la compagnie de Georges Lini est éblouissante. La scénographie, les costumes (Renata Gorka), résolument modernes se trouvent sous la houlette de  Patrick de Longrée. 

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 « Reconnaissons au moins que cet homme exerce une indéniable influence. Il force à penser. Il force tout le monde à penser. L'insécurité, voilà ce qui fait penser. Et c'est pourquoi tant de haines le poursuivent

La pièce s’ouvre sur le  mot « rien » (nihil). On ne peut esquiver la vérité essentielle que l’on va tous mourir. Avec la mort de sa sœur, le jeune Caligula  prend conscience de  cette finitude, de la condition mortelle de l’homme promis au néant. Les dieux sont morts. Le ciel est vide.   Crise existentielle : le bonheur est impossible quand on est conscient de cette finitude.  Dans  un accès de lucidité mélancolique, la lune devient pour lui le symbole de l’immortalité et du bonheur. « J'ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l'immortalité, de quelque chose qui soit dément, peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde… »  Qu’on la lui apporte ou l’on sera châtié !  Innocent condamné à mort, il se révolte. « Rien ne va plus. Honnêteté, respectabilité, qu'en dira-t-on, sagesse des nations, rien ne veut plus rien dire.»  Il se sent libre  au point de verser dans  une  paranoïa hallucinante. Ultra-moderne dérive: provocation, démesure, cruauté.    

L’œuvre contient à la fois l’impossible rêve de l’impossible, et les très réels bruits de bottes redoutés par Albert Camus lors de son écriture de la pièce en 1938. Le public à la fois spectateur et acteur parmi la foule, stupide, docile, lâche et manipulée, se cabre d’horreur devant les épouvantables meurtres en série décidés par le pouvoir absolu. La spirale de violence est alors sans fin et jusqu’à la nausée. L’image sanglante de la fin rappelle les derniers mots de George Orwell dans « Animal Farm » …en bien plus tragique encore.   

Caligula-05-DEL-Diffusion-Abbaye-Villers-la-Ville.jpg?width=430  Le choix de Georges Lini de présenter l’œuvre iconoclaste au cœur des pierres de l’Abbaye de Villers-la-Ville dans le silence des ruines n’est pas fortuit. Pour mieux prouver les silences de Dieu ? Le malaise est palpable. Pour mieux  souligner le  constat désenchanté et angoissant de l'absurde?   Pour mieux confondre le joug de la tyrannie et confondre ceux qui, de nos jours, usent et abusent, au mépris de tous les honnêtes gens? Pour stigmatiser tous azimuts le pouvoir absolu ?  L’actualité du propos fait mouche.  Le personnage de Caligula porte à la fois la semence du rêve  et sa contradiction qui  va du meurtre au suicide consenti. Certes, les patriciens sont … tout sauf des poètes. comme le chante Jacques Brel,« Ces gens-là, ne pensent pas » le poète  doit être  exécuté !  Certes, le monde a besoin de se réveiller mais, condition humaine oblige, Caligula n’échappe pas à son destin comme dans les grandes tragédies grecques. Par sa folie meurtrière il se condamne sciemment. Il sombre consciemment quand la folie du pouvoir s’empare de lui, au mépris de tout ce qui n’est pas lui. 

  Et Itsik Elbaz fait merveilles dans l’interprétation magistrale et  saisissante de dignité du  personnage de Caligula. Mais il n’y a pas que lui dans l’équipe de Belle de Nuit. France Bastoen,   fulgurante complice,  joue  Caesonia, le pôle féminin de Caligula, rôle qu’elle interprète avec passion, dévotion et  immense justesse, à la façon de l’Ismène d’Antigone, mais parée de la violence radicale de notre époque. A l’instar de Caligula elle ironise sans cesse, tout en invoquant la foi en l’amour et l’espoir de voir son amant guérir de son cynisme. Le Scipion de Damien De Dobbeleer est tout aussi juste. Bien que Caligula ait fait mourir son père, le jeune poète comprend trop bien Caligula pour le haïr et ose lui dire les choses en face. Il lui présente un miroir sans concessions. Stéphane Fenocchi en Hélicon, ancien esclave affranchi par Caligula, et son serviteur le plus dévoué est  particulièrement convainquant et splendidement campé. Il se dit ironiquement « trop intelligent pour penser »… mais vomit, comme Caligula, la lâcheté et l’hypocrisie des patriciens. Didier Colfs fait le poids en jouant Cherea, prodigieux personnage, cultivé et intelligent,  qui tutoie Caligula,  et ne désespère pas de le ramener à l’humanisme…au nom des autres et en homme soucieux de l’avenir de Rome. S’il prend la direction du complot, ce n’est pas pour venger les petites humiliations de patriciens vexés c’est pour le bien commun, en homme intègre qui refuse de rentrer dans la logique nuisible de Caligula. « Il faut que tu disparaisses. D’autres que moi me remplaceront et je ne sais pas mentir ! » :  la voix d’Albert Camus ?  Thierry Janssen se plait à interpréter un Lepidus angoissé, pathétique, plus vrai que nature. La scène du poison jouée par Jean-François Rossion en Mereia est un moment dramatique qui atteint des sommets de théâtralité et d’intensité. Tout bascule.  L’absurdité vous saisit à la gorge.  Michel Gautier et la danseuse  Hélène Perrot à la limite de la transe,  qui jouent  le couple Mucius, complètent remarquablement ce jeu de massacres, teinté en continu par  le soutien musical dynamisant ou nostalgique de François Sauveur et Pierre Constant  à la guitare électrique. A  eux seuls, un chœur antique?  

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Mise en scène : GEORGES LINI

Costumes : RENATA GORKA
Scénographie : PATRICK de LONGRÉE
Création musicale : FRANÇOIS SAUVEUR et PIERRE CONSTANT
Éclairages : CHRISTIAN STENUIT
Assistante à la mise en scène : NARGIS BENAMOR

Avec


ITSIK ELBAZ (Caligula) – FRANCE BASTOEN – DIDIER COLFS – DAMIEN DE DOBBELEER – STÉPHANE FENOCCHI – MICHEL GAUTIER – THIERRY JANSSEN – HÉLÈNE PERROT – JEAN-FRANÇOIS ROSSION – LUC VAN GRUNDERBEECK – FRANCOIS SAUVEUR

Produit par RINUS VANELSLANDER et PATRICK de LONGRÉE

ABBAYE DE VILLERS-LA-VILLE

http://www.deldiffusion.be/prochaine-production

 

Liens utiles: 

https://www.rtbf.be/info/regions/detail_un-caligula-tres-contemporain-au-coeur-des-ruines-de-villers-la-ville?id=9974555

http://www.levif.be/actualite/magazine/tous-les-chemins-menent-a-villers/article-normal-865341.html

 

 

 

 

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administrateur théâtres

L’émotion est déjà sur le qui-vive quand  l’orchestre dirigé par Cyril Englebert, salue respectueusement le public avant de se mettre à jouer. Délicate attention ou respect ressenti pour l’auteur du personnage de Manon, la délicieuse grisette condamnée par la société, qui eut le malheur de savoir se donner?

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Entre opéra-comique et drame sentimental, la « Manon Lescaut » (1856)  de Daniel-François-Esprit Auber, celui qui écrivit aussi La Muette de Portici, est une œuvre rarement jouée de nos jours. C’est la dernière  production et la seule œuvre du compositeur se terminant  de façon tragique. Le livret se base sur la très profane œuvre de l’abbé Prévost, jugée scandaleuse à l’époque : l'Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut qui fait partie Mémoires et Aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde (7 volumes, rédigés de 1728 à 1731). Ce joyau romantique aux immenses qualités humaines  emporte l’imaginaire et  a créé une légende intemporelle de la condition humaine qui inspirera encore Jules Massenet (1884) et Puccini (1893).

manon_lescaut_site_lorraine_wauters_-_opera_royal_de_wallonie-15.jpg?itok=rvYXcg2CEn 1830 apparaît un ballet-pantomime en trois actes de Jean-Pierre Aumer,  sur une musique composée par Jacques-Fromental Halévy. Cette œuvre insiste fortement  sur la légèreté et la frivolité de la dame. Le livret  d’Eugène Scribe utilisé par Daniel Auber gommera ces aspects et ajoutera un couple modèle de la bonne société bourgeoise de l’époque : Marguerite et Gervais qui représentent des valeurs morales édifiantes. Ils gagnent leur vie honnêtement et souscrivent aux valeurs familiales du 19e siècle. «Il faut, prudente et sage, devenir une femme de ménage » ! « Le ciel récompense la sagesse, le travail et l’amour ! »  Un rôle en or pour le beau timbre de l’excellente Sabine Conzen, toute en finesse, en fraîcheur et en spontanéité. Le ténor Enrico Casari interprète un Des Grieux  très juvénile.

 

A la fois grave et légère, l’écriture orchestrale est  très équilibrée et dirigée de façon très  souple et pétillante par le jeune chef Cyril Englebert. Il est même des moments où les yeux, quittant les protagonistes,  se portent vers la fosse de l’orchestre et la baguette du maître tant la musique souligne avec charme les sentiments qui se jouent sur scène. Le jeu des différents pupitres est précis et élégant …. Complètement dix-huitième!   Le travail des bois est admirable, la harpe émerge avec grâce pour célébrer l’union mystique dans le désert, la contrebasse inquiète cerne les dernières pulsations avant la mort de la belle.  

 Dans le rôle-titre, comme il  se doit, une voix de soprano colorature,  mais moins épanouie, moins charnue que ce que l’on pourrait rêver, sans doute à cause de la difficulté de la  diction française pour une jeune asiatique. Si la sentimentalité est quelque peu retenue par le masque poli du sourire, la technique des vocalises volatiles est superlative dans les cinq solos qui se  fondent en  chants d’oiseaux en délire: de la grive à la fauvette des jardins, en passant par les  timbres ludiques  du rossignol. La Manon interprétée par la coréenne Sumi Jo est peu passionnée ou voluptueuse, mais accroche par une technique d’acier trempé! Très malicieuse dans l’air des éclats de rires.  La dernière scène où Manon, changeant d’hémisphère, est  sauvée d’un tigre sauvage par Des Grieux, est splendidement interprétée. Elle est anéantie par le ciel en feu et meurt de soif dans un désert en Louisiane. Elle implore Dieu pour qu’il jette sur le couple un regard favorable «  Tu fis du repentir la vertu favorable, pardonne-nous! »  Vêtue  de la robe de mariée  de Marguerite, elle attendra son compagnon d’éternité au ciel, « Comme un doux rêve, ce jour s’achève… » murmure-t-elle sans pathos, toute à la volupté de l’amour et à l’art de la chanson.  Elle a cessé de vivre ici-bas, c’est ce que semble nous dire l’image de son corps épanché comme une larme sur la gravure d’une carte de la Louisiane en page de garde d’un immense livre ouvert vers le ciel. Un tableau inoubliable.

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Quelques frustrations cependant pour les textes parlés : la distribution pèche un peu par la disparité des  accents sauf bien sûr celui de Roger Joachim qui installe un  fieffé Lescaut, cousin de Manon,   joueur et profiteur, très fier en jambes et en voix. Le deuxième solo, lourd d’émotion,  du Marquis D’Harpigny (Wiard Witholt) est bien sombre et menaçant, enfermant la pauvrette dans un chantage crapuleux et machiste. La gargotière, haute en coiffure, Madame Bancelin, est interprétée avec superbe par Laura Balidemaj et pose le décor social. Très beau réalisme des costumes signés Giovanna Fiorentini. Les Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie  sont dirigés par Pierre Iodice. Ils mettent bien en valeur la hargne des foules avides de boucs émissaire, alors que le marquis, succombant aux blessures infligées par Des Grieux, a pardonné aux amants.

La mise en scène très habile de Paul-Emile Fourny et les décors de Benoit Dugardyn  réussissent à capter l’éternité de la légende de Manon, car le point de départ  est une superbe bibliothèque 19 ème   sous des arcades de style Eiffel, fréquentée par des collégiens 20 ème   en uniformes que l’on dirait anglais, penchés sur  quelques portables 21 ème dans la salle de lecture antique, tandis que d’autres fouillent les rayons à la recherche d’un livre 18ème . Quelques meubles vont et viennent, l’action se trame, la Louisiane apparaît et l’histoire se clôt sur la vision de cette jeune  étudiante éternelle qui remet délicatement dans les rayons le livre de l’abbé Prévost.

Au retour, résisterez-vous à l’envie de  fouiller votre propre bibliothèque et d’exhumer l’édition de vos années d’adolescence en format poche N°460 présenté par Pierre Mac Orlan?

DIRECTION MUSICALE : Cyril EnglebertMISE EN SCÈNE : Paul-Emile FournyCHEF DES CHŒURS : Pierre IodiceARTISTES : Sumi JoWiard WitholtEnrico CasariRoger Joakim,Sabine ConzenLaura BalidemajDenzil DelaerePatrick Delcour

NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS : 5 DATES : Du mardi, 12/04/2016 au mardi, 19/04/2016

 http://www.operaliege.be/fr/activites/operas/manon-lescaut

Et  le live, dès le 15 avril sur Culturebox : http://culturebox.francetvinfo.fr/festivals/opera-royal-de-wallonie-liege/manon-lescaut-d-auber-opera-royal-de-wallonie-237369

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