« Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège

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Nous attendions beaucoup des « Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège puisque, c’est la deuxième fois que nous assistons à cette production,  dans la mise en scène sobre et poétique du nippon Yoshi Oïda et les décors de Tom Schenk.   La mise en scène  de 2015  n’a pas pris une ride, car elle touche l’universel.   Il s’agit du premier opéra que Bizet composa à 24 ans. Il était  pour l’époque, d’un exotisme délirant dans la partition et le livret, la référence à la mer et  aux pêcheurs de la  côte étant omniprésente. L’opéra se déroulait dans l’île de Ceylan,  ce qui est maintenant devenu le Sri Lanka depuis 1972.  Mais le metteur en scène, Yoshi Oïda,  désireux de nous transporter dans un ailleurs mythique et imaginaire, semble s’être inspiré soit de la culture  matriarcale des plongeuses  japonaises « ama »,  une coutume  vieille de  quatre mille ans en ce qui concerne le culte de la mer,  ou de celle de « noros », ces femmes  chamanes de l’ancien royaume du royaume des Ryûkyû, Okinawa, un archipel  japonais en forme de Dragon, aux portes de Taiwan, un centre du monde habité par les dieux.  Vestales japonaises, ces femmes  sont toujours là à entretenir une communication sacrée avec les forces divines de la nature, et à un degré supérieur, celles de l’univers. La crainte qu’inspirent  les dangers des  flots marins, engageait naturellement  sur les chemins du sacré. Le sensuel et le spirituel se rejoignant.

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 Et voici une nouvelle  distribution, très solide, combinée à une très belle performance musicale sous la direction de  Michel Plasson, 86 ans,   qui connaît  si intimement  cette œuvre  de Bizet. Les costumes dessinés par Richard Hudson sont  des variations du bleu ardoise  de  « Ce toit tranquille, où marchent les colombes », déclinés en turbans, écharpes, chemises frustes, et vêtements de travailleurs de la mer, bleu de Gênes. Un contraste saisissant avec les voiles éclatants de blancheur de la déesse vierge.   Lumières subtiles et ouvragées de Fabrice Kebour qui fait coïncider le soleil levant meurtrier  avec les cuivres orchestraux des premiers rayons d’une aube incandescente.   Pierre Iodice,  fidèle commandeur  des chœurs de la maison liégeoise,  assurait aux choristes  une fluidité de flots marins, ménageant des moments de frissons poétiques et célestes!   Ainsi,  au tomber du rideau, la salle comble  a   offert  une nouvelle fois – à juste titre – une ovation debout, pleine d’enthousiasme associée à un tonnerre d’applaudissements pour cette œuvre dont le foisonnement des joyaux mélodiques regorge  de morceaux pleins de feux et d’un riche coloris selon  les dires de Berlioz. 

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Le livret se déroule comme un long  flashback nostalgique et tragique de solitude héroïque bercée par le roulis de la vague marine.  Zurga et Nadir, deux hommes tombés amoureux de Leïla dans leur jeunesse ne veulent pas risquer leur amitié et  font le serment de  ne pas répondre à leurs sentiments pour elle. Mais plusieurs années plus tard, il semble que l’amour pour  cette femme idéalisée ne  se soit   jamais éteint. « À aucun autre moment le sensuel n’est aussi chargé d’âme et la part d’âme aussi sensuelle que dans la rencontre. Tout est alors possible, tout est en mouvement, tout est dissous. Il y a là une attirance réciproque, vierge encore de convoitise, mélange naïf de confiance et de crainte. Il y a là quelque chose de la biche, de l’oiseau, … pureté angélique, présence du divin… Ce quelque part, cet incertain pourtant animé par la force du désir… La rencontre promet davantage que ne peut tenir l’étreinte. On dirait, si je peux m’exprimer ainsi, qu’elle ressortit à un ordre supérieur des choses, cet ordre qui fait se mouvoir les étoiles et féconde les pensées… »
Hugo von Hofmannsthal, Chemins et rencontres.

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Et bien que la jeune et fougueuse Leïla ait juré  à Zurga  devenu roi, et au reste du village de  rester  la très chaste et pure gardienne du  rocher qui surplombe la mer, et dont la tâche est de repousser les mauvais esprits qui emportent les pêcheurs dans les abysses,   son désir la porte  toujours vers Nadir, le coureur des bois. Cyrille Dubois chante un héros élégiaque, plein  de charme, au timbre galbé et chaleureux et charismatique, porté par un souffle puissant.   Annick Massis développe habilement le rôle féminin de cet opéra, commençant par celui d’une femme  innocente et docile et concluant celui-ci dans  une apogée  d’amour passionné, cueillant à chaque pas de fulgurantes vocalises.  Elle  a promis par trois fois de « vivre sans ami, sans amour, sans amant ! » Malheur à elle si elle succombe !    Le lien qui l’unit  mystérieusement à Zurga est de l’avoir sauvé dans sa jeunesse, lorsqu’il était un pêcheur rescapé, accueilli sous le toit familial. Elle a gardé de lui, un collier de perles.    Intense, impulsive, très passionnée, elle forme avec Nadir  un duo  pris par l’élixir de  la musique et qui chante l’ élévation  vertigineuse es sentiments . Tous deux  atteignent les profondeurs du cœur. C’est ce qui bouleverse le public.  Bien sûr, la chute est imminente. Et lui, flotte dans le ravissement ! « Oui, c‘est elle! C‘est la déesse. Plus charmante et plus belle. Oui, c‘est elle. C‘est la déesse qui descend parmi nous. Son voile se soulève et la foule est à genoux. »  Passent les pêcheurs et leurs nasses d’osier «Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore Comme un chant de ramiers. Ô, nuit enchanteresse, Divin ravissement, Ô, souvenir charmant, Folle ivresse, doux rêve! Aux clartés des étoiles, Je crois encore la voir Entrouvrir ses longs voiles Aux vents tièdes du soir. Ô, nuit enchanteresse, Divin ravissement, Ô, souvenir charmant, Folle ivresse, doux rêve » ponctués par des violoncelles en voix  presqu’humaines.

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L’orchestre construira l’angoisse et le silence, les présages de mort et d’épouvante et leurs chasubles blanches, leurs torches hostiles,  les barques agitées par les flots. Le chœur est rempli d’effroi «  Un  étranger s’est introduit parmi nous ! »Tout est dit ! La vindicte de la foule se lève comme une effroyable tempête. Le quatuor d’interprètes a été complété par le brutal et revêche  Nourabad de Patrick Delcour. Brutalité et cruauté sont les maîtres mots qui enclenchent tout de même le remords chez Zurga. Les erreurs humaines sont sources de larmes, Leila  dans des accents qui font penser à  Norma, agile et palpitante, victime de sa fonction de prêtresse, plaide la cause de Nadir, il est innocent : «  Accorde-moi sa vie, pour m’aider à mourir » : c’est alors que déferle la rage de la jalousie qui rend le roi  Zurga aveugle, barbare et cruel.  Ce rôle est tenu par le baryton belge  Pierre Doyen, au timbre brillant,  qui  retrouve,  après avoir sombré dans la sauvagerie de la jalousie,  une ligne de chant ferme, noble et élégante.   Au bord du trépas romantique, les amants se  fondent  déjà dans l’amplitude de l’éternité lumineuse, dans une ivresse mystique, auprès d’un dieu salvateur.  Mais ils ne mourront pas car Zurga, ayant reconnu le collier donné à la jeune-fille d’antan,  leur ouvre les chemins de  l’exil,  après avoir mis le feu au camp pour brouiller les pistes. Est-ce à dire, que jamais les liens entre  les personnes ne se rompent, ni ici, ni ailleurs? Le couteau est inutile et vain.

Dominique-Hélène Lemaire

«  Les Pêcheurs de perles » à l’Opéra  de Liège      

Du 08 au 16 novembre 2019

Photos © Opéra Royal Wallonie-Liège