« 1984 » George Orwell au théâtre du Parc (Bruxelles)
Mars16, 2019
On dirait qu’après avoir extrait l’élixir maléfique de ce roman d’anticipation écrit en 1948 , Thierry Lebroux a investi le plateau avec une œuvre encore plus parlante et plus explicite … Nos jeunes, installés aux premières loges, car c’est sur eux que repose tout notre avenir, apprécieront!
D’un visionnaire à l’autre...
Si on avait la moindre tentation de banaliser le propos que Georges Orwell développe minutieusement dans son roman « 1984 », l’adaptation qu’en a faite Thierry Debroux à l’aube de la nouvelle décennie l’an 2000, brûle d’un pouvoir de suggestion et d’urgence encore plus vif que l’œuvre mère. Savamment filtrée par le mystérieux alambic du directeur du théâtre du Parc, l’adaptation retient l’essentiel et nous parle en direct et sans ambages. Elle se fonde sur notre vécu et l’observation des multiples dérives du monde abrutissant qui nous entoure. Ce ne sont plus les dérives épouvantables de l’hitlérisme et du stalinisme conjugués qui sont ici évoquées, mais celles des temps présents, que nous ne cessons de déplorer chaque jour et qui semblent projeter un horizon 2050 totalitaire, encore plus désincarné et déspiritualisé et certainement totalement déshumanisé. Le prix à payer à l’essor des technologies et de l’intelligence artificielle dans un monde hyperconnecté et à la gourmandise des puissants? Un froid glacial nous glisse dans le dos.

Comme à la sortie du roman d’Orwell, on est à nouveau devant un faisceau d’avertissements dont on craint à juste titre qu’il soient prophétiques. Les prendrons-nous en compte, cette fois?

Le super duo Fabian Finkels-Guy Pion a fait merveille une fois de plus. Présence théâtrale confirmée, esprit, vivacité, diction impeccable, justesse de ton, sensibilité, charisme, tout y est.Guy Pion prend habilement les habits de la « mauvaise pensée » du héros Winston, (Fabian Finkels) et sert de personnage supplémentaire à Thierry Debroux pour mettre en scène le journal intime , fil conducteur de l’œuvre d’Orwell. Coup de maître, puisque le même Guy Pion, très astucieusement vêtu du même manteau et chapeau appartenant à un siècle révolu, joue aussi le rôle d’O Brien , l’opposant au régime, ou pas… La résultante des méprises est d’autant plus glaçante. Une méprise semblable à celle annoncée dans la conclusion de « Animal Farm» (1945) la fable prophétique d’Orwell où les personnages finissent par se mélanger indistinctement dans l’esprit du narrateur. ..Et si ce splendide équipage Finkels-Pion , un véritable bijou d’art scénique, représentait par leur ensemble tellement bien huilé, l’essence charnelle et spirituelle de notre nature humaine? Quelle paire! Unique en son genre, extraordinairement vibrante et bouleversante!
De même, le formidable duo Winston -Julia (Muriel Legrand) creuse les sentiers interdits de l’amour prêt à succomber. Ou ceux de la trahison… Mention spéciale décernée au terrifiant duo mère-fille, Magda et Lysbeth Parsons, joué à la perfection par Perrine Delers et en alternance, Ava Debroux, Laetitia Jous et Babette Verbeek , aussi impressionnante que Misery, personnage de Stephen King. C’est tout dire! Pierre Longnay tient le rôle de Syme, avec conviction. La mise en scène de Patrice Mincke, alterne dialogues, chansons et les superbes chorégraphies de Johann Clapson et Sidonie Fossé. Fort heureusement, les voix humaines qui s’élèvent à travers les chants et les ballets des danseurs trouent par moment l’univers étouffant des circuits électroniques et des écrans omniprésents et convoquent notre émotion en aiguisant notre nostalgie, comme si déjà on y était, au cœur de cette détestable uchronie, où sévissent des drones de tout poil. C’est à pleurer! Et pas de rire…

Le décor irrespirable et oppressant de Ronald Beurms est fait de monstrueux containers imbriqués au début du spectacle, dans une sorte de rubik’s cube glauque fait de métal et de bois brut comme un immense coffre-fort.

« Morituri te salutant » Le monde ne tourne plus rond, il se bloque dans des mouvements d’abscisse et d’ordonnée, , celui d’un ordre nouveau jouant sur la verticalité et l’horizontalité ne laissant plus aucune place à la pensée, à la vie, aux courbes, à la nature, à la féminité. Les concepts sont inversés, on marche donc sur la tête. L’Amour n’est plus, vaincu par la Haine que l’on se doit de vénérer en groupes. Elle est érigée en principe de vie dès le plus jeune âge, la dénonciation d’autrui étant devenu le modus vivendi. Vivre ou mourir, quelle importance? La seule raison d’exister est de servir Big Brother ou vous êtes vaporisé. Le monde n’a plus aucune notion de paix puisqu’il est en état de guerre perpétuelle. La liberté, même celle inscrite au plus profond de nos rêves est mise hors la loi. Le langage, à long terme est appelé à disparaître, pour empêcher toute ébauche de critique du régime politique en place. L’inoffensif terme «Monsieur» est même en passe de disparaître du dictionnaire. Tout comme l’amour, le vin, la musique, les parfums et Shakespeare. C’est l’avènement d’un langage épicène visant à l’extinction de la pensée. «Big Brother »vise à ce que les citoyens soient rendus à une existence de moutons coupables, dociles et décérébrés. Happy End.

Applaudir ou ne pas applaudir? Là est la question. On applaudira à tout rompre, mus par la pertinence et la beauté du spectacle, sa créativité parfaitement aboutie et l’élan vital et spirituel qui nous habite encore.
« 1984 »
Du jeudi 7 mars 2019 au samedi 6 avril 2019
Avec : Perrine DELERS
Julie DIEU
Béatrix FERAUGE
Fabian FINKELS
Muriel LEGRAND
Pierre LOGNAY
Guy PION
les enfants Ava DEBROUX, Laetitia JOUS ou Babette VERBEEK
Ainsi que les figurants:
Pauline BOUQUIEAUX, Johann FOURRIÈRE, Laurie GUENANTIN, Vanessa KIKANGALA, Barthélémy MANIAS-VALMONT, Romain MATHELART, Franck MOREAU et Lucie VERBRUGGHE.
Mise en scène : Patrice MINCKE
Assistanat : Melissa LEON MARTIN
Scénographie et costumes : Ronald BEURMS
Éclairages : Laurent KAYE
Vidéos : Allan BEURMS
Musique originale : Laurent BEUMIER
Maquillages : Urteza DA FONSECA
Chorégraphie : Johann CLAPSON et Sidonie FOSSÉ
Crédit photos: ZvonocK
Basée sur le roman Mille neuf cent quatre-vingt-quatre de George Orwell (Copyright, 1949), avec l’accord de Bill Hamilton, ayant-droit du patrimoine littéraire de la défunte Sonia Brownell Orwell.
Une coproduction du Théâtre Royal du Parc, du Théâtre de l’Eveil et de La Coop asbl.


"Le roi nu"
Ascension: la jeune actrice provinciale (une sulfureuse Deborah De Ridder) qui est montée à Buenos Aires rencontre le colonel Juan Perón (l’excellent Philippe d’Avilla) lors d'une vente de charité organisée afin de récolter des fonds pour les victimes du tremblement de terre dans la région de San Juan. Chassant sa dernière maîtresse (nommons l’exquise Maud Hanssens, la fille du metteur en scène), elle l'épouse le 21 octobre 1945. Elle contribue grandement à son élection comme président en 1946. Elle met en avant ses racines modestes afin de montrer sa solidarité avec les classes les plus défavorisées et crée la Fondation Eva Perón dont le rôle est d'assister les pauvres.


Dès les premières mesures, le chef d’orchestre Paolo Arrivabeni - une première pour le maestro- convoque l’atmosphère. On sait que ce sera musicalement superbe. Intensité dramatique croissante : les contours angoissants de la sinistre prison emplissent l’imaginaire engouffré dans les replis de la musique et accroché à l’ombre portée des barreaux sur le rideau. Où se trouve donc le prisonnier enfermé pour dissidence?
Fidelio, le seul et pour cela très unique opéra de Beethoven, raconte le sauvetage du prisonnier politique Florestan par son épouse Léonore. Léonore habillée en garçon, Fidelio, obtient un emploi avec le directeur de la prison, Rocco. Elle persuade Rocco de laisser les prisonniers respirer au grand jour quelques moments, en espérant que cela offrira à Florestan une petite chance d'évasion. Mais à son insu, le gouverneur tyrannique Don Pizzaro prévoit de le tuer puisque Rocco s’y refuse ( « Das Leben nehmen ist nicht meine Pflicht »), afin de ne pas être découvert et confondu par les autorités pour ses agissements. Léonore fera tout, y compris creuser de ses mains la tombe de son mari pour lui venir en aide et lui faire retrouver la liberté.
Le bon ministre Don Fernando (Laurent Kubla) est arrivé, Pizzaro emmené par des gardes. C’est Leonore qui libèrera son mari des entraves. « O Gott, welch ein Augenblick ! » « Liebend ist es mir gelungen, dich aus Ketten zu befrei´n». La lumière emplit l’espace et inonde le plateau qui avait pris l’apparence d’un pénitencier moderne. Dans le final resplendissant qui s’apparente à la thématique de l’Hymne à la joie - long moment inoubliable - toutes les femmes suivent l’exemple de Léonore et enlèvent les fers des pieds de leur mari, les jetant avec dégoût au bord de la scène. On est très loin de la moralité bourgeoise! Il s'agit plutôt d'une morale héroïque. On ressort du spectacle, l’amour de la liberté fiché dans le cœur. On a entendu un émouvant manifeste pour l’amour conjugal, dans sa profondeur et sa vérité, l’accomplissement du devoir moral et l’affranchissement de toute dictature.