De part en part, un combat résolument moderne
L’excellent Guy Pion dans une antique école des femmes? Un poids plume peut-être, mais qui fait pourtant vraiment le poids face à Lysistrata, la très brillante Anoushka Vingtier et ses huit filles extraordinairement vaillantes. Car les voilà de plus en plus convaincues et résolues à changer le monde pour rétablir enfin la paix. En effet, la triste et sanglante guerre du Péloponnèse dure depuis vingt ans entre la démocratie d’Athènes, grande puissance maritime et la ligue du Péloponnèse, menée par la très oligarchique et jalouse Sparte. Celle-ci n’hésitera d’ailleurs pas à s’allier avec Les Perses, ennemis jurés des grecs, pour signer la chute définitive de la Grèce antique de Périclès. Ainsi, Athènes ne sortira finalement du feu et de la folie qu’en 404 avant notre ère, vaincue et humiliée.
Gravité et sérieux animent donc cette belle comédie d’Aristophane, produite en 411 avant notre ère, en signe de courageuse opposition aux va-t-en-guerre. Cette oeuvre du grand comique est bourrée bien sûr de jokes d’humour sauvage et licencieux typique de l’auteur antique. Faisant quelque peu le ménage dans les allusions phalliques, l’adaptation parfaitement inspirée de Thierry Debroux est succulente d’esprit, regorge de savoureux anachronismes et apparaît néanmoins pleine de consistance. Telle sa version vraiment frappante du mythe de la caverne de Platon qui commence ,en citant …Socrate. En joue, au-delà de la guerre : la corruption, ces politiciens véreux qui profitent de la guerre, le patriarcat égoïste plein de superbe, la soumission silencieuse des femmes, le triste statut des esclaves, les oubliés de la société. On retiendra la magnifique Keisha, cette merveilleuse servante intelligente jouée par Alex Lobo.
En hommage? A la lutte viscérale des femmes pour la paix, au retour de la vie et de l’harmonie. Même si, dit le texte, « le pire ennemi de la femme, c’est la femme! » Courez donc voir ce magnifique spectacle, vous comprendrez!
Le pitch: « Lysistrata », un nom qui signifie en grec ancien « je défais les armées », dépeint la prise par les femmes de la cité de l’Acropole et du trésor d’Athènes gardé par un magistrat bien heureux dans sa fonction: notre fameux Guy Pion. À l’instigation de Lysistrata, voilà même les athéniennes unies aux femmes de Sparte, ô les traitresses, pour interdire toute relation sexuelle avec leurs époux, jusqu’à ce qu’ils se décident à mettre fin à l’innommable guerre. C’est cela ou la mort de la société! Non contentes de passer leur vie à la tenue du foyer, les femmes tiennent bon, réclament leur participation à la vie de la cité, jusqu’à ce que leurs partenaires, désespérés arrangent la paix. Ainsi, hommes et femmes seront alors réunis. La grève du sexe aura porté ses fruits! Le bouquet, c’est ce chœur final d’une beauté bouleversante. Surtout quand on s’aperçoit qu’il s’agit de l’ode à la Liberté dans l’émouvante chanson Baraye, écrite pour dénoncer une affligeante réalité de notre monde: l’assassinat en Iran de #MahsaAmini, âgée de 22 ans à peine, le 16 septembre 2022.
Guy Pion et Béatrix Ferauge Photo Aude Vanlathem
Aspasie, la femme du magistrat, cet homme comblé, est audacieuse au lit et totalement soumise à son mari. Jouée à la perfection par Béatrix Ferauge, elle évolue néanmoins à vue d’œil et rejoint sans tarder les vaillantes amazones. Toutes : étincelantes de vigueur, de beauté et de cœur au ventre : Margaux Frichet, Océa Ghonel, Charlotte de Halleux, Tiphanie Lefrançois, Noémie Maton, en fabuleuse Hécate, l’intrigante déesse lunaire et Emma Seine. Un décor unique: une élégante rotonde de colonnes doriques, bruisse de chants d’oiseaux et de couleurs… Une allusion à la tholos de Delphes qui marque l’entrée du sanctuaire d’Appolon et dédiée à Athéna? De savants jeux de lumières y reflètent les différentes humeurs depuis l'horrueur de la guerre jusqu’à la couleur de la cigüe … Avec cela, des costumes, des maquillages et des coiffures haut de gamme. A la vidéo: Allan Beurms. Et la somptueuse voix de Bernard Yerlès…
Ce spectacle est donc d’une richesse extraordinaire. La dynamique des combats et chorégraphies scande le texte sans lasser, ne laissant aucun moment de répit devant le cri éternel et désespéré des femmes: il faut sauver le monde du tourment de la guerre!
Dominique-Hélène Lemaire, Deashelle pour Arts et Lettres
Au Théâtre du Parc à Bruxelles – jusqu’au 14 octobre 2023
Avec Béatrix Ferauge, Margaux Frichet, Océa Gonel, Charlotte De Halleux, Noémie Maton, Tiphanie Lefrançois, Alex Lobo, Guy Pion, Emma Seine, Anouchka Vingtier.
Mise en scène Thierry Debroux Assistanat Catherine Couchard
Costumes Béa Pendesini Lumières Xavier Lauwers
Décor sonore Loïc Magotteaux Maquillage et coiffures Florence Jasselette
Composition des chœurs chantés et coaching vocal Camélia Clair et Daphné D’Heur
Chorégraphie des danses Emmanuelle Lamberts Chorégraphie des combats Émilie Guillaume
Vidéos Allan Beurms
Photos Aude Vanlathem