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SPECTACLES

Stefan Zweig, invité d’honneur au Public

Coup de billard à trois bandes réussi…

  • "Le Monde d’Hier" de Stefan Zweig, témoignage magistral du 20e siècle, se joue au Théâtre Le Public jusqu’au 26 février.
  • Stefan Zweig, le 1 janvier 1930.
  • © Alice Piemme – Théâtre Le Public / « Le Monde d’Hier » de Stefan Zweig au Théâtre Le Public jusqu’au 26 février.

Écouter le monde d’hier pour penser le monde d’aujourd’hui. Voici le défi de ce spectacle éveilleur de consciences. Un cocktail qui met le questionnement au premier rang: le pourquoi, le comment? Avec l’inquiétude comme carburant.

Stefan Zweig ne se plaint-il pas de “ son inquiétude intérieure déjà intolérable » qui ne le laisse jamais en paix et le pousse à voyager. Il fustige ce “Weltschmerz” qui signifie l’échec de la civilisation. Comment le monde est-il passé de la plus grande élévation spirituelle, telle qu’elle était palpable à Vienne avant 1914, à la pire des décadences morales de notre civilisation, dès les années 30, avec la montée du fascisme? Comment le monde a-t-il pu s’habituer à la violence, à l’injustice, à la brutalité absolue?

Ce travail de spéléologie est orchestré avec détermination par une équipe de chercheurs dynamiques, emportés par la relecture de cette œuvre maîtresse de Stefan Zweig: « Le monde d’hier », Souvenirs d'un européen. Ils ont arraché leurs masques de théâtre, ils ont quitté volontairement leur zone de confort artistique, baissé toutes leurs gardes et lâché leurs armes de comédiens pour porter la souffrance de ce siècle passé – et sans doute les angoisses du nôtre – devant nos yeux avides de clarté. Un travail de groupe, un exercice de cours d’histoire, sans doute aux relents didactiques, puisque la passion de la transmission est bien présente. Juste avec chacun, humblement, son émotion intime. Itsik Elbaz, Patricia Ide et Anne Sylvain ont fait ce courageux pari, de gommer toute anecdote, de fuir tout effet de théâtre, pour présenter à la façon anglo-saxonne ce que eux appellent “facts”. Comme au tribunal. Des dates à rebours, des photos d’époque, des coupures de journaux, des citations, et le puissant roman de Stefan Zweig bien sûr, avec sa poignante lucidité comme pièce de résistance.

Spéléologie, parce que tout l’art est de plonger en apnée et à rebours à travers les dates, dans ce livre à la fois lumineux et absolument noir: “Die Welt von Gestern“ Le monde d’hier, Souvenirs d'un européen. Un roman autobiographique, car l’auteur y retrace pas à pas la déconfiture de l’idéal paneuropéen tel qu’il l’avait fait sien avec la fougue de ses jeunes années flamboyantes, quand il habitait Vienne, juste en face de la maison de celui qui allait vouer cette Europe rêvée au carnage, à la haine élevée en institution et à la défaite absolue de la raison. Stefan Zweig décrit avec passion ce monde révolu où la liberté était l’étendard et les voyages se faisaient sans le moindre passeport. Où une formidable culture bouillonnait à travers tous les arts: de la cuisine, à la musique, à la poésie, la philosophie, le théâtre, l’histoire, le roman… les sciences, loin de toute mise en boîte, ou récupération politique. Un genre d’âge d’or, avant que n’ éclatent les atrocités des deux guerres mondiales et le désastre de la conscience humaine.

Sur scène, on commence par la triste fin suicidaire du couple … pour remonter aux origines du mal. A sa banalisation. Personne n’a mentionné la figure de Hannah Arendt, mais on ne peut pas s’empêcher de penser à elle.

Tout cela sous le regard de Myriam Youssef, à la mise en scène. Le fond dépasse tellement la forme, que celle-ci s’estompe naturellement pour parvenir au cœur du paradoxe: Pourquoi, Comment , la culture est-elle si dérisoire face à la barbarie, et pourtant son unique rempart?

Ce spectacle est à la fois une œuvre de mémoire, une invitation à sortir de l’aveuglement ou de la léthargie que nous imposent souvent les politiques, un appel à notre esprit critique, et une consécration de notre droit à la liberté. Un refus des fallacieuses vérités qui suppriment le doute et renforcent la prise de pouvoir.

On ne peut qu’admirer une si noble démarche intellectuelle et humaniste loin des discours perroquet du monde.

Dominique-Hélène Lemaire, pour Le réseau Arts et Lettres

Distribution

De Stefan Zweig | Adaptation : Itsik Elbaz | Mise en scène collective | Avec : Itsik Elbaz, Patricia Ide, Anne Sylvain

LAISSEZ NOUS UN AVIS !

Du 31 janvier au 26 février 2022

Théâtre Le Public
Rue Braemt, 64 70 1210 Saint-Josse-Ten-Noode Contact : http://www.theatrelepublic.be
contact@theatrelepublic.be
+32 80 09 44 44

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 My Fair Lady à Bruxelles 

Auriez-vous eu par hasard vent de  l’exposition sur la vie d’Audrey Hepburn, « Intimate Audrey »* , créée cette année à Bruxelles par son fils Sean Hepburn Ferrer, pour fêter  les  90 ans de sa mère, dans la ville natale de l’artiste ?  Celle-ci se tient  depuis le  1er mai et jusqu’au 25 août 2019 dans l’Espace Vanderborght. Sielle est passée inaperçue  et qu’elle ne vous a pas particulièrement fait dresser l’oreille, voici pour  l’artiste  comme pour nous, un merveilleux cadeau.

Il est  offert par le festival « Bruxellons » qui propose un « My Fair lady » éblouissant, vigoureux comme aux premières heures, débordant de verve et de bienveillance. Une splendide façon de fêter les 20 ans du festival !   Sous la direction artistique de Daniel Hanssens qui s’est saisi du sujet des charmes de la phonétique  anglaise et de la fable sociale,  ce cadeau vous attend au château du Karreveld à Molenbeek, dans une version de comédie musicale bruxelloise inédite, peaufinée et impeccable.

L’image contient peut-être : une personne ou plus et intérieur

La mise en scène est de Jack Cooper et Simon Paco. C’est un spectacle de haut niveau qui plaira au beau monde comme aux chats de gouttière. Tout y est beau et soigné : les décors, les costumes, la scénographie, les ensembles, les chorégraphies, le chant, et bien sûr la phonétique : irréprochable! Même transposée en français !

L’histoire

Qui ne se souvient donc pas des remarquables  talents d’actrice d’Audrey Hepburn en 1964 et de  sa présence  hypnotique  à l’écran, dans cette comédie musicale unique en son genre, même si pour les chansons,  sa voix avait été doublée ?   Elle sera à jamais associée au personnage d’Eliza Doolittle en interprétant  le parcours fabuleux  de l’insolente jeune vendeuse de violettes à l’accent cockney épouvantable, qui guettait quelques sous auprès de  grands bourgeois au  sortir de l’Opéra… dans le très pittoresque  Covent Garden du début du XXe siècle. Incroyable coup du sort,  Le colonel Pickering lui achète une fleur et son ami distingué phonéticien se prend au jeu de vouloir faire passer la gueuse pour une duchesse grâce à la qualité de ses manières et de son langage.

L’origine du spectacle

Georges Bernard Shaw avait commencé à écrire sa pièce « Pygmalion »  au printemps 1912.  La pièce  fut jouée la première fois en 1913 en allemand, en Autriche, avant d’atteindre les feux de la rampe à  Londres un an plus tard. Mais, toute sa vie, jusqu’en 1950, date de sa mort,  Georges Bernard Shaw refusa que l’on adaptât sa pièce « Pygmalion » en opérette, repoussa  tout essai d’adaptation cinématographique, hormis  celle de 1938 avec Gabriel Pascal, où il conserva une supervision constante de l’adaptation. Penguin is Penguin (books) of course, le texte c’est le texte ! Librement inspiré du mythe grec de Pygmalion et de Galatée (popularisé par le poète romain Ovide dans ses Métamorphoses), « Pygmalion » et  « My fair Lady » partagent beaucoup de points communs avec la satire sociale de Shakespeare, « The Taming of the Shrew », dans laquelle un homme brutal apparemment (mais pas tout à fait) se mesure à  une femme à l’esprit libre. Si bien que Georges Bernard Shaw se disputa avec les metteurs en scène qui osèrent à maintes reprises  vouloir donner une fin romanesque à l’histoire en l’ouvrant  sur le mariage du Professeur Higgins et de sa protégée.

Foin des romances à deux balles

Si la jeune femme s’est construite grâce au professeur, l’admire sincèrement, et a vécu une relation unique avec lui,  elle est devenue une autre personne et s’affranchit totalement de son influence. Shaw tient en effet à dénoncer la société anglaise où les femmes se laissaient soumettre. Si les femmes de plus de 30 ans peuvent voter en Angleterre dès 1918, Il faut attendre la loi de 1928 qui donna le droit de vote aux femmes à 21 ans quel que soit leur état de fortune. Vote For Women! La mise en scène  n’a pas raté l’occasion de le souligner !

Les textes

Cette version bruxelloise francophone** de la comédie musicale est fidèle aux textes et à l’époque. Quel bonheur ! La libre traduction de Stéphane Laporte est d’une grande  saveur et d’une belle empathie littéraire. La musicalité de la langue anglaise a trouvé des échos francophones pleins de charme et de vivacité.   Cette adaptation soignée sous la direction d’Olivier Moerens  donne une performance remarquablement aiguisée du flegme anglais, incarné par le très rusé professeur Henry Higgins dont l’excellent Frank Vincent  tire une interprétation très juste.  Le personnage  est  archi plein de lui-même, archi fier de sa condition de « vieux célibataire confirmé »,  psychologiquement  à côté de ses satanées pantoufles en matière de sentiments, inconscient du mal qu’il fait, mais étrangement sympathique. 

Sous les étoiles

 L’humour pétille sous les étoiles dans la cour du château du Karreveld. Les petites gens sont aussi bien campées dans le verbe, que les habitués d’Ascott.  Décernons aussi  de multiples  médailles pour les fabuleux costumes signés Béatrice Guilleaume et la scénographie de Francesco Deleo, les divines coiffures d’Olivier Amerlinck,  les maquillages et perruques de Véronique Lacroix. Aux chorégraphies Kylian Campbell, aux lumières Laurent Kaye.  A la direction musicale de l’orchestre, des solistes et des chœurs, la pétulante  Laure Campion assistée parJulie Delbart. L’image est retransmise sur des écrans discrets pour ceux qui s’intéressent à la magie de la baguette.  Un orchestre live de 12 musiciens   joue en effet dans la Chapelle du Château, respect aux instruments… mais  ils viendront  saluer le public qui trépigne de bonheur.

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Les voix

La vigoureuse gouvernante du Professeur Higgins, Mrs. Pearce,  a de l’ascendant. Elle  lui rappelle « qu’on ne ramasse pas une fille comme on ramasse un galet sur la plage !» Elle est une voix de la raison. Elle  représente la voix traditionnelle, maternelle, de la classe « inférieure ». Elle se rapproche rapidement d’Eliza qu’elle entend protéger…  Un rôle à la mesure de Laure Godisiabois au mieux de sa forme.

Mme Higgins, la mère du professeur représente aussi la voix de la raison. Elle est jouée par Jeanine Godinas, royale. Emouvante, et  sensible lorsqu’elle se prend d’amitié pour Eliza. Comme dans sa jeunesse, elle est féministe en  diable et finalement  insensible aux peines de cœur de son fils qui n’a toujours pas grandi malgré ses exploits linguistiques!

 La troisième voix de la raison est  bien sûr celle de  Mr. Pickering (François Langlois), subtilement paternel,  nanti de cette bienveillance qui lui fait traiter la bouquetière comme une duchesse, contrairement à son ami Henry Higgins !

Et puis il y a la voix du coeur, celle du « love at first sight », sublimement  «  love me tender ! » : Samuel Soulie dans le rôle de Freddy. Eliza succombera-t-elle ? Elle demande à voir…

Le rôle-titre

Eliza Doolittle,  affligée d’un parler populaire à couper au couteau, d’une phonétique branlante, d’une grammaire inexistante et d’un vocabulaire de charretier,  succombe à la promesse condescendante du rusé  linguiste, rêvant d’élévation sociale. Il   parie  que son entraînement intensif à la grammaire,  style et élocution transformeront Eliza en  objet désirable – l’œuvre dont il tombe en fait amoureux-  employable, une fois l’expérience réussie, pourquoi pas dans un magasin de fleurs avec pignon sur rue ? Mais le pari gagné, Eliza Doolittle se retrouve seule. Elle se rebiffe et s’en va en claquant la porte. Bel exemple d’expérience sociolinguistique réussie,  elle  est  dans une position délicate. Que va-t-elle devenir ? Comment subvenir à ses  besoins avec le genre de compétences qui lui ont été données ?  Elle est devenue « autre ».  Il n’y a pas que la main de l’homme qui fasse mûrir le fruit ! L’interprétation irréprochable de l’artiste française Marina Pangos est empreinte d’humanité profonde. Elle fait rire, elle fait pleurer, elle fait réfléchir, se poser des questions. Fera-t-elle fléchir la misogynie universelle ?  Ce rôle central est un catalyseur d’interrogations. Le maintien est celui d’une reine. Le jeu est sûr, la voix est belle, la métamorphose sublime, le résultat de la performance admirable : une force théâtrale et musicale surprenantes. Pourtant, à vrai dire, l’intrigue était finalement bien mince!

Mais pas que

L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes assises, chaussures et nuit

Le père de la jeune femme a aussi bien des choses à nous dire et à partager. La vis comica de l’éboueur  Doolittle (Daniel Hanssens) emporte par sa faconde et sa jovialité. Les petits ont autant d’arrangements que les grands bourgeois. A ses dépens,  le très philosophe Monsieur  Alfred Doolittle pleure la perte de sa liberté envolée, une fois contaminé par  l’argent  reçu d’un improbable héritage et dont il ne saurait se départir ! Le voilà obligé de vivre pour les autres au lieu de ne vivre que pour lui-même !   Mais malgré les coups de griffes à la bourgeoisie bien établie,  la bonne humeur reste. C'est le plus bel héritage de ce spectacle hors pairs, fable vivifiante et festive.

Dominique-Hélène Lemaire Arts et Lettres

crédit photos: Gregory Navarra

My Fair Lady

De Lerner & Loewe

MISE EN SCÈNE: JACK COOPER ET SIMON PACO – UNE COPRODUCTION DE BULLES PRODUCTION, COOPER PRODUCTION ET LA COMÉDIE DE BRUXELLES –
25 REPRÉSENTATIONS DU 11 JUILLET AU 7 SEPTEMBRE 2019


*Tous les bénéfices iront à Eurordis-Rare Diseases Europe et aux hôpitaux Brugmann et Bordet de Bruxelles.**On peut consulter  une version du texte néerlandophone sur écrans discrets.
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Littérature, théâtre, valeurs, classique, roman épistolaire, désir, jalousie, confessions, psychologie, amour, 21e siècle, passion, coup de foudre, abandon, femme, paix, dignité…

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«  24 HEURES DE LA VIE D’UNE FEMME SENSIBLE » d’Eva BYELE

« Je vous aime, mon ami, plus que l’on n’a jamais aimé ; mais il ne se passe pas une minute de ma vie sans qu’une secrète anxiété ne se mêle à l’enchantement de ma passion. » Voilà ce qu’écrit, dans un  fatal mécanisme de  jalousie, ajouté à la tendance qu’ont beaucoup de femmes à  attiser le malheur, à le projeter dans des mots qui finalement signent leur arrêt de mort, Constance de Salm (1767-1845), femme libre  du XVIIIe siècle. Elle écrit anonymement en 1824 un roman épistolaire bouleversant et lucide qui inspirera les « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme  » de Stefan Zweig en 1927.


L’écriture comme manière d’être au monde.
 A son tour, la jeune écrivaine Eva Byele, en 24 lettres numérotées, décide de faire le tour de l’horloge des sentiments avec sa propre  sensibilité du 21esiècle.  Les «  24 heures de la vie d’une femme sensible » d'Eva Beyele se déclinent en vaillants battements de cœur, se lisent et s’écoutent comme une calligraphie de la passion. Ira-t-on vers une catharsis ?  Chaque lettre contient un chapelet de paragraphes qui pourraient vivre tout seul, comme  autant de  bouteilles à la mer.  Comme dans l’œuvre de Jane Austern, les concepts de  Sense and Sensibility se livrent un duel poignant et romantique.  La sentimentalité détruira-t-elle la dame comme ce fut le cas de madame Bovary? La dame artiste finira-t-elle enfermée comme Camille Claudel ?

Ou assistera-t-on à l’avènement d’une femme  cultivée et intelligente de cœur et d’esprit,  émergeant de sa passion, renouvelée, solidifiée, resplendissante? L’écriture aborde avec grande pudeur mais combien de justesse, les errances intimes de cette jeune épouse artiste, livrée aux exigences domestiques d’un milieu bourgeois où elle vit, emprisonnée dans  un  carcan  cotonneux et insipide, en plein dans les années folles. Son mariage érodé la suffoque, l’insensibilité du mari l’a poussée à l’incartade adultère. Le mari est devenu un mur de silences. Soit dit en passant: « La société n’a pas appris aux hommes à parler, c’est pour cela qu’ils condamnent les femmes au silence ». Scripsit.  Elle se le dit, l’écrit, le lit avec effroi et se rebelle par l’écriture que le milieu où elle vit, condamne.

Le mari prend ombrage des livres qui sont son refuge, Le voilà jaloux et de la plume, et de l’écriture. Le terrain est libre pour Octavio,  le compositeur qui la ravit et lui ravit les sens avec son espièglerie d’enfant. Le rire lui revient. La sensualité se savoure comme si on relisait les voluptés de Christine de Pizan… Voici le baiser brûlant, la fougue, l’extase,  l’éphémère, et l’immortel. « Le relent de la fenêtre sur l’impossible ». On pense aux rêves de Jacques Brel... au baiser d'Alain Souchon. Comme cela est  vivement tourné! 

Quelle chute inattendue, quel parcours initiatique vers la paix intérieure, quelle éclosion à ce qu’elle « est », quelle hauteur soudaine  vis-à-vis de ce qu’elle « hait ». Le bonheur, elle le découvre, est « en soi ». Donc,  jamais elle ne retombera en « esclavage ».   Voici un avènement  pur et dur de femme du 21e siècle, droite, sûre d’elle mais  dénuée du  moindre orgueil. No Pride, no Prejudice. La romancière féministe anglaise Jane Austern,  doit se réjouir, de l’autre côté du miroir. Voici, grâce au verbe,  l’existence versus les silences qui tuent.

Comme cela est vivement joué! Dans une mise-en scène fourmillant de détails intéressants, jusqu’à la couleur de l’encrier. Du vieux Rouen? Le texte est incomparablement habité par celle qui l’a écrit. La partition musicale, signée Louis Raveton, souligne le propos par ses clair-obscurs, ou ses mouvements haletants dignes des meilleurs suspenses. Celle-ci rejoint  le moindre frisson de l’âme, chaque révolte, chaque poison combattu avec opiniâtreté, chaque aveuglement …dissipé par la beauté des mots sur la page.

    Voici d'ailleurs le "credo" de l'artiste: "Ce seule en scène est l’occasion de proclamer, à nouveau, l’importance de l’écriture pour les femmes ; véritable lieu de liberté qui leur permet d’avoir accès à elles-mêmes, à leurs pensées, leurs sentiments ainsi que de rêver, de se rêver et de rêver leur vie. 
Comme l’écriture est performative, la femme qui crée acquiert le pouvoir de devenir autre et de choisir sa vie, devenant par là-même un modèle de liberté et d’émancipation. 
Par l’acte même d’écrire, la femme s’affirme comme sujet et non plus comme objet. C’est comme si elle déclarait : «J’écris donc je suis». 
Dans un monde où l’on cherche continuellement à réduire la place des femmes, l’écriture, la création – au-delà de l’acte de subversion – sont un premier pas vers la libération. 
Puissent le livre de la pièce et ce seule en scène être lus, entendus ; puissent les mots écrits et prononcés résonner en chaque être afin de trouver le chemin du cœur et de l’esprit."

Cette pièce, présentée au théâtre de la Clarencière ces jours derniers, a été jouée à Barcelone, à l’Ateneu del Raval, du 10 au 13 mai 2018, au Festival d’Avignon, au Théâtre Littéraire Le Verbe fou, du 6 au 29 juillet 2018 et à Montpellier, au Théâtre du Carré Rondelet du 14 au 16 septembre 2018.

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"24 heures de la vie d'une femme sensible"
Texte, mise en scène et interprétation : Eva Byele
Assistante à la mise en scène : Marion Peltier
Création musique : Louis Raveton

Télécharger le dossier de presse

Les jeudi 15, vendredi 16 et samedi 17 novembre 2018 à 20h30  https://www.laclarenciere.be/

Dominique-Hélène Lemaire

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Quelques écrivains du XVIe siècle

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Jean de SPONDE (1557 - 1595)

Oublié pendant plusieurs siècles, Jean de Sponde a aujourd'hui retrouvé sa véritable place dans l'histoire littéraire française. On se plaît à l'opposer à d'Aubigné, protestant pur et dur à jamais irréconcilié ; protégé par Henri IV, Sponde quant à lui abandonne le calvinisme pour le catholicisme, deux ans avant une mort précoce. D'abord connu comme polémiste religieux, c'est avant tout un homme de savoir. Traducteur d'Aristote, Homère et Hésiode, il touche aussi à la physique, à l'astronomie, et à l'alchimie. A l'instar d'un Du Bartas, et comme beaucoup de poètes de sa génération, il trouve dans la science une ressource, usant d'images ingénieuses et de comparaisons quelquefois fort abstraites. Le monde physique n'est cependant pas l'objet d'une poétique tout entière tournée vers l'intériorité, des chansons recueillies dans les Amours (post., 1604) aux pièces religieuses dont les plus célèbres sont les Stances et sonnets sur la mort. Erotique ou métaphysique, l'introspection méditative donne au poème une forme singulière : une langue presque orale quelquefois s'anime d'un lyrisme grave, dont l'audacieuse versification n'enlève rien à la gravité et, même si le terme prête à sourire, à la sincérité des sentiments exprimés. Raffinée mais évitant tout maniérisme gratuit, la poésie de Sponde participe de cette " inconstance noire " (J. Rousset) qui est la face triste du baroque : nostalgie des certitudes, ambivalence des sentiments devant l'universelle métamorphose — dont le passage de vie à mort n'est que le plus inquiétant avatar. Entre vanité des choses humaines et incertitudes métaphysiques, une angoisse s'exprime que la religion ne saurait tout entière apaiser.


Stances et sonnets sur la mort (1597)

Nourrie d'images bibliques, la poésie religieuse de Sponde trouve sa forme dans deux traditions : la stanza, strophe autonome d'origine italienne, et le sonnet français. Le motif omniprésent de l'obscurité réfère autant ici à un état d'ignorance qu'au choix d'une cécité : dans un univers où toute vision est trompeuse, où entre masque et fumée règne l'inconstance, le poète tente d'abolir le spectacle du monde pour retrouver en lui la lumière divine. Image fuyante par excellence, la mort fait naître l'angoisse et suscite une poétique du heurt, de l'interrogation, où le travail sur l'image répond à la difficulté à trouver une certitude. Ainsi se noue un lien inédit entre violence et complexité, raffinement et sincérité.



Louise LABE (v. 1523 - 1566)

Vingt-quatre Sonnets, trois Elégies et un Débat de Folie et d'Amour ont suffi à la gloire de Louise Labé, en son temps épouse du marchand cordier Ennemond Perrin. Elle fut célèbre cependant (La deuxième élégie le suggère), tint salon et attira la fine fleur des lettres lyonnaises. L'époque n'incite pas les femmes à la publication, mais l'éloge de Scève montre que Louise Labé s'impose comme une figure dans cette capitale littéraire qu'est le Lyon renaissant. Marquée comme sa ville et son époque par l'influence italienne et le souvenir de Pétrarque, elle aime d'un amour malheureux le poète Olivier de Magny : l'essentiel de son œuvre se tisse sur la déploration passionnée, vibrante, et charnelle de l'amante qui plus que tout redoute l'absence — une absence dont se nourrit sa poésie. Les thèmes italiens (la souffrance inéluctable, l'inégalité amoureuse, le désordre des sens et de l'esprit) sont mis en valeur par l'hyperbole, la répétition, l'antithèse ; c'est une poésie violente que celle de Louise Labé, empruntant davantage ses inflexions à la musique qu'au modèle plastique, dominant à l'époque ; en cela elle trouve écho chez les modernes, qui goûtent en outre l'authentique douleur, mise en forme avec une habile simplicité.


Sonnets (1555)

D'inspiration explicitement pétrarquiste (le premier poème du recueil est écrit en italien), les Sonnets de Louise Labé se démarquent des prémices du genre, importé en France par Marot. Aux jeux sur le langage et aux préciosités galantes se substitue l'expression plus dépouillée, usant de figures moins variées, de la passion. Certes, le thème amoureux est vers 1550 très nettement dominant dans les sonnets (à l'exception des Regrets de Du Bellay), mais Louise Labé explore un espace singulier, oubliant le discours et la pointe pour moduler des accents personnels, authentiques, passionnés, proches du chant, voire du cri.



Elégies (1555)

Le modèle classique de la plainte s'enrichit ici d'une résonance autobiographique ; au delà de l'anecdote, c'est un portrait de l'artiste (elle évoque sa gloire montante) qui nous est donné à lire. La poétesse se pare d'attributs masculins, cependant que l'amant est toujours suspect de froideur ; cette inversion des rôles classiques, que reprendra Guilleragues dans les Lettres portugaises, revivifie un genre hérité de l'antiquité.




Pierre de RONSARD (1524 - 1585)

Ronsard, c'est d'abord la Pléiade : l'amitié avec Baïf, Du Bellay, une vision divine de l'inspiration, l'affirmation d'une manière qui peut être art de l'imitation, l'idée bien arrêtée enfin sous la défense de la langue française et l'amour du mot rare de réinvestir la mythologie païenne. Qu'on le perçoive comme le chef de cette école n'est pas sans rapport avec le caractère prolifique de son talent : pris dans le même jeu courtisan que Marot, Ronsard apparaît comme un poète multiplié, occupant sans relâche des lieux lyriques qu'il contribue à élargir, à explorer en tous sens. Des Amours de 1552 au naufrage de La Franciade, cette grande épopée dont rêvera encore un Voltaire, il cultive en ses Bocages toutes les formes de la poésie, refondant ses recueils, récrivant, corrigeant, amendant des pièces à la diversité et à l'abondance surprenantes. S'il recherche d'abord le suffrage de la Cour — il y connaîtra le succès avant d'être éclipsé par la gloire montante de Desportes —, sa poésie très vite devient parole publique, avec les Discours ou certaines Odes. Il conçoit le poète comme un intermédiaire entre Dieu et les hommes ; inspiré et donc autorisé à la parole, il tente d'aider à l'ordre du monde. Entre les prises de position religieuses et les célébrations presque païennes de la Nature, une même veine parcourt une œuvre souvent didactique — mais au détour d'une page, l'églogue devient bergerie, la bergerie mascarade. De cette immense production, la postérité retient surtout la poésie amoureuse, des Amours de ses débuts aux Sonnets pour Hélène composés sur le tard et restant comme le dernier mot d'un art poétique ouvert, aussi singulier que divers.


Odes (1550 — sans cesse reprises et augmentées)

Ce livre fut un événement ; Ronsard y défend comme en un manifeste la nécessité d'une poésie élevée, ambitieuse, contre la pratique poétique de son temps, qui voyait la forme — généralement courte — l'emporter sur le sens. L'inspiration ou fureur donne au contraire au poète une mission : conduire, éclairer — c'est toute une conception de l'homme de lettres qui commence ici à s'inventer. Les odes de Ronsard sont avant tout célébration, d'un moment amoureux, d'un paysage, d'un prince, dont la beauté s'enrichit par le jeu des références (allusions, omniprésence de la mythologie antique, souvenirs d'Horace et de Pindare).



Le Second livre des Amours (1552, édition augmentée en 1555 et 1556)

Rêvées, ces amours pour Cassandre sont d'inspiration pétrarquiste, maintenant la belle dans un absolu inaccessible qui comble et désespère le poète — lequel n'est cependant pas sans célébrer la chair, voire en jouir. Plus que dans les Odes, la complexité linguistique et le jeu des références (identité troyenne de Cassandre) rendent difficile la lecture du recueil. Les deux Continuations sont en revanche plus familières — le passage du décasyllabe à l'alexandrin permet la coïncidence du vers et de la phrase, tandis que la variété amoureuse est encouragée : Ronsard gagne en autonomie face au modèle pétrarquiste, développant un style et une vision plus personnels.



Sonnets pour Hélène (1578)

Publiés à la suite des Amours, dans l'une de ces multiples éditions remaniées qui sont une spécialité de Ronsard. Hélène de Surgères en est la figure centrale, Hélène qui comme Cassandre est française et troyenne. Cette œuvre tardive semble un retour au pétrarquisme (absolu de la femme, véritable guide de l'âme), mais se développe aussi sur l'argumentation du poète désireux de voir la belle s'adoucir ; c'est là porte ouverte à un réalisme un peu grinçant, refusant la duperie ; le recueil se construit sur ces variations, en une langue très pure, presque classique déjà.




Joachim DU BELLAY (1522 - 1560)

Si toujours on l'associe à Ronsard pour figurer la poésie renaissante, Du Bellay ne connut pas le succès courtisan d'un ami dont la Défense et illustration de la langue française conteste les choix poétiques. S'accommodant moins facilement de cette rencontre culturelle avec l'Antiquité qu'est la Renaissance, il partage sa courte carrière entre la France et une Italie rêvée, vécue, décevante. Comme presque tous ses contemporains, c'est du latin qu'il part en son petit Liré ; la lecture des Italiens, puis sa vigoureuse apologie du français littéraire ne peuvent effacer la fascination pour la langue mère : sa traduction d'une partie de l'Enéide témoigne d'une position ambiguë, entre le goût humaniste des sources et une poétique innovante. Le voyage à Rome, qu'il entreprend en 1554 avec son oncle le cardinal Jean Du Bellay, lui permet de mesurer la distance qui sépare le rêve antique et la trivialité moderne. Aussi, les Regrets et les Antiquités de Rome sont-ils les livres d'un deuil — mais la volupté des Poemata s'écrit encore en latin... De même en sa poésie du Bellay joue-t-il de l'imitation (Horace, Virgile, Ovide) tout en récusant les jeux de la mythologie ; de même il remodèle le néoplatonisme en lui adjoignant une théorie des humeurs. Inscrite en faux dans la culture, son écriture est en perpétuelle tension avec des référents qu'elle reconstruit selon un ordre bouleversé : ainsi du sonnet, que seul ou presque à son époque il détourne de la thématique amoureuse. Marquée par une essentielle hétérogénéité, son œuvre va des pièces courtisanes à la dénonciation des vanités, du pétrarquisme (Olive) à sa critique, trouvant son étrange et vivante unité dans la difficulté à rencontrer une stabilité poétique, à se fixer sur un modèle durable.


Les Regrets (1558)

En ce recueil ne règne pas le style élevé des Antiquités, mais une variété qui est celle même d'une ville où grandeur passée et trivialité présente, puissance et ridicules se mêlent. Dans ces contradictions du Bellay malgré lui se retrouve : du déplaisir de cette ville naît une rencontre avec lui-même, c'est-à-dire avec son style. La voie poétique nouvelle qu'initie le recueil est celle du mélange, du contraste, de la mobilité vivante des choses vues. L'écriture louvoie entre satire et élégie ; la nostalgie d'une France idéalisée donne au regard sa force, mais la dernière partie, qui évoque le retour, achève le cycle en faisant porter la désillusion et l'amertume sur ce qui était exalté au début du recueil. Le poème ainsi confondu avec l'instant vivant donne à sentir le tremblement du temps.





Clément MAROT (1496 - 1544)

Fils de Jehan Marot, il conserve de la grande rhétorique un goût marqué pour les jeux de langage, attachant une grande importance à la forme. Travail que la poésie pour lui, au contraire d'un Ronsard qui la voudra d'inspiration divine ; mais Marot, à la différence de ses aînés, polit son art pour en effacer toute trace de labeur, donnant davantage l'image d'une — fausse — facilité. Travail d'autre part car pour vivre il doit quémander quelques subsides aux puissants, s'attacher à leur personne, faire sa cour enfin (Petite épître au roi). Il demande aussi leur soutien quand la justice le serre de trop près : proche du courant évangéliste (il traduit les Psaumes en sa vieillesse et en son jeune âge mange du lard en Carême), il connaît la prison (L'Enfer est une féroce satire de la justice française) et devra pour finir s'exiler. La virtuosité et l'ingéniosité dont il fait preuve, et qui doivent assurer le succès de ses requêtes, sont en effet le secret d'une grande liberté de ton, qui se déploie généralement sur le mode badin, mais peut se révéler dangereuse pour le poète. Les demandes d'aide des Epîtres sont quelquefois la conséquence de l'audace de telle épigramme dont la cible a quelque rapport avec l'ordre établi. Elles dessinent ainsi, au fil des explications, un semblant de biographie de Marot : ce sont pièces de circonstance, comme l'ensemble de sa production (réunie aujourd'hui dans L'Adolescence clémentine), qui nous donnent à connaître une figure attachante, entre le rire heureux et les heures noires de la Renaissance.


L'Adolescence clémentine (1532 ; une Suite paraît en 1534).

Ce recueil des pièces de jeunesse de Marot, le seul qu'il donna avant les éditions de ses Œuvres en1538 et 1544, est fort composite : des grands poèmes allégoriques des débuts aux Epigrammes, en passant par les Epîtres, Rondeaux et Ballades, auxquels les éditions modernes joignent les traductions des Psaumes, c'est Marot dans toute sa variété et surtout dans toute sa portée. Proche encore du Roman de la Rose dans Le Temple de Cupidon, on le voit à partir de L'Enfer dépasser les allégories pour jouer plus légèrement de l'équivoque, montrant une aisance quelquefois vertigineuse dans une langue toute de fluidité. Les pointes se multiplient, le regard s'aiguise, la mise en scène de soi et de l'autre gagne en finesse et en ironie. Quelques pièces sérieuses émaillent un ensemble plutôt jovial, voire satirique (Epitaphes, Epigrammes).





Michel de MONTAIGNE (1533 - 1592)

Pendant quelque trente ans, l'écriture des Essais se confond avec sa vie. Une éducation classique, nourrie d'humanités, puis l'entrée au parlement de Bordeaux : il y rencontre Etienne de la Boétie, dont la mort motivera en partie la rédaction de ce tombeau que sont initialement les Essais. A trente-sept ans, en 1570-71, il vend sa charge et se retire en son domaine pour trouver le calme et laisser à son esprit le loisir de " s'entretenir soy-mesme ". Conservant cependant une vie publique (il sera élu maire de Bordeaux à deux reprises dans les années quatre-vingts), voyageant à l'occasion, il s'aperçoit que la retraite nourrit les " chimères " et que la conversation avec soi-même est un bien autre souci que la conduite des affaires. Il se lance alors vraiment dans l'aventure des Essais, qui tentent de fixer le dialogue ininterrompu d'un honnête homme avec le monde, les anciens, lui-même enfin. Edition après édition, les livres s'enrichissent, se nourrissent de commentaires, de réactions, d'additions quelquefois contradictoires qui nous restituent dans tout son relief une figure d'homme libre, à mi-chemin entre l'universalité de l'humaine condition et une personnalité inoubliable, dont le tour d'esprit, le style, l'originalité du livre rappellent sans cesse la présence. Nourris d'une vie qu'ils absorbent à mesure qu'elle se rapproche de son terme, les Essais ne trouveront leur forme définitive que dans l'édition posthume de 1595, à l'orée d'un siècle qui méditera les interrogations et les doutes de Montaigne.


Essais (1580, 1595 pour l'édition définitive)

A la variété du monde répond celle du texte, couvrant " à sauts et à gambades " tous sujets, mobile dans son écriture comme dans sa pensée, corollaire inévitable enfin d'une fondamentale incertitude dont l'Apologie de Raymond Sebond (II, 12) développe avec force les grandes lignes. L'instabilité du jugement humain conduit au scepticisme, nuancé dans les derniers ajouts par l'aveu d'une confiance dans les " leçons " de la nature. De quoi s'agit-il ? De tirer un enseignement, aussi divers soit-il, du dialogue avec les anciens ; d'élaborer une morale, toute de prudence et de maîtrise ; et, faute de point d'appui sûr dans les sciences, d'être soi-même la matière de son livre, c'est-à-dire de se prendre comme objet d'étude, tirant leçon de l'expérience du monde et explorant sans relâche un problématique être intérieur. C'est une forme d'écriture de soi qu'invente Montaigne ; non point encore autobiographique au sens moderne, mais cherchant toujours son miroir dans l'universel, conversant sans relâche, entre la vanité bien comprise de toute quête de la sagesse et une perpétuelle recherche.





MARGUERITE DE NAVARRE (1492 - 1549)

La sœur de François Ier occupe une place singulière dans la littérature française du seizième siècle. Protectrice des arts, elle se révèlera peu à peu comme un auteur accompli, même si l'Heptaméron n'est publié qu'après sa mort. En un siècle où la grande question est religieuse, c'est en héritière de l'évangélisme érasmien qu'elle pose les premiers jalons de son itinéraire intellectuel. Avec Briçonnet et Lefèvre d'Etaples, au début des années 1520, elle forme le cercle de Meaux, où se discutent les formes d'une religion intériorisée, vivifiée par la pratique des textes. Si le groupe disparaît rapidement, pris dans la tourmente des conflits religieux, son influence se fera sentir jusque tard dans le siècle. Quant à celle qui deviendra la grand'mère de Henri IV, elle n'abandonnera pas ses principes, donnant secours à Marot et quelques autres quand l'occasion s'en présentera, appuyant également avec succès les idées nouvelles auprès de son frère, jusqu'à l'affaire des Placards (1534). C'est qu'elle possède une réelle influence, participant par exemple aux négociations qui suivent la défaite de Pavie, en 1525. Parallèlement à cette activité politique, elle entreprend une œuvre poétique d'abord marquée par la réflexion spirituelle et inspirée de formes italiennes (Miroir de l'âme pécheresse, 1531, Dialogue en forme de vision nocturne, 1533). Méditations habilement versifiées, ses poésies reprennent les images classiques de la mystique, pour tenter de séparer l'esprit, voué à la pureté, d'une chair perdue d'avance. Et si l'Heptaméron, rédigé pendant les dernières années de sa vie, semble emprunter une voie profane et charnelle, la dialectique du péché et de la grâce s'y joue sensiblement dans les mêmes termes. Ainsi Marguerite bâtit-elle une œuvre, au sens fort du terme, jouant tour à tour des joies sereines de l'intimité et des plaisirs de la conversation pour explorer, par le verbe, une question vitale.


Heptaméron (1558)

Sous le signe de deux références essentielles : la vérité et le Décaméron de Boccace, dont Marguerite a encouragé la retraduction, l'Heptaméron réunit soixante-douze nouvelles, unifiées par un cadre narratif dont l'unité est la journée. L'importance des conversations entre devisants, qui commentent et discutent le sens de chaque récit, permet de mettre en évidence les enjeux (nouveaux) des nouvelles, et les liens qui les unissent : retournements, parallélisme, exception dynamisent le recueil, cependant que les ressorts dramatiques internes, encore largement stéréotypés mais développant déjà quelques situations romanesques et sentimentales, tournent essentiellement autour de l'amour. Entre platonisme et gaudriole, il s'agit d'en explorer les modalités, de découvrir d'éventuelles justifications à un péché auquel nul n'échappe — et que compliquent les rapports de force qui brouillent les relations entre hommes et femmes.





François RABELAIS (1484 ? - 1553)

Du terroir tourangeau aux voyages romains, la vie de Rabelais se partage entre la littérature et la médecine, l'apostolat et l'apostasie, de même que son œuvre sera marquée par une fondamentale indécision, une ambiguïté ruinant d'avance maint discours de vérité tentant de se l'approprier. La légende d'un Rabelais athée amateur de fantastiques ripailles naît de cette mésinterprétation de l'œuvre, pourtant plus accessible que sa vie. De sensibilité évangéliste, il est hostile à toute superstition, mais pas irréligieux : ses romans (Gargantua surtout) nous le montrent prenant position contre les prétentions ultramontaines, se moquant des miracles, des moines ; Pantagruel cependant sera à côté du bon vivant une âme élevée, manifestant des sentiments que l'on peut appeler chrétiens. Il faut également rappeler la dimension humaniste de celui qui se fait l'éditeur d'Hippocrate et de Manardi. Le Tiers Livre en particulier met en œuvre une culture dont on n'a plus idée, une connaissance intime de l'Antiquité qui ne prend pas la forme allusive chère à la Pléiade, mais se diffuse de façon beaucoup plus discrète (ou au contraire comiquement pédante) dans un texte volontairement archaïsant, paradoxalement truffé de néologismes qui composent un lexique incomparable : plus de vingt-cinq mille mots, dont la moitié lui appartiennent en propre. La forme du banquet qu'adoptent les quatre romans privilégie une oralité où se rencontrent la culture populaire du carnaval et les références grecques ou latines. L'épopée fantaisiste devient ainsi au cœur de cette multivocité du monde quête du sens (Pantagruel, Tiers et Quart livres), d'un sens qui bien sûr se dérobera jusqu'au bout : le Cinquième livre, en partie apocryphe, ne nous en dit pas plus dans l'oracle de la Dive Bouteille (" Trinch ") que la logorrhée des personnages, enfilant bêtises et vérités, n'a pu atteindre de certitude.


Pantagruel (1532)

Publié sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier, ce premier roman est dans la chronologie gigantale le second, celui du fils. Doté d'une généalogie phénoménale et fantaisiste qui l'apparente au Christ, Pantagruel fait le tour des universités françaises, accompagné de son précepteur Epistémon, afin de devenir, conformément au programme humaniste tracé par son père, un " abîme de science " ; il rencontre Panurge, champion du verbe, qui use des signes en virtuose et occupe bientôt le premier plan en racontant son histoire. Suivent quelques aventures universitaires, judiciaires, et plusieurs disputations — mais la guerre contre les Dipsodes coupe court à ces plaisirs, et entraîne le roman sur la voie de l'épopée comique, où Pantagruel brille par sa force et ses vertus, cependant qu'Epistémon tué puis ressuscité raconte les Enfers.



Gargantua (1534)

... ou déjà la perte du sens, celui des Fandreluches antidotées ou des propos avinés de Janotus de Bragmardo. Les exploits gigantesques et facétieux de Gargantua, enfant héroïque et inventeur précoce d'un torchecul, plongent d'emblée le lecteur dans un comique contrebalancé par des signes de sérieux, tels les discours d'Eudémon ou ce blason de l'androgyne qui désigne le géant comme un être parfait. L'éducation de Gargantua occupe le début du roman, suivie de sa mise en pratique dans la comique guerre Pichrocoline, où s'illustre Frère Jean des Entommeures, cependant que Grandgousier, père du héros, apparaît comme un modèle royal. Le roman se clôt avec la fondation de l'abbaye de Thélème, conclusion logique des satires antireligieuses (éducation, pélerins mangés en salade) et dont la devise est " Fay ce que vouldras ".
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L'art du XVIIIe siècle, ouvrage critique des frères Edmond et Jules de Goncourt, fut publié en 1859-1865, puis avec des suppléments successifs et des variantes, en 1874 et en 1881-1882. Dans cette étude d'une société si froide et intellectuelle en apparence, mais au fond toute pénétrée de sensibilité et d' idéalisme, les deux auteurs s'attachent à mettre en valeur l'importance documentaire et poétique des arts plastiques de l'époque, en particulier de la peinture, de la gravure et du dessin. Ils y retrouvent la douceur estompée et charmante si caractéristique de ce siècle, plein d'oppositions et de luttes spirituelles. L'abandon à la volupté, la négation d'inutiles préjugés moraux, la recherche des intrigues amoureuses et des aventures se reflètent dans les portraits, les scènes représentées, les décors: c'est toujours une ivresse de vivre qui tantôt s'abandonne à la galanterie la plus raffinée, tantôt s'exprime par la lutte contre tous les obstacles, entraînant dans la crise même de la Révolution l'affirmation des nouvelles valeurs bourgeoises.

Le souci de juger les oeuvres en fonction des boulversements sociaux qui préparaient la société moderne, n'empêche pas les Goncourt de s'attarder heureusement à l'examen des formes d' art, à l'étude de cette peinture si exquise. Dans un monde étrangement composite, où se mêlent les "arcadismes" et les bavardages de Cour, la volupté et les mouvements de révolte, des artistes géniaux créent des chefs-d'oeuvre inimitables, depuis Watteau "le grand poète du siècle" jusqu'à Chardin (si fin qu'on peut le considérer comme un initiateur) et Boucher, le représentant typique du goût de son temps, puisque la grâce est l'âme du temps et son génie. De la même façon, à côté du libertinage, Greuze exprime un besoin d'idylle et de sentimentalisme bien caractéristique, et Fragonard avec sa puissance représentative et son exaltation de la vie se révèle comme le Chérubin de la peinture amoureuse. Des pages d'une grande richesse de documentation sont consacrées à La Tour, Saint-Aubin, Gravelot et Cochin, à Eisen, Moreau, Debucourt et Prud'hon.

Tout en s'attardant à décrire, en un commentaire respectueux et plein de goût, la sensibilité nouvelle qui se fait jour chez les artistes de ce temps, les frères Goncourt n'oublient pas de replacer leurs créations dans le cadre social de l'époque; l'interprétation psychologique, bien que freinée par un certain maniérisme que l'on pourrait qualifier de décadent, revêt la forme d'une narration qui se rapproche des monographies consacrées à la société française du XVIIIe siècle.

Retenons de cette analyse critique, l'intention -qui pour la première fois se manifeste-de donner sa pleine valeur, à ce que la France négligeait à tort, et de montrer parmi les artistes, quels étaient les vrais maîtres, ceux qui, ayant rompu avec une longue tradition académique, étaient dignes de diriger la recherche du vrai chez les jeunes générations. Les premières pages sur Chardin sont significatives: les Goncourt y reprochent à la France de ne pas avoir su reconnaître les meilleures expressions de sa grandeur picturale, et affirment que Watteau fut, avec Fragonard, le seul poète vivant et créateur de son siècle.

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