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Quelques écrivains du XVIe siècle

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Jean de SPONDE (1557 - 1595)

Oublié pendant plusieurs siècles, Jean de Sponde a aujourd'hui retrouvé sa véritable place dans l'histoire littéraire française. On se plaît à l'opposer à d'Aubigné, protestant pur et dur à jamais irréconcilié ; protégé par Henri IV, Sponde quant à lui abandonne le calvinisme pour le catholicisme, deux ans avant une mort précoce. D'abord connu comme polémiste religieux, c'est avant tout un homme de savoir. Traducteur d'Aristote, Homère et Hésiode, il touche aussi à la physique, à l'astronomie, et à l'alchimie. A l'instar d'un Du Bartas, et comme beaucoup de poètes de sa génération, il trouve dans la science une ressource, usant d'images ingénieuses et de comparaisons quelquefois fort abstraites. Le monde physique n'est cependant pas l'objet d'une poétique tout entière tournée vers l'intériorité, des chansons recueillies dans les Amours (post., 1604) aux pièces religieuses dont les plus célèbres sont les Stances et sonnets sur la mort. Erotique ou métaphysique, l'introspection méditative donne au poème une forme singulière : une langue presque orale quelquefois s'anime d'un lyrisme grave, dont l'audacieuse versification n'enlève rien à la gravité et, même si le terme prête à sourire, à la sincérité des sentiments exprimés. Raffinée mais évitant tout maniérisme gratuit, la poésie de Sponde participe de cette " inconstance noire " (J. Rousset) qui est la face triste du baroque : nostalgie des certitudes, ambivalence des sentiments devant l'universelle métamorphose — dont le passage de vie à mort n'est que le plus inquiétant avatar. Entre vanité des choses humaines et incertitudes métaphysiques, une angoisse s'exprime que la religion ne saurait tout entière apaiser.


Stances et sonnets sur la mort (1597)

Nourrie d'images bibliques, la poésie religieuse de Sponde trouve sa forme dans deux traditions : la stanza, strophe autonome d'origine italienne, et le sonnet français. Le motif omniprésent de l'obscurité réfère autant ici à un état d'ignorance qu'au choix d'une cécité : dans un univers où toute vision est trompeuse, où entre masque et fumée règne l'inconstance, le poète tente d'abolir le spectacle du monde pour retrouver en lui la lumière divine. Image fuyante par excellence, la mort fait naître l'angoisse et suscite une poétique du heurt, de l'interrogation, où le travail sur l'image répond à la difficulté à trouver une certitude. Ainsi se noue un lien inédit entre violence et complexité, raffinement et sincérité.



Louise LABE (v. 1523 - 1566)

Vingt-quatre Sonnets, trois Elégies et un Débat de Folie et d'Amour ont suffi à la gloire de Louise Labé, en son temps épouse du marchand cordier Ennemond Perrin. Elle fut célèbre cependant (La deuxième élégie le suggère), tint salon et attira la fine fleur des lettres lyonnaises. L'époque n'incite pas les femmes à la publication, mais l'éloge de Scève montre que Louise Labé s'impose comme une figure dans cette capitale littéraire qu'est le Lyon renaissant. Marquée comme sa ville et son époque par l'influence italienne et le souvenir de Pétrarque, elle aime d'un amour malheureux le poète Olivier de Magny : l'essentiel de son œuvre se tisse sur la déploration passionnée, vibrante, et charnelle de l'amante qui plus que tout redoute l'absence — une absence dont se nourrit sa poésie. Les thèmes italiens (la souffrance inéluctable, l'inégalité amoureuse, le désordre des sens et de l'esprit) sont mis en valeur par l'hyperbole, la répétition, l'antithèse ; c'est une poésie violente que celle de Louise Labé, empruntant davantage ses inflexions à la musique qu'au modèle plastique, dominant à l'époque ; en cela elle trouve écho chez les modernes, qui goûtent en outre l'authentique douleur, mise en forme avec une habile simplicité.


Sonnets (1555)

D'inspiration explicitement pétrarquiste (le premier poème du recueil est écrit en italien), les Sonnets de Louise Labé se démarquent des prémices du genre, importé en France par Marot. Aux jeux sur le langage et aux préciosités galantes se substitue l'expression plus dépouillée, usant de figures moins variées, de la passion. Certes, le thème amoureux est vers 1550 très nettement dominant dans les sonnets (à l'exception des Regrets de Du Bellay), mais Louise Labé explore un espace singulier, oubliant le discours et la pointe pour moduler des accents personnels, authentiques, passionnés, proches du chant, voire du cri.



Elégies (1555)

Le modèle classique de la plainte s'enrichit ici d'une résonance autobiographique ; au delà de l'anecdote, c'est un portrait de l'artiste (elle évoque sa gloire montante) qui nous est donné à lire. La poétesse se pare d'attributs masculins, cependant que l'amant est toujours suspect de froideur ; cette inversion des rôles classiques, que reprendra Guilleragues dans les Lettres portugaises, revivifie un genre hérité de l'antiquité.




Pierre de RONSARD (1524 - 1585)

Ronsard, c'est d'abord la Pléiade : l'amitié avec Baïf, Du Bellay, une vision divine de l'inspiration, l'affirmation d'une manière qui peut être art de l'imitation, l'idée bien arrêtée enfin sous la défense de la langue française et l'amour du mot rare de réinvestir la mythologie païenne. Qu'on le perçoive comme le chef de cette école n'est pas sans rapport avec le caractère prolifique de son talent : pris dans le même jeu courtisan que Marot, Ronsard apparaît comme un poète multiplié, occupant sans relâche des lieux lyriques qu'il contribue à élargir, à explorer en tous sens. Des Amours de 1552 au naufrage de La Franciade, cette grande épopée dont rêvera encore un Voltaire, il cultive en ses Bocages toutes les formes de la poésie, refondant ses recueils, récrivant, corrigeant, amendant des pièces à la diversité et à l'abondance surprenantes. S'il recherche d'abord le suffrage de la Cour — il y connaîtra le succès avant d'être éclipsé par la gloire montante de Desportes —, sa poésie très vite devient parole publique, avec les Discours ou certaines Odes. Il conçoit le poète comme un intermédiaire entre Dieu et les hommes ; inspiré et donc autorisé à la parole, il tente d'aider à l'ordre du monde. Entre les prises de position religieuses et les célébrations presque païennes de la Nature, une même veine parcourt une œuvre souvent didactique — mais au détour d'une page, l'églogue devient bergerie, la bergerie mascarade. De cette immense production, la postérité retient surtout la poésie amoureuse, des Amours de ses débuts aux Sonnets pour Hélène composés sur le tard et restant comme le dernier mot d'un art poétique ouvert, aussi singulier que divers.


Odes (1550 — sans cesse reprises et augmentées)

Ce livre fut un événement ; Ronsard y défend comme en un manifeste la nécessité d'une poésie élevée, ambitieuse, contre la pratique poétique de son temps, qui voyait la forme — généralement courte — l'emporter sur le sens. L'inspiration ou fureur donne au contraire au poète une mission : conduire, éclairer — c'est toute une conception de l'homme de lettres qui commence ici à s'inventer. Les odes de Ronsard sont avant tout célébration, d'un moment amoureux, d'un paysage, d'un prince, dont la beauté s'enrichit par le jeu des références (allusions, omniprésence de la mythologie antique, souvenirs d'Horace et de Pindare).



Le Second livre des Amours (1552, édition augmentée en 1555 et 1556)

Rêvées, ces amours pour Cassandre sont d'inspiration pétrarquiste, maintenant la belle dans un absolu inaccessible qui comble et désespère le poète — lequel n'est cependant pas sans célébrer la chair, voire en jouir. Plus que dans les Odes, la complexité linguistique et le jeu des références (identité troyenne de Cassandre) rendent difficile la lecture du recueil. Les deux Continuations sont en revanche plus familières — le passage du décasyllabe à l'alexandrin permet la coïncidence du vers et de la phrase, tandis que la variété amoureuse est encouragée : Ronsard gagne en autonomie face au modèle pétrarquiste, développant un style et une vision plus personnels.



Sonnets pour Hélène (1578)

Publiés à la suite des Amours, dans l'une de ces multiples éditions remaniées qui sont une spécialité de Ronsard. Hélène de Surgères en est la figure centrale, Hélène qui comme Cassandre est française et troyenne. Cette œuvre tardive semble un retour au pétrarquisme (absolu de la femme, véritable guide de l'âme), mais se développe aussi sur l'argumentation du poète désireux de voir la belle s'adoucir ; c'est là porte ouverte à un réalisme un peu grinçant, refusant la duperie ; le recueil se construit sur ces variations, en une langue très pure, presque classique déjà.




Joachim DU BELLAY (1522 - 1560)

Si toujours on l'associe à Ronsard pour figurer la poésie renaissante, Du Bellay ne connut pas le succès courtisan d'un ami dont la Défense et illustration de la langue française conteste les choix poétiques. S'accommodant moins facilement de cette rencontre culturelle avec l'Antiquité qu'est la Renaissance, il partage sa courte carrière entre la France et une Italie rêvée, vécue, décevante. Comme presque tous ses contemporains, c'est du latin qu'il part en son petit Liré ; la lecture des Italiens, puis sa vigoureuse apologie du français littéraire ne peuvent effacer la fascination pour la langue mère : sa traduction d'une partie de l'Enéide témoigne d'une position ambiguë, entre le goût humaniste des sources et une poétique innovante. Le voyage à Rome, qu'il entreprend en 1554 avec son oncle le cardinal Jean Du Bellay, lui permet de mesurer la distance qui sépare le rêve antique et la trivialité moderne. Aussi, les Regrets et les Antiquités de Rome sont-ils les livres d'un deuil — mais la volupté des Poemata s'écrit encore en latin... De même en sa poésie du Bellay joue-t-il de l'imitation (Horace, Virgile, Ovide) tout en récusant les jeux de la mythologie ; de même il remodèle le néoplatonisme en lui adjoignant une théorie des humeurs. Inscrite en faux dans la culture, son écriture est en perpétuelle tension avec des référents qu'elle reconstruit selon un ordre bouleversé : ainsi du sonnet, que seul ou presque à son époque il détourne de la thématique amoureuse. Marquée par une essentielle hétérogénéité, son œuvre va des pièces courtisanes à la dénonciation des vanités, du pétrarquisme (Olive) à sa critique, trouvant son étrange et vivante unité dans la difficulté à rencontrer une stabilité poétique, à se fixer sur un modèle durable.


Les Regrets (1558)

En ce recueil ne règne pas le style élevé des Antiquités, mais une variété qui est celle même d'une ville où grandeur passée et trivialité présente, puissance et ridicules se mêlent. Dans ces contradictions du Bellay malgré lui se retrouve : du déplaisir de cette ville naît une rencontre avec lui-même, c'est-à-dire avec son style. La voie poétique nouvelle qu'initie le recueil est celle du mélange, du contraste, de la mobilité vivante des choses vues. L'écriture louvoie entre satire et élégie ; la nostalgie d'une France idéalisée donne au regard sa force, mais la dernière partie, qui évoque le retour, achève le cycle en faisant porter la désillusion et l'amertume sur ce qui était exalté au début du recueil. Le poème ainsi confondu avec l'instant vivant donne à sentir le tremblement du temps.





Clément MAROT (1496 - 1544)

Fils de Jehan Marot, il conserve de la grande rhétorique un goût marqué pour les jeux de langage, attachant une grande importance à la forme. Travail que la poésie pour lui, au contraire d'un Ronsard qui la voudra d'inspiration divine ; mais Marot, à la différence de ses aînés, polit son art pour en effacer toute trace de labeur, donnant davantage l'image d'une — fausse — facilité. Travail d'autre part car pour vivre il doit quémander quelques subsides aux puissants, s'attacher à leur personne, faire sa cour enfin (Petite épître au roi). Il demande aussi leur soutien quand la justice le serre de trop près : proche du courant évangéliste (il traduit les Psaumes en sa vieillesse et en son jeune âge mange du lard en Carême), il connaît la prison (L'Enfer est une féroce satire de la justice française) et devra pour finir s'exiler. La virtuosité et l'ingéniosité dont il fait preuve, et qui doivent assurer le succès de ses requêtes, sont en effet le secret d'une grande liberté de ton, qui se déploie généralement sur le mode badin, mais peut se révéler dangereuse pour le poète. Les demandes d'aide des Epîtres sont quelquefois la conséquence de l'audace de telle épigramme dont la cible a quelque rapport avec l'ordre établi. Elles dessinent ainsi, au fil des explications, un semblant de biographie de Marot : ce sont pièces de circonstance, comme l'ensemble de sa production (réunie aujourd'hui dans L'Adolescence clémentine), qui nous donnent à connaître une figure attachante, entre le rire heureux et les heures noires de la Renaissance.


L'Adolescence clémentine (1532 ; une Suite paraît en 1534).

Ce recueil des pièces de jeunesse de Marot, le seul qu'il donna avant les éditions de ses Œuvres en1538 et 1544, est fort composite : des grands poèmes allégoriques des débuts aux Epigrammes, en passant par les Epîtres, Rondeaux et Ballades, auxquels les éditions modernes joignent les traductions des Psaumes, c'est Marot dans toute sa variété et surtout dans toute sa portée. Proche encore du Roman de la Rose dans Le Temple de Cupidon, on le voit à partir de L'Enfer dépasser les allégories pour jouer plus légèrement de l'équivoque, montrant une aisance quelquefois vertigineuse dans une langue toute de fluidité. Les pointes se multiplient, le regard s'aiguise, la mise en scène de soi et de l'autre gagne en finesse et en ironie. Quelques pièces sérieuses émaillent un ensemble plutôt jovial, voire satirique (Epitaphes, Epigrammes).





Michel de MONTAIGNE (1533 - 1592)

Pendant quelque trente ans, l'écriture des Essais se confond avec sa vie. Une éducation classique, nourrie d'humanités, puis l'entrée au parlement de Bordeaux : il y rencontre Etienne de la Boétie, dont la mort motivera en partie la rédaction de ce tombeau que sont initialement les Essais. A trente-sept ans, en 1570-71, il vend sa charge et se retire en son domaine pour trouver le calme et laisser à son esprit le loisir de " s'entretenir soy-mesme ". Conservant cependant une vie publique (il sera élu maire de Bordeaux à deux reprises dans les années quatre-vingts), voyageant à l'occasion, il s'aperçoit que la retraite nourrit les " chimères " et que la conversation avec soi-même est un bien autre souci que la conduite des affaires. Il se lance alors vraiment dans l'aventure des Essais, qui tentent de fixer le dialogue ininterrompu d'un honnête homme avec le monde, les anciens, lui-même enfin. Edition après édition, les livres s'enrichissent, se nourrissent de commentaires, de réactions, d'additions quelquefois contradictoires qui nous restituent dans tout son relief une figure d'homme libre, à mi-chemin entre l'universalité de l'humaine condition et une personnalité inoubliable, dont le tour d'esprit, le style, l'originalité du livre rappellent sans cesse la présence. Nourris d'une vie qu'ils absorbent à mesure qu'elle se rapproche de son terme, les Essais ne trouveront leur forme définitive que dans l'édition posthume de 1595, à l'orée d'un siècle qui méditera les interrogations et les doutes de Montaigne.


Essais (1580, 1595 pour l'édition définitive)

A la variété du monde répond celle du texte, couvrant " à sauts et à gambades " tous sujets, mobile dans son écriture comme dans sa pensée, corollaire inévitable enfin d'une fondamentale incertitude dont l'Apologie de Raymond Sebond (II, 12) développe avec force les grandes lignes. L'instabilité du jugement humain conduit au scepticisme, nuancé dans les derniers ajouts par l'aveu d'une confiance dans les " leçons " de la nature. De quoi s'agit-il ? De tirer un enseignement, aussi divers soit-il, du dialogue avec les anciens ; d'élaborer une morale, toute de prudence et de maîtrise ; et, faute de point d'appui sûr dans les sciences, d'être soi-même la matière de son livre, c'est-à-dire de se prendre comme objet d'étude, tirant leçon de l'expérience du monde et explorant sans relâche un problématique être intérieur. C'est une forme d'écriture de soi qu'invente Montaigne ; non point encore autobiographique au sens moderne, mais cherchant toujours son miroir dans l'universel, conversant sans relâche, entre la vanité bien comprise de toute quête de la sagesse et une perpétuelle recherche.





MARGUERITE DE NAVARRE (1492 - 1549)

La sœur de François Ier occupe une place singulière dans la littérature française du seizième siècle. Protectrice des arts, elle se révèlera peu à peu comme un auteur accompli, même si l'Heptaméron n'est publié qu'après sa mort. En un siècle où la grande question est religieuse, c'est en héritière de l'évangélisme érasmien qu'elle pose les premiers jalons de son itinéraire intellectuel. Avec Briçonnet et Lefèvre d'Etaples, au début des années 1520, elle forme le cercle de Meaux, où se discutent les formes d'une religion intériorisée, vivifiée par la pratique des textes. Si le groupe disparaît rapidement, pris dans la tourmente des conflits religieux, son influence se fera sentir jusque tard dans le siècle. Quant à celle qui deviendra la grand'mère de Henri IV, elle n'abandonnera pas ses principes, donnant secours à Marot et quelques autres quand l'occasion s'en présentera, appuyant également avec succès les idées nouvelles auprès de son frère, jusqu'à l'affaire des Placards (1534). C'est qu'elle possède une réelle influence, participant par exemple aux négociations qui suivent la défaite de Pavie, en 1525. Parallèlement à cette activité politique, elle entreprend une œuvre poétique d'abord marquée par la réflexion spirituelle et inspirée de formes italiennes (Miroir de l'âme pécheresse, 1531, Dialogue en forme de vision nocturne, 1533). Méditations habilement versifiées, ses poésies reprennent les images classiques de la mystique, pour tenter de séparer l'esprit, voué à la pureté, d'une chair perdue d'avance. Et si l'Heptaméron, rédigé pendant les dernières années de sa vie, semble emprunter une voie profane et charnelle, la dialectique du péché et de la grâce s'y joue sensiblement dans les mêmes termes. Ainsi Marguerite bâtit-elle une œuvre, au sens fort du terme, jouant tour à tour des joies sereines de l'intimité et des plaisirs de la conversation pour explorer, par le verbe, une question vitale.


Heptaméron (1558)

Sous le signe de deux références essentielles : la vérité et le Décaméron de Boccace, dont Marguerite a encouragé la retraduction, l'Heptaméron réunit soixante-douze nouvelles, unifiées par un cadre narratif dont l'unité est la journée. L'importance des conversations entre devisants, qui commentent et discutent le sens de chaque récit, permet de mettre en évidence les enjeux (nouveaux) des nouvelles, et les liens qui les unissent : retournements, parallélisme, exception dynamisent le recueil, cependant que les ressorts dramatiques internes, encore largement stéréotypés mais développant déjà quelques situations romanesques et sentimentales, tournent essentiellement autour de l'amour. Entre platonisme et gaudriole, il s'agit d'en explorer les modalités, de découvrir d'éventuelles justifications à un péché auquel nul n'échappe — et que compliquent les rapports de force qui brouillent les relations entre hommes et femmes.





François RABELAIS (1484 ? - 1553)

Du terroir tourangeau aux voyages romains, la vie de Rabelais se partage entre la littérature et la médecine, l'apostolat et l'apostasie, de même que son œuvre sera marquée par une fondamentale indécision, une ambiguïté ruinant d'avance maint discours de vérité tentant de se l'approprier. La légende d'un Rabelais athée amateur de fantastiques ripailles naît de cette mésinterprétation de l'œuvre, pourtant plus accessible que sa vie. De sensibilité évangéliste, il est hostile à toute superstition, mais pas irréligieux : ses romans (Gargantua surtout) nous le montrent prenant position contre les prétentions ultramontaines, se moquant des miracles, des moines ; Pantagruel cependant sera à côté du bon vivant une âme élevée, manifestant des sentiments que l'on peut appeler chrétiens. Il faut également rappeler la dimension humaniste de celui qui se fait l'éditeur d'Hippocrate et de Manardi. Le Tiers Livre en particulier met en œuvre une culture dont on n'a plus idée, une connaissance intime de l'Antiquité qui ne prend pas la forme allusive chère à la Pléiade, mais se diffuse de façon beaucoup plus discrète (ou au contraire comiquement pédante) dans un texte volontairement archaïsant, paradoxalement truffé de néologismes qui composent un lexique incomparable : plus de vingt-cinq mille mots, dont la moitié lui appartiennent en propre. La forme du banquet qu'adoptent les quatre romans privilégie une oralité où se rencontrent la culture populaire du carnaval et les références grecques ou latines. L'épopée fantaisiste devient ainsi au cœur de cette multivocité du monde quête du sens (Pantagruel, Tiers et Quart livres), d'un sens qui bien sûr se dérobera jusqu'au bout : le Cinquième livre, en partie apocryphe, ne nous en dit pas plus dans l'oracle de la Dive Bouteille (" Trinch ") que la logorrhée des personnages, enfilant bêtises et vérités, n'a pu atteindre de certitude.


Pantagruel (1532)

Publié sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier, ce premier roman est dans la chronologie gigantale le second, celui du fils. Doté d'une généalogie phénoménale et fantaisiste qui l'apparente au Christ, Pantagruel fait le tour des universités françaises, accompagné de son précepteur Epistémon, afin de devenir, conformément au programme humaniste tracé par son père, un " abîme de science " ; il rencontre Panurge, champion du verbe, qui use des signes en virtuose et occupe bientôt le premier plan en racontant son histoire. Suivent quelques aventures universitaires, judiciaires, et plusieurs disputations — mais la guerre contre les Dipsodes coupe court à ces plaisirs, et entraîne le roman sur la voie de l'épopée comique, où Pantagruel brille par sa force et ses vertus, cependant qu'Epistémon tué puis ressuscité raconte les Enfers.



Gargantua (1534)

... ou déjà la perte du sens, celui des Fandreluches antidotées ou des propos avinés de Janotus de Bragmardo. Les exploits gigantesques et facétieux de Gargantua, enfant héroïque et inventeur précoce d'un torchecul, plongent d'emblée le lecteur dans un comique contrebalancé par des signes de sérieux, tels les discours d'Eudémon ou ce blason de l'androgyne qui désigne le géant comme un être parfait. L'éducation de Gargantua occupe le début du roman, suivie de sa mise en pratique dans la comique guerre Pichrocoline, où s'illustre Frère Jean des Entommeures, cependant que Grandgousier, père du héros, apparaît comme un modèle royal. Le roman se clôt avec la fondation de l'abbaye de Thélème, conclusion logique des satires antireligieuses (éducation, pélerins mangés en salade) et dont la devise est " Fay ce que vouldras ".
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