Rodrigue et Chimène : deux êtres épris l’un de l’autre qui seront grillés à petit feu sur l’autel de la gloire et du devoir. Rodrigue va-t-il laver l’affront fait à son père et tuer le père de Chimène ? Il choisit la solution héroïque qui lui conserve l’admiration de sa Chimène mais il s’empêche ainsi de l’épouser à jamais. La barbarie du système de l’honneur du clan force Chimène à demander vengeance et à faire immoler le seul homme qu’elle aime. L’Infante, secrètement amoureuse de Rodrigue, elle aussi, s’est pliée à la règle des convenances et ne s’est pas autorisée à aimer plus bas qu’elle! Elle a donc « offert » Rodrigue (Laurent Capelluto) à Chimène (Laure Voglaire). Les rebondissements imprévus rendent un espoir insensé à L’Infante (une très impressionnante France Bastoen) qui est à nouveau tourmentée par la folie d’amour… jusqu’à cette scène inoubliable d’extase en solo. En ce qui concerne Chimène - victime de l’orgueil de son clan et de ses principes inébranlables - elle est prisonnière de son devoir et la préservation d'une image de perfection se met en travers de l’amour avec une constance effroyable. Seul un roi avisé pourra changer la loi, défaire les codes barbares et faire retrouver Raison … et Amour.
Modernité. Qui de s’échauffer, qui de se rafraîchir, de se précipiter en retard, une rose ou un sachet de provisions à la main : dès le début du spectacle, le spectateur se trouve confronté à un long prélude muet d’allées et venues des comédiens qui se préparent au tournoi verbal. Dominique Serron, la metteuse en scène ne recherche nullement l’illusion théâtrale, elle a choisi de privilégier l’énergie créatrice de chacun, le corps et la parole pour exprimer la violence des sentiments emprisonnés dans le texte de Corneille. Ni décor historiciste, ni même de sage neutralité avec un plateau nu et épuré. Le pourtour du plateau est encombré par le matériel quotidien utilisé par les comédiens lors des répétititions: de la table de repassage, à la carafe d'eau fraîche pour se désaltérer. Ils se changent, se maquillent, se sustentent, s’ébrouent, se retrouvent le texte à la main.
Intensité. Et puis tout d’un coup on assiste au jaillissement du jeu dramatique qui fait fuser l’émotion. Le spectateur est auditeur libre d’une répétition, d’une réelle séance de travail, que l'on peut imaginer évolutive. Déjà que les personnages ne sont pas interprétés par les mêmes comédiens tous les jours! Donc le seul point d’appui où se construit peu à peu le spectacle est cet environnement naturel dans lequel baigne le comédien, un envers de décor invisible ou imaginaire. L’énergie du texte de Corneille se libère à mesure. Comme s’il s’agissait d’un concert dont on ne possède plus les instruments anciens, les comédiens ont pour tâche de trouver au fond d’eux-mêmes l’authenticité du texte. La troupe est un faisceau d’énergies portées par le rythme parfait de l’alexandrin. Cette caravelle qui vous embarque dans l’ivresse de la langue. Voilà un centrage sur la parole et le corps sans aucune autre distraction.
Authenticité. Alors le lyrisme devient viscéral. Les coups de talons fâchés et cadencés, les gestes ibériques millénaires se réveillent et le flamenco est au rendez-vous. Le corps prépare le jaillissement de la parole. Ces parties dansées sont des moments intenses de ressourcement et des moments de concentration et d’unisson extraordinaire, chaises à l'appui! Comme pour reprendre après ces respirations rythmiques le texte avec plus de vérité encore. Il y a ce tango particulier où chacun est face à une chaise de bois. La dure réalité ? Le sol du plateau rugit sous le questionnement, sous la douleur de la décision impossible. C’est le drame du choix impossible. C’est un aller-retour dans l’introspection: entre la vie et la mort, entre la vengeance et l’amour. Ainsi s’allume le feu dramatique qui dévore chacun des personnages et qui gagne peu à peu le spectateur pris dans les flammes vives de la création artistique.
Le drame est incandescent, vécu par chacun avec vérité absolue. Voici le cast de comédiens fascinants qui a fait vibrer la salle entière le mardi 12novembre, jour de la première : Laure Voglaire, Laurent Capelluto ; France Bastoen, Patrick Brüll, Daphné D’Heur, Vincent Huertas, Julien Lemonnier, Luc Van Grunderbeeck. Faut-il souligner que nous avons été charmés de retrouver le duo Laure Voglaire, Laurent Capelluto (qui jouait avec tant de sensibilité dans les "1001nuits" récemment au théâtre du Parc) et que nous avons été séduits par le jeu plein d’intelligence et de finesse de Daphné d’Heur dans le rôle d'Elvire, la suivante?
http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/grande-salle/piece3.html
Huit partitions jouées par une équipe de onze comédiens :
Rodrigue : Laurent Capelluto ou Fabrizio Rongione
Chimène : France Bastoen, Alexia Depicker ou Laure Voglaire
L’Infante : France Bastoen ou Daphné D’Heur
Le Roi et Don Gomès : Patrick Brüll ou François Langlois
Don Diègue : Luc Van Grunderbeeck
Don Sanche : Vincent Huertas ou Julien Lemonnier
Don Arias : Vincent Huertas ou Julien Lemonnier
La suivante : Daphné D’Heur, Alexia Depicker ou Laure Voglaire
En savoir beaucoup plus : http://infinitheatre.be/
Commentaires
http://www.plaisirdoffrir.be/theatre/rechercheArtiste.php Les spectacles de Dominique Serron
19 septembre au 1er octobre 2019
Sous chapiteau (à l’angle du Boulevard Baudouin Ier et de l’Avenue Albert Einstein)
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d’après l'œuvre de Federico Garcia Lorca - Adaptation et mise en scène : Dominique Serron - Avec (en alternance) : Irène Berruyer / Léonard Berthet-Rivière / Andréas Christou / Stéphanie Coppé / Elfée Dursen / Monique Gelders / Aurélie Goudaer / Florence Guillaume / François Houart / Geneviève Knoops / Sophie Lajoie / Léa Le Fell / Gaspar Leclère / Diego Lopez Saez / David Matarasso / Virginie Pierre / Géraldine Schalenborgh / Léopold Terlinden / Juliette Tracewski / Julien Vanbreuseghem / Coline Zimmer (Sous réserve de modification. Voir www.atjv.be)
Photo © A. El Asri
Mercredi: de 20:30 à 23:59
Jeudi: de 19:30 à 23:59
Vendredi: de 20:30 à 23:59
Samedi: de 19:00 à 23:59
Dimanche: de 16:00 à 23:59
Du 19 septembre au 1er octobre 2019
Scènes Belle tonicité pour le drame cornélien vu par Dominique Serron.
Sans doute fallait-il la patte de Dominique Serron pour livrer un Cid choral d’une telle tonicité. Amoureuse des classiques qu’elle aime actualiser (on se souvient de son “Roméo et Juliette” virevoltant), la metteure en scène s’attaque une fois encore à un monstre sacré, “Le Cid” de Corneille dont les vers résonnent plus de deux heures durant sans que l’on voie les alexandrins passer. Sur scène, le dénuement. Point de décor mais bien deux tréteaux, côté cour et jardin, contenant des accessoires dont les comédiens, affichés comme tels, se serviront au fil du drame. Ils croqueront aussi à pleines dents les pommes ou raisins mis à leur disposition, comme dans les loges. C’est là, également, qu’ils admireront les scènes dont ils deviennent spectateurs avant d’endosser leur costume. Le procédé, certes, n’est pas neuf mais il n’en reste pas moins d’une pertinente efficacité.
À l’issue d’une représentation chaleureusement saluée par le public, on regrette à nouveau que la subvention accordée à L’Infini Théâtre par les pouvoirs publics soit réduite de moitié en 2014. Une perte pour le paysage dramatique belge car, du talent, il en faut pour monter “Le Cid” avec autant d’audace et d’humour, une prise de risque qui pourrait basculer dans le burlesque et qui reste d’une belle justesse. Telles ces chorégraphies hispanisantes évoquant le royaume de Castille où se déroule le drame et la réelle physicalité des comédiens dont le jeu séduit et convainc.
Un Rodrigue puissant
Combien, pourtant, de Chimène avant Laure Voglaire (en alternance avec Alexia Depicker), et de Rodrigue avant Fabrizio Rongione (ou Laurent Capelluto), qui tirent remarquablement leur épingle du jeu, entre drame, souvent, et drôlerie parfois, touchants, émouvants même en évitant l’emphase mais en tenant malgré tout le public en haleine ?
D’une belle profondeur, Fabrizio Rongione est un Rodrigue d’une puissante sobriété, et très séduisant, lui qui doit venger son père offensé et perdre une maîtresse dont le père est l’offenseur. Il ira au front, conscient qu’“ à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire”. On comprend qu’il n’ait d’yeux que pour Chimène, fraîche, maligne et déchirée du premier au dernier vers. Daphné D’Heur incarne, elle, une Elvire pleine de bonhomie et Luc Van Grunderbeeck, Don Diègue d’une belle maturité, nuance à propos sa partition.
Et si, de part et d’autre, quelques vers sont parfois ravalés, la langue de Corneille n’en est pas moins admirablement servie, traduisant cette rage, ce désespoir, cette vieillesse ennemie… On connaît la suite. Qui mérite assurément d’être revue aux Martyrs. Puisse le succès de ce spectacle influer, encore, sur la décision des pouvoirs publics…
LA LIBRE http://www.lalibre.be/culture/scenes/un-cid-choral-52946b933570b69f...
Le plaisir d'offrir, extrait de la critique:
Dominique Serron et l’Infini Théâtre sont souvent promesse alléchante de grand classique soigneusement dépoussiéré, amoureusement revisité, respectueusement modernisé, délicatement adapté et proposé notamment à nos jeunes et au public scolaire.
Le Cid de Corneille, une des étoiles au panthéon des chefs-d’œuvre, nous séduira-t-il tout autant que Le jeu de
l’amour et du Hasard ou La Princesse Turandot ?
Un plateau de théâtre avec son réfrigérateur, sa table, sa planche à repasser, ses chaises, ses porte-habits, des vêtements qui pendent de-ci de-là, d’arrivée tardive en essayage (Décor et costumes de Christine
Mobers), nous sommes bien loin de Séville et du royaume de Castille.
Et pourtant …Les brochures encore à la main, histoire de veiller au bon respect du texte, certains observent, d’autres boivent, se changent, se maquillent, se reposent, répètent des pas de danse, se détendent entre les scènes.
Le Cid, vraiment ?Jeu dans le jeu, action dans l’action, cette mise en abyme, en apparence si légère, souffle un agréable vent de fraîcheur et de légèreté. Musique, danses espagnoles, costumes mixant contemporain et
d’époque, Dominique Serron a opté pour un travail très corporel, visuel. Les comédiens sont aussi danseurs, habilleurs, presque mimes parfois. Ballet de corps, regards qui vrillent ou captivent, gestes amplifiés
ou magnifiés, Le Cid est là entier, vivant, vibrant, fougueux, sanguin. (Muriel Hublet)
Siempre que te pregunto Je te demande toujours Que, cuándo, cómo y dónde Où, comment et quand Tú siempre me respondes Tu me dis toujours Quizás, quizás, quizás Peut-être, peut-être, peut-être
[Verse 1] : [Couplet 1] : Y así pasan los días Les jours s'écoulent aisni Y yo, desesperando Et je désespère Y tú, tú contestando Et toi, toi tu réponds toujours Quizás, quizás, quizás Peut-être, peut-être, peut-être
[Verse 2] : [Couplet 2] : Estás perdiendo el tiempo Tu gaspilles le temps Pensando, pensando En pensant, pensant Por lo que más tú quieras A ce que tu veux en plus Hasta cuándo ? Hasta cuándo ? Jusqu'à quand ? Jusqu'à quand ?
Formidable votre évocation du Cid, ainsi rajeuni. Je me souviens pour ma part de l'interprétation de Gérard Philippe. Ca fait un bail! Mais les chef-d'oeuvre sont faits pour flamber toujours.
Intéressant de lire la critique de Michèle Friche, après votre billet. Quel beau duo de sensibilité féminine, pour des louanges en stéréo...
L'article deMichèle Friche dans Le Soir
Le classique des classiques, dont les spectateurs soufflent les répliques aux comédiens, ce Cid de Corneille, inusable, au surnom de « seigneur » gagné par Rodrigue après sa victoire sur les Maures dans cette guerre qui arrangeait bien le roi d'Espagne, mais qui servait aussi à masquer que ce jeune homme presque malgré lui, avait tué le père de Chimène, son amoureuse, pour défendre l'honneur de son père à lui ! Le Cid, pierre d'angle du classicisme en 1636..., au seuil de la subversion, sous le couvert de son sous-titre : tragi-comédie !
Le revoici délesté de ses traditions entre les mains de Dominique Serron et son Infini Théâtre. Point de décors, et de part et d'autre du plancher blond, des tables et des chaises, des fruits, un frigo, quelques fripes sur des ceintres, et derrière, deux rangs de fauteuils rouge (de théâtre). Dans ce qui ressemble à des coulisses et au plateau d'une répétition (scénographie et costumes de Christine Mobers), l'un feuillette la brochure (du Cid), l'autre repasse une chemise blanche, l'on s'essaie aux zapateados, tout en gardant l'oeil sur nous, spectateurs, dans une salle qui restera souvent éclairée. Et l'on entre par petites touches qui révéleront au fil des scènes leur portée symbolique et humaine : Chimène, boule de feu, et sa petite robe fluide, moderne, l'Infante (elle aussi amoureuse de Rodrigue, mais sans espoir) corsetée en clin d'oeil au XVIIème, qui plonge dans sa boîte de kleenex ou Don Diègue, soucieux, brochure à la main. Et les alexandrins s'ébranlent, mine de rien, libres et légers, encore malhabiles pour certaines jeunes comédiens.
Les corps sont à l'unisson, ils dansent, même avec les chaises, ils se passent les accessoires utiles, ils peuvent chuchoter, hurler (mais jamais longtemps), ils s'écoutent, se regardent en permanence. Ils « font du théâtre » comme s'ils l'inventaient sur le champ, sans artifice, sans videos, sans violences extrêmes. Que du Corneille... et des corps en énergies croisées, assumant plus que de coutume l'humour de cette tragi-comédie (Rodrigue se cache sous la nappe, traverse ses fameuses stances, chemise sanglante, dans le style de Zorro est arrivé !) tout en vibrant des doutes, des contradictions, des désespoirs les plus humains. Et voilà comment le Cid, mis en scène par Dominique Serron, se boucle en deux heures, portés par de bons comédiens - Patrick Brüll, Luc Van Grunderbeek, France Bastoen, Laure Voglaire, Alexia Depicker, Fabrizio Rongione (le Cid), et d'autres encore, soit l'équipe fidèle de l'Infini Théâtre, qui s'affirme dans sa manière de rendre les classiques tout frais, tout chauds (le formidable Jeu de l'amour et du hasard, c'était eux, aussi), une compagnie qui ne sait pas de quoi demain sera fait : les pouvoirs publics lui ont retiré la moitié de sa subvention pour 2014.
MICHÈLE FRICHE
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