« Faust » de Gounod à la cité ardente (ORWL) jusqu’au 2 février 2019
Pertinent et spectaculaire: « Lasciate ogne speranza, voi ch’intrate » Comme dans l’Enfer de Dante, le vieux docteur Faust a tout perdu : amour, espoir et foi. Sa vie consacrée à l’étude et à la recherche n’a pas réussi à révéler le sens profond de l’existence humaine et il est sur le point de boire une coupe de poison, appelant la mort à l’aide. « Maudit soit tout ce qui nous leurre ! » Là-dessus, Méphistophélès apparaît « Me voici ! »
On découvre les gémissements de l’alchimiste au pied d’un tas de décombres, une montagne de livres et de documents sertis comme dans un bijou brisé, un immense anneau domine la scène et nous rappelle l’histoire terrifiante du pendule d’Edgar Poe. Le cercle de fer est gigantesque et se meut sur lui-même comme une malédiction, il s’ouvre comme une gueule béante, se relève et redescend changeant de perspective tout au long du spectacle. Est-ce l’un des cercles de l’enfer de Dante ? Le décor est tout sauf de la bouffonnerie. Ceux qui considèrent le Faust de Gounod comme une histoire d’amour bourgeoise inintéressante ou un divertissement comique auront tort. L’ensemble de la production est conçu comme une puissante peinture des vanités.
Accueillir Stefano Poda dans la maison liégeoise avec sa mise en scène totalement polysémique a été un pari réussi. C’est un alchimiste ! Tout est synonyme de recherche esthétique. Poda recherche la perfection et la pureté comme dans une fabrication d’Ikebana.
Surtout quand l’anneau est rempli de deux structures arborescentes blanches qui ne se touchent jamais. Son art de la mise en scène est abstrait, philosophique et transcendantal. Poda déborde d’un symbolisme visuel saisissant. L’image du cercle peut nous rappeler le cercle de la vie, la notion circulaire du temps, les saisons, le mouvement des étoiles et des planètes, mais aussi l’esclavage humain ou les prisonniers enchaînés avec les fers au col et aux jambes, ou un anneau qui scelle entre deux êtres un pacte comme les liens du mariage, préfiguration de celui avec Dieu. A tout prendre, on choisit plutôt le Créateur pour l'alliance, que le Diable.
La mise en scène, l’interprétation et l’implication du public sont fortes. Le Faust de Gounod désire par dessous tout la jeunesse car elle englobe tout : la richesse, la gloire, le pouvoir. « Je veux un trésor qui les contient tous ! » Méphistophélès convainc Faust de signer son contrat en ne lui montrant qu’un mirage de beauté, de grâce et de jeunesse : Marguerite. La fleur même qui symbolise les « Je t’aime » que l’on effeuille légèrement.
D’abord séduite par les fleurs de Siébel, l’attention de Marguerite sera vite détournée par le coffret à bijoux. L’humble et naïve jeune femme sera séduite, abandonnée et tuera ensuite l’enfant à qui elle a donné naissance faisant d’elle une infanticide condamnable à l’échafaud. La société bourgeoise de l’époque de Gounod méprisait les enfants nés hors du mariage, et un terrible opprobre pesait sur toutes les filles-mères, qui ne pouvaient continuer à vivre avec leur famille, ce qui signifie qu’elles finissaient par se prostituer. « Ne donne un baiser, ma mie, Que la bague au doigt !…. » Aujourd’hui, nous ne sommes plus d’accord avec des approches aussi sombres et malveillantes, mais nous connaissons des endroits dans le monde où l’on condamne les filles apparaissant en public non voilées…
Stefano Poda dirige tout : la mise en scène, les décors, les costumes, la chorégraphie et l’éclairage, ce qui donne un sentiment d’unité captivante. Les mouvements de masse sont construits en lignes d’une fluidité extraordinaire, même si chaque individu dansant est pris de mouvements saccadés, presque névrotiques, articulés en gestes déconnectés qui rendent palpable l’image d’une société robotisée. On croit voir à travers tout cela, les anneaux d’un immense serpent, ce lui qui présidait à la tentation originelle.
L’orchestration fougueuse et romantique de Patrick Davin s’avère très pittoresque et efficace, menée avec beaucoup d’assurance et d’attention aux détails, avec une vivacité frénétique pour correspondre aux mouvements de masse et aux scènes chorales comme la Kermesse ou la Valse du second acte. Il dépeint avec flamboyance les démons déchaînés qui assaillent Marguerite alors qu’elle va prier dans l’acte IV, et cisèle comme un orfèvre le magnifique ballet de la Nuit Walpurgis.
Le chant guerrier « Gloire immortelle de nos aïeux » est franchement cynique, avec des soldats lourds de souvenirs sanglants, revenant de la guerre mais disparaissant les uns après les autres! Et puis la musique devient une déferlante sarcastique qui accompagne un cercle de femmes enceintes tenant des ballons noirs flottants pendant que Méphistophélès leur rend une diabolique visite ! Mais il met aussi très habilement en valeur les magnifiques voix qui soutiennent le chef-d’œuvre.
Le Faust de Marc Laho, est une voix forte et déterminée avec un timbre clair et sonore surtout lorsque le diable l’a « rajeuni !». Il chante avec une aisance et un style parfaits et une diction impeccable. A ses côtés, Anne-Catherine Gillet chante d’abord comme une sylphide évanescente. Elle rayonne de jeunesse, de joie, d’amour, de passion mais devient redoutable de puissance quand elle est cernée par le désespoir. Ce n’est plus Faust, mais Marguerite qui est devenue le personnage bouleversant de cet opéra. Son dernier souffle la conduit par escalades vocales vertigineuses vers le ciel où elle est accueillie en héroïne tragique par les anges et les séraphins dans des sonorités d’orgues de cathédrale La diction de Méphistophélès n’est certainement pas parfaite, mais le très apprécié et brillant Ildebrando D’Arcangelo puise sa force au cœur des ténèbres, et de sa superbe voix de basse, il projette de façon stupéfiante l’aridité d’un esprit manipulateur passionné. Il joue de l’ironie: « Si le bouquet l’emporte sur l’écrin, je consens à perdre mon pouvoir ! » Et Marguerite revêtira donc le manteau de diamants et de miroirs! Valentin s’avère être un autre rôle intense. Il est chanté par Lionel Lhote, qui, parti à la guerre, laisse sa sœur sous la garde de l’adorable Siébel, chanté avec ferveur amoureuse, presque angélique par Na’ama Goldman. A son retour, pris d’une rage aveugle inspirée par le Démon, il défiera Faust en duel, pour avoir mis sa sœur enceinte et mourra au premier coup de pistolet.
La truculente femme fatale, Dame Marthe est endossée par Angélique Noldus, qui joue désespérément les coquettes avec le diable qui la rejette, mais nous ramène par petites touches à la vie nocturne illicite des bourgeois du temps de Gounod. Kamil Ben Hsaïn Lachiri dans le rôle de Wagner. Pierre Iodice: chef des Choeurs de l'Opéra royal de Liège.
Du 23 janvier au 02 février 2019 à l’ Opéra Royal de Wallonie-Liège, et le 8 février à Charleroi
Durée 210 minutes (entractes compris)
Opéra en cinq actes
Musique de Charles Gounod (1818-1893)
Livret de Jules Barbier & Michel Carré
D’après le poème de Goethe
Créé à Paris, Théâtre Lyrique, le 19 mars 1859
Direction musicale: Patrick Davin
Chef des choeurs: Pierre Iodice
Mise en scène, Décors, Costumes, Chorégraphie et Lumières: Stefano Poda
Assistant Mise en scène, Décors, Costumes, Chorégraphie et Lumières Paolo GianiCei
Avec
Anne-Catherine Gillet/ Marguerite
Na’ama Goldman / Siébel
Angélique Noldus/ Marthe
Marc Laho/ Faust
Ildebrando D’Arcangelo/ Méphistophélès
Lionel Lhote / Valentin
Kamil Ben Hsain Lachiri / Wagner
Production :
Fondazione Teatro Regio de Turin
Opéra de Lausanne
New Israeli Opera de Tel Aviv