« On pouvait se croire revenu au XVIIIe siècle, sous le règne du grand maharajah Jai Singh II, fondateur de la ville moderne de Jaipur, qui était réputé pour la splendeur de sa cour et la sagesse de son gouvernement. »,
Guyatri Devi,
qui fut la dernière maharani de Jaipur.
L’observatoire de Jaipur n’est pas le premier bien sûr. J’ai déjà évoqué celui de Tycho Brahé sur l’île de Hven, construit en 1576. Si celui-ci a disparu, il reste la Tour ronde (Rundetårn) Copenhague, conçue en 1642 sous Christian IV. Plus loin dans le temps, Hipparque (ca 190-120 av. J.-C.) choisit l’île de Rhodes pour le sien.
La culture arabe, à l’acmé de son rayonnement, en construit à Damas, à Bagdad, aux IXe-Xe siècles, à Maragha en Perse en 1260, à Samarkand en 1420, la tour Galata à Istanbul, au Caire, à Cordoue, Tolède…
Beaucoup d’étoiles tiennent leurs noms de cette origine, comme Aldébaran, Altaïr, Bételgeuse… Bon, les énumérations al-Sufi*.
« Mais savez-vous ce qui rend Vénus si jolie de loin ?
C’est qu’elle est fort affreuse de près.
On a vu avec les lunettes d’approche que ce n’était qu’un amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues et apparemment fort sèches ;
et, par cette disposition, la surface d’une planète est la plus propre qu’il se puisse à renvoyer la lumière avec beaucoup plus d’éclat et de vivacité. »
Fontenelle, Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686.
Pluralité des mondes, voilà un concept qui me plait. Revenons donc à Jaipur. Son observatoire historique n’est pas davantage le plus vieil actif. Le plus ancien observatoire actuel, toujours en activité, est celui de Paris. Il date de 1667.
Ce n’est pas non plus le seul construit par Jai Singh II. Il entreprit d’abord de bâtir celui de Delhi en 1724, puis déménagea sa capitale d’Amber à Jaipur, avant de faire élever les observatoires de Vârânasî, Ujjain et Mathura. Néanmoins celui de Jaipur est le plus important et le mieux préservé.
Pour l’heure, nous avons rendez-vous avec Vénus, celle qui apporte la paix des Planètes de Gustav Holst (1874-1934).
Sept planètes pour sept notes, une gamme de couleurs pour sept cycles tonaux (cycles tonanux, c'est redondant, non ?).
Création d'un monde, univers parfait et harmonieux, équilibre de la musique des sphères.
https://artsrtlettres.ning.com/video/holst-venus-from-the-planets-suite
Vénus, l’étoile du Matin, l’étoile du Soir, sera donc notre Berger.
La Tour ronde (1642) à Copenhague
abritait un observatoire astronomique à 35 mètres de haut…
… et sa rampe hélicoïdale
qui permettait d’y acheminer les instruments astronomiques :
Mais revenons à notre observatoire de Jaipur, avec le :
Narivalaya yantra :
Son gnomon pointe vers le pôle, sa circonférence graduée en ghatis (heures) et palas (minutes). Il détermine la position du soleil et donne l’heure locale et l’heure indienne. Ou comment être clair tout en maniant la parabole.
Jai Prakash yantra :
Son invention est due à Jai lui-même. Deux coupes hémisphériques de marbre blanc de 5,5 mètres de diamètre chacune figurent les hémisphères célestes et sont utilisées alternativement d’heure en heure.
Un anneau métallique est tendu en leurs centres, l’ombre y passant permet de calculer l’azimut, le méridien, la distance du zénith, la déclinaison et la longitude du soleil… Impressionnant, même si je n’y entends rien. Mais assurément un des objets les plus beaux et des plus intrigants, tout de marbre blanc.
Et d’une beauté lactée. Séléné se baignant dans l’océan intergalactique…
Et, au clair de la lune, à Jaipur le soir, il suffit de s’installer dans la conque pour faire ses observations célestes nocturnes. Et chercher fortune.
Brihat Samrat yantra :
Un cadran solaire géant ! Un triangle rectangle de 44 mètres de base, s’élevant à 27 mètres de haut à 27°. Et deux cadrans de 15 mètres gradués en heures, minutes, secondes donnant l’heure précise à la demi-seconde près ! Pas sûr que votre réveille-matin soit aussi exact. Ni votre montre à quartz aussi performante, puisqu’on obtient aussi la distance au zénith, la déclinaison et la distance des astres de jour comme de nuit. Une autre structure similaire, le Laghu Samrat yantra (décrit dans la seconde partie de cet article), existe sur le site qui permet de déterminer l’heure solaire.
En juin-juillet il permet toujours de prédire si la mousson sera favorable ou non à de bonnes récoltes ou que la disette s’annonce.
Sawai Jai Singh II en grande conversation avec les émissaires portugais,
le père Figueiredo et Xavier de Silva (miniature indienne)
A la même époque, Louis XIV se piquait également d'astronomie, sans toutefois les mêmes compétences que Jai Singh II.
"Le Roi vouloit qu'on choifit quelques astronomes de l'Académie royale des sciences pour aller obferver à Marli en sa présence l'éclipse du Soleil" (1706)
Aimant cependant à observer la danse des astres autour du Soleil, convoquant les Cassini de père en fils et neveu Maraldi, La Hire ou, plus tard, Lemonnier, sous le règne de Louis XV qui reprit cette même manie.
"Le 24 octobre, j'eus l'honneur de faire voir au Roi et à la cour la Comète",
Maraldi, 1724
"La présence de Sa Majesté qui a désiré voir Vénus plusieurs fois ]...[
n'a pas peu contribué au succès de toutes les déterminations." (1761)
Mais il est temps, je vous laisse au pied de cette fantastique rampe de lancement.
Dans mon Objectif Lune, j’ai à coup sûr commis des erreurs et approximations que vous voudrez bien pardonner. Mais, pour reprendre Fontenelle que je ne suis pas tout en le paraphrasant un peu, excusez du peu…
« Je dois avertir ceux qui ]qui auront lu mon billet[, et qui ont quelque connaissance de la physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire mais seulement les divertir en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et un peu plus égayée de qu’ils savent déjà plus solidement ; et j’avertis ceux pour qui ces matières sont nouvelles que j’ai cru pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. »
De même, les puristes voudont bien pardonner les traits d'humour :
quand le sujet est aride, je déride.
Mais peut-être cet extraordinaire site inspirera-t-il à un artiste sa Nuit étoilée.
Van Gogh, passionné d’astronomie, fut sollicité par Camille Flammarion qui devait superviser l’installation du pavillon d’astronomie pour l’Exposition universelle de 1889.
https://artsrtlettres.ning.com/video/van-gogh-et-sa-nuit-toil-e-par-jean-pierre-luminet
« Et dans le nombre des études, il y en aura, j’espère, qui soient des tableaux.
Pour le Ciel étoilé, j’espère bien le peindre
et peut-être serai-je un de ces soirs dans le même champ labouré,
si le ciel est bien étincelant. »
Henri Dutilleux (1916-2013), à son tour, s’en inspira pour sa symphonie (pas une bourrée) Timbres, espace, mouvement.
Détail d’un globe céleste du XVIe siècle.
Travail du Lombard Giovanni Antonio Vanosino de Varèse (1535-1593)
Quant à Edgard Varèse (1883-1965), c’est à l’Astronomie hermétique de Paracelse (1493-1541 ; de son irrésistible véritable nom Philippus Theophrastus Bombastus van Hohenhein) qu’il se référa pour composer Arcana.
https://artsrtlettres.ning.com/video/edgard-varese-arcana-1926-1927-revised-1960
« Une étoile existe plus que tout le reste.
Celle-ci est l’étoile de l’Apocalypse.
La deuxième est celle de l’ascendant.
La troisième est celle des éléments qui sont quatre.
Outre celles-ci, il y a encore une autre étoile,
l’imagination
qui donne naissance à une nouvelle étoile
et à un nouveau ciel. »
A vous donc !
* Abn al-Rahman al-Sufi, dit parfois Azophi sous nos latitudes, l'astronome persan à qui on doit cette nomenclature et en l'honneur duquel on baptisa, si on permet le mot, un cratère lunaire.
Michel Lansardière (texte et photos)
Si vous souhaitez voir ou revoir la première partie de cet article, une présentation générale du site de Jantar Mantar, cliquez ci-dessous :
Ou, pour une présentation détaillée des différents instruments astronomiques, vous pouvez retrouver la première partie ici :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/les-instruments-du-maharadja-jantar-mantar-2-3