Coup de foudre sur la sierra
(paesine, marbre de Florence)
Pouvoir incantatoire des pierres, puissamment évocateur, jeux de la nature, obsidienne, miroir fumant de l’Aztèque, larmes d’Apache, agate, lithophyse, œuf de tonnerre, fulgurite, céraunie, glossopètre, pierre de foudre, cristal de roche, marbre, pietra paesina…
Dans ces messages codés, ces signaux de fumée, ces traces laissées par le temps, j’y ai vu d’étranges correspondances…
Pluie de cendres sur un monde perdu
Gioacchino Toma (1836-1891)
(huile sur toile, détail ; La pioggia di cinere a Napoli)
« Les roches elles-mêmes semblent bavarder, fraternelles,
débordantes de sympathie.
Ce qui n’a rien d’étonnant,
nous avons tous les mêmes père et mère. »,
John Muir (1838-1914)
Dès lors poursuivons le dialogue.
Coup de tonnerre sur les Chiricahua Mountains
(paesine, marbre de Florence)
Il y a très longtemps, par une violente nuit d’orage, Eclair à plusieurs reprises frappa Femme Peinte en Blanc. C’est ainsi qu’elle donna le jour à Enfant de l’Eau. Quand Eclair jugea qu’Enfant de l’Eau était digne d’être son fils, il lui fit don d’une telle force qu’Enfant de l’Eau put anéantir Géant. Ainsi le Peuple des Forêts, tels que les Apaches se nommaient eux-mêmes, put vivre tranquillement, chassant, cueillant pour subvenir à ses besoins.
(Légende apache)
On dirait une terre d’orage
Levée en plein ciel
Une terre de rouille et de ruine
D’ombre
Et de marbre
Quelque chose de brutal et d’injuste
En pleine nature
Presque une vengeance sauvage
De l’homme
Comme revenu de lui-même
Arnauld Pontier, Marbre, 2007
Terre apache
(paesine, marbre de Florence)
Cette pierre, née du hasard, ressemble étrangement au mont Graham.
Même profil que cette montagne sacrée, le « Mont Assis » des Apaches,
Dzit Ncha Sí Án
« Ici, sur cette terre éternellement jeune et formidablement ancienne, [l’homme] se sent à la fois plus petit et plus grand. Ses yeux ont une portée exceptionnelle, car ils sont confrontés avec des choses qui se trouvent dans l’espace depuis des millions d’années. »,
Elliott Arnold (1912-1980)
« Les actes accomplis et les mots prononcés se sont immédiatement pétrifiés, comme l’exigeait une loi mystérieuse,
à jamais incompréhensible. »,
id.
Le chant de la foudre
(paesine, marbre de Florence)
C’est aux sommets des monts Graham, Turnbull, Chiricahua et White Mountain, avec le grondement du tonnerre, que viennent se réfugier les nuages et les Êtres Tonnerres. C’est à eux que les Apaches adressent leurs prières. Gibier, récoltes, pluie, longue vie…
Alors les Gans, les Esprits de la Montagne, « ceux qui ne meurent pas », les envoyés d’Usen, le Grand Esprit des Apaches, le donneur de vie, purent danser.
(d’après les textes recueillis et traduits par Claude Dordis, in Voix des Apaches)
Crown Dancer
Septaria (San Sebastian, Guipuscoa, Espagne)
(concrétion marneuse indurée dont les veines de rétractation sont emplies ici de calcite)
Le danseur couronné incarne le Gan, l’Esprit de la montagne.
Il « invoque et danse autour du feu et éloigne la maladie.
Il chasse le maléfice et apporte le bien. »,
Elliott Arnold.
Je suis l’Eclair éblouissant et éclatant,
La vie se tient là, dans sa coiffe,
Dans le cliquetis de ses pendentifs il y a la vie,
On entend ce bruit et il résonne
Et mon chant entoure les danseurs
Et les protège.
C’est le chant de la vie sous le soleil.
Hilili
Bois flotté (ramassé pour être honnête sur une plage de Crète)
Les Crown dancers sont souvent cinq, quatre Gans représentent les points cardinaux et un clown sacré.
Koyemsi, le clown sacré des Hopis, introduit d’un cri l’entrée du
maître de cérémonie, Hilili…
Riez, tremblez…
Grés de Kanab
(Utah, Etats-Unis)
Monument Valley
(Agate paysage du Brésil)
Vision panoramique, profondeur de champ, dans un technicolor éblouissant, on se projette dans un film de John Ford. Les vastes étendues entre Arizona et Utah, tout ça dans moins d’un millimètre d’épaisseur et dans la dimension d’une vignette (4 x 2,8cm).
« C’est un miroir merveilleux qui, à un moment donné,
a reçu l’empreinte et reflété l’image d’un grand spectacle…
la vitrification de notre planète. »,
George Sand (1804-1876)
Esprit de la Montagne
Bout de terre sacrée
Grès de Monument Valley ramassé au pied d’une butte au cœur du
Territoire Navajo.
« Le moindre caillou, niché au fond d’une poche, peut représenter un instant de mémoire absolu. »,
Maurice Rajsfus (1928-2020)
Peinture sur sable Navajo
Phil & Lucinda Benally, Indiens navajos de Shiprock (Nouveau-Mexique)
Le peuple Navajo croit en un monde d’équilibre.
Mais l’homme peut le renverser, provoquant désastre ou maladie. L’homme-médecine peut tenter de rétablir cet équilibre naturel et guérir celui qui y a contrevenu par des herbes, des prières, des peintures sur sable qui seront dispersées par le vent.
Et des chants.
Ho – Na – Dzon – Age – Ne – Yo
Où sont passés tous les miens ?
Chant de Geronimo
Yo – l’oiseau
Agates (lithophyses de l’Esterel, Var)
Kokopelli
Fac-similé d’un pétroglyphe anasazi incisé dans le grès acquis auprès d’un indien Hopi au Canyon de Chelly (Nevada, USA).
Courbé par la vieillesse et jouant de la flûte, Kokopelli symbolise la virilité masculine autant que l’humidité bienfaisante et féconde de la saison des pluies pour les peuples indiens du sud-ouest des Etats-Unis.
Kachina
Hopi (XXe siècle. Racine de yucca, plumes, cuir)
Kachina-Aigle (?).
Les Kachinas-Oiseaux sont des esprits intercesseurs des dieux très aimés des Hopis. Ils dansent en poussant des cris stridents lorsqu’ils entrent dans la kiva (espace cérémoniel).
Ces poupées magiques fascinèrent les surréalistes, notamment Max Ernst et André Breton. Ce dernier, en juillet 1945, sillonna le Nevada, l’Arizona et le Nouveau Mexique, rencontra les Indiens Hopi, collecta ces Kachinas. Effigies des forces de la nature, règnes animal, végétal, minéral.
Three Mesas, les ruines d’un monde
ou les veines ouvertes de l’Amérique indienne
Septaria
(les fentes de rétractation sont ici juste saupoudrées de pyrite)
Crépuscule indien
Jaspe paysage
Comme dans le Joueur de flûte de Hamelin,
traités et promesses ne furent guère tenus.
On finit par les parquer dans des réserves
Terme de la Longue Marche Tragique
des Navajos et des Apaches
Piste des larmes
des Cherokee
Soleil Hopi.
Pointe de lance indienne
Jaspe.
Utah
Grés paysage
Finitude d’un monde enclavé, étranglé
sur lequel je pleure.
Politique de la terre brulée
Un monde aujourd’hui renait, déterminé.
Grés (Etats-Unis)
Apache sèche tes pleurs
Sur la piste
une étoile
a déposé
une fleur
un calice
Pour qu’au firmament
Terre et Hommes puissent
Passer la voute du temps.
M. L.
Thunder egg
(lithophyse « œuf de tonnerre », Oregon)
Grés
Mais que sont les mots pour le temps…
Lithophyse
Ce temps qui, tel Cronos le Titan, dévore ses enfants.
Cronos armé de sa faucille, Zeus tenant la foudre.
Tous les hommes sont de la même terre pourtant.
« Les oiseaux quittent la terre avec leurs ailes,
et nous, les hommes, pouvons également ce monde,
non pas avec des ailes, mais avec l’esprit. »,
Black Elk (1863-1950),
homme-médecine des Lakota oglala
Pour vous conter cette histoire j’ai nourri mon imaginaire de ces curieuses formes minérales, quand « la nature imite si bien les productions de l’art » (Patrin) autant que l’art semble imiter la nature.
Pierre de Florence (Pietra paesina)
Peint par Jacques Deseve, gravé par Gérard-René Le Villain pour l’
Histoire naturelle des minéraux de Eugène-Melchior-Louis Patrin (1742-1815)
Michel Lansardière
(texte et photos)
Glossaire :
Obsidienne : roche volcanique vitreuse
Miroir fumant : miroir divinatoire en obsidienne destiné à invoquer le dieu Tezcatlipoca.
Larme d’Apache : obsidienne guttulaire.
Agate : quartz microcristallin, une calcédoine déposée en couches très graphiques et aux couleurs contrastées.
Lithophyse : nodule d’origine volcanique empli d’agate.
Œuf de tonnerre : lithophyse où l’agate forme souvent une étoile à cinq branches (thunder egg de l’Oregon).
Fulgurite : tube de silice creux formé par la foudre frappant le sable.
Céraunie : objet que l’on croyait d’origine céleste (cela pouvait être une hache de pierre préhistorique, un minéral comme la marcassite, une météorite, un fossile, bref une étrangeté dont on ne comprenait pas l’origine).
Glossopètre : encore un objet que l’on croyait tombé du ciel (nous sommes Gaulois que diantre ! Il s’agissait en fait d’une dent de requin fossile ou d’une pointe de flèche du temps d’avant Taranis).
Pierre de foudre : synonyme de céraunie.
Cristal de roche : quartz transparent et incolore.
Marbre : calcaire métamorphique, cristallin.
Pietra paesina : la paesine (ou pierre de Florence) est une forme de marbre au graphisme pouvant évoquer une ville en ruine (« pierre aux masures », marbre ruinatique). Très prisée à la Renaissance, on la trouvait fréquemment dans les cabinets de curiosités.
Nota : Murillo a peint sur obsidienne, des « miroirs fumants » d’origine aztèque ; Orazio Gentileschi, Antonio Carrache, le Cavalier d’Arpin ou Antonio Tempesta sur lapis-lazuli ; Filippo Napoletano, Francesco Ligozzi, Jacques Stella sur paesine… Après tout où trouver plus belle palette que notre planète.
Dans mes compositions seule la nature a œuvré (un sciage a suffi pour en révéler la subtilité, et un polissage parfois pour en sublimer la beauté), laissant libre-cours à l’imagination.
Peinture sur paesine (Toscane, début XVIIe)
« Il n’y a pas de miracles.
Plutôt tout est miracle. »,
Saint François d’Assise
M. L.