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Le Prieuré de Saint-Cosme fut construit à la fin du XIème siècle, à l'emplacement d'un oratoire, sur une ancienne île de la Loire. Au XVIème siècle, la communauté des moines accueillit son plus illustre prieur : Pierre de Ronsard, poète et fondateur de la Pléiade. Il y restera jusqu'à sa mort en 1585 et y repose aujourd'hui parmi les roses et les iris. Les vestiges comprennent notamment le logis du prieur qui abrite le cabinet de travail du poète, le réfectoire et le chevet de l'église où gît Pierre de Ronsard. Digne hommage rendu au poète, les jardins de roses invitent à une promenade romantique.
Animations culturelles : "Les journées de la Rose" exposition-vente de rosiers (week-end de la Pentecôte), "Les Musicales", saison de concerts de musique de chambre, Rencontres de Musiques Anciennes, Festival Jazz d'Europe (fin juin), Théâtre en juillet, "Rendez-vous au jardin" (juin).

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12272732285?profile=originalUn peu d'histoire

Depuis sa fondation en 1092 et jusqu'au XVIIIe siècle, la communauté des chanoines accueille au prieuré de Saint-Cosme les pèlerins en route pour Saint Jacques de Compostelle.

L’histoire du site reste marquée par la présence des rois de France en Touraine aux XVe et XVIe siècles et surtout par la venue de Pierre de Ronsard qui en devient le prieur en 1565. Le “Prince des poètes” y reçoit la même année la visite de Catherine de Médicis et de son fils, le roi Charles IX.

Dans ce cadre propice à son inspiration, Ronsard vit ses derniers jours et s'y éteint dans la nuit du 27 décembre 1585.

Le prieuré est démantelé à partir de 1742. Au XIXe siècle, il offre l’aspect d’un village qui va perdurer jusqu’aux bombardements alliés de 1944. En 1951 après d’importantes restaurations, le Conseil général d’Indre-et-Loire, propriétaire des lieux, ouvre le site au public.


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En pénétrant dans les jardins, découvrez la maison du prieur édifiée au XIVe siècle.
Elle abrite la chambre et le cabinet de travail de Ronsard agrémentés de mobilier Renaissance.
De l’église ne subsistent que des vestiges : le chevet où la tombe de Pierre de Ronsard a été découverte, les chapiteaux romans, l'arc gothique et une partie de croisillon.
Des bâtiments autour du cloître, seuls le réfectoire doté d’une magnifique chaire romane et une partie de l'hôtelier ont échappé aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Depuis le 3 juillet 2010, 14 vitraux uniques signés par le peintre Zao Wou-Ki ornent le réfectoire.

Une partie des jardins de roses a fait l’objet d’un vaste chantier de fouilles archéologiques réalisé en 2009 qui rendent visibles les fondations de bâtiments médiévaux dont une petite église de l’an mil. De nouveaux jardins verront le jour à l’horizon 2012.

Un espace d'exposition permanent est aussi réservé à la découverte du Livre pauvre, collection unique de petits livres de poésie manuscrits et peints par des poètes et des artistes contemporains. Initiés par Daniel Leuwers les livres pauvres invitent au dialogue entre poésie et peinture auquel ont déjà pris part Michel Butor, Yves Bonnefoy, François Cheng, Bernard Noël, Salah Stétié, Andrée Chedid, Nancy Huston, Annie Ernaux, Michel Tournier... et les peintres Pierre Alechinsky, Gérard Titus-Carmel, Claude Viallat, Jean-Luc Parant, Georges Badin, Béatrice Casadesus, Richard Texier parmi de nombreux autres.

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12272732483?profile=originalC'est un récit de François Rabelais (vers 1483-1553), publié à Paris chez Christian Wechel en 1546. Immédiatement censuré par la Sorbonne, l'ouvrage, troisième récit du cycle des géants, connut pourtant plusieurs réimpressions, avant l'édition définitive de 1552.

 

La fin du Pantagruel promettait une suite qui révélerait "comment Panurge fut marié, et cocqu dès le premier moys de ses nopces; et comment Pantagruel trouva la pierre philosophale [...]" (chap. 34). Le Tiers Livre diffère la réalisation de cette double promesse: à l'inverse des deux récits précédents, l'action et l'aventure y occupent moins de place que l'exploration des savoirs de l'époque (droit, médecine, théologie) et de ses représentations intellectuelles.

 

Après la victoire sur les Dipsodes (voir Pantagruel), Pantagruel a donné à Panurge, en récompense, la châtellenie de Salmigondin; mais celui-ci ne tarde pas à dilapider, "en mille petitz banquets et festins joyeulx", les revenus de son domaine (chap. 1-2). + Pantagruel qui lui adresse d'amicales remontrances, il répond par un vibrant éloge des dettes: "Prester et emprunter", telle est la loi qui, d'après lui, régit le corps de l'homme aussi bien que l'organisation du cosmos (3-4).

 

Le lendemain de cette entrevue, Panurge fait part à Pantagruel de sa perplexité: son dessein serait de se marier, s'il ne craignait par-dessus tout d'"estre fait cocqu" (9). Pantagruel lui répond qu'il est difficile de donner des conseils en cette matière: les deux amis vont donc chercher des présages en ouvrant au hasard les oeuvres d'Homère et de Virgile; mais comme chacun interprète à sa manière les passages en question, la perplexité de Panurge reste entière (10-12). La divination par les songes produit les mêmes interprétations contradictoires (13-14), comme la consultation de la Sibylle de Panzoust, du poète Raminagrobis (21) et de l'astrologue Her Trippa (25). Pantagruel assemble un théologien, un médecin, un légiste et un philosophe, mais aucun d'eux ne dissipe les doutes et les craintes de Panurge (29-36). Le juge Bridoye et le fou Triboullet n'y réussissent pas mieux (39-46).

 

Pantagruel et Panurge décident alors d'aller consulter la Dive Bouteille, en compagnie de frère Jean des Entommeures et d'Épistémon. Lors des préparatifs du voyage, les navires sont chargés d'une herbe nommée Pantagruélion, herbe indestructible, aux propriétés admirables, dont l'usage hisse l'homme au rang de la divinité (49-52).

 

Épopée bouffonne dans Pantagruel et Gargantua, le récit rabelaisien prend, avec le Tiers Livre, la forme itérative d'une quête toujours déçue: à la courbe ascensionnelle des épreuves et de l'exaltation du héros, il substitue le cercle, figure de l'impossible issue, et du retour obsessionnel de la même interrogation. Le discours des personnages garde toute sa verve, mais il a perdu sa force résolutive. Encadrés par l'éloge des dettes et l'hymne au Pantagruélion, les déboires de Panurge n'en font que mieux ressortir la détresse d'un langage incapable de répondre à une question prosaïque. Juge, médecin, philosophe, prêtre et magicienne n'ont rien à dire à Panurge - ou plutôt, l'accumulation de leurs discours ne trace aucune voie certaine. La bouffonnerie, dès lors, se fait plus amère et intellectuelle que dans Pantagruel et Gargantua: elle tient à la disproportion entre les affres bien terrestres de Panurge et la mobilisation rhétorique et conceptuelle qui en résulte.

 

D'où vient cette circularité sans issue? Est-elle seulement le fait des pratiques et des savoirs, convoqués par l'obligeant Pantagruel? De l'astrologie à la théologie, du droit à la médecine et à la philosophie, il ne fait pas de doute que Rabelais stigmatise la culture de son temps, et la technicité creuse de ses discours. Mais l'essentiel est ailleurs. Il semble en effet que la question de Panurge, mal posée dès le départ, pervertisse toute la suite de la quête: candidat au mariage, Panurge n'exige-t-il pas, avant d'entreprendre quoi que ce soit, d'en connaître exactement les conséquences? Son fameux "Seray-je poinct cocqu?" résonne comme une litanie d'un bout à l'autre du livre, comme si le futur pouvait faire l'objet d'une réponse ferme et définitive, qui délivre des dilemmes du présent. Personne ne pourra satisfaire Panurge, et il est étrange qu'aucun de ses interlocuteurs ne lui répète le conseil initial de Pantagruel: "En vos propositions tant y a de si et de mais, que je n'y sçauroys rien fonder ne rien resouldre. N'estez-vous asseuré de vostre vouloir? Le poinct principal y gist: tout le reste est fortuit et dependent des fatales dispositions du Ciel" (chap. 10). Pantagruel ne saurait mieux dire. Par ses questions réitérées, Panurge ne tend qu'à se décharger sournoisement de son libre arbitre: exigeant un oracle, il s'en remet à quiconque l'exemptera du soin de décider. Il ne voit pas, ce faisant, que l'ambiguïté propre à tout oracle le condamne à une perplexité infinie. Une nette similitude se dessine, par-delà les siècles, entre la conduite de Panurge et la problématique sartrienne: l'homme est seul devant l'action, aucun signe tiré de la nature ou des livres ne saurait lui prescrire sa voie.

 

Entre l'exaltation conquérante de Gargantua et les apories du Tiers Livre, la rupture n'est qu'apparente. La devise thélémite "Fay ce que vouldras", que Pantagruel pourrait d'ailleurs opposer à Panurge, constitue le point d'articulation des deux récits: libérés de l'obscurantisme et de la barbarie du monde ancien, les personnages, désormais, doivent affronter les difficultés et les angoisses liées à l'exercice de cette liberté nouvelle. C'est paradoxalement Panurge, le destructeur joyeux des dogmes et des traditions figées, qui s'affole à l'idée que l'homme doive forger son propre destin, et que le futur ne puisse être l'objet ni d'un savoir ni d'une maîtrise.

 

Paradoxe d'autant plus étonnant que Panurge, dans les chapitres consacrés à l'éloge des dettes, s'est fait l'apôtre d'un dynamisme universel, d'une généreuse circulation des énergies: "Représentez-vous un monde [...] onquel un chascun preste, un chascun doibve, tous soient debteurs, tous soient presteurs. O quelle harmonie sera parmy les réguliers mouvements des cieulx!" (4). Comment Panurge, en prônant le déséquilibre fécond du prêt et de la dette, ne voit-il pas que sa théorie implique l'idée d'un avenir ouvert, foisonnant de possibilités multiples? Comment, pliant et maniant le verbe en rhéteur joyeux, peut-il quêter frileusement, dans les chapitres suivants, une injonction univoque, qui dispenserait de parler et de s'interroger? Panurge ne serait-il plus Panurge, comme l'ont avancé jadis certains commentateurs de Rabelais? C'est oublier un peu vite le nom du personnage - "le bon à tout" -, qui le rend apte à des rôles variés et même contradictoires. Plutôt que de chercher une vaine cohérence psychologique, il faut voir en Panurge l'incarnation des tensions qui définissent l'homme de la Renaissance - à la fois démiurge et interprète superstitieux de l'ordre du monde: l'ivresse d'une liberté nouvellement conquise n'empêche pas l'allégeance à la tradition, aux savoirs constitués, à une nature mère tout hérissée de signes et de présages.

 

Envisagée de ce point de vue, la cohérence du Tiers Livre est remarquable: les personnages, la structure des épisodes, le mouvement du récit tout entier composent un perpétuel mixte d'énergie et d'immobilisme. La double question des savoirs et des pouvoirs humains est peut-être la plus révélatrice à cet égard. Le lecteur de Pantagruel et de Gargantua serait en droit d'attendre, de ceux-là mêmes qui ont ridiculisé les sciences enflées de leur néant, une attitude moins docile et plus critique en ce domaine. Non seulement les savoirs, convoqués sans ordre et sans méthode, forment cet amas hétéroclite que dénonçait justement Gargantua, mais aucune règle discriminante ne se soucie de leurs légitimités respectives: médecine et divination, droit et astrologie ont la même valeur aux yeux des personnages. Un monstrueux corpus savant finit par envahir le Tiers Livre, au point que la belle autonomie des héros rabelaisiens paraît s'y engluer. Et pourtant, le récit s'achève sur la description du Pantagruélion, hymne à l'énergie humaine, à ce pouvoir d'exploration et de maîtrise du monde qui fait dire aux dieux de l'Olympe: "Pantagruel nous a mis en pensement nouveau [...] par l'usaige et vertus de son herbe. Il sera de brief marié, de sa femme aura enfans. [...] Par ses enfans (peut-estre) sera inventée herbe de semblable énergie, moyenant laquelle pourront les humains [...] envahir les régions de la Lune, entrer le territoire des signes célestes, et là prendre logis" (51). Voici, soudain, que les tergiversations infinies de Panurge passent au second plan: le mariage de Pantagruel, source d'un dépassement prométhéen de l'humanité, ne fait, lui, aucun doute.

 

Quelle conclusion tirer d'un récit qui consacre 39 chapitres à une quête inféconde et 2 chapitres d'épilogue à l'ingéniosité humaine? Pas plus que dans Pantagruel ou Gargantua, il ne saurait être question de privilégier une dimension de l'oeuvre ou l'autre pour s'y réfugier. S'il faut parler d'une "pensée" de Rabelais, elle réside moins dans les aphorismes un peu solennels de Pantagruel que dans l'affrontement de deux conceptions du devenir: l'élan et le risque d'un côté, l'accumulation et la répétition de l'autre. C'est toute la force et la subtilité du Tiers Livre, que de ne pas incarner l'une et l'autre de ces conceptions dans des personnages emblèmes: le texte joue au contraire sur la plasticité de ses héros, sur la réversibilité de leurs orientations au gré des épisodes. Ainsi Pantagruel, prêchant à Panurge l'épargne, accorde au temps une fonction de lente accumulation, qui préserve l'avenir du hasard et du risque; et c'est le même Pantagruel, dans les derniers chapitres, qui inquiète les dieux par son pouvoir d'excéder les limites de l'homme. Grisaille parcimonieuse, griserie des conquêtes: Pantagruel participe-t-il du gigantisme ou de l'aurea mediocritas?

 

Cette ambivalence indique peut-être que les héros - tout comme l'humanisme en ce milieu du XVIe siècle - se trouvent à la croisée des chemins. Entre la consolidation des acquis et l'euphorie du changement, entre la sécurité du sens et la relance vertigineuse de l'interrogation, ils semblent partagés. Est-ce un hasard, au fond, si le Tiers Livre occupe le milieu de l'oeuvre rabelaisienne?

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L' amour et l' occident

12272733272?profile=original"L'amour et l'occident" est un essai de Denis de Rougemont (Suisse, 1906-1985), publié à Paris chez Plon en 1939.

 

Lu et commenté par des générations d'étudiants, discuté souvent avec passion, parfois critiqué âprement dans certaines de ses conclusions, mais toujours fertile de questionnements, l'Amour et l'Occident s'est imposé dès sa publication comme un maître ouvrage de la pensée humaniste européenne, alors que le règne de barbarie s'étendait au même moment sur presque tout le continent. On ne saurait en effet séparer l'engagement personnaliste et fédéraliste, auquel est resté fidèle jusqu'à sa mort Denis de Rougemont, de cette tentative subtile et perspicace d'explicitation - à partir du mythe de Tristan - d'une conception de l'amour-passion propre à la civilisation occidentale et dont les métamorphoses au cours des siècles n'ont pas fini de produire leurs effets.

 

Le livre premier expose "le contenu caché de la légende ou du mythe de Tristan": l'amour-passion s'y oppose tant au mariage qu'à la satisfaction amoureuse - de même que la chevalerie courtoise brave la société féodale - et magnifie "l'amour de l'amour" et "l'amour de la mort". Pour Denis de Rougemont, en effet, "la passion et le besoin sont des aspects de notre mode occidental de connaissance": s'ils ne sauraient se passer de la souffrance, c'est qu'ils participent d'un désir de pureté et de rachat, et rejoignent de ce fait une quête mystique.

 

Le livre II remonte jusqu'aux "origines religieuses du mythe" pour avancer comme thèse minimale que "le lyrisme courtois fut au moins inspiré par l'atmosphère religieuse du catharisme" et considérer que l'amour-passion, tel que le glorifie le XIIe siècle, fut "une RELIGION dans toute la force de ce terme", et spécialement "UNE HÉRÉSIE CHRÉTIENNE HISTORIQUEMENT DÉTERMINÉE".

Dans le livre III se voient étudiées les relations complexes entre "passion et mysticisme" au cours desquelles l'hérésie des "parfaits", d'abord vulgarisée par la métaphorisation poétique et rendue profane par le passage d'Éros à Vénus, se trouve réinvestie par la mystique chrétienne qui l'utilise comme habit "pour en revêtir l'Agapê".

 

Le livre IV étudie, à travers la littérature occidentale, "l'histoire de la déchéance du mythe courtois dans la vie "profanée"", dont le "désir romantique", en son conflit avec le "désir bourgeois", marque une étape primordiale, cependant que "Wagner vient restituer le sens perdu de la légende" et, ainsi, "l'achever".

Le livre V se penche sur "le parallélisme des formes" entre l'amour et la guerre, de même qu'entre la passion et la politique, dont la rupture au XXe siècle libère "le "contenu" mortel du mythe" et semble ne trouver comme réponse à l'instinct de mort que l'État totalitaire.

 

Le livre VI analyse "la crise moderne du mariage" comme résultante de la dégradation du mythe de Tristan. Son horizon mystique s'étant perdu depuis longtemps, la passion n'a plus pour fin une quelconque transcendance: "au lieu de mener à la mort, elle se dénoue en infidélité" et aboutit à un appauvrissement de l'être "qui ne sait plus posséder, ni plus aimer ce qu'il a dans le réel".

Soulignant la nécessité d'un parti pris, Denis de Rougemont propose alors, dans le livre VII, le choix d'Agapê contre celui d'Éros: il engage à un mariage conçu comme "décision", fidélité qui "fonde la personne", "engagement pris pour ce monde", et non pour un autre fantasmatique.

 

Révisé avec soin en 1954 de manière à préciser et à nuancer un propos qui, certes, pouvait souvent apparaître provocateur, l'Amour et l'Occident ne manqua pas de susciter dès sa parution de nombreuses critiques, tant de la part des théologiens que des historiens. Les premiers lui reprochèrent une séparation trop tranchée entre un Éros qui "veut l'union, c'est-à-dire la fusion essentielle de l'individu dans le dieu" et qui, ainsi, glorifie et idéalise l'instinct de mort, et une Agapê [plaisir] qui, refusant de chercher "l'union qui s'opérerait au-delà de la vie", est "l'origine d'une vie nouvelle, dont l'acte créateur s'appelle la communion", et le ciment, la fidélité.

 

Les historiens, quant à eux, contestèrent vivement la collusion entre troubadours et cathares qui est le pivot de la démonstration de Denis de Rougemont, mais ne paraît s'appuyer sur aucun document décisif. "Il faut dire plus, l'idéal courtois s'oppose intrinsèquement à la théologie dualiste des néomanichéens: quoi de commun entre leur idéal ascétique, leur condamnation radicale de la matière, de la chair, et nos troubadours éperdus d'enthousiasme devant la beauté physique de la femme, médiatrice d'absolu?", écrit ainsi Henri-Irénée Marrou dans les Troubadours. Au-delà, c'est la conjonction non seulement du manichéisme et de la courtoisie occitane mais aussi des légendes celtiques de la "matière de Bretagne", voire de la mystique arabe, en une "fureur dialectique", qui se voit mise en question par le même auteur, lequel regrette profondément l'abus "d'une assimilation entre l'amour courtois des troubadours et une définition de la "passion" issue tout entière à travers le Tristan de Wagner [...]".

 

Quelles que puissent être l'influence sur Denis de Rougemont d'une érudition germanique nourrie tout autant de Novalis et de Nietzsche, et la valeur de rapprochements qui tendent à démontrer que "l'esprit catastrophique de l'Occident n'est pas chrétien" et que "la passion serait la tentation orientale de l'Occident", on ne saurait ignorer la perspicacité de l'auteur à chercher dans une ébauche d'histoire des mentalités les origines d'une crise de la culture européenne. Du tragique de celle-ci, de la remise en question qu'elle induit de l'optimisme béat du rationalisme et du positivisme, bien d'autres auteurs discourront par la suite, après la catastrophe que fort peu ont vu se profiler. L'auteur de l'Amour et l'Occident écrit, lui, face au danger - dont il saisit toute l'ampleur -, dénonce tout autant l'État totalitaire communiste que la religiosité nazie et avance, face aux forces obscures, le sens d'un engagement.

 

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administrateur théâtres

                                       Louis Langrée -Youssif Ivanov

          Samedi 14.05.2011 20:00 Palais des Beaux-Arts / Salle Henry Le Bœuf

 

 Le chasseur maudit, poème symphonique, M44 (1882) César Franck

Atmosphère : un dimanche matin, au son des cloches et des chants, un comte du Rhin fait sonner les cors et ose partir à la chasse au lieu d'assister au culte dominical. Répondant immédiatement au son du cor orgueilleux, une voix lui dit d’écouter les chants pieux. Le motif religieux des violoncelles se fait insistant mais en vain. Son cheval s’arrête et le cor se fige dans le silence. Sacrilège, le voilà maudit par une voix terrible  et perçante qui le damne pour l'éternité. Dans sa chevauchée, il est poursuivi par des diables hurlants et conduit directement vers la bouche béante de l'enfer et ses flammes. L’orchestration est vibrante, fougueuse et sombre. Le dynamisme de Louis Langrée se fait sentir dès la première mesure, il semble lui-même être le Diable en personne.  Il possède le sens passionné  du drame, il égrène avec doigté les frissons prémonitoires d’une colère divine qui semble éclater avec fracas directement des entrailles de la terre. Haute sonorité et musique terrifiante. Le discours de ce  poème symphonique  dense est mené par un maître du jeu tout puissant. Une pièce d’ouverture tellement saisissante ne peut que gagner le public sur le champ.

 

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Concerto pour violon et orchestre n°3 en si mineur opus 61 (1880) Camille Saint-Saëns

On quitte le drame. Le Troisième concerto pour violon de Saint-Saëns penche plutôt vers l’élégance. Le violon de Yossif Ivanov  débute le premier mouvement avec vigueur, cependant que Louis Langrée change diamétralement d’approche, c’est tout juste si on n’imagine pas une répétition dans une église. Au début, à tout le moins. Des mélodies presque bucoliques s’enlacent dans une extrême finesse et dans la douceur. Elles sont suivies d’arpèges descendants dont le point de fuite est le son du hautbois. On passe ensuite à une musique solaire et à de savantes préparations, à un envol. Le dialogue des violons est d’une pureté cristalline, le violon chante langoureusement. Dans l’allegro non troppo le virtuose est  supporté par les bassons et les cors. Finale de pure sonorité, lumineuse et majestueuse. 

 

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Élégant et souriant, Yossif Ivanov  offrira au public émerveillé un  bis scandé comme une tarentelle, un caprice de  Paganini.

 

Symphonie en ré mineur de César Franck

Le vrai coup de cœur de la soirée. Cette composition cyclique grandiose débute par une phrase des violoncelles et des contrebasses. S’ajoutent deux nouvelles  phrases mélodiques, l’une gracieuse, l’autre passionnée. Tout l‘orchestre vibre à l’unisson sous la conduite de  Louis Langrée qui semble faire des pas de danse avec un immense violoncelle imaginaire. Ses gestes sont amples et puissants, on a du mal à ne pas le quitter des yeux.  Le chant mélancolique d’un cor anglais s’élève au milieu des pizzicati de cordes et de harpe. Abandon des thèmes du début. Le maître de musique se fait de plus en plus chaleureux. Musique de l’effleurement, touches presque impressionnistes puis le basculement progressif vers seulement le souvenir des premiers thèmes… Suspense: ceux-ci se font vraiment attendre.  Et le finale est toute fougue et brillance ourlées de la douceur de la harpe, alternant avec la majesté ou même le rayonnement mystique de l’apothéose finale.  

Le bonheur est dans la salle, son cœur crépite.

 

http://www.bozar.be/activity.php?id=9766&selectiondate=2011-5-14

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Les Illuminations de Rimbaud

12272738060?profile=original"Les illuminations" sont un recueil poétique en prose d'Arthur Rimbaud (1854-1891), publié à Paris dans la Vogue, et en volume aux Éditions de cette revue en 1886. Dans l'édition des Poésies complètes (Paris, Léon Vanier, 1895), figurent des textes découverts plus tard et absents dans l'édition de la Vogue ainsi que dans la première effectuée par Vanier en 1892. Dans chacune de ces éditions, le recueil est précédé d'une "Notice" ou "Préface" de Paul Verlaine.

 

En 1875, lors d'une dernière rencontre à Stuttgart, Rimbaud remit à Verlaine le manuscrit des Illuminations, qui passa ensuite entre de nombreuses mains, avant d'être publié en 1886. Rimbaud, qui avait depuis longtemps renoncé à la poésie et vivait en Abyssinie, ignora cette publication. Selon le témoignage de Verlaine, l'ouvrage "fut écrit de 1873 à 1875" (Notice de l'édition 1886). En effet, si quelques poèmes en prose sont antérieurs à ceux d'Une saison en enfer, il est désormais généralement admis que la plupart sont contemporains ou postérieurs. Cela n'interdit toutefois nullement de voir dans Une saison en enfer une sorte de testament poétique que les Illuminations corrigent ou prolongent.

 

Les textes des Illuminations - quarante-deux ou quarante-quatre, selon les éditions - sont, dans l'ensemble, relativement brefs et divisés en quelques paragraphes qui rythment la prose, scandent le parcours poétique. Plus rares sont les poèmes longs et comportant plusieurs sections tels que "Enfance", "Vies", "Veillées" ou "Jeunesse". L'organisation du recueil n'est pas due à Rimbaud mais au critique Félix Fénéon qui opéra un classement des feuillets épars confiés à la Vogue. L'ordre de succession des poèmes n'est donc pas en lui-même pertinent. La lecture du recueil permet toutefois de repérer des systèmes d'écho, des configurations signifiantes entre les textes: certains dessinent un univers urbain et moderne - "Ville", "Villes I", "Villes II", "Ouvriers", "les Ponts" -, d'autres un monde dans lequel la beauté naturelle et originelle a été préservée - "Aube", "Fleurs", "Marine" -; d'autres encore nous plongent dans l'enfance et la féerie - "Enfance", "Conte", "Royauté". Ainsi se créent une intelligibilité qui excède les limites d'un seul poème et une cohérence interne qui subsume le morcellement.

 

Le titre du recueil - que l'on ne trouve nulle part écrit par Rimbaud mais dont Verlaine a certifié l'authenticité, tout comme celle du sous-titre "coloured plates" [assiettes, plaques ou planches, coloriées ou peintes] - privilégie la vision. Selon Verlaine, les Illuminations font allusion aux enluminures populaires. Il est vrai que la poésie rimbaldienne s'ancre dans un imaginaire collectif et traditionnel qu'elle transmue, bien sûr, à sa manière, ce qui lui confère une tonalité parfois naïve, proche du monde de l'enfance. En outre, les textes se présentent le plus souvent comme émanant d'un regard particulier et requièrent du lecteur la contemplation partagée d'un spectacle. Le poète s'apparente à un montreur, sans que l'on sache exactement si l'objet désigné préexiste au regard ou si c'est l'acte de nomination qui le fait apparaître: "Il y a une horloge qui ne sonne pas. / Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches. / Il y a une cathédrale [...]" ("Enfance"). Le terme "illuminations" peut se rapporter également à ce pouvoir d'apparition des objets poétiques qui imposent leur éclat aussi bien aux yeux qu'à l'esprit. Les nombreuses phrases nominales ou présentatives ont cette même valeur déictique: "C'est le repos [...] / C'est l'ami [...] / C'est l'aimée [...]" ("Veillées").

 

La perception visuelle n'est cependant pas exclusive dans les Illuminations, qui octroient notamment une large place au sens auditif. Le vocabulaire musical est très présent et donne matière à mainte image qui mêle les sensations. Ainsi, le spectacle initialement visuel du poème intitulé "les Ponts" intègre peu à peu des notations musicales: "Des accords mineurs se croisent [...] Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics?" Ici encore, l'image se déploie en toute liberté et l'"illumination", révélation et hallucination tout à la fois, transfigure le monde: "La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres" ("Barbare").

 

La musique, c'est aussi celle que crée le texte, par ses rythmes et ses sonorités. Bien différente de celle prônée et pratiquée par Verlaine, la "musique savante" ("Conte") de Rimbaud est heurtée, parfois cahotique, toujours diverse. Elle utilise par exemple l'assonance et l'allitération comme conducteurs de la parole poétique: "Fleurs qu'on appellerait coeurs et soeurs, Damas damnant de longueur" ("Métropolitain"). L'enchaînement et le heurt des sonorités semblent primer sur le sens pour créer une cohérence avant tout auditive. La musique des textes émane aussi de l'utilisation de termes étrangers: leur sens, là encore, importe moins que l'effet de rupture qu'ils produisent, qu'il s'agisse du "wasserfall blond" ("Aube"), des "desperadoes" ("Jeunesse"), des "fanums" ("Promontoire") ou de titres tels que "Being Beauteous" et "Bottom". Le mot rare a ce même pouvoir d'ébranlement et d'envoûtement: "Un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons" ("Nocturne vulgaire"). De même, les fréquentes accumulations nominales confèrent à la prose des Illuminations une fluidité très particulière, à la fois vertigineuse - le flot énumératif semblant susceptible de se poursuivre indéfiniment - et accidentée - les allitérations venant souvent comme marteler la succession des vocables -: "Les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles" ("Métropolitain"). Enfin, cas plus rare, un poème tel que "Barbare" ne dédaigne pas la musique issue de la répétition d'une phrase refrain: "Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques." Mais ce principe est manié sans régularité, voire déconstruit, puisque les derniers mots du texte n'en réitèrent qu'une bribe initiale: "Le pavillon..."

 

Les titres des poèmes offrent quelques clés pour pénétrer dans l'univers rimbaldien. Même s'ils sont loin d'en épuiser d'emblée la teneur, et même si certains demeurent énigmatiques, ils dessinent de possibles trajets et délivrent quelques tonalités majeures du recueil. Ainsi "Enfance", "Jeunesse" et "Vies" semblent-ils se répondre pour constituer une unité biographique, voire autobiographique. Seuls, avec "Veillées", à être divisés en sections, ces trois textes voient émerger, plus ou moins amplement, une première ou une deuxième personne qu'il est tentant d'identifier au poète lui-même. Dans "Vies" surtout, le "je" est omniprésent, Rimbaud paraît livrer des fragments de son existence - "Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde" - et définir sa tâche poétique - "Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour." "Enfance" se présente tout d'abord comme un texte impersonnel mais, dans les deux dernières parties, "je" impose sa présence avec force; la formule "je suis", maintes fois répétée, scande le poème. Une identité s'affirme, se cherche et trace un itinéraire poétique en forme de parcours initiatique: "Je suis le saint", "Je suis le savant", "Je suis le piéton", "Je suis maître du silence". Dans "Jeunesse", enfin, si le "je" est absent, le "tu" qui domine le texte est en fait le protagoniste d'un dialogue intérieur et représente donc encore le poète qui se parle à lui-même: "Tu te mettras à ce travail."

 

Toutefois, cette transparence est toute relative et bien des passages de ces trois poèmes se dérobent à une lisibilité autobiographique. Cette poésie, toujours mouvante et déroutante, ne se laisse jamais emprisonner dans quelque système que ce soit. Certes, le travail poétique se désigne parfois lui-même dans les Illuminations mais de manière éparse, fragmentaire, souvent énigmatique, et les trois textes que nous venons d'évoquer ne sont pas les seuls à comporter de tels passages où le poète explicite et narre son expérience: "J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du Soleil, et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule" ("Vagabonds"; les références à Verlaine, à la vie londonienne et aux errances des deux compagnons sont ici quasi transparentes).

 

Les titres des poèmes offrent également l'image d'un univers poétique à la fois moderne et sans âge. La modernité, c'est l'histoire contemporaine, avec des termes tels que "Démocratie" ou "Ouvriers", et c'est aussi le monde urbain: deux poèmes s'intitulent "Villes", un autre "Ville", et "les Ponts" ou "Métropolitain" renvoient à ce même paysage avec son "épaisse et éternelle fumée de charbon" ("Ville"), "ses bruits de métiers" ("Ouvriers") et sa "police" ("Villes I"). Volontiers descriptive, l'écriture enregistre alors le réel avec froideur et précision: "Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angle sur les premiers" ("les Ponts"); "On sert des boissons populaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies" ("Villes I"). Le ton est celui du compte-rendu, comme si l'écriture cherchait à se dépouiller à l'extrême pour mieux laisser comparaître le monde, comme si le regard du sujet s'effaçait au profit de la réalité extérieure. Cependant, rien n'étant jamais stable ni définitif dans cette poésie, le spectacle purement visuel bascule vite vers une transfiguration imaginaire et la vision du témoin neutre devient celle d'un visionnaire. "Villes II" offre notamment le spectacle de villes - "Ce sont des villes", annonce d'emblée le texte - peuplées de mythiques personnages; la description, à partir de quelques repères réels, acquiert une dimension fantastique, parfois indéchiffrable: "Toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs" ("Villes II"). La modernité rejoint ainsi le mythe, et ces poèmes sont donc moins étrangers qu'il n'y pouvait paraître à ceux qui prennent source dans l'univers des légendes, comme en témoignent certains titres: "Conte", bien sûr, mais aussi "Antique" et "Après le Déluge". Diverses mythologies se côtoient et engendrent un monde féerique. Dans "Après le Déluge", par exemple, la référence biblique cohabite, par le biais d'"Eucharis", avec la Mythologie grecque et avec celle des contes puisque l'on voit paraître "Barbe-Bleue" aussi bien que "la Reine, la Sorcière". Cependant la magie des Illuminations n'est pas essentiellement faite d'emprunts. Les noms ou les figures traditionnelles sont là comme autant de clés, de formules rituelles qui ouvrent sur un monde échappant aux lois du quotidien et du réel, mais la poésie rimbaldienne engendre sa propre magie, son "défilé de féeries" ("Ornières"), avec ses "fleurs magiques" et ses "bêtes d'une élégance fabuleuse" ("Enfance").

 

Parfois, la fable se déploie sur l'ensemble du poème et la continuité narrative invite à une interprétation parabolique. C'est le cas en particulier dans "Conte" et "Royauté"; mais de telles unités sont rares car Rimbaud préfère l'éclatement à la cohérence, le morcellement à la continuité.

Ainsi, la féerie des Illuminations naît surtout des réseaux sémantiques et thématiques qui se tissent d'un poème à l'autre. La récurrence de l'or et des pierreries crée une atmosphère de conte et un éclat visuel qui contribuent à la magie du recueil; on trouve ainsi dans "Fleurs" "un gradin d'or", "des pièces d'or jaune semées sur l'agate", "un dôme d'émeraude", "de fines verges de rubis". La magie procède aussi du monde du cirque et de la fête qui alimente de multiples visions, cosmiques et oniriques: "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse"; "Il sonne une cloche de feu rose dans les nuages" ("Phrases"). Cette euphorie et cette exubérance des images ne vont pas sans violence. Les contes rimbaldiens sont souvent cruels et le sang, dans les Illuminations, est tout aussi présent que l'or. Les "fantasmagories" ("Métropolitain") sont aussi fabuleuses qu'atroces.

 

Enfin, la poésie rimbaldienne se porte volontiers aux frontières de la déconstruction et de la dérision. Ainsi, le poème prosaïquement intitulé "Solde" se présente comme une litanie de camelot qui dilapide au rabais "l'immense opulence" poétique des Illuminations. Moins apparents, d'autres procédés, au détour d'une phrase, invitent à se méfier des mots, des clichés par exemple, que l'écriture exhibe comme en autant de grincements: "La haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes" ("Enfance"), "Entouré d'un "luxe inouï"" ("Phrases").

 

Chères aux surréalistes, qui ont pensé y déceler une pratique de l'écriture automatique - ce qui est sans doute incontestable pour certains textes mais ne peut être considéré comme un principe systématique -, les Illuminations constituent un texte fondateur pour l'ensemble de la poésie moderne.

Rimbaud Arthur. Lettres.

Ensemble de lettres d'Arthur Rimbaud (1854-1891), publiées dans diverses revues à partir de la première décennie du XXe siècle, le plus souvent à Paris par Paterne Berrichon.

 

Rimbaud n'est pas un épistolier prolixe: la correspondance du poète n'accompagne pas de façon constante et nécessaire la création littéraire, comme c'est par exemple le cas pour Flaubert ou Gide. Dictées surtout par les circonstances - demande de livres ou d'argent, nouvelles à la famille - et par la solitude - à Charleville puis en Afrique -, les lettres de Rimbaud ne forment pas véritablement une correspondance d'écrivain mais constituent un précieux document biographique et esthétique.

 

 

Les lettres de Rimbaud n'ont pas toutes été retrouvées, si bien que leur succession chronologique et leur répartition en fonction des destinataires ne sont pas toujours l'exact reflet de l'existence du poète. A partir de 1878, la correspondance témoigne toutefois de la rupture survenue dans la vie de Rimbaud et de sa décision de renoncer à la poésie. Cette année inaugure en effet une longue série de lettres adressées exclusivement aux siens et décrivant ses voyages, puis surtout sa vie quotidienne en Afrique à partir de 1880. Les lettres précédant cette période forment un ensemble distinct. Porteuses de l'enthousiasme et de la révolte du collégien puis du jeune poète, elles sont souvent accompagnées de poèmes et de préférence adressées à Georges Izambard, professeur de rhétorique à Charleville dont Rimbaud fut l'élève, et à Paul Demeny, un jeune poète de Douai.

 

Parmi les lettres de Rimbaud, celle adressée le 15 mai 1871 à Paul Demeny occupe une place à part. Plus longue que les autres, elle contient en effet l'exposé d'une sorte d'art poétique, déjà esquissé dans une lettre à Georges Izambard du 13 mai. Rimbaud y définit le poète comme un voyant: "Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons pour n'en garder que les quintessences." La poésie est expérience radicale de soi et du monde. Il ne s'agit pas simplement d'écrire mais de "trouver une langue", ce qui engage l'être entier. Le poète est explorateur des limites et il a pour tâche de découvrir l'inconnu. Son chemin est périlleux et douloureux, car son ascèse morale inversée s'apparente à une descente en enfer. Loin toutefois de la conception malheureuse du poète romantique vilipendé par Rimbaud, cette vision prométhéenne du poète "voleur de feu" et "multiplicateur de progrès" est pleine d'élan et d'enthousiasme. Poète de la rupture, Rimbaud affirme l'illogisme de l'écriture poétique, ses liens étroits avec la déviation, l'instinct, et sa vocation de découverte: "La poésie ne rythmera plus l'action; elle sera en avant." La lettre-programme à Paul Demeny ouvre la voie de la poésie moderne et permettra notamment aux surréalistes de se réclamer du poète.

Rimbaud Arthur. Poésies. ; 1892.

Ensemble des textes poétiques en vers d'Arthur Rimbaud (1854-1891), publié à Paris en 1892; réédition chez Vanier en 1895, avec une Préface de Paul Verlaine, sous le titre de Poésies complètes. En 1891, une édition intitulée Reliquaire. Poésies avait paru chez Léon Genonceaux mais elle avait été rapidement retirée du commerce.

 

Rimbaud n'a jamais rassemblé et ordonné ses poèmes afin d'en publier un recueil; et son oeuvre, lorsqu'elle a échappé au reniement ou à la destruction à laquelle il la vouait souvent, comporte des ensembles de provenances et de périodes diverses. Quand il n'a pas regroupé ses poèmes, c'est l'ordre chronologique de la composition qui prévaut, à condition toutefois que les dates soient précisées sur les textes ou puissent être retrouvées.

 

"Les Étrennes des orphelins" sont le premier poème connu de Rimbaud; il fut publié dans la Revue pour tous le 2 janvier 1870. Le "Cahier de Douai", appelé aussi "Recueil Demeny", rassemble des poèmes que l'auteur, en septembre puis octobre 1870, entreprit de copier à l'intention du jeune poète Paul Demeny, à Douai, chez les tantes de son professeur Izambard qui l'avaient accueilli après ses fugues. Cet ensemble contient vingt-deux pièces, la plupart datées de l'année 1870 - "les Étrennes des orphelins" n'y figurent pas. Il s'ouvre sur "Première Soirée" - publié sous le titre "Trois Baisers" dans la Charge le 13 août 1870 - et se termine par "Ma bohème". Il comporte des textes, le plus souvent en alexandrins, de longueur et d'inspiration diverses parmi lesquels "Sensation", "Ophélie", "Bal des pendus", "Vénus anadyomène", "Roman", "le Dormeur du val". Durant l'été 1871, Rimbaud demande à Demeny de brûler le "Cahier de Douai" qu'il juge désormais dépassé. En effet, à la fin de l'année 1870 et durant l'année 1871, de nouveaux poèmes ont vu le jour: "les Assis", "les Premières Communions", "le Bateau ivre", "Voyelles". Enfin, un dernier ensemble d'une quinzaine de poèmes écrits sans doute en 1872 fut publié avec les Illuminations. Ces textes poétiques, certainement indépendants des poèmes en prose des Illuminations, sont désormais recueillis séparément sous le titre de "Vers nouveaux" ou de "Derniers Vers". On y trouve notamment "Larme", "la Rivière de Cassis", "Comédie de la soif", "Fêtes de la patience", "Honte".

 

Le "Cahier de Douai" comporte des pièces encore relativement traditionnelles dans leur facture. Le vers - en général l'alexandrin et parfois l'octosyllabe - est régulier et les formes de l'ode et du sonnet sont largement représentées. Certains poèmes, d'ailleurs contigus, s'inscrivent explicitement dans la tradition littéraire: "Ophélie", "Bal des pendus", "le Châtiment de Tartufe". L'originalité et la force d'une voix s'imposent toutefois. Cette voix est celle de la jeunesse: "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans" ("Roman"), "Dix-sept ans! Tu seras heureuse!" ("les Reparties de Nina"). Un élan sans borne, que "Roman" développe sur le mode "pas sérieux" et "Ophélie" sur le mode tragique, anime tout le recueil. Ouverte sur l'infini des possibles, la poésie rimbaldienne se conjugue volontiers au futur, temps de l'absolue liberté: "Par les soirs bleus d'été, j'irai par les sentiers / [...] Je laisserai le vent baigner ma tête nue" ("Sensation"), tandis que le présent frémit de l'imminence d'une promesse: "Nuit de juin! Dix-sept ans! - On se laisse griser. / La sève est du champagne et vous monte à la tête... / On divague; on se sent aux lèvres un baiser / Qui palpite là, comme une petite bête" ("Roman"). L'objet de cet ardent désir, toujours en alerte, c'est l'expérience amoureuse, bien sûr, que "Première Soirée", "Roman", "Rêvé pour l'hiver" ou "la Maline" développent dans un registre de badinage érotique et "les Reparties de Nina" dans un registre bucolique et sentimental. Mais l'expérience majeure, à la fois poétique et vitale - ces deux aspects sont toujours indissociables chez Rimbaud -, est celle du voyage, ou plus exactement de la marche dépourvue de but précis, sans trêve, portée en avant: "Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées; / Mon paletot aussi devenait idéal; / J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal; / Oh! là! là! que d'amours splendides j'ai rêvées!" ("Ma bohème"). "Au Cabaret vert" et "Sensation" disent cette même euphorie d'un corps à corps avec le monde pourvoyeur d'une ivresse cosmique. Profondément ancré dans la matérialité de la sensation, cet univers poétique exclut l'idéalisme. Ainsi, Ophélie meurt pour avoir fait de trop beaux rêves, dont d'autres poèmes dénoncent le leurre avec cynisme. Le sonnet "Vénus anadyomène" joue la provocation pour tourner en dérision la divinité qu'un précédent poème, "Soleil et chair", célébrait avec vénération: "Les reins portent deux mots gravés: "Clara Venus"; / - Et tout ce corps remue et tend sa large croupe / Belle hideusement d'un ulcère à l'anus." "Les Reparties de Nina", après un long discours attribué à "Lui" et dépeignant les charmes d'un amour pastoral, vient buter sur cette ultime et laconique réponse: "Elle - Et mon bureau?" Grinçante et révoltée, la poésie rimbaldienne fustige les misères du monde contemporain: "+ la musique" est une satire des "bourgeois poussifs", "les Effarés" et "le Dormeur du val" offrent le tragique spectacle de la faim et de la guerre.

 

Plus audacieux à tous égards, les poèmes de 1871 poussent plus loin la charge ironique et le sarcasme. "Les Assis" ou "Accroupissements", dont le titre désigne symboliquement la médiocrité, dressent d'impitoyables et grotesques portraits. La religion surtout est l'objet d'agressives invectives, notamment dans "les Pauvres à l'église" ou "les Premières Communions ". Résolument irrévérencieux, le poème blasphème, associant le Ciel à la déjection: "Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin" ("Oraison du soir"). Le vocable, matière à part entière, prend littéralement corps. Ainsi, le sonnet "Voyelles" fait de la lettre une matière sensible dont le poète a le secret, connaît "l'alchimie": "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes." + grand renfort d'assonances, d'allitérations, de mots rares et compliqués, la profusion verbale sature le texte: "Un hydrolat lacrymal lave / Les cieux vert-chou: / Sous l'arbre tendronnier qui bave [...], / Vos caoutchoucs" ("Mes petites amoureuses"). Les mots et le rythme qu'ils imposent acquièrent alors une présence telle que, pouvoir de la magie et de la révolte destructrice du poète, le sens est au bord de l'anéantissement: "Ils ont schako, sabre et tam-tam / Non la vieille boîte à bougies / Et des yoles qui n'ont jam, jam..." ("Chant de guerre parisien"). "Le Bateau ivre", longue coulée d'alexandrins à la première personne, témoigne de la force de cette écriture dont l'exubérance excède la logique et la signification pour imposer la vision radieuse et hallucinée du poète voyant: "Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir!"

 

Plus dépouillés, les "Vers nouveaux" déploient une parole qui semble soumise à la spontanéité de son propre flux: "Et toute vengeance? Rien!... - Mais si, toute encor" ("Qu'est-ce pour nous, mon coeur..."). Rudimentaire, la syntaxe mime les sauts de la pensée. Des répliques s'échangent, simples et rapides, au rythme d'un dialogue ou d'un monologue intérieur. La phrase, nominale, pose l'évidence d'énigmatiques objets: "Plates-bandes d'amarantes jusqu'à / L'agréable palais de Jupiter" ("Plates-bandes"). Le présent est de même utilisé pour montrer, pour faire advenir des présences, ici et maintenant dans le texte: "La chambre est ouverte au ciel bleu-turquin; / Pas de place: des coffrets et des huches! / Dehors le mur est plein d'aristoloches / Où vibrent les gencives des lutins" ("Jeune Ménage"). L'impression d'immédiateté est également créée par de multiples adresses qui font du poème une sorte d'urgente sommation: "Viens, les Vins vont aux plages / Et les flots par millions! / Vois le Bitter sauvage / Rouler du haut des monts!" ("Comédie de la soif"). Ici encore, le mouvement impose son rythme et sa nécessité mais avec une ardeur plus précipitée et impérieuse que dans les poèmes précédents; la soif et la faim, métaphores de toute aspiration, sont omniprésentes. Les "Vers nouveaux" ont en outre une apparence parfois verlainienne et les allusions au poète ami sont, dans "Honte" par exemple, presque explicites: c'est que Rimbaud les compose auprès de Verlaine, qui écrit alors les Romances sans paroles. Ces pièces comportent maintes allusions au chant, et certain d'entre-elles - par exemple "Fêtes de la patience", du fait de la brièveté métrique et de la reprise de certains vers ou de strophes entières qui prennent l'allure de refrains -, s'apparentent à la chanson. Cependant, l'esthétique rimbaldienne demeure radicalement distincte de celle de Verlaine et le dépouillement des "Vers nouveaux" n'a rien d'un affadissement. La poésie est comme plus brute, âpre et tendue. Cette ultime simplicité porte Rimbaud au seuil de la dépossession - "Que comprendre à ma parole?" ("O saisons, ô châteaux") - et du silence.

Rimbaud Arthur. Une saison en enfer.

Recueil de poèmes en prose d'Arthur Rimbaud (1854-1891), publié à compte d'auteur à Bruxelles par l'Alliance typographique en 1873; réédition avec les Illuminations, précédées d'une notice de Paul Verlaine, à Paris chez Vanier en 1892.

 

Cet ouvrage, pour lequel Rimbaud avait initialement songé à d'autres titres, est un recueil de "petites histoires en prose, titre général: Livre païen, ou Livre nègre" (lettre à Ernest Delahaye, mai 1873). Il apparaît, à bien des égards, comme un testament poétique et c'est d'ailleurs le seul de ses textes que l'auteur ait tenu à publier de son vivant. Rédigé entre avril et août 1873, il s'inscrit dans la période tourmentée qui, après les coups de revolver de Verlaine dirigés contre Rimbaud, se termina par la rupture définitive des deux amis. Le poète ayant omis d'acquitter la totalité des frais auprès de l'imprimeur, un grand nombre d'exemplaires, sur les cinq cents qui furent tirés, demeurèrent chez ce dernier. Contrairement à une légende tenace, Rimbaud ne détruisit donc pas totalement Une saison en enfer; en brûlant les quelques exemplaires qu'il possédait, c'est bien toutefois l'ensemble de son oeuvre qu'il vouait symboliquement à l'autodafé.

 

Le recueil s'ouvre sur un poème dépourvu de titre qui s'apparente à un prologue et dédie à Satan ce "carnet de damné". Viennent ensuite huit poèmes de longueur inégale, dont certains sont divisés en sections alors que d'autres se présentent d'un seul tenant. "Mauvais Sang" dresse une sorte d'autoportrait chaotique et provocant du poète. Celui-ci, après avoir "avalé une fameuse gorgée de poison", fait l'expérience de la "Nuit de l'enfer". Dans "Délires I", le "je" devient l'"époux infernal" d'une "vierge folle" qui le décrit à travers sa "confession" pleine d'amour, voire d'idolâtrie, et de souffrance. Dans "Délires II", le "je", dès les premiers mots - "+ moi" -, reprend la parole pour retracer son parcours poétique qu'il semble renier. Le dernier poème, "Adieu", apparaît enfin comme un épilogue qui met un terme au recueil, si ce n'est à la totalité de l'entreprise poétique.

 

On a souvent voulu voir dans Une saison en enfer un texte autobiographique relatant notamment l'aventure avec Verlaine, dont la "vierge folle" serait l'un des avatars. Il s'agit certes d'un texte-bilan et, pour Rimbaud surtout, la poésie étant inséparable de la vie, l'on ne peut nier la prégnance du vécu dans l'écriture. Mais elle s'en nourrit plutôt qu'elle ne prétend le transcrire. La poésie rimbaldienne n'est rien moins qu'anecdotique et vouloir la déchiffrer comme un cryptogramme est d'une pertinence limitée. Au-delà des faits et des allusions, ce texte bouleversé et bouleversant, mais sans sensiblerie aucune, interroge la vie et l'acte créateur dans le souci de les porter à l'extrême, jusqu'à l'"impossible".

 

Pressé par une urgence inhérente à son être même: "Vite! est-il d'autres vies?", le poète, toujours "en marche", parle une langue heurtée. Les phrases nominales, nombreuses, précipitent le rythme: "Allons! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère." Délaissant la syntaxe et ses constructions, la prose rimbaldienne ne nomme que l'essentiel, proféré comme en autant de cris que la répétition rend plus lancinants encore: "Cris, tambour, danse, danse, danse, danse! [...] Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse!" La parole surgit comme un arrachement primitif, comme un élan que la nécessité impose et que le poète, à l'écoute, transcrit en son état le plus rudimentaire: "Mais non, rien. [...] Ah! encore." La poésie atteint ainsi une force brute, énigmatique et sacrée: "C'est oracle, ce que je dis." L'acte poétique est cependant dépourvu de passivité. Certes, le refus de tout travail est affirmé, y compris celui de la plume: "J'ai horreur de tous les métiers. [...] La main à plume vaut la main à charrue. - Quel siècle à mains! - Je n'aurai jamais ma main", et le but de la création n'est pas d'ordre esthétique: "Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée." L'acte poétique ne fabrique pas; il est quête constante car tout, l'"amour", par exemple, "est à réinventer". La tâche est donc de chercher la "vraie vie", et l'"époux infernal" de "Délire I" "a peut-être des secrets pour changer la vie", pour "s'évader de la réalité". Le chaos verbal est à l'image de cette quête haletante dont Une saison en enfer, conjuguant aussi bien le passé que le présent et le futur, dévoile "tous les mystères".

 

En partie seulement, car le texte préserve ses opacités. Tour à tour sorcier, alchimiste, magicien, voyant, fou aussi, le poète voue ses forces vitales à la découverte d'un "trésor" qui se dérobe, toujours lointain, à venir: "J'aurai de l'or", "Je ferai de l'or." Cet or, cette autre vie, cet impossible, excède la parole: "Quelle langue parlais-je?", "Je voudrais me taire." A cet égard, Une saison en enfer s'offre tout de même assez clairement à lire comme un parcours narratif qui se solde par un échec: "J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée!"

 

Gardons-nous toutefois des mirages de la transparence et de l'immobilisme des certitudes. Maniant volontiers l'ironie, la parodie et le sarcasme, la poésie rimbaldienne ne fige jamais le sens. Ainsi, le "je" d'Une saison en enfer ne se laisse emprisonner dans aucune identité stable et définitive. L'exemple le plus frappant réside sans doute dans "Délire I" et les polémiques suscitées par ce texte: met-il en scène deux protagonistes - Verlaine et Rimbaud? - ou bien un dédoublement de soi-même? De même, si l'on admet le caractère largement autobiographique du recueil, il est bien souvent difficile de distinguer le "je" protagoniste dans le passé du "je" scripteur dans le présent et, de ce fait, de déterminer une instance de jugement stable; "Car JE est un autre" disait le poète dès 1871 (lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871)... Jamais en repos, il est avant tout mouvement - "Et allons" -, toujours ailleurs, plus loin. Le recueil se termine mais le poète, après avoir dit "adieu", poursuit sa route: "Il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps." Peut-être Harar, où Rimbaud partit après avoir renoncé définitivement à la poésie, réalisa-t-il cette ultime promesse.

Rodenbach Georges. Bruges-la-morte. ; 1892.

Roman de Georges Rodenbach (Belgique, 1855-1898), publié à Paris en feuilleton dans le Figaro du 4 au 14 février 1892, et en volume chez Marpont et Flammarion la même année.

 

Dans le Règne du silence (1891), Rodenbach évoquait déjà les secrètes relations de Bruges et de son âme: "_ ville, toi ma soeur à qui je suis pareil [...] Moi dont la vie aussi n'est qu'un grand canal mort." Un an plus tard il revient sur le sujet, faisant de la Ville le "personnage essentiel" d'un roman qui lui emprunte son titre: Bruges, ville-décor mais surtout, par-delà les descriptions, ville-état d'âme "orientant une action".

 

Après avoir perdu sa jeune épouse, Hugues Viane est venu se fixer à Bruges dont l'atmosphère de ville morte et mélancolique correspondait à son humeur chagrine. Depuis cinq années, il vit seul avec Barbe, une vieille servante dévote, vouant un culte quasi mystique aux souvenirs de la défunte - en particulier à sa blonde chevelure qu'il a mise sous verre. Un soir, au sortir de l'église Notre-Dame où il a médité sur l'union des âmes, un visage l'arrête, qu'il suit, croyant y reconnaître les traits de la morte. Une semaine plus tard, hypnotisé par le retour de l'apparition, il entre mécaniquement dans un théâtre à sa suite, l'y perd, la cherche en vain dans la salle et la retrouve sur la scène. Elle est danseuse et s'appelle Jane Scott. Peu à peu les analogies se précisent: le visage, les cheveux, les yeux, la voix, tout lui rappelle sa femme. Hugues installe Jane à l'orée de la ville, se rend chez elle tous les soirs, vit avec elle ce qu'il considère comme la poursuite de son amour marital. Mais à trop forcer les analogies, les dissemblances apparaissent bien vite: Jane le choque par sa vulgarité, se moque de lui, le trompe, menace de le quitter. Hugues cherche à s'éloigner de sa maîtresse pour ne pas hypothéquer ses retrouvailles chrétiennes avec la morte dans l'au-delà. Mais il est envoûté et Jane en profite pour tenter de capter son héritage. Profitant de la procession du Saint-Sang, elle se fait inviter pour la première fois chez Viane - provoquant la démission de Barbe, que servir "une pareille femme" eût mise en état de péché mortel. Après une anodine dispute, tandis que Viane s'abîme dans une prière, Jane profane les souvenirs de la morte, joue avec la tresse de cheveux que Viane, fou de rage, lui serre autour du cou comme une corde. Et Jane, morte, devient "le fantôme de la morte ancienne".

 

Certes la quête d'un double de la femme aimée n'est pas nouvelle - Nerval n'a-t-il pas construit "Sylvie" (voir les Filles du Feu) autour de l'hypothétique "aimer une religieuse sous la forme d'une actrice... et si c'était la même!"? - non plus que le récit d'une passion-culte d'outre-tombe - Villiers l'a conté dans "Véra" (voir Contes cruels). Mais Rodenbach, en superposant les deux thèmes, conduit Hugues Viane là même où le héros nervalien s'était arrêté, c'est-à-dire à la "conclusion" d'un "drame" que la comédienne Aurélie lui refusait: alors que le promeneur du Valois "reprenait pied sur le réel" pour échapper à la folie, l'amoureux de Bruges "perd la tête" (chap. 15) et s'abandonne au meurtre. Bruges-la-Morte est donc bien le récit d'un fait divers criminel, ainsi qu'une tradition critique se plaît à le souligner. Mais, outre qu'un tel jugement pourrait s'appliquer à nombre de textes, depuis le Rouge et le Noir jusqu'à Madame Bovary, il ne rend pas compte de l'extraordinaire agencement de cette "étude passionnelle" (Avertissement).

 

Car le bref roman de Rodenbach procède par tout un jeu de répétitions et d'échos qui, peu à peu, enferment le héros dans un labyrinthe qu'il a lui-même construit à force de traquer ressemblances et analogies. "+ l'épouse morte devait correspondre une ville morte" (chap. 2): ainsi Bruges est-elle devenue le premier double de la défunte, épouse de pierre et d'eau qui prolonge par son atmosphère mystique ("la Ville a surtout un visage de croyante", souligne le narrateur au chap. 11) le deuil empreint de religiosité du veuf (significativement, la chronologie du récit est rythmée par les fêtes religieuses). Puis la rencontre avec Jane est venue troubler cette harmonie métaphysique: avec elle le physique passe au premier plan, introduisant le péché dans l'existence de Viane (et à Jane est associé un champ sémantique hautement symbolique: elle joue dans Robert le Diable, sa voix est qualifiée de "diabolique", etc.). Dès lors, la Ville, abandonnée et délaissée comme une épouse trompée, n'aura de cesse de se venger: après les on-dit réprobateurs puis moqueurs (chap. 5) et les mises en garde du béguinage (chap. 8), ce sont les tours "qui prennent en dérision son misérable amour" (chap. 10), puis les cloches qui "le violent et le violentent pour [le] lui ôter" (chap. 11). Veuf de sa femme et de sa ville, Hugues connaît alors la souffrance. Mais celle-ci procède moins d'un sentiment de culpabilité (évacuée au nom de l'analogie: "il croirait reposséder l'autre [sa femme] en possédant celle-ci [Jane]") que d'un effondrement de son propre mode de pensée: ce qui s'écroule, c'est le mythe de l'identique sur lequel toute sa vie était construite. Dès lors, l'écart entre la morte angélisée et la vivante progressivement satanisée ne cessera de croître, minant Viane de l'intérieur en transformant sa certitude "d'une ressemblance qui allait jusqu'à l'identité" (chap. 2) en "une figure de sexe et de mensonge" (chap. 11). Parcours où le réel s'impose tragiquement au rebours d'un touchant mensonge entretenu comme une vérité: d'où la place du fantastique dans le texte, décalé dans son objet (ce qui suscite l'hésitation de Viane, ce n'est pas la réalité du phénomène qu'il vit mais celle de son amour pour Jane) et dans le temps (il croît jusqu'à la crise finale au lieu de se résorber au fil des chapitres). Oui, comme le disait Mallarmé à Rodenbach en sa prose particulière, Bruges-la-Morte est bien une "histoire humaine si savante"!

Rodenbach Georges. Les vies encloses. ; 1896.

Recueil poétique de Georges Rodenbach (Belgique, 1855-1898), publié à Paris chez Charpentier en 1896.

 

Émule de Léon Dierx, "le maître, l'ami", à qui il rend hommage à maintes reprises, à qui il doit peut-être sa froideur, sa solennité et sa rigueur dans la construction du poème et du recueil, Rodenbach comme Émile Verhaeren, son condisciple chez les jésuites gantois, ou plus tard Maurice Maeterlinck, est un Flamand écrivant en langue française une poésie d'inspiration symboliste aux accents décadents. A la méditation mallarméenne, l'auteur de Bruges-la-Morte (1892) marie les notes brumeuses que lui inspirent les paysages de sa patrie d'origine, où les beffrois se reflètent dans les canaux, au milieu des cygnes voguant dans une lumière incertaine, où la vie demeure confinée à l'intérieur de hautes demeures, derrière des vitres aux rideaux de tulle (voir le Miroir du ciel natal, 1898).

 

Une paroi - un miroir, une vitre, l'oeil... - oppose deux espaces: le dedans et le dehors de l'aquarium ("Aquarium mental"), les deux faces de la main ("les Lignes de la main"), le couchant et la chambre ("le Soir dans les vitres"), la chambre du malade alité et la ville environnante ("les Malades aux fenêtres"). Les relations entre ces deux espaces peuvent être conflictuelles ("le Soir [...]"), contradictoires ("les Lignes [...]"), sentimentales ("Aquarium mental"), harmonieuses ("les Malades [...]"). Le retour à la santé s'accompagne de l'"Émoi de peu à peu recommencer à vivre" ("les Malades"). Mais pour quelle vie? L'amour ("le Voyage dans les yeux") et le voyage ("la Tentation des nuages") sont condamnés: la convalescence ne mène qu'à soi: la clôture est assumée, et le sujet se tourne vers les vies multiples qui sont en lui ("l'âme sous-marine").

 

Rodenbach partage avec les poètes décadents le goût de la langueur et de la mélancolie. Claustration rime avec protection, maladie avec perceptions nouvelles ou accrues. Le crépuscule n'a plus rien d'angoissant: il rend le sujet conscient de l'absence de toute réalité et érige le moi en divinité. La mort, en sa lenteur, est source de jouissance: "le Soir dans les vitres" s'achève sur l'image d'une église, espace d'ombre envahi d'odeurs d'encens maladives qui mènent à la volupté.

 

En dépit des apparences, Rodenbach n'est pas un poète de la surface. Il redoute et désire à la fois non pas tant la vitre que l'agonie solaire et spatiale qui s'y joue. Il se montre, en fait, singulièrement attentif aux souffles du vent, dangereux ennemi du calme nécessaire à la purification de l'"Aquarium mental". Toute surface, lisse, appelle ainsi la plaie, la blessure, la déchirure, le pli, qui ouvrira sur une profondeur trouble, insondable - l'infini sinon turbulent, du moins troublant. L'écriture restitue cet "étrange" retournement, par une métaphore géographique qui dote la main ("les Signes") ou l'oeil ("le Voyage") d'une spatialité invitant au départ et au franchissement de l'horizon. Le corps est univers, ou, du fait de la contiguïté, échange avec la ville de ses qualités. La béance possède donc des vertus bénéfiques: elle libère de la finitude et du quotidien, elle ouvre sur l'atopique et l'atemporel - l'essence, le divin. Cette dialectique, qu'on a tant recherchée chez Mallarmé, est très présente dans "les Malades aux fenêtres": "La maladie étant un état sublimé, / Un avatar obscur où le mieux a germé."

 

Tout le corps pense, tout le corps se spiritualise, tout le corps se souvient: de l'histoire d'un être, ses désirs, ses hantises, ses angoisses; rien ne meurt. Le corps, tel l'oeil qui thésaurise les images du monde, a une densité qui bat en brèche l'illusion d'une mémoire blanche et vierge: l'affirmation très moderne d'un inconscient, la métaphore du somnambule, la profondeur trouble de l'âme, qui exige une grande lucidité (voir, par exemple, la fascination pour l'enfant devenant femme) sont autant d'éléments qui tirent cette oeuvre vers notre siècle.

 

La récurrence des métaphores et des comparaisons - cygnes, cors, bijoux, palais, voyage: bref, tout le bagage symboliste - donne au recueil son équilibre. Au gré de l'écriture, un comparé devient un comparant: l'aquarium est âme, l'âme est aquarium. Simple jeu et pur artifice? Il faut voir là un effet du symbolisme même, parfois si pesamment utilisé qu'il en devient accablant pour le lecteur désireux de trouver des poèmes plus suggestifs (voir les lourdes transitions: "ainsi, telle mon âme", ou les laborieuses coordinations: "or, c'est pourquoi", plus propres à la démonstration qu'à l'émotion). Tout est symbole en cet univers: la tristesse est dans l'âme, elle est dans la ville. Une mystérieuse harmonie unit l'âme, le corps, le lieu, au fil d'alexandrins rigides d'où toute effusion semble absente. A cet égard, le recueil suivant, le Miroir du ciel natal, en s'abandonnant au vers libre, affranchira un peu le sentiment du carcan où il est enfermé.

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Cyrano de Bergerac

12272735882?profile=original"Cyrano de Bergerac" est une comédie en cinq actes et en vers d'Edmond Rostand (1868-1918), créée à Paris au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 28 décembre 1897, et publiée à Paris chez Fasquelle en 1898.

 

En décembre 1898, Edmond Rostand était un jeune auteur de théâtre cherchant sa voie dans un théâtre poétique en marge des courants symbolistes et décadents. Ses drames la Princesse lointaine (1895) et la Samaritaine (1897) avaient été interprétés par la plus grande actrice de l'époque, Sarah Bernhardt, sans connaître le véritable succès espéré. Le triomphe et la gloire lui arrivèrent brutalement avec Cyrano de Bergerac.

 

"Une représentation à l'hôtel de Bourgogne" (en 1640). La salle du théâtre se remplit: on va y donner une pastorale, la Clorise, dans le genre précieux. Le jeune et beau Christian de Neuvillette  y vient contempler la femme qu'il aime: Roxane, une précieuse "épouvantablement ravissante" à qui le comte de Guiche fait la cour. La pièce commence, mais est vite interrompue par le turbulent Cyrano de Bergerac, qui interdit à l'acteur Montfleury de jouer, car il est trop gros! Des spectateurs protestent, et l'un d'eux provoque Cyrano, en critiquant son nez, "très grand" - ce à quoi le héros réplique par la célèbre "tirade des nez", éloge de sa propre laideur, avant de se battre avec l'importun. Pendant le duel, il compose une ballade ("A la fin de l'envoi, je touche!"). A son ami Le Bret, il confesse qu'il aime passionnément Roxane sa cousine; mais sa laideur le laisse sans espoir. Or Roxane lui fait justement demander un rendez-vous pour le lendemain! Soudain galvanisé, Cyrano part se battre, seul contre cent (Acte I).

 

"La Rôtisserie des Poètes", c'est-à-dire chez le restaurateur Ragueneau, qui nourrit généreusement les poètes sans le sou, Cyrano vient au rendez-vous de Roxane; elle lui explique qu'elle est éprise d'un homme, en qui il croit se reconnaître - jusqu'au moment où elle dit que celui qu'elle aime est beau. Elle ne lui a jamais adressé la parole et n'en sait que le nom: Christian de Neuvillette; il vient d'entrer dans la compagnie de cadets de Cyrano; Roxane lui demande de protéger le jeune homme. Bouleversé par cette révélation, Cyrano se heurte un peu plus tard à son rival. Mais découvrant que Christian est d'un vrai courage, il décide de le prendre sous sa protection et de l'aider à conquérir Roxane (Acte II).

 

"Le Baiser de Roxane". C'est l'"acte du balcon". Si Christian est beau et courageux, il manque totalement de bel esprit. Or Roxane, précieuse, ne conçoit pas l'amour sans l'accompagnement d'une conversation savante, spirituelle et piquante. Caché dans l'ombre, c'est Cyrano qui souffle à Christian les mots qui le font accéder au bonheur. Resté seul, Cyrano, par le récit de ses voyages vers la lune, écarte de Guiche, venu conquérir Roxane - ce qui permet à celle-ci d'épouser en hâte Christian! Pour se venger, de Guiche envoie au siège d'Arras la compagnie de Cyrano et, donc, Christian (Acte III).

 

"Les Cadets de Gascogne". Bloqués par les Espagnols qui les cernent, les cadets meurent de faim. Cyrano les encourage, mais en vain, quand arrive, ayant hardiment franchi les lignes ennemies, Roxane, bonne fée au carrosse empli de victuailles. Lorsque Christian apprend qu'"il" a écrit et tous les jours envoyé au péril de sa vie une lettre à Roxane, il comprend que Cyrano est amoureux d'elle - et qu'en Christian elle a vu un bel esprit, alors qu'en réalité, c'est le poète Cyrano qu'elle aime sans le savoir. Effondré, le jeune homme court se faire tuer au combat (Acte IV).

 

"La Gazette de Cyrano". Quatorze ans après. Roxane, veuve, s'est retirée dans un couvent où Cyrano vient lui rendre visite chaque jour et dire sa "gazette", les potins de la ville. Ce jour-là, victime d'un accident, en réalité un attentat, il est mourant mais il le cache. Elle lui fait relire une belle lettre prétendument écrite par Christian le jour de sa mort; mais elle s'aperçoit qu'il la lit encore la nuit venue - qu'il la connaît par coeur - et donc qu'il en était l'auteur: elle comprend tout, et surtout qu'elle aimait Cyrano, et non Christian, l'esprit et non le corps séduisant. Après cet aveu, Cyrano révèle sa blessure et peut mourir heureux (Acte V).

 

La critique de Cyrano est facile, et beaucoup d'esprits très distingués s'y sont livrés: mauvais goût, lourdeurs, mélo, anachronismes. Tout cela est vrai - et n'est rien face à l'évidence: Cyrano, au spectacle ou à la lecture, déborde d'un charme, d'une émotion, d'une verve irrésistibles. S'il est de mauvaises raisons d'aimer la pièce (un certain patriotisme cocardier), il en est bien davantage d'excellentes, auxquelles nous nous arrêterons.

Ce sont d'abord les vertus théâtrales de l'oeuvre. Rostand met en scène dans Cyrano tout un ensemble de procédés et de techniques qui en assurent l'efficacité scénique: théâtre dans le théâtre à l'acte I; grand spectacle proche de la féerie avec l'arrivée du carrosse (acte IV); variations sur un thème classique habilement renouvelé dans la scène du balcon à l'acte III; contrastes marqués comme l'enchaînement des actes IV et V; vacarme et violence du champ de bataille suivis de la paix automnale du cloître. De tous ces effets Rostand joue en maître.

 

Mais, bien entendu, au rôle de Cyrano revient l'essentiel de cette théâtralité; le personnage fut écrit pour Coquelin, grand acteur dont Rostand connaissait exactement les possibilités et les faiblesses: c'est un texte composé sur mesure, peut-on dire, dans la lignée du répertoire où triomphait le comédien, avec des morceaux de bravoure dans l'esprit de Figaro ou de Ruy Blas. Les grands monologues brillants et virtuoses comme la tirade des nez ou les voyages dans la lune font du rôle de Cyrano l'un des plus riches du répertoire. Coquelin se trouvant moins à l'aise dans les scènes d'amour, Rostand en fit le spectateur un peu voyeur des épanchements de Christian et de Roxane, l'éternel exclu. Mais cette impossibilité même de participer à la scène d'amour autrement que dans l'ombre fait de Cyrano un personnage émouvant et proche du spectateur, exclu lui aussi, relégué dans l'ombre de la salle. Par l'emploi de l'alexandrin volontiers claironnant qui s'enivre de lui-même, avec le sentiment qu'en 1897 ce théâtre en vers est déjà un peu anachronique, le héros de Rostand achève d'emporter l'adhésion. Autant de raisons qui expliquent l'immense succès immédiat de la pièce et la fascination que le rôle exerça constamment sur les plus grands acteurs: après Coquelin, le rôle fut repris notamment par Le Bargy, André Brunot, Pierre Fresnay et, plus près de nous, par Pierre Dux, Jean Piat, Jacques Weber, Jean-Paul Belmondo. Plusieurs versions musicales (la plus connue étant celle d'Alfano en 1936) en furent tirées, mais le cinéma surtout se plut à adapter la pièce: le premier film date de 1909, le plus récent de 1990: dû à Jean-Paul Rappeneau et interprété par Gérard Depardieu dans le rôle de Cyrano, il obtint un succès mondial.

 

L'art de Rostand, l'émotion dégagée par l'amour impossible de Cyrano pour Roxane suffiraient à expliquer la réussite de l'oeuvre, mais on peut suggérer d'autres raisons encore. L'une d'elles tient à la façon dont Rostand concilie une veine populaire et des références plus savantes. La veine populaire reprend la tradition d'Alexandre Dumas et des Trois Mousquetaires: la verve gasconne, la cape et l'épée dans le Paris de 1640, l'ombre du cardinal de Richelieu se retrouvant chez Dumas comme chez Rostand qui laisse d'ailleurs d'Artagnan traverser la scène à l'acte I. Mais Cyrano de Bergerac met aussi en scène, plus subtilement, la vie intellectuelle du temps de Louis XIII: le monde des "libertins" dont fait partie le héros, et l'univers de la préciosité, grâce à Roxane et à la représentation jouée à l'acte I - cet univers baroque permettant de mieux comprendre la figure historique de Cyrano, dont pour l'essentiel Rostand respecte les traits réels.

 

Cyrano de Bergerac est donc l'évocation d'une période brillante de la culture française, trop souvent éclipsée par le "siècle de Louis XIV". Rostand s'inscrivait ainsi dans le sillage d'un Théophile Gautier, l'un des premiers au XIXe siècle à réhabiliter l'époque Louis XIII - et en particulier à s'intéresser à Cyrano de Bergerac, alors très oublié.

Aujourd'hui, le chef-d'oeuvre de Rostand possède aussi un autre charme: il reflète le moment où il fut écrit, cette "fin de siècle" décadente dont le poète était le témoin. Dans l'histoire du théâtre, Cyrano, malgré sa formidable énergie, est une oeuvre crépusculaire: d'un romantisme moribond, son lyrisme opulent se teinte souvent de morbide. La forme même de la pièce, le drame en vers, est déjà une survivance lorsque Rostand la fait jouer. Qu'on y songe: un an plus tôt, presque jour pour jour, le théâtre de l'Oeuvre créait l'Ubu roi d'Alfred Jarry, où la plus agressive modernité naissait dans le scandale. Chez Rostand, le thème de l'amour impossible, l'idéalisation de la figure féminine, la malédiction pesant sur le poète assurent au sein du drame historique la présence du registre décadent fin de siècle qui allait en 1900 se déployer beaucoup plus visiblement dans l'oeuvre suivante de l'auteur, l'Aiglon.

 

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12272735895?profile=original12272732654?profile=originalPrintemps dans un jardin de fous   D'après Henri-Frédéric Blanc

Mise en scène de Christian Leblicq

Avec Alain Eloy

 

Ecrivain marseillais dans l’âme, Henri-Frédéric Blanc, auteur truculent, ironique et bienveillant dans sa lucidité est un fidèle compagnon de pensée de la Compagnie Hypothésarts, et avant tout un auteur qui ne mâche pas ses mots. Son interprète Alain Eloy nous envoie à travers son spectacle inoubliable un texte jubilatoire. On n’a qu’une envie c’est  de courir le commander immédiatement dans une librairie. H-F Blanc est également rédacteur en chef de « la Revue des Archers ». Les Archers : « ces promeneurs rêveurs des hauts-fonds de l’âme humaine qui ne manquent pas de garder l’esprit en balade et qui travaillent à rejeter la bêtise loin au fond du néant des futilités d’où elles n’auraient jamais dû sortir. »

Après avoir entrepris  des études à la faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, H-F Blanc  s’épargne la douloureuse expérience du service militaire en simulant la folie, histoire que l’on retrouve dans sa nouvelle « Printemps dans un jardin de fous ». Il renonce résolument à « à jouer à ce grand jeu tragique et théâtral qu'est la guerre». A la sortie des études, après une thèse de doctorat, il décide de consacrer l’essentiel de son temps à l’écriture tout en vivant de petits boulots : guetteur d’incendie en été, veilleur de nuit ou encore guide touristique. En 1989, son premier roman « L’Empire du sommeil » est publié aux Editions Actes Sud. Par la suite, tous ses romans ont fait l’objet de traductions à l’étranger et d’adaptations cinématographiques et théâtrales.

Il est considéré comme la figure de proue de la nouvelle littérature marseillaise, autrement nommée « overlittérature » : littérature crue, iconoclaste, qui se caractérise par son naturalisme burlesque, son irrespect total et le recours méthodique aux armes de la dérision et de la satire.12272736290?profile=original

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 Avec humour et conviction intense, Alain Eloy tous muscles et voix plurielles dehors, nous entraîne  sur le chemin de la subversion, un peu comme … dans « Vol au-dessus d’un nid de coucous ». On ne peut s’empêcher d’y penser. Il met méthodiquement en miettes notre petit confort occidental et  remonte aux sources: l’effroyable grande guerre qui répandit  la violence absolue dans le monde et fit  le lit du nazisme et du fascisme. Notre belle démocratie serait calquée point par point sur l’organisation de l’armée  avec son recours à l’émotionnel, aux humiliations,  à la  soi-disant solidarité de masse, à la hiérarchie où la personne humaine n’est que grain de poussière méprisable. Cette poussière est la source de  son « allergie » totalement vraie et totalement feinte.   Le fascisme n’a pas été pulvérisé après la deuxième guerre, mais il ressort un peu partout, plus perfide : intériorisé. La culture est une liberté en conserves, la littérature une langue de feu contre une langue de bois omniprésente. Et de chanter en chœur : « On ne censure pas, Ah non ! »

 

Catch a Falling Star. « Un cri sincère peut faire tomber une étoile », lui souffle le Capitaine des anges, 70 ans, espadrilles, regard intense et bleu,  interné lui aussi dans cet asile où la grandeur passionnée des pensionnaires « semble ô combien plus humaine que les rabotés ayant asphyxié en eux la folle du logis ». «Le vrai monde est caché » ajoute-t-il mystérieusement. « Le petit moi est si infime par rapport au grand tout, et la mort n’est pas grand-chose quand on se dévêt de ce tout petit moi ».

 

Le jeu de l’acteur, extrêmement physique et agile, fascinant de diversité, de nuances, d’inventions… vous attache par le cœur et vous fait goûter aux poisons perfides de  « la marmite à illusions ». Un spectacle fort, dont on ressort comme frappé de foudre, les poches pleines d’étoiles.

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11 Mai 2011 >> 25 Juin 2011

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=268&type=2

 

 

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Des monologues porteurs de joie

 

 

      

La bibliothèque nationale de France possède, semble-t-il, les plus belles lettres manuscrites de la langue française. Celles-ci ont été réunies et éditées sous le titre «La mémoire de l’encre». Pourtant chacune n’était destinée qu’à un seul être, un confident privilégié.

Le lecteur, indiscret écoute une personne qui ne s’adresse pas à lui. Elle porte un nom connu, il pénètre excité dans son jardin secret.

Quand deux amis ou amoureux se trouvent contraints, par le destin, de vivre éloignés l’un de l’autre, leur complicité ne peut plus s’exercer à moins qu’ils aient chacun le goût d’échanger par écrit, aussi intimement qu’ils le faisaient avant.

Le lien qui se forme entre des correspondants assidus peut les enrichir d’une façon qu’ils ne soupçonnaient pas. En se confiant, avec sincérité, ils apprennent beaucoup sur eux-mêmes.

Des lettres manuscrites remarquables ont sans doute disparu. Parfois un notaire a eu mission de les détruire ou de les renvoyer à leur expéditeur un peu avant la mort de leur propriétaire.

Le survivant qui, au cours de plus de vingt ans parfois, a conservé précieusement les lettres qu’ils recevait, peut, au hasard, en extraire une de son enveloppe timbrée, restée intacte et, par la magie de l’écriture, entendre des idées ou ressentir un état d’âme.

L’ami est là qui monologue, c’est le triomphe de la vie.

12/05/2011

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administrateur théâtres

12272732654?profile=original« Avoir un fil à la patte », par allusion  au jeu cruel du  hanneton attaché par un fil auquel s’amusaient les écoliers de village pendant l’été au début du siècle, veut dire  être tenu par un engagement dont on voudrait bien se libérer.

 

Dans cette pièce de Feydeau un jeune homme, Fernand de Bois d'Enghien, décide de  se marier avec un beau parti, la fille de la baronne Duverger  mais ne peut se débarrasser de son encombrante maîtresse Lucette, chanteuse de son état. L’ironie de l’histoire démontre à souhait que l’argent est  bien plus puissant que l’amour, même charnel ! 

 

 La fille de la baronne se pique de n’être point sotte, envisage le mariage avec méfiance, ne veut en faire  qu’à sa tête, et pense que le divorce est sûrement une bonne invention. Elle déclare avec justesse que la société et même les rencontres amoureuses et galantes sont implacablement régies par l’offre et la demande ! Pensée avant-gardiste, fort lucide pour une jeune oiselle toute vêtue de blanc! Le ton que la fille utilise avec sa couturière, sa façon de snober sa mère avec sa gouvernante anglaise montre à souhait qu’elle donnera à tous du fil à retordre et qu’elle promet quelque tour inattendu sous sa jarretière. 

 

S’en suivent une série de chassés croisés, de méprises, de situations coquasses tellement typiques du théâtre de Feydeau. Un fil invisible relie des personnages improbables,  tous prisonniers de l’amour ou de l’argent.  Ce qui est très savoureux c’est la caricature de ces personnages : Gontran de Chenneviette, père de l'enfant de Lucette  en nourrice quelque part, et flambeur notoire, Ignace de Fontanet, un ami à l'haleine plus qu’envahissante, Marceline, sa sœur  et sa femme de chambre obligée…   Tous magnifiquement  campés,  de la bourgeoisie à la noblesse, l’auteur les  pourfend avec un plaisir non déguisé. S’ajoute à la verve éblouissante  de Feydeau, une mise en scène d’une vivacité et d’une richesse fabuleuse, renouvelant sans cesse les surprises et le rire. Le jeu de  12 comédiens passés maîtres de l’art de la comédie satirique est celui d’une troupe qui s’amuse, comme l’aurait souhaité Molière.

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12272732869?profile=original Des phrases cinglantes émaillent ce plat de consistance, tandis que des chansons coquines très bien tournées fusent lors des changements de décor. On craque pour  le maître d’hôtel toujours toute ouïe pour découvrir  avec complaisance les frasques, les duperies et les lâchetés des uns et des autres. On craque pour le jeu hypocrite de femme prévoyante: la passionnée Lucette qui  irait  bien se laisser courtiser par Gauthier,  l’horrible clerc de notaire presque difforme, qui pathétique, pousse  la chansonnette  façon gaudriole, ou l’irascible général sud-américain Irrigua,  ex-ministre condamné à mort pour avoir perdu au baccara l'argent destiné à acheter des bateaux de guerre, et qui,  désespérément amoureux d’elle, la couvre de fleurs et bijoux  somptueux. Un personnage très tranché comme dans la commedia d’el Arte.

 

Ce fil à la patte est bien visible quand on considère que notre monde est solidement attaché qui  à l’argent, qui au pouvoir, qui  au sexe, qui à toutes ces passions stériles confondues. Quel est cet enfant cruel qui nous  tient, et nous  mène ainsi au gré de sa fantaisie,  au bout d’un fil sans que jamais nous ne puissions prendre un envol libre et gracieux ?

Le jeu en vaut le fil, et vous serez comblés par une soirée délassante et joyeuse.

 

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=267&type=2

 

 

Mise en scène: Michel Kacenelenbogen /
Avec Muriel Cocquet, voir_comedien.gifChristelle Cornil, Isabelle Defossé, Beatrix Férauge, Thierry Janssen, Sandrine Laroche, Olivier Massart, Fred Nyssen, Guy Pion, Réal Siellez, François Sikivie et voir_comedien.gifBenoît Strulus

10 Mai 2011 >> 25 Juin 2011

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administrateur théâtres

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La célèbre formation Les Agrémens dirigée par Guy Van Waas nous  a  proposé une aventure musicale très subtile,   dont -Euréka ! - on  a  deviné soudain à la fin,  le thème caché :  il s’agissait du  Temps. Les Agrémens sont un ensemble qui fut  créé par le Centre d’Art Vocal et de Musique Ancienne de Namur en 1995, ils jouent sur des instruments d’époque.  Guy Van Waas en est le chef depuis 2001.

 

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Pour marquer le temps, Guy Van Waas a choisi d’abord l’éternité dans cette ouverture  peu connue d’Antonio Salieri  « Les Danaïdes », tragédie lyrique en 5 actes.  Les cinquante filles du roi Danaos qui tuèrent leurs maris,  furent jetées aux Enfers et furent  condamnées à remplir éternellement un tonneau sans fond. Très peu d’annotations figurent sur cette partition et Guy Van Waas a fait avec son ensemble un véritable travail de musicien pour produire cette mise en-bouche ornementée, alerte et vivante,  qui dura un gros 5 minutes, se terminant sur un ré mineur pianissimo.  Mais comme si l’éternité elle-même était en marche, la 101e symphonie de Haydn  a redémarré dans le même souffle, sur la même note justement, privant le public de ses applaudissements… Révolutionnaire ! Voilà donc une espièglerie  d’un chef d’orchestre qui veut surprendre. Il  déconcerte et amuse et ne voulait surtout pas interrompre la dramaturgie du premier morceau ! Il a donc choisi l’inventivité et même la rupture des conventions.

 

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Chez Haydn, tout est annoté et  écrit d’avance, et  le savoir-faire de l’ensemble et le doigté fascinant de chef d’orchestre donneront une musicalité, une sonorité et une clarté étonnante à l’œuvre.  Les sons feuilletés des violons sont un délice  dans l’andante du  deuxième mouvement. Et voilà qu’apparait, facétieux comme un coucou des bois, le tic-tac bien connu qui a valu son surnom à cette 101e  symphonie surnommée « The Clock ». A tour de rôle, violons, hautbois, flûtes puis "tutti" scandent la fuite du temps. Le menuet resplendit ensuite comme une musique de cour; le dialogue des flûtes et hautbois a du moelleux, les violons produisant de simples accords savoureux  et beaux. Sans baguette, les mains souples et aériennes Guy Van Waas précèdent toujours très clairement les musiciens : qui m’aime me suive, dans la joie de la musique! Sonorités liquides qui font du temps une clepsydre, belles comme des illuminations quand la nuit tombe, puis le Finale Vivace.

 

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Avec Luigi Cherubini, le temps revient encore. Celui du temps retrouvé dans ces «  Deux journées, ou Le porteur d'eau » où des souvenirs et des retrouvailles  très émouvantes sont le thème principal.  Le jeu des contrebasses est particulièrement poignant. Avec ces accès de crises pathétiques insérés dans une facture classique on anticipe déjà le lien avec l’œuvre suivante la Symphonie n° 8 de Ludwig van Beethoven.

 

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 C’est ici dans cette oeuvre de Beethoven que le temps est  particulièrement présent ! On reconnait très vite  un genre de tic- tac très net  comme chez Haydn.  Le deuxième mouvement est en effet un hommage à l’invention du métronome qui marque le temps du musicien. Vu l’explosion fantastique du premier mouvement, sorte de forêt fantastique en marche, de grondements de géants, de bruissements cadencés, interrompus avec humour par des voix d’elfes et ensuite par un crescendo de  véritables pulsations vitales,  ce rythme en tic-tac me faisait plutôt penser à  une horloge biologique en marche. Avec l’éclatement bruyant de la vie suivie de  l’envolée malicieuse de l’esprit . Le tout se clôturant sur une sorte de chevauchée victorieuse. Chaque pupitre exulte et irradie une énergie fabuleuse.  Quelle construction  dramaturgique ! Le démiurge en col Mao noir,  salue  et revient plusieurs fois à la barre, le sourire aux lèvres.

Voici donc un concert tout en finesse, en tonalités nuancées et beauté.

 

Le 6 mai 2011, Salle Henry Le Boeuf, Palais ds Beaux-Arts de Bruxelles

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http://www.bozar.be/activity.php?id=9885&selectiondate=2011-5-6

 

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administrateur théâtres

Moudawana For Ever

 

C’est sûr, Ben Hamidou a une aura…. Même déguisé en femme ! Oops le sacrilège, le faux pas ! Il rayonne de sympathie, il émet de la chaleur humaine plein feux et va jouer la grande scène du désenvoûtement, au propre et au figuré ! Si vous êtes au premier rang, méfiez vous! Vous serez aspiré dans son trip fabuleux qui vous balade  avec fantaisie entre Maroxellois et Gazelles du Maroc, où les chameaux sont désormais remplacés par des autoroutes.

 

Avec sa complice, Zidani, présence croustillante, tantôt en perruques drolatiques, ou lunettes extravagantes, tantôt,  soumise éplucheuse de légumes au soleil au  bord du puits, il convoque des sujets qui font peur au Belge blanc-bleu ! Comment réagir dans une famille, à la conversion à l’Islam d’un fils bien sous tous rapports…. ? L’âge du mariage, le droit au divorce, l’autonomie de la femme…  La polygamie : …. pas plus de quatre, comme les saisons ! Mais comment donner des droits aux femmes dans les pays où les droits de l’homme sont bafoués ! Le jambon, c’est Aram ! Péché !  Et l’obéissance au mari ? Comment passer de ce code de la famille séculaire à une révolution voulue par Mohamed VI qui rend, en principe, les femmes égales aux hommes…*

 

 Des questions graves, traitées avec un humour bienveillant, un regard généreux sur deux communautés qui ont parfois tout pour s’affronter. Il décoche coups de griffes, coups de cœur, tous azimuts. Tout le monde s’y retrouve, touché !  En excellent comique, Ben Hamidou pratique  l’autodérision avec brio, et déracine les préjugés. Sa gestuelle, tant l’occidentale pure et dure que la nord-africaine, est d’une précision et d’une vérité savoureuse. Le talent est aussi magnifique que le Soliman éponyme. Les deux comédiens dans cette salle magique défoncent les sortilèges et les barrières. Mon voisin marocain de gauche jubile sous la pluie de traits acérés lancés à sa culture et m’explique gentiment le vocabulaire, cependant que mon voisin attitré, de droite… me surveille du coin de l’œil ! Le mélange local du quartier et  les voyageurs des districts lointains  de la périphérie bruxelloise font bon ménage, mêlant leurs rires salutaires, leur bonne humeur et une ouverture nouvelle peut-être.

 

Ce théâtre est pédagogique sans l’être, édifiant tout de même car il libère tout un chacun. Les cordes sur lequel jouent cet Hamelin africain sont la caricature aimable, le verbe et le texte débridés, la truculence, le mime, les grimaces inoubliables,la chanson,  le jeu, par-dessus tout! Vive Mehdi !

 

*« Sur le plan social, au-delà des réformes qu'il introduit, en adoptant une

formulation moderne et en se souciant de mieux préciser les droits et devoirs des

composantes de la Famille, ce Code, en veillant à garantir l'équilibre dans les

rapports entre l'homme et la femme, met en place les préalables de la consolidation

de la cellule familiale, de sa cohésion et de sa pérennité. Ce faisant, il contribue à la

consolidation des bases de la société marocaine démocratique et moderne, ouverte

sur son époque et fidèle à son identité islamique et à ses traditions de solidarité

familiale et de cohésion sociale. »

 2004 Mohamed BOUZOUBAA, ministre de la Justice

 

 

 Moudawana For Ever du 26 avril au 21 mai 2011

Au Magic Land Théâtre.
Réservation au 02/245 50 64 ou via le site www.magicland-theatre.com

 http://www.magicland-theatre.com/index.php5?pageId=1&md=0&sp=65

 

 

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administrateur théâtres

12272731100?profile=originalIl est encore temps de vous précipiter…encore à l'affiche jusqu'au  07/05/11

 

De l’excellent théâtre satirique contemporain,  et même classique, pour l’observance de la  règle des trois unités. Le texte est d’un sarcasme exquis. Le collège catholique Saint-Nicolas respire lui aussi la règle, la rigueur, la vertu. Sa directrice, sœur Aloysius admirablement interprétée par Patricia Ide a la voix sèche comme des feuilles mortes, le visage fané et jauni, la paire de lunettes austère, la cambrure des reins hautaine,  la coiffe et la pèlerine, noires de paranoïa. Elle a même entamé une campagne de mauvais aloi contre les stylos à bille. 

 En 1960 dans le Bronx, c’est  le seul établissement  scolaire qui permettra l’accès au lycée et ensuite à l’université. Donald Miller, 12 ans, est un enfant isolé et aussi un enfant  de couleur,  le seul parmi ses congénères. On apprendra qu’il est battu par son père car dans l’air… il y a des doutes, sur « ses tendances ». Accueillant, charismatique, rêvant que l’église s’ouvrira à plus d’humanité et moins d’hiérarchie, que l’enseignement a une vocation progressiste, le père Flynn (le talentueux Olivier Massart) écoute l’enfant esseulé.

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 L’air étouffe de non-dits, mais ce qui se dit est que ce prêtre a sans doute des attitudes ambigües avec cet enfant protégé par sa mère mais sauvagement rejeté par son père.

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Cela dérange, cette passion du jardinier de voir s’épanouir dans la douceur, les jeunes qui vous sont confiés. Les mêmes reproches s’adressent à Sœur James, (la radieuse Caroline Kempeneers), jeune professeur d’histoire, toujours en  mal d’approbation mais si inspirée dans sa générosité de cœur. Elle aussi fait tache dans cet univers caverneux. « Ne vous laissez pas séduire par leur intelligence ou la vôtre », prévient la directrice. «  La satisfaction est un vice ! » « Donnez le cours d’histoire sans y donner le sucre ! » « Les professeurs naïfs sont souvent dupés » lâche-t-elle d’un ton glacial.  Le père Flynn joue au basket au soleil et prépare avec une créativité nouvelle  le spectacle de Noël. Las ! La directrice est forte de ses certitudes et fera une campagne féroce contre le prêtre, armée de sa seule conviction personnelle sans aucune preuve contre lui …

 

Cris de corbeaux, jardin de cailloux, phrases à double sens, humour mordant, atmosphère nauséabonde, tout contribue à l’éviction du généreux homme. Les larmes aux yeux, la mère de l’enfant, plaidera pour un peu de mansuétude et posera cette question troublante: « Pourquoi avez-vous besoin d’être  si sûre de quelque chose dont vous n’êtes pas sûre ? ». La directrice, méprisante et  inaccessible,  sait ce qu’elle a à faire et  l’enfant pleurera.

 

 Le rythme du spectacle tient le spectateur aux abois, le texte tourmente,  les interprétations engagées du quatuor de  personnages sont magistrales, la comédienne africaine, Babetida Dadjo, est un régal d’humanité. Le public du Public, immensément reconnaissant, bat cinq retours sur scène consécutifs. Doute ? A conjuguer sans doute … à l’impératif.

 

DOUTE

de John Patrick Shanley

 


Mise en scène: Michel Kacenelenbogen / Avec Patricia Ide, Caroline Kempeneers,

Olivier Massart, Babetida Sadjo

 

DU 22/03/11 AU 07/05/11

 

http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=265&source=videos

 

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L'AUTISTE PEINTRE

L’autiste peintre n’entend plus,

L’autiste peintre ne voit plus,

L’autiste peintre ne parle plus,

L’autiste peintre n’écrit plus

L’autiste peintre ne peint presque plus…

 

L’artiste peintre conserve dans sa demeure les toiles dont ils pourraient se séparer,  mais l’arrachement semble insupportable : se séparer de son passé ?  Sentiment de vide une fois les toiles décrochées ?

 

Il essaie de vendre de petites toiles faîtes sans âmes, mais abordables : pourquoi vouloir créer ce qui se vend facilement, en sacrifiant ce que l’on ressent ? Artiste et mercantile ? Artiste compromis ? Rejet du prestige ?

 

L’artiste est épanoui lorsqu’il ose spontanément entreprendre sans chercher à plaire à tout prix. Narcissique sûrement… Faut-il s’aimer, faut-il aimer pour pouvoir créer ?… Tellement heureux, joyeux, positif devant la toile aboutie et de toute beauté : la belle délivrance !

 

À fleur de peau, bien souvent, impulsif, agressif, peignant dans la douleur, baignant dans le désarroi, le désespoir, la tristesse, le doute et avec cette angoisse permanente d'être rejeté. L’autiste peintre se sent-il exclus, décrié, car tout simplement, pas suffisamment cité sur papier glacé…

 

L’autiste peintre n’entend pas,

L’autiste peintre ne voit pas,

L’autiste peintre ne parle pas,

L’autiste peintre n’écrit pas

L’autiste peintre ne peint presque pas…

 

Son lieu de vie, son autre boulot pour bouffer, son atelier, son chevalet, ses œuvres inachevées ne lui conviennent plus, ce ne sont plus des béquilles mais des boulets : cette fidélité inconsciente frein son évolution : dépendance affective  ?  Peur prétexte ? Faut-il déconstruire le passé ou faut-il l’utiliser pour avancer ? À quoi bon fumer, boire pour oublier et finalement ne rien changer…

 

Son silence sonne comme un couperet, comme s’il devait sans cesse faire des croix sur ses passions, ses illusions. Se voyant vieillissant et très souvent incompris, l’artiste doit se sentir adoré, vénéré pour profiter de toute volupté, toute ardeur, tout partage, tout plaisir et superbement créer…

 

L’artiste souhaite plus que tout, la reconnaissance. Pourquoi vouloir se fermer, ne plus s’intéresser, ne pas écouter, refuser les mondanités et a fortiori fuir le succès mérité et rester toujours en retrait dans le déni de la réalité ?…

 

L’autiste peintre panse doucement ses plaies grâce à la venue de l’été et la bienveillance de son amour secret, retrouve peu à peu l’apaisement, le désir, la confiance en soi, et s’ouvrira de nouveau à la vie, pour enfin un jour être reconnu par ses pairs et être magnifiquement exposé…

 

L’autiste peintre n’entend pas,

L’autiste peintre ne voit pas,

L’autiste peintre ne parle pas,

L’autiste peintre n’écrit pas

L’autiste peintre ne peint presque pas…

 

Ghislaine Bras

 



 



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administrateur théâtres

Some say he is the world’s finest violinist...

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« En soi, le cycle des trois sonates de Brahms constitue la perfection. J’avais envie de partager ce moment intime avec le public du Palais des Beaux-Arts et je ne crois pas avoir jamais joué les sonates de Brahms ici. » Maxim Vengerov

 

Et le 2 mai 2011 fut un jour de grâce. Deux partenaires de récital sublimes : le violoniste charismatique  Maxim Vengerov  et  le formidable pianiste arménien Vag Papian forment un carré parfait et nous offent une soirée exceptionnellement poétique, un vrai moment de grâce.  Le  contraste  est saisissant entre l’homme de lumière, de lyrisme et de classicisme sobre, et celui, pétri de substance fauve, de sentiment romantique débordant d’expression du subconscient que nous offre Vag Papian. Ils s’entendent pourtant à merveille et montent leur interprétation des trois sonates de Brahms dans une harmonie difficile à égaler.

 

Dans un tel récital Maxim Vengerov semble vouloir percer à jour  toutes les facettes de l’âme du compositeur. Sa persévérance le rend attachant. Jamais il ne perd sa concentration et semble jouer de son instrument comme s’il parlait sa langue maternelle.

 

Dans cette première sonate il y a des souvenirs qui restent. Empreints de délicatesse et d’élégance. Au piano : Tantôt des tons pastels, tantôt des enjeux passionnés, des élans de tendresses, des babillements légers. Puis la féerie de la sérénade du violon fuse, délicate. Le piano s’ébranle pour la suite du voyage intime fait d’élans de lyrisme et de douceur. Le piano porte avec un respect infini la mélodie du violon qui se développe dans des accents séraphiques et … touche le ciel. Le troisième mouvement s’enchaîne avec vivacité. Le pianiste se ramasse sur son clavier, tel un fauve prêt à bondir. De son visage éclairé par l’inspiration, il semble dévorer la musique et savourer les notes une à une. De temps en temps, son œil vif se suspend un instant à la partition cependant que son partenaire violoniste, se laisse aller à des mouvements de tête gracieux, les yeux souvent mi-clos. La musique révèle son sourire intérieur. Nous sommes dans des arabesques fantaisistes, une chanson sans paroles qui dit l’hymne à la beauté. On pourrait s’en aller après un morceau d’une telle perfection.

La deuxième sonate nous livre encore plus d’invisible. Le pianiste tremble de joie dans les octaves graves. Les mélodies des deux compères s’entrelacent. Germe un élan vital tranquille, germent des bouffées d’humour et des trilles célestes, à nouveau. Le martèlement du piano résonne comme les talons d’une princesse descendant les marches d’un palais. Le prince du violon semble oublier de respirer, tant la musique  lui coule naturellement de l’archet comme une sève créatrice. C’est l’abandon à la musique. Les deux voix glissent l’une sur l’autre, et c’est fini ! 

La sonate n°3 nous jettera dans un univers différent. L’archet ondoie, le piano se fait intime, les couleurs sont des gammes chromatiques. Puis tout à coup, les accords sont plaqués.  Émanent des volutes pianistiques amples et le violon se transforme en berceuse. Pas d’arrêt entre les mouvements. L’adagio est lent et grave, il soutient une réflexion intense. Le pianiste extrait des notes de mystère de son instrument et même des bruissements de harpe. La complainte du violon fabrique des phrasés interminables, on dirait que l’archet s’allonge à l’infini. La fin, c’est du bouillonnement pur et l’explosion de la  passion chez les deux solistes.

 

Le désormais attachant Maxim Vengerov remerciera chaleureusement le public pour son ovation bruyante et enthousiaste  et annoncera la naissance d’un projet en Belgique: la création de l’école primaire et secondaire de Musica Mundi, réservée aux musiciens et dévouée à la musique. Ouverte à tous, cette école combinera un enseignement général de qualité et une formation musicale professionnelle. Déjà Maxime Vengerov participe depuis plusieurs années  à MUSICA MUNDI un stage et festival de musique de chambre international ouvert aux jeunes talents âgés de 10 à 18 ans qui se déroule chez nous, à Waterloo, La Hulpe, Genval.  Il conclut en évoquant le pouvoir thérapeutique de la Musique. Celui-ci remonte à Aristote. . . Le public est ébahi  de tant de simplicité  et de générosité  cachées dans ce virtuose de renommée mondiale.

 

La fête n’est pas finie. Le très jeune orchestre, Belorussian Youth Orchestra, s’est installé souriant sur le plateau pour jouer des fragments de  Tchaïkovski, Vivaldi, G.Radu, L. Anderson et W. Mnatzakanov. Ces derniers moments du concert se dérouleront sous l’emprise de la jubilation et de l’exaltation générale. Tant pour les jeunes musiciens, que pour leur ineffable chef d’orchestre, Vladimir Perlin, promenant son sourire de chat, à pas de velours parmi eux, ...que pour le public, totalement conquis.


Programme du concert :

-Maxim Vengerov violon - Vag Papian piano

Johannes Brahms Sonate pour violon et piano n° 1, op. 78, Sonate pour violon et piano n° 2, op. 100, Sonate pour violon et piano n° 3, op. 108

-Belorussian Youth Orchestra , Musica Mundi Young Talents, direction Vladimir Perlin

Fragments d’Œuvres de Tchaïkovski, Vivaldi, G.Radu, L. Anderson et W. Mnatzakanov

-Et en cadeau surprise, le merveilleux adagio du concerto pour 2 violons de J.S Bach interprété par Maxime Vengerov et Leonid Kerbel, son ami, fondateur de Musica mundi.

 

http://www.bozar.be/activity.php?id=10915&selectiondate=2011-5-2

 

 

 

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administrateur théâtres

CYRANO DE BERGERAC

 

 Mise en scène : Gilles Bouillon

Avec

Christophe Brault : Cyrano de Bergerac

Emmanuelle Wion : Roxane

Thibaut Corrion : Christian de Neuvillette

Cécile Bouillot : La duègne, Mère Marguerite de Jésus

Xavier Guittet : Ragueneau

Philippe Lebas : Comte de Guiche

Denis Léger-Milhau : Lignière

Léon Napias : Montfleury/ Capitaine Carbon/ Castel-Jaloux

Marc Siemiatycki : Le Bret

 

Et les comédiens du JTRC : Louise Belmas, Pauline Bertani, Stephan Blay, Edouard

Bonnet, Brice Carrois, Laure Coignard, Richard Pinto et Mikaël Teyssie

Dramaturgie : Bernard Pico

Scénographie : Nathalie Holt

Costumes : Marc Anselmi

Lumière : Michel Theuil

Musique : Alain Bruel 

Assistante mise en scène : Albane Aubry

 

 

Une production du CENTRE DRAMATIQUE RÉGIONAL DE TOURS. Avec le soutien de la Drac Centre, de la Région Centre et du Conseil Général d'Indre-et-Loire (Jeune Théâtre en Région Centre) et le soutien du Fonds d'Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, Drac et Région Provence-Alpes-Côte d!Azur.  En coproduction avec la Compagnie du Passage, Neuchâtel.

 

Dates : du 26 au 30 avril 2011

Lieu : Aula Magna, un accueil de L’ATELIER JEAN VILAR

 

 

 Comme un opéra....12272731275?profile=original

 

Avec la troupe des comédiens de  Tours, la plus célèbre pièce de théâtre d'Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, devient du Shakespeare ou du Victor Hugo…et même du Molière. Dès le début du spectacle où les comédiens se répandent  mystérieusement, un à un sur le plateau, l’air de rien, le public qui ne s’est pas encore assis, est surpris. L’une lit un livre dans des poses sages, un autre accorde un instrument, l’autre tricote, le quatrième bat des œufs…d’autres s’escriment, mine de rien, juste  pour le jeu du fleuret, d’autres installent des chaises. On perçoit un mystère, le début d’une aventure humaine commune pour cette troupe débordante d’inventivité et de fibre théâtrale.

 

On assistera  à  un balayage généreux de toute notre histoire théâtrale,  qui fait palpiter l’œuvre comme si on lui ouvrait le cœur. C’est un secret de fabrication qui mettra en scène  tous les aspects du théâtre occidental, depuis le théâtre de tréteaux populaire jusqu’aux tirades de Racine et Corneille.  Sans doute à cause de la synergie du metteur-en-scène  Gilles Bouillon et le talent fabuleux de chacun des artistes très judicieusement sélectionnés. Le  tout est cousu  d’or par l’amour des mots qui fait œuvre de magie. La  synthèse est tout simplement extraordinaire entre l’infiniment grandiose et l’infiniment intime des sentiments.  

 

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18 acteurs sur le plateau  avec un trio mythique : Roxane amoureuse de l’esprit, de l’amour, précieuse, charmeuse, délicieuse, Christian beau comme un ange mais sot et muet et Cyrano, laideur débordante d’esprit de liberté et de panache.  Cette pièce aura fait battre nos cœurs comme un opéra, pendant presque trois heures. Les décors changeants et subtils ont une modernité qui soulignent l’intemporel : ces panneaux  courbes de bois blond sans cesse en mouvance, évoquent tantôt la scène antique en hémicycle, tantôt l’enfermement ou l’échappée belle. Et les alexandrins de fuser joyeusement par-dessus les murailles ! Les  changements de rôles sont tout aussi mouvants dans les scènes d’ensemble, à la façon du chœur antique. Que les personnages soient les boulangers-pâtissiers ou les fiers gascons invincibles, ils  séduisent par leur caractère éphémère et drôle, terriblement dynamique! Jeux de lumières  et de musique, et c’est la joie qui émane de la poésie de l’écriture.  

 

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L’esprit est partout, et l’amour surtout,  au pied du balcon et  par-dessus la faim et la désolation des troupes au siège d’Arras. L’amour encore, par-dessus la sérénité riante du cloître où s’est retirée la veuve Roxane. On en a plein les yeux, les oreilles et le cœur. Le texte est un immense  gâteau  succulent et illuminé que l’on déguste à petites miettes sucrées salées. Car le Beau Cyrano nous fait verser des larmes!

 

« J'ignorais la douceur féminine. Ma mère
Ne m'a pas trouvé beau. Je n'ai pas eu de soeur.
Plus tard, j'ai redouté l'amante à l'oeil moqueur.
Je vous dois d'avoir eu, tout au moins, une amie.
Grâce à vous une robe a passé dans ma vie. »

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administrateur théâtres

12272733661?profile=originalTraversée de Paris

 

Dans un débordement vocal et physique magistral, Francis Huster met à nu le véritable Marcel Aymé.  Cette « Traversée de Paris » a perdu son « La » bien-pensant de  « -La- traversée de Paris », film pacificateur et édulcoré réalisé par Claude Autant-Lara en 1956 où le trio mythique de  Jean Gabin, Bourvil et de Funès firent merveille.

 

 Ici on renoue avec le texte original de la nouvelle de Marcel Aymé, un texte brut  qui ne ménageait pas les envahisseurs allemands, les adeptes du marché noir, les collabos de tout poil. L’histoire est plus rude aussi. Elle stigmatise une France peu reluisante avec  l’appât du gain, l’égoïsme, la violence, la morale bafouée, la délation, l’étoile jaune.  Les deux compères entreprennent nuitamment cette traversée de Paris afin de livrer un cochon découpé dans des valises… Soit ! Mais l’atmosphère est grinçante  et viciée dès l’entrée de jeu, où, exploit physique de taille,  Francis Huster personnifie tous les personnages à la fois, «  15 000 mots débités cul-sec ».

 

 Quel défi !  Il  exécute sur scène un marathon endiablé, sans costumes ni décors ou autres astuces… "Que le texte, et rien que le texte", convoquant sans relâche une douzaine de personnages… peu recommandables et pourtant nos frères ! Il  mélange à ce point personnages,  pinceaux, accents et intonations que le tableau de cette année 1943 devient une course  macabre  dont on ressort tout étourdi ou sonné.  Le spot de lumière qui le suit pendant toute cette performance de gymnaste au bord de la souffrance physique,  scrute l’histoire sans compromission, l’humour est absent.  Martin, est peut-être un gars honnête et courageux, l’autre, Grandgil, se révèle fourbe et  antipathique. Une vertigineuse discussion genre Dr. Jeckhill et Mr Hyde s’engage sur un rythme à faire peur.

 

Voilà Grandgil qui extorque de l’argent à Jambier, le propriétaire du cochon, traite les tenanciers d’un bar de « salauds de pauvres » et  finit par assommer un agent de police.  Martin découvre alors  que Grandgil est un peintre aisé qui n’est là que pour s’amuser, il entre en fureur et, au cours de la bagarre qui s’ensuit, le poignarde avec son couteau. Huster, seul en scène avec les mots.  Un tour de force scénique et dramatique porté  par le vœu de Francis Huster de rendre justice et hommage à Marcel Aymé, en tant que « Juste de la littérature ».

 

 

 

AU CENTRE CULTUREL D’AUDERGHEM et la saison prochaine qui nous offre un nouvel  échantillon du meilleur théâtre français en général et parisien en particulier,  promet d’être aussi ébouriffante :

http://www.cc-auderghem.be/index.php/nos-spectacles/paris-theatre-1112.html 

 La curiosité est un excellent défaut !

 

 

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