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Guillaume 1er est roi dans le plein sens du terme: il règne et il gouverne. Roi parlementaire, il ne l'est nullement. Roi constitutionnel, il l'est si peu. La Loi fondamentale le gêne et il dirige son Etat à coup d'arrêtés. C'est bien un signe de l'hypocrisie en politjque, si les Belges se sont déclarés antiministériels et nullement antiroyalistes, dans un Etat où la responsabilité ministérielle n'existajt pas et où le roi concentrait en fait tous les pouvoirs sur lui. Par son Cabinet et la Secrétairerie d'Etat, il fajt passer ses ordres à tous les départements ministériels. Son administration, dévouée et foncièrement hollandaise, applique ses décisions avec énergie, quand elle n'y met pas, comme au ministère de la Justice, par exemple, une véritable passion. Van Maanen est ainsi devenu odieux aux Belges. Articles dans la presse, discours aux Etats-Généraux, chansons dans les rues ont attaqué l'homme en qui beaucoup de Belges et certains Hollandais clairvoyants voyaient le mauvais génie du roi. Mais si, en 1814, Guillaume 1er a choisi comme ministre Van Maanen ancien procureur général de la République batave, ancien ministre de la Justice du roi Louis et premier président de la Cour d'appel sous l'Empire -et s'il lui a conservé si longtemps sa confiance, s'il le rappelle à ses côtés dès le mois d'octobre 1830, après l'avoir écarté devant le sursaut de l'opinion belge, c'est vraiment parce que leurs caractères concordaient et parce que leurs idées s'harmonisaient, parce qu'ils étaient l'un et l'autre farouchement autoritaires et antilibéraux. Quelquefois l'on a fait de Guillaume 1er un libéral, mais l'on songeait à la France de la Restauration où quiconque n'était pas ami de l'Eglise était libéral.
Pour bien comprendre ses idées et ses actes, il faut relire son message royal du 11 décembre 1829, où il repousse catégoriquement la responsabilité ministérielle. « En vertu de la loi fondamentale, déclare-t-il, tous les actes du gouvernement sont exclusivement soumis à notre examen et à notre décision. En outre, elle nous a abandonné le droit de régler la nature des obligations que nous désirons imposer, sous serment, aux chefs des départements ministériels à établir par nous ». Le roi ne veut pas de responsabilité des ministres envers les Etats-Généraux ni envers le pouvoir judiciaire, car « quelles que fussent les personnes appelées à juger l'action des ministres, il
n'en résulterait aucun fruit salutaire, si ceux devant lesquels la justification devrait se faire ne se trouvaient placés hors de la faible humanité et par là au-dessus des passions et des erreurs ».
Il a lutté opiniâtrement pour réaliser « l'amalgame ». Ses efforts patients, obstinés, mais peu clairvoyants ont échoué. A la rigueur de la fin de 1829, il substituera un moment. devant la montée de l'opposition, une certaine souplesse: arrêtés linguistiques moins draconiens, efforts de rapprochement avec les catholiques. Il était trop tard.
Le roi est impressionné par la chute de Charles X, mais il ne veut y voir qu'une défaite de l'ultramontanisme, la chute d'un roi qui n'a pas été assez éclairé. Il se flatte d'échapper à la tornade qui souffle sur les trônes. Il prend certaines précautions du côté de la France, dont il craint une poussée d'expansion vers le Nord et vers le Rhin. Mais ses mesures de police, à l'intérieur, sont médiocres. Il ne s'attend pas à une explosion du mécontentement populaire. Il vient à Bruxelles inaugurer l'exposition de l'industrie nationale et séjourne dans la capitale du Sud du 8 au 12 août. Quelques indices n'échappent pas cependant à la police. L'illumination du parc et le feu d'artifice prévus pour le 24 août, jour anniversaire du roi, sont contremandés par crainte de manifestations. Une dépense de trente mille francs pour une fête, alors que la Régence maintient l'impôt mouture, c'est donner au peuple une belle occasion de tout briser! Néanmoins la représentation de la Muette de Portici du 25 août est autorisée. Le chef de la police P. de Knyff a pris des précautions, mais ses mesures sont insuffisantes et mal concertées avec les autorités militaires.
A l'annonce de l'émeute, le roi convoque le conseil des ministres. La réunion des EtatsGénéraux en session extraordinaire à La Haye, le 13 septemhre, est décidée et le roi envoie ses fils à Anvers et à Bruxelles munis de pleins pouvoirs pour ramener le calme et la paix. Ils seront accompagnés de bonnes troupes. Le rétahlissement de l'ordre est la première des tâches.
Le roi et les princes ne songeaient pas à céder à l'émeute. Le 29 août, en route pour Bruxelles, le prince d'Orange rencontre la députation liégeoise qui se rend à La Haye et il écrit à son père: « Comme je ne suppose pas que vous satisferez à leurs demandes, je pense qu'il serait peut-être bon de n'en renvoyer qu'un et d'en retenir deux ou bien les trois comme otages à La Haye, cependant la chose mérite réflexion ». Les soucis des deux princes sont d'ordre militaire: approvisionner les places fortes, faire marcher des troupes vers le Sud.
I.e prince d'Orange veut renforcer l'armée devant Bruxelles afin de pouvoir, s'il le faut, imposer des conditions au lieu d'en recevoir. Quant au roi, l'entretien qu'il a eu avec les députations bruxelloise et liégeoise prouve
assez qu'il n'entend pas céder. Il ne peut être question ni de responsabilité ministérielle, ni du renvoi de Van Maanen, ni d'amnistie. Pour lui, la condition préalable à la prise en considération de tout voeu, est la rentrée des troupes dans la capitale et la disparition de la garde bourgeoise. Toute concession, affirme-t-il. « seroit contre la dignité royale qui doit être rétablie dans toute sa force et dignité avant tout, ce qui étoit doublement (nécessaire) dans une monarchie constitutionnelle où le Roi doit maintenir la loi fondamentale et ne peut transiger avec ses devoirs ».
Le 1er septembre, le prince d'Orange fait son entrée à Bruxelles et réunit une Commission royale « pour l'opposer de suite aux jacobins qui siègent à la maison de ville ». Cependant, il demande à son père de renvoyer « notre pauvre bon loyal Van Maanen » qui resterait d'ailleurs conseiller du roi. Le 3 septembre, le roi se résigna à se séparer de Van Maanen. Le même jour, à Bruxelles, le prince s'était engagé à aller porter à son père le voeu de séparation et avait ordonné le retrait des troupes gardant le palais. Ce geste audacieux entraîna sa disgrâce: le roi n'écouta plus les propositions de son fils aîné jusqu'au moment où il l'envoya, le 4 octobre, à Anvers tenter une expérience aventureuse.
Le 5 septembre, une proclamation royale annonce au pays la convocation des EtatsGénéraux qui discuteront s'il y a lieu de modifier les institutions nationales et de changer la forme et la nature des relations établies par les traités et par la Loi fondamentale entre les deux grandes divisions du royaume.
Le 7 septembre, Guillaume 1er envisage la possibilité d'un relâchement de quelques-uns des liens qui tiennent unies ses provinces. Il ne croit pas que le désir de séparation soit général dans toutes les provinces wallonnes, et encore moins qu'il soit partagé par les provinces flamandes. Guillaume 1er est convaincu, en effet, de la puissance des liens que crée la communauté de langue; il reviendra encore dans le courant d'octobre sur cette idée d'une distinction nette à faire entre les deux parties linguistiques de ses provinces méridionales dont jl reconnaît cependant « la nationalité individuelle ».
Pour que ces modifications soient réalisées, il faudra d'abord un vote favorable des EtatsGénéraux, où les Hollandais, bien que moins nombreux, disposent de l'égalité des sièges. Ensuite il faudra procéder à des élections extraordinaires aux Etats-Généraux et en tout cas l'accord du Roi sera toujours nécessaire. Des semaines s'écouleront. Le souverain aura le temps de voir venir.
Ainsi Guillaume 1er a choisi la temporisation. C'est une solution défendable, mais dangereuse. Le 13, il ouvre les Etats-Généraux et son discours du trône reprend le thème de la proclamation vieille de huit jours et dont l'effet avait été si pénible en Belgique. Il demande aux députés leur avis sur la double question soulevée dans cette proclamation et il leur promet de se concerter avec eux sur les mesures qui pourraient mener à l'accomplissement de leurs intentions. Il maintient ainsi sa position d'attente et il n'écoute pas les Belges qui lui ont envoyé députations sur députations. Les rapports des gouverneurs du Brabant et de Liège, recommandant instamment un geste rapide, au moins une promesse de séparation partielle, laissent le roi indifférent. Il a confiance dans l'issue des événements. Diplomatiquement, sa position est forte. Des changements àla Loi fondamentale devraient être entérinés par la Grande-Bretagne, la Russie, l'Autriche et la Prusse, puissances signataires du traité des « huit articles », fixant les conditions de la réunion de la Belgique à la Hollande. Si celles-ci refusent et que des désordres surviennent, Guillaume 1er sera plus fort pour réclamer l'intervention de leurs armées. La temporisation, sur le plan interne, a aussi ses avantages. Au fil du temps, les rebelles se divisent, les luttes s'enveniment entre modérés et avancés, tandis que la crise commerciale gêne les intérêts des bourgeois. Le roi espère que ceux-ci réclameront la rentrée des troupes dans Bruxelles. Comme un fruit mûr, il recueillera sa capitale. Aussi bien le roi n'entend nullement, pendant les longues délibérations des Etats-Généraux, renoncer aux moyens de force qui doivent lui permettre d'écraser ce qu'il appelle une révolte. Guillaume 1er a un plan de restauration, par la force, de l'autorité royale à Bruxelles, capitale du mouvement insurrectionnel. II veut y faire rentrer les troupes, que l'initiative osée de son fils en avait écartées depuis le 3 septembre. L'armée exécutera une grande parade, si toute résistance s'est évanouie à son approche, ou anéantira rapidement les derniers défenseurs obstinés des libertés belges.
Le mariage de la princesse Marianne, la fille du roi, le 14 septembre, a été l'occasion d'une réunion des grands chefs militaires à La Haye. De partout, ces autorités réclament plus de rigueur. Le 15 au soir, le prince Frédéric retourne prendre le commandement de ses troupes et préparer la conquête de Bruxelles. Deux jours plus tard, Guillaume 1er lui adresse un projet de proclamation et ses instructions: « Si précédemment il y a eu divergence d'opinion sur l'emploi des trouppes pour rentrer en possession de Bruxelles, et délivrer cette malheureuse cité de l'oppression sous laquelle elle gémit, maintenant tout le monde est d'accord que c'est la seule manière de terminer l'anarchie et la révolte et que les derniers événements qui s'y sont passés font désirer que le mouvement militaire ne soit pas retardé au-delà du temps nécessaire pour préparer ce qui est nécessaire pour garantir et assurer le succès ».
Le roi et son entourage cherchent à gagner les députés belges pour qu'ils aillent à Bruxelles préparer les esprits à appuyer les troupes lors de leur arrivée. Depuis plusieurs jours, des bourgeois travaillent dans ce sens et l'industriel gantois Couvreur répand une brochure Appel aux bons habitants de Bruxelles. Le 18, l'industriel Prévinaire et le directeur de l'orchestre du Théâtre royal, Hanssens, sont envoyés de La Haye auprès du prince Frédéric qui les utilisera pour amener la bourgeoisie à bien recevoir l'armée.
Le roi laisse à son fils « la latitude de fixer le moment de marcher, en rapport avec les préparatifs pour assurer le succès, et les renseignements que les circonstances du moment peuvent donner ». Le conseil des ministres a discuté la question de savoir si c'est le prince ou un général qui commandera l'expédition sur Bruxelles. Le roi a tranché. «Reconnaissant la justesse des motifs qui font désirer que, si Bruxelles devait être brûlé (c'est nous qui soulignons), il seroit préférable que ce ne fut pas par un des fils du Roi, il m'a cependant paru que le général-commandant ne pourroit pas rester seul en arrière si toute l'armée marche et que la présence du fils du Roi ne peut manquer d'influer favorablement sur les soldats et la contenance de l'officier ».
« Je pense néanmoins qu'il est désirable que vous chargiez plutôt le général Trip ou tout autre général, aussi le lieutenant-général Constant, d'exécuter ce qui pourroit entraîner à des mesures de rigueur et vous réserviez pour l'occasion où vous seriez en mesure d'être clément et faire le bien ».
Au projet de proclamation envoyé au prince, celui-ci n'apporta pas de changement. Imprimée à Anvers chez la veuve Delacroix, imprimeur du gouvernement, elle sera répandue à Bruxelles dans la soirée du 22 septembre: la Gazette des Pays-Bas distribuée à ce moment la reproduisait in extenso. La dissolution de la Commission de sûreté et du Conseil de la garde bourgeoise, centre nerveux de l'opposition aux yeux des autorités de La Haye, sera réalisée. La garde bourgeoise sera épurée et ses effectifs sérieusement réduits, les attroupements interdits, la police des étrangers réorganisée. Les étrangers et « gens de même acabit » seront expulsés.
A La Haye, le 17 septembre, la confiance règne. Le recours à la force est une nécessité, pénible peut-être, mais le roi froidement envisage donc l'éventualité de « brûler » Bruxelles! Le lendemain, Guillaume 1er est renforcé dans sa conviction qu'une bonne partie de la bourgeoisie souhaite l'entrée des troupes. Des industriels sont venus le trouver, des lettres adressées à des députés belges lui ont été communiquées. Dès lors, « il semble que le moment de la grande crise est arrivé et qu'il est urgent de hâter autant que possible le moment de profiter et de prévenir que Bruxelles, à la merci des étrangers, soit hors d'état de coopérer ou faciliter sa délivrance, comme il est permis d'espérer qu'il est disposé à faire, si les facultés en sont encore conservées ». C'est ainsi que le roi s'exprime dans une lettre adressée le 18 septembre à son fils Frédéric et que Gerretson a publiée.
Le roi souhaite qu'on prévienne l'arrivée de milliers de Borains et d'hommes du Pays Noir, armés de piques, dont la concentration est annoncée, ou, s'il est trop tard, qu'on les attire en rase campagne. Cette éventualité enchante Guillaume 1er, qui en post-scriptum à une lettre envoyée à son fils le 19, lui écrit: « Vous faites mention de bruits répandus comme si l'intention d'attaquer Vilvorde existait à Bruxelles. Si effectivement ils prennent l'offensive et se risquent à une semblable distance de leur ville, l'occasion pourroit être belle de les y ramener tambours battants, et de prouver à l'Europe par des faits les intentions des meneurs. »

Voir aussi:

La révolution belge de 1830 en 8 chapitres. Chapitre 1

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution belge Chapitre 8: Conculsion

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