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La chute en cascade des autorités bruxelloises est remarquable. La Régence est sans pouvoir réel après la constitution de la Commission de sûreté le 11 septembre. Cette Commission se dissout le 20 et rien ne la remplace. Le Conseil et l'état-major de la garde bourgeoise ont été durement ébranlés par les mouvements populaires des 19 et 20. Le 21, d'Hoogvorst ne veut plus être qu'un chef civil et ne se soucier que du maintien de l'ordre intérieur. Plusieurs leaders, débordés par le peuple ou découragés, ont, nous l'avons vu, gagné la France. Quelques membres du Conseil de la garde sont cependant restés à leur poste et certains officiers des sections continuent à exercer leur mission. Le comte Van der Meere parti, c'est le baron Fellner qui le remplace dans la tâche d'organisation des forces mobiles. Des chefs de bande, Ernest Grégoire, Pierre-Joseph Parent, organisent des corps francs.
La Réunion centrale, le club révolutionnaire, a lancé à plusieurs reprises le projet de constitution d'un Gouvernement provisoire. Ces tentatives, nous le savons, ont toutes échoué et le 22, des membres de la Réunion centrale avaient aussi perdu confiance. Rogier du moins ne quittera la capitale que le 23 à neuf heures trente du matin pour y rentrer d'ailleurs à la fin de la journée.
Il ne reste plus d'autorités à Bruxelles. Dans la nuit du 22 au 23, d'Hooghvorst écrit au prince Frédéric une lettre désabusée: « Il n'y a qu'un instant lorsque j'ai eu l'honneur d'annoncer à Votre Altesse Royale que j'allais convoquer les chefs de sections, pour leur faire connaître la volonté de Votre Altesse sur la publication de sa proclamation, je croyais encore à quelque autorité. Mais je me trompais. Plusieurs chefs venaient de donner leur démission et l'effervescence générale dans la ville était devenue telle que je n'ai pu par là même remplir les promesses que j'avais faites à Votre Altesse Royale, et ainsi je me vois déchu par la force des circonstances du poste auquel j'avais été appelé par mes concitoyens ». Pletinckx et quelques membres du Conseil de la garde avaient constitué dans la soirée du 22 à l'hôtel de ville un vague comité de défense. Mais il s'est dispersé au cours de la nuit. Le 23 au matin, d'Hooghvorst est à son poste à l'hôtel de ville, ainsi que le major Fellner, mais « ils paraissaient attendre là les événements sans solution arrêtée et ils quittèrent les lieux ».
Dans l'après-midi, la mission de Gumoëns, dont nous avons parlé, est l'occasion de la formation du premier pouvoir organisé. Anne-François Mellinet, colonel de la Garde à Waterloo, fils d'un ancien conventionnel, a dégagé le malheureux hollandais des mains de ses agresseurs et l'a conduit à la caserne des pompiers. Il rencontre un ancien officier du génie Jolly : « Je cherche partout et ne trouve personne, lui dit-il, il faut cependant avoir un moyen de s'arranger; il faudrait tâcher de réunir quelques personnes notables qui se rendraient à la caserne des pompiers ». L'avocat Delfosse, qui avait participé aux palabres des 21 et 22 septembre, quelques bourgeois de la 3e section -le quartier de la Chapelle, -Jolly et Mellinet, s'en vont ainsi à la caserne des pompiers discuter avec le parlementaire du prince. Ils ne prennent sur eux aucune responsabilité, mais acceptent de transmettre un message du lieutenant colonel de GumÖens qui dépeint à son chef l'atmosphère bruxelloise, lui décrit la résolution des combattants de ne point céder et lui fait part du désir des notables de voir le prince retirer ses troupes.
Ces parlementaires bénévoles s'étaient donné rendez-vous à l'hôtel de ville, à sept heures du soir, afin d'y prendre connaissance de la réponse du prince à la lettre de Gumoëns. Lorsqu'ils s'y présentèrent, le concierge leur dit: « il n'y a plus personne, l'hôtel de ville est complètement vide ». Jolly se fit conduire au cabinet du bourgmestre. Bientôt l'avocat Delfosse, Michiels, commandant de section à la garde bourgeoise, Engelspach-Larivière, le baron de Coppin, Joseph Vanderlinden et quelques autres bourgeois y reçurent la réponse du prince apportée par le lieutenant Berten. C'était la proclamation « J'étais venu par l'ordre du Roi vous apporter des paroles de paix... ». Jolly, qui présidait la réunion, proposa la désignation de trois personnes chargées de demander au prince le retrait des troupes à quelques lieues de la ville. A ce moment, le baron Emmanuel d'Hooghvorst, entouré de quelques-uns de ses fidèles, Palmaert, Lippens, Anspach, l'avocat Van Hoorde, entrèrent dans la salle. Le baron d'Hooghvorst avait conservé la confiance de ces notables qui lui offrirent la présidence de la réunion et l'on continua la discussion qui se termina comme on le sait, par l'envoi de d'Hooghvorst, de l'avocat Delfosse et du baron de Coppin auprès du prince Frédéric. La première autorité était née: « la Commission provisoire d'ordre public ».
Le 24, à quatre heures du matin, les négociateurs rentrèrent à la maison de ville. Ils y trouvèrent Jolly et les notables de la veille au soir, qui déjà discutaient ferme. « Mais Rogier le plus remarquable, Rogier que je ne connaissais pas » a noté l'avocat Max Delfosse, Rogier «l'énergique et populaire commandant des volontaires liégeois» au dire d'un autre assistant, Rogier domine maintenant l'assemblée. Le tribun liégeois rentré la veille au soir de la forêt de Soignes où il s'était réfugié à la ferme de l'ancienne abbaye d'Aywières, veut qu'on se batte totalement. Il ne s'agit plus de parlementer avec la dynastie des Nassau: elle a cessé de régner en Belgique. « Il faut s'ensevelir sous les décombres de la ville plutôt que de se soumettre ». Il ne rallie pas tout le monde. Vermeulen-de Cock, par exemple, un membre du Conseil de Régence, craintif et royaliste, n'aime pas ces « enthousiastes outrés, étrangers à la ville ». Après un long débat, la proposition de créer une autorité centrale pour diriger le mouvement est acceptée. Puis une discussion s'engage sur les noms. Fait significatif: celui de Rogier, prononcé le premier, est acclamé. Le baron d'Hooghvorst est choisi ensuite d'une voix unanime. Jolly, enfin, sur les instances de Rogier et de Michiels, accepte. Le baron de Coppin et J. Vanderlinden sont désignés comme secrétaires de la « Commission administrative ».
Une proclamation au peuple de Bruxelles annonce la formation de cette « autorité constituée ». Il s'agit « d'assurer le triomphe d'une cause dont le succès, dès hier, a été assuré ». C'est « guidés par le seul amour du pays » que ces citoyens, Vanderlinden d'Hooghvorst, de Bruxelles, Charles Rogier, avocat de Liège, Jolly, ancien officier du génie, ont accepté provisoirement le pouvoir.
La tâche de cette Commission est délicate. Elle doit maintenir l'ordre à l'intérieur d'une ville assiégée. Heureusement, il n'y a pas de pillage et la répression de quelques excès ne sera pas malaisée. Elle doit songer à l'approvisionnement de la population. Engelspach-Larivière, désigné comme agent général, homme d'une activité inlassable, y veillera. Les paysans sont priés d'amener leurs denrées dans la ville. L'essentiel, cependant, pour cette Commission, est d'organiser la résistance à l'armée royale dans Bruxelles et de soulever tout le pays contre les Hollandais. Il faut des hommes, du matériel, de l'argent. Rogier appelle les bourgeois de Bruxelles par une proclamation enflammée où jl agite le spectre d'un pillage général hollandais. La Commission envoie des émissaires en province, exciter les populations et réclamer l'envoi de volontaires vers la capitale. « Depuis hier à dix heures du matin, les troupes sont tenues en échec dans le Parc et les boulevards. La liberté et l'honneur sont sauvés. Arrivez au plus tôt si vous n'êtes pas nécessaires à Louvain », cette dépêche de Ch. Rogier envoyée à la garde bourgeoise de cette ville, est transmise à Liège, à Verviers...
C'est encore l'agent général Engelspach qui règle les achats de fusils, de poudre, de planches, paie les travaux de défense, les frais de route aux hommes qui sillonnent la province. Quant aux fond, la Société Générale avance dix mille florins le 24, somme dérisoire. Le lendemain, deux membres de la Commission s'en vont conférer avec la direction de la banque pour obtenir la disposition des fonds du gouvrnement qu'elle détenait à titre de caissier de l'Etat et dont le solde s'élevait à près de quatre millions de florins. Mais ils se heurtent à un refus compréhensible de la part de la direction d'une société créée par le roi. Des dons d'abord et ensuite la transformation de la Commission administrative en Gouvernement provisoire régulier mettront des sommes importantes à la disposition des insurgés.
Restent à régler les rapports délicats avec les combattants, avec les gens de la ligne de feu. Ces bourgeois, ces chefs révolutionnaires, dont certains ont désespéré de la cause -mais combien de combattants le savent alors -réussiront-ils à faire reconnaître leur autorité par les hommes qui tiraillent autour du Parc? Le choix de don Juan Van Halen comme commandant en chef, fait taire les trop vives critiques. C'est désormais à l'état-major de Van Halen, formé de chefs de corps francs et d'officiers de la garde, que la Commission administrative envoie les chefs des détachements de volontaires qui arrivent de la province. Ainsi les relations ne sont pas directes entre l'autorité civile et les combattants, ce qui évite des froissements.


* **


Dans les journées du 24 et du 25 septembre, l'activité de Charles Rogier à la Commission a été débordante. Il s'arroge le titre de président et, en véritable dictateur, ce partisan résolu de la rupture définitive avec La Haye s'oppose à tout compromis. En déchaînant le patriotisme, il veut étendre le soulèvement à travers tout le pays. Dès le 25, il annonce l'érection d'un monument national aux héros des « mémorables journées de septembre ». Le soir descend et voici que reviennent de la promenade de Valenciennes les patrjotes qui avajent perdu confiance. Gendebien, du moins, avait accompli la mission dont il avait été chargé le 18. Il avait vu de Potter à Lille le 20. Le 22, les deux leaders étaient à Valenciennes, centre de l'émigration. Trois journées furent passées en palabres. Les nouvelles étaient mauvaises. Le 22 à midi, de Potter s'en retourna à Lille et son ami Levae l'accompagna. Le 24, la nouvelle courut de la résistance du peuple bruxellois.
Gendebien et Van de Weyer se proclamèrent membres du Gouvernement provisoire et ils ajoutèrent à leur nom celui de Félix de Mérode, suivant une convention antérieure. Ils rédigèrent une proclamation exhortant les braves Belges « au nom de la Patrie, de l'honneur et de la ljberté, de voler au secours des braves Bruxellois », et dans la nuit du 24 au 25, tous ces hommes reprirent le chemin de la capitale belge.
L'arriée « des hommes du lendemajn » provoqua de vives réactions à l'hôtel de ville. La nuit, des discussions orageuses divisèrent les leaders révolutionnaires. Finalement, le 26 au matin, une proclamatjon annonça au peuple la solution de conciliation à laquelle on s'était arrêté. Incontestablement, jusqu'à cette date, la Commissjon administrative n'avait pas proclamé qu'elle était un Gouvernement provisoire, tandis que le groupe de Valenciennes en avait pris le titre. Pour satisfaire toutes les susceptibilités, il est affirmé « que le gouvernement provisoire demeure constitué de la manière suivante: MM. le baron Vanderlinden d'Hooghvorst, Charles Rogier, le comte Félix de Mérode, Gendebien, S. Van de W eyer, Jolly, J. Vanderlinden, trésorier, baron F. de Coppin, J. Nicolay, secrétaires ». Il justifie son pouvoir par: « l'absence de toute autorité tant à Bruxelles que dans la plupart des villes et des communes de Belgique ». Il ne s'agit plus d'un organisme municipal, mais d'un « centre général d'opérations contre l'ennemi ». Pour soulever le pays, on envoie partout des émissaires. Ces hommes démentent les faux bruits lancés par les ministériels, gonflent les victoires remportées. Véritab]es agents de propagande nationale, ils sont les pourvoyeurs de la capitale en hommes et en munitions. Un même effort est fait auprès des soldats et des officiers belges de l'armée royale, que le Gouvernement provisoire délie du serment prêté à Guillaume 1er.
Bientôt le retour de de Potter accroîtra la popularité du Gouvernement provisoire dans les masses. Dès le 27 au matin, après le retrait des troupes hollandaises, celui-ci avait invité l'exilé à rentrer en Belgique. Le lendemain, son arrivée à Bruxelles a soulevé un fol enthousiasme, aussi le gouvernement s'empresse-t-il de se l'adjoindre. La popularité de Louis de Potter, le banni, était immense en 1830 dans tout le pays. Les journaux avaient pieusement raconté les étapes de son voyage en exil. Des collectes avaient été partout organisées en sa faveur. Sa rentrée était un précieux atout pour le gouvernement dont les membres n'étaient connus que dans des milieux restreints. Les Liégeois et les avancés de la Réunion centrale admiraient Rogier, les bourgeois libéraux avaient confiance en Gendebie et Van de Weyer, d'Hooghvorst et Félix de Mérode, revenu le 26 de son château de Trélon près d'Avesnes dans le Nord, jouissaient d'une réelle faveur parmi la noblesse et le clergé, mais aucun nom, à la fin de septembre, n'avait, chez les patriotes, l'éclat de celui du prisonnier des Carmes, du banni sur l'ordre de « l'odieux Van Maanen.
Tant que durèrent les combats, l'action du Gouvernement provisoire fut faite de menues besognes, de tâches obscures. Cependant dès le 25, Louis Bronne était chargé par la Commission administrative de l'organisation des postes et Coghen, désigné comme commissaire aux finances, s'occupa de la mission ingrate de premier argentier du futur royaume de Belgique. Le 29 septembre, il obtenait de la SociétéGénérale l'ouverture d'un compte au Gouvernement provisoire.
Mais, uue fois Bruxelles libérée, l'activité du gouvernement fut considérablement accrue. Une de ses premières tâches fut l'épuration des serviteurs dociles de Guillaume 1er. Les van maaniens obséquieux, les ministériels abhorrés furent révoqués. La magistrature et l'administration furent pourvues de nouveaux titulaires et, le 29, le Comité central, composé de Louis de Potter, Charles Rogier et Sylvain Van de Weyer, proclama que désormais « la justice se rendra au nom du gouvernement provisoire de Belgique ».
La presse nationale, en tête le Courrier des Pays-Bas, défendit les titres du nouveau gouvernement : « D'où vient la légitimité? Un peuple ne peut vivre sans gouvernement. A ce titre, aucun gouvernement n'est plus légitime que celui qui s'est établi le 25 septembre, après dix jours d'anarchie. Le pouvoir n'était nulle part. Ils n'ont supplanté aucune autorité constituée, toutes s'étaient retirées. Ils ont remplacé l'anarchie ». Mai cette défense indique bien que leurs titres sont contestés. Le danger pour le nouveau pouvoir sera, avant la réunion du Congrès national, l'impatience et l'ambition de certains chefs militaires. La tentation était grande pour des héros des combats, pour des hommes des barricades, qui n'avaient été ni dans la forêt de Soignes, ni à l'Hôtel du Grand Canard à Valenciennes, de prendre une place enviée. Il semble que Van Halen ait eu des visées personnelles. Mais il n'a pas été suivi et le gouvernement, très habilement, a réussi à l'écarter.
L'expulsion des troupes, la libération de la domination hollandaise, suffisaient à absorber les passions de l'opinion et le gouvernement partageait les sentiments et les vues de la masse. Mais, par quoi remplacerait-on le régime expirant? Des discussions s'élèveront vite au sein du gouvernement sur le grave problème de la Reconstruction.
Les observateurs étrangers remarquent, dès les premiers jours d'octobre, la formation de groupements, aux contours mal définis, de partis, oserait-on à peine dire, qui veulent soit l'incorporation à la France, soit l'indépendance sous le règne d'un fils de Louis-Philippe, soit la république. Le prince d'Orange a conservé des fidèles qui réclament la constitution d'un royaume séparé.
Cependant, Louis de Potter, le 28 septembre, s'est adressé à ses concitoyens. Très clairement, il leur a dit: « Peuple, ce que nous sommes, nous le sommes par vous; ce que nous ferons, nous le ferons pour vous ». Quelques jours plus tard, le 4 octobre, le Gouvernement provisoire répondant au vœu du peuple, proclamait l'indépendance de la Belgique et convoquait un Congrès national qui serait chargé d'examiner le projet de Constitution que le Comité central lui soumettrait.
Les conflits d'opinion, voire d'intérêts, au sein du premier gouvernement de la Belgique indépendante, avaient tous cédé devant l'ampleur et la profondeur du soulèvement de la nation, sans lequel rien ne s'explique des événements de septembre 1830.

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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