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A l'aube du 27 septembre, le prince Frédéric, en quittant Bruxelles, s'inclinait devant l'irrémédiable. La dure partie, menée par son père depuis quinze ans, était perdue. Le sort de la Belgique s'est joué pendant les quatre journées de Bruxelles.
Ces combats ont été meurtriers. Du côté de l'armée, les pertes furent de 108 tués et 620 blessés, tandis que les insurgés eurent 430 tués et 1.200 blessés. Moins bien armés, indisciplinés, ils souffrirent plus que leurs adversaires. La première journée fut la plus sanglante pour les Belges. C'est cependant le 23 que les insurgés étaient le moins nombreux, (quelques centaines pendant les premières heures du combat), mais la lutte était âpre et la protection malaisée.
Ainsi tombèrent à Bruxelles des journaliers, des ouvriers, des artisans, des petits commerçants, des domestiques, des employés et quelques membres des professions libérales, artistes ou écrivains, beaucoup de pauvres diables et peu de vrais bourgeois. Le petit peuple de Bruxelles fournit le plus fort contingent de combattants le premier jour. A ses côtés se battirent ce jour-là, avec l'énergie du désespoir, des bourgeois hardis, les volontaires liégeois et les petits groupes d'hommes décidés arrivés de la province depuis le début du mois ainsi que des étrangers, fanatiques de la liberté.
Quand l'armée fut bloquée dans le Parc, des bourgeois de Bruxelles reprirent courage, des paysans des communes voisines accoururent et s'amenèrent bientôt des villes, des bourgs et des hameaux du Brabant wallon et du Hainaut, des journaliers, des artisans, des ouvriers, des cultivateurs, d'enragés braconniers, conduits par d'anciens grognards, par des rentiers, par des avocats, par des industriels.
Aux portes de Namur, de Louvain, de Mons, de Tournai, de Liège des patriotes se sont battus avec ardeur. C'est animés d'un même esprit que dans les émeutes de Bruges, de Gand et d'Anvers de « petites gens » moururent sur les barricades. Les combattants de septembre veulent chasser le Hollandais, mettre fin à la domination du Nord, donner l'indépendance à la patrie qui protégera les libertés.
Le sentiment national est le seul qui rende raison de l'opiniâtreté de la résistance, de la sympathie agissante témoignée à Bruxelles par les provinces wallonnes, de la rapidité du ralliement des Flandres et de la Campine au régime nouveau.
Tous les observateurs étrangers sont unanimes à constater la violence de la haine des Belges pour les Hollandais à la fin du mois de septembre 1830 et au début d'octobre. « Au 1er octobre, il y a dans toutes les têtes une excitation patriotique dont aucun autre pays peut-être n'offrirait l'exemple dans les mêmes circonstances: « mort aux Hollandais! », est le mot de ralliement. La rupture entre les deux peuples est inévitable », écrit le ler octobre Staedtler, intendant du duc d'Arenberg. Deux jours plus tôt, revenant de Bruxelles, W. H. Lytton Bulwer au début d'une brillante carrière diplomatique, chargé d'une mjssion spéciale en Belgjque par Lord Aberdeen, écrit de Gand au secrétaire d'Etat: « Bien qu'il y ait une animosité décidée à travers ce pays à l'égard de la Hollande, je n'ai nulle part entendu exprimer un voeu en faveur de l'intervention ou de l'aide française. La lutte oppose les Belges aux Hollandais, et l'enthousiasme qui les anime augmente sans cesse ». Tandis que l'internonoce Cappacini, le 26 septembre, faisait savoir à Rome « que la résistance si acharnée des Bruxellois est la conséquence de la haine qu'ils nourrissent contre les Hollandais, et c'est cette haine qui les a amenés à se faire tuer et brûler vifs plutôt que de céder devant les soldats hollandais... L'aversion qui oppose les Belges et les Hollandais va devenir une haine implacable ». La désagrégation de l'armée royale, la chute rapide des places fortes sont dues aussi à cette ferveur patriotique qui explique le succès de la Révolution de 1830.
A l'origine cependant, les mouvéments d'opposition ont eu un caractère régional, communal même, nettement marqué. La variété des drapeaux en est le signe. Le 4 octobre, Namur désirait un représentant de la province au Gouvernement provisoire. A Gand, les autorités orangistes pour semer la discorde voulaient arborer l'étendard noir et jaune et former un Gouvernement provisoire flamand. Entre les villes, les rivalités et les égoïsmes subsistèrent. Chacune songea d'abord à sa défense et à sa sécurité. Des Hutois, le 18 septembre, ne souhaitaient pas l'arrivée de Liégeois dans leur cité, car cela devait provoquer une démontration militaire, tandis qu'à Verviers où l'on était pourtant plus avancé et prêt à défendre la ville, la Commission de sûreté décidait encore le 17 septembre que l'on n'enverrait pas de secours armés si Liège était attaquée.
Mais la disparition rapide ou du moins l'effacement de ce particularisme témoigne de la force du sentiment national à cette époque. Les couleurs brabançonnes et liégeoises l'emporteront et finalement le drapeau tricolore sera l'emblème de tous. Les divergences provinciales encore accusées ont cédé devant l'exigence de l'unité.
Fait remarquable: entre les deux anciennes capitales, Bruxelles et Liège, l'entente est parfaite. Les éléments les plus actifs y sont à la pointe du combat pour la liberté. L'hommage aux patriotes liégeois venus au secours de Bruxelles (12 septembre 1830), est significatif de cette fraternité:

« Nous allons donc, enfans de la patrie, Nous réunir chacun sous nos couleurs, Et protéger une mère chérie,
Dont les périls font battre tous les coeurs... ...En répétant qu'entre Liège et Bruxelles, C'est désormais à la vie, à la mort. »

La Révolution de septembre 1830 est essentiellement une révolution nationale, mais c'est aussi une révolution libérale: les libertés désirées par les « philosophes » et les « apostoliques » ne devant jamais mieux être réalisées que dans l'indépendance. Les conceptions politiques qui divisent les deux grandes tendances de l'opinion passent, à ce moment, à l'arrière plan. Les ministériels ont tout fait pour semer le désordre entre les unionistes. Leurs efforts astucieux, à Liège, notamment, ont été vains. Il est incontestable que parmi les hommes de la Réunion centrale et parmi les extrémistes, les libéraux avancés, les « Jacobins », comme on les appelait à l'époque, étaient les plus nombreux. Le très perspicace gouverneur Sandberg a finalement analysé, le 19 septembre 1830, les forces révolutionnaires à Liège: « Peu importe au fond où ce torrent a pris naissance, qui depuis trois ou quatre ans n'attendait qu'une occasion pour déborder, peu importe d'où est parti ce premier flocon de neige qui forma l'avalanche, mais Sire, encore une fois, ce ne sont ni les nobles, ni le parti prêtre, c'est le parti ultra libéral qui est vraiment redoutable et auquel la noblesse, ainsi que le clergé se sont adroitement adjoints: ce sont les jeunes avocats, les jeunes gens des classes secondaires, ceux qui veulent percer, les mécontents de toute espèce, et ce mouvement (quoique non français), a toute analogie avec les événements de France: haine à tout privilège, jury, langue, responsabilité ministérielle, partage d'emplois, cri contre les impôts, voilà leur drapeau et si un seul jour la noblesse et le clergé s'avisaient d'arborer un autre avis, ils n'oseraient plus se montrer ». Le comte de Mercy-Argenteau écrivait de même le 7 septembre: « Ce ne sont pas les armes de France qui triompheront de nous, effectivement, elle ne l'essayera même pas, ce seront les principes libéraux ».
La noblesse ne s'est guère montrée, mais de brillantes exceptions font ouvertement la liaison entre les « libéraux » avancés et l'opposition des milieux traditionalistes. Le comte Félix de Mérode est le plus remarquable de ces nobles gagnés au régime nouveau. Sa présence au Gouvernement provisoire, dès le 26 septembre, est d'un poids énorme pour le ralliement de l'aristocratie au nouvel Etat. L'ardeur patriotique l'anime, comme elle brûle son frère Frédéric. Celui-ci quittant sa femme à Chartres, le 25 septembre, pour aller se battre en Belgique et y mourir en héros, lui dit: « il faut être raisonnable, il y a des circonstances où on ne peut pas rester neutre et je ne peux pas oublier que je suis Belge ».
Quant aux étrangers, animés de la passion de la liberté, ils voyaient dans Guillaume 1er et son armée, l'avant-garde de la Sainte-Alliance et l'agent des oppresseurs des peuples. Brûlants d'ardeur libérale et démocratique, ils savent que l'expulsion des Hollandais apportera la liberté à leurs frères belges et ils feront le coup de feu pour la libération des opprimés. Ainsi Nation et Liberté sont indissolublement unies.
Enfin, la révolution de 1830 est-elle une révolution sociale? Incontestablement, dans les premiers jours, des manifestations résultant de la détresse des classes populaires se sont produites. Cependant, le choc initial était bien d'ordre politique et la bourgeoisie a réussi à calmer les soubresauts de la misère. Le malaise économique en 1830, l'aggravation des conditions matérielles de l'existence, dès le début des troubles, ont certes contribué à l'excitation du peuple, mais sa colère s'est tournée contre le Hollandais.
Néanmoins, un nouveau personnel politique, administratif et judiciaire s'empara des leviers de commande. Un rajeunissement radical des cadres fut réalisé. Comme au temps de Gambetta, on pourrait parler de « la venue et de la présence dans la politique d'une couche sociale nouvelle ». L'ordre équestre, dernier souvenir légal de l'inégalité, disparut, les idées démocratiques firent des progrès tant en Flandre parmi le clergé qu'en Wallonie chez les bourgeois. Ainsi, dans la phase constructive du nouvel Etat, y a-t-il un aspect social qu'il conviendrait d'étudier.
Dans sa phase destructive, la Révolution de septembre 1830 est l'exemple le plus clair de la force du sentiment de la liberté nationale chez les Belges, à un moment de leur histoire. Un combattant des barricades de Bruxelles, le brasseur Isidore Gillain, de Namur, a rendu, dans une lettre, témoignage de l'héroïsme des hommes à qui la Belgique doit plus d'un siècle de grandeur. « Je suis décidé de mourir plutôt que de céder à ces lâches Hollandais, écrit-il à ses parents le vendredi 24 septembre... Nous avons une grande quantité de braves qui sont morts pour défendre leur liberté. Mais en revanche, nous avons fait un massacre des jenfoutres qui veulent nous enchaîner. Peut-être que ce soir, nous serons maîtres du Parc; mon courage ne se ralentira pas et si je dois mourir, consolez-vous et vous direz que votre fils est mort pour la liberté.
» Adieu, je vole au combat.
» Je vous écrirai, si j'échappe, dimanche ou lundi.
» Adieu, ne vous mettez pas en peine.
» Ayez du courage, nous vainquerons.
» Je vous embrasse tous ».

 

Histoire de la révolution belge chapitre 1:

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre 2: Du côté de La Haye

Histoire de la révolution belge de 1830: chapitre3: Les divisions dans les camps des patriotes

Histoire de la révolution belge de 1830 -Chapitre 4: Le glas du régime

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 5: L'aube d'un Etat

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 6: Le soulèvement national

Histoire de la révolution belge de 1830 Chapitre 7: La Révolution et l'Europe

Histoire de la révolution blege Chapitre 8: Conculsion

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Commentaires

  • C'est une Histoire riche, malgré les douleurs et les pertes.

    Gagné sa personnalité et réaliser ses rêves, n'est pas une chose facile, mais avec les bonnes volontés, les grands sacrifices, et le courage…la liberté, la dignité, et la prospérité deviennent à la portée !
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