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Le XIX ème siècle, surtout dans sa seconde moitié, se révèle être un siècle paradoxal : d’une part, l’on assiste à l’émergence de nombreux états nations concurrents et antagonistes ; d’autre part, l’unité culturelle de l’Europe se trouve à un moment d’apogée. La Belgique, au carrefour de l’Europe et des forces d’unité culturelle et de fragmentation politique qui la traversent, n’échappe évidemment pas à ce paradoxe. La naissance d’un nouvel État Nation. En 1815, faisant suite à l’effondrement de l’empire napoléonien, le Congrès de Vienne décide la réunion de la Belgique et de la Hollande en un royaume des Pays-Bas. Cette union, contre nature, provoque une opposition culturelle, religieuse et linguistique de la part des Belges. Celle-ci conduit rapidement à une insurrection bruxelloise qui amène en 1830 la proclamation de l'indépendance de la Belgique. L’indépendance de la Belgique est reconnue par la conférence de Londres de 1831 qui garantit la neutralité au nouvel État. Léopold Ier prête serment à la Constitution le 21 juillet 1831 et en devient le premier souverain : le royaume de Belgique est né. La création de ce nouvel état nation n’est pas un phénomène isolé en Europe. Qu’il suffise pour s’en convaincre de songer à l’Italie (1848), à la Pologne(1815-1918), à l’Allemagne( 1815-1834-1871), à la Serbie (1878), à la Bulgarie (1878-1908), à la Grèce (1830)… L’affirmation de la Nation par l’Histoire… Dans ce mouvement d’éveil des nationalismes, l’histoire fut souvent appelée à la rescousse pour affirmer la nation. Les historiens belges n’échappèrent pas à cette démarche. C’est ainsi que Henri Moke (1803-1862) dans son Histoire de la Belgique qu’il publie en 1839 annonce clairement son intention : «… au-dessus de la ville et de la province, j’ai toujours cherché à faire entrevoir l’unité nationale qui se préparait lentement, mais à laquelle le pays devait parvenir un jour ». Comme Jacques Stiennon le souligne de manière remarquable, les historiens belges ou de la Belgique comme Gérard (1863), Wauters ( 1817-1898), Gachard (1800 1885), Stecher (1820-1909) ou Kurth (1847-1916) « avaient sans doute compris que dans un pays qui venait de conquérir depuis peu son indépendance, l’idée nationale allait se développer avec une acuité particulière et que le jeune État belge allait, pour justifier son existence, rechercher des arguments dans l’arsenal de l’histoire… » [1] Cette entreprise trouva sans doute son expression la plus significative dans l’Histoire de Belgique (1900) du grand historien Henri Pirenne qui dès le premier alinéa de son introduction fixe clairement ses idées : « il s’agit de retracer l’histoire de Belgique au Moyen Âge en faisant surtout ressortir son caractère d’unité ».[2] …et par la peinture… Les peintres belges contribuèrent aussi à ce grand mouvement d’affirmation de la Nation. C’est ainsi que nombre d’entre eux recherchèrent des thèmes qui pouvaient justifier l’existence même de la jeune Belgique. Ainsi les figures et les évènements de la période bourguignonne[3] , considérée comme prospère et politiquement stable, furent parmi les sujets privilégiés de ce courant de la peinture belge. Les portraits de Philippe le Bon ou de Marie de Bourgogne se multiplient. Aujourd’hui encore l’hémicycle du Sénat propose aux visiteurs des scènes de la Cour des Ducs de Bourgogne, en particulier de Philippe le Bon, peints par Louis Gallait. Henry Leys (1815-1869) peint en 1862 L’Institution de la Toison d’Or, œuvre qui glorifie cet ordre chevaleresque et nobiliaire fondé en 1429 par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et destiné à propager la foi catholique. Certes l’Histoire est revisitée pour en conserver les moments heureux éliminant les guerres fratricides ou les périodes de famine. Les moments douloureux sont seulement retenus lorsqu’ils permettent de développer la fibre patriotique. C’est ainsi que se multiplièrent les compositions évoquant les moments de la résistance aux espagnols. Ainsi Le peintre Louis Gallait, installé à Paris où il avait des commandes pour Versailles, n’oubliait pas son pays et envoyait en primeur à Bruxelles, des tableaux monumentaux aux sujets dignes d’intéresser les belges et de leur rappeler leur glorieux passé comme L’Abdication de Charles Quint, de très grand format et remarquée au Salon de 1841.[4] De même par Les Derniers Honneurs rendus aux comtes d’Egmont et de Hornes, par le Grand Serment de Bruxelles (1851), Louis Gallait nous rappelle la tyrannie du Duc d’Albe.[5] L’œuvre fit sensation en 1851 au Salon de Bruxelles puis à Tournai lors de son acquisition. Le tableau représente une foule compacte qui se presse et assiste à une exécution. Le sujet, épisode dramatique de l’oppression espagnole aux Pays-Bas, est symbolisé par la présence vers le centre d’un espion du Duc d’Albe et d’un militaire au chevet des Comtes d’Egmont et de Hornes décapités à Bruxelles le 5 juin 1568. La toile décrit le moment où, la nuit suivante, les arbalétriers de la ville vinrent leur rendre hommage. Henry Leys fait également revivre ce passé, en particulier dans La Furie espagnole où il évoque avec une fougue toute romantique les épisodes glorieux et douloureux de cette période espagnole. Mais cette volonté artistique de renouer avec le passé s’exprime aussi par un retour aux styles des œuvres des grands artistes du passé et plus particulièrement à celui de Pierre Paul Rubens. Certains n’hésitèrent d’ailleurs pas à parler de « prérubenisme ». [6] Cette « passion rétrospective », pour reprendre l’expression de Charles Baudelaire[7] , se retrouve d’abord chez Henri Leys mais aussi chez Gustave Wappers à l’académie d’Anvers, Joseph Lies ,Nicaise De Keyser ou James Tissot. Les « prérubenistes » flamands reviennent ainsi par souci de l’exactitude et de l’analyse à l’art des maîtres septentrionaux des XVème et XVIème siècles. Ils en souhaitent retrouver l’inspiration, la fraîcheur et la force. Le plus souvent, il se contente d’en imiter l’écriture et les tics.[8] Les artistes ne se contentent cependant pas d’une plongée vers ce passé préfigurant la Belgique. Ils magnifient aussi les journées révolutionnaires de 1830 qui amenèrent la Belgique à l’indépendance. Ainsi le tableau de Gustave Wappers Épisode des journées de septembre 1830 –ressemblant à une caricature de La Barricade de Delacroix- est saluée dans l’Europe entière. Cette oeuvre conjugue parfaitement l’élan romantique et l’élan patriotique. Peint au moment d’une contre offensive hollandaise, le tableau représente un tas de corps blessés et mourants réunis autour du drapeau belge. La scène se déroule sur la Grand Place de Bruxelles, symbole des libertés conquises au fil des siècles. Camille Lemonnier parla à son propos de « … la Marseillaise d’un peuple nouveau …». Paul Fierens tempéra quelque peu le propos en parlant plutôt de Brabançonne mais non sans rappeler que si « La Brabançonne n’est pas un chef d’œuvre, nous ne l’entendons pas sans émotion. N’est-ce pas une émotion du même ordre qui s’empare de nous quand nous regardons la grande toile de Wappers ?»[9] Si Épisode des journées de septembre 1830 est le plus emblématique de ce type de tableaux et de composition, d’autres peintres viseront à éblouir le spectateur et à magnifier ces moments où la Belgique se crée. Songeons à Auguste Chauvin (1810-1884), à Charles Coubre (1821-1895) à qui nous devons Départ des volontaires liégeois sous la conduite de Charles Rogier ou L’arrivée de Charles Rogier et des volontaires liégeois à Bruxelles ou encore à Henri de Caisne qui peint en 1835 La Belgique couronnant ses enfants.La Belgique y est représentée sous les traits d’une femme entourée de personnages célèbres de l’histoire de la Belgique ( Godefroid de Bouillon, Philippe le Bon…) et à ses pieds le lion belge. …la sculpture et l’architecture. La sculpture urbaine participa également de ce mouvement d’affirmation de la nation par l’Art. Tantôt il s’agit d’éblouir et d’instruire le nouveau citoyen belge en rendant présent dans la ville les moments prestigieux de son passé. À Bruxelles, Eugène Simonis installe place Royale la statue à cheval deGodefroid de Bouillon, duc de Basse-Lorraine (1089-1095) qui fut le principal chef de la première croisade et fonda le royaume de Jérusalem (1099) qu’il gouverna avec le titre d'«avoué du Saint-Sépulcre». À Liège, Louis Jehotte nous laisse un Charlemagne à cheval dans un style métissé de néo-classicisme et de romantisme. Tantôt ce sont des monuments à la gloire de ceux qui firent l’indépendance de la Belgique. En 1838, Guillaume Geefs exécuta, à la suite d’un concours, l’allégorie de La Belgique triomphante qui occupe le centre de la place des martyrs à Bruxelles. Cette sculpture fût pendant un certain temps dépréciée à cause de sa prétendue ressemblance avec la Vénus de Milo. Aujourd’hui cette proximité apparaît cependant à l’œil averti assez vague et lointaine. En 1859 c’est Joseph Poelaert qui conçoit et inaugure la colonne du Congrès à Bruxelles qui rappelle l’adoption en 1831 de la constitution belge par le Congrès National. La colonne est surmontée d’une sculpture de Léopold Ier que nous devons à Guillaume Geefs. Dans le domaine de l’architecture, Baudelaire dans Pauvre Belgique n’hésite pas à parler de « pastiches du passé » ou pour les églises de « contrefaçons du passé ».[10] Si cette volonté de restauration du passé dans l’architecture n’est pas spécifique à la Belgique –songeons à l’œuvre de Viollet-le-Duc- , l’intention de concourir par ce rappel du passé à la cohésion nationale est évidente et ce, tout en respectant les hiérarchies symboliques de la ville. « Ces styles se paraient d’une valeur sémantique d’équivalence dans l’espace homogène de la ville moderne : ainsi, en Belgique, le néo-gothique fut l’expression du religieux, le néo-flamand Renaissance celle du sentiment civique et nationale (hôtels de ville), le néo-grec baroque celle de la dignité judiciaire (palais de Justice de Poelaert). À noter que l’éclectisme traduisait aussi la hiérachie sociale, soulignant dans l’ordonnacement des styles le coût des matériaux. Liés à la résurgence du sentiment national, les prolongements de l’historicisme en Belgique parurent spectaculaires … »[11] Le XIXème, au delà des nationalismes. Ce survol de l’art belge enchassé dans les aspirations nationales de la Belgique naissante pourrait donner une image injuste du XIXème siècle et de l’art qui le traverse. Sur le plan politique, il serait injuste de le réduire à celui du capitalisme triomphant et des nationalismes qui conduirent l’Europe à Verdun puis Auschwitz. Sur le plan artistique, il serait injuste de ne voir le XIXème siècle que comme celui qui « a rêvé d’être tous les autres et qui n’a pas eu … le simple courage d’être lui-même, de se connaître tout d’abord de s’accepter sans réticences et de se produire à visage ouvert. »[12] Bien évidemment, il ne faut pas cacher la face sombre de l’Europe du XIXème siècle : colonialisme, conditions de vie misérable pour la plupart des citoyens, âpretés des rivalités nationales et la folle course aux armements qui nous projetèrent vers l’abîme. Mais le XIXème siècle européen fût aussi celui de l’innovation, des découvertes scientifiques, des conquêtes sociales et des libertés fondamentales et des sources esthétiques de notre siècle. Formidable unité culturelle et même politique que cette seconde moitié du XIXème siècle puisqu’il fallut attendre 1989 pour que le record de la plus longue période de paix de l’histoire de l’Europe fut battu. La Belgique a participé activement à toute cette épopée et à tous ces mouvements européens. Sans évoquer les autres champs de l’activité humaine, songeons dans le domaine de l’art à Horta et l’Art Nouveau, à Ensor, à Meunier, à Khnopff, à Spilliaert, à Rops, Rik Wauters…qui contribuèrent à forger l’esthétique moderne de l’Europe. Oui la Belgique du XIXème siècle est bien la fille des nationalismes mais elle participe aussi de notre Europe, fille de cette époque. Bibliographie. 1. Monographies. Dumont (G-H), Histoire de la Belgique, Bruxelles,Le Cri,1995. Eemans (M), Les trésors de la peinture européenne, Bruxelles, éditions Meddens, 1996. Mabille (Xavier), Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, éd. Complétée, Bruxelles, CRISP, 1992). Pomian (K), L’Europe et ses nations, Paris, Gallimard, 1992. Smeets (A), L’art flamand d’Ensor à Permeke,Bruxelles, éditions Meddens, 1992. Vercauteren (F), Atlas historique et culturel de l’Europe, Bruxelles, éditions Meddens, 1962. 2. Ouvrages collectifs. La Belle Europe, Le temps des expositions universelles 1851-1913, Bruxelles, Tempora, 2001. Encyclopédie artistique belge, L’Art, 2 Tomes, Bruxelles, La Renaissance du Livre, date de la nouvelle édition non précisée. Encyclopedia Universalis, V° Belgique. Histoire mondiale de l’Art., Verviers, Marabout université, 6 volumes, 1966. Huit siècles de Peinture. Trésors des Musées Belges, Bruxelles, Arcade, 1969. Paris-Bruxelles ; Bruxelles-Paris, Anvers-Paris, Fonds Mercator-Réunion des Musées Nationaux, 1997. La Wallonie, le pays et les hommes, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1978. Notes [1] Stiennon (J), Les régions wallonnes et le travail historique de 1805 à 1905, in la Wallonie, le pays et les hommes, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1978, p 458. [2] Cité par Stiennon (J), op.cit., p 460. [3] C’est sous les ducs de Bourgogne (XIVe-XVe s.) qu’est tentée l’unification des Pays-Bas dont l’histoire se confond avec celle des principautés belges, fief français (Flandre) ou États du Saint Empire romain germanique. [4] Un Salon est une exposition collective périodique d'artistes vivants. Le premier Salon officiel, réservé aux académiciens, se tint au Louvre en 1667. [5] Le Duc d’Albe est un général de Charles Quint et de Philippe II (Piedrahíta 1508 - Lisbonne 1582) et Gouverneur des Flandres (1567-1573) où il exerça par l'intermédiaire du Conseil une violente répression contre les protestants, qui fut à l'origine de la révolte des Pays-Bas. [6] Fierens (P), La peinture au dix-neuvième siècle, in Encyclopédie artistique belge, L’Art, Tome 2, Bruxelles, La Renaissance du Livre, date de la nouvelle édition non précisée, p 447 [7] cité par Lacambre(G), Le voyage dans le temps, in Paris-Bruxelles ; Bruxelles-Paris, Anvers-Paris, Fonds Mercator-Réunion des Musées Nationaux, 1997, p 78. [8] Fierens (P), op.cit., p 447. [9] Fierens (P), op.cit., p 439. [10] Zazzo (A), L’historicisme comme méthode, in Paris-Bruxelles ; Bruxelles-Paris, Paris-Anvers, Fonds Mercator-Réunion des Musées Nationaux, 1997, p 74. [11] Zazzo (A), op.cit., p75. [12] Fierens (P), op.cit., p 410.
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Commentaires

  • En ce qui concerne la littérature toutefois, les choses sont moins claires ou, du moins, avant De Coster (ou du moins Ulenspiegel, le reste de sa production ayant été laissée dans l'ombre) qui fait office de météorite dans la nuit et les années 1880 qui sont considérées comme la naissance de la littérature, il existait pourtant des auteurs qui sont restés méconnus...
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