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La princesse Maleine, fatalité du démoniaque? (1889)

Il s’agit d’un drame en cinq actes et en prose de Maurice Maeterlinck, publié à 30 exemplaires à Gand chez Louis Van Melle en 1889; réédition à Bruxelles chez Paul Lacomblez en 1890.

La Princesse Maleine est la première pièce de théâtre de Maurice Maeterlinck, parue la même année que son recueil de poésie Serres chaudes. Elle fut saluée par un article dithyrambique d'Octave Mirbeau dans le Figaro du 24 août 1890: "Je ne sais rien de M. Maurice Maeterlinck [...]. Je sais seulement qu'aucun homme n'est plus inconnu que lui et je sais aussi qu'il a fait un chef-d'oeuvre [...]. M. Maurice Maeterlinck nous a donné l'oeuvre la plus géniale de ce temps [...] et oserais-je le dire? supérieure en beauté à ce qu'il y a de plus beau dans Shakespeare." Le "Shakespeare belge" était né, et Maeterlinck évoquera plus tard la surprise et la gêne que suscita cet article dont les effets furent immédiats dans les milieux bourgeois de Gand. Paul Fort, fondateur du Théâtre-Mixte, devenu en 1890 le théâtre d'Art, cherchait des textes originaux et une orientation neuve: il s'adressa à Maurice Maeterlinck pour obtenir la Princesse Maleine. C'est finalement à Antoine, qui ne jouera jamais la pièce, que Maeterlinck la céda.

Dans le château du vieux roi Marcellus, on fête les fiançailles de sa fille, Maleine, avec le prince Hjalmar. Dehors veillent deux officiers du roi, lorsqu'une comète apparaît, semblant "verser du sang sur le château [...]. On dit que ces étoiles à longue chevelure annoncent la mort des princesses". Soudain, les vitres éclatent; cris et tumultes précédent la sortie du vieux roi Hjalmar, père du prince, qui insulte Marcellus: "Je vous laisse votre Maleine avec sa face verte et ses cils blancs." Le château est incendié, Marcellus est mort, et Maleine a disparu. On la croit morte. Le prince Hjalmar se fiance à Uglyane, fille de la reine Anne dont le vieux Hjalmar est très amoureux et totalement dépendant (Acte I). Maleine, réfugiée avec sa nourrice dans une tour, traverse une vaste forêt sombre dans l'espoir de rejoindre Yselmonde, le château d'Hjalmar où, se faisant passer pour une suivante, elle reconquiert le coeur du prince: "On dirait que mes yeux se sont ouverts ce soir" (Acte II). La reine Anne, feignant d'accepter l'idée d'une union entre Hjalmar et Maleine, entoure d'attentions la jeune princesse malade. Maleine, pâle et très faible, est atteinte d'une mystérieuse langueur, due, pense-t-on, à l'air des marais qui entourent le château. Le pressentiment d'une fin tragique se confirme lorsque le médecin révèle qu'Anne lui a demandé du poison. La machination devient évidente: "Elle travaille comme une taupe à je ne sais quoi; elle a excité mon pauvre père contre Marcellus et elle a déchaîné cette guerre; il y a quelque chose là-dessous!", disait déjà Hjalmar à l'acte I (Acte III). Autour d'elle, Anne devine les soupçons et craint que le vieux roi, par faiblesse, ne l'abandonne, l'entraînant de force avec elle: "Mon Dieu... Elle me conduit comme un pauvre épagneul; elle va m'entraîner dans une forêt de crimes, et les flammes de l'enfer sont au bout de ma route." Anne pénètre dans la chambre de Maleine par une nuit "aussi noire qu'un étang" et étrangle la princesse (Acte IV). L'orage éclate. Dehors les paysans sont assemblés et voient entrer dans le port un navire de guerre noir: "C'est le jugement dernier", dit un vieillard. Lorsque le vieux roi Hjalmar, devenu fou, dénonce le crime, son fils poignarde Anne avant de se donner la mort (Acte V).

La Princesse Maleine baigne dans un climat d'angoisse. La présence du surnaturel (château étrange, lumière insolite conférant aux objets et aux êtres une image irréelle), les correspondances tissées entre les personnages et la nature suggèrent le mystère et la tragédie.

La fatalité gouverne un univers où des êtres passifs et dépourvus de toute volonté se laissent guider par un destin qu'ils pressentent mais qu'ils ne tentent jamais de détourner. Cette impression générale de malaise est accentuée par des dialogues inachevés, hachés et laconiques dont les répliques, toujours très brèves, sont autant de paroles suspendues, suggérant le trouble des personnages. Le traitement de la fatalité dans la Princesse Maleine a souvent été comparé à celui de Macbeth - que Maeterlinck traduisit en 1909. Dans les deux pièces se retrouvent, entre autres, le personnage de la reine sensuelle, cruelle et meurtrière, et du vieux roi qui sombre dans la folie. La reine Anne, figure dominante du drame, incarne les puissances démoniaques. Intrigante et ambitieuse, le mobile profond de ses actes n'est autre que le plaisir du mal, une force secrète qui la guide mais qu'elle ne domine pas. Face à elle un vieux roi faible, complice épouvanté du drame qui se tisse sous ses yeux, et deux fiancés perdus dans les brumes de l'angoisse et du mystère, victimes d'une machination dont l'étau se resserre peu à peu autour d'eux (voir Pelléas et Mélisande).

Dès sa première pièce, comme on le voit, Maeterlinck a su mettre en oeuvre les principes fondamentaux de sa dramaturgie: le recours au silence et ces personnages "somnambules, un peu sourds, constamment arrachés à un songe pénible, [dont] le manque de promptitude tient intimement à leur psychologie et à l'idée un peu hagarde qu'ils se font de l'univers", comme il l'écrivit lui-même dans la Préface à l'édition complète de son théâtre.

Extrait du Testament des siècles de Robert Paul

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