Dans sa « Théorie esthétique » (1970) –ouvrage d’ailleurs inachevé- Adorno l'auteur pose la question du statut de l' art moderne: il ne va pas de soi, ni en lui-même, ni dans son droit à l'existence, ni dans son rapport à la société. L'élargissement des possibilités de création entraîne, à l'inverse, un rétrécissement de leurs effets sur les oeuvres. L'irruption du "nouveau" en art a effacé jusqu'à la notion même de la tradition. L' art moderne est à l'image de la ruine; il exprime une détresse dont l'archétype est Rimbaud, qui finit par abandonner l'écriture. L'émancipation de l' art aurait-elle sapé les conditions de possibilité de toute création?
L'auteur constate, par ailleurs, que l' art moderne s'identifie à la société de consommation de l' Occident capitaliste, mais pour s'y opposer. Sa fonction originelle est donc remise en question: autrefois, l'oeuvre d'art promettait un monde meilleur. Cette intention objective était et reste théoriquement le "contenu de la vérité" de l'oeuvre, tel que la réflexion philosophique peut le mettre au jour (car, en se déployant, le "contenu" devient le "concept" philosophique). Ainsi le contenu de vérité lutte contre la souffrance et la mort, véhiculant ainsi la promesse d'un autre monde. Mais l' art moderne a oublié la souffrance; il trahit la promesse: n'est-il pas en train de signer l'arrêt de mort de l' art? Néanmoins, la nature fondamentalement contestataire (négative) de l'oeuvre pourrait sortir l'art de cette impasse. Tout n'a pas disparu après la déchéance de la beauté formelle; le sublime a survécu, intimement lié au pouvoir qu'a l'oeuvre de dire "non". Adorno est le tenant d'une esthétique du jugement de valeur, qui serait le critère de compréhension de l' art. C'est cette attitude critique qui l'amène à formuler l' aporie de l' art moderne. La "Théorie esthétique" tourne autour de cette aporie, et développe, dans une orientation formaliste, une esthétique de l'objet. L'ouvrage s'inscrit dans un projet global d'origine marxiste, d'après lequel la forme de l'oeuvre d' art est son critère de perfection. En outre, cette orientation de pensée postule le dépassement du système capitaliste. C'est dans ce sillage que se situe l'école de Francfort, dont Adorno est l'un des principaux représentants. La "Théorie esthétique" illustre le malaise de toute une époque devant un art qui boulverse jusqu'à ses présupposés, et les questions soulevées par l'auteur n'ont, aujourd'hui, rien perdu de leur actualité.
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