Dans son « Thésée » (1946) , Gide entreprend le récit de la vie du héros. Après avoir rapidement relaté diverses prouesses et aventures galantes - notamment ses amours avec Antiope qui lui donna un fils, Hippolyte -, il raconte son départ pour la Crète afin d'affronter le Minotaure. Ariane, fille du roi Minos, tombe amoureuse du héros. Grâce à elle, celui-ci obtient une entrevue avec Dédale, qui lui révèle les secrets du labyrinthe et lui conseille de rester relié à Ariane par un fil lorsqu'il y pénétrera. Thésée tue le Minotaure puis regagne la Grèce avec ses compagnons. Il abandonne Ariane dans une île car il lui préfère Phèdre, sa jeune soeur, qu'il a enlevée lors de son départ de Crète, puis épousée. Le roi Égée étant mort, son fils Thésée se consacre à l'organisation de la cité athénienne. Phèdre lutte en vain contre son amour pour Hippolyte; ce fatal sentiment conduit à la mort la femme et le fils de Thésée. Ce dernier est seul désormais. Son destin est accompli et il peut contempler son oeuvre: «Derrière moi, je laisse la cité d'Athènes. Plus encore que ma femme et mon fils, je l'ai chérie. J'ai fait ma ville. Après moi, saura l'habiter immortellement ma pensée.»
La Mythologie grecque constitue pour Gide un terrain privilégié d'inspiration et de méditation. Son oeuvre s'est amplement abreuvée à cette source, comme l'attestent les titres de plusieurs ouvrages tels que le Traité du Narcisse (1891), le Prométhée mal enchaîné (1899) ou Oedipe (1931). Avec Thésée, Gide rédige, dans sa période de vieillesse et à l'heure des bilans, une sorte d'autobiographie symbolique. Dès le début de son récit, le héros affirme: «Il s'agit d'abord de bien comprendre qui l'on est»; «raconter [sa] vie», tant pour Thésée que pour Gide, participe sans doute de cette quête d'une identité intelligible.
La figure mythique conserve ses caractéristiques et son histoire traditionnelles, mais elle est également une sorte de modèle de l'écrivain. Ainsi, l'évocation de la jeunesse de Thésée rappelle les accents des Nourritures terrestres. On retrouve la même ferveur dans la saisie du monde, la même sensualité exacerbée, la même inspiration dionysiaque: «Je ne m'arrêtais pas à moi-même, et tout contact avec un monde extérieur ne m'enseignait point tant mes limites qu'il n'éveillait en moi de volupté [...]. Vers tout ce que Pan, Zeus ou Thétis me présentaient de charmant, je bandais.»
Avatar de Nathanaël, le jeune Thésée reçoit d'Égée ce conseil: «Il y a de grandes choses à faire.
Obtiens-toi.» Au terme du parcours, toutefois, la vision du monde et la manière d'y prendre place se trouvent modifiées: l'édification et l'enracinement ont supplanté le refus de tout attachement. Le volage et aventurier Thésée s'est arrêté pour construire Athènes.
Oeuvre profondément humaniste, Thésée est le récit de l'acquisition d'une sagesse. C'est aussi une sorte de testament adressé par l'écrivain aux générations futures (Thésée destinait d'ailleurs son récit à son fils Hippolyte): «C'est consentant que j'approche la mort solitaire. J'ai goûté des biens de la terre. Il m'est doux de penser qu'après moi, grâce à moi, les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. Pour le bien de l'humanité future, j'ai fait mon oeuvre. J'ai vécu.»
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