…Et on murmure dans mon dos que ma musique est vieille !
✔ Laudamus te…
…Et on murmure dans mon dos que ma musique est vieille !
✔ Laudamus te…
Créé à Paris le 2 décembre 1840, « La Favorite » de Gaetano Donizetti s'installe à Liège dans sa version originale française! Fernand (Celso Albelo), un jeune novice, fils spirituel du Grand-prêtre Balthasar (Ugo Guagliardo) , est déchiré entre sa foi et son coup de foudre pour une inconnue. Il abandonne son monastère pour rejoindre les forces armées d’Alphonse XI, roi de Castille (1311–1350) qui se prépare à partir en guerre contre l'envahisseur maure. Il ne se doute cependant pas un seul instant que la femme qu'il aime est la maîtresse "favorite" du roi. Nous sommes dans l'Espagne du XIVe siècle, au temps des luttes de pouvoir entre l’Église et l’État et leurs tumultes illustrés par les somptueuses pages lyriques de Donizettti, brillamment dirigées par Luciano Acocella. Alphonse a bien caressé l’intention de répudier sa femme pour faire de Léonor, sa nouvelle reine…comme le fera deux siècles plus tard le roi anglais Henry VIII (1491–1547) mais il craint l’excommunication. Pour récompenser Fernand de sa bravoure, le roi (Mario Cassi) le couvre d’honneurs et accède à son désir en lui accordant la main de Léonor. Il conseille sarcastiquement à Leonor d’être fidèle au moins à Fernand. Ce n'est que le jour même de leur mariage que Fernand découvre avec horreur la relation de Léonor avec le roi. Sa colère virile explose : S O N honneur est définitivement trahi ! Voyez-vous donc ! Humilié et ostracisé par ses compagnons d’armes, il repousse alors ses titres et ses trésors et retrouve ainsi l’estime de Don Gaspar (Matteo Roma) et des Seigneurs. Il retourne au monastère, laissant ses vœux et sa nouvelle épouse sombrer dans le désespoir. On assiste aux rites de son ordination. Mais la tragédie romantique est loin d’être achevée car Leonor, mourante vient s’expliquer avec lui. L’amour de Fernand renaît. Bouleversé, il veut s’enfuir avec elle, mais elle lui demande de respecter ses vœux et s’éteint dans ses bras.
Stupéfaction, le rideau s’ouvre sur une sombre salle des coffres, où l’on véhicule des bocaux étranges sur une table roulante. Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley se déploie. Le rituel s’installe devant un triangle lumineux sur la pointe. Le glaive du pouvoir divin et de l’injustice? 2080 est bien pire que 1984 de Georges Orwell. La nature, « cette sève de l’être humain » a disparu. Les vestiges se retrouvent dans des bocaux gardés par le pouvoir suprême, un monastère-laboratoire. Dans ce monde d’éprouvettes, plus de pacte familial, ou social, plus de droit à la pensée ou au discernement. Les femmes aux longues chevelures voilées de blanc, toutes identiques, sont offertes à la contemplation. Futures porteuses de guerriers, elles sont cloîtrées sous globe dans la ruche …de plastique, en l’occurrence. Contrôlées, dépossédées de leur libre-arbitre elles font partie d’un monde fait de splendides paysages lumineux tous artificiels. Le seul arbre de l’œuvre, placé dans un cylindre, agrémente comme un saint-sacrement, la chambre du roi. En 2080 ? La liberté est bien morte, et malgré son caractère trempé le roi plie le genou devant l’autorité religieuse. En forme de leçon de morale glaçante, un très beau ballet met en scène deux femmes-papillons qui, ayant conservé leurs couleurs, et malgré la beauté de leur art, meurent sous les regards assassins. Chorégraphie: Luisa BALDINETTI. Rosetta Cucchi est la metteuse en oeuvre de ce monde minéral désenchanté. Les costumes, - le ou la - plastique des lumières et la scénographie soulignée par des ronces tentaculaires fluorescentes quand on n’est pas dans le monastère-laboratoire, éclatent d’ironie.
Honneur aux femmes. La brûlante mezzo-soprano Sonia Ganassi, incarne dans un portrait sincère de Léonor. Palpitante, humaine, elle s’insurge contre le sérail de ses sœurs qui toutes penchent la tête sous leurs voiles nacrés. Se fait-elle torche incandescente de désespoir au dernier acte, dans ses échanges déchirants avec Fernand ? Donnant beaucoup de tenue aux duos avec Fernand (Celso Albelo) , elle passe des couleurs sombres aux assauts verbaux désespérés et au délire de l’amour avec une incomparable virtuosité. Et son français est bien audible, ce qui est beaucoup moins le cas pour les interprètes masculins de cette production où il faut souvent se référer à la bande déroulante pour en comprendre la diction. Sa compagne, Inès resplendit de fraîcheur, incarnant par la qualité de la voix, la fameuse sève humaine disparue de ce monde minéral. Une voix solaire, une diction parfaite, un rayonnement musical qui s’avère être un réel répit dans ce monde fossilisé malgré tous ses effets de lumières (Fabio Barettin/Sylvain Geerts ).
Les chœurs aussi sont à l’honneur : de véritables rafales de pluie bénéfique bruissante où vibre une humanité chaleureuse restée indépendante de la volonté de la mise en scène. Une production saisissante par sa modernité et surtout pour la superbe prise de rôle d’Ines (Cécile Latschenko), l’exquise compagne de Leonor qui devait en principe trouver Fernand pour lui avouer la vérité sur elle. Interceptée par Don Gaspar (Matteo Roma) elle a été arrêtée par ordre du Roi, pour avoir aidé Léonor dans sa trahison.
Quel monde… d’hommes!
Des clés pour l’opéra, …au cœur de la Forêt de Soignes
Quoi de plus enthousiasmant pour débuter la nouvelle saison de critiques chez Arts et Lettres, que le charmant spectacle une adaptation pour enfants de l’œuvre de Mozart en 60 minutes de bonne humeur et de légèreté, écrite par Sophie van der Stegen, respirant l’exquise musique du compositeur et son rêve des Lumières! La (Petite) Flûte Enchantée est un projet Enoa (European Network of Opera Academies), en coproduction avec l’ Escuela de Musica Reina Sofia, Fondation Calouste-Gulbenkian. La tournée a débuté en Belgique le 26 août à Louvain-la-Neuve (au Kidzic à la ferme du Biéreau), nous l’avons dégustée ce samedi 10 septembre, à La Chapelle Musicale Reine Elisabeth qui affichait complet! Ensuite elle voguera vers d’autres contrées…(Luxembourg, Portugal & Espagne!)
Heather Fairbairn, ludique et mystérieuse, est à la mise en scène. Tout commence avec des enfants munis de coussins et de masques d’oiseaux joliment assemblés avant le spectacle qui se rassemblent autour d’un podium servant d’écrin à un arbre de lumière stylisé, seul représentant d’une forêt imaginaire. Les baies vitrées de la salle de la Chapelle musicale donnent sur les bois. Ainsi, au cours de cet opéra participatif et immersif, les jeunes de l’école maternelle à l’école primaire picoreront en live et pour la première fois pour nombre d’entre eux, les graines de l’éveil musical et amoureux. La flûte enchantée n’est-telle pas une initiation au coup de foudre, à l’amour au premier regard, puis à sa maturation en empruntant la voie étroite?
Quelque part, un escabeau sans prétention et un coffre à malices ou à costumes ont rejoint le mystère de greniers d’antan. A l’autre bout, une pianiste (Julie Delbart /Marie Datcharry) fera frémir des atmosphères : des orages terrifiants, l’autorité du sage, les déclarations d’amour et les improvisations de bonheur qui pétillent dans la musique originale d’Ana Seara! 150 regards émerveillés qui ont fait le pari de l’imaginaire seront comblés, l’énergie du conte et de la musique circule avec naturel. Comme le dit la conclusion du spectacle : « La musique, l’amour, l’amitié et l’imagination, c’est tout l’Opéra. »
Le ténébreux barytonGuillaume Paire incarnait avec voix assurée et entregent solide un Papagéno génial, en costume d’explorateur, ainsi que le mage Sarastro … et la Reine de la Nuit et ses maléfices! D’emblée, il sauve le séduisant prince Tamino (le très romantique ténor - brûlant et enchanteur - Fabien Hyon) du terrifiant serpent de la forêt, grand comme une ablette. Rires. Celui-ci tombera ensuite amoureux du portrait de Pamina, enlevée à sa terrible mère, et séquestrée par Sarastro. Flûte enchantée et carillon magique convoquent la magie… Mais pas que : la magie même du spectacle et la voix des enfants devenus oiseaux des forêts, ouvrent les portes de l’imaginaire! Des épreuves terribles attendent le jeune couple, dont la pire : le silence!
Parents et enfants se retrouvent à rêver devant la vraie fée du spectacle Pamina (Julie Gebhart) : délicate, frissonnante, juvénile, tendre, exquise image de princesse, douée d’une voix extraordinaire au timbre fruité et aux aigus très agréables. C’est la même interprète, Julie Gebhart qui représente la coquine Papagéna. « En musique, aidez-nous à trouver Papagéna ! » lance le maître du jeu musical, en nettement mieux que Dora l’exploratrice! Rassemblés dans la joie de l’écoute et des rires, les gosses de tous âges et leurs parents sont réellement conquis par la découverte !
Chapelle Musicale Reine Elisabeth
445 chaussée de Tervuren, 1410 Waterloo
http://belgium-events.com/event/la-petite-flute-enchantee-family-opera-2
Mind you! If you want to support the project, nominate us for an Opera Award!
- Visit www.operaawards.org/nominate
- In the category 'Education & Outreach', type: Queen Elisabeth Music Chapel's La (petite) Flute Enchantee
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L’élan vers la liberté pour les amoureux du verbe, et plus, si affinités…
Comment trouver une voie/sa voix pour dire 1962 ? Le 30 octobre 1962, Jean Sénac, poète chrétien, socialiste et libertaire algérien rentre en Algérie après huit années d’exil et d’espérance. N’ayant jamais connu son père, lui-même, taxé de « gaouri » (descendant des conquistadors), il trouve le pays en liesse. On célèbre le 1er novembre 1954, date anniversaire du déclenchement de la guerre de décolonisation. Dans ces retrouvailles, tout est bonheur, lumière, promesse : « les rues délirantes », « Alger, joie, enthousiasme, confiance, travail, beauté et fraternité », « beauté du peuple, les gosses, la jeunesse, les regards admirables » (Carnet de 1962).
Né dans les quartiers populaires d'Oran, Jean Sénac sera assassiné à Alger le 30 août 1973 sans que l'affaire ne soit jamais élucidée.
Son recueil Poèmes est publié par Gallimard en 1954, avec un avant-propos de René Char, dans la collection Espoir dirigée par Albert Camus. Il a osé employer l'expression « patrie algérienne ». Après sa rupture avec Albert Camus, il publie en 1961 le recueil Matinale de mon peuple. Contrairement au défenseur de la « trêve civile » et d’un compromis pacifiste, Jean Sénac soutient la cause indépendantiste et la lutte armée (FLN), s’engageant à corps perdu dans une triple quête de reconnaissance : celle du pied-noir qui milite pour l’unification de l’Algérie libre ; celle de l’homosexuel qui défend l’affranchissement des corps ; celle du poète qui contribue à la naissance de la création algérienne contemporaine, que ce soit en littérature ou dans les arts plastiques où il tente de réconcilier l’esprit et la chair, dans l’avènement d’un homme nouveau.
Les mouvements d’extrême droite partisans de l’Algérie française prônent une virilité exclusive. L’érotisation de la poésie des amours particulières sert de métaphore pour le prélude d’une réunification politique non réductrice de la nation qui est tout d’abord se doit d'être plurielle et de se prémunir de toute tentative d’uniformité. Non, l’algérien n’est pas qu’un arabe musulman!
Un seul mot peut déclencher
la tragédie des étoiles
un seul mot peut faire pousser
des amandiers dans le désert…
Le terme « diwân » désigne, en langue arabe un recueil de poésie, et le n— ن —oûn est une lettre femelle au tracé sensuel, placée en exergue de la sourate 68 du Coran, intitulée « Le Calame ». Le graphisme, le Verbe sacré et l’érotisme s’entremêlent dans un « corpoème ». Le poète, au terme d’une véritable expérience mystique, touche le divin dans une étreinte très sensuelle, les corps s’unissant « en une chair spirituelle/ Mais animale tout de même et si belle ! »(« Diwân du Noûn », Œuvres poétiques 1967).
On était parti pour rester …et savourer longuement les enfilades enthousiastes de verbe brûlant du poète algérien, dont on découvre les textes pour la première fois grâce à la patiente orfèvrerie de Daniel LIPNIKet de Mario FABBRI. Las, tout passa si vite! Ces textes n’ont rien d’une piquette poétique ou d’un lourd poison baudelairien, mais tout du vertige et on flirte d'emblée avec l’éphémère et la beauté. Les poèmes bordés de rivages solaires sont profonds, sobres, équilibrés, charnels et même noçatoires! Va pour la licence …poétique !
Impossible de ne pas tomber sous le charme du duo de musicalités si finement apparié! Les cadences verbales du diseur Mario FABBRI alternent avec des textes servis sur orchestration musicale, qui sont divinement sublimés par le pianiste Daniel LIPNIK. Celui-ci a choisi de jouer principalement le répertoire hypnotique des Gnossiennes et Gymnopédies d’Erik Satie. La palette romantique du pianiste met en relief les tableaux imaginaires, les analogies auditives, les accents charnels, les envolées spirituelles et les désespoirs abyssaux. De son côté, le conteur, Marco FABBRI resplendit de charme, d’aisance et de charisme. La voix est belle et les regards intenses. Les postures galbées, bien étudiées et toujours renouvelées, ne semblent surgir que de la spontanéité juvénile autour du piano phare.
« Oh vous frères et sœurs, citoyens de beauté, entrez dans le poème ! » L’éblouissement musical et poétique a bien eu lieu, mais il était hélas, de très courte durée et tellement vite évanoui ! La soirée poétique était en effet bien trop courte au goût des spectateurs médusés. « La beauté sur nos lèvres est un fruit continu…Tout est chant, hormis la mort ! »
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_S%C3%A9nac_(po%C3%A8te)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Alg%C3%A9rie
http://www.laviedesidees.fr/Jean-Senac-l-Algerie-au-corps.html
Le premier MuCH Waterloo Festival, un bouquet de talents virtuoses.(I)
Jolie formule musicale de carpe diem : du 7 au 11 juin à Waterloo, on pouvait assister à pas mois de 38 concerts courts et variés en 5 lieux répartis dans Waterloo et les alentours. Cela se clôturait de manière printanière et festive dans le cadre bucolique et accueillant des jardins d’Argenteuil, à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, par une garden party, devenue maintenant traditionnelle. Le premier MuCH Waterloo Festival, un bouquet de talents virtuoses.
Le premier concert du festival auquel nous avons assisté est le très émouvant Oratorio, The Creation, (Hob. XXI:2) - Die Schöpfung de J.Haydn, donné dans la belle acoustique de L’Eglise Saint-Joseph à Waterloo, le 8 juin dernier. Cette oeuvre lumineuse symbolise l'incarnation de l'immense foi et gratitude de Haydn envers son créateur. En homme profondément religieux, Haydn écrivit : « Je n'ai jamais été aussi dévoué que lorsque je composais La Création. Chaque jour je priais Dieu à genou afin qu'il me donne la force nécessaire pour cette œuvre ». Première oeuvre de type cosmopolite, elle a été écrite dès sa création pour être chantée en trois langues : allemand, anglais, français, anglais. La création française eut lieu le 24 décembre 1800 à Paris. C'est ce jour-là qu'en se rendant à la représentation, Napoléon Bonaparte faillit être victime d'un attentat.
Bart Van Reyn dirige chœurs et orchestre : L’Octopus Choir et Le Concert d’Anvers avec des solistes de tout premier rang: Julia Szproch et Cécile Lastchenko, sopranos, Pawel Konik, baryton, Denzil Delaere, ténor et Bertrand Duby, basse.
Une oeuvre empreinte de mystère et de tendresse : « leise , leise… ». Voilà offerte toute la beauté du monde chantée par le tenor Hugo Hymas (GB) qui remplace Denzil Delaere, souffrant! Trois solistes représentent trois anges qui racontent et commentent les six jours de la création du monde selon la Genèse: Gabriel (soprano), Uriel (tenor) et Raphaël (basse). La nature est une cathédrale qui berce. L’ange Gabriel (Julia Szproch) chante avec puissance juvénile et souples vocalises, les produits nourriciers de la terre et l’innocence de la création. Sa voix charmeuse nantie d'une palette d’une très belle envergure fuse vers les hauteurs. Le chœur fait preuve une diction allemande remarquable et r enchante le public avec « Die Himmel erzählen die Ehre Gottes Und seine Hände Werk zeigt an das Firmament » Cette interprétation donne lieu à un dégagement d’énergie incroyable qui inonde les moindres recoins du lieu. Les étoiles de l’univers dansent avec jubilation. La musique joue au télescope et sonde l’immensité.
La deuxième partie de l'oratorio commence avec la création des oiseaux. L'orchestre se livre aux plaisirs d'une musique imitative. Une véritable nuée de voix s’envole vers le ciel, alors que les violons répondent en écho à chaque appel. Les roucoulades des flûtes soulignent l’innocence du monde, avant que ne s'élève la sombre voix du Seigneur après son impressionnante création des monstres marins: « Seid fruchtbar ... » La basse - Bertrand Duby, - vous donne le frisson ! « Erfreut euch in euren Gott ! » Ce dernier mot semble vibrer indéfiniment.
Le très beau récitatif n° 23 du ténor décrivant la création de l’homme à l’image du Seigneur repose sur l’écrin délicat du clavecin, celui des violoncelles ronronnant de plaisir accompagnés de bois aériens. Dieu lui-même est content ! La plénitude envoûtante du Terzett 25 remet en lumière l’exultation du chœur.
Mais bien sûr c’est le duo très attendu du couple radieux d’Adam et Eve « Holde Gattin, dir zur Seite Der tauende Morgen » qui donne toute la dimension mystique de l'oeuvre, qu’ils remercient le créateur pour la merveille de la création ou qu’ils se disent leur mutuel amour et admiration dans de superbes lignes mélodiques. Cécile Lastchenko, soprano et Pawel Konik, baryton sont absolument extraordinaires. Le public s'en trouve bouleversé. « O glucklich paar ! »
Le choeur semble bondir dans une éternité sublime : « Singt dem Herren alle Stimmen... Des Herren Ruhm, er bleibt in Ewigkeit! Amen! » Ce dernier couplet rassemble sous la baguette fougueuse et créatrice de Bart Van Reyn toutes les énergies terrestres et spirituelles des Amen retentissants, exaltés et parfois acrobatiques. C’est enfin un public transfiguré par l’émotion engendrée par cette apaisante fresque narrative de la création, qui a exprimé sa joie dans un tonnerre prolongé de fervents applaudissements.
http://opera.stanford.edu/iu/libretti/schoepf.htm
http://musicchapel.org/event/much-waterloo-festival-5/
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Le chœur La Psalette de Bruxelles chantait samedi soir avec le BPO, le Brussels Philarmonic Orchestra, dans une très belle prestation à l’église du Collège Saint- Michel don le vrai nom est l’église Saint-Jean-Berchmans ! On aime vraiment retrouver la musique sacrée dans son cadre naturel, un lieu sacré aux belles perspectives avec une belle acoustique, des pierres qui prient, des voûtes, des colonnes, des vitraux brillants de spiritualité. Avec une cinquantaine de membres, cette formation chorale belge fête bientôt ses 60 ans d’anniversaire et pratique un vaste répertoire allant de la Renaissance à … Jacques Brel.
Au programme, le Gloria en ré majeur (RV 589) de Vivaldi, en 11 mouvements qui invitent au recueillement et à la profondeur. Que le temps suspende son vol et que l’assemblée pénètre au cœur de l’essentiel! Le Gloria sera exécuté avec pause entre chaque partie, y compris après le titre.
Cela commence par un ensemble soyeux sous la direction de David Navarro Turres et le Brussels Philarmonic Orchestra, le crescendo envoûtant se déploie sur le pro nobis. Le duo de solistes sopranos s’empare alors de l’ivresse angélique du Laudamus te. C’est très contrasté car la première soliste, Anh Dang qui chante pour la Psalette de Bruxelles incarne l’humilité et l’innocence de la fragilité, tandis que Astrid Defauw, soprane professionnelle, incarne une flamboyance un peu écrasante, il faut le dire. Ainsi, deux aspects opposés de notre humanité s’entrelacent à la louange du Seigneur et le cœur penche vraiment pour la plus vulnérable! Par la suite, on devra attendre un peu longuement l’entrée du Dominus deus, au 5e verset car il semble que les partitions du clavecin se soient subrepticement mélangées ou volatilisées… De notre place entre les premières colonnes, c’est le cœur battant que nous regardions l’instrumentiste désemparée, puis vivement assistée par un collègue, mais l’ensemble de l’assistance, tout comme le chef d’orchestre d’un calme impeccable, ont fait mine de ne rien entendre de ce blanc anormalement prolongé… Puis la musique reprend son vol, célébrons la vie, Alleluia ! Le lieu sacré où se déploie la musique est baigné de grâce et de joie, les violons bien allègres dans le verset 6, la contrebasse intensément présente, pour terminer sur un Vivaldi solaire dans les versets 9 et 10. Seul regret, l'absence de podium pour l'orchestre.
La deuxième partie du concert était une véritable surprise, le Magnificat de John Rutter, un compositeur anglais contemporain de renommée internationale étant à l’affiche. Ce dernier est titulaire du Lambeth Doctorate of Music reçu des mains même de l’archevêque de Canterbury en reconnaissance de sa contribution à la musique sacrée. Et quelle contribution ! cette splendide œuvre de feu et de sacre fut créé au Carnegie Hall de New York par le Manhattan Chamber Orchestra, des chœurs et la soprano Patricia Forbes, le 26 mai 1990, sous la direction du compositeur. Le Magnificat, le cantique de la Vierge Marie, faisait traditionnellement partie de l’antique rite des Vêpres dans l’église romaine médiévale. Après la Réforme, il devait être intégré aux services en soirée des églises luthériennes et anglicanes.
Le voici, rythmé, percutant dès les premières mesures, dépoussiéré, remodelé, mis au goût de la modernité, swing garanti à l’appui. Textes latins et anglais de souche s’interpénètrent, chant grégorien et accents jazzy dialoguent gaiement. Le public jubile. La harpe a un beau rôle, les voix séraphiques - des voix de jeunes garçons anglais, à s’y méprendre - dessinent « Of a rose, a Lovely Rose », un merveilleux poème en l’honneur de la Vierge. Des percussions très actives, dans Quia fecit mihi, la toute-puissance divine incarnée par l’orgue. La merveilleuse soliste mezzo Julie Prayez , planera avec des ténors solistes issus du chœur, dont Daniel Lipnik, dans le Sanctus vibrant, lumineux, aux harmonies voluptueuses. Fecit potentiam est enlevé, les femmes exaltent l’humilité et la douceur dans des sonorités crémeuses. La soliste persévère dans une douceur angélique et vibrante à la fois. Les voix d’hommes et de femmes sont bien cintrées et nettement contrastées. Les bois donnent de la rondeur. Et le Sicut erat in principio donne toute sa place à un chœur triomphant, la soliste continuant de briller dans un merveilleux équilibre sur cordes et harpe, avant l’Alleluia aérien couronné par une flûte en flèche vers le ciel.
La Chypre imaginaire de Shakespeare est une riche possession vénitienne, bastion entre l’Islam et la chrétienté orientale. Priorité à la structure et aux couleurs : les notables festoient sur l’esplanade d’un palais vénitien dans un déluge de tenues d’apparat, dignes de tableaux renaissance de Véronèse : Les noces de Canna (1562)? On ne peut qu’être remplis d’admiration pour ces costumes rutilants faits de tissus et soieries tellement raffinés -“Stuff dreams are made of” - et signés par le fidèle créateur de L’opéra Royal de Wallonie: Fernand Ruiz. Ceux-ci, tous différents, font presque passer au second plan les colonnades antiques du palais où se déroule l’action après la bataille de Lépante…
Cette histoire Shakespearienne encensée par Verdi avait été écrite en 1603-1604 après la publication d’un édit royal de 1601 ordonnant l'expulsion de tous les Noirs d'Angleterre. Otello, le général maure de l’armée Vénitienne est en extase devant sa jeune épouse Desdemona qu’il a épousée contre le consentement de ses parents. Cependant, son conseiller de confiance, Iago, commence à laisser entendre que Desdemona est infidèle. Il veut causer la perte d’Otello et le pousser au crime passionnel. Qui des deux, Otello va-t-il croire : son perfide et envieux compagnon d’armes ou son innocente femme? Avec une exactitude presque mathématique, on assiste au développement du sentiment de jalousie, depuis sa naissance à peine perceptible jusqu’à son fatal paroxysme. Les chœurs toujours dirigés par Pierre Iodice sont somptueux et constituent un renouvellement ininterrompu de tableaux vivants de l’époque Elisabéthaine!
Otello se confond impeccablement avec la ligne ascendante implacable de la jalousie, depuis la confiance extatique au premier acte, jusqu’à l’instant où naît le soupçon infusé avec machiavelisme par Iago, celui où commence la traque de la trahison imaginaire dans une passion qui s’exaspère jusqu’à la folie bestiale. Et puis, devant le constat de son crime et l’innocence certaine de la victime, il se précipite dans l’abîme du désespoir et de l’inutile repentir. Le ténor argentin José Cura, formé par Domingo Placido explore sa partition avec vigueur brûlante et profusion de couleurs. Son «Abbasso le spade!» clamé avec autorité contraste pleinement avec son duo avec Desdemona, qui clôt le premier acte. Il diffuse parfaitement sa perception de la volatilité du bonheur lorsqu’il dit vouloir mourir dans l’extase de l’étreinte de sa compagne. «Già nella notte densa» déborde de tendresse. Les dieux seraient-t-ils jaloux de ce pur bonheur?
Jose Cura © Lorraine Wauters
« Credi in un Dio cruel che m’ha creato simile a sè ! » Je crois à un Dieu cruel qui m’a fait à son image ! Le sulfureux Iago (Pierre-Yves Pruvot), humilié de s’être vu refuser une promotion, a engagé une machination infernale pour détruire celui qu’il s’est mis à haïr avec passion. Il est consumé par l’orgueil, la jalousie, l’envie et le désir de vengeance. Sa duplicité monstrueuse fascinante en fait une figure d’un charisme infernal qui force malgré tout l’admiration du public. Quelle prestation et quelle sonorité ! Le baryton Pierre-Yves Pruvot endosse le costume de l’hypocrisie avec une conviction et un talent vocal et théâtral exceptionnel. Ses moindres inflexions changeantes tantôt caressantes, tantôt menaçantes donnent froid dans le dos tant la fourberie est toxique!
Desdemona est remarquablement intense dans sa naïveté et son aveuglement amoureux, mais aussi d’une lucidité surnaturelle devant l’imminence de sa fin brutale. Cinzia Forte qui s’est illustrée sur la scène de l’Opéra de Wallonie plusieurs fois, ( Rigoletto, Le Nozze di Figaro, Fidelio et La Bohème) possède une voix pleine de fraîcheur de délicatesse et de rondeur. Ses aigus soulignés par la finesse des violons et en suite celle des bois sont super légers ! Son désarroi devant les accusations injustes est immensément touchant. « Atterré, je fixe ton terrible regard, en toi, parle une furie ! » « L’Eternel voit ma foi ! »L’orchestre est en délire et l’accompagne dans son sentiment d’injustice. Otello l’étouffe sur sa poitrine, elle fuit et les cordes soulignent son isolement. Plainte douloureuse, le soleil s’est éteint. On retrouve la hantise de l’antiquité grecque. Dans la fange amère et glacée, elle pleure son âme qui se meurt. Après son Ave Maria, « prega per noi ! » elle quitte le coussin sur lequel elle s’était agenouillée pour s’approcher du lit mortel. L’Amen est illuminé bordé de violons fins comme des cheveux d’ange Son jeu final d’oiseau pour le chat est pleinement attendrissant et semble penser : « Tue-moi mais fais vite !» « As-tu prié » demande Otello ! « Mon pacte est l’amour. » Tout est dit !
S’il visait l’excellence pour sa dernière représentation à L’Opéra de Liège, Paolo Arrivabeni, dont c’est la dernière saison, a atteint pleinement son but. Il confirme sa très fine et profonde connaissance de l’œuvre et son habileté pour traduire tous les sentiments. Il parcourt la triple tragédie dans les moindres détails, avec un sens aigu des variations d’atmosphères et un traitement époustouflant des orages annonciateurs de tempêtes de sentiments dont les humains sont victimes. La pâte sonore luxuriante semble monter comme un immense soufflé de haine, de jalousie et de désarroi d’une rare intensité. De la place où nous étions, nous avions une vue plongeante sur l’orchestre, de quoi pouvoir observer les moindres détails des interventions des instrumentistes. Joie musicale redoublée. Quatre notes de harpe disent la nuit qui descend, l’accompagnement du rire de Iago est fracassant et quand le doute pénètre Otello, les cordes en tremblent ! Le venin de la trahison imaginaire s’infuse dans les bois, la colère d’Otello bouillonne avec un orchestre en folie alors que genou à terre celui-ci fait un pacte avec le Diable! Les cuivres sont sanguinaires : « Comment vais-je la tuer » se demande Otello ! Et la munificence de la cour vénitienne déferle avec les chœurs qui saluent le vainqueur de Chypre. A la fin du 3e acte le chef a donné toute sa force et est épuisé par le paroxysme musical. A la fin du 4e acte, le dernier souffle de vie est expulsé par l’orchestre.
Le jeu de la suivante, Emilia n’est pas moins convainquant « Je suis ta femme, pas ton esclave ! » assène-t-elle à Iago. Alexise Yerna a été entendue sur la même scène dans Manon, Luisa Miller, Rigoletto, Ernani, Il Barbiere di Siviglia, Lucia di Lammermoor, La Traviata et Orphée aux enfers. Les deux femmes sont à la pointe de l’intimité, elles s’entraident avec la ferveur du désespoir. Leur duo tendre souligné par les hautbois est un moment d’émotion intense et lumineuse. C’est elle qui expliquera avec détermination la félonie de son mari à l’ambassadeur de Venise (notre cher Roger Joachim). Et Cassio, le jouet du destin, c’est Gulio Pelligra (dans Nabucco en octobre dernier) qui l’habille d’une très belle humanité.
SAISON : 2016-2017
DIRECTION MUSICALE : Paolo Arrivabeni MISE EN SCÈNE : Stefano Mazzonis di Pralafera CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice ARTISTES : José Cura, Cinzia Forte, Pierre-Yves Pruvot, Giulio Pelligra, Alexise Yerna, Roger Joakim, Papuna Tchuradze, Patrick Delcour, Marc Tissons
NOMBRE DE REPRÉSENTATIONS : 6DATES : Du vendredi, 16/06/2017 au jeudi, 29/06/2017
http://www.operaliege.be/fr/activites/otello
Crédit photos: Lorraine Wauters
Direction musicale : Alain Altinoglu / Samuel Jean (les 30, 31 mai et 2 juin)
Mise en scène : Stathis Livathinos
Aida ou le rêve d’un ailleurs, Radamès ou le rêve du devoir et de l’amour réunis, Ramfis, ou le rêve de la justice divine, Amnéris ou le rêve de la jalousie surmontée, Amonastro ou le rêve du royaume retrouvé, Verdi ou le rêve de l’amour transcendé… Une île au large du désespoir!
Faisant fi de l’esthétique monumentale – disparus : éléphants, pyramides, toute l’Egyptomanie ruisselante de fastes pharaoniques – nous voici sur un vulgaire caillou, récif hostile et déserté par la vie, quelque part en Méditerranée. Un « Paradise lost » pour Aida, la belle esclave éthiopienne au service de la fille du pharaon, Amnéris, par malheur également amoureuse de Radamès le vaillant héros. Aida, partagée entre l’amour et les devoirs qu’elle doit à son père, ennemi du pharaon et son amour pour le vaillant Radamès. Radamès, partagé entre son amour inaltérable pour Aida et son amour et devoirs pour la patrie.
Mais il ne s’agit pas de simples rivalités amoureuses ou de fresque pseudo-historique, la mise en scène de Stathis Livathinos (dont c’est la première mise en scène d’opéra), est digne d’une tragédie grecque. Importent au premier chef, l’intemporalité et la lutte existentielle perdue d’avance entre les trois tenants du triangle amoureux que le Destin se charge d'écraser. La souffrance humaine est au centre, le couple est maudit. Radamès emmuré dans la tombe, n’est-il pas l’incarnation masculine d’une Antigone injustement privée de cette lumière qu’elle adorait plus que tout? « La pierre fatale s’est refermée sur moi, Voici ma tombe, je ne reverrai plus la lumière du jour… »
Nous sommes déjà dès le début avec un pied dans la tombe, la machine infernale, telle le pendulum d’Edgar Poe est prête à faire son œuvre. Vents, rafales, nuées hostiles étranglent le décor dès l’ouverture du rideau. Le ciel est comme un couvercle… mais l’imaginaire a gagné ! L’œuvre se recentre sur la musique, et quelle musique! Un concert de sentiments à vif et d’introspection, d’atmosphères orientales et de désirs intenses dirigé tout en finesse par Alain Altinoglu. Le lyrisme orchestral est omniprésent. Le rêve de gloire de Radamès exulte dans la richesse des sonorités des cuivres et trompettes. La harpe et la douceur irisée des bois et des cordes souligne les moments de tendresse, lorsque par exemple Aida endormie dans le rocher fait une apparition divine, « Céleste Aida ». L’impitoyable duo d’Aida et d’Amnéris à qui elle a involontairement avoué son amour pour Radamès, est trempé de larmes musicales. Le trio « Mes larmes sont celles d’un amour impossible » chanté par les trois infortunés se termine par des accords déchirants. Les évocations de drame intime diffusent des vibrations profondes et sincères au sein d’une très grande variété d’expressions. A chaque étape, un silence lourd comme un tomber de rideau étreint l’assistance totalement prise par l’émotion, avant que la tragédie ne poursuive son cours inexorable. Dans cette chanson de geste tragique, chaque nouveau rebondissement ajoute une recrudescence de désolation répercutée par l'orchestre. Alain Altinoglu relance inlassablement l’intérêt et joue à merveille tous les registres, de l’intime au spectaculaire: les cris de vengeance et de puissance, les fanfares guerrières, les terribles déclarations de guerre, les implorations sacrées des prêtresses, les jugements iniques des grands prêtres, les foules aveugles en liesse, les plaintes des esclaves et des prisonniers, les éléments en furie et le silence du ciel! Sa musique est enveloppante comme le chœur d'une tragédie grecque!
On ne pouvait pas élire meilleure interprète du rôle d’Aida que la sublime Adina Aaron, jeune soprano lyrique américaine, bien connue dans le rôle d’Aïda depuis sa prestation à Busseto (Italie) pour la commémoration du centenaire de la mort de Verdi en 2001, dans la mise en scène de Franco Zeffirelli. Une voix extraordinaire qui dispose d'une maîtrise technique parfaite. Les affres éprouvées dans son rôle d’esclave alors qu’elle est fille de roi, sont pleinement convaincantes. Elle joue sans fards, avec une émotion, une intelligence et une sincérité remarquables. « Dois-je oublier l’amour qui a illuminé mon esclavage? Puis-je souhaiter la mort de Radamès, moi qui l’aime plus que tout ? » Est-ce son espoir éperdu de fuite avec Radamès évoquant le sort des milliers de réfugiés qui parcourent la Méditerranée aujourd’hui, qui nous émeut jusqu’aux larmes? Dans l’« air du Nil », la jeune esclave exprime toute la nostalgie et son attachement au pays natal. Comment ne pas voir à travers cette prestation que l’espoir intime des milliers de réfugiés est justement d’oublier les persécutions, la guerre. « Fuyons les chaleurs inhospitalières de ces terres nues, une nouvelle patrie s’ouvre à notre amour ! Là nous oublierons le monde dans un bonheur divin… » Sa prestation vocale charnelle et généreuse rejoint la plainte d’une Antigone, victime expiatoire de la superbe et de l’intransigeance des puissants. Le duo final du couple dans la tombe les mène d’ailleurs au bonheur divin : « Déjà je vois le ciel s’ouvrir - et il s’ouvre vraiment scéniquement - là cessent tous les tourments, là commence l’extase d’un amour immortel! » Ce duo rappelle les premières notes impalpables du prélude de l’œuvre. De crépusculaire, celui-ci devient lumineux.
Enrico Iori (Il Re) ; Mika Kares (Ramfis) © Forster
Dans les rôles masculins il y a a le ténor, Andrea Carè, au début, héros assez conventionnel, mais qui se développe en un personnage de plus en plus dramatique et convainquant. On retient cette image inoubliable où, laissés seuls à la fin de l'acte II, il lâche avec dégoût et de manière définitive la main d’Amnéris. Le héros déshonoré aura trahi pour Aida et sa patrie et son honneur... Il se taira devant ses juges. Mais il ne trahira pas l’amour! Quelle posture magnifique! La basse qui interprète le chef des prêtres (dans un magnifique costume) c'est un excellent Giacomo Prestia et le baryton Dimitris Tiliakos qui incarne le père d'Aida, est un Amonasro d'une ascendance tout à fait impressionnante.
© Forster
A l’opposé de tant de finesse et de nuances chez Aida, il y a évidemment la méchante, interprétée le jour de la première par Nora Gubisch. La grotesque Amnéris a transformé son amour inassouvi en colère abyssale. Elle est aveuglée par la colère – une grande faute de goût chez les Grecs. Elle ne se rend compte qu’à la fin, que c’est sa jalousie pure qui a causé la perte de tout le monde et que la clémence aurait été préférable. Contrairement à Aida, son jeu scénique n’est pas très développé, elle brutalise son esclave, s’arrache les cheveux et lacère se vêtements… On constate que ses interventions collent au caractère glauque qu’elle incarne, et sa perruque, si perruque il y a, parodie la coiffure de la très puissante Reine Elisabeth I, aux pieds de laquelle se prosternaient des dizaines d’amants éconduits… Mais Verdi lui accorde une rédemption puisque Amnéris, la voix étouffé par les pleurs et se prosternant sur la dalle de la tombe implore enfin la paix au tout-Puissant Ptah!
Et qu’est-ce que les mouvements de masse nous donnent-ils à voir ? Encore le désespoir des déplacés et le cri de l’injustice. Les hommes transformés en chiens et en faucons. Une outrecuidante soldatesque qui appelle à la guerre et des éclopés de guerre agités de mouvements frénétiques. Le mystère d’Isis dissimulé derrière le voile brodé du temple qui cache le saint des saints. La superbe des nantis qui exploitent la valetaille. La foule couleur sable, qui s’enivre de plaisirs ou de mortelles sentences. Cheveux cachés ou poudrés, leur cœur bat au bruit des drapeaux qui claquent tels des nuées d’oiseaux d’Hitchcok, ils symbolisent un peuple muselé, ignare sans doute, manipulé et sans voix… Une sacrée performance pour un chœur! Il est parfois proche, parfois lointain, comme dans le magnifique hymne à Ptah, où leurs harmonies et leur dialogue avec l'orchestre sont sublimes! Que de tableaux de vaine poussière, face à l’héroïsme vivant du couple que l’amour rend éternel!
Distribution :
Aida ADINA AARON
MONICA ZANETTIN (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Radamès ANDREA CARÈ
GASTON RIVERO* (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Amneris NORA GUBISCH
KSENIA DUDNIKOVA (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Amonasro DIMITRIS TILIAKOS
GIOVANNI MEONI (17, 20, 26, 31/5 & 4/6)
Ramfis GIACOMO PRESTIA
MIKA KARES (17, 20, 23, 26, 31/5 & 4/6)
Il Re ENRICO IORI
Una sacerdotessa TAMARA BANJESEVIC
Un messaggero JULIAN HUBBARD
https://www.lamonnaie.be/fr/program/219-aida
http://concert.arte.tv/fr/aida-de-verdi-au-theatre-de-la-monnaie
http://opera.stanford.edu/Verdi/Aida/libretto_f.html
interviews/ extraits:
http://www.bruzz.be/nl/video/de-munt-speelt-aida-voor-het-laatst-op-thurn-taxis
Monica Zanettin (Aida) © Forster
Monica Zanettin (Aida) ; Ksenia Dudnikova (Amneris) © Forster
Stabat Mater, opus 58 Antonín Dvořák (1841-1904) œuvre pour soli, chœur et orchestre
Cécile Lastchenko- soprano
Pauline Claes - mezzo
Sébastien Romignon-Ercolini - tenor
Kris Belligh - Bariton
Namur Chamber Orchestra
Direction:Ayrton Desimpelaere
Grand concert de la Régionale A Cœur Joie de Bruxelles sous la direction d' Ayrton Desimpelaere, au profit de l’ASBL « Camp de Partage »
Le jeune chef belge Ayrton Desimpelaere (né en 1990) fait partie d’une génération montante d’artistes qui se retrouve comme par enchantement dans les salles les plus prestigieuses. Le jeune maestro talentueux a eu l’occasion de diriger la demi-finale du Concours Tchaïkovski à Moscou en 2015 devant un jury prestigieux présidé par Valery Gergiev et retransmis sur Medici.tv. Au cours de la saison 2016-2017 il a dirigé la Flûte Enchantée en version à vocation pédagogique, à L’Opéra Royal de Wallonie où il a eu l’occasion bénie de pouvoir côtoyer tout au cours de l’année, d’immenses personnalités du monde musical, grâce à son assistanat dans la direction d’orchestre. Depuis 2015, il assure la direction du chœur de la régionale A Cœur Joie de Bruxelles composée de 180 choristes et depuis 2014 il dirige un répertoire d’œuvres sacrées lors des stages de Chant choral à Loos (France) qui rassemble chaque année une centaine de choristes. Cette année l’œuvre sacrée choisie est La petite messe solennelle de Rossini. Dernièrement, il a également dirigé lors du Singing Brussels Celebration Weekend à Bozar, 660 élèves issus d’une vingtaine d’écoles primaires bruxelloises interprétant l’œuvre musicale originale imaginée pour le projet Cantania par le compositeur belge Jean-Philippe Collard-Neven.
Pour ce prodigieux Stabat Mater, Le NCO (Namur Chamber Orchestra), une formation de 12 jeunes musiciens issus des Conservatoires royaux belges et qui s’est produite dans de nombreux festivals belges ainsi qu’en France, s’est augmenté de musiciens professionnels supplémentaires pour former un orchestre symphonique sous la baguette de leur chef Ayrton Desimpelaere qui dirige également l’immense cohorte musicale des choristes de la formation A Coeur Joie. Les bénéfices du concert iront généreusement au profit de l’ASBL «Camp de Partage». Quatre solistes éblouissants complètent le tableau : La soprano Cécile Lastchenko (°1989), La mezzo-soprano Pauline Claes, le ténor Sébastien Romignon Ercolini et la basse Kris Belligh.
La version initiale pour quatre solistes, chœur et piano a été composée par Dvořák après la mort de sa fille Josefa en 1875. Il a ensuite mis le travail à l'écart sans l'orchestrer. Peu de temps après, il a perdu deux autres enfants en 1877. À ce stade, il est retourné au manuscrit qu'il avait abandonné l'année précédente pour composer l’œuvre orchestrale.
Le texte latin du Stabat Mater date du milieu du XIIIe siècle, mais les sentiments évoqués dans ce poème ont une valeur intemporelle. Le moine franciscain qui l’a écrit et dont l’identité n’est pas certifiée, a trouvé son inspiration religieuse dans la souffrance de Marie au pied de son Fils cloué sur la croix. Ce texte ainsi que le traitement musical que Dvořák a composé nous touche profondément et exprime l’universalité notre compassion avec la souffrance de l'homme.
Le concert s’est donné dans la salle Henry le Bœuf du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles le 10 juin 2017. Ayron Desimpelaere a su équilibrer les différentes interventions, chœur, orchestre et soli. De terrestre, - ce que pense le jeune chef de la version qu'il a livrée - son interprétation apparaît à certains moments purement cosmique et reflète une force bouillonnante de synergies qui fusent dans la fresque chorale monumentale. Le chœur très nombreux d’amateurs ne déçoit pas - rien d’approximatif ou d’hésitant - il est très à la hauteur. Il est juste sans doute regrettable que le concert n’ait probablement pas été enregistré.
Le jeune chef a su insuffler à son orchestre une belle dynamique empreinte de tension dès le prélude où le crescendo lugubre aboutit rapidement dans un paroxysme apocalyptique pour être ensuite adouci par des bois aux sonorités très pures. Les constructions successives sont monumentales. Le Quis est Homo est magnifiquement débuté par Pauline Claes et rallié avec émotion profonde par le tenor Sébastien Romignon-Ercolini pour aboutir avec souplesse dans un quartet bien balancé. La désolation est absolue dans la voix de basse de Kris Belligh. Difficile de ne pas être frappé par la tristesse. Le public peut dès lors accompagner mesure après mesure le Eia Mater Fons Amoris qui diffuse tout au long du chemin de douleurs, douceur et cris de colère à travers des vagues de pleurs océaniques… Fac Ut Ardeat Cor Meum est magnifiquement conclu par Kris Belligh. La salle entière accompagne les souffrances du Crucifié, les yeux fixés sur les mains du maestro qui sculpte la douleur.
Le chœur peut alors se lâcher dans la puissance de la tendresse, un sorte de berceuse cosmique: Tui Nati vulnerari dont la deuxième partie résonne comme une marche triomphale, cuivres et percussions à l’appui, vents pleins d’espérance. C’est ensuite le tour du ténor Sébastien Romignon-Ercolini aux accents très romantiques méditerranéens qui dans le Fac me vere tecum flere, arrache des larmes par sa juste et belle entente avec le choeur. La salle est définitivement conquise et attend avec impatience son duo avec l’exquise tendresse de Cécile Lastchenko : Fac ut portem Christi mortem… Le timbre est chaleureux, la voix est souple et les aigus bien ronds sont assurés.
Le quartette et le chœur et l’orchestre concluront dans une puissance resplendissante magnifiquement édifiée par Ayrton Desimpelaere où se combinent, implorations respectueuses, enracinement de la force de la foi, silence, et confiance joyeuse dans la danse des anges et le triomphe absolu de l’amour. Les voix a capella des hommes et des femmes, puis l’orchestre seul et les derniers Amen s’évanouissent avant l’A Dieu final. Les applaudissements de bonheur éclatent de toutes parts.
Sachez finalement que le maestro, après avoir pris le micro pour des émouvants remerciements pour la collaboration généreuse de tous ses partenaires et de toutes les personnes qui ont soutenu ce fabuleux projet, offre en bis ce que son cœur lui dicte et ce que le public attend secrètement: Eia Mater Fons Amoris.
http://www.bozar.be/fr/activities/125430-stabat-mater-de-antonin-dvorak
https://www.rtbf.be/musiq3/actualite/musique/detail_la-matinale-invite-du-15-06-ayrton-desimpelaere?
Didon et Enée, une production poétique, stupéfiante de grâce et de beauté dont on ressort émerveillés, et si reconnaissants…
Avant le début de la représentation de Didon et Enée, on écoutera à rideau fermé, la Suite d’Abdelazer or the Moor’s revenge d’Henry Purcell (1695), pièce orchestrale en 9 mouvements, question de se familiariser l'oreille aux instruments anciens et à une musique baroque rarement jouée dans ce temple de l'opéra italien...
Didon et Enée
C’est une romance apocalyptique, mais quelle savoureuse féerie baroque! Voici la Méditerranée, la grande bleue de notre tendre enfance, pavée d’enfer et lieu absolu du chaos des destinée! Imaginaire anglais : les flots d’azur renferment d’affreuses sorcières ricanantes et des esprits maléfiques dont le but unique est de répandre le mal.
Image clé de cette nouvelle production de l’Opéra de Liège, il faut pour le lecteur, se situer face à un rivage désert de mer du sud au crépuscule, devant des vagues qui déferlent voluptueusement au balancement de la musique. Mais en même temps, on se croit plus au nord, côté Manche, avec les noirs Idle Rocks des Cornouailles qui évoquent la ville de Carthage, ville nouvellement créée par des réfugiés de Tyr. Comme dans les féeries de Shakespeare, voici un libre cocktail élisabéthain d’époques et de lieux, fait pour enchanter l’imaginaire. Le public sera pris d’un bout à l’autre du récit par la virtuosité exceptionnelle de la mise en scène et des chorégraphies qui évoquent le monde sous-marin et ses monstres, les métaphores du Mal. Les douces ondulations des flots bleus peuvent se transformer en terribles tempêtes, bruitage Purcellien à l’appui ! Cet unique opéra d'Henry Purcell, dont aucune partition originale n’a été conservée, a été composé pour les jeunes filles d’un pensionnat aristocratique, sur un livret de Nahum Tate, d'après le livre IV de l'Énéide. Il est fait d’un prologue et de trois actes.
D'après l'Enéide de Virgile, la vaillante veuve Elissa originaire de Tyr, qui porte le nom latin de Didon, reine de Carthage, accueillit Enée et en tomba amoureuse. Au cours d'une partie de chasse alors qu'un violent orage les a réunis dans une grotte, ils deviennent amants. Mais Virgile veut donner des origines mythiques à Rome et faire du héros troyen et de son fils Ascagne, les fondateurs de la ville. Virgile se sert des dieux pour empêcher l’union de Didon et Enée. Poussé par ceux-ci, Enée décide de répondre à son destin et reprendre la mer pour fonder la nouvelle Troie. La magicienne et ses sorcières se réjouissent de la détresse de la reine car pour elles, seul importe que Didon soit privée de gloire, d’amour et de paix. Didon ordonne de construire un bûcher afin qu’Enée voie de son navire qu’elle s’est suicidée. Elle se poignarde de dépit, ayant renvoyé Enée (le bariton Benoit Arnould) alors que celui-ci était finalement prêt à braver les dieux et à leur désobéir pour elle.
Recitatif
Thy hand, Belinda, darkness shades me,
On thy bosom let me rest,
More I would, but Death invades me;
Death is now a welcome guest.Aria
When I am laid, am laid in earth, May my wrongs create
No trouble, no trouble in thy breast ;
Remember me, remember me, but ah! Forget my fate.
Remember me, but ah! Forget my fate.
Roberta Invernizzi joue ici une Didon parfaitement tragique et émouvante. Son lamento final quelle adresse à sa sœur Belinda (Katherine Crompton) est inoubliable pour les yeux, comme pour les oreilles et a contraint le public à un silence absolu tant la conjonction de l’orchestre et des chœurs semblant rendre les derniers soupirs, la chorégraphie de son ensevelissement maritime et le chant de la soliste qui n’en finit pas de mourir d’amour, avaient atteint des sommets de beauté.
Ne jouant pas vraiment de rôle actif dans l’histoire mais plutôt un rôle de commentateur comme dans la tragédie grecque, Le Choeur de Chambre de Namur est debout dans la fosse avec l’ensemble orchestral Les Agrémens. Musiciens et choristes sont tous debout pendant la prestation, pour mieux projeter l’énergie musicale de chaque artiste, nous confie, Guy Van Waas le chef d’orchestre, qui de son côté, accomplira un vivant travail de joaillerie dans l’interprétation de ce chef d’œuvre de musique baroque, balançant adroitement entre humour et larmes, et serrant au plus près l’esprit de la musique baroque, y compris dans les postures. Le fait que toute la production de l’Opéra de Liège est en ce moment à Oman avec « Les Pêcheurs de perles », laissait en effet le champ libre pour accueillir pour une fois un spectacle de musique baroque. Quelle magnifique occasion de pouvoir écouter Guy Van Waas et Les Agrémens jouant sur instruments d’époque : violons I et violons II, altos, violoncelle, viole de gambe et un théorbe. Guy Van Waas, lui-même au clavecin, dirige chœurs et orchestre! On ne peut que saluer leur travail musical exemplaire avec les chœurs de Namur, qui, pendant un long moment semblent s’être carrément dédoublés en deux chœurs distincts, l’un proche et l’autre distant et pourtant les mêmes!
Très parlante et mystérieuse surtout, cette mise en scène inventive sur fond de Bleu Chagall de Cécile Roussat et Julien Lubek. Elle est à la fois aquatique et aérienne, utilisant des costumes symboliques féeriques comme pour les deux sorcières-ondines Jenny Daviet et Caroline Meng, des antres et des rochers qui rappellent la caverne de Polyphème, des acrobates musicaux qui flottent en rythme dans les airs, un coquillage alla Botticelli où naît l’amour, des marins qui se transforment en monstres et cette ahurissante sorcière-poulpe (Carlo Allemano), mi-homme mi-femme qu’Homère aurait bien ajoutée dans son Odyssée…!
De peur de casser la bulle réunissant tant d’imaginaires, il y eut, au tomber du rideau, un grand silence avant le tonnerre d’applaudissements et les salves de bravi!
Du mardi, 09/05/2017 au dimanche, 14/05/2017
http://www.operaliege.be/fr/activites/dido-and-aeneas
crédit photos: © Lorraine Wauters – Opéra Royal de Wallonie
Hommage à Philippe Herreweghe
02.05.2017 — 20:00
La Grande Salle Henry Le Bœuf accueille la célébration
des 70 ans de Philippe Herreweghe,
une toute grande figure de notre scène musicale belge.
Le Collegium Vocale Gent, l’Anvers Symphony Orchestra, Bozar,
deSingel AMUZ et Outhere Musique:
avec qui ce prince de la musique a toujours eu une relation étroite et privilégiéeont uni leurs talents pour mettre sur pied ce soir, en son honneur,
un festival d'un soir, plein d’humour et de poésie...
Les artistes :
Christoph Prégardien direction & chant
Collegium Vocale Gent choeur
Patricia Kopatchinskaja violon
Steven Isserlis violoncelle
Marie-Elisabeth Hecker violoncelle
Andreas Brantelid violoncelle
Damien Guffroy contrebasse
Martin Helmchen piano
Edding Quartet
Christoph Schnackertz piano
Le programme
Bartok (1881-1945) Sonate pour violon seul Sz. 117, BB 124, ∙ extrait (1944)
Schumann (1810-1856) Fantasiestücke, op. 73
Ravel (1875-1937) Sonate pour violon et violoncelle, ∙ extrait (1922)
Schubert (1797-1828) Lieder ∙ sur des poèmes de Johann Wolfgang Goethe Schubert Quintette à cordes, en ut majeur, D. 956, ∙ extrait (1828)
Dvořák (1841-1904) Ze Šumavy, op. 68
Schubert An die Sonne D 439 ∙ sur un poème de Johann Peter Uz (1816)
Mendelssohn-Bartholdy(1809-1847) Psalm 'Warum toben die Heiden'
Schubert Die Geselligkeit 'Lebenslust'
Ce sont tous de jeunes instrumentistes, chanteurs et chef d’orchestre qui sont là pour rendre à Philippe Herreweghe un hommage musical particulièrement vivant et chaleureux. En effet, la violoniste Patricia Kopatchinskaja et le pianiste Martin Helmchen ont tous deux signé des enregistrements à ses côtés. La jeune violoncelliste au toucher délicat, Marie-Elisabeth Hecker, s’est également illustrée sous sa baguette, de même que le contrebassiste Damien Guffroy, membre de l’Orchestre des Champs Elysées. Steven Isserlis, violoncelliste proche du Gantois, partage avec ce dernier une véritable passion pour Schumann. L’Edding Quartet a enregistré deux albums pour le label Phi ; il se joint à Andreas Brantelid dans le très touchant Quintette de Schubert, pièce maîtresse de ce concert, très émouvante dans ses timbres et ses couleurs. Merveilleuse institution de Herreweghe, le Collegium Vocale Gent est aussi présent et se place pour chanter, en cette occasion si particulière, sous la direction de Christoph Prégardien, avec Christoph Schnackertz au piano une partition surprise. Il s’agit du Happy Birthday pour piano, cordes et voix d’Arnold Bretagne (1976) un ensemble humoristique de variations sur le thème bien connu. La salle entière ne se fera pas prier pour participer et ensuite acclamer Philippe Herreweghe qui n’a pas pu résister à sauter sur scène pour remercier l’assemblée, égrenant en quatre langues quelques historiettes savoureuses sur le temps qui passe sans rider l’âme ni le coeur…
En 1970 Philippe Herreweghe, encore étudiant, fondait le chœur du Collegium Vocale Gent. Ce fut le début d'un itinéraire fascinant pour le chef et son ensemble acquérant une renommée mondiale et exerçaient une de nouvelles approches par leurs interprétations de Bach. Herreweghe a fondé ensuite d'autres ensembles, tels que la Chapelle Royale de Paris (1977) et l'Orchestre des Champs-Élysées (1992). Il est aussi la cheville ouvrière de divers festivals de musique, comme celui de Saintes en France et le Collegium Vocale Crete Senesi en Italie. Depuis 1997, Philippe Herreweghe a joué un rôle actif à l’Antwerp Symphony Orchestra en tant que chef d'orchestre invité principal. Herreweghe est maintenant considéré comme l'un des plus grands chefs de sa génération. Il a maintes fois été convié comme Chef d'orchestre invité à l’étranger pour des formations prestigieuses telles que le Concertgebouw d'Amsterdam, l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig ou même l'Orchestre de chambre Mahler.
Un très beau livre-programme a été édité à l’occasion des 70 ans de l’artiste.
Et les fans du compositeur et chef d’orchestre, se hâteront de se procurer le tout nouveau coffret de 5 CD label φ
(PHI) qui revient sur la magnifique carrière du gantois. La compilation de 5 CD est constituée d’extraits des plus
grands compositeurs tels que Lassus, Schein, Bach, Beethoven, Mahler, Dvořak ou Stravinsky. Philippe Herreweghe
y livre ses réflexions musicales et personnelles à travers une série d’entretiens réalisés par Camille De Rijck,
regroupés dans le livre-CD. Une iconographie d’archives à découvrir pour le plaisir des yeux et une biographie
réactualisée. En effet, au fil des ans Philippe Herreweghe a construit une importante discographie de plus de 100
enregistrements commencée en 2010 avec son propre label φ (PHI) pour préserver toute sa liberté artistique
au travers d’un catalogue riche et varié.
BOZAR LITTERATURE a demandé à quelques poètes d'écrire un poème portant sur Bach pour la publication "Thirteen Ways of Looking at J.S. Bach".
http://www.bozar.be/fr/activities/108706-bach-heritage-festival
Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, grande salle Henry Le Bœuf, une oeuvre a publiée par Beethoven seulement deux ans avant sa mort. Dans un chœur à cœurs fabuleux, l'édifice puissant de la Missa Solemnis opus 123 de Beethoven nous a été présenté dans un exécution sans failles par la Brussels Choral Society (BCS), un ensemble international fondé en 1979, qui compte une centaine de membres représentant plus de 20 nationalités différentes…La paix et la lumière par l'exercice de la Musique.
Un festival de sonorités de timbres et de couleurs chaleureuses, des qualités vocales sublimes. A cette occasion, le chœur était élargi par la présence de la Guilford Choral Society. L’Ensemble orchestral de Bruxelles était sous la direction d’Eric Delson, directeur musical de la Brussels Choral Society depuis plus de 25 ans. Il est également actuellement le directeur passionné du Performing Art Department de L’ISB, International School Brussels.
Les solistes, tous sans faiblesses, donneront une admirable prestation en union parfaite avec le chœur et l’orchestre, chantant avec urgence et conviction une messe porteuse d’espoir, qui incarne le dépassement humain et la soif de liberté. Il s’agit de la Soprano Agnieszka Slawinska, la chaleureuse Mezzo-Soprano Inez Carsauw, le Ténor Markus Brutscher et la Basse-baryton, Norman D. Patzke.
Eric Delson a conféré une magnifique cohérence globale à l’ensemble, évitant tout bombardement musical, mettant en valeur les quatre glorieux solistes, tout de suite en action sur un tapis de murmures respectueux dans le Kyrie, ample et mesuré. Dans le Christe Eleison on reçoit quatre voix passionnées, en croix spectaculaire, soutenue par l’or des cuivres. Le final sera d’une urgence déchirante. Quand les solistes se rassoient, c’est le chœur qui achève les dernières vagues de supplications de l’humanité en détresse.
Le Gloria sort-il du Livre de l’Apocalypse ? Les partitions semblent prendre feu, le rouge vermillon flamboie dans les voix et sur les tubes de l’orgue. Les solistes font toujours le poids avec un chœur enflammé dans le Qui tollis peccata mundi. L’orchestre ramène le calme. Le Quoniam par le chœur seul est palpitant, la conclusion chorale est vigoureuse.
Il y a beaucoup à admirer dans l'échelle et l'ampleur des idées. Le Credo est envoûtant et presque caressant, les quatre solistes se lèvent sur l’Incarnatus est… Un tracé délicat des bois se tisse autour du quatuor solo, puis de toutes parts résonne le Cruxifixus est, comme la répétition éternelle du drame absolu. Les crescendos et diminuendos sont saisissants pour qu’enfin exulte le Et ascendit porté par les cuivres étincelants. Le Cujus regni non erit finis erre sur des cercles de bonheur. Les voix sont des fusées d’émerveillement qui coupent le souffle de l'assistance. Les notes piquées envahissent les innombrables Amen. Les violons aux archets acérés sont tout aussi haletants jusqu’à ce que, seuls les quatre solistes émergent, tels quatre évangélistes au diapason. Ils incarnent une ascension vers la lumière divine appuyée par la flûte. Les derniers A-men sont de véritables coups de canons mais c’est la voix radieuse d’Agnieszka Slawinska qui semble conclure toute seule.
L'ouverture orchestrale du Sanctus commence avec les textures transparentes et vitreuses des cordes sans vibrato, puis le quatuor solo dessine délicatement l’esprit saint et le choeur attend religieusement. Après l’explosion des trombones, c’est l’explosion des chœurs : des nuées de voix ailées. Elles se posent sur le silence et l’orchestre dispense un velours panoramique sur tapis de cordes plaintives, les affres du doute… Un touchant solo du violon et flûte emmène l’assistance jusqu’aux douceurs du Benedictus. Le Saint-Esprit descendu sur terre?
Et en plein cœur de L’Agnus Dei qui débute comme un chant funéraire, il y aura cette blessure immonde et soudaine des résonances de la terreur de la guerre avec trompettes et tambours allegro assai, projecteur sur la misère de notre monde…! Dona nobis pacem ! L’orchestre insiste pour réverbérer l'urgence universelle avant le retour dramatique des voix dans un paroxysme de supplications. Pacem x3 x3 x3... la joie a repris le dessus. Une messe est une oeuvre d'élévation, que les timbales de la guerre se taisent! Mais le plaidoyer dramatique et plein de colère contre la guerre n'est passé nullement inaperçu et le vœu grandiose de Beethoven est un pacte avec la liberté.
...Nous aurons ces grands États-Unis d’Europe, qui couronneront le vieux monde comme les États-Unis d’Amérique couronnent le nouveau. Nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l’éducation sans l’abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l’échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l’enfer, l’amour sans la haine. L’effroyable ligature de la civilisation sera défaite ; l’isthme affreux qui sépare ces deux mers, Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix.
Victor Hugo,20 septembre 1872
Stabat Mater dolorosa,
La mère douloureuse se tenait debout
juxta crucem lacrimosa,
Au pied de la croix en larmes.
dum pendebat filius
Tandis qu’on y suspendait son Fils.
Cujus animan gementem,
Dont l’âme gémissante
contristatam ac dolentem,
désolée et dolente
per transivit gladius
fut transpercée par le glaive
O quam tristis et afflicta,
O Combien triste et déchirée
fuit illa benedicta
fut cette âme bénie
Mater Unigeniti
de la Mère du Fils unique
Quae mœrebat et dolebat,
Elle gémissait se désolait
et tremebat dum videbat
et tremblait à la vue
nati pœnas incliti
des angoisses de son Fils divin
Quis est homo qui non fleret,
Quel homme n’aurait pleuré
Christi Matrem si videret,
en voyant la Mère du Christ
in tanto supplicio
subissant un tel supplice.
Quis non posset contristari
Qui aurait pu sans être consterné
Christi Matrem contemplari
contempler la Mère du Christ
dolentem cum Filio ?
gémissant avec son Fils ?
Pro peccatis suæ gentis,
Pour les péchés de la race humaine
vidit Jesum in tormentis
elle vit Jésus dans les tourments
et flagellis subditum
subissant la flagellation
Vidit suum dulcem natum
Elle vit son doux enfant
Morientem desolatum
dans la désolation
dum emisit spiritum
à l’heure où il rendit l’esprit
Eia mater, fons amoris,
Mère source d’amour,
me sentire vim doloris
fais que je partage ta douleur
Fac ut tecum lugeam
et tes pleurs
Fac ut ardeat cormeum,
Fais que mon cœur s’enflamme
in amando Christum Deum
pour l’amour du Christ-Dieu
Ut sibi complaceam
afin que je lui complaise
Sancta Mater, istud agas,
Sainte Mère, fais aussi
Crucifix fue plagas,
que mon cœur s’unisse
cordi meo valide
aux souffrances du Crucifié
Tui nati vulnerari,
A ton enfant meurtri
Tam dignati pro me pati,
que je suis digne de m’unir
Poenas mecum divude
afin qu’il partage avec moi ses peines
Fac me vere tecum flere
Permets qu’avec toi je pleure
Crucifixo condolere
pour souffrir avec le Crucifié
Donec ego vixero
et cela tant que je vivrai.
Juxta crucem tecum stare
Permets qu’au pied de la Croix près de toi
te libenter sociare
je m’associe à toi
in planctu desidero
au plus fort de ta douleur.
Virgo virginum prœclara
Vierge entre toutes choisie
mihi jam non sis amara
qu’à moi jamais douleur aussi amère
Quis non posset contristari
ne me soient infligée près de toi.
Fac ut partem Christi mortem
Fais que je porte en moi la mort du Christ
passionis fac consortem
qu’associé à sa passion
et plagas recolere
je revive ses souffrances
Fac me plagis vulnerari
Fais que blessé de ses blessures
Cruce hac inebriari
je sois enivré de sa croix
Et cruore Filii
et du sang versé par ton Fils
Inflammatus et accensus
Pour que je ne brûle point des flammes éternelles
Per te,Virgo, sim defensus
ô vierge protégé,
in die judicii par toi,
je sois au jour du jugement
Fac me cruce custodiri
Christ lorsqu’il me faudra sortir de ce monde
Morte Christi prœmuniri
permets que conduit par ta mère j’accède
Confoveri gratia
à la palme de la victoire
Quando corpus morietur
Quand mon corps mourra
Fac ut animae donetur
fais que soit donné à mon âme
Paradisi gloria
la gloire du Paradis.
Le Stabat Mater de Pergolesi, part à la rencontre de cette méditation extraordinaire sur la douleur de Marie devant le supplice et la mort de son fils, composée par le moine franciscain Jacopone da Todi au XIIIe siècle. Cette œuvre ne cesse de vous mettre encore et toujours les larmes aux yeux… huit siècles plus tard. Dans sa mise en musique, J.B Pergolesi nous donne à scruter nos consciences et à envisager toute chose qui dépasse l’humain et le délivre de son orgueil insensé. C’est en 1736, à l’âge de 26 ans et tuberculeux que Pergolesi composa cette dernière œuvre dans un monastère près de Naples, avant d’y mourir.
Quis est homo qui non fleret,
Matrem Christi si videret
in tanto supplicio?
Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice ?
Un texte et une musique poignants mis délicatement en chant choral par Anthony Vigneron avec ses solistes professionnels qui composent l’Ensemble Vocal de l’abbaye de la Cambre. Des voix délicieuses... Julie Calbete, Coenjaerts Marie-Laure Gilles Thomas et Anne Hélène Moens que nous avons découverte à l'occasion de ce concert, puisqu'elle y tenait le rôle de soliste principale.
L’orchestre nous est venu de Budapest: le Concerto Armonico. Ce sont de jeunes étudiants, qui jouent sur instruments d’époque et qui n’hésitent pas à démontrer par mille œillades de connivence, qu’ils s’amusent franchement lorsqu’ils jouent ensemble. Une très bonne chose d'ordinaire, mais là, l'allégresse n'avait rien de spirituel. Il semblait que le premier violon était particulièrement porté sur la badinerie avec des comparses dans la salle … Une hilarité tout de même assez dérangeante devant la douleur humaine qu’exprime cette belle œuvre de Pergolesi. Il en était de même - et de façon encore plus évidente - hors de la surveillance d’Anthony Vigneron, lors les deux cantates de Bach qui ont précédé le Stabat Mater: "Ich habe genug" BWV 52 et" Non sa che sia dolore" BWV 209. Celles-ci illustraient bien la joie intense de cette victoire éclatante sur la mort qui imprègne l’antienne du Laetare de l’office du dimanche précédent, ainsi que l'avait souligné le père Tanguy en début de concert. Ce qui n’est quand même pas une raison suffisante pour …presque chahuter en jouant de vos violons, chers musiciens de Budapest !
Tout comme le Stabat Mater, le texte de Bach est lui aussi empli de profondeur: "Aber dort, werd ich schauen süssen Friede, stille Ruhe!" "Da entkomm ich aller Not, die mich noch auf der Welt gebunden". Le texte italien n'est pas moins poignant: "Non sa che sia dolore chi dall' amico suo parte e non more. "
Soulignons tout de même l’admirable et exquise exécution à la flûte de Jean Michel Tanguy, élève de Jean Pierre Rampal, lauréat de Genève, ancien soliste de l’Orchestre National de Belgique et professeur à la Hochschule de Mannheim, qu’il nous a été donné d’écouter aux côtés du claveciniste très inventif …Miklos Spanijl qui dirigeait l’orchestre pendant ces très belles cantates de Bach.
Un événement exceptionnel avec l'orchestre Concerto Armonico Budapest et l'Ensemble Vocal de l'Abbaye de la Cambre sous la direction d'Anthony Vigneron Au programme: Stabat Mater Œuvre musicale de Giovanni Battista Pergolesi Cantates de J.S Bach Ich habe genug BWV 82 Non sa che sia dolore BWV 209
Les photos d'Arts et Lettres:
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Jérusalem, fresque épique qui retrace les chemins de l’amour sur fond de première croisade, est une refonte en français par Verdi en 1847 d'I Lombardi alla prima crocciata, pour l’Opéra Français : musique de circonstance, grandes scènes dramatiques, incontournable ballet réclamés par le genre, et de nombreux airs à cabalette… Durée 3heures 30! Mais pas une seconde d’ennui dans la rare et magistrale exécution entendue à l'Opéra Royal de Wallonie.
La mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera, les décors à la fois sobres et captivants de Jean-Guy Lecat, les costumes tantôt rutilants, tantôt manteaux de déserts de Fernand Ruiz et les éclairages recherchés de Franco Marri auront tout fait pour séduire l’imaginaire dans cette fresque guerrière qui sert de toile de fond à l’amour face au destin, à la vengeance des clans, à la guerre des religions, à la justice et à la réconciliation. C’est grandiose et dépouillé à la fois. Pour exemple: cette réponse muette du ciel à la prière de l’héroïne, magnifique morceau d’interprétation orchestrale sous la baguette de la fougueuse Speranza Scappucci, semble parvenir d’une immense flaque de ciel bleu au centre des palais lombards vide de toute âme… Le contraste entre les foules et la solitude des personnages est admirablement rendu, que l’on soit en Lombardie, dans le désert ou dans la ville sainte où Godefroid de Bouillon reconquiert le Saint-Sepulcre. La direction musicale de Speranza Scappucci serre la partition au plus près et conduit l'orchestre dans des accents prémonitoires, des envolées tragiques, des sonorités raffinées et de puissants effets symboliques aux larges phrasés, très inspirés. Les nombreuses interventions des choeurs dirigés par Pierre Iodice ne sont pas sans rappeler les choeurs de Nabucco et la scansion du texte français particulièrement harmonieux est chaque fois un réel plaisir pour l’oreille. Ajoutons à cela des solistes de tout premier rang : Eliane Alvarez, Natacha Kowalski, Isaure, la gracieuse confidente d'Hélène, Marc Laho, Roberto Scandiuzzi et Ivan Thirion flanqué de son fidèle écuyer (le charmant ténor Pietro Picone) qui font de cette œuvre une complète réussite !
Solaire dans les aigus acrobatiques, la prononciation de la diva dans le rôle d’Hélène est parfois déconcertante. La puissance d’Eliane Alvarez, donne parfois l’impression d’une certaine lourdeur, surtout dans ses chagrins, où elle fait un usage intensif de sombres vibratos particulièrement dans les solos. En revanche, les mouvements d’ensemble où elle règne en maître sont absolument majestueux et on finit même par aimer Roger (Roberto SCANDIUZZI ), cet oncle maléfique et incestueux, tant sa voix est belle, sculptée, épanouie et profonde. Marc LAHO, très lyrique dans le rôle de Gaston, Vicomte de Béarn, séduit par la largeur de sa voix, sa noblesse, la hauteur de ses sentiments, aussi bien dans l’amour qu’il éprouve pour Hélène que dans sa ferme volonté de réconciliation des deux familles ennemies et sa soif désespérée de justice. Il est un vibrant appel à la compassion car il est le jouet de l’injustice, accusé à tort de meurtre parricide. Il est victime de cet oncle coupable, qui s’est lui-même exilé vers la ville sainte, dans l’espoir de faire pénitence et d’obtenir sa rédemption pour un crime fratricide qu’il pense avoir commis.
Le comte de Toulouse, le père d’Hélène, qui n’est -contre toute attente- finalement pas mort, est interprété par le vibrant baryton Ivan THIRION. Sa très belle stature de redoutable pater omnipotens est fort intéressante, partagé entre l’amour pour sa fille et l’idée qu’il se fait de la justice : celle de venger par le sang la tentative de meurtre. La scène de la désacralisation des armes du chevalier et de sa terrible dégradation lors le jugement inique, est, pour le noble chevalier Gaston, pire supplice que l’imminence de sa mise à mort physique. « Barons et chevaliers, je proteste… » ll y a aussi cette poignante marche funèbre… Patrick DELCOUR interprète le légat du pape Urbain VII, Adhémar de Monteil. Il est brillant et net comme un joyau, mélange de rubis dans un ciboire précieux. On frissonne avec le souvenir des larmes du Christ dans le jardin des oliviers chanté par les chœurs. L'émir de Ramla (Alexei GORBATCHEV) est captivant par son étrange sagesse, sa grandeur et sa sérénité. C’est lui qui fait appel à l’ermite pour absoudre le « coupable »… « Pour te bénir, je suis hélas trop coupable ! » se lamente Roger devant l’ironie du destin! Personne que lui, ne sait mieux l’innocence du valeureux Gaston!
Une belle surprise attend le spectateur à la fin de l’opéra, où l’œuvre de rédemption et de pardon prend toutes sa signification grâce à un subtil et fabuleux jeu d’écharpes, tandis que s’élève le chant des pèlerins à la gloire de Dieu…
Et on ne se lasse pas des innombrables retours sur scène de cette très glorieuse distribution qui irradie la joie et la victoire. On ne se lasse pas d’apprécier en pleine lumière les somptueux costumes de la foule de figurants et des solistes.
Gaston: Marc LAHO
Hélène: Elaine ALVAREZ
Roger: Roberto SCANDIUZZI *
Comte de Toulouse: Ivan THIRION
Raymond, l’écuyer de Gaston: Pietro PICONE
Isaure: Natacha KOWALSKI
Adémar de Montheil, légat papal: Patrick DELCOUR
Un Soldat: Victor COUSU
Un Héraut: Benoît DELVAUX
Émir de Ramla: Alexei GORBATCHEV
Un officier: Xavier PETITHAN
Nouvelle coproduction : Opéra Royal de Wallonie / Fondazione Teatro Regio de Turin
Avec la collaboration de l’Institut Supérieur de Musique et de Pédagogie de Namur (IMEP)
Dates:
Du vendredi, 17/03/2017 au samedi, 25/03/2017
Cédric Tiberghien se produira également à Flagey dans le cadre du Flagey Piano Days du 9 au 12 février 2017
Baritono - STÉPHANE DEGOUT
Piano - CÉDRIC TIBERGHIEN
Violoncelle - ALEXIS DESCHARMES
Flûte - MATTEO CESARI
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C’est une légende dramatique en quatre tableaux à propos d’un personnage qui a réellement existé. Mais nul ne peut dire avec certitude ce que son âme est devenue! Encore moins si Berlioz, le compositeur torturé par les échecs de la vie, le poète maudit, l’artiste romantique a souffert des mêmes affres que le célèbre médecin astrologue du XVe siècle. Nul ne peut dire si, malgré l’aspect positif de l’appétit de Faust insatiable de connaissances et de jouissance, Berlioz ne le condamne pas au feu éternel, par pur dépit.
Premier tableau. Le ténor Paul Groves embrasse avec ardeur et immense talent le rôle de Faust dans une superbe diction. L’hiver a fait place au printemps…Faust est perdu dans la contemplation d’un paysage de campagne, jouissant pleinement de sa solitude, il assiste au lever du soleil sur les champs. Il se laisse envahir par les chants d’oiseaux que prolongent des chansons joyeuses de paysans. « De leurs plaisirs, ma misère et jalouse ! » Une armée passe, au son d’une marche hongroise devenue très célèbre grâce à l’art cinématographique français. Se déploie une fresque d’images du feu et des atrocités de la guerre. « Son cœur reste froid, insensible à la gloire ! »
Deuxième tableau « Sans regrets, j’ai quitté les riantes campagnes où m’a suivi l’ennui ! » Faust est seul dans son cabinet de travail et donne libre cours à sa souffrance profonde. « La nuit sans étoiles ajoute encore à ses sombres douleurs. » Dans sa sensibilité exacerbée, il est envahi de désirs inassouvis et sombres et le spleen du poète maudit l’incite à vouloir boire une coupe de poison. Il perçoit, venant d’une église voisine, un chant de Pâques entonné par le chœur des fidèles. Il se sent touché par une foi ancienne. C’est le moment que choisit Méphisto, « l’esprit qui console », pour l’inviter à le suivre vers d’autres plaisirs. Le baryton-basse italien Ildebrabdo D’arcangelo incarnera tous ses maléfices. Première station dans un cabaret de Leipzig où un groupe de buveurs entonne l’éloge du vin. L’un d’entre eux, Brander, complètement bituré, raconte l’histoire délirante d’un rat brûlé par l’amour. C’est notre délicieux Laurent Kubla.
Requiescat in pace, Méphisto raille l’Amen parodique chanté par les buveurs et se pique d’une histoire de puce. Faust est peu enthousiaste devant les scènes de beuverie et se retrouve emmené sur les rives de l’Elbe et ses flots d’argent. Il sombre dans un sommeil envahi par les gnomes et les sylphes. Ceux-ci lui font apparaître en songe Marguerite, image parfaite de l’amour. A son réveil, Faust n’a plus qu’une pensée : la retrouver. Il entre dans la ville en même temps que des étudiants et une bruyante soldatesque. Il est au pied d’une demeure entourée d’hortensias.
Troisième tableau. « Merci, doux crépuscule, c’est l’amour que j’espère ! » Faust, seul, découvre la chambre de Marguerite et sent naître son bonheur. « Seigneur, après ce long martyre, que de bonheur ! » Méphisto le poste en observation, derrière un rideau. Amoureuse de l’amour, Marguerite est songeuse et envahie par les images d’un rêve où lui apparaît son futur amant. Pendant qu’elle tresse ses cheveux, elle chante, mélancolique, une chanson gothique, celle d’un roi, Theulé, qui, sentant sa mort prochaine, distribua toutes ses richesses, sauf une coupe lui rappelant sa défunte femme. Cette coupe se brise. C’est la voix magnifique de la divine soprano géorgienne Nino Surguladze qui symbolise toutes les langueurs, les attentes et les élans de l’amour.
« Mes follets et moi allons lui chanter un bel épithalame ! » Méphisto va souffler son plan d’action à l’oreille de la belle alanguie. Pour mieux l’étourdir, la sérénade ensorcelante est accompagnée du chœur et des danses des follets. Mais voilà que Marguerite aperçoit Faust, l’amant de son rêve. Faust lui avoue sa passion, les deux amants s’étreignent sur l’amoncellement de coussins apportés par les follets et le regard voyeur du maître du jeu. Soudain, Méphisto interrompt leurs ébats et ébruite que les voisins sont en train de prévenir la mère de Marguerite qu’un homme est chez sa fille. Les deux amants se séparent, espérant se retrouver le lendemain. Méphisto tient maintenant en son pouvoir l’âme de sa victime.
Quatrième tableau. Marguerite se lamente, possédée par l’amour de celui qui n’est jamais revenu. Elle entend des bribes de chants de soldats et d’étudiants qui lui rappellent cette première nuit si courte et si fragile. Seul aussi, face à une nature avec laquelle il souhaiterait se fondre, Faust ne pense plus qu’à Marguerite. Il erre, prisonnier de sa tour d’enfer. Méphisto surgit et lui apprend que Marguerite est condamnée à mort pour matricide, car chaque nuit où elle attendait son amant, elle l’endormait avec un poison qui a finalement eu raison de sa santé. Ainsi l’heure fatidique du pacte est arrivée : Méphisto est prêt à sauver Marguerite si Faust s’engage à le servir « à l’avenir ». Le parchemin est signé par-dessus le vide. Sancta Maria ora pro nobis ! Sancta Marguerita… Sur deux chevaux noirs, Faust et Méphisto s’engagent dans une cavalcade infernale vers ce que Faust croit être la maison de Marguerite. Rythmée par le chœur des paysans et les angoisses de Faust, la course à l’abîme, s’achève en enfer. Le Prince des ténèbres se vante de sa victoire. Faust, sans jamais perdre sa prestance, est enfin précipité dans les flammes sous les hurlements infernaux du chœur des damné(e)s, des démons et des macabres squelettes. Puis, le calme revenu sur terre, c’est une véritable apothéose: le chœur des esprits célestes appelle la vertueuse Marguerite - sauvée par l’amour inconditionnel de son amant - à monter au ciel.
Quel écho peut donc avoir une telle œuvre avec notre perception moderne? L’histoire nous touche-t-elle vraiment? Sombrera-t-on avec ce Faust désespéré dans l’inanité de l’existence de l’esprit positif ? Ou simplement, nous laisserons nous emporter par le vertige de la découverte de l’œuvre de Berlioz ? Allons-nous nous laisser devenir captifs de l’esprit insatiable qu’il symbolise ? Serons-nous séduits par le génie d’un compositeur qui osa faire tabula rasa de toutes les tendances de son époque et des précédentes? Certes, la magie musicale opère grâce à la qualité et la perfection d’interprétation musicale du chef d’orchestre, Patrick Davin. Véritable maître du jeu, il s’emploie avec passion à ressusciter une œuvre totalement innovante. Il déclenche notre admiration pour une partition constituée d’immenses pages orchestrales d’une richesse inouïe, dont on se demande parfois si on ne préférerait pas les écouter les yeux fermés pour en retirer toute leur saveur. On sait que dans sa nouvelle création, en 1846, Berlioz ne prend même pas la peine de composer une ouverture, qu’il juge inutile, car il démontre que la musique peut tout exprimer et sait jouer le parfait mimétisme, fond/ forme! Ainsi, à quoi d’ailleurs pourraient bien servir des décors? Même les plus précieux, comme ceux élaborés par Eugène Frey (1860-1930), ces fameux tableaux transparents avec rétroprojection dont s’est inspiré le metteur en scène de cette production, Ruggero Raimondi. Derrière les voiles reproduisant les tableaux successifs, a-t-il conçu la carcasse de fer comme une sorte de tour de Babel qui rappellerait celle de Breughel ? Ou pensait-il à la tour d’ivoire du poète? Une vision de gazomètre en déshérence ? Cette structure évoque une prison de fer et d’enfer pour la condition humaine dont l’homme ne peut s’échapper que par le ciel ou la géhenne.
L’enfermement est donc omniprésent : même lorsque les voiles sont supposés cacher cette tour, ou du moins en partie, elle reste perceptible à tout moment. Le regard, lui-même est prisonnier. Au travers de lumières soit trop tamisées soit trop distrayantes, on perce parfois difficilement les visages. La texture et les formes des costumes du peuple infernal sont très originales pourtant, et les évolutions ou les chants des nombreux figurants gagneraient à être mieux mis en lumière. L’enfermement circulaire, fait d’échafaudages est certainement très pratique pour une mise en scène verticale des protagonistes, mais tout le monde ne sera pas sensible à cette vision esthétique plutôt accablante pour ceux qui ne rêvent que de liberté !
Du mercredi, 25/01/2017 au dimanche, 05/02/2017
DIRECTION MUSICALE : Patrick Davin MISE EN SCÈNE : Ruggero Raimondi CHEF DES CHŒURS : Pierre Iodice ARTISTES : Paul Groves, Nino Surguladze, Ildebrando D’Arcangelo, Laurent Kubla
Tragédie du choc des cultures Est-Ouest. Le choc de l’amour vrai et de l’éphémère, de l’orgueil et de l’humilité. Le choc du rêve et de la réalité. Et une sérieuse critique de la façon outrecuidante dont l’Occident traite l’Orient.
Une toiture de pagode est posée sur le vide. A Nagasaki, au Japon, Benjamin Franklin Pinkerton (Leonardo Caimi), jeune lieutenant de la marine américain a recours à l’entremetteur Goro (Riccardo Botta) pour se procurer les services d’une jeune geisha de 15 ans Cio-Cio-San, alias Butterfly en anglais. Il a acheté une maison locale sur une colline. « Ce petit papillon voltige et se pose avec une telle grâce silencieuse, qu'une fureur de le poursuivre m'assaille, dussé-je lui briser les ailes ». Son ami, le consul américain Sharpless (Aris Argiris) l'avertit que le mariage sera pris au très sérieux par la jeune-fille et déplore sa désinvoture. « Ce serait grand péché que de lui arracher les ailes et de désespérer peut-être, son cœur confiant ». Mais l’insouciant et arrogant Pinkerton porte déjà un toast à son vrai mariage, quand il épousera une américaine. Les lois japonaises l'autorisent à signer un acte de mariage pour 999 ans mais il peut le rompre chaque mois, s'il le souhaite. Dès le début, on sait que l’histoire tournera au drame.
Arrive la jeune Cio-Cio-San, annoncée par un chœur de joyeux gazouillis de jeunes- filles. Elle est heureuse et amoureuse de son fiancé, entourée de parents et d'amis, soulagée de pouvoir quitter son état de geisha. Impressionnée par l’étranger, elle charme Pinketon, qui reste cependant insensible devant le déballage de ses innocents trésors : de menus objets féminins et les ottokés, des statuettes symbolisant l'âme de ses ancêtres ainsi que le précieux poignard avec lequel son très honorable père s'est suicidé en se faisant hara-kiri. Soumise, elle va jusqu’à promettre d’oublier les dieux de sa famille et d’aller prier le Jésus américain. Après un simulacre de cérémonie vite expédiée, la fête de famille est interrompue par le terrifiant oncle Bonze (Mikhail Kolelishvili) que l’on n’a pas invité et qui la maudit pour avoir renié la religion de ses ancêtres.
Pinkerton chasse les intrus avec hauteur et enfin seuls, les deux époux chantent leur l'amour mutuel. Sombre prémonition de Cio-Cio-San: « On m'a dit qu'au-delà des mers, s'il tombe entre les mains de l'homme, le papillon sera percé d'une épingle et fixé sur une planche ! » Fin de l’acte I.
Trois ans plus tard, Madame Butterfly, reniée par sa famille est seule et abandonnée. La fidèle Suzuki (Qiu Lin Zhang) prie les dieux pour sa maîtresse qui survit grâce à une illusion : « Ô Butterfly, petite épouse, je reviendrai avec les roses à la belle saison quand le rouge-gorge fait son nid. » Suzuki essaie de lui ouvrit les yeux mais elle est persuadée que Pinkerton reviendra comme il l'a promis « Un bel di vedremo ». L’entremetteur Goro se présente avec un riche prétendant, le prince Yamadori, aux allures de magnifique paon blanc paradant sous les lumières, mais elle lui répond qu'elle est déjà mariée. Le consul Sharpless, dont le rôle développe de plus en plus d’humanité, arrive pour tenter de lui lire lettre de rupture de Pinkerton, à laquelle dans son aveuglement, elle refuse catégoriquement de croire. La très belle voix de baryton riche et sonore se fait de plus en plus resplendissante. Elle lui oppose qu'elle se tuera si son mari ne revient pas tout en dévoilant qu'un enfant est né de leur union. Un formidable coup de canon annonce l'arrivée du navire de Pinkerton. Folle de joie elle décore la maison de fleurs et revêt son habit de noces pour l’accueillir. Suzuki et l'enfant s'endorment avec le « Coro A Bocca Chiusa ». Elle n’a pas fermé l’œil. A l'aube, Suzuki la convainc de prendre du repos. C'est alors que Kate, l'épouse américaine de Pinkerton apparaît et demande à Suzuki de convaincre sa maîtresse de lui confier cet enfant dont ils ont appris l’existence et à qui ils assureront un avenir. Suzuki est suffoquée. Sharpless rappelle à Pinkerton ses mises en garde, mais celui-ci, ne supporte pas d’être confronté, avoue sa lâcheté et s’enfuit. Lorsque Cio-Cio-San comprend la vérité, elle accepte, par ultime obéissance à son « mari », de confier son enfant au couple, à condition que Pinkerton vienne le chercher lui-même ! Mais une fois seule, ayant éloigné l’enfant, elle se donne la mort avec le couteau de son père.
Voilà une histoire qui ne manque pas de nous faire réfléchir sur les relations de pouvoir entre occupant et occupé, entre prédateur et victime, entre âge mûr et jeunesse, entre pauvres et riches, capables de tout se procurer, quels que soient les enjeux humains. Voilà une femme abandonnée qui n’a plus de subsistance. Voilà une fille-mère aux abois qui, plutôt que voir son enfant la regretter ou la rechercher un jour, préfère se donner la mort! C’est d’une violence glaçante. Une histoire écrite en 1898 par un anglais, John Luther Long. Une histoire qui n’a, en outre, pas fini d’exister deux siècles plus tard, époque où nous sommes prêts à tout vendre et à brader.
C’est néanmoins dans l’histoire du théâtre japonais traditionnel et les rythmes de la cérémonie du thé que la metteuse en scène danoise Kirsten Dehlholm (Hotel Pro Forma) a choisi de nous plonger. Elle veut gommer par ses installations scéniques toute notion de réalisme ou d’anecdote. Elle choisit d’utiliser l’histoire au profit de l’innovation d’une forme créative de portée universelle. Saisissant l’occasion que les suicidés japonais continuent à hanter la terre sous forme de fantômes condamnés à raconter sans relâche leur histoire, elle poste donc en bord de scène une Butterfly méconnaissable sous sa perruque grise – les fantômes vieillisent-ils donc ? – mais oh combien retentissantes d’émotions depuis la naissance de l’amour, à ses élans, jusqu’à la douleur qui conduit à la mort. Le 3 février, c’était Amanda Echalaz qui assurait ce rôle d’une rare exigence et d’une rare beauté. En parallèle, Kirsten Dehlholm fait jouer sur scène une admirable poupée de porcelaine réalisée par des artistes japonais (Ulrike Quade Company) guidée par un trio de marionnettistes d’une souplesse fabuleuse. La ressemblance est telle avec ce que l’on imagine de la jeune geisha, qu’à plusieurs reprises on la voit vivante! Cette technique ne peut que renforcer bien sûr le propos de Pinkerton qui considère la jeune épousée comme un pur jouet éphémère de ses désirs. Ainsi le double portait de Butterfly volette : prisonnier de son dédoublement, prisonnier de la tradition, prisonnier de son destin fatal, prisonnier du silence de la poupée aux gestes parlants, prisonnier d’une douleur rendue muette par la mort. On pense à Liu de Turandot. Le public est contraint de mélanger sans cesse les deux propositions, visuelle et auditive, dans un effort d’accommodation comme pour mieux souligner l’absurdité de la douleur… sauf à se laisser entièrement emporter par la qualité extraordinaire de l’orchestration sous la baguette de Roberto Rizzi-Brignou. Et c’est ce qui arrive.
Par son lyrisme, ses nuances, la musicalité de ses timbres, le déferlement romantique, la dramaturgie musicale est bouleversante. On sent poindre les harmonies chatoyantes de Debussy, on sent virevolter le papillon et les humeurs changeantes, les espoirs et les inquiétudes. Au sein du foisonnement de couleurs orchestrales, la tension dramatique s’amplifie jusqu'au bout, jusqu’à atteindre le cœur de la douleur. Au cours de l’ivresse du voyage musical, on reconnait des thèmes populaires japonais alternés avec le début de la mélodie de l’hymne américain, le Star Spangled Banner, de quoi soulager un peu de la tension des sentiments exacerbés!
Mais ce sont surtout les tableaux de la nature des sentiments qui sont saisissants de beauté ou … glaçants d’effroi comme les thèmes de la malédiction, du désespoir, de la mort et du suicide. Côté décor, s’embrasent de fabuleux jeux de lumières sur les créations en origami rendues vivantes. Jamais on n’oubliera les barreaux de dentelle de la cage qui se referme sur la jeune fille. Les personnages déambulent à petits pas, tous les gestes se fondent dans la proposition théâtrale délibérée de lenteur extrême orientale. L’air du cerisier est suivi d’un fabuleux cortège de fleurs d’hibiscus multicolores et lumineuses, assoiffées d’amour, une dernière parade amoureuse extraordinaire, hélas solitaire et inutile.
Toutefois d’autres choix de la mise en scène sont beaucoup moins enchanteurs, à chaque fois que l’esprit parodique s’en mêle. Comme de remplacer la frégate guerrière par un bâtiment de croisière géant, à faire frémir tout Venise. Comme cette nuée de rouges-gorges morts dans l’explosion des canons du navire de guerre qui marque la fin des illusions de Cio-Cio-San. Comme cet enfant-roi hypertrophié en matière plastique gonflable qui surgit, comme une aberration dans le dernier tableau. Il semble alors que la mise-en scène ait pleinement réussi son pari d’accentuer la grossièreté occidentale face à la beauté d’une héroïne victime de son innocence, de sa fragilité, de sa sensibilité et de ses traditions.
Agenda:
http://www.lamonnaie.be/fr/program/17-madama-butterfly
Direction musicale : ROBERTO RIZZI BRIGNOLI
BASSEM AKIKI (10, 12 & 14/2)
Mise en scène : KIRSTEN DEHLHOLM (HOTEL PRO FORMA)
Co-mise en scène : JON R. SKULBERG
Collaboratrice à la mise en scène : MARIE LAMBERT
Décors : MAJA ZISKA
Costumes : HENRIK VIBSKOV
Éclairages JESPER KONGSHAUG
Dramaturgie : KRYSTIAN LADA
Collaboration à la chorégraphieKENZO KUSUDA
Collaboration pour la marionnette : ULRIKE QUADE
Chef des chœurs : MARTINO FAGGIANI
Distribution
Cio-Cio-San : ALEXIA VOULGARIDOU
AMANDA ECHALAZ (1, 3, 7, 9, 12/2)
Suzuki : NING LIANG
QIULIN ZHANG (1, 3, 7, 9, 12/2)
Kate Pinkerton : MARTA BERETTA
F. B. Pinkerton : MARCELO PUENTE
LEONARDO CAIMI (1, 3, 7, 9, 12/2)SharplessARIS ARGIRIS
Goro : RICCARDO BOTTA
Il Principe Yamadori : ALDO HEO
Lo zio Bonzo : MIKHAIL KOLELISHVILI
Il commisario / L’ufficiale : WIARD WITHOLT
Yakuside : RENÉ LARYEA
Madre di Cio-Cio-San : BIRGITTE BØNDING
Zia di Cio-Cio-San : ROSA BRANDAO
Cugina di Cio-Cio-San : ADRIENNE VISSER
Marionnettistes : TIM HAMMER, JORIS DE JONG, RUBEN MARDULIER, SUZE VAN MILTENBURG
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
PRODUCTION : La Monnaie / De Munt
COPRODUCTION : Ulrike Quade Company
C’est sous la conduite impeccable de David Navarro Turres que le Brussels Philarmonic Orchestra accompagnait les chœurs de La Brussels Choral Society ce samedi 10 décembre 2016 dans la salle Henri-Le Bœuf, au palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Après une entrée en scène bien réglée, les choristes constituent une masse visuelle compacte d’envergure imposante, qui surplombe sur quatre rangs le plateau où fusent les instrumentistes. Au premier rang, sur l’avant-scène, en livrées princières de grandes fêtes, siègent les solistes. L’ensemble convoque une atmosphère de solennité, impression renforcée par les austères tenues noires des chanteurs munis de leurs livrets couleur bordeaux. Un défi à relever: col hors catégories, ce Dixit Dominus, le chef-d’œuvre que le jeune Haendel composa en Italie à l’âge de 24 ans. Fiat Musica ! La symbiose existera à chaque instant entre les solistes, les chœurs et l’orchestre. La tension est immense. Le feu divin est là, crépitant, la réserve de puissance est inépuisable, on est guidé du début jusqu’à la fin, de l’alpha à l’oméga à travers le plus beau morceau de musique chorale débordant d’énergie et de force que puisse interpréter un chœur. La conduite harmonique est absolument sans faille avec des legatos puisés dans le sens du divin. La déclamation dramatique ouvre de nombreux espaces pour les splendides lignes dramatiques confiées aux solistes : Iris Hendricks, Julie Prayez sopranos, la mezzo-soprano Pauline Claes, Joris Bosman, tenor, et Matthew Zadow, Basse. Impériaux et déchirants. Tout y est : grandeur, intensité expressive, la pureté des élans chez les sopranos, la ferveur et la solidité du ténor et basse. Le flux musical peut couler à profusion, le public s’en abreuve en s’empêchant de respirer. « De torrente in via bibet, propterea exaltabit caput » Si Dieu fit l’homme à son image…quelle leçon de courage!
Une luxueuse lecture de la 94e symphonie de Haydn prend place sous la même baguette preste et ardente de David Navarro Turres, après le départ du chœur symphonique. Les cuivres sont fermes et sûrs, les bois sont agiles et les cordes se parent de chatoyantes sonorités. L’entrée délicate mais vive du deuxième mouvement évoque une marche gracieuse et chantante. Les variations ludiques en notes pointées s’accumulent entre sautillements d’elfes et pas de géants. Est-ce la grâce d’un sylphe au travers de l’élégance de la flûte ? L’impression de danse rustique, presque une valse aux chevilles et jupons ensorcelés, se termine par l’allégresse, des cors lumineux, des contrebasses aux pizzicati pulsés, le tout très inspiré et dans une belle élasticité de rythme brillant.
Quand le chœur réapparaît en deuxième partie du programme, c’est pour se lover dans la douceur du Kyrie de la messe n° 5 en La majeur de Franz Schubert, que le chef dirige avec une vision très nuancée. La soprane et l’alto ajoutent des vagues de vivante mélancolie. Le Gloria sera passionné et nerveux, dont l’Agnus Dei est magnifiquement souligné par les voix masculines. Une vague de fond des choristes « Tu solus altissimus » balaie la salle comblée et émue. Les différents pupitres des instrumentalistes allègent par leur transparence musicale la scansion presque guerrière du chant. L’Amen final est foisonnant, et retombe sur la salle comme une pluie d’étoiles qui donnent le frisson. Ce sont les cuivres qui donnent le ton pour un début du Credo in unum deum, chanté a capella. L’ensemble, solistes, instruments, et choristes fait preuve d’un sens aigu du drame et très haute complicité. L’ « incarnatus est » est majestueux et le poignant « immolatus » touche à l’infini de la douleur. Les silences sont palpitants d’émotion comme pour reculer l’annonce du martyre dans toute son ampleur suivie de la spirale infinie la glorieuse rédemption. Le Sanctus fuse de tous les instruments comme une alerte insistante faite de deux notes répétitives. Les « Hosanas » sont piqués comme des fleurs sur l’ample robe du Benedictus, sorte de berceuse cosmique aux arpèges haletants. On retient l’Agnus Dei avec ses déflagrations de miserere où le mot « p a c e m » fait œuvre de relique sacrée et confirme que la prière sera exaucée. Il sera offert humblement en bis par le chef d’orchestre ravi et plein de gratitude pour la qualité de son radieux ensemble et l’accueil chaleureux du public. La détermination musclée et vaillante du chœur et son lyrisme n’auront pas faibli tout au long de cette soirée et leur dernier souffle se sera confondu avec l’immense sourire de la salle entière.
Brussels Choral Society
Brussels Philharmonic Orchestra
Iris Hendrickx – soprano
Julie Prayez – soprano
Pauline Claes – alto
Joris Bosman – ténor
Matthew Zadow – basse
Chef d’orchestre : David Navarro Turres
https://www.mixcloud.com/discover/brussels-choral-society/
Coming next:
Brussels Choral Society
Guildford Choral Society
Ensemble Orchestral de Bruxelles
Conductor: Eric Delson
Saturday 29 April, 2017
Palais des Beaux-Arts
Brussels