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sexualité (4)

administrateur théâtres

L’élan vers la liberté pour les amoureux du verbe,  et plus, si affinités…

Comment trouver une voie/sa voix pour dire 1962 ? Le 30 octobre 1962,  Jean Sénac, poète chrétien, socialiste et libertaire algérien rentre en Algérie après huit années d’exil et d’espérance. N’ayant jamais connu son père, lui-même, taxé de  « gaouri » (descendant des conquistadors), il trouve le pays en liesse. On célèbre le 1er novembre 1954, date anniversaire du déclenchement de la guerre de décolonisation. Dans ces retrouvailles, tout est bonheur, lumière, promesse : « les rues délirantes », « Alger, joie, enthousiasme, confiance, travail, beauté et fraternité », « beauté du peuple, les gosses, la jeunesse, les regards admirables » (Carnet de 1962).

 Né dans les quartiers populaires d'Oran, Jean Sénac sera assassiné à Alger le 30 août 1973 sans que l'affaire ne soit jamais élucidée.

Son recueil Poèmes est publié par Gallimard en 1954, avec un avant-propos de René Char, dans la collection Espoir dirigée par Albert Camus. Il  a osé employer l'expression « patrie algérienne ». Après sa rupture avec Albert Camus, il publie en 1961 le recueil Matinale de mon peuple. Contrairement au défenseur de la « trêve civile » et d’un compromis pacifiste, Jean Sénac  soutient  la cause indépendantiste et la lutte armée (FLN), s’engageant à corps perdu dans une triple quête de reconnaissance : celle du pied-noir qui milite pour l’unification de l’Algérie libre ; celle de l’homosexuel qui défend  l’affranchissement des corps ; celle du poète qui contribue à la naissance  de  la création algérienne contemporaine, que ce soit  en littérature  ou dans les arts plastiques où il tente de réconcilier l’esprit et la chair, dans l’avènement d’un homme nouveau.

Les mouvements d’extrême droite partisans de l’Algérie française prônent une virilité exclusive. L’érotisation de la poésie des amours particulières sert de métaphore pour le  prélude  d’une  réunification  politique  non réductrice de la nation qui est tout d’abord se doit d'être plurielle et de se prémunir de toute  tentative d’uniformité. Non, l’algérien n’est pas qu’un arabe musulman!

  

 Un seul mot peut déclencher

la tragédie des étoiles

un seul mot peut faire pousser

des amandiers dans le désert…

Le terme « diwân » désigne, en langue  arabe un recueil de poésie, et le n— ن —oûn  est une lettre femelle au tracé sensuel, placée en exergue de la sourate 68 du Coran, intitulée « Le Calame ». Le graphisme,  le Verbe sacré et l’érotisme s’entremêlent dans un « corpoème ». Le poète, au terme d’une véritable expérience mystique, touche le divin dans une étreinte très sensuelle, les corps s’unissant « en une chair spirituelle/ Mais animale tout de même et si belle ! »(« Diwân du Noûn », Œuvres poétiques 1967).

On était parti pour rester …et savourer longuement  les enfilades enthousiastes de  verbe brûlant du poète algérien, dont on découvre les textes  pour la première fois grâce à  la  patiente  orfèvrerie de Daniel LIPNIKet de Mario FABBRI. Las, tout passa si vite! Ces textes n’ont rien d’une piquette poétique ou d’un lourd poison baudelairien,   mais tout du vertige et on flirte d'emblée avec l’éphémère et la beauté.    Les poèmes bordés de rivages solaires sont profonds, sobres,  équilibrés, charnels et même noçatoires! Va pour la licence …poétique !

Impossible de ne pas tomber sous le charme du duo de musicalités si finement apparié!   Les cadences  verbales du diseur Mario FABBRI alternent avec des textes servis sur orchestration musicale,  qui sont divinement sublimés par le pianiste Daniel LIPNIK. Celui-ci  a choisi de jouer principalement  le répertoire hypnotique des Gnossiennes et Gymnopédies d’Erik Satie. La palette romantique du pianiste met en relief les tableaux imaginaires, les analogies auditives, les accents  charnels, les envolées spirituelles et les désespoirs abyssaux. De son côté, le conteur,  Marco FABBRI resplendit de charme, d’aisance et de charisme. La voix est belle et les regards intenses. Les  postures galbées, bien étudiées et toujours renouvelées,  ne semblent surgir que  de la spontanéité juvénile  autour du piano phare.

« Oh vous frères et sœurs, citoyens de beauté, entrez dans le poème ! » L’éblouissement musical et poétique a bien eu  lieu, mais il était  hélas, de très courte durée et tellement vite évanoui ! La soirée poétique  était en effet  bien trop courte au goût des spectateurs  médusés. « La beauté sur nos lèvres est un fruit continu…Tout est chant, hormis la mort ! »

 

Noûn Poèmes d'Amour et de Révolte

Sur les plages
l'été camouffle la misère,
et tant d'estomacs creux
que le soleil bronza.
Dans la ville
le soir entrelace au lierre
le chardon de douleur,
cet unique repas.

Noûn, un chant d'amour.
Noûn, c'est un dialogue musical entre une voix et un piano.
Ce sont des poèmes d'amour et de révolte s'entrelaçant à une partition instrumentale jamais figée.
C'est la rencontre de plusieurs univers qui font écho entre eux : un écrivain solaire et engagé, Jean Sénac, et les compositeurs Erik Satie et Frederico Mompou dont l'inspiration échappe à toute définition.

Le duo Mateo & Laëndi, c'est  un acteur et un musicien qui se conjuguent pour offrir l'ouverture de nos horizons.

' … Emblème de surpassement, le noûn signifiera pour Sénac l'accès au sublime, la mise en place d'une érotique poétisée. '

Un spectacle du Duo Mateo & Laëndi
Jeu, mise en espace : Marco Fabbri
Piano, arrangement musical: Laëndi Lipnik

Production et diffusion : MusikAnima

Ferme du Biéreau
Mercredi 17 mai  2017

Réservations : musikanima.com

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_S%C3%A9nac_(po%C3%A8te)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Alg%C3%A9rie

http://www.laviedesidees.fr/Jean-Senac-l-Algerie-au-corps.html

 

 

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administrateur théâtres

« N’oubliez pas l’Art tout de même. Y a pas que la rigolade, y a aussi l’Art ! » C’est  écrit dans le texte  impertinent de Raymond Queneau le Normand, puisqu’il est né au Havre!  Et l’art de la mise en scène  et de l’adaptation est au top, dans ce merveilleux spectacle présenté au Parc pour clôturer la saison. Miriam Youssef signe un véritable feu d’artifice.

Tonique comme Alice au pays des merveilles, Zazie,  la petite donzelle en visite  à Paris, découvre le monde. C’est  un vent de fraîcheur, des couleurs acidulées, la liberté des choix, de l’humour noir à travers des personnages hauts en couleurs et en parodie. Partout  comme des pastilles à sucer, les vues de Paris  telles des points sur les i. Les illustrations sont de Jean Goovaerts  et Sébastien Fernandez.  Avec Miriam Youssef, ils  n’y  sont  pas allés de main morte, chamboulant les modes et les codes, fabriquant avec leur splendide équipe  comme faite sur mesure,  une œuvre théâtrale poétique et percutante autour du personnage délirant et lucide de Zazie, une fille au répertoire épicé, aux réparties souvent ponctuées de « Mon Q »! Du grand art!  

 Jeune provinciale  sortie d’un milieu familial plus que compliqué, la voilà jetée, elle l’espère, dans le ventre de Paris pour une  première  libre exploration du monde,  avec sur les lèvres des questions aussi  étourdissantes que tyranniques.  Fraîchement arrivée, elle hurle sa déception comme un enfant gâtée : le métro est fermé pour cause de grèves. Elle découvre aussi un oncle « gardien de nuit » qui fait le plus souvent la tante: Gabriel à la ville, Gabriella au Mont-de-Piété!  Le radieux Stéphane Fenocchi.  Pleins feux sur la sexualité d’une drôle de famille d’accueil, les questions essentielles de l’enfant obstinée  « déjà formée »  (elle insiste !) …mais pas formatée, dérangent! Même pas peur, elle fugue de nuit et s’élance vers la liberté. These boots are made for walking… Elle ne lâche pas ses bottes jaune citron quand elle quitte  son effarant tutu rouge, pour enfiler  les « bloudjinnzes » de  la liberté! « Tu causes, tu causes et c’est tout ce que tu sais faire ! », claironne Laverdure, le perroquet des tenanciers du bar d’endsous! Quelqu’un doit lui avoir tordu le cou : le squelette dudit perroquet  trône sur l'épaule de Turandot, le tenancier grimmé comme un pirate, secondé par la craquante  Mado P'tits-Pieds, la serveuse... De savoureux personnages brillamment joués par  Luc Van Grunderbeeck et François Regout.

En tout état de cause, c’est avec son langage détonnant  que Zazie  se défend et affirme son identité et sa liberté, toute vulgarité vaincue. Pure magie, Julie Deroisin interprète l’héroïne à la perfection, argot y compris. Elle enchaîne les « Hormosessuel qu’est-ce que c’est?». La jeune effrontée en a vu d’autres, et pas des plus délicates, dans sa campagne  natale… Queneau nous conduit dans un rêve en boucle. « Paris n’est qu’un songe… »  La  réponse de Zazie, rendue furtivement  à sa mère par  la douce Marcelina inopinément transformée en jeune Marcel,   sera énigmatique: « Alors, t’as vu le métro ? Non j’ai vieilli ! » En à peine deux nuits!   En 1959, dans la France d’après-guerre,  Queneau entend dénoncer la stigmatisation sociale de l’homosexualité, la bêtise profonde des français de souche qui conspuent les étrangers, le recours à la culpabilisation, les accusations non fondées des bien-pensants, les manières fortes de la police bleu-blanc-rouge et le pouvoir des apparences. Voilà, sous un jour poétique, le Paris des déshérités libérés des conventions sociales et des lourdeurs mondaines…  

L’éclatante et jeune équipe sous la conduite de  l’infatigable  metteuse en scène  capte les reflets de la société dans une indiscutable verve scénique. Les costumes de Thibaut De Costeret et Charly Kleinermann sont eux aussi  de véritables œuvres d’art réalisées par Elise Abraham et Sarah Duvert. Même compliment pour les maquillages et coiffures d'Urteza Da Fonseca. Le décor, lui aussi, joue aux œuvres d'art:  fait de  pièces cubistes  genre Optical Art en équilibre sur la pointe du cœur, on l'enverrait bien  faire un tour au Musée Vuitton avec ses lignes Mondriaan et ses  éclairages couleurs oiseau des tropiques, ou "Jungle Arc" de l’artiste américain Ray Burggraf. 12273228065?profile=originalDu rêve, quoi !  C'est Geneviève Péria au pinceau, Alain Collet aux lumières.  Vertigineux, ce décor:  il  fourmille de trappes secrètes,  d’escaliers, de rampes dissimulées,  de plans inclinés instables où opère l’inénarrable et vénéneux équilibriste qu’est le Satyre, Pedro-Surplus, Trouscaillon le policier, Bertin Poirée et enfin Aroun Arachide, vrais et faux en série,  admirablement incarnés par John-John Mossoux.

On ne sait si le bus de touristes allemands cherche de la choucroute ou la Sainte-Chapelle. Le métro, même s’il est en grève, sort de terre. Sa grille fermée se tord de rire et laisse échapper ce grand échalas, style poireau sans chapeau, cité plus haut. Personnage énigmatique, magnifiquement interprété par John-John Mossoux qui joue les métamorphoses.  Un individu multiforme, transfuge sans foi ni loi, un œil vissé sur l’Autre, prédateur en diable, qui ne sait même plus à la fin qui il est! Voilà, pour le côté thriller. Et puis il y a une séquence pure poésie et les musiques rêvées d'Isabelle Fontaine...  et une veuve sentimentale, la veuve Mouaque (Pierre Poucet) qui mourra en Gavroche ! La faute à Voltaire, la faute à Rousseau ! 

On adore bien sûr le couple angélique formé par Stéphane Fenocchi et Sébastien Schmit. Et tout autant, la tendre histoire d’amour entre l’ami Charles, le taximane au pittoresque tacot et Mado P’tits pieds, jouée par le duo Jean-François Rossion et  François Regout.

...Voir tant de talents se correspondre et fleurir entre les pavés, et donc, applaudir  à tout rompre, voilà du vrai bonheur et du grand art!    

http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/57/44.html

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administrateur théâtres

12272955668?profile=originalOn est au cinéma! Et quatre personnages vont crever l’écran, en live ! Ils jouent la Chose debout contre la toile et parfois, juchés sur des tabourets. C’est leur âme et leur sensualité qui feront le reste! Pas le moindre artifice ou accessoire, juste des jeux d'ombres et de lumière très parlants. L’essentiel : un lent crescendo vers un aveu difficile pour les femmes et encore plus pour les hommes. Les deux jeunes couples sont craquants de sincérité et … de mauvaise foi. Ils sont tous amoureux à leur façon, là n’est pas la question, leur intention à chacun  est de faire plaisir à l’autre,  mais il y a un hic : leur plaisir à chacun  est … mitigé. Culpabilité à la clé.

12272955487?profile=originalLa société accommode le sexe, sujet rabattu, à toutes les sauces. De la publicité à l’art de vivre, le sexe est omniprésent et une réalité qui touche de plus en plus jeune. Mais quoi ? Il reste un vrai mystère. Il fallait oser le dire. C’est le parti qu’a pris Susann Heenen-Wolff, docteur en philosophie et psychanalyste clinicienne en écrivant cette pièce de théâtre pour disséquer adroitement ce sujet encore fort tabou malgré son étalage médiatique. Ce qu’on connait ne fait-il pas moins peur, c’est sans doute le mobile qui a poussé la psychanalyste à prendre la plume ?  Une écriture très humoristique et à la fois très  pédagogique, documentée, truffée de citations éclairantes qui passent très bien la rampe. Elle explique : «  Depuis longtemps, on parle dans les revues conçues pour femmes de leurs difficultés spécifiques à atteindre l’orgasme par la seule pénétration. Mais on a beau expliquer les raisons de ce « trouble », on a beau proposer des « traitements » pour y remédier ( cure psychanalytique , thérapie sexologique , thérapies d’inspiration féministe), il semble que cette difficulté reste bien présente et soit plutôt structurelle : il ne s’agit donc pas d’un « trouble » qui relève d’une histoire individuelle, mais qui se niche dans la nature même de la sexualité de la femme... »

 « Tout le monde ment. Bien mentir, voilà ce qu'il faut. » dirait Albert Camus.  On se ment à soi-même pour se consoler et  à l’autre, pour faire plaisir! Mais l’auteur s’en abstient. Au contraire, vous reconnaitrez dans les dialogues la vérité du vécu,  la petite phrase anodine qui pourrait être prononcée par n’importe qui, homme ou femme… « Dommage que tu veuilles toujours dominer… » Elle ne croit pas si bien dire l’importance du verbe, l’importance de l’imagination, d’autres approches. Face au noir ou blanc, il y a la recherche de toutes les nuances de gris…. Celles que l’on retrouve dans les marbres miroitants du Taj  Mahal…12272956081?profile=originalpour ne pas rester de marbre ! Comme en politique, chaque mot a son importance.

Sur scène, on revoit avec un plaisir immodéré   Stéphanie Van Vyve dans le rôle de Charlotte. Elle fut Fantine dans les Misérables joués au pied de la butte du Lion de Waterloo. Elle a mis en scène et joué Diotime et les lions d’Henry Bauchau. On retrouve avec émotion le très nervalien (El Desdichado ?) Fabrice Rodriguez (applaudi dans Hammelin). Ils sont tous  deux ici des comédiens merveilleusement complémentaires. L’autre couple composé de Mathilde Rault et de Quentin Minon, n’ont rien à leur envier. La connivence du quatuor est si évidente que l’on pourrait croire qu’ils improvisent sur scène. Voilà donc  un travail d’équipe exemplaire.  

12272956279?profile=originalEn dehors de l’excellence absolue de son casting, la metteuse en scène, Christine Delmotte a plus d’une corde à son arc. Qu’on se souvienne avec délices de plusieurs de ses productions comme  Le sabotage amoureux ou  La comédie des illusions.  Elle rentre dans l’abîme du sujet par la lecture de citations très instructives d’une masse d’auteurs qui se sont intéressés à « la Chose ». Lunettes au bout du nez, Sandrine, l’un des personnages,  fait doctement la lecture aux autres sur sa main, à la façon d’enfants qui jouent… « Sandrine prend son carnet dans son sac » : en effet,  les notations scéniques – les didascalies - sont récitées face au public comme si cela pouvait aider le spectateur à se distancier un peu du sujet brûlant.  Car tout le reste est d’une intimité brûlante. Les supports musicaux sont d’une actualité  flagrante mais on ne vous dévoilera rien !

Vous voulez une phrase de mecs ? « On ne peut pas parler d’autre chose ? » Et vous aurez tout compris !  Les personnages s’animent et se figent quand la tension devient trop forte, gelés ou bouillants de l’envie de comprendre et de savoir, mais jamais ils ne quittent vraiment la scène. Adultes, ils égrènent (face au public encore) tout ce qui se dit et se fait  dans la vie sociale codifiée bon chic bon genre. Authentiques,  ils  se dévoilent avec tendresse retrouvée  lorsqu’ils jouent entre eux l’intimité souvent tue par dérision. Vous l’aurez compris, ce spectacle fourmille de nuances. Il est enraciné dans le bon goût et la recherche généreuse du bonheur de l’autre. Et les joueurs de bridge seront aux anges. Car le but de ce jeu n’es-il pas de jouer le plus intelligemment possible avec le jeu qui vous est donné, sans faire confiance au hasard ou à la chance ?  Un jeu où l’on peut gagner, sans avoir toujours  les meilleures cartes ?

http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/atelier/piece1.html 

&

http://www.biloxi48.be/spectacle_Je_mens_tu_mens.php 


"Je mens, tu mens!" Crédit photo Anna Giolo
        Du 25/09 au 26/10/2013

Les mardi et le samedi 19/10 à 19h
Du mercredi au samedi à 20h15
Dimanches 29/09 et 13/10 à 16h

12272956869?profile=originalAu Théâtre de la place des Martyrs
22, place des Martyrs
1000 Bruxelles

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12272796287?profile=original

La "Vie des dames galantes" est un ouvrage de Pierre de Bourdeille, seigneur et abbé de Brantôme (1540-1614). Ces chroniques de la vie amoureuse à la cour des derniers Valois doivent ce titre, qui fit leur renommée, à l'éditeur avisé, Jean Sambix jeune, qui les publia pour la première fois à Leyde en 1666 sous l'intitulé: Mémoires de messire P. de Brantôme contenant les vies des dames galantes de son temps. En dépit des dernières volontés de l'écrivain, les manuscrits avaient attendu plus d'un demi-siècle les honneurs de l'impression.

 

La rédaction de l'ouvrage a vraisemblablement commencé autour des années 1580 pour se prolonger jusqu'au début du XVIIe siècle. En effet, brouillé avec le roi en 1582 puis immobilisé par la maladie, interdit de prouesses amoureuses ou guerrières, le courtisan, retiré en Périgord, recherche dans l'écriture une diversion au malheur; il tente de prolonger, par un texte qui s'y substitue, une présence devenue impossible à la cour, ce «vrai paradis» dont il est exclu. Formé de sept «Discours», le Second volume des Dames, pour lui restituer son véritable titre (le Premier volume étant réservé aux «Dames illustres»), constitue l'un des volets du diptyque que Brantôme destinait à François d'Alençon, frère d'Henri III: à côté des discours «sérieux» consacrés à quelques princes et grands capitaines, il lui faisait hommage des discours «gays», «afin que, si aucuns y en a qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous ressouvenir de moy parmy vos causeries».

 

 

Le premier «Discours», qui traite des relations conjugales et du cocuage, plaide la cause des femmes et justifie leur inconstance au nom de «ceste belle liberté françoise»; émaillé de nombreuses digressions concernant les maris (cruels ou complaisants), la virginité (perdue ou prétendue), les inclinations saphiques, les techniques érotiques, il fait l'apologie de l'amour physique et de la liberté sexuelle: «Il n'y a que la jouissance en amour et pour l'homme et pour la femme, pour ne regretter rien du temps passé.»

 

Le deuxième «Discours» s'ouvre par un inventaire des beautés des dames et s'égare dans les particularités (réelles ou fantasmatiques) de leur physiologie avant d'évoquer le comportement amoureux de quelques grands personnages de l'Histoire, d'Alexandre à François Ier en passant par ce «marault» de Mahomet.

Le troisième «Discours» traite de l'érotisme de la jambe et du pied, mis en valeur par les nouvelles modes de la cour.

Le quatrième «Discours», sur l'amour des dames mûres, atteste que ni l'âge ni la contenance ne permettent de préjuger des appétits amoureux.

 

Le cinquième «Discours» évoque les règles de l'amour courtois et la préférence des dames pour les hommes vaillants et hardis.

Le sixième «Discours», «sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames», déplore que, sous une apparence d'honnêteté, la calomnie, la médisance et parfois la brutalité règnent à la cour. Il rappelle l'attitude des rois de France depuis Louis XI, indulgente ou sévère, à l'égard des détracteurs du sexe féminin et des fauteurs de scandales. Si Henri II et Catherine de Médicis se sont efforcés d'imposer à leur entourage des moeurs polies, et respectueuses des dames, la discrétion, voire la dissimulation, demeurent indispensables en amour, car les dames «le veulent bien faire, mais non pas qu'on en parle».

 

Le septième et dernier «Discours» passe en revue, dans une récapitulation générale, la diversité des tempéraments et des comportements des femmes selon qu'elles sont jeunes ou vieilles, filles, mariées ou veuves pour «sçavoir desquelles les unes sont plus chaudes à l'amour que les autres»; il apparaît que toutes ont reçu en partage la même sensualité, la même ingéniosité pour faire triompher leurs désirs, les reines et les princesses comme les autres: ici, dames illustres et dames galantes se confondent. La chasteté et la fidélité sont rarissimes, la recherche du plaisir est générale. A regret, le vieux courtisan met un terme à son enquête et prend congé de ses lectrices, véritables destinataires de son livre et objets de toutes ses pensées.

 

 

Nés de la solitude et de l'absence, ces «discours», sans doute ainsi nommés par antiphrase, sont en réalité constitués de récits brefs et d'anecdotes dont la prolifération désordonnée et brouillonne égare souvent le lecteur loin des promesses de leur titre. Ce qui n'était à l'origine qu'un recueil de bons mots et plaisants contes s'est peu à peu étoffé pour rassembler toute une documentation sur les moeurs de la cour, qui croule sous le poids des souvenirs. Les témoignages personnels et les confidences recueillis tout au long d'une vie ont été enrichis d'emprunts à la mythologie, à l'Histoire ancienne et moderne et au folklore gaillard. Selon la méthode chère aux humanistes, illustrée par Montaigne en ses premiers Essais, Brantôme donne à son reportage la forme d'un inventaire qui explore la variété infinie des comportements d'hommes et de femmes saisis dans leur vie amoureuse. Ces fragments épars finissent par constituer, en dépit de leur discontinuité, une encyclopédie érotique (on a parlé de rapport Kinsey du XVIe siècle) qui nous livre, selon le mot de M. Simonin, «une science sauvage du sexe». Le désir, surtout féminin, s'y exprime crûment et sans façons, bien loin des complications ou des raffinements de l'amour à la mode néoplatonicienne ou pétrarquiste chanté ailleurs par les poètes. Les hommes, mais surtout les femmes, sont mus par une rage de jouissance qui connaît peu d'interdits et donc peu de transgressions. Tous se ruent au plaisir pour parvenir à ce «bon poinct de jouissance» également désigné comme le «grand oeuvre» ou la quintessence.

 

Les femmes âgées comme les dévotes paient leur tribut à la «bonne dame Vénus», comme cette dame restée si ardente en dépit des ans qu'«on la tenoit tousjours pour une jument vieille et reparée qui toute suragée qu'elle estoit, hannissoit encore aux chevaux». Dans ce déferlement d'érotisme, il n'est pas aisé de discerner ce qui relève de l'observation ou des fantasmes de l'auteur.

Ces «discours» sonnent le glas des valeurs courtoises chevaleresques (telles du moins que Brantôme se les représente), dont les procédures sont répudiées pour cause de lenteur et d'inefficacité par les hommes comme par les femmes: «Aussitost assailly, aussitost investi et achevé», telle est la maxime d'une grande dame, adepte des conjonctions charnelles expéditives; s'il est encore question de «servir» les dames, c'est par révérence de pure forme à la tradition (et au vocabulaire). Le réalisme l'emporte et ne s'embarrasse pas de détours: «Car en quoy peut monstrer un brave et valleureux cavallier la generosité de son coeur, qu'envers une belle et honneste dame, sinon luy faire parestre par effet qu'il prise sa beauté et l'ayme beaucoup, sans luy user de ces froideurs, respects, modesties et discretions que j'ay veu souvent appeler, à plusieurs cavalliers et dames, plustost sottises et faillement de coeur que vertus?» Les «loix d'honneur» sont donc oubliées au profit des «loix de nature» qui ont donné aux femmes «des parties si nobles pour en user et mettre en besogne, non pour les laisser chaumer oysivement». Hostile à toute répression du désir, Brantôme place résolument l'activité sexuelle en dehors du champ de la morale et de la religion. Il reconnaît peu de valeur à la fidélité, à la pudeur ou à la chasteté. De même qu'à Montaigne, celle-ci lui apparaît comme une vertu inventée par les hommes à l'usage des femmes. La sexualité et le plaisir charnel ne doivent pas être limités au cadre conjugal; le mariage, qui n'a de légitimité que sociale, afin de permettre la continuation d'une lignée, ne doit pas interférer avec les élans du corps ni avec ceux du coeur. C'est pourquoi Brantôme, ardent partisan de la liberté des femmes à laquelle, sans doute, il trouve son compte, se montre indulgent envers l'adultère, inévitable contrepartie des mariages arrangés avec des maris parfois «insuffisants». Comme il est dépourvu de tout dogmatisme en matière de morale sexuelle, dès qu'il y a doute, dès qu'il s'agit d'apprécier une situation délicate ou un comportement litigieux, il renvoie son lecteur aux autorités compétentes: théologiens, médecins, juristes. D'une manière générale, alors qu'en cette fin de siècle la littérature consacrée aux femmes piétine et ressasse indéfiniment les mêmes arguments hérités de la fameuse «Querelle des femmes», il se montre suffisamment affranchi des préjugés de son temps pour faire entendre une voix qui évite le piège de l'idéalisation forcée (voir notamment la Parfaite Amie d'Héroët) comme celui de la satire caricaturale. Il propose de la femme une représentation qui échappe aux motifs traditionnels de supériorité ou d'infériorité qui l'organisent. A la différence de la plupart de ses contemporains, l'altérité de la nature féminine ne semble pas l'effrayer mais plutôt le réjouir et le stimuler.

 

Cette indépendance d'esprit, cette liberté de ton et d'idées se retrouvent dans l'organisation de son enquête; celle-ci semble tributaire de la méthode d'exposition scolastique, avec ses questions, ses «disputes» en pro et contra, ses citations d'autorités. Mais cette présentation héritée du passé ne doit pas faire illusion; les débats annoncés ne sont qu'un prétexte à une prolifération d'anecdotes qui se succèdent au gré des souvenirs et selon la ligne sinueuse et imprévisible des associations d'idées. Très vite, le sujet prétendument traité s'efface au profit de nombreuses digressions et parenthèses qui deviennent la règle. La présence du narrateur, seul facteur d'unité, peut alors être réduite à sa plus simple expression, sous la forme d'un bref «j'ay ouy dire» qui suffit à donner au récit toute sa force de persuasion. Le discours s'épuise à vouloir recueillir le trésor infini des exemples que la vie et l'Histoire ont accumulé. Submergé par le trop-plein de sa mémoire, incapable de renoncer à l'évocation des fantaisies joyeuses et variées que produit la nature, le narrateur, faussement désolé, impute à sa prétendue faiblesse d'écrivain ce qui n'est qu'une forme de désinvolture aristocratique à l'égard de tout développement construit et ordonné. Mais cette technique d'écriture qui juxtapose des «séquences narratives minimales» ne disconvient pas à son objet. En effet, la vie amoureuse ne saurait être saisie que par fragments, dans une succession d'épisodes isolés, puisque Brantôme ne croit guère à la durée des sentiments et des états affectifs. Cette accumulation d'anecdotes qui fait coexister de nombreux emprunts à la mythologie aussi bien qu'à la Bible ou à l'Histoire finit par avoir valeur de démonstration et de preuve (la garantie de la vérité ne provient plus seulement des autorités extérieures, mais de l'évidence fournie par la convergence des exemples). Selon une pratique fréquente de la Renaissance, elle équivaut à un discours suivi et méthodique dont elle tient lieu. Mais la liberté de penser du destinataire est préservée; il tire de lui-même les conclusions que lui inspire le récit. De ces matériaux disséminés surgit l'histoire collective de la société de cour qui s'y reflète comme en un miroir tendu par l'auteur.

 

La description de tant de scènes animées ne saurait laisser indifférent le lecteur, dont l'intérêt est renforcé par le caractère de conversation familière adoptée par Brantôme. Vouées au divertissement, les Dames galantes n'ont cessé d'avoir un public de fervents admirateurs parmi lesquels Mme de La Fayette, Rousseau, Balzac, Stendhal, Oscar Wilde, au point d'éclipser les Dames illustres et les Grands Capitaines célébrés dans ses autres livres. La pudibonderie du XIXe siècle leur a fait prendre place parmi les livres du «second rayon» alors qu'elles peuvent à juste titre être considérées comme formant une étape dans l'anthropologie sexuelle de l'Occident, qui fait apparaître l'éveil de l'individualisme moderne en même temps que le rôle civilisateur des femmes. Le lecteur contemporain y perçoit la gratitude d'un homme pour l'agrément que les femmes apportent à la vie, et sait y reconnaître, pour tout dire, les «fragments d'un discours amoureux».

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