Une des oeuvres majeures de la musique sacrée française du XIXème
Oratorio commandé à Théodore Dubois (1837-1924), maître de chapelle à l'Église Sainte-Clotilde à Paris pour le vendredi saint, « Les sept paroles du Christ » ont connu un vif succès à la fin du XIXe et au début du XXe siècle et sont toujours chantées, aux États-Unis et au Canada aujourd'hui, spécialement pendant la Semaine sainte. Plutôt délaissé au XXe siècle, ce compositeur est l’auteur de plus de 500 œuvres de musique romantique française. Cet oratorio était dédié à l'abbé Jean-Gaspard Deguerry, curé de la Madeleine, fusillé en 1871 par les Fédérés à la prison de la Roquette. Théodore Dubois a assuré la direction du Conservatoire de Paris , de 1896 à 1905, succédant à Ambroise Thomas et précédant Gabriel Fauré.
Avec la permission de la famille, Anthony Vigneron, maître de chapelle à l’abbaye de la Cambre, a reconstitué suite à un long travail de 4 ans la version orchestrale originale de l’œuvre qu’il a présentée ce 10 mars 2016 à L’Abbaye de la Cambre, avec l’ensemble vocal de l’Abbaye de la Cambre et l’ORCW. La partition originale ayant disparu il a fallu reconstituer l’œuvre prévue pour « un quintette à cordes, une flûte, un hautbois, une clarinette, un basson, un cor, trois trombones, une harpe, une paire de timbales et l’orgue.»
Une émotion palpable circule dans l’église remplie d’un bout à l’autre, jusqu’au chœur. Dans l’assistance, les descendants du compositeur. Pour la première fois un petit fils écoute la musique réorchestrée de son arrière-grand-père: Francis et Pénélope sont venus exprès de Montpellier. Le concert s’ouvre sur les frémissements bienveillants du "Pie Jesu" de Théodore Dubois pour chœur a cappella qui subjuguent l’assemblée et la plongent dans un climat de spiritualité intense. C’est alors qu’a lieu une dramatisation fracassante de l’oratorio en français sur le mode de la tragédie antique. Sombre et dramatique. Paroles cueillies aux quatre coins des Evangiles elles disent la trahison, la souffrance, l’infamie de la passion du Christ, l’injustice insupportable de ce que l’humain peut subir de pire. Le père Jacques t’Serstevens soulignera qu’à l’instar de la tradition orthodoxe, cette œuvre souligne que le Christ est aussi « Souverain de la miséricorde jusqu’à pardonner à ses bourreaux, ouvrir les portes du Paradis au larron, confier sa mère à son disciple, pardonner aux cœurs fermés par l’ignorance, traverser dans une espérance confiante le silence même de Dieu. »
Tout est consommé avant même les premières mesures de l’Oratorio, on est prêt pour l’écoute du texte latin enlacé à une orchestration riche, élégante et passionnée. Une entrée dans le Paradis. Les lignes mélodiques sont bien dessinées, la richesse des sonorités se déploient avec exaltation et grande générosité. Les divers instruments sont bien équilibrés, la harpe est divine, les cuivres ont des sonorités éclatantes et les effets des percussions sont cinématographiques. Lumineux et dramatique. Les cordes décrivent la lumière rayonnante. La soprane, Julie Calbète met toute sa nature spontanée au service de l’œuvre. Si elle articule sa douleur profonde devant la passion de Jésus, elle apparaît comme transfigurée par une joie intérieure, enchantée et vibrante de lumière. Aucun artifice, aucune vanité, elle a dénudé son âme dans ses phrasés naturels et fait briller l’espérance. Le chœur, composé de choristes professionnels, est immobile au fond du plateau et crie vengeance. Il fait œuvre de brutalité organisée. Sa haine et sa soif de sang sont tranchantes. Il exprime la joie mauvaise de la puissance justicière, l'exultation vengeresse devant le bouc émissaire. Face au chœur, Marcel Vannaud, le baryton apparaît, comme le porte-voix du Seigneur Dieu, dans toute sa solidité et sa fragilité à la fois. Impressionnant de présence, de sérénité communicative, il est d’une justesse parfaite dans tous les registres de la compassion, il renvoie en continu une image apaisante de l’amour et de douceur infinie. Ce qu’il chante, c’est le projet et l’avènement d’un autre homme, capable de surmonter la haine.
L’assistance est exaltée par l’urgence d’une telle musique, traversée par l’énergie bouillonnante du chef d’orchestre qui fait œuvre de transmission dans tous les sens du terme. Anthony Vigneron se donne tout entier, non seulement à l’orchestre dans sa globalité mais à chacun en particulier, à chaque instrumentiste et à chaque chanteur. Chacun, dans l’assistance, reçoit personnellement un cadeau humain et spirituel inestimable. La toile musicale est en effet la plus infinie qu’il soit. On peut y lire l’indicible. La foule a changé de côté et de cap, elle applaudit à tout rompre et « Le cantique de Jean Racine » de Fauré donné en bis achève le programme sur le sourire intérieur dans le cœur de chaque participant à cette inoubliable soirée.
Orchestre Royal de Chambre de Wallonie,
Ensemble Vocal de l’Abbaye de la Cambre
Anthony Vigneron, direction musicale
Julie Calbète, soprano
Ivan Goossens, ténor
Marcel Vanaud, baryton
Mathias Lecomte, Orgue
Concert organisé par l’A.S.B.L. « Les Grandes Heures de la Cambre »
Liens utiles :
http://www.theodoredubois.com/biographie
http://www.lesgrandesheures.be/
http://www.orcw.be/events/les-grandes-heures-de-la-cambre/
Enregistrement par le Grand Chœur de Montréal: http://www.allmusic.com/album/th%c3%a9odore-dubois-les-sept-paroles-du-christ-mw0001847550