Le 21 mars, il y a 333 ans, naissait Jean-Sébastien Bach (1685-1750), est-ce pour cette raison que Bernard Foccroulle présentait une magnifique programme à l’orgue ce dimanche après-midi à la philharmonie de Liège? D’aucuns disent que c’est le 31 mars, son anniversaire, d’après le nouveau calendrier grégorien! Directeur du Festival d’Aix-en-Provence, ancien directeur du Théâtre Royal de La Monnaie, professeur d’orgue du Conservatoire Royal de Bruxelles, Bernard Foccroulle revient à ses premières amours avec un récital entièrement consacré à Jean-Sébastien Bach, dont il a enregistré l’intégrale pour orgue chez Ricercar.
Si tout musicien ne cesse de revenir à Bach, c’est que ce dernier a porté à son plus haut degré d’accomplissement toutes les formes de son temps : cantates, préludes, chorals, sonates, fantaisies, fugues. Très jeune le musicien prodigue se grise d’une fougueuse exubérance musicale que l’on retrouve dans « Le prélude et fugue en mi mineur BWV 533 » majestueux qui ouvre le concert d’après-midi. Dès l’entrée, une construction brillante et ferme : des récitatifs dramatiques – il s’agit de la mise au tombeau du Christ - des accords staccattos, de l’agilité dans les jeux de pédalier et un panneau central polyphonique lumineux. La deuxième œuvre de jeunesse présentée par Bernard Foccroule est une œuvre que Bach compose quand il avait à peine 20 ans, un cantique de la résurrection, rapide et bondissant, aux vocalises ascendantes qui défient la mort, pour terminer dans une glorieuse majesté. C’est la Fantasia sopra « Christ lag in Todesbanden » BWV 718.
Ensuite on écoutera 5 des 45 chorals de « l’OrgelBüchlein » (1713-1716), des compositions de plus en plus personnelles, très courtes, centrée sur le développement d’une seule idée. Epinglons particulièrement le numéro 24 « O MENSCH, BEWEIN DEIN SÜNDE GROSS BWV 622 » «Ô homme, pleure tes grands péchés. » Une pièce très expressive pleine de la contrition du pécheur qui a causé la passion du Christ. Cette contrition sincère se transforme déjà en lumière et pardon même si la dernière phrase ressemble à un ultime Mea Culpa, tout-à-fait dans l’esprit évangélique luthérien. Et le numéro 30, « ERSTANDEN IST DER HEIL’GE CHRIST BWV 628 » « Il est ressuscité, le saint Christ. » Ce choral est animé de la douceur de la supplication et du tutoiement de notes d’espoir, un flux de croches joyeuses. On est frappé par la souplesse, les appels dansant répétés, l’expression d’une foi naïve qui tourne à l’exaltation joyeuse alors que la vie triomphe sur la mort.
« La Passacaille et fugue en do mineur BWV 582 (VERS 1715) » composée de 20 variations et d’une fugue est colossale et sublime – d’après Bernard Foccroulle lui-même, qui commente le concert. Le visage de l’orgue est évidemment impassible, même illuminé du rouge de la passion, mais les sonorités ont réveillé les consciences. On se sent aspiré vers les hauteurs. On est ébloui par la splendeur musicale libérée, on participe à une Rencontre vibrante. Le rayonnement divin se mêle à une tempête d’amour. Pieds et mains du musicien en action bourlinguent sur l’Infini. Immense et tragique.
Poursuivons le parcours: à Leipzig, la musique de Bach devient de plus en plus intériorisée et résume toue la richesse de la musique depuis le Moyen-Âge. On reconnaît tout de suite les premières mesures de « WACHET AUF, RUFT UNS DIE STIMME BWV 645 » «Réveillez-vous, la voix du veilleur nous appelle. » Il est tiré des Chorals de Schübler (1746-1749) (BWV 645-650). Confiance, innocence dansante, tempo précis animent cette pièce emplie de légèreté. Par opposition, « ACH BLEIB BEI UNS, HERR JESU CHRIST BWV 649 ». «Ah! Reste près de nous, Seigneur Jésus Christ. » est parcouru de palpitations sombres, d’inquiétudes et de frissons face au crépuscule qui descend.
L’avant dernière pièce jouée par Bernard Foccroulle est « VOR DEINEN THRON TRET ICH HIERMIT » BWV 668 « Devant ton trône je vais comparaître »un choral dépouillé, sorte de testament spirituel, sérieux et méditatif, empli de grande sérénité où coulent les harmonies adressées à Dieu. Il ne manque que les anges.
Le concert se clôture par la « Fantaisie et fugue en sol mineur BWV 542 (VERS 1720) » un chef-d’œuvre grandiose, où le compositeur exprime sa colère et son chagrin, son incompréhension et son égarement devant le décès de sa première femme Maria Barbara, laissant quatre jeunes enfants. Mais la fugue brillante lui fait retrouver son unité avec Dieu. On ne respire plus, on participe à une autre dimension, dans une sorte d’étourdissement spirituel. Il manque juste ici, les profonds échos des grandes cathédrales!
"Mon seul but a toujours été d'établir une musique religieuse bien réglée en l'honneur de Dieu..."
Bach : repères chronologiques
1685. Naissance à Eisenach, en Thuringe, le
21/31 mars.
1703 (18 ans). Organiste de l’Église neuve
d’Arnstadt, il s’est déjà familiarisé avec les
compositeurs des Flandres et de l’Allemagne
du Nord, et les maîtres français.
1707 (22 ans). Organiste de l’Église Saint Blaise
de Mühlausen, il s’y affirme comme
expert en facture d’orgues et écrit ses
premières cantates.
1708 (23 ans). Organiste de la Chapelle
ducale et musicien de la Chambre de la cour
de Weimar, il bénéficie d’une réputation
d’incomparable virtuose, d’expert exigeant,
de pédagogue et de compositeur de la plus
haute qualité. Il découvre et adopte l’art des
Italiens et réalise une synthèse des styles de
son temps. C’est surtout de Weimar que date
une grande partie de ses œuvres pour orgue.
1717 (32 ans). Konzertmeister de la petite
cour de Coethen, il compose de nombreuses
œuvres de musique instrumentale.
1723 (38 ans). Cantor de Saint-Thomas et
Director Musices de la ville de Leipzig, l’un
des postes les plus importants de l’Allemagne
après celui de Hambourg, où officie son ami
Telemann. Il enseigne la musique aux élèves
de l’école, gère entièrement la musique
dans les quatre églises principales de la
ville et à l’Université (son travail consiste
à écrire ou choisir les œuvres, en trouver
et former les exécutants, les faire répéter,
etc.). Il se constitue un répertoire de quelque
300 cantates, élabore des œuvres majeures
comme L’Art de la fugue, L’Offrande musicale,
les Variations Goldberg, le 2e
Livre du Clavier
bien tempéré, les Variations canoniques…
1750 (65 ans). Meurt à Leipzig, le 28 juillet.
"Le but de la musique devrait n'être que la gloire de Dieu et le délassement des âmes."