Didon et Enée, une production poétique, stupéfiante de grâce et de beauté dont on ressort émerveillés, et si reconnaissants…
Avant le début de la représentation de Didon et Enée, on écoutera à rideau fermé, la Suite d’Abdelazer or the Moor’s revenge d’Henry Purcell (1695), pièce orchestrale en 9 mouvements, question de se familiariser l'oreille aux instruments anciens et à une musique baroque rarement jouée dans ce temple de l'opéra italien...
Didon et Enée
C’est une romance apocalyptique, mais quelle savoureuse féerie baroque! Voici la Méditerranée, la grande bleue de notre tendre enfance, pavée d’enfer et lieu absolu du chaos des destinée! Imaginaire anglais : les flots d’azur renferment d’affreuses sorcières ricanantes et des esprits maléfiques dont le but unique est de répandre le mal.
Image clé de cette nouvelle production de l’Opéra de Liège, il faut pour le lecteur, se situer face à un rivage désert de mer du sud au crépuscule, devant des vagues qui déferlent voluptueusement au balancement de la musique. Mais en même temps, on se croit plus au nord, côté Manche, avec les noirs Idle Rocks des Cornouailles qui évoquent la ville de Carthage, ville nouvellement créée par des réfugiés de Tyr. Comme dans les féeries de Shakespeare, voici un libre cocktail élisabéthain d’époques et de lieux, fait pour enchanter l’imaginaire. Le public sera pris d’un bout à l’autre du récit par la virtuosité exceptionnelle de la mise en scène et des chorégraphies qui évoquent le monde sous-marin et ses monstres, les métaphores du Mal. Les douces ondulations des flots bleus peuvent se transformer en terribles tempêtes, bruitage Purcellien à l’appui ! Cet unique opéra d'Henry Purcell, dont aucune partition originale n’a été conservée, a été composé pour les jeunes filles d’un pensionnat aristocratique, sur un livret de Nahum Tate, d'après le livre IV de l'Énéide. Il est fait d’un prologue et de trois actes.
D'après l'Enéide de Virgile, la vaillante veuve Elissa originaire de Tyr, qui porte le nom latin de Didon, reine de Carthage, accueillit Enée et en tomba amoureuse. Au cours d'une partie de chasse alors qu'un violent orage les a réunis dans une grotte, ils deviennent amants. Mais Virgile veut donner des origines mythiques à Rome et faire du héros troyen et de son fils Ascagne, les fondateurs de la ville. Virgile se sert des dieux pour empêcher l’union de Didon et Enée. Poussé par ceux-ci, Enée décide de répondre à son destin et reprendre la mer pour fonder la nouvelle Troie. La magicienne et ses sorcières se réjouissent de la détresse de la reine car pour elles, seul importe que Didon soit privée de gloire, d’amour et de paix. Didon ordonne de construire un bûcher afin qu’Enée voie de son navire qu’elle s’est suicidée. Elle se poignarde de dépit, ayant renvoyé Enée (le bariton Benoit Arnould) alors que celui-ci était finalement prêt à braver les dieux et à leur désobéir pour elle.
Recitatif
Thy hand, Belinda, darkness shades me,
On thy bosom let me rest,
More I would, but Death invades me;
Death is now a welcome guest.Aria
When I am laid, am laid in earth, May my wrongs create
No trouble, no trouble in thy breast ;
Remember me, remember me, but ah! Forget my fate.
Remember me, but ah! Forget my fate.
Roberta Invernizzi joue ici une Didon parfaitement tragique et émouvante. Son lamento final quelle adresse à sa sœur Belinda (Katherine Crompton) est inoubliable pour les yeux, comme pour les oreilles et a contraint le public à un silence absolu tant la conjonction de l’orchestre et des chœurs semblant rendre les derniers soupirs, la chorégraphie de son ensevelissement maritime et le chant de la soliste qui n’en finit pas de mourir d’amour, avaient atteint des sommets de beauté.
Ne jouant pas vraiment de rôle actif dans l’histoire mais plutôt un rôle de commentateur comme dans la tragédie grecque, Le Choeur de Chambre de Namur est debout dans la fosse avec l’ensemble orchestral Les Agrémens. Musiciens et choristes sont tous debout pendant la prestation, pour mieux projeter l’énergie musicale de chaque artiste, nous confie, Guy Van Waas le chef d’orchestre, qui de son côté, accomplira un vivant travail de joaillerie dans l’interprétation de ce chef d’œuvre de musique baroque, balançant adroitement entre humour et larmes, et serrant au plus près l’esprit de la musique baroque, y compris dans les postures. Le fait que toute la production de l’Opéra de Liège est en ce moment à Oman avec « Les Pêcheurs de perles », laissait en effet le champ libre pour accueillir pour une fois un spectacle de musique baroque. Quelle magnifique occasion de pouvoir écouter Guy Van Waas et Les Agrémens jouant sur instruments d’époque : violons I et violons II, altos, violoncelle, viole de gambe et un théorbe. Guy Van Waas, lui-même au clavecin, dirige chœurs et orchestre! On ne peut que saluer leur travail musical exemplaire avec les chœurs de Namur, qui, pendant un long moment semblent s’être carrément dédoublés en deux chœurs distincts, l’un proche et l’autre distant et pourtant les mêmes!
Très parlante et mystérieuse surtout, cette mise en scène inventive sur fond de Bleu Chagall de Cécile Roussat et Julien Lubek. Elle est à la fois aquatique et aérienne, utilisant des costumes symboliques féeriques comme pour les deux sorcières-ondines Jenny Daviet et Caroline Meng, des antres et des rochers qui rappellent la caverne de Polyphème, des acrobates musicaux qui flottent en rythme dans les airs, un coquillage alla Botticelli où naît l’amour, des marins qui se transforment en monstres et cette ahurissante sorcière-poulpe (Carlo Allemano), mi-homme mi-femme qu’Homère aurait bien ajoutée dans son Odyssée…!
De peur de casser la bulle réunissant tant d’imaginaires, il y eut, au tomber du rideau, un grand silence avant le tonnerre d’applaudissements et les salves de bravi!
Du mardi, 09/05/2017 au dimanche, 14/05/2017
http://www.operaliege.be/fr/activites/dido-and-aeneas
crédit photos: © Lorraine Wauters – Opéra Royal de Wallonie