« Un tableau est un poème et rien d’autre. »
José Clemente Orozco (Zapotlán el Grande, 1883-Mexico, 1949), le plus enraciné peut-être, le plus fidèle à la Révolution mexicaine, le plus indépendant sûrement. Il se tiendra ainsi éloigné des mouvements picturaux européens, seul comptera pour lui José Guadalupe Posada (1852-1913).
L’homme n’est pourtant pas à un paradoxe près, rejetant la peinture de chevalet (que je présente ici ; commandes officielles aidant il se convertit à la fresque), la culture européenne (il voyagea en France, en Italie, en Espagne, et résida aux Etats-Unis), ou désaccords politiques (engagé auprès des troupes du sud, il se rallia à celles du nord après leur victoire lors de la Révolution. Plus tard, il s’interrogera sur les dérives de la Révolution). Mais quoi de plus normal, nous sommes tous pétris de contradictions, nous évoluons ou nous adaptons aux circonstances. Et Viva la Revoluciόn !
« Toute œuvre d’art est une possibilité permanente de métamorphose,
offerte à tous les hommes. »,
Octavio Paz (1914-1998)
Il doute, c’est le propre d’un artiste, mais difficile de dire qu’il aille dans le sens de l’Histoire quand celle-ci emprunte de tels zigzags. Et Viva Zapata !
Hanté par la mort, très attaché à la culture de son pays, à son peuple, il montrera toujours une volonté farouche de bâtir une nouvelle approche artistique visant à exalter le caractère latino-américain. Et Viva la muerte !
Mais trêve de discours, le contexte ayant été évoqué dans la première partie de cette série, place donc à sa peinture… de chevalet, qu’un temps il jugea trop élitiste, qu’il me pardonne. Et Viva la diáspora francόfona !
Indiennes, de la série « Les Teules », 1947
(pyroxyline sur masonite)
… et à la poésie, avec ce beau et long sanglot du Mexique précolombien :
« Pleure : je suis poète
Entre mes mains, je vois les fleurs
Qui embellissent mon cœur : je suis poète
Où tu voudras mon cœur, mon esprit
A quelle poignée de turquoises,
comme une émeraude brillante
J’avais estimé mon poème
et mes belles fleurs
Réjouissez-vous mes amis :
personne ne restera sur terre
Pour cette raison, je pleure
et je répands mes fleurs... »
Tête fléchée, de la série « Les Teules »
(pyroxyline sur masonite, 1947)
«... Par hasard viendras-tu avec moi
dans la région du mystère ?
Je n’y emporterai pas mes fleurs,
bien qu’étant poète
Réjouissez-vous,
nous sommes toujours vivants :
tu es en train d’entendre mon chant
Pour cette raison je pleure,
moi le poète :
Le poème n’a pas atteint la maison du Soleil,
Les jolies fleurs ne peuvent descendre
au royaume des morts. »
Poème aztèque*
Sacrifice humain, de la série « Les Teules »
(pyroxyline sur masonite, 1947)
Lors de la Conquista, Hernán Cortès (1485-1547) et sa bande de rufians croisés sont horrifiés par les sacrifices humains réalisés en l’honneur du dieu de la Guerre et du Soleil, Huitzilopchtli. De leur côté les Aztèques, Moctezuma II (ca 1466-1520) en tête, pensent que les Espagnols sont des Teules, des envoyés des dieux annoncés par un mauvais présage. Le choc est inévitable. Mais que faire face à ces émissaires, invincibles et vengeurs ? Après la Noche Triste du 1er juillet 1520 les conquérants firent main basse sur la ville de Tenochtitlán, future Mexico. Le sort des Aztèques est scellé.
Parcourant sa toile
la clarté lunaire
tient l’araignée en éveil
José Juan Tablada (1871-1945)
que Moctezuma accueillit en son sein comme le « Serpent à plumes »,
le descendant du dieu Quetzalcóatl. Funeste méprise.
Peinture murale de José Clemente Orozco
(photo captée sur le net)
Il ne faut cependant pas le confondre avec son homologue et quasi homonyme Carlos Orozco Romero, peintre du « réalisme magique ». Un pont entre deux rives, deux rêves, peinture métaphysique et surréalisme.
Guadalajara, 1896-Mexico, 1984
Portrait de Maria Marin
(huile sur toile, 1937)
A suivre… avec David Alfaro Siqueiros.
Vous trouverez aux liens suivants :
İ Que viva Mexico ! Pour une présentation générale de la peinture mexicaine contemporaine:
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-tres-grandes-rive...
Diego Rivera :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres-grandes-2e-partie
Michel Lansardière (texte et photos, sauf mention contraire)
* Extrait d’un poème en langue nahuatl, transcrit et traduit du Latin ou de l’Espagnol. Les plus beaux textes sont les Chants d’orphelin (icnocuica) de Nezahualcόyotl (1402-1472), le prince-poète de Texcoco, fils du roi Huehue Ixtlilxόchitl. Ces chants assemblent deux recueils, les Cantares Mexicanos et les Romances de los Seňores de la Nueva Espaňa. Ils reflètent une culture aztèque bien plus sensible qu’il n’y paraît.
« Je ne viens chercher, à la hâte,
que mon chant vertueux,
et avec lui, je cherche aussi
l’endroit où ils s’assemblent, eux, nos amis,
là où l’on exalte l’amitié. »
Chants de Nezahualcόyotl,
traduits du nahuatl par Georges Baudot.
Dans sa série « les Teules », comme auparavant pour Les horreurs de la Révolution, Orozco, sans prendre parti, s’est souvenu de tout cela, puisant son inspiration à la fois chez Francisco de Goya (1746-1828) et ses Désastres de la guerre et dans les poèmes synthétiques (haïkus) de José Juan Tablada. A sa manière, il a fait œuvre de syncrétisme, de modernisme, d’œcuménisme.
J’espère, avec ces quelques notes, avoir levé un voile.
José Clemente Orozco : Juventud (jeunesse)
(photo captée sur la toile)
« Le baume qui cicatrise la blessure du temps se nomme religion ;
le savoir qui nous amène à vivre avec notre blessure se nomme philosophie. »,
Octavio Paz