Coup de cœur authentique pour la reconstitution du personnage de Marguerite Duras par Isabelle Gyselinx à l’Océan Nord. La pièce, simplement intitulée « Marguerite Duras » s’est pratiquement jouée à guichets fermés. Personnage public souvent controversé, Duras continue à fasciner le public vingt-deux ans après sa mort.
Sur scène, 5 comédiens pour reformer le cercle intime de la femme de lettres. Isabelle Gyselinx fait le choix de ne pas intervenir dans la voix de Duras mais de monter des fragments de ses écrits pour cerner au plus près les facettes de la personnalité de celle qui est née Marguerite Donnadieu. Et c’est une jeune fille de quinze ans qui ouvre le jeu, chapeau rose et ballerines dorées telle qu’elle est évoquée dans l’ « Amant », première rencontre entre la féminité et le regard du désir.
Deux comédiennes relèvent le défi de rendre la vie à Duras, Sophia Leboutte dans la version adulte et mature du phénomène Duras, lunettes sombres, cigarettes et alcool à portée de main et Alice Tahon, version juvénile, plus spontanée.
Impossible d’évoquer Duras sans rencontrer la femme engagée, la résistante, la « mitterandienne ». Pour illustrer les épisodes marquants de cette vie aux mille facettes, Fabrice Schillaci et Thierry Devillers écrèment les textes majeurs de l’écrivaine (« La douleur », « La vie matérielle », « Un barrage contre la Pacifique, « C’est tout »…) et recréent ses interventions les plus médiatisées. Ferdinand Despy se glisse dans la peau de Yann, un fan inconditionnel qu’elle rebaptise Andréa Steiner, son dernier compagnon de trente-huit ans son cadet, homosexuel, confident et secrétaire particulier. Le spectacle excelle par les dons d’imitateurs des acteurs qui évoquent Bernard Pivot, Jean-Luc Godard, Madeleine Renaud et d’autres, nous replongeant dans une époque et une société inoubliable en questionnement de valeurs.
L’amour, grande préoccupation de celle qui a dit : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer », constitue le fil rouge du spectacle monté sur le mode d’écriture de Duras, en déconstruction de la narration, des personnages, de l’action et du temps. La pièce progresse par des flashs extraits de l’œuvre et de la vie de Duras, encourageant un mystère quant au caractère fictionnel ou réel des scènes.
« Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. ». Celle pour qui les silences avaient une signification primordiale, la femme publique au débit si particulier nous est restituée par l’interprétation de Sophia Laboutte qui incarne toute la puissance séductrice de Duras.
Isabelle Gyselinx réussit ici son projet de communiquer l’amour de la vie qui transcende cette œuvre personnelle, inépuisable, aujourd’hui encore source d’inspiration de nombre d’artistes, construite sur des décalages. Elle n’hésite pas à emprunter à l’œuvre cinématographique de Duras les plans fixes, les discordances entre images et textes, le récit musical grâce aux compositions et aux interprétations en live de Michel Kozuck. Et cela, avec un point fort, celui de divertir par des clins d’œil et un final sur un numéro en forme de music-hall.
Palmina Di Meo
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