La langue humaine
(essai)
Antonia Iliescu
Malgré leur construction (anatomiquement parlant et en excluant les cas pathologiques) selon le même modèle, avec des organes similaires destinés à l’émission et à la réception des informations verbales, les humains ne parlent pas tous la même langue. Jusqu’ici, rien de nouveau. Moins connu peut-être c’est le fait qu’il existe sur la Terre une multitude de langues et jargons, environ 6000, groupées en 400 familles. On suppose que toutes ces langues auraient à l’origine une protolangue maternelle, qui serait apparue 50 000 auparavant (Ruhlen, “The origin of Language. Tracing the evolution of the mothertongue”, 1994). Mais peu importe leur origine, commune ou non, toutes ces langues créent un ensemble : la langue humaine qui facilite la communication entre les hommes appartenant à des différentes communautés. Mais toutes ces expressions verbales, répondent-elles toujours à leurs desiderata de départ, celle de l’entente entre les hommes ?
Laissant la pansée voyager en toute liberté vers ces temps où la parole avait descendu des ténèbres cosmiques, on voit la parole se poser sur Terre, où elle fut encastrée au fil des millénaires, dans la pierre, le papyrus, l’argile, le papier et le matériel informatique. Perçant ensuite les couches de l’histoire saignant de mystères, avec notre esprit, certaines questions surgissent. Existe-t-il vraiment un créateur, ou la vie apparaît-elle spontanément avec la première bactérie issue de « la soupe organique primordiale », selon la théorie de Oparin ? (Entre parenthèses soit dit, quoi que la soupe organique ait été reproduite en laboratoire par Stanley Miller, aucune bactérie n’y sortit, mais uniquement de la matière organique inanimée, comme les acides aminés et …) ? Et si l’on suppose qu’Oparin disait vrai, ou que la vie était venue du cosmos sous forme de spores, selon la théorie de la panspermie de Svante Arrhenius, comment est-on arrivé de la simple cellule à la matière intelligente, capable de communiquer verbalement ? Quelles furent les aventures de la matière aveugle dans son chemin vers la lumière, celle venant de l’intérieur ?
Me voilà oser faire une petite incursion (sans prétention de traitement exhaustif) dans les théories qui sont aujourd’hui véhiculées dans différents articles scientifiques et films documentaires relatifs à l’évolution.
Ce sont trois grandes théories qui se confrontent aujourd’hui : l’évolutionnisme, basé sur la sélection naturelle des espèces ou le darwinisme, qui est enseigné dans les écoles et qui appartient à la doctrine matérialiste ; le créationnisme, qui est fondé sur les sources bibliques et qui soutient que l’Univers fut créé en 6 jours et en fin, le néo-créationnisme (ou « Intelligent Design ») qui est un courant nouveau, très répandu aux Etats Unis, mais aussi en France, sous l’influence de Teilhard de Chardin, l’homme de science universel, ayant une grande ouverture vers la spiritualité. Ce dernier courant groupe des chercheurs appartenant à des domaines d’étude plus diversifiés, parmi lesquels la paléoanthropologie, la génétique, la médecine, la linguistique, les mathématiques, l’astrophysique, l’économie.
Certains parmi ces chercheurs nient l’appartenance à ce courant ou à un autre de type créationniste, essayant d’échapper à l’harcèlement des polémiques lancées et soutenues par les partisans darwinistes. Mais les résultats de ces "néo-créationnistes" - malgré eux, convergent vers une même conclusion : la matière vivante est fabriquée conformément à un plan évolutif intelligent et l’évolution est orientée vers un « point oméga », qui pourrait s’identifier au Créateur.
Un réputé mathématicien français, Jean-Louis Krivine, continuant la série de recherches initiées en 1931 par son homologue autrichien, Kurt Gödel, soutient que le programme de construction et d’évolution de la matière vivante est écrit dans un langage logique, nommé « lambda calcul », très ressemblant au programme informatique utilisé dans la programmation des ordinateurs (Science & Vie , N° 1013, 2002). Ce serait le langage universel ou « la première couche » de langage, sur laquelle se superposent d’autres couches, de plus en plus élaborées, comme par exemple, le sous conscient, le langage naturel, la pensée, la conscience. Dans ce sens, nos propres pensées ne seraient que la montée à la surface des « morceaux » du programme d’origine. Si J-L. Krivine avait été contemporain avec Blaga, il aurait peut-être nommé ces « morceaux » différentielles divines et le programme de base, Le Grand Programme, en faisant sortir de cette manière le Créateur du Grand Anonymat.
Des recherches de date récente, dans le domaine surnommé « néo-créationnisme », ont dévoilé un fait d’une importance capitale : l’évolution a un sens et ce sens va de l’intelligence de la matière inconsciente à la conscientisation de cette intelligence.
En effet, l’homme incarne toutes les stades de l’évolution de la matière intelligente, en commençant avec les organismes monocellulaires les plus simples, celles dites procaryotes (dépourvus de noyau), comme c’est aussi le cas des globules rouges, et terminant avec l’organe le plus complexe de l’homme : le cerveau. Tout ce qui est vivant sur notre planète semble être conçu le crayon à la main et selon une logique parfaite. Toute la matière organique est constituée des mêmes substances de base (…), qui se lient l’une à l’autre dans un ordre spécifique à chaque individu, l’ordre étant dicté par son propre ADN (acide désoxyribonucléique), inscrit dans chaque cellule ; c’est lui « la tête » qui détient le code. Ce code est universel (il contient des combinaisons de trois bases azotées, des quatre possibles, notées par les abréviations : A, C, G, T), mais il est aussi spécifique (l’ordre de liaison de ces bases, ainsi que leur degré de répétitivité tout au long de la chaîne d’ADN, sont différents d’un être à l’autre). L’ADN serait ainsi un livre de la Grande Bibliothèque, un livre avec lequel nous sommes nés et qui nous inspire au fil des jours de notre vie, pour pouvoir grandir et vivre. Notre livre a un sens parce que quelqu’un l’a écrit avec du sens.
A l’appui de cette croissance qui a un sens, les chercheurs ont un mot important à dire. Anne Dambricout-Malassé – une réputée chercheuse dans le domaine de la paléoanthropologie, qui a publié de nombreux articles et qui est aujourd’hui dans le collimateur des darwinistes – vient avec des données concrètes : l’évolution de l’os sphénoïde au fil de l’histoire évolutive de l’homme, à partir de l’australopithèque jusqu’à homo sapiens. Cet os bizarre, en forme de papillon, situé à la base du crâne, a souffert les 60 derniers millions d’années, 5 modifications de forme et de position par rapport à la colonne vertébrale (correspondant aux 5 grandes étapes évolutives des êtres vivants, jusqu’au dernier chaînon, l’homme) ; il est directement impliqué dans « l’humanisation » de l’homme (verticalité, modifications du crâne, entraînant le rétrécissement du visage et des mâchoires, ainsi que le développement du cerveau suivie par l’apparition de la conscience).
L’os sphénoïde s’est levé de l’horizontale vers une position oblique (aujourd’hui), étant encore en évolution, mais « toujours dans le même sens » - dit la chercheuse – fait qui contredit la théorie de l’hasard, incluse dans l’explication du processus de l’évolution par sélection naturelle (le darwinisme). Ces modifications sont d’ordre génétique, elles étant inscrites dans le programme évolutif de l’embryon humain.
Mais cette nouvelle conception de l’évolution est combattue par les partisans du darwinisme, par une série d’accuses, avec ou sans arguments. On reproche à Madame Dambricourt-Malassé (dont les travaux, selon ses propres affirmations, n’ont rien à voir avec la religion) d’avoir remis en question le point principal de la théorie de Charles Darwin, notamment l’adaptation à l’environnement comme facteur décisif de l’évolution de l’homme. On lui reproche encore (le journal « Le Monde » du 29. 10. 2005) l’association au courant religieux introduit dans le domaine de la science par l’abbé Breuil et Teilhard de Chardin et le fait d’être «soutenu par des organisations efficaces dont les importants moyens financiers viennent parfois d'outre-atlantique." La théorie que la chercheuse expose est aussi attaquée par certains journalistes qui étalent une série d’arguments détaillés sous différents titres du type « un seul os ne peut pas être essentiel » ou « croire que l’homme continue d’évoluer est une illusion » ou « écrire une loi mathématique de l’évolution ne repose sur rien de sérieux » ou « il n’existe aucune preuve d’une loi cachée dans nos gènes » (Science & Vie, décembre N° 1059, 2005). Ces arguments-révolver tombent à une lecture plus attentive (et plus avisée) de certains articles scientifiques publiés au fil des 4 dernières années, voir la collection de la même revue.
Laissant la science à part et contemplant cet os tellement controversé, avec des yeux intuitifs et bien lavés des préjugés d’ordre scientifique ou religieux, il est impossible ne pas s’émouvoir devant sa forme bizarre. Ce papillon ossifié, assis à la base du crâne, a une « forme »… dépourvue de forme ! C’est une pièce œuvrée d’un grand raffinement, un véritable bijou dentelé ; une vague de mer minuscule, en mouvement, dont l’écume fixée dans le réseau de calcium du tissu osseux, semble vouloir nous suggérer les 26 dimensions de l’univers. Le sphénoïde cache dans sa cavité – « la selle turcique » - une glande (l’hypophyse), ayant une importance capitale dans le maintien de l’équilibre énergétique du corps, grâce à 8 hormones qu’elle secrète, et qui sont directement impliquées dans le processus de la croissance et de la maturation sexuelle de l’individu. On pourrait assimiler le sphénoïde à une antenne interne, qui s’oriente grâce aux modifications génétiques, pour mieux capter « le plan intelligent ».
Mais voilà, à la même conclusion – du « plan intelligent » - arrivent, par d’autres chemins, des chercheurs de prestige appartenant à d’autres domaines. Le belge Christian de Duve (le prix Nobel de la médecine, 1974) dit que la matière « est obligée » d’aller vers la complexité, « parce qu’elle n’a pas d’autres choix » et que ce processus évolutif est dirigé vers le perfectionnement du cerveau humain, ayant comme but ultime de l’évolution, l’apparition de l’intelligence et de la conscience. Jean Chaline (paléontologue français) reconnaît que la loi de l’évolution est inscrite à l’intérieur de chaque cellule, dans l’ADN. Une équipe interdisciplinaire, - formée de Jean Chaline, l’astrophysicien Laurent Nottale et l’économiste Pierre Grou, - a établit une loi mathématique capable de prévoir les mutations génétiques liées aux grands sauts évolutifs (Science & Vie N° 1059, 2005).
En penchant notre attention vers ce programme de synthèse et d’évolution de la matière vivante – écrit à l’encre sympathique qui, comme on le sait bien, a besoin de lumière ( !) pour dévoiler les vérités qu’elle cache – nous pouvons nous rendre compte de l’unité de la vie terrestre, de notre origine commune, mais aussi de son énorme diversité. Comment ?! J’ai dit « origine commune » et « diversité » ?! Mais les darwinistes soutiennent la même chose : nous tous sommes apparus au bout d’un long processus évolutif des primates, qui, à leur tour, sont apparus d’une autre lignée, ayant pour base la salamandre !! Les deux courants, tellement opposés en apparence, le darwinisme et le néo-créationnisme, pourraient être donc complémentaires… Leur conciliation pourrait commencer à partir des deux constats suivants : « Intelligent Design » envisage le but de la création et le finalisme global de l’évolution, tandis que le darwinisme fournit uniquement les étapes impliquées dans la réalisation de ce processus évolutif, par des petites périodes.
La forme de papillon du sphénoïde, fut choisie semble-t-il expressément pour nous rappeler qu’avant de pouvoir voler, le papillon fut d’abord une larve. Le fait d’être caché dans le crâne, à la base du cerveau, serait le signe que le vol commence à partir de là.
Teilhard de Chardin, ce réconciliateur visionnaire entre la science et la religion, disait: "For the observers of the Future, the greatest event will be the sudden appearance of a collective humane conscience and a human work to make."(„Pour les observateurs du Futur, le plus grand évènement sera l’apparition soudaine d’une conscience humaine collective et du travail humain à faire).
Les environ 6000 langues terrestres, où la langue humaine sortie peut-être du premier Verbe, seront-elles capables de travailler à l’accomplissement de la prophétie de Teilhard?
1 décembre 2005
(ROMANIAN ACADEMY, Romanian Committee for the History and Philosophy of Science, INTERDISCIPLINARY BULLETIN No. 2,- 2007)