Parmi cet amas de roses qui ont envahi mon jardin, un bourgeon de Lys. C’était un signe de Chloé. Elle m’annonçait la sortie officielle de mon livre « Poésies en gouttelettes – Epigrammes », le 1er juin 2020. On sait qu’à cette date on fête les enfants, selon certains, ou les parents, selon d’autres. Pour moi, le 1er juin sera à jamais le jour où je suis née dans la famille de Chloé des Lys et le jour où mon livre a reçu le baptême du catalogue de cette maison d’édition belge. Que disent les fées ? Pendant la gestation, trois fées ont déjà donné leurs avis, inclus d’ailleurs dans l’ouvrage (était-ce Flora, Pâquerette ou Pimprenelle ? A découvrir !). Quant aux autres on attend. On verra… Bien ou mal. « Bibidibabidiboo ».
Antonia (30)
Seigneur,
Mets en moi un peu de printemps
Et que la biche enfonce dans ma paume
son humide museau
Fais que surgisse en moi
Du vert bourgeon la feuille
Que le chicot bourgeonne
Pour la beauté d’une fleur.
Seigneur,
Mets en moi l’éclaircie du pardon
Égaye le ciel morose et ravive l’oubli
Que je renaisse enfant au cœur du printemps
Que j’aime encore une fois
Et qu’une étoile filante me ravisse la nuit.
©Antonia Iliescu
27.04.2020
La clepsydre vivante
Moi, clepsydre vivante,
Je casse les parois de l’âme
Et je vous libère, mes souvenirs.
Je vous laisse vivre votre vie
Comme j’ai vécu la mienne
Je vous laisse voler libres
Comme une poignée de farine
Soufflée par le vent.
Volez, volez mes souvenirs,
Volez à mon âme son âme blanche,
Ensuite laissez-vous tomber à terre
Et vous verrez :
La farine se fera à nouveau blé.
Antonia Iliescu
L’échelle à quatre marches
Honorin avait fait un rêve. Un homme à barbiche, un œil fermé (le gauche), lui disait d’aller au grenier chercher le coffre de son oncle défunt. Quand il se réveilla…
Le jeune astrophysicien était le seul survivant d’une longue lignée d’alchimistes. Voici une dizaine d’années, après l’héritage de son oncle (descendant d’Altus) il avait vendu le château et le mobilier et mis le coffre en lieu sûr. « Tout ce qu’il y a dedans vaut de l’or » lui avait dit son oncle avant de s’en aller. Mais il l’avait laissé dormir sans même y jeter un regard, car pour lui l’or était ailleurs.
À quatre heures du matin il était debout. Il monta au grenier et trouva la malle, intacte après tant d’années. Impatient d’examiner le trésor, il prit pieusement les objets un par un et les rangea sur sa table de travail couverte d’une nappe fleurie, de couleur sombre. Vêtu de son peignoir raccommodé, Honorin regardait à travers ses grosses lunettes les sept objets: une chandelle (qu’il alluma aussitôt comme pour un rituel), un livre aux feuilles jaunies, brûlées et déchirées par endroit, écrit par Altus. À côté, il y avait quatre volumes (remis à neuf et entassés l’un sur l’autre) du livre Mutus liber magister dont l’auteur était le même Altus. Trois d’entre eux contenaient des dessins sans le moindre texte, tandis que le quatrième étalait le tableau des éphémérides. À la dernière page il y avait deux croquis face à face, représentant la vie et la mort. Un lutin, le pied droit posé sur la vie et le gauche, sur la mort, tenait entre ses mains un grand signe d’interrogation. Juste à côté des livres, il y avait un appareil sophistiqué, pas plus grand qu’un saladier, qu’Honorin avait trouvé entre des pailles, au fond du coffre.
À travers la fenêtre ouverte l’éclat lunaire chassait l’obscurité de la pièce. La lumière froide de la lune et celle chaude de la chandelle s’entremêlaient silencieuses dans une danse presque mystique. Le livre, daté de 1677, était un traité d’alchimie, une sorte d’Alchemical abstracts des œuvres des plus illustres alchimistes. Quelques pages y avaient été arrachées afin d’être examinées à la chaleur de la flamme (certains mots coloriés en rouge, écrits à l’encre sympathique, en étaient les témoins) ; ensuite, elles avaient été remises à leur place, sans grand soin. Honorin sentait toutefois que l’ouvrage était plus qu’un simple livre descriptif. Ayant un don hors pair dans le déchiffrage des codes, pour lui ce fut un jeu d’enfant de voir qu’à la page 7 commençait le chapitre « L’entonnoir du temps » et que chaque page avait 14 (2x7) lignes. En examinant à la loupe la page 21, il eut une révélation : si on marquait d’un point rouge chaque septième lettre de tous les mots de plus de sept lettres et si on unissait ces points par une ligne courbe, on obtenait le portrait de son aïeul Altus, l’homme du rêve qui lui faisait un clin d’œil espiègle, voulant dire: « Voici les jouets sympas que je te donne. Seras-tu à la hauteur des mystères qui s’y cachent ? » Suivant la même logique, à la page 28 il lut le message suivant: « Le chiffre 7 ainsi que ses multiples sont sacrés. Les Pythagoriciens le nommaient “la machine de la vie” et tu apprendras pourquoi, en démêlant les cryptogrammes des volumes aux dessins. Il y a quatre marches à suivre pour accomplir le Grand Œuvre Alchimique: l’œuvre au noir sous l’œil destructeur de Saturne, l’œuvre au blanc sous l’œil purificateur de la Lune, pour obtenir l'élixir de longue vie, l’œuvre au jaune sous l’œil sublimatoire de Vénus quand la matière palpable devient invisible et enfin, l’œuvre au rouge sous l’œil du soleil ; c’est la réincarnation de l’esprit dans un nouveau corps et à un niveau supérieur de conscience.”
Étranges coïncidences… Son nom avait 7 lettres, il était né le 7.07.1907 et dans sept jours il devait fêter ses 37 ans. À la page 77, Honorin découvrit un texte suivi d’un dessin: « Mon fils des générations futures, je te donne cet appareil que j’ai moi-même construit à la lumière de l’esprit et celle de la chandelle, après avoir accompli le Grand Œuvre. Il s’appelle Tempusvitam. Chaque naissance et chaque mort y sont codifiées. Découvre le mode d’emploi et tu sauras quand tu mourras et comment obtenir l’immortalité ». Perplexe, Honorin se gratta la barbe. « Hm… J’apprends quand je mourrai, pour découvrir par après l’immortalité... C’est absurde ! » Un seul regard lui suffit pour comprendre que le dessin reproduisait fidèlement l’appareil du coffre. Son cœur se mit à battre plus fort. Soudain, sa pensée glissa vers des questions auxquelles il n’avait jamais trouvé de réponse. « Certes, il y a trop de mathématiques dans le ciel pour que la vie soit apparue par pur hasard… » se dit-il en se dirigeant vers sa table de travail «…ou alors le hasard est un très bon mathématicien ».
Il examina minutieusement la machine. Elle était faite de trois cylindres métalliques coaxiaux, ayant au centre une boussole à deux aiguilles, une blanche et l’autre noire. Honorin se mit à chercher ardemment le mécanisme du fonctionnement de l’engin. « Il existe nécessairement un lien entre les livres et cet appareil » pensait-il « sinon ils n’auraient pas été mis ensemble ».
Il relut attentivement le chapitre « L’entonnoir du temps » où certains paragraphes faisaient référence aux dessins du Mutus liber magister. Le premier cylindre indiquait les 12 signes du zodiaque, tandis que le deuxième montrait, en chiffres arabes et romains, le nombre d’années, de jours et d’heures de vie. Le troisième cylindre protégeait la boussole, dont l’aiguille blanche pointait vers le signe de naissance, tandis que celle noire montrait d’abord l’année, ensuite le jour et l’heure de la mort.
Après de nombreux essais, un jour de chance, il eut enfin le code. En tournant le premier cylindre 37 fois vers la droite et le deuxième, 37 fois vers la gauche, l’appareil se mit en marche d’un mouvement silencieux. Après un certain temps il s’arrêta. L’aiguille blanche oscillait dans le septième signe, le Cancer (son signe de naissance), tandis que l’aiguille noire effleurait un par un les chiffres 37, 7 et VII. « Je vais donc mourir demain, le jour de mon anniversaire, à 7 heures ». Le rêve, l’homme à barbiche… Oui, il avait été guidé vers la boîte du grenier. Quelqu’un de là-haut (ou d’en bas) voulait le sauver à tout prix.
Il se souvint du livre d’Altus. Il y avait quatre étapes pour réaliser le Grand Œuvre. Il se trouvait où, lui ?... Avait-il déjà parcouru l’œuvre au noir et devait-il entamer l’œuvre au blanc, celle de la purification pour obtenir l’élixir de longue vie ? Seul face à lui-même et devant une telle question… Soudain, il se rappela la phrase «…comment obtenir l’immortalité ». Il comprit que s’il voulait vivre, il fallait changer le code. Et après quelques essais infructueux, il trouva la clé. C’était comme une nouvelle naissance et il en était le maître. « Disons 107 ans. Pas mal… Ensuite on verra ». Aussitôt il se mit à tourner le premier cylindre 107 fois vers la droite et une seule fois vers la gauche. Le résultat fût étonnant. L’aiguille blanche dandinait toujours dans le signe du Cancer, tandis que l’aiguille noire tournait sans arrêt. Honorin laissa la machine virevolter un jour, deux, des mois et des années par dizaines. Constamment obsédé par les faits du ciel et beaucoup moins par ceux de la terre, il était toujours sans famille à ses 106 ans.
La machine continuait toujours de tourbillonner au grenier, tandis qu’Honorin vieillissait comme tout un chacun. Après tout, Altus lui avait promis l’immortalité, pas la jeunesse éternelle. Il diminuait de jour en jour, sous l’œil impitoyable de Saturne. Le vieux fantôme ne faisait que trois fois par semaine le tour du jardin, en trébuchant sur sa longue barbe et ses souvenirs. Il avait renoncé à tout pour mener une vie d’ermite qui ne le satisfaisait plus. Le crépuscule de sa vie le trouvait épuisé d’isolement, sans aucun ami. Et il venait d’enterrer son dernier chien. Indubitablement, son diplôme de docteur en astrophysique, tous les livres qu’il avait écrits ainsi que sa sagesse notoire n’étaient que des amis inanimés, des amis en carton. Il se posait toujours des questions. « Et si… »
Un soir il monta au grenier vérifier si la machine roulait encore. Oui, elle tournait à vive allure comme au premier jour. Quant à lui…Triste, recroquevillé sur sa canne, il errait parmi les antiquailles, en parlant tout seul : « À quoi bon vivre dans un monde vidé de lui-même ? Certes, le monde s’est renouvelé, pas moi. Où est ma place parmi tous ces inconnus ? À quoi ça sert d’être un dieu si on n’a personne à qui dire bonjour ? Dieu lui-même s’est auto-détruit, ne supportant plus sa solitude. Bang ! Big-bang. Et il court depuis, sans arrêt, sous la couverture d’un univers qui grandit à l’infini. La Force grandiose, qui s’est dissipée voici 13,7 milliards d’années dans des infinies fractales, vit toujours comme elle peut dans ses créatures. Si même Dieu n’a pu supporter l’immortalité, alors comment pourrais-je la supporter, moi ?... »
Il était minuit moins dix. Le lendemain il devait fêter ses 107 ans. Devant la fenêtre largement ouverte, Honorin contemplait le ciel d’été sous l’œil attentif de Vénus. Sans hésiter il monta au grenier et tourna la machine 107 fois à droite et 107 fois à gauche. Tranquille, il rédigea son testament olographe, laissant la maison à un home pour enfants orphelins. Il mit les livres et l’appareil dans le vieux coffre et alla l’enterrer dans un lieu connu par lui seul. Avant de fermer le couvercle, il y glissa un flacon avec le message suivant: « vous qui trouverez ces choses bizarres, demandez-vous: à quoi sert l’immortalité ? ».
Ce n’est qu’au petit matin qu’il rentra chez lui. Le soleil rougissait déjà un ciel quelque part, comme une promesse de vie. Fatigué, il se coucha aussitôt. Il dormit longtemps. Très longtemps.
Quand il se réveilla…
Antonia Iliescu
9.09.2018
(c'est le texte gagnant au concours "texte sur photo", pour la revue "Les petits papiers de Chloé" - édition jubilaire pour les 20 ans de Chloé des Lys)
http://www.aloys.me/2018/12/resultats-du-concours-photo.html
Un pays pleure agenouillé
Un pays pleure agenouillé
Demandant charité au frère
D’un cœur meurtri qui bat à peine
Dans la poitrine du tronc blessé.
Si sur notre drapeau est écrit UNION
Alors pourquoi tant de division ?
Tombé à genoux pleure un pays entier
Sous la croute d’une profonde plaie.
Tombé à genoux pleure un pays entier
Et je pleure avec lui, ici, de très très loin,
Il y a des gouttes de mort sur ses joues décharnées…
Homme avec homme se déchirent jusqu’au sang.
C’est le temps des rêves qui meurent
Sur le pavé, dans le sang et les épines,
Milliers d’Abel et milliers de Cain
S’affrontent dans les rues en criant :
« Justice ! Luttons pour votre bien… »
Si sur notre drapeau est écrit UNION
Pourquoi tant de haine dans ces bustes gloutons,
Qui bourdonnent comme des cassés tambours
Désemplis de toute trace d’amour ?
Ô, mon pays, ne laisse pas tes enfants
Sous ces triques et ces pierres sombrer dans la mort !
Un peu de feu dans l’âtre et un regard aimant
Et tu verras tes fils grandir encore plus forts.
Si sur notre drapeau sera écrit AMOUR
Le mot UNION y sera pour toujours.
Antonia Iliescu
Je m’appelle Pipina et je suis la porte-parole de ma maîtresse, Antonia Iliescu.
Elle a le plaisir de vous inviter à une séance de dédicace lors du baptême de son bambin, « L’arche de Naé » ou « Les souvenirs d’un chien émancipé », né en juin 2016, aux Éditions Edilivre.
L’heureux évènement aura lieu le 27 novembre 2016 à la Foire du livre de Mons, entre 10 h et 18 h, au stand de l’éditeur Edilivre.
Adresse (Entrée visiteurs) :
Avenue Abel Dubois
7000 Mons (Belgique)
Entrée libre.
(détails pratiques : http://www.monslivre.be/informations-pratiques_4727775.html )
Pour un premier contact avec le bébé, je vous invite à regarder le clip :
https://www.youtube.com/watch?v=86S9FhfJBHI
et à lire l’interview écrit de ma maîtresse :
https://www.edilivre.com/communaute/2016/06/24/rencontre-avec-antonia-iliescu-auteur-de-larche-de-nae/#.V_JEWs5OI1I
Monsieur Letordu
de Antonia Iliescu
Après deux petites cuillères de crème brûlée, Dora se remit à écrire. Elle devait présenter le lendemain son travail pour la revue et s’était redue compte qu’elle avait oublié une chose très importante.
« Petite flûte. „Comment vas-tu, Petite Flûte ?” „Dis, elles sont en quoi les rubans de tes tresses ?” „En viscose.” „Et où fabrique-t-on la viscose, en Roumanie ?” „ A Cisnadie, à...” „ Mais ton uniforme, de quel matériel est-il fait ?” „ Il est fait en étoffe.” „ Quels sont les principaux centres textiles du pays où l’on fabrique de l’étoffe ?” Je commence à les enfiler un après l’autre, en montrant du bout du bâton, leur place sur la carte. Le brouillard se dissipe, mes yeux voient plus clair et la peur relâche son étreinte.
Le ton doux de la voix de monsieur Letordu était une chose inhabituelle pour lui. Il jouissait d’une sacrée réputation parmi les élèves de l’école, depuis des générations et des générations. « Es-tu déjà en deuxième secondaire ? Alors tu auras Letordu comme prof de géographie. Si t’as les nerfs solides, pas de problème. » C’était un petit homme d’un mètre et demi. Il était mince et son visage était tordu par un éclat d’obus égaré dans une tranchée, pendant la deuxième guerre mondiale. Pourtant monsieur Letordu était « la terreur » de l’école. Quand il faisait son apparition dans le couloir, nous fuyions à qui mieux, mieux pour nous cacher derrière les bancs, en nous faisant tout petits derrière le collègue assis dans le banc en face.
Je l’ai eu aussi comme prof de géographie, pendant 5 ans. Dès les premières heures j’ai eu un tragique conflit avec cet homme qui semait la terreur alentour. Après avoir eu un 10 je me suis reposée sur mes lauriers ; plus de trois quarts de ma classe n’avaient pas encore la première note, tel qu’après un calcul je me suis dit que je pouvais rester tranquille, sans étudier au moins pendant deux semaines. Mais monsieur Letordu avait ses méthodes et je ne les connaissais pas.
La deuxième heure de géographie, il entre dans la classe, l’immense registre sous le bras. Il le pose sur la chaire et il l’ouvre au hasard. Nos cœurs arrêtent de battre. Il revient une page en arrière et suit de ses yeux son index qui descend sur la feuille. Après un certain temps, son index ne bouge plus, ni les yeux de monsieur Letordu. C’est fini. Il a choisi ! “Voyons ce qu’il en est de ces bons élèves, ceux qui ont des 10 sur 10... « Qu’Antoniou Dora vienne au tableau ! » « C’est impossible ! C’est une erreur ! J’ai déjà une note, une bonne note ; il ne peut pas me faire ça ! » - me dis-je en me levant péniblement de mon banc et en me dirigeant avec des pas hésitants vers la carte. Il me demande quels sont les sommets des Carpates Orientales. Je me tais. Monsieur Letordu commence à crier : « Drôle de bon élève de 10 sur 10 ! Qu’est-ce qu’il y avait dans ta tête, que si tu avais obtenu un 10 tu pourras dormir tranquille tout le trimestre ?! Voilà, je t’ai eu ! Tu te croyais protégée, hein ? Je te donne un trois sur dix ! Même pas, je te donne un deux sur dix, pour que tu te rappelle qu’une bonne note oblige l’élève à étudier en permanence. Honte à toi, d’autant plus qu’aux autres matières, tu n’as que des 10 sur 10. A partir de maintenant, je vais t’interroger chaque fois, jusqu’à la fin de l’année ». Monsieur Letordu a tenu sa parole.
- Qu’Antoniou Dora vienne ici, devant la carte ! J’espère que tu as étudié la leçon, sinon tu auras un deux sur dix.
Malgré le fait que je savais la leçon par cœur, je ne fus pas capable d’articuler la moindre syllabe. Mon amnésie était devenue chronique avec le temps. Je me dirigeais vers la carte et après une minute je revenais dans mon banc, sans avoir prononcé un seul mot. Et c’est ainsi que la colonne « géographie » du registre s’est vite remplie de notes de 2. Il y en avait par dizaines, elles n’avaient plus de place sous la rubrique et monsieur Letordu avait attaché une feuille volante. Cette chose ne pouvait pas passer inaperçue dans la salle des professeurs. « Elle est parmi les meilleurs élèves de la classe. Regardez ! Dix sur dix en mathématiques, dix sur dix en langue roumaine, dix sur dix en histoire… Partout que des dix sur dix ! Uniquement en géographie elle a un seul dix et après que des notes de 2 ! » - a dit le titulaire lors du conseil de classe. On a fait aussi une enquête parmi les élèves. « Elle connait les leçons par cœur, M’dame ! Nous répétons ensemble avant chaque heure de géo ! On ne sait pas pourquoi elle refuse de répondre quand monsieur Letordu lui pose des questions… » - disaient mes collègues.
Je ne sais pas ce que le titulaire a dit à monsieur Letordu. L’enquête avait révélé un blocage psychique qui me tenait la bouche soudée. Mes collègues ont dit la pure vérité : j’étais terrorisée de peur. Encore un coup sur la table d’échec et monsieur Letordu allait subir une « mutation ». Petite flûte…
*
Le concours culturel entre écoles a eu lieu. Je chantais en tant que soliste, dans le cadre de ce spectacle organisé par les professeurs de musique de l’école. J’ai chanté une chanson folklorique « Joue, frère, de ta flûte ». Monsieur Letordu était parmi les spectateurs, au premier rang. J’ai fait mon entrée timidement mais décidée. L’honneur de mon école était en jeu. J’ai très bien chanté, oui, très bien. Le déluge d’applaudissements m’a transportée. Pour monsieur Letordu, tellement fier de moi, la chaise était devenue soudainement trop étroite.
A la première heure de géographie après le spectacle il avait complètement changé d’attitude.
- Nous avons ici, dans cette classe, une petite flûte. Mais une vivante, en chair et en os. Voyons si notre Petite flûte a étudié pour aujourd’hui. Qu’elle vienne ici, cette Petite flûte (il me regardait). Allez, joue Petite flûte, quelle est la leçon d’aujourd’hui ?
Je me mets debout. « Moi ? » « Oui, oui, toi. Viens ici au tableau, Petite flûte ! » Les genoux tremblant, je me dirige vers la carte. « Dis-moi, Petite flûte, de quelle matière sont faits les bancs ? » « Ils sont en bois ». « Où avons-nous des centres pour l’usinage du bois, à travers le pays ? »
C’est comme ça que je suis devenue bonne amie avec monsieur Letordu. Les réponses venaient fluides, sans effort. Tout le savoir était là, dans ma tête et le ton doux et amical du professeur m’aidait à répondre correctement aux questions. Monsieur Letordu avait beaucoup changé depuis ce conflit qui était devenu avec le temps source infinie d’amour. Nous nous envoyions des vœux à Noël et à l’occasion du Nouvel An. Nous nous envoyions des salutations de vacances. Le cours de géographie m’était devenu le plus cher de tous les cours. Monsieur Letordu avait changé et nous, les élèves qui l’avons eu comme professeur dans les années suivantes, nous n’étions ni effrayés ni pleins de haine. Il était un homme comme nous et lui, il avait compris que nous aussi nous étions des hommes comme lui.
Toute cette métamorphose, avec ses effets réciproques, fut possible uniquement à travers l’amour. Mais pour arriver à la source claire de l’amour, je dus descendre d’abord dans le noyau de feu de la terre. Le vitriol avait brûlé en moi la peur et la haine, tandis qu’en lui, il avait brûlé l’intolérance. »
(fragment de "Dora-Dor ou le chemin entre deux portes" de Antonia Iliescu -- Kogaiön Editions, 2006)
Légende d’une petite chienne (ou une petite chienne de légende)
de Antonia Iliescu
Je vous raconte l’histoire D’une petite chienne racée, Travailleuse et appliquée, Qui ramasse de la maison Linge et toute sorte de chiffons, Les miettes de la table Et les petits grains de sable Elle les range à sa manière Dans son petit lit, par terre.
Mais, mieux vaut Pipine laisser - Doux, croquant noyau d’amande, - Du milieu du canapé Raconter sa p’tite légende :
Je suis arrivée sur terre Un jour saint de notre ère, Dans un bas fin et léger Caché dans un p’tit soulier Du Paradis de là-bas Un jour de Saint Nicolas.
Chez vous, une fois arrivée, Vous m’avez rassasiée ; À mon tour, mes très chers maîtres, Dans notre maison champêtre, Je vous apporte la gaité Et vous chasse l’anxiété.
Je suis tendre, amicale, Joliment couverte de poils Coloriés comme le vent, Taillés à la mode d’antan. P’tite toupie aux petites dents Propres comme les lys blancs. Juste pour mes oreilles ailées Et ma brioche duvetée Tous les chiens du quartier Un par un tombent des pieds. Ils me trouvent très aguichante Quand je me promène en pointes ; Et courent jusqu’à perdre haleine Pour toucher ma petite laine Quand je me trimbale, rêveuse Moi, Pipina-namoureuse !
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Je suis petite. Et alors ?! Je m’en prends aux labradors, De même pour toute sorte de chats Qui me fuient, car peur de moi ; Le chat Tristan, je vous dis, Désespère et tombe au lit Dès qu’il voit ma pipe chic Sous ma truffe colérique ; Amer et jaloux il dit : « Elle semble un Churchill plus p’tit. »
J’ai une ribambelle d’amis Tous passés au fin tamis Parmi des hommes et des chiens Belges et franco-autrichiens.
Nous sommes une communauté De p’tits chiens aux poils lavés. Oui… ça fait bientôt un an Que je connais Pim et Pam, Kenzo, Lilou et Mlimli, Et ma chère voisine Fifi. Mais, entre tous, chers et chères, C’est bien un que je préfère : C’est Spooky, un blanc bichon À petite queue tirebouchon Prince aux airs de pharaon Qui aboie comme un paon…
Et, pour mettre un point à tout, Je fais à tous un bisou. Car père Noël vient demain De cadeaux pleines les mains Je vous souhaite le meilleur À ma façon d’aboyeur : Soyez bons comme le bon pain Et aimez-vous comme les chiens !
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Le modèle
de Antonia Iliescu
Liquéfié je tombe des nuages,
Le pilon froid m’écrase dans le mortier ;
Le feu détruit mes détritus sauvages ;
Le corps et l’âme en gouttes gémissent broyés.
Tous mes atomes dispersés me font mal
Quand sans pitié la vieille cornue me tue.
Volage, je transmute en vent astral
Passant comme le temps, inaperçu.
Quand l’or se fait plomb au milieu de la nuit,
À l’abri des regards, le plomb se fait pluie
Et mes jours se font nuits et mes nuits se font voile
Qui vole virevoltant et lascif s’abandonne
Au cri de mon corps, au cœur de l’automne,
Sous les mains d’un peintre, pour en faire une toile.
Le sable des aïeux
de Antonia Iliescu
Le sablier vivant se casse les parois
De l’âme. Les souvenirs rajeunis se libèrent
En revivant leur vie, c’est leurs vies qu’ils déterrent
Délivrées, en fin, et des chaînes et des lois.
Une poignée de farine grisée par le vent
Survole leur jeunesse, leurs amours et renons
Le temps pulvérisé se demande où ils sont
Audace, essors et foi qui les rendaient vivants.
Les graines de mémoire s’éparpillent légères
Ravivant les aïeux prisonniers de la terre.
En s’avançant d’un pas accablant et tremblé,
Ils pénètrent en moi, mélange de blanc et gris;
Dégagée de l’ivraie, la poudre grise blanchit.
Bizarre… De nouveau la farine se fait blé.
Croquis de vie
de Antonia Iliescu
Je chante, donc j’existe
J’existe, donc j’écris
J’écris, donc je crie
Ma quête d’infini.
Maquette de survie…
Le guérisseur des nuits malades
de Antonia Iliescu
Silence. Les cieux se taisent. Seul le mal vagabond
Crie dans la nuit avec sa voix de chouette ;
Un nuage noir sirote mon souffle moribond ;
Spectres verdâtres dansent dans l’obscure chambrette.
Lourdeur. Le corps se glisse dans l’amère mélasse
Des années fatiguées tassées dans la brouette ;
Entre moi et le monde le pont solide se casse.
L’esprit blessé mendie de l’espoir. Que des miettes…
.
Des rideaux de lumière descendent sur les ombres ;
Le paysage change, se meurent les pensées sombres ;
Un oiseau bleu annonce que la nuit va finir.
Des murmures réveillés à l’horizon lointain
Jettent gaiement dans le monde un tout nouveau matin ;
Et le soleil me touche afin de me guérir.
(deuxième prix «Pierre Anselme» au Concours International de Sonnets 2014 - Sonnet Irrégulier)
Le pardon de la neige
Antonia Iliescu
Soit bénie neige blanche,
robe du ciel, éphémère…
Viens couvrir la boue
Des choses et des hommes ;
J’attendais tes bourgeons
Truffés de lumière
Blanchir le noir du monde,
Raviver la forêt.
Soit bénie, neige de soie,
Neigeote sous mes paupières
Je n’ai ni mal ni froid
Je suis une pierre tombée
De là-haut, redevenue poussière.
Couvre-moi, doucement
Avec ta paume-duvet,
D’abord jusqu’aux chevilles,
Ensuite jusqu’au front
Que je te sente, neige, grandir en moi
Comme un auguste mont.
Neige hostile sans soleil
Aux lueurs bizarres
Dans tes yeux méchants,
Tu m’accroches aux cils
Des perles en collier
Comme des nœuds légers
Sur une fragile branche;
Pourtant je te pardonne, neige,
Car ton âme est si blanche…
Le dernier secours
(poème inspiré par les aquarelles « L’âme des cieux » de Ophira Grosfeld)
Mais d’où sommes-nous venus, tordus et ambigus ?
Du néant ou des cieux d’origine inconnue ?
Quelle force de l’univers nous a donné une âme
Et cet amour qui donne moins qu’il ne réclame ?
On se bat pour un rien qu’on appelle la vie
Agonisant noyés dans la soif d’infini,
Et dans de vains espoirs et nos amers renons
Et on supporte tout par peur de l’abandon.
Mais la magie s’installe dès qu’on regarde en haut
Et on oublie les craintes, les tabous, les barreaux
Alors on flotte légers au dessus des misères
Le ciel est tout en nous, comme toute la terre entière.
Un seul regard suffit vers le bleu-saint des cieux
N’y a rien à comprendre de leur voile mystérieux
Que des nuages rosâtres de ouate et de velours…
Pourtant on les appelle comme dernier secours.
Antonia Iliescu
24. 01. 2015
La respiration de l’artiste
(nano essai) – Antonia Iliescu
Pour l’artiste il y a plusieurs degrés de présence sur l’espace virtuel. Quand l’artiste se retire, il laisse parler son œuvre. C’est la manière la plus convaincante de communiquer avec le monde (présent ou futur) et c’est lorsque l’huile monte à la surface qu’il est le mieux entendu. Et c’est ainsi qu’il accomplit son rôle.
Pour l’artiste l’inspiration est de l’inspiration, tendis que son œuvre est de l’expiration. Il crée, donc il respire ; il respire, donc il existe. Et quand il se retire c’est pour se nourrir, car – n’oublions pas – ce n’est pas la partie visible qui soutient l’iceberg.
8. 08. 2013
La basilique sainte Marie des Anges et des Martyres
Antonia Iliescu
La dernière œuvre de Michel-Ange en matière d’architecture est la basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri de Rome [1]. Nommée à l’origine “La Basilica di Santa Maria dei Sette Angeli” ce monument d’art ancien naît par la décision du Pape Pie IV (le 5 août 1561). Le sacerdoce sicilien Antonio Lo Duca propose de dédier cet édifice « aux sept anges », Michel-Ange ayant la charge de réaliser ce projet dans l’enceinte des Thermes Romains de Dioclétien. Sur un frontispice de l’église il est écrit : “le terme romane sono construite con il sudore e il sangue di schiavi e martiri cristiani” (Antonio Lo Duca).
La basilique vouée à la Vierge, aux Anges et aux Martyres, est un hommage à ces premiers chrétiens anonymes mais également un « mémento » historique. L’Empereur romain Dioclétien (243 – 313 après J.Ch.), connu non seulement par ses contributions en matière d’organisation de l’empire (il est l’initiateur du système de gouvernement nommé “tetrarchia”), mais aussi comme étant le dernier grand persécuteur des chrétiens, renonce en l’an 305 à son titre de « Augustus », en se retirant de la vie politique. Remords ?...
Le fils d’un des quatre représentants de la tétrarchie deviendra l’empereur Constantin I, connu par les orthodoxes comme Constantin le Grand. Cet empereur, par l’édit dit « de tolérance » de Milan (l’an 313), donne légitimité à la religion chrétienne dans tout l’Empire Romain. L’édit a représenté en fait l’extension d’un acte similaire (datant de 311) donné par Galerio, l’empereur de l’Empire Romain de l’Est. Ce dernier a accordé à Constantin le titre de Caesar, en lui reconnaissant ainsi le droit à la succession du trône. L’édit de Galério avait failli à être appliqué à cause de la mort de celui-ci, quelques jours après son émission (le 5 mai 311). Galerio provenait de la Dacie romaine (la Roumanie d’aujourd’hui), ayant comme mère une dace.
Le mur frontal de la Basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri, tout comme le creux d’une main divine qui tient la croix, le Fils-de-l’Homme, la Vierge et les Anges annonciateurs, invite le passant à y entrer et appelle l’artiste à poser son empreinte dans ce temple de la concorde. La voûte centrale, blanche, construite par Michel-Ange en 1571, est d’une étonnante simplicité, dépourvue de peintures ou tout autre ornement. Personne n’a intervenu avec une quelconque intention de restauration, depuis que la main de Michel-Ange, celle qui lui avait donné forme et résistance, l’ait touchée. Mais aucune imperfection ne se remarque dans l’ensemble de ses formes courbées, blanches et majestueuses, merveilleusement conservées. Même le temps n’ose pas dénaturer ces lieux sanctifiés par le génie du maître. Uniquement les artistes sacrés ont la permission de se rallier aux œuvres des grands précurseurs.
Le projet, resté inachevé par la mort de Michel-Ange, a laissé aux successeurs un espace ouvert aux œuvres des artistes à venir dans les siècles suivants, en commençant par ceux du XVI-e siècle et jusqu’aujourd’hui. Le style combiné, entre baroque et néoclassicisme, est dicté par des œuvres célèbres des peintres italiens et/architectes renommés - Domenichino (XVII-e siècle), Pompeo Batoni, Carlo Maratta, Givanni Odazzi, Luigi Vanvitelli (peintre et architecte du XVIII-e siècle) – et du peintre français Pierre Subleryas (XVIII-e siècle).
De même, dans l’enceinte de la basilique « Sainte Marie des Anges et des Martyres », de nombreuses sculptures, peintures, bas-reliefs, tapisseries et mosaïques ont trouvé une place privilégiée, permanente ou temporaire, dans le cadre de certaines expositions d’art. Le sculpteur, le peintre et le créateur de tapisseries en style moderne, Camilian Demestrescu [2] – (d’origine roumaine, né en 1924, artiste militant anticommuniste qui s’est auto-exilé en Italie, où il vit depuis 1969) – a exposé dans la période des fêtes de Noël, entre le 18 décembre 2005 et le 15 janvier 2006, des sculptures et des tapisseries. L’une des œuvres exposés à cette occasion est celle intitulé « La noce du Soleil avec la Lune » (du cycle « Hiérophanies ») :
Son art imbibé d’un saint modernisme, spécialement dans ses tapisseries, attire l’attention du Monseigneur Renzo Giuliano, le curé de la basilique. C’est ainsi que deux des tapisseries de Demetrescu ornent la salle de réception de Vatican (la salle Nervi). Il s’agit d’œuvres chargés d’un éloquent symbolisme, comme par exemple « Annonciation »
et “Saint George tuant le dragon” , inscrit sur le drapeau tricolore de la Roumanie :
Igor Mitoraj [3] (sculpteur d'origine polonaise, né en 1944) occupe une place d’honneur, le projet de reconstruction des portes d’entrée de la basilique lui étant confié. « Les portes des anges », sculptées en bronze, sont inaugurées le 28 février 2006. Par la même occasion Igor Mitoraj offre comme don à la basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri une sculpture « La tête de Saint Jean Baptiste » portant des bandages blancs d’un linceul, qui nous « parle » dès qu’on a mis le pied dans la rotonde de la basilique, en nous rappelant le martyre des futurs chrétiens.
L’architecture de l’église a introduit des éléments symboliques. Sur le mur d’entrée on peut observer une niche à courbature concave, qui abrite une sorte de calice de marbre blanc, ce qui nous fait penser au Saint Graal. La niche est veillée par les deux portes sur lesquelles l’artiste a sculptées en bas-relief la scène de la Résurrection et celle de l’Annonciation. Les portes de Mitoraj, greffées sur les Thermes romains, parlent du lien entre les mondes antiques, révolus, ceux présents et ceux qui vont venir. Ce lien se réalise à travers l’art et les symboles : les thermes étaient des salles de bain où les habitants de Rome nettoyaient leurs corps et l’église, endroit destiné à la purification de l’âme.
La porte à droite (en sortant de la basilique) représente le Christ qui porte la croix en lui-même. Le corps du Messie est partagé en quatre parties par cet insigne qui ne ressemble à aucune croix classique faite en bois, en pierre ou en métal. C’est une croix immatérielle qui lie le saint corps au grand mystère de l’univers.
Jésus passe à travers la porte, prise comme symbole du ciel et vient vers nous avec seulement une partie du corps, l’autre restant au ciel. Jésus est Lui-même porte du ciel ouverte vers nous, les gens ordinaires. Il porte sa croix sans effort, car c’est une croix légère et purificatrice. Le visage du Christ ressuscité des morts, au regard dirigé vers le bas (vers ceux qui entrent dans l’église), n’exprime ni souffrance, ni résignation, mais soulagement et compassion.
La porte de gauche représente la Vierge Marie qui écoute le message de l’archange Gabriel, qui lui dévoile sa mission sainte sur la terre. Tandis que l’archange sort du plan céleste avec uniquement une partie de son corps et une seule aile, la Vierge écoute humble, la tête baissée, la voix de l’ange.
Une fenêtre circulaire située à l’entrée même de la Basilique, laisse la lumière solaire pénétrer à travers la coupole. Quand on est entré dans l’église, sur un mur s’était formé un superbe arc-en-ciel. Plus tard on a appris que cette fenêtre ronde donne vie au « Méridien » de Francesco Bianchini (philosophe, astronome, médecin, historien, botaniste, théologien et mathématicien du XVII-e siècle). Cet instrument de mesure du temps a été fabriqué par le savant aiguillonné par le Pape Clément XI, dans l’an 1701. Il sert à la détermination de certaines dates très importantes du calendrier: les Pâques, l’équinoxe de printemps (…).
Chose étrange, la basilique n’est pas inscrite dans le guide touristique (“Un grand week-end à Rome” - Hachette - 2006), qu’on avait sur nous lors de notre courte visite, immédiatement après Pâques. C’était le dernier jour qu’on passait à Rome quand, ratant les Thermes (elles étaient fermées ce jour-là), nous passâmes à côté de la basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri. « Ca ne vaut pas la peine d’y entrer. Elle n’est pas dans le guide » - nous dit l’accompagnateur, pressé de se diriger vers d’autres objectifs incontournables. Je ne l’ai pas écouté. Je me suis approchée de l’église, étant appelée par la forme bizarre du mur où l’on pouvait distinguer de loin des morceaux d’humains et d’anges qui « criaient » par leur silence. Au fur et à mesure que je m’approchais, les yeux se dilataient d’étonnement et d’émotion.
En passant à travers les deux « portes des anges », j’entrais dans le creux de la main divine où les lignes de la « paume » devenaient de plus en plus visibles et éloquentes. L’histoire ancienne avait creusé des lignes profondes, celles tracées par la main de Michel-Ange, sur lesquelles s’étaient superposées harmonieusement, au fil des siècles, d’autres lignes, tracées par des artistes modernes, qui avaient transmis plus loin le message divin.
Une photo de l’autel, que j’ai prise avec une main tremblante d’émotion, amène au premier plan, par le jeu du hasard et celui des bougies allumées, les anges de lumière. On peut les voir sur la partie droite de l’image, plongés dans une profonde prière.
5 mai 2007
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[1] Sur l’histoire de la Bazilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri: http://www.santamariadegliangeliroma.it/paginamastersing.html?codice_url=istituzione_canonica&ramo_home=Parrocchia&lingua=ITALIANO
[2] Camilian Demetrescu – oeuvres: http://www.santamariadegliangeliroma.it/paginamastersing.html?codice_url=demetrescu_opere&lingua=ITALIANO&ramo_home=Eventi
[3] Igor Mitoraj:
À mon père
antonia iliescu
Écoute-moi un instant, écoute, bon père,
Et ne pars pas avec l’ange gardien
Porté trop vite par ce rayon en pleurs
Qui t’arrache à ce monde de misère.
J’aimerais te dire… mais quoi te dire, bon père,
Quand entre nous il n’y a qu’une prière
Quand le bon songe s’égare estompé
Dans des mondes lointains, inconnus et cachés,
Où tu apaises ton âme blanche de fumée.
J’aimerais pourtant que tu puisses sentir
Tout c’que je n’arrive pas et je voudrais te dire
Avec mon âme qui pleure, agenouillée.
Et si jamais nous on se rencontrait
sur l’invisible lèvre d’une fragile onde,
Pour fusionner une toute petite seconde,
Je t’embrasserais fort encore une fois,
Et je déballerais sans pudeur devant toi
Toute ma réserve d’amour et mes non-dits.
Je t’aime… Comme tu me manques papa…
À bientôt, à l’une de ces étoiles de l’infini.
Le bal des morts
Antonia Iliescu
Sur leur planète, qui se trouve dans la constellation Le Chevalet du Peintre (une vraie pépinière d’étoiles), les êtres n’ont pas de corps, ni au moins une forme quelconque. Ils se distinguent uniquement par la couleur.
Une nuit d’été mon père m’a invitée au bal des morts. Sur une plage énorme au sable blanc, on avait improvisé un ring. Un peu plus loin, sur la ligne d'un horizon invisible, un immense tableau était installé, tableau vivant, sans cadre, sans limites. Quelqu’un était là, silencieux et soucieux de ses invités – les gens chuchotaient que c’était Asclépios. Il nous appelait à danser, en faisant des signes par la main : « Venez, approchez-vous! N’ayez pas peur! Tout est un jeu.». La toile était faite de deux plaques fines de verre, entre lesquelles serpentait un fluide bleu clair, qui pouvait être le ciel ou la mer ou les deux mélangés… Anciens terriens habillés de vêtements de maison en couleur sépia (seul mon père portait une chemise bleue) attendaient leur tour soit en dansant, soit en sommeillant dans les fauteuils mous de nuages. Des gens grands et des gens petits, des riches et des pauvres, femmes ou hommes, partaient deux par deux, la main dans la main vers le tableau.
Deux jeunes filles arrivèrent près de lui. A un moment donné, l’une d’entre elles fut absorbée à l’intérieur de l’immense écran, et a commencé la danse de la mort : elle s’est pliée en deux et s’est liquéfiée ; elle devint ainsi une gouttelette noire, visqueuse, qui peu après monta par osmose entre les deux lamelles transparentes. L’instant suivant j’ai assisté à un spectacle sublime. La gouttelette noire a explosé comme une supernova, changeant continuellement de forme et de couleur. Le film de soie pastellée glissait entre les feuillettes de verre. Des milliers de rayons et de particules portant la couleur dominante individuelle, s’y répandaient comme dans un feu d’artifices, pour disparaître quelques secondes après, fondus dans une délicate toile d’araignée.
Mon père était paisible. Il s’est détaché de la foule et a commencé à danser lentement, en glissant vers le mystérieux athanor. Après cette distillation, les êtres transformés en vibrations tissaient les fils de la toile d’araignée dans une infinité de nuances. Certaines couleurs j’ai réussi à les identifier ici, sur terre : ma grand-mère rose, mon père bleu, l’homme couleur pigeon voyageur, la femme jaunâtre, le petit homme gris-vert, la femme d’or, l’homme mauve de déprime… Mais d’autres gens sont enveloppés dans une substance mystérieuse, quelque chose d’indéfini, comprenant des mélanges étranges de couleurs de feu ou d’autres, troubles, de vent, de couchers et levers du soleil et de lune, de froid et fournaise, poix et artifices.
Parmi eux se trouve peut-être l’homme arc-en-ciel, dont on dit qu’il serait le seul à avoir libéré sa verticale éternelle de l’horizontalité. Il est l’homme le plus difficile à trouver ici mais il vaut la peine de le chercher.
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(fragment du livre « Curcubeul cu oameni »* de Antonia Iliescu – Ed. Libra Vox - Bucuresti 2002)
* L’arc-en-ciel aux humains
Chat-Merlin
Antonia Iliescu
dédié au chat Merlin du réseau « Arts et Lettres »
Le chambellan Chat-Merlin
De la lignée d’Artaban,
Bodyguard des messieurs Arts
Et des Lettres demoiselles,
Roule ses yeux de chat galant
Vers les messieurs de talent
Et toutes les lettrines pucelles.
Mais s’en prend aux goujateries ;
Il ne lâche pas la patate
Et il lance la papatte
Contre toute sorte de « bouillies ».
Il déteste le brouhaha
(Faut appeler un chat un chat)
Car fidèle à ses principes :
À mauvais chat, mauvais rat.
Chat-Merlin aux yeux-émeraude
De la cour du roi Robert
Refile la patate chaude
À une farce de Dagobert.