La basilique sainte Marie des Anges et des Martyres
Antonia Iliescu
La dernière œuvre de Michel-Ange en matière d’architecture est la basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri de Rome [1]. Nommée à l’origine “La Basilica di Santa Maria dei Sette Angeli” ce monument d’art ancien naît par la décision du Pape Pie IV (le 5 août 1561). Le sacerdoce sicilien Antonio Lo Duca propose de dédier cet édifice « aux sept anges », Michel-Ange ayant la charge de réaliser ce projet dans l’enceinte des Thermes Romains de Dioclétien. Sur un frontispice de l’église il est écrit : “le terme romane sono construite con il sudore e il sangue di schiavi e martiri cristiani” (Antonio Lo Duca).
La basilique vouée à la Vierge, aux Anges et aux Martyres, est un hommage à ces premiers chrétiens anonymes mais également un « mémento » historique. L’Empereur romain Dioclétien (243 – 313 après J.Ch.), connu non seulement par ses contributions en matière d’organisation de l’empire (il est l’initiateur du système de gouvernement nommé “tetrarchia”), mais aussi comme étant le dernier grand persécuteur des chrétiens, renonce en l’an 305 à son titre de « Augustus », en se retirant de la vie politique. Remords ?...
Le fils d’un des quatre représentants de la tétrarchie deviendra l’empereur Constantin I, connu par les orthodoxes comme Constantin le Grand. Cet empereur, par l’édit dit « de tolérance » de Milan (l’an 313), donne légitimité à la religion chrétienne dans tout l’Empire Romain. L’édit a représenté en fait l’extension d’un acte similaire (datant de 311) donné par Galerio, l’empereur de l’Empire Romain de l’Est. Ce dernier a accordé à Constantin le titre de Caesar, en lui reconnaissant ainsi le droit à la succession du trône. L’édit de Galério avait failli à être appliqué à cause de la mort de celui-ci, quelques jours après son émission (le 5 mai 311). Galerio provenait de la Dacie romaine (la Roumanie d’aujourd’hui), ayant comme mère une dace.
Le mur frontal de la Basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri, tout comme le creux d’une main divine qui tient la croix, le Fils-de-l’Homme, la Vierge et les Anges annonciateurs, invite le passant à y entrer et appelle l’artiste à poser son empreinte dans ce temple de la concorde. La voûte centrale, blanche, construite par Michel-Ange en 1571, est d’une étonnante simplicité, dépourvue de peintures ou tout autre ornement. Personne n’a intervenu avec une quelconque intention de restauration, depuis que la main de Michel-Ange, celle qui lui avait donné forme et résistance, l’ait touchée. Mais aucune imperfection ne se remarque dans l’ensemble de ses formes courbées, blanches et majestueuses, merveilleusement conservées. Même le temps n’ose pas dénaturer ces lieux sanctifiés par le génie du maître. Uniquement les artistes sacrés ont la permission de se rallier aux œuvres des grands précurseurs.
Le projet, resté inachevé par la mort de Michel-Ange, a laissé aux successeurs un espace ouvert aux œuvres des artistes à venir dans les siècles suivants, en commençant par ceux du XVI-e siècle et jusqu’aujourd’hui. Le style combiné, entre baroque et néoclassicisme, est dicté par des œuvres célèbres des peintres italiens et/architectes renommés - Domenichino (XVII-e siècle), Pompeo Batoni, Carlo Maratta, Givanni Odazzi, Luigi Vanvitelli (peintre et architecte du XVIII-e siècle) – et du peintre français Pierre Subleryas (XVIII-e siècle).
De même, dans l’enceinte de la basilique « Sainte Marie des Anges et des Martyres », de nombreuses sculptures, peintures, bas-reliefs, tapisseries et mosaïques ont trouvé une place privilégiée, permanente ou temporaire, dans le cadre de certaines expositions d’art. Le sculpteur, le peintre et le créateur de tapisseries en style moderne, Camilian Demestrescu [2] – (d’origine roumaine, né en 1924, artiste militant anticommuniste qui s’est auto-exilé en Italie, où il vit depuis 1969) – a exposé dans la période des fêtes de Noël, entre le 18 décembre 2005 et le 15 janvier 2006, des sculptures et des tapisseries. L’une des œuvres exposés à cette occasion est celle intitulé « La noce du Soleil avec la Lune » (du cycle « Hiérophanies ») :
Son art imbibé d’un saint modernisme, spécialement dans ses tapisseries, attire l’attention du Monseigneur Renzo Giuliano, le curé de la basilique. C’est ainsi que deux des tapisseries de Demetrescu ornent la salle de réception de Vatican (la salle Nervi). Il s’agit d’œuvres chargés d’un éloquent symbolisme, comme par exemple « Annonciation »
et “Saint George tuant le dragon” , inscrit sur le drapeau tricolore de la Roumanie :
Igor Mitoraj [3] (sculpteur d'origine polonaise, né en 1944) occupe une place d’honneur, le projet de reconstruction des portes d’entrée de la basilique lui étant confié. « Les portes des anges », sculptées en bronze, sont inaugurées le 28 février 2006. Par la même occasion Igor Mitoraj offre comme don à la basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri une sculpture « La tête de Saint Jean Baptiste » portant des bandages blancs d’un linceul, qui nous « parle » dès qu’on a mis le pied dans la rotonde de la basilique, en nous rappelant le martyre des futurs chrétiens.
L’architecture de l’église a introduit des éléments symboliques. Sur le mur d’entrée on peut observer une niche à courbature concave, qui abrite une sorte de calice de marbre blanc, ce qui nous fait penser au Saint Graal. La niche est veillée par les deux portes sur lesquelles l’artiste a sculptées en bas-relief la scène de la Résurrection et celle de l’Annonciation. Les portes de Mitoraj, greffées sur les Thermes romains, parlent du lien entre les mondes antiques, révolus, ceux présents et ceux qui vont venir. Ce lien se réalise à travers l’art et les symboles : les thermes étaient des salles de bain où les habitants de Rome nettoyaient leurs corps et l’église, endroit destiné à la purification de l’âme.
La porte à droite (en sortant de la basilique) représente le Christ qui porte la croix en lui-même. Le corps du Messie est partagé en quatre parties par cet insigne qui ne ressemble à aucune croix classique faite en bois, en pierre ou en métal. C’est une croix immatérielle qui lie le saint corps au grand mystère de l’univers.
Jésus passe à travers la porte, prise comme symbole du ciel et vient vers nous avec seulement une partie du corps, l’autre restant au ciel. Jésus est Lui-même porte du ciel ouverte vers nous, les gens ordinaires. Il porte sa croix sans effort, car c’est une croix légère et purificatrice. Le visage du Christ ressuscité des morts, au regard dirigé vers le bas (vers ceux qui entrent dans l’église), n’exprime ni souffrance, ni résignation, mais soulagement et compassion.
La porte de gauche représente la Vierge Marie qui écoute le message de l’archange Gabriel, qui lui dévoile sa mission sainte sur la terre. Tandis que l’archange sort du plan céleste avec uniquement une partie de son corps et une seule aile, la Vierge écoute humble, la tête baissée, la voix de l’ange.
Une fenêtre circulaire située à l’entrée même de la Basilique, laisse la lumière solaire pénétrer à travers la coupole. Quand on est entré dans l’église, sur un mur s’était formé un superbe arc-en-ciel. Plus tard on a appris que cette fenêtre ronde donne vie au « Méridien » de Francesco Bianchini (philosophe, astronome, médecin, historien, botaniste, théologien et mathématicien du XVII-e siècle). Cet instrument de mesure du temps a été fabriqué par le savant aiguillonné par le Pape Clément XI, dans l’an 1701. Il sert à la détermination de certaines dates très importantes du calendrier: les Pâques, l’équinoxe de printemps (…).
Chose étrange, la basilique n’est pas inscrite dans le guide touristique (“Un grand week-end à Rome” - Hachette - 2006), qu’on avait sur nous lors de notre courte visite, immédiatement après Pâques. C’était le dernier jour qu’on passait à Rome quand, ratant les Thermes (elles étaient fermées ce jour-là), nous passâmes à côté de la basilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri. « Ca ne vaut pas la peine d’y entrer. Elle n’est pas dans le guide » - nous dit l’accompagnateur, pressé de se diriger vers d’autres objectifs incontournables. Je ne l’ai pas écouté. Je me suis approchée de l’église, étant appelée par la forme bizarre du mur où l’on pouvait distinguer de loin des morceaux d’humains et d’anges qui « criaient » par leur silence. Au fur et à mesure que je m’approchais, les yeux se dilataient d’étonnement et d’émotion.
En passant à travers les deux « portes des anges », j’entrais dans le creux de la main divine où les lignes de la « paume » devenaient de plus en plus visibles et éloquentes. L’histoire ancienne avait creusé des lignes profondes, celles tracées par la main de Michel-Ange, sur lesquelles s’étaient superposées harmonieusement, au fil des siècles, d’autres lignes, tracées par des artistes modernes, qui avaient transmis plus loin le message divin.
Une photo de l’autel, que j’ai prise avec une main tremblante d’émotion, amène au premier plan, par le jeu du hasard et celui des bougies allumées, les anges de lumière. On peut les voir sur la partie droite de l’image, plongés dans une profonde prière.
5 mai 2007
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[1] Sur l’histoire de la Bazilique Santa Maria degli Angeli e dei Martiri: http://www.santamariadegliangeliroma.it/paginamastersing.html?codice_url=istituzione_canonica&ramo_home=Parrocchia&lingua=ITALIANO
[2] Camilian Demetrescu – oeuvres: http://www.santamariadegliangeliroma.it/paginamastersing.html?codice_url=demetrescu_opere&lingua=ITALIANO&ramo_home=Eventi
[3] Igor Mitoraj: