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Critique (18)

administrateur théâtres

Pour la troisième fois au Théâtre Royal du Parc, et avec le succès que l’on sait, Patrice Mincke s'empare de l'un des textes les plus célèbres du répertoire de Molière : «  Le Misanthrope ». Foin cette fois, de sujets d’ordre domestique où sont  livrées à notre risée des études de caractère cinglantes qui suscitent les bienfaits du rire.

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Ici s’engage un délicat débat de société: Philinte ou Alceste?

Dixit La Bruyère : « Ne nous emportons point contre les hommes en voyant leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, l’amour d’eux-mêmes et leur oubli des autres: ils sont ainsi faits, c’est leur nature: c’est pouvoir supporter que la pierre tombe ou que le feu s'élève » ( De L’homme)

Philinte, pour sa part est … catégorique «  Et mon esprit n’est pas plus offensé de voir un homme fourbe, injuste, intéressé que de voir des vautours affamés de carnage, des singes malfaisants et des loups pleins de rage. »

Ce nouveau «Misanthrope» millésimé 2024 donné au Théâtre Royal du Parc est une splendeur d’interprétation et de jeu théâtral. Acrobatiques, les comédiens jouent tous « haut et sans filets » avec l’énergie  de la jouvence et du renouveau théâtral éternels. Ici, on est au sommet de l’art, dans un gratte-ciel de la ville moderne, avec les nuages pour témoins… Et l’herbe tendre pour la tentation. Femmes et marquis  s’ébattent dans de superbes liaisons dangereuses.  Pas moins de 1.808 alexandrins volent avec  saveur  exquise et modernité,  La troupe  est  éblouissante, jetant à tout moment des brassées de rires  parmi les spectateurs. Que du bonheur. 

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Touché coulé: Alceste, le super-héros de la rumination atrabilaire a une faiblesse. Il a sans le moindre scrupule déclaré la guerre à  Philinte, son meilleur ami,  l’accusant  de comportements hypocrites avec de vains quidams, au nom de la politesse. Mais en même temps,  le voilà paradoxalement envahi par un brûlant désir de reconnaissance et d’intimité avec sa jeune maîtresse, une glamour girl frivole qui manipule ses courtisans avec une adresse aussi féroce qu’ingénue. Solaire, sulfureuse, pleine de verve, la Gossip Girl occupe la scène avec une énergie démentielle. Mais que donc est venu faire Alceste dans cette galère?

Dès la première scène  il enrage : « Je ne trouve partout que lâche flatterie, / Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie ».  O n penche bien sûr aussitôt pour Alceste, nous qui vivons dans un monde en plein dérèglement planétaire, nous  qui sommes glacés d’effroi devant l’effondrement de nos modes de vie, de nos valeurs. Ne sommes-nous pas assaillis de sujets qui fâchent, comme jamais on aurait pu être fâché? Même l’essence de notre pensée humaine semble être en danger…

Mais, voyez, vigoureuse à jamais, malgré tous ses défauts et les accusations graves qui l’accablent et la confondent, Célimène,  intrépide Pauline Desmet, ne baissera pas la tête et voguera sur les vagues de la modernité. N’ayez aucune crainte pour elle!

« Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, / Et dans votre désert aller m’ensevelir ! »

Peut être une image de 3 personnes et texte qui dit ’Be the One’

Majestueux, les colosses de l'économie numérique GAFA  président à  la mise-en-scène et  la scénographie.  Ce miroir nous force à regarder en face le monde qui change. À nous, cependant, les aînés  ...et les suivants,  de continuer à transmettre perles et joyaux  du passé, comme ces  illustres textes du patrimoine culturel français,  mais, …se mettre en travers? Alceste souffre-t-il d’un défaut d’hubris doublé d’un douloureux aveu d’échec devant le monde en marche? Or, qui a jamais pu entraver l’évolution?

Bref, notre Alceste est un formidable paquet d’humanité, et c’est pour cela qu’on l’aime, lui et son merveilleux interprète, nul autre qu’Itsik Elbaz avec à ses côtés, un être d’une tout aussi belle tranche, d’une rare sensibilité  pour incarner la sagesse et la modération de Philinte: Stéphane Fenocchi. Quant à, Molière  il est tour à tour les deux, non ?  

Et vous, qu’en penserez-vous?

 

Dominique-Hélène Lemaire , Deashelle pour Arts et Lettres

 

 

"Le Misanthrope" de Molière, au Parc, du 7/03 au 6/04/2024

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Crédit Photos:  Aude Vanlathem

 

 Distribution:  Julien Besure (Clitandre), Denis Carpentier (Acaste), Bénédicte Chabot (Eliante), Damien De Dobbeleer (Oronte) , Pauline Desmet  Célimène), Itsik Elbaz (Alceste), Stéphane Fenocchi (Philinte) , Benjamin Van Belleghem (garde / valet d'Alceste,  Anouchka Vingtier (Arsinoé ) .

 Dans une mise  en scène de  Patrice Mincke, Assistanat: Sandrine Bonjean

 La Scénographie de  Vincent Bresmal, Matthieu Delcourt,

 Les Costumes de  Chandra Vellut et Cécile Manokoune

 Aux Lumières :  Alain Collet

Création musicale :  Daphné D’Heur

 Maquillage et coiffures  de Tiuku Deplus et Florence Jasselette

 

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administrateur théâtres

Créé six ans après Les Noces de Figaro,  cet opéra de Cimarosa est  entré dans la légende pour avoir été entièrement bissé le soir de sa création à Vienne à  la demande de l’Empereur Léopold II. Une curiosité : Stendhal était amoureux fou de cet opéra qu’il avait découvert à Ivrée (Italie) le 1er juin 1800 au cours de la seconde campagne d’Italie à laquelle il participait comme “cadre administratif” puis comme sous-lieutenant de dragons. Ensuite, parcourant l’Europe à la suite de la Grande Armée napoléonienne, il n’a jamais manqué de le revoir partout où il a pu être donné, notamment à Dresde le 28 juillet 1813, alors qu’il était intendant de la province de Sagan, peu avant la formidable défaite de Leipzig. « Je ne trouve parfaitement beaux que les chants de deux seuls auteurs : Cimarosa et Mozart » En attendant Rossini, sans doute, puisque cette œuvre de Cimarosa  se situe  comme un trait d’union entre Mozart et l’opera buffa de  Rossini.

L’image contient peut-être : intérieur

Critique sociale et miroir du 18e siècle comme l’étaient la série de six peintures intitulées « Mariage à la Mode » par William Hogarth,  l’intrigue est très simple, légère et réaliste. Comme nos Musicals modernes? Il Signor Geronimo, négociant en drap,  souhaite marier sa fille aînée Elisetta au comte Robinson. Mais lors de la première rencontre, celui-ci tombe éperdument amoureux de sa plus jeune soeur Carolina, aussi méprisée par sa  prétentieuse sœur aînée qu’une Cendrillon.   Carolina  est amoureuse et mariée secrètement avec Paolino, un humble employé doué de belle intelligence. Ils espèrent secrètement que l’organisation du  mariage d’intérêt de la sœur aînée suffira pour que  les amoureux soient pardonnés. Le père, sourd et aveugle aux choses de l’amour, a  en effet  une  préoccupation principale, celle d’anoblir sa maison et de veiller à sa cassette, quitte à envoyer sa cadette au couvent.   Il porte le syndrome, les habits et les manières  du Bourgois gentilhomme de Molière… Patrick Delcourt, formidable dans ce rôle, entouré de ses laquais qui vaquent docilement, pliés en deux pour mieux courber l’échine.  La chasse au mari est ouverte et la tante Fidalma (on découvre avec bonheur Annunzita Vestri)  ne se prive pas de fantasmer sur Paolino !   A la fin, une fois les amoureux découverts, la journée folle se termine par  les noces de trois couples bien assortis,  grâce à la bonté d’âme du Comte qui voit le bonheur de celle qu’il aime avant le sien et se résout à épouser Elisetta dont le caractère et les traits du visage s’adoucissent  miraculeusement. Même  Fidalma la duègne aux  bons offices  … trouve chaussure à son pied.  All is well that ends well! L’alternance de sentiments et de comique donne à l’ensemble une  force  théâtrale extrêmement porteuse. … En attendant Feydeau, comme  ceux dirigés par George Lini, un maître tailleur dans le  genre Humour et Sentiments.  Le deuxième acte est fait d’un délire de portes qui claquent. Succulente mise en scène de Stefano Mazzonis Di Pralafera… dans un décor à la fois sobre et brillant de Jean-Guy Lecat.

Bouleversante, cette scène où Le Comte, campé par un Mario Cassi tout de suite attachant, déclare sa flamme  prima vista à une Carolina  abasourdie  devant l’énormité de l’imbroglio qu’il va  falloir démêler… C’est une exquise Céline Mellon, pleine de fraîcheur et de tendresse.  La musique qui sous-tend   la scène tient , elle aussi, de l’évocation des éblouissements du  coup de foudre. Comme si une union d’esprit particulière liait secrètement   Mario Cassi et le jeune chef d’orchestre, Ayrton de Simpelaere, dans  une déclaration d’amour faite  à la fois avec tous les accents de vérité et les pétillements de l’humour. Notons que le comique est partout. Des citations  en situation au clavecin émaillent la partition, et produisent une source supplémentaire de comique … musical et spirituel,  avec des allusions à Aïda ? La chevauchée des Walkyries ?  La marche nuptiale?  La 5e de Beethoven… Tout fait farine au moulin des amoureux!

Inoubliable et  renversante de drôlerie, cette  magnifique scène où  Le Comte  décline  à Elisetta (Ah ! Sophie Junker) toutes ses mauvaises habitudes, son sale caractère et ses pires défauts, espérant qu’elle le rejettera afin qu’il puisse épouser Carolina, mais Elisetta, bien sûr, reste  de glace. Il avoue enfin qu’elle lui est insupportable et quitte les lieux! Aussi cette course-poursuite au son des cors de chasse! Le rire est dans la salle. Les maquillages, c’est du pur Permeke! Les éventails en prime !

Un "maestro" est né.

…With flying colours

Mais revenons à ce jeune chef que les médias encensent  à chaque occasion, depuis qu’il a pris son envol à Moscou lors de la demi-finale piano du « Concours international Tchaikovsky » en 2015 où il a dirigé les « Solistes de Moscou ». Nous avons eu le plaisir de le voir diriger avec brio l’opéra participatif Jeune Public «  la flûte Enchantée » de Mozart en début d’année, et une création : « Folon » de Nicolas Campogrande , en mars dernier. Lors de cette première  de  l’opéra « Il matrimonio segreto », Ayrton de Simpelaere a pleinement réussi le défi qu’on lui offrait,  faisant preuve d’une grande maîtrise de la balance, d’une concentration et d’une précision extraordinaires dans son interprétation musicale. … Une habitude ancrée dans l’exigence personnelle.  Dès l’ouverture,  les  dynamiques se créent comme par  enchantement, le velouté des vents raconte les effusions de joie, la finesse des cordes est omniprésente, les accents, les legatos, s’enchaînent avec grâce. Le grain de la musique est lisse et lumineux.  Une  ouverture avec trois mesures de Flûte enchantée et le reste est bonheur.    Flying colours aussi pour la direction des solistes dont la diction est un véritable délice.  La palette de ses couleurs orchestrales aligne chaque nouveau climat sur les couleurs et les voix  rutilantes des personnages. Les costumes  18e siècle, y compris les coiffures monumentales,   déclinent elles aussi toutes les nuances du bonheur:  du vert tilleul pour Elisetta, les safrans  épicés de Vidalma, les shocking blue du Comte, les ors et gris du marchand, les  flamboyantes lueurs de braises de Paolino au bras de la délicate Carolina, une symphonie de sentiments délicats bordés de rose rouge. Le développement des très nombreux morceaux d’ensemble, harmonieux malgré les différences  très  intenses de sentiments,  dynamisent la partition et sont savourés par un public conquis par une mise en scène et des éclairages distingués ( signés Franco Marri) , un sens de la beauté, qui n’est  jamais  gommé par la bouffonnerie du genre. Oui, même la caricature est plaisante. Bon, les tenues que  l’on découvre sous les peignoirs et les bonnets de nuit à la fin du deuxième acte, ont  de quoi surprendre, une dernière estocade du comique de situation?  Peut-être pas du meilleur goût, on oublie!

Dominique-Hélène Lemaire, pour Arts et Lettres

L’image contient peut-être : une personne ou plus, personnes debout, personnes sur scène et mariage

 

https://www.operaliege.be/spectacle/il-matrimonio-segreto/ 

 “ IL MATRIMONIO SEGRETO “ (Le mariage secret)

  • COMPOSITEUR : Domenico Cimarosa (1749-1801)
  • LIBRETTISTE : Giovanni Bertati
  • ANNÉE DE CRÉATION : 1792
  • LIEU DE CRÉATION : Vienne
  • NOMBRE D'ACTE : 2
  • LANGUE ORIGINALE : Italien
-  A LIEGE, Opéra Royal de Wallonie-Liège : Ve. 19 Octobre 2018, Di. 21 Octobre 2018, Ma. 23 Octobre 2018, Je. 25 Octobre 2018, Sa. 27 Octobre 2018
-  Au Palais des Beaux-Arts de Charleroi :  le mercredi 7 novembre 2018 à 20h.
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administrateur théâtres

Second Degré

...comme on les aime !

Déflagration : entre fable d’histoire naturelle et scalpel qui dépiaute les maladies de la société, Geneviève Damas se livre, sur papier et sur le plateau, au propre et au figuré, sans réserves comme si l’urgence était de sauver une espèce en voie de disparition, celle de la femme vivante, animale, animée de désir, prête à risque tout pour vivre sa vie de chèvre de Monsieur Seguin : enfin libre d’ « être », même au risque de se faite dévorer. Plutôt que de se sentir la corde au cou, corvéable à merci et d’être rangée parmi les robots nés pour servir les hommes. C’est dit. Bien qu’à demi-mots. Car la peine profonde reste toujours très silencieuse si pas muette.

LaSolitudeDuMammouth-DominiqueBreda5 Bérénice est une femme parfaite, comme dans American Beauty. Elle fait tout, contrôle tout, jusqu’au moindre brin d’herbe du gazon, jusqu’au nombre de pommes du pommier qui trône dans son paradis sur terre. Mais elle se meurt aux côtés de son professeur de mari, qui ne rêve qu’à ses palmes académiques. Sauf que, lorsque son mec, met les bouts avec une jeune et ravissante monture pour ses ébats amoureux, elle s’écroule d’abord, et croque ensuite avec délices, question de se relever, la pomme de la vengeance. Plus la violence est dissimulée, plus elle la galvanise. Elle perd tout principe moral, toute notion de civilisation et renoue dans un crescendo renversant, avec la sauvagerie originelle. Là est la fable. Le rire salvateur est au rendez-vous, il fuse à chaque ligne du monologue. Le jeu théâtral et la mise en scène sont succulents. On ressort rincé et rafraîchi par ce déluge de fantasmes qui déboulent sur scène et dans le texte, au rythme d’une révolution cosmique. Bousculant tous les codes, retournant toutes les médailles, faisant feu de la moindre convention, l’écriture est incisive et tranchante. Le texte se dévide, implacable. La mise en scène des frustrations et des désillusions sonne on ne peut plus juste …et la vengeance sophiste sur l’estrade sera caricaturale. Une fausse justice fait écho à une cause désespérée !

Geneviève Damas pendant une répétition de "La Solitude du Mammouth"

Grande habileté artistique due à la connivence des artistes, Emmanuel Dekoninck, le metteur en scène, joue un duo parfait de ce texte bourré de dynamite, avec la romancière et la comédienne, Geneviève Damas. L’action se précise au rythme corrosif d’un succulent thriller, qui n’est pas sans rappeler des nouvelles de Roald Dahl ou des romans de Barbara Abel.

25158013_1895501763798032_8434870910700125811_n.png?oh=c64d9c143c839e2fe8e7164aced5fcf8&oe=5A88EF33Aussi désillusionnée qu’une Madame Bovary, Bérénice déclare la guerre à qui lui a ravi son désir, rendu la vie étriquée, mis les sentiments aux abonnés absents …. Comme Médée, cette Bérénice a deux enfants. Ils sont invisibles, Rufus et Paëlla. Elle les laisse sans vergogne aux soins de la voisine. Qui sait, une chance pour eux ? Au passage, quelle preuve de désamour que ces noms-là ! Et comme la Médée antique, elle découvre la cruauté sans limites, se servant de la vengeance pour combler son abandon et y survivre. La loi sauvage du plus fort prévaudra. C’est comme cela, en histoire naturelle. La caricature est diablement efficace. Il n’y a rien d’innocent dans la démarche. Et il y a des plumes à perdre pour certains adeptes des robots féminins living in a Perfect World !

http://theatre-martyrs.be/saison/la-solitude-du-mammouth/8FE8AF55-D332-B17E-18F4-9A1A90CD7F22/

La solitude du mammouth

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Claude LUEZIOR - Une dernière brassée de lettres - éditions Tituli

 

            Il s’agit là d’une œuvre très originale. Quelle idée d’écrire des lettres aujourd’hui dans un monde qui ne fonctionne plus qu’à coups de S.M.S. ? Mais des lettres à qui ? A Maison de retraite, à Ordinateur, à Deuil, à Absence, à l’Homme... en tout une bonne trentaine. Ce sont des lettres ouvertes, des sortes d’interpellations, pour dénoncer ceci ou cela : Ainsi dans Lettre à Maison de retraite : « Jeanne, tu te l’es appropriée, elle qui tombait cent fois à domicile... Tu l’as mise en chaise alors qu’elle pouvait encore marcher. D’allure secourable, le verdict fut prison à perpétuité. Il fallait surtout relever le score de dépendance, question subsides et comptes de fin d’année.» Dans Lettre à Politicien, il analyse comme au scalpel, ce qui attend au tournant l’homme politique ; après la gloire viennent les déboires : « Ceux qui t’acclamaient se sont mués en hyènes et la presse des rues en bourreau... Sur les temples de ta puissance, on a martelé tes cartouches, écorché ton nom et ceux-là même qui se sont nourris de ton népotisme ne sont plus que masses assoiffées de ta sève.»

            Mais le poète sait aussi glorifier, exalter la grandeur de ce que l’homme a fait de bien au cours de son histoire. Il le fait avec Lettre à Architecte. Comment se fait-il que l’homme bâtisseur ne le soit pas seulement par besoin d’utilité ? « Par quel sortilège t’es-tu affranchi, dès les premières peintures rupestres d’une simple utilité existentielle ? » On ne peut pas détacher les constructions de la prière : « ... le nombre d’or, les flèches et les arcs-boutants ont peuplé ta tête jusqu’à l’envoûtement. Tu t’es pris au jeu de cette musique minérale, tu es devenu le pasteur des pilastres en leur moutonnement d’ogives. » Dans Lettre à Patience, c’est de tous arts qu’il s’agit ; le génie n’est rien sans le travail : « D’ici, j’entends Flaubert chercher le mot juste dans son gueuloir, Hugo tailler ses vers, Brahms rabâcher ses sonates, Beethoven user son piano : tant d’artistes dans une perfection qui leur échappe.»

            On pourrait analyser chacune de ces Lettres. Chaque brin de la brassée nous apporte un moment de plaisir à le lire.  Mais il me faut pour terminer, vous faire part de l’intense émotion contenue dans Lettre à ma Cousine. Ils ont huit ans de différence. Ils s’évadent dans le grenier, une vraie caverne d’Ali Baba. C’est elle qui a initié le poète à la beauté, à la culture, cette chose essentielle, à laquelle concourt une bonne possession de la langue. La culture tous azimuts. Elle lui a fait découvrir Barbara, Ferré, Moustaki, Ferrat mais aussi Aragon, Sartre, Camus, Alain Resnais... La vie les a coupés de leurs rêves. « Les arcatures de l’existence nous ont séparés. Nous étions insoumis. Toi et moi sommes restés rebelles. Tu n’es pas devenue danseuse. J’ai dansé avec les mots...» Et plus loin, cette injustice qu’est parfois la vie : «  La maladie a broyé ton corps. Et ton âme si aérienne a été cariée par les traitements, qui pourtant, te furent indispensables... »

            Ce livre, dans son entier, est un vrai moment de bonheur.

                                                                                                 Louis Delorme

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administrateur théâtres

817052537.jpgGEORGES ET GEORGES, CENTRE CULTUREL AUDERGHEM Une comédie conjugale grinçante  d’Eric-Emmanuel Schmitt.

 

« Faites sauter le boîtier d'une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs. C'est une pièce de Feydeau qu'on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c'est une pièce de Feydeau vue de la salle - les heures passent, naturelles, rapides, exquises.» disait Sacha Guitry.

 Héritier d’Eugène Labiche, auteur de vaudevilles célèbres, Georges Feydeau écrit et joue ses plus grandes réussites de 1892 (Monsieur chasse) à 1912 (Mais n'te promène donc pas toute nue !). Il produit une pièce par an. Le théâtre de Feydeau est explosif et d’une saveur langagière inimitable.  Son théâtre regorge  de mouvement, de portes qui claquent, de situations  burlesques, de quiproquos  et oscille entre observation intransigeante de la société et  farce  théâtrale sur le ton de la caricature et de la distanciation.  Le délice des bons mots s’enchaîne à un  abattage verbal effréné et déclenche  la mécanique jubilatoire du rire.  Trève de rire, en 1919, atteint par la syphilis, Feydeau est interné par ses fils et meurt deux ans après. Il avait divorcé d’avec sa femme suite à une terrible dispute, en 1916. Cet observateur de la société  fin de siècle, qui avait fait rire jusqu’au délire le public de la Belle Epoque, finit ses jours dans une stupéfiante tristesse.

GEORGES ET GEORGES (Théâtre Rive Gauche-Paris14ème) crédit F. RAPPENEAU - 015 - HD Light.jpg

 C’est peut-être cette situation inversée  qui a inspiré  Eric-Emmanuel Schmitt dans l’écriture de  sa pièce « Georges et Georges », un pastiche de l'écriture de Feydeau, et un hommage à ce prince de l'écriture vaudevillesque.  Rebondissant sur la  phrase  de Feydeau « N’est-elle pas plus morale, l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ? » (La Dame de chez Maxim), Eric-Emmanuel Schmitt met en scène le ménage de Georges et Marie-Anne Feydeau, atteints par la déconfiture d’un mariage usé jusqu’à l’ennui ou pire, jusqu’au ressentiment. Ni l’un ni l’autre ne sont plus « comme avant », c’est le nom de la maladie. Mais qui peut se targuer au bout de plusieurs décennies d’amour partagé d’être encore « comme avant ? ». Nous sommes des êtres vivants, et la vie, n’est-ce pas le changement, l’évolution, la transformation ? Donc si de part et d’autre, le couple se  berce dans  une puérile nostalgie, cela a un côté agaçant et  futile.  

 L’élément intéressant et original est cette inversion des sentiments qui atteint Georges, pris de folie : il rit devant les situations insoutenables et « pleure jaune » quand il nage dans le bonheur. On fera appel au docteur Galopin (Alexandre Brasseur) et à son fauteuil révélateur de fantasmes  pour venir le guérir, avec comme résultat un beau dédoublement de personnalité. Mise en scène bondissante de Steve Suissa dans un tourbillon de portes. Si vous aimez cela !

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Davy Sardou, Molière 2014 du comédien dans un second rôle pour sa pièce « L'affrontement » présentée au Centre Culturel d’Auderghem l’an dernier, joue avec grande maîtrise le rôle  du double Georges Feydeau avec Christelle Reboul comme « desperate wife » survoltée et particulièrement énervante. L’accumulation de situations cocasses est galopante, les costumes très carnavalesques, la course derrière le chimérique argent est de bon ton mais l’accent de la reine de Batavia est incompréhensible – du faux allemand- qui aurait pu être du flamand, on aurait préféré. Véronique Boulanger (récompensée du Mini-Molière 2014 de la meilleure actrice) finit par lasser.

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Les facéties clownesques accompagnées d’aboiements de Thierry Lopez nous paraissent répétitives et lourdes et la soupe de griottes peu ragoûtante, si pas carrément vulgaire. Zoé Nonn (apparue dans le célèbre "Toc toc") joue la môme crevette, oui, très crédible, mais ce n’est pas Eric-Emmanuel Schmitt qui l’a inventée! Sic : « Il n’y a que dans les courts instants où la femme ne pense plus à ce qu’elle dit qu’elle dit vraiment ce qu’elle pense ! »


Le médecin « magnétothérapeute » insomniaque et maniaque sexuel,  joue bien son rôle d’apprenti sorcier et de maître de ballet dont il a perdu les clés. L’ensemble, joué jusqu’à l’étourdissement (« génial » diront certains) laisse néanmoins une impression de beaucoup de bruit pour rien, et le rire si prémédité n’en finit pas de se tarir. On préfère vraiment Eric Emmanuel Schmitt dans le reste de son œuvre et surtout son dernier roman, tellement admirable, celui-là, que l’on voudrait l’offrir à tous ceux qu’on aime: « La nuit de feu ».

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Davy Sardou : Georges et Georges
Christelle Reboul : Marianne, son épouse
Alexandre Brasseur : le docteur Galopin

Véronique Boulanger : La Reine de Batavia

Zoé Nonn : La Môme Crevette
Thierry Lopez : Hercule Chocotte

 http://www.cc-auderghem.be/

Jusqu’au 20/03/16

CENTRE CULTUREL AUDERGHEM

Boulevard du Souverain 183 – 1160 Bruxelles

Infos Réservations : 02/660 03 03

 

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administrateur théâtres

Après « Le Roi se meurt » donné l’année dernière au Théâtre des Martyrs, Pietro Pizzuti nous a replongés avec «Rhinocéros » dans l'univers surréaliste et prémonitoire d’Ionesco. Un texte qui pourrait paraître obsolète mais qui semble avoir hélas gagné beaucoup, en pertinence.

Avec la mise en scène fulgurante de Christine Delmotte, une experte de l’imaginaire, Pietro Pizzuti nous livre avec la compagnie Biloxi 48 une sublime interprétation du personnage de Bérenger cet homme très ordinaire qui aime boire un coup de trop. Sans cris, sans violence, avec une retenue étonnante, alors qu’à l’intérieur la révolte de l’acteur fait rage.


Le texte est prémonitoire car dans notre monde qui avait tellement juré d’être meilleur, l’uniformisation des consciences ne cesse de progresser insidieusement : on pense, on parle, on s’habille, on rêve tout pareil. Et l’artiste, le seul à avoir encore quelque velléité de révolte - en vrai comme sur scène - se retrouve seul, devant une armée menaçante de rhinocéros. Et il ne se résigne pas!

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Car cette pièce dénonce l'hystérie collective des foules. L’action se déroule dans une petite ville de province soudainement touchée par une épidémie étrange et inquiétante de rhinocérite : les habitants commencent un à un à se transformer en rhinocéros, « cette bête immonde » ! Un phénomène de métamorphose qui avait déjà affecté les malheureux compagnons d’Ulysse soumis au pouvoir de Circé. Si vous y réfléchissez un peu, le discours politique se rhinocérise à vue d’œil, il perd la tête et se répand avec bonheur au cœur d’une jungle moderne investie par la finance. D’ailleurs vous voyez encore des épiceries quelque part?

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Ionesco en profite pour couper court aux syllogismes et démontrer en passant que la logique est dangereuse et permet d'énoncer des vérités incohérentes telles que "Socrate est un chat". Rires. Une scène percutante et un  admirable morceau de raillerie!  Tragique et absurde font  excellent ménage. M.Papillon, Mme Boeuf, M.Dudard ne sont-ils pas déjà au bord de l’animalité? Exquises interprétation des comédiens alertes et bien vivants ...jusqu’à leur petite mort!


 safe_image.php?d=AQCwzPJxtCaSZfqM&w=300&h=300&url=http%3A%2F%2Fm.cafebabel.com%2Fcache%2F8f%2Fd4%2F8fd481ec48a6b9d112cad9f5e4f92e36.jpg%3Fcache%3D1280x500&cfs=1&ext=png2jpgContemplez l'allégorie: voilà les valeurs humanistes, si  péniblement accréditées,  piétinées par mille pachydermes en folie. Feu l’honnête homme, l’être pensant et aimant est en train de fondre et de se retrouver ligoté dans une armure de cuir vert-de-gris, le dos courbé comme un ouvrier de la mine, le regard égaré dans le sol au lieu de le tourner vers le ciel!  C’est l’érosion de l’être, que Pietro Pizzuti combat pied à pied, avec conviction,  par le jeu du corps et du verbe, dans un crescendo dramatique très bien dosé.

Ami, entends-tu...?  

Avec Christophe DESTEXHE(Dudard et le serveur), Fabrice RODRIGUEZ (Jean) , Aurélie FRENNET ( L’épicière et Madame Bœuf) , Gauthier JANSEN (Le logicien et Botard), Julia LE FAOU (La ménagère et la femme de Monsieur Jean) , Camille PISTONE ( L’épicier, le pompier et Monsieur Jean) , Laurent TISSEYRE (Le vieux monsieur et Monsieur Papillon)

Lumières : Nathalie BORLEE

Mise en scène et scénographie de Christine DELMOTTE

un spectacle de Cie Biloxi 48

http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/grande-salle/piece4.html

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administrateur théâtres

Bouquet infernal et grandiose

 

Pour ne rien vous cacher, nous avons vu ce spectacle deux fois : la première … à la première, avec une incomparable Jo Deseure,  cette  grande artiste qui a osé plonger dans le rôle à la dernière minute et dont on a tait le nom jusqu’au tomber du rideau. Elle  n’avait eu qu’une répétition, la veille de la première, pour capter avec talent le ballet des entrée et des sorties et jouer de façon époustouflante un rôle dont elle ne connaissait pas le texte! Exercice digne d’un examen final de conservatoire, qu’elle a maîtrisé avec une stupéfiante adresse. Elle remplaçait donc  au pied levé l’immense Jacqueline Bir, pour qui la pièce avait été écrite, interdite de planches par la Faculté. En duo  verbal avec José Van Dam elle interprétait sans faiblir le rôle principal de  la nouvelle création de Thierry Debroux intitulée « Vampires ». Elle fut saluée par un  tonnerre d’applaudissements.

Quant à José Van Dam, il  n’a pas eu froid aux yeux d’accepter de jouer avec une parfaite inconnue, se privant de l’appui de sa partenaire  habituelle  aux répétitions.  Le plus étonnant c’est que Jo Deseure, à s’y méprendre donnait l’impression par moments d’incarner vraiment l’absente du bouquet infernal. Présence scénique ahurissante, un modèle d’interprétation improvisée, tout en gardant un contact oculaire discret avec le texte diffusé sur des écrans aux premières loges de chaque côté de la scène.

 

Pour le fond, Thierry Debroux s’est emparé du mythe des vampires, mélange de roman historique et de science-fiction qui ne cesse de nous fasciner, que ce soit en littérature ou au cinéma. Tout le monde a lu « Dracula » de Bram Stoker en édition simplifiée lors des premiers cours d’anglais, et d’autres auront exploré la jouissance littéraire des  passionnantes « Vampire Chronicles » d’Anne Rice et le fameux « Interview with a vampire » avec Tom Cruise et Brad Pitt.  D’aucuns se souviendront du « Bal de vampires », le film de Polanski sorti en 1967. Le thème de l’immortalité est l’un des favoris de Jacqueline Bir, aussi  ceux de la beauté, de la jalousie, de  l’amour impossible, de la sensualité et de la mort. Son interprétation de ces thèmes était certes beaucoup plus forte et poignante  dans « Sarah et le  cri de la langouste » où elle incarnait Sarah Bernard, mais il y a ici une sérénité indiscutable, un lâcher-prise et une sensibilité pleine d’humour et d’humanité. On reconnait les morsures de Thierry Debroux qui s’attaque avec malice aux maux du Temps : le bruit dévastateur de paysages du TGV, la manie des téléphones portables, la toute-puissance du Saint-Dicat, le diktat du Buzz à tout prix, l’envoûtement de Facebook,  nos nourritures terrestres frelatées, si pas carrément empoisonnées et en passant, quelques coups de griffe aux Bobos Bio! Côté nourritures célestes, on mélange allègrement Ronsard et Corneille(s)… Le texte de cette comédie moderne est donc très plaisant, bien bâti, bien rythmé.

Mais la part du lion va à la critique acerbe du show business, via le personnage déjanté du bouffon parfait, un créateur de comédie musicale (seul genre littéraire et musical subsistant apparemment en 2015).  Ce carnassier moderne a jeté son dévolu sur le manoir où  se sont  soudainement réveillés Isadora (roulez le r) et Aménothep après 102 ans d’hibernation. Véritablement gondolant dans son rôle, au propre comme au figuré,  le metteur en scène fou croasse à merveilles et  excelle dans sa manière de vampiriser les vampires. Peinture de notre monde?  C'est le délectable comédien Angelo Bison qui est à l'œuvre. Il  les entraînera dans des répétitions délirantes, créant musique et texte au fur et à mesure des malentendus et des sinistres rebondissements. Aurelia Bonta, sa très appétissante assistante en talons aiguilles  rouges incarne la victime de toutes les peurs et angoisses. Elle se débat dans le cauchemar avec la dernière énergie vocale et corporelle. Il y a aussi Maurice (ou Serge), l’ineffable maître d’hôtel, qui participe avec grande finesse à ce vaudeville très particulier. Bruno Georis est impeccable dans l'humour et les gestes, une perle de sang-froid si l’on peut dire ! 

Théâtre Royal du Parc's photo.

 Même la deuxième fois où l’on voit le spectacle, cette fois avec l’illustre Jacqueline revenue de ses maux de gorge incapacitants, on rit  de bon cœur aux plaisanteries taquines d’un texte qui continue à amuser franchement. La reine de la nuit rouge a une allure folle sous  un maquillage, des coiffures et des costumes parfaits. Rien à voir avec l'affiche du spectacle, passablement horrible.  Isadora est une vampire attachante aux tendresses inattendues malgré  les chamailleries internes au couple. Elle éprouve des réticences très humaines devant la mort violente par balles… et se fabrique finalement des noces de cendre grandioses avec son compagnon de toujours.  Son interprétation est, on s’en doutait, totalement convaincante aux côtés d’Aménothep-José Van Dam, très joli cœur, qui parfois pousse la chansonnette en l’honneur de Mozart.  

 

 

Au théâtre Royal du Parc, du 23 avril au 23 mai 2015.

CRÉATION MONDIALE.

« VAMPIRES »

de Thierry DEBROUX.

Avec:

Jacqueline BIR, José van DAM, Bruno GEORIS, Angelo BISON, Aurélia BONTA

Mise en scène : Monique LENOBLE

Assistanat : Catherine COUCHARD

Décor et costumes : Thibaut DE COSTER et Charly KLEINERMANN

Lumières : ZVONOCK

Maquillages : BOUZOUK

http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/57/21.html

 

 

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administrateur théâtres

La Samaritaine, « La » pépinière bruxelloise d’artistes de haut vol vient d’accueillir « The King, Devine où je te dévore », un spectacle créé en sa fertile marmite souterraine du 18 au 29 novembre derniers. Jean-Michel Distexhe est hannutois, héronnais, bruxellois et a 30 ans. Il est auteur, compositeur, interprète, comédien et marionnettiste. Il est bourré de charme et a des dons de ventriloque prêt à incarner les plus terribles monstres de l’imaginaire. Et cette fois, ce n’est pas un monstre imaginaire qu’il décrit. Son texte est régicide ! Et la cible, c’est Léopold II.

12273062474?profile=originalEn voici le début : Il était une fois un roi, un grand roi, un grand roi d’un petit, d’un tout petit pays.Un jour, ce grand roi d’un tout petit pays reçut un gâteau, un immense gâteau que lui donnèrent d’autres rois en l’honneur de la fête des rois. Le roi prit ce gâteau et rentra chez lui. Chez lui, le roi voulut manger le gâteau. Le roi croqua dans le gâteau. Le roi se fendit une dent. La fève. Le roi avait trouvé le Petit Jésus au premier coup de dents. Le roi était maintenant très content. Le Petit Jésus. Le roi prit la couronne en carton et la coiffa. Le roi était roi.

Le roi était The King. Soutitré, on se demande pourquoi « Devine où je te dévore. » Titre choisi par dérision par Jean-Michel Distexhe qui raconte les derniers instants du roi qu’il décrit comme solitaire et fou. Les marionnettes de son PANOPTIKUM vous invitent dans les méandres de l’histoire belge et de celle du Congo. Les corbeaux volent bas et croassent haut, vous en avez la chair de poule ! Du splendide Hitchcock vocal ! « Léopold II, Roi des Belges de 1865 à 1909, cherche à asseoir son pouvoir dans le monde. En 1885, il se proclame Roi de l’Etat Indépendant du Congo dont il décime la population et pille les ressources naturelles. Il meurt sans jamais avoir foulé la terre congolaise, mais riche de biens mal-acquis. » C’est en tout cas sa version des faits !

Avec The King, Jean-Michel Distexhe essaie « de cerner le personnage et sa tendance à la conquête. Il le met face à ses choix et le pousse dans les cordes. Face à ses anges et à ses démons, Léopold va riposter, feindre, banaliser, blaguer. Il voudra s’en sortir, par n’importe quelle porte, n’importe quel moyen dérobé. C’est ainsi qu’était Léopold II. Un homme rempli de mots de passe, de cachette, d’objectifs dissimulés ». Compliment que l’on peut retourner à Jean-Michel Distexhe, lui-même. Nous avons vraiment regretté de ne pas avoir eu le temps de digérer le contenu du feuillet explicatif reçu au début du spectacle. De nombreuses clés nous ont échappé, la lumière maléfique se faisant après coup ! Dommage ! Qui d’ailleurs connait encore des personnages tels que Henri Bataille, Carlotta, Babochon, Caroline alias Blanche sa jeune maitresse, Les jumeaux Goffinet, conseillers financiers du roi…et bien d’autres tout aussi illustres.

Est-ce au public qu’il s’adresse ? … Devine, ou je te dévore ! avec virgule, et sans accent grave sur le "u" ! Trop d’ellipses et de sous-entendus malgré la prouesse théâtrale totalement avérée du spectacle. La galerie de marionnettes fascinantes de laideur que le comédien fait vivre est impressionnante ! Le talent vocal de l’artiste est extrême et le texte tendancieux. Très tendance finalement ! Pas étonnant dès lors, que la Samaritaine affichât complet !

La conclusion au vitriol de Jean-Michel Distexhe qui fait penser à des règlements de comptes est virulente : « Léopold II a tracé la voie de l’histoire du Congo, il a transporté l’acide qu’ont utilisé les belges pour faire disparaître Lumumba, il a fait le lit de Mobutu, il a distribué les cartes d’identités ethniques au Rwanda, il pille encore les ressources naturelles du Kivu et il s’est, un jour, immiscé dans ma vie. Par le biais de mes grands-parents partis au Congo pour enseigner et cultiver. »

12273062697?profile=originalPlus que de la dérision, Non?

 

 !  

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Ecriture : Jean-Michel Distexhe 

Comédien - marionnettiste : Jean-Michel Distexhe 

Regards extérieurs : Franck Delatour, Dolorès Delahaut

Assistante : Pauline Noudel 

Décor sonore : NOZA 

Marionnettes : Jérome Thomas 

Croquis marionnettes : Noémie Marsily et Carl Roosens 

Affiche : Dominique et Léa  Dauchy

Stagiaires : Mathilde Lévêque et Elodie Vriamont 

Un spectacle du PANOPTIKUM Puppets & Theatre, en partenariat avec le Centre Culturel de Bièvre, le Centre Culturel de Hannut, l'Agence Officielle de Promotion Internationale Wallonie Bruxelles-Théâtre/Danse, La Fabrique de Théâtre et la Cie Le Tétras-Lyre.

Panoptikum Puppets & Theatre

www.panoptikumtheatre.com

 Régie: Mathieu Robertz

A la Sama, prochainement: http://www.lasamaritaine.be/new/index.php/notre-programmation

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administrateur théâtres

lecole-38-5a530-3ea21.jpg?width=101 Dix sur vingt ? Trèees Bien!

 « L’école est finie ! » c’est le titre grinçant de la pièce de Jean-Pierre Dopagne.  Le théâtre n’est jamais loin de l’école et vice-versa. Demandez à vos  ex-profs préférés ! On espère donc sincèrement, que ni l’un ni l’autre ne seront finis de sitôt. Et pourtant, la menace couve, c’est notre culture que l’on assassine, dit-on dans les journaux! Voilà donc le propos de cet opus  éblouissant qui veut mettre l’alarme au camp!

 lecole-44-087bc-a78dc.jpg?width=150 Voici en tous cas, une pièce qui sauve, un radeau solitaire sur un océan de conformité. Cette pièce bourrée de vitriol, de dynamite et de phosphore est bien sûr aux antipodes de la version   éponyme de la chanson de Sheila, où après des années de travail scolaire ardu, on sortait de l’école équipés pour la vie et rêvant à l’amour! La comédienne d’aujourd’hui, Chloé Struvay, véritable virtuose des émotions,  perce les impostures modernes  les unes après les autres, cherchant l’adhésion du spectateur  de son regard incisif  - c’est du théâtre de proximité ! - et  explose toutes les hypocrisies contemporaines  à la manière d’une kamikase, avec un sourire ravageur. Elle diffuse une énergie sans pareille et se révolte de toutes ses fibres (les siennes et  celles de l’enfant qu’elle porte),  contre les tromperies qui ont semé son jeune parcours.

lecole-60-17e46-ad297.jpg?width=150Chloé Struvay (alias Caroline, 22 ans)  commence d’ailleurs par un mot très fort, elle parle du « viol » originel de sa personne. Elle a conscience que la société  en la privant de sens, lui a volé son unicité, sa conscience d’être et sa raison d’être. Même régime pour les élèves dont elle aura la charge une fois devenue enseignante à son tour!  Pour elle, l’enfant est sacré, il doit être éduqué, comme le verbe « educere » latin l’indique… « conduit, guidé  hors de… ». On ne peut se contenter d’étouffer les humains à petit feu. Elle a eu la chance incroyable de  résister, de s’accrocher aux nourritures spirituelles et s’en sortir, par sa seule volonté. Grâce à sa vitalité et sa rage de vivre, mais combien d’autres seront laminés ?

lecole-63-c5978-5c893.jpg?width=101L’enseignement au 21e siècle frise l’imposture et fait de plus en plus partie intégrante de la machine économique! Qu’il est loin le temps des arts libéraux ! Qui  lit encore Victor Hugo? Elle est une Antigone de notre société nouvelle. « Antigone, une fille comme vous et moi. Qui fait la guerre à la bêtise humaine et qui franchit les interdits » Au pays du surréalisme, la fausse nouvelle  récente du journal Nordpresse n’est pas si imaginaire que cela : « Depuis l’avènement d’Internet et des jeux vidéo, le Bescherelle a essayé de maintenir une conjugaison basée sur le sens et pas sur le son. Son usage fut conseillé à chacun, mais dans son édition 2015, tout change enfin. Dans sa prochaine édition, disponible en librairie dès le mois de Janvier, le manuel désire se conformer à l’usage courant de notre jeunesse. Au lieu de se braquer sur une pratique d’un autre âge écartant de facto les bloggeurs, joueurs en ligne et autres communautés de gens privés de vie sociale, il permettra enfin à chacun de choisir l’accord qui lui plaît. » Elle se bat férocement  pour la grammaire, les accords de participes passés,  les subjonctifs imparfaits, le scintillement du vocabulaire et  une  langue de culture, bref, ce qui nous relie entre nous ! Elle conspue les grilles de toute nature… les grilles de prison, celles  de lecture, celles d’évaluation… tandis que notre  propre grille horaire s’est arrêtée pile pendant ce spectacle courageux! Chloé Struvay (alias Caroline, 22 ans) va-t-elle réussir à arrêter le temps ?  

 

 lecole-87.jpg?width=501Le soir de la première au théâtre du Blocry (Jean Vilar) et le lendemain, les moindres strapontins sont occupés. On sent vibrer les réactions du public qui se boursoufflent de colère partagée contre un système qui dénature l’essence même de l’enseignement. En gros, on n’apprend plus aux gosses et adolescents à grandir en faisant des efforts sur eux-mêmes. On leur donne des leçons de vide et on leur apprend à simuler.  On les anesthésie  de paroles lénifiantes et de savoirs de plus en plus allégés, du berceau à la sortie de l’université, en espérant former des foules dociles et consentantes qui nourriront  le très rentable  collimateur du consumérisme économique. Cela passe  - comme dans le 1984 du célèbre George Orwell - par la réduction du langage à un kit de vocabulaire de survie, incapable d’exprimer ou pire d’énoncer  la moindre  pensée structurée.  

 

 lecole-71.jpg Large extrait : «- Parfaitement, Mademoiselle. - C'est Bouchard qui parle. - Le citoyen d'aujourd'hui doit être un citoyen de l'univers en expansion. Et l'expansion de l'univers, aujourd'hui, c'est la production et l'intégration. Ce sont les cadres, les normes, décrets et directives, indispensables à la bonne évolution des sociétés. Le poids des volailles, le calibrage des tomates, le temps de parole au journal télé, les quotas hommes-femmes sur les listes électorales, le nombre d'actes médicaux à poser dans un hôpital... tout est encadré et scientifiquement évalué par des organismes certifiés. Aujourd'hui, même les pays, les Etats reçoivent une note et un bulletin d'évaluation. C'est le devoir de l'Ecole d'assurer à tous les élèves une formation à l'encadrement, une qualification pour leur intégration dans la vie économique. Je traduis : citoyen signifie consommateur ; expansion veut dire mondialisation ; qualification : uniformisation ; formation : soumission ou formatage ; encadrement : emprisonnement ; vie économique : lois du marché ; formation : mise à mort de la liberté. »  Tout va « trèeees bien », madame la Marquise! Bravo Chloé Struvay (alias Caroline, 22 ans).  

L'Ecole est finie !



Théâtre Blocry / Louvain-la-Neuve

Une production de l'Atelier Théâtre Jean Vilar et du Festival Royal de Théâtre de Spa. Le spectacle est créé à Louvain-la-Neuve cette semaine, dans une mise en scène de Cécile Van Snick (interprétation : Chloé Struvay). Du 6 au 26 novembre.

www.atjv.be

Le livre de Jean-Pierre Dopagne (éd. Lansman) sera en vente en primeur lors des représentations.

photos © Véronique Vercheval

 




 
 
 
 
  



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administrateur théâtres

 « Les Inspirés », trois dieux chinois débarquent dans la capitale du Se-Tchouan au centre de la Chine, un confluent de pauvreté. Ils ont parié qu'ils ne trouveraient pas «une bonne âme» au moins en ce bas monde et considèrent l’humanité entière comme pervertie.  Rejetés par tous les villageois mais guidés par Wang, le porteur d’eau (ou de parole, comme vous voudrez) , ils acceptent l’hospitalité de Shen-Té la prostituée  locale. Pour la remercier, ils lui laissent une cassette avec laquelle elle rachète un débit de tabac puisqu'elle peut enfin choisir sa vie. Hélas la boutique de Shen-Té attire immédiatement les vautours : des plus démunis  aux plus nantis qui n’ont qu’un but,  lui soutirer ses biens. Empêtrée dans d’insurmontables contradictions Shen-Té va osciller entre le désir de faire le Bien et la Nécessité de « sauver son frêle esquif du naufrage ». Elle croit avoir entretemps rencontré l’Amour  mais c’est un méprisable individu, irresponsable, égocentrique et jouisseur qui veut la parasiter. Comment concilier son idéal d’amour et sa survie pure et simple ? Pour se tirer d’affaire, Shen Té se fait passer pour un prétendu cousin, Shui Ta, excellent et redoutable homme d'affaires qu'elle incarne elle-même et de plus en plus souvent. A moins que la Vie ne se charge de changer sa vie... La conclusion de Bertold Brecht est qu’il faut changer le monde et non une personne individuelle si on veut que le bonheur soit accessible.

12273048473?profile=originalCette pièce nous touche particulièrement dans le contexte de crise que nous traversons  qui laisse tant de  familles démunies et tant  de jeunes, diplômés ou non, déçus par le monde, ou par la vie? Les Baladins du Miroir s’en sont emparés comme le Théâtre de la Vie, il y a quelques années déjà, en 98-99?

Bouger, il faut bouger ! C’est ce que démontre une mise en scène virevoltante qui nous propulse et au cœur de l’Asie et au cœur des années 30. Un tintamarre de sabots de bois, de bicyclettes, de chariots, de thé ou de grains de riz  que l’on verse, de casseroles et de brocs, un incessant carillon de porte ne peuvent qu’éveiller l’attention du spectateur. Vous y ajoutez une vie de rue en live, des courses effrénées, des ballots que l’on balance d’une passerelle suspendue, des bruits de boulier compteur chinois. La Vie appelle! Le monde doit bouger!

Des lumières domestiques en tout genre, y compris les fameuses lanternes rouges,  fusent pour éclairer la nuit humaine. Mais qui y verra enfin clair? Les artistes se mêlent au public pour offrir le kroupouk ou des bribes mystérieuses de répliques, le spectateur bougera-t-il?  Le pétillement  de cette méditation sur la société ne manquera pas d’inquiéter les uns ou les autres. L’enthousiasme perceptible et le  talent des artistes est d'ailleurs un gage de réussite… L’action se porte partout dans le chapiteau et ne peut que réveiller des esprits  parfois engourdis par  un certain  confort, mais  certes pas celui des gradins... Cela fait partie du jeu.

01.la-bonne-ame-du-se-tchouan01.jpg © Jean-Pierre Estournet

C’est Beau, c’est Brecht, c’est Bien. C’est partout autour de vous et on l’espère en vous… Une fable épique tendre et réaliste, poétique et moqueuse, fine et saltimbanque en diable. On ne peut décidément pas rester indifférent devant un tel festin d'imaginaire, une  telle union de talents si multiples et réglés dans une telle modestie. Tout y est: la comédie, les instruments de musique, les chants, les personnages burlesques (la riche et hautaine propriétaire, le menuisier, le policier, le neveu, le chômeur-quémandeur, la famille du gamin-voleur...). Et un tribunal imaginaire.  Bref une vingtaine de rôles pour une dizaine de comédiens qui  ne cessent de se transformer. Se transformer, c'est bouger, non? Ou bien le contraire?  CQFD 

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Il reste à nommer toute la troupe, ensemble et séparément : les Baladins du Miroir avec Andreas Christou, Stéphanie Coppe, Abdel El Asri, Monique Gelders, Aurélie Goudaer, François Houart, Geneviève Knoops, Gaspar Leclere, Diego Lopez-Saez, David Matarasso, Virginie Pierre, les enfants de la compagnie  et tout un équipage de splendides marionnettes, nos miroirs inspirés ?

Une citation pour finir?

Fallait-il quelqu’un d’autre ou bien un monde autre

Ou alors d’autres dieux, ou pas de dieux du tout ?

Devant ce désarroi le seul secours serait

Et vite et tout de suite que vous réfléchissiez

À la meilleure manière, au moyen le plus fin

De mener une bonne âme vers une bonne fin

Cherche donc, cher public, la fin qui fait défaut

Car il faut qu’elle existe. Il le faut ! Il le faut !

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http://www.atjv.be/La-Bonne-Ame-du-Se-Tchouan

  • Mise en scène : François Houart et Gaspar Leclère
  • Composition et direction musicale : Line Adam
  • Lutherie sauvage : Max Vandervorst
  • Création costumes : Sylvie Van Loo assistée de Anne Bariaux, Virginie Gossuin, Marie Nils, France Lamboray et Nicole Mornard
  • Scénographie : Aline Claus et Isis Hauben assistées de Sylviane Besson, Eloïse Damien et Catherine Van Assche
  • Construction des décors : Xavier Decoux assisté de Bernard Antoine, Adrien Dotremont, et Ananda Murinni
  • Création lumières : Mathieu Houart
  • Régie : Ananda Murinni
  • Régie Plateau : Adrien Dotremont
  • Conception des marionnettes : Johan Dils et Sylvie Van Loo
  • Conseiller maquillages : Serge Bellot
  • Pyrotechnie : Nicole Eeckhout
  • Assistante à la mise en scène : Hélène Van Den Broucke
  • Création affiche : France Everard

http://www.lesbaladinsdumiroir.be/index.php/spectacles-a-l-affiche/la-bonne-ame-du-se-tchouan

note d'intention: http://www.lesbaladinsdumiroir.be/templates/joomlabaladins/html/bonneame/bast_note_intention.pdf

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Une vision héraclitéenne rappellera que l’homme n’est qu’un pion parmi d’autres à l’intérieur de l’infini jeu du monde.  Étudier les structures métalittéraires sans référence aux structures constitutives, normatives et évolutives, ne saurait garantir la compréhension de la littérature en soi, puisque ces codes décrivent les conditions de possibilité de l’œuvre sans véritablement l’expliquer. Ils n’indiquent pas comment la littérature parvient à remplir les différentes fonctions qui lui sont attribuées.

Conformément à la tradition philosophique de son époque, Kant privilégie la raison et donc le sujet et sa volonté. L’image de la révolution copernicienne qu’il a choisi pour symbole de sa philosophie —en affirmant qu’on devait cesser de voir le sujet tourner autour de l’objet et s’interroger plutôt sur l’objet tournant autour du sujet—, a d’ailleurs été très mal accueillie et sévèrement critiquée. Les excès d’une critique devenue ennuyeuse et vaine à force de se vouloir objective n’ont pas manqué de susciter des polémiques.

 

  1.               Déviation de la critique

Proust a prôné un retour à la subjectivité critique : en France, Albert Thibaudet, Charles Du Bos illustrent de manière exemplaire cette réhabilitation du subjectif par une « critique créatrice ». Influencés tout aussi bien par la philosophie bergsonienne que par la psychanalyse, ces auteurs ouvraient déjà la possibilité d’une « poétique », entendue au sens qu’apportait au mot « poétique ». Gaston Bachelard dans son exploration des thèmes de l’imaginaire, Georges Poulet, Jean-Pierre Richard, Jean Rousset, par leurs recherches thématiques, s’inscrivent dans cette même lignée. Par leur démarche, ces critiques et théoriciens essayent de montrer comment chaque écrivain, à travers des formes et des thèmes singuliers, exprime sa sensibilité et bâtit sa propre image du monde.

Au début du siècle, le plus insigne représentant français des études littéraires semble être Gustave Lanson, représentant d’un courant de l’histoire littéraire féru d’objectivité. Par la méthode historique et comparative, les spécialistes universitaires cherchent à resituer le texte dans son contexte biographique et littéraire d’origine.

Cependant, placées sous le sceau de l’événementiel, leurs enquêtes minutieuses se perdent parfois dans des reconstitutions biographiques plutôt anecdotiques, et le texte littéraire se voit souvent noyé par un appareil érudit plus soucieux des révélations philologiques ponctuelles que des visions d’ensemble.

Parallèlement à la constitution de la psychocritique, on a assisté au surgissement de la sociocritique, qui « interroge l’implicite, les présupposés, le non-dit ou l’impensé, les silences, et formule l’hypothèse de l’inconscient social du texte »[1].

La sociocritique, explique Pierre Barbéris, « contribue à constituer le texte comme l’un des lieux où s’élabore la réaction de l’homme au réel et comme l’un des discours qu’il tient sur sa condition parmi les êtres, les choses et les événements [...], elle est une conquête décisive de la modernité. »[2]. Parmi ses représentants les plus célèbres, on peut citer, entre autres, Paul Bénichou et Lucien Goldmann. À la différence de l’histoire littéraire, la sociocritique n’accorde nullement la priorité au sujet créateur ; son but consiste à resituer une œuvre dans l’histoire collective (intellectuelle, sociale, économique). Inspirée par la pensée marxiste, elle tente d’accomplir une synthèse entre l’approche sociologique (pour tenir compte de la « névrose objective » d’une époque, selon la formule de Jean-Paul Sartre) et l’approche psychologique (c’est-à-dire, les données d’une histoire personnelle). Axée sur ce que nous avons appelé les structures métalittéraires, et sur le contexte, la sociocritique ne semble pourtant pas avoir eu recours jusqu’à présent à la métaphore ludique de manière systématique.

En fait beaucoup d’approches littéraires dont le formalisme et le structuralisme ont placé le texte en première ligne jusqu’à aller prétendre « la mort de l’auteur » ainsi le « je » qui écrit ne saurait avoir de réalité que textuelle. Cependant cette approche a conduit les chercheurs à des impasses.  Les résultats les plus éclatants dépassent le cadre formel pour s’ouvrir à des disciplines  diverses.  Dès 1969, Paul Ricoeur, dans le Conflit des interprétations, établissait les conditions de réussite de l’analyse structurale :

  • le type d’intelligibilité qui s’exprime dans le structuralisme triomphe dans tous les cas où l’on peut :
  • travailler sur un corpus déjà constitué, arrêté, clos et, en ce sens, mort ;
  • établir des inventaires d’éléments et d’unités ;
  • placer ces éléments ou unités dans des rapports d’opposition, de préférence d’opposition binaire ;
  • établir une algèbre ou une combinatoire de ces éléments et de ces couples d’opposition.[3]

Sous l’influence des diverses disciplines qui s’y sont intéressées, le structuralisme a peu à peu évolué vers une nouvelle conception de la structure comme dynamisme réglé plutôt que comme inventaire clos. Il devient désormais possible, par exemple, d’inscrire parmi les objectifs d’une analyse structurale une meilleure compréhension de la manière dont fonctionnent le cadre et le pacte de lecture en tant qu’ensembles de règles virtuelles et implicites, en intégrant aussi des données autrefois considérées externes et donc non recevables.

Après avoir investi avec force le structuralisme, Roland Barthes a été l’un des premiers à en rejeter la canonisation et à explorer de nouvelles voies. Les propositions théoriques de Roland Barthes restent à exploiter pleinement, du moins en ce qui concerne la problématique du jeu. Il conviendrait sans doute de mettre en parallèle sa philosophie du Je comme sujet et objet de l’expérience —« une théorie du Je, trouvant son identité dans la reconnaissance de sa singularité »[4]— avec l’un des postulats majeurs qui sous-tendent notre propre analyse du jeu, à savoir, la possibilité de dissocier le(s) sujet(s) du jeu comme acte, comme pensée et comme énonciation. Il faudrait alors évoquer sa place parmi ceux qui, comme Jacques Lacan, Michel Foucault ou Louis Althusser, ont contribué à bâtir le mythe de l’antihumanisme structuraliste.

Étant donné notre objet d’étude, nous ne pouvons pas non plus négliger le rôle fondateur de Roland Barthes dans la « nouvelle critique », pour laquelle l’auteur « cède [...] le devant de la scène à l’écriture, au texte, ou encore au scripteur, qui n’est jamais qu’un “sujet” au sens grammatical ou linguistique, un être de papier et non une “personne” au sens psychologique : c’est le sujet de l’énonciation, qui ne préexiste pas à son énonciation mais se produit avec elle, ici et maintenant. »[5]. Cette nouvelle critique nous rappelle les interrogations de Husserl dans la relation entre l’objet, l’auteur et le monde.

 

2.   L’entreprise husserlienne et l’intentionnalité dans l’écriture

Science des phénomènes de connaissance, la phénoménologie est d’une part « science des connaissances comme apparitions, figurations, actes de conscience dans lesquels telles ou telles objectivités, se configurent », d’autre part elle est « science des objectivités, elles-mêmes, en tant que sens : il signifie à la fois ce qui apparaît et l’acte même d’apparaître. « Toute conscience est conscience de quelque chose », ce qui signifie que ce quelque chose est transcendant à la conscience, alors même qu’il se trouve bien en elle, c’est-à-dire qu’il lui est immanent (« transcendance immanente »). La phénoménologie ne se contente plus de considérer l’objet essentiel « apparaissant en personne », mais inclut dans la définition du phénomène aussi bien l’acte de connaissance (noèse) que le contenu de cet acte (noème).

La « réduction phénoménologique » entre au cœur même de la noèse, elle est amenée à examiner l’ « égo pur » (ou « je » transcendantal »), dont la sphère est la « vie intentionnelle ». La phénoménologie se trouve ainsi à la source, à la racine de toute «  constitution » (genèse) du monde. Seul le « je » qui accomplit la tâche ou qui vit l’expérience phénoménologique peut atteindre le moi « universel », « pur » et « transcendantal ».

Husserl renoue ainsi directement avec les questions relatives au sujet, qu’il n’avait jamais vraiment délaissées : « la phénoménologie ne nous a pas, en réalité, fait perdre le monde comme objet phénoménologique. Nous le gardons en tant que coagitatum ». la « vie transcendantale de la conscience » prise dans son « flux de devenir » et orientée alternativement vers le passé (rétention), vers l’avenir (protention) ou vers le présent  (intention actuelle) est en même temps immanente : c’est  une « transcendance immanente » capable de se déployer comme à l’infini dans les phénomènes, dans la « vie pure, avec l’ensemble de ses états vécus purs et de ses objets intentionnels » dans le « monde de la vie » (ou vie-monde)[6]

L’impressionnante entreprise création conceptuelle à laquelle s’est livré Husserl donne à  sa phénoménologie une allure de système clos sur lui-même. Mais par ses présupposés elle est en fait infiniment ouverte sur l’ « irréfléchi en fuite », comme l’a dit Maurice Merleau-Ponty.

L’entreprise husserlienne s’inscrit dans toute la tradition de l’histoire de la philosophie, à commencer par la philosophie et, au premier chef, l’idéal platonicien. Le concept d’ « intention » s’inspire de l’intensio médiévale telle que telle que Brentano l’avait interprétée pour ses élèves, et les Méditations  cartésiennes aborde explicitement le cogito de Descartes. De même l’ensemble de l’œuvre de Husserl se réfère au phénomène  et au transcendantal  kantiens. Quant au rejet de l’épistémologie « psychologiste » de son temps, ainsi qu’à son désir de fonder  par la phénoménologie une mathésis universalis, science universelle capable de mener à son accomplissement la philosophie, ils furent repris et repensés par des philosophes éminents : Marx Scheler, Martin Heidegger en Allemagne, Merleau-Ponty et Sartre en France. 

S’assignant l’objectif d’ « aller aux choses mêmes » et visant à retrouver et à décrire, par un effort théorique constant, « les phénomènes »_ masqués par l’usage habituel de la raison mais montrés par l’intuition, Husserl adopte une méthode rigoureuse pour faire apparaître et élucider ce « champ de la conscience  absolue », ces « eidétiques ». Cette méthode préconise le « suspens » (époché) et la « réduction » : elle consiste schématiquement  à mettre entre parenthèses, autrement dit à la suspendre, la vision rationnelle (vision « naturelle ») et à « réduire » le monde à ses sens essentiels, ce qui permet  de dévoiler la subjectivité transcendantale dans son être absolu. Pour cela, il faut procéder à des « variations imaginaires », c’est-à-dire qu’il faut varier par l’imagination les prédicats attribués.

Cette technique de la « variation » permet de saisir l’essence des objets, de leurs corrélats (spatialité, temporalité, rapports   de causalité). A travers ces « expériences  possibles », la phénoménologie établit les divers plans de l’être (« ontologie régionale ») : les « régions » de la géométrie, de la logique, de la psychologie…

Selon la phénoménologie husserlienne, la conscience n’est pas un réceptacle passif, mais « elle tend intentionnellement » vers les essences qu’elle « vise » et qu’elle classifie en une architecture universelle de la conscience ; elle relève  d’une ontologie concrète  portant sur tout le domaine du « vécu » du je phénoménologique. La conscience est en effet « intentionnalité », elle se définit à la fois comme « tension » vers son objet et « intention » nourrie pour les objets qu’elle constitue.

 

3.         Quelle méthode pour approcher un texte ?

La méthode adoptée pour approcher un texte est un chemin de connaissance, une direction à prendre pour la suite d’une démarche. La méthode, au niveau épistémologique, est une conversation transdisciplinaire  à laquelle participent nombreux critiques, nombreux théories et disciplines. Réfléchir sur un texte s’avère alors une fresque de questions philosophiques qui s’importe d’y réfléchir. Le « texte » est un dispositif expérimental, l’œuvre et sa narration sont donc inscrites à l’intérieur d’un essai plus large qui cherche à réfléchir le problème épistémologique posé par la pratique artistique comme chemin de connaissance.

La pluridisciplinarité lui permet de surmonter un grand nombre des apories passées, tout en lui rappelant la nécessaire humilité du théoricien, condamné à ne jamais embrasser la totalité de son champ.

Il est indéniable que la phénoménologie a ouvert les études littéraires de réceptions sur une gamme de champs qui ont souligné le rôle de la conscience dans la lecture. La phénoménologie nous offre un exemple concret de cette osmose entre conscience de l’auteur et celle de lecture en donnant l’exemple de la toupie et que J-P SARTRE en résume : « pour la[toupie] faire surgie, il faut un acte concret qui s’appelle lecture, et elle ne dure qu’autant que cette lecture peut durer. Hors de là, il n’y a que des tracés noirs sur le papier »[7]

La vision transdisciplinaire est résolument ouverte dans la mesure où elle dépasse le domaine des sciences exactes par leur dialogue et leur réconciliation non seulement avec les sciences humaines mais aussi avec l’art, la littérature, la poésie et l’expérience intérieure[8]. Dans la perspective transdisciplinaire, on le voit, toutes les formes de connaissance devraient trouver leur place. On pense qu’une vision globale du monde, si elle était possible, ne serait concevable que par l’articulation dynamique des épistémologies et méthodologies conjuguées de toutes les disciplines scientifiques, des « sciences de l’humain » (anthropologie, sociologie, psychologie, etc.) et des modes plus interprétatifs, herméneutiques ou créateurs, comme la littérature, la philosophie, la psychanalyse, l’art, la théologie, le mysticisme, etc. Le mouvement transdisciplinaire accueille donc, évidemment, la contribution d’artistes à son projet

 

  •       Herméneutique pluridisciplinaire

Dans le cadre de ce panorama d’ensemble des poétiques qui, au XXe siècle, il nous a semblé pertinent de retenir trois approches : le dialogisme, inauguré par Mikhaïl Bakhtine ; la transtextualité, telle qu’elle est conçue par Gérard Genette, qui nous permettra ensuite de nous pencher sur différentes théories de la parodie au sein desquelles la métaphore ludique occupe un rôle particulier ; et enfin les jeux intertextuels

Maurice Blanchot insistent sur l’effacement du sujet et de la référence au monde dans l’écriture. Dans le Livre à venir (1959), Maurice Blanchot postule qu’il n’est d’œuvre que du mouvement de pensée et de langage qui mène vers elle, car l’œuvre est toujours questionnement sur son propre avènement. Ainsi mis en exergue, le caractère autotélique du texte semble légitimer l’usage du réseau métaphorique du jeu, d’autant plus que la pensée heideggérienne trouve des échos grandissants. On peut alors étudier à la lumière du jeu l’œuvre de ceux qui, comme Samuel Beckett et ses contemporains, ont annoncé l’irrémédiable déchirure entre le langage et le Je qui croyait en être l’origine.

La conception du texte comme « micro-univers sémantique fermé sur lui-même » lui confère une fonction de sui-réflexivité, c’est-à-dire « d’auto-référence, d’auto-représentation, qui le soustrait à toute relation sémiotique externe avec les référents extra-textuels [...]. Le dispositif structure clôture, qui, sur le plan de la référence, instaure l’autonomie du discours, sur le plan éthique définit la singularité et la subjectivité du discours poétique [...]. La fermeture par la structure a pour effet de spatialiser le discours, qui devient ainsi un objet de langage hors temporalité, achronique[9].

Inspirés par le structuralisme, mais résolus à le dépasser, deux théoriciens singuliers allaient contribuer, chacun à leur manière, à la réouverture du texte. Jacques Derrida développe son concept essentiel de différance, qui englobe aussi bien l’objet que la subjectivité de l’interprète. De son côté, Roland Barthes insiste sur l’importance du sujet sémiotique, sur l’écriture littéraire comme énonciation, sur la lecture comme participation.

Cette méthode contribue à mettre en évidence l’importance d’un phénomène longuement étudié par Mikhaïl Bakhtine, et qui reste lui-même associé au ludique : le dialogisme. Car, intentionnellement ou non, les discours critiques sur le jeu « entre[nt] en dialogue avec les discours antérieurs tenus sur le même objet, ainsi qu’avec les discours à venir, dont il[s] pressent[ent] et prévien[nen]t les réactions. La voix individuelle ne peut se faire entendre qu’en s’intégrant au choeur complexe des autres voix déjà présentes. »[10]

Le concept de dialogisme, forgé par Mikhaïl Bakhtine, repris ensuite par Julia Kristeva sous le nom d’intertextualité, et développé par Gérard Genette en tant que transtextualité, a profondément marqué la théorie littéraire de notre siècle.

 

  •       Le principe du dialogisme

Il nous fallait exposer ici dans ses grandes lignes le principe dialogique bakhtinien, en raison de son influence sur la critique littéraire de la fin du XXe siècle, en général, et sur la notion de transtextualité, en particulier[11]. La théorie du texte de Roland Barthes —fondée sur l’idée que le texte est une tresse, un tissu de voix et de codes 1179— doit elle aussi beaucoup à la réflexion de Mikhaïl Bakhtine sur l’écriture polyphonique. Ce n’est pourtant pas dans les textes consacrés au dialogisme que les métaphores du jeu vont être sollicitées par Mikhaïl Bakhtine, textes sur le carnaval et notamment dans l’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance (1965 ; 1970 pour la tr. fr.).

Le rôle des formalistes russes dans la constitution du structuralisme littéraire est bien connu ; il ne faut cependant pas oublier qu’ils ont également ouvert la voie aux recherches bakhtiniennes sur le dialogisme. En effet, dans un souci de prendre en compte la dimension historique de la littérature, les formalistes avaient érigé la discontinuité en principe de l’évolution littéraire : les formalistes russes avaient dégagé deux modes de fonctionnement de l’évolution littéraire : d’une part la parodie de procédés dominants, d’autre part l’introduction de procédés marginaux au centre de la littérature. [...] Suivant le second mécanisme, des procédés devenus familiers sont remplacés par d’autres procédés empruntés à des genres marginaux, dans un jeu entre le centre et la périphérie de la littérature, entre la culture savante et la culture populaire, qui annonce le dialogisme bakhtinien[12].

Le dialogisme bakhtinien repose sur deux postulats :

1. tout discours suppose, d’une part, deux sujets, l’un individuel (l’homme qui parle), l’autre collectif (le groupe social auquel il appartient) ;

 2. Chaque discours s’oriente toujours vers le « déjà dit » : « Sur toutes ses voies vers l’objet, dans toutes les directions, le discours en rencontre un autre, “étranger”, et ne peut éviter une action vive et intense avec lui »[13].  Selon Mikhaïl Bakhtine, « “au fond de l’homme”, n’est pas le “ça”, mais l’autre. »[14]. Sa réflexion littéraire aboutit ainsi à ce que Tzvetan Todorov appelle une «anthropologie philosophique »[15]où c’est l’être humain même, irréductiblement hétérogène, qui n’existe qu’en dialogue.

Ce constat va conduire Mikhaïl Bakhtine à établir une différence d’objet entre les sciences.  Or, Mikhaïl Bakhtine a établi une nette distinction entre sciences exactes et sciences humaines: là où les premières travaillent à partir de données fournies par l’objet de connaissance lui-même, les dernières ont pour objet le texte, au sens le plus large du terme, en tant que matière signifiante faite de pensées et d’expériences[16]. Dans Esthétique et théorie du roman, il explique cette dichotomie, pour montrer ensuite à quel point le principe dialogique est incontournable en poétique.

Tout l’appareil méthodologique des sciences mathématiques et naturelles s’oriente sur la maîtrise de l’objet réifié, muet, qui ne se révèle point dans la parole, qui n’informe en rien sur lui-même. La connaissance n’est pas liée à la réception et à l’interprétation des paroles ou des signes de l’objet connaissable lui-même.

Dans les sciences humaines [...] naît le problème spécifique du rétablissement, de la transmission et de l’interprétation des paroles « étrangères » [...]. Quant aux disciplines philosophiques, le locuteur et sa parole y apparaissent comme l’objet fondamental de la connaissance. [...] Dans les domaines de la poétique, de l’histoire littéraire (de l’histoire des idéologies en général), et [...] dans la philosophie de la parole, aucune autre approche n’est possible : dans ces domaines, le positivisme le plus aride, le plus plat, ne peut traiter la parole de façon neutre, comme une chose, et se trouve contraint ici à se référer à la parole, mais aussi de parler avec elle, afin de pénétrer dans son sens idéologique, accessible seulement à une cognition dialogique incluant tant sa valorisation que sa réponse[17].

Autrement dit, « en sciences naturelles on cherche à connaître un objet, et en sciences humaines un sujet. »[18] Il n’est pas question pour Mikhaïl Bakhtine d’idéaliser l’individualité psychologique, mais plutôt « d’insister sur le caractère unique, non réitérable des faits qui forment l’objet des sciences humaines. »[19]. Chez les théoriciens de la littérature, l’ignorance ou le refus de cette spécificité de l’objet-sujet des sciences humaines se traduit par une prédilection envers deux types d’objets empiriques : les objets formels, les objets psychiques. Apparemment contradictoires, ces deux empirismes se rejoignent pourtant dans leur volonté de séparer l’étude de l’œuvre de celle des participants à l’acte de communication qu’est la littérature. Pour sa part,

Mikhaïl Bakhtine défend la subjectivité non pas de l’individu mais de l’objet à connaître : « Les sciences de l’esprit : leur objet est non pas un, mais deux “esprits” (étudié et étudiant, qui ne doivent pas fusionner en un esprit unique). Leur véritable objet est l’interrelation et l’interaction des esprits »[20].

L’intertextualité, telle que la conçoit Mikhaïl Bakhtine, appartient donc au discours, non à la langue, tout comme l’interaction ludique appartient au jouer, non au jeu. Et le sens de ce discours ne peut être compris qu’en référence au contexte d’énonciation : « Le sens [...] implique la communauté. Concrètement, on s’adresse toujours à quelqu’un, et ce quelqu’un n’assume pas un rôle purement passif [...] : l’interlocuteur participe à la formation du sens de l’énoncé, tout comme le font les autres éléments, également sociaux, du contexte d’énonciation. »[21]

Une telle anthropologie philosophique, fondée sur l’indispensable altérité, pourrait être mise en rapport avec la réflexion de Jacques Derrida. En effet, le contexte d’énonciation n’est pas pour Mikhaïl Bakhtine une entité qu’il suffirait de dégager une fois pour toutes et qui figerait le sens ; en perpétuelle évolution, il s’inscrit de façon dynamique dans la « grande temporalité»[22]:

Il n’existe pas de premier ni de dernier discours et le contexte dialogique ne connaît pas de limites (il disparaît dans un passé illimité et dans un futur illimité). Même les sens passés, c’est-à-dire ceux qui sont nés au cours du dialogue des siècles passés, ne peuvent jamais être stables (achevés une fois pour toutes, finis), ils changeront toujours (en se renouvelant) au cours du développement ultérieur, à venir, du dialogue. A tout moment de l’évolution du dialogue, il existe des masses immenses, illimitées, de sens oubliés, mais, à certains moments ultérieurs, au fur et à mesure que ce dialogue avance, ils reviendront à la mémoire et vivront sous une forme renouvelée (dans un nouveau contexte). Rien n’est mort absolument : chaque sens aura sa fête de renaissance. Le problème de la grande temporalité[23]

la réflexion de Michael Riffaterre[24] est, à ce propos, exemplaire : Riffaterre appelle « illusion référentielle » : «  [...] l’erreur, courante à ses yeux, qui consiste à substituer la réalité à sa représentation [...]. Victime de l’illusion référentielle, le lecteur croit que le texte réfère au monde, alors que les textes littéraires ne parlent jamais d’états de choses qui leur soient extérieurs. [...] ».  Riffaterre concède que, dans le langage ordinaire, les mots réfèrent aux objets, mais c’est pour ajouter aussitôt qu’en littérature il n’en est rien. En littérature, l’unité de sens ne serait donc pas le mot mais le texte entier, et les mots perdraient leurs références particulières pour jouer les uns avec les autres dans le contexte et produire un effet de sens nommé signifiance.

Aujourd’hui, l’intertextualité désigne donc en sémiotique littéraire l’ « ensemble de relations existant avec d’autres textes (passés ou contemporains) qui se manifestent à l’intérieur d’un texte. » L’insistance sur l’intrusion inévitable des discours autres dans un texte est sans doute à mettre en rapport avec la notion de structure différante développée par Jacques Derrida.

Le terme même d’ « intertextualité » a été introduit en 1969 par Julia Kristeva, dans ses Recherches pour une sémanalyse, pour désigner aussi bien l’inscription d’un texte dans un autre que l’inscription d’un code culturel dans un texte donné. Elle reprenait ainsi le troisième aspect de l’écriture dialogique proposé par Mikhaïl Bakhtine, celui de la polémique cachée (discours d’autrui présent par ses réfractions dans le texte) 1240.

Substituant la notion d’intersubjectivité dialogique par celle d’intertextualité, elle remplace également la notion de « voix » —qui suppose une intentionnalité— par celle de texte. Celui-ci « se construit comme mosaïque de citations ; tout texte est absorption et transformation d’un autre texte. [...] le langage poétique se lit, au moins, comme double » 1241 ; autrement dit, dans le dialogue textuel qu’instaure le langage poétique, toute séquence est tout à la fois orientée vers la réminiscence (évocation d’une autre écriture) et vers la sommation (transformation).

  •     Herméneutique et déconstruction

Du côté des philosophes post-heideggeriens qui ont eu recours à la notion de jeu, nous retiendrons deux noms capitaux : celui de Hans Georg Gadamer (1900-) et celui de Jacques Derrida (1930-). Leur présence ici est d’autant plus nécessaire que l’herméneutique et la déconstruction ont profondément marqué l’âge d’or que furent pour la théorie littéraire française les années 60 et 70. Gadamer et Derrida peuvent également être considérés comme les principaux représentants des deux grandes voies de l’héritage heideggerien sur le langage, l’un assurant une certaine continuité de la tradition philosophique, l’autre la déconstruisant.

Gadamer et Derrida pensent tous deux qu’il n’y a pas d’expérience pure du monde possible ; néanmoins, tandis que le premier tente de concilier interprétation et expérience, le second affirme qu’il n’y a pas d’expérience qui vaille : il n’y a que des interprétations qui se succèdent sans fin, impossibles à référer à un quelconque centre ontothéologique.

Voyons de plus près en quoi consiste l’apport de ces deux philosophes au champ littéraire, ainsi que leur influence possible sur la critique et la théorie littéraires d’aujourd’hui.

Chez Gadamer, la problématique du langage est étroitement liée à celle du sujet. Gadamer, à la différence de Derrida, considère que le fait de s’inscrire dans une tradition ne limite pas la liberté de connaissance mais au contraire la rend possible. Car s’il est vrai que toute tentative de compréhension est inévitablement précédée par des préjugés, ces préjugés vont faire l’objet d’une transmutation dynamique. Par exemple, les idées préconçues du lecteur face à un poème ou un roman iront en se modifiant, en se déplaçant sans cesse durant le processus de lecture, dont le lecteur lui aussi sortira transformé. Le texte est ainsi conçu comme une œuvre: « la transformation par laquelle le jeu humain atteint son véritable accomplissement, qui est devenir art, je l’appelle la transmutation en œuvre. »[25]

Discutant la phénoménologie de Husserl, et s’inspirant des théories linguistiques de Saussure, Derrida va donc élaborer une théorie du signe comme producteur de sens, et de l’écriture comme différance. En effet, le principe saussurien de différence exige de considérer tout procès de signification comme un jeu formel, un échange dynamique supposant « des synthèses et des renvois qui interdisent qu’à aucun moment, en aucun sens, un élément simple soit présent en lui-même et ne renvoie qu’à lui-même. »[26].  Puisque toute identité signifiante implique l’inscription de la signification dans un code et le renvoi à d’autres traces ou « grammes », la différance sera définie comme « le jeu systématique des différences, des traces de différences, de l’espacement par lequel les éléments se rapportent les uns aux autres. »[27]. Ce jeu sans fond aboutit à une annulation du sujet, car il n’y a pas « de sujet qui soit agent, auteur et maître de la différance et auquel celle-ci surviendrait éventuellement et empiriquement. La subjectivité —comme l’objectivité— est un effet de différance. »

Gilles Deleuze a essayé de rendre compte de ce déséquilibre entre deux séries structurales —celle de « l’événement par nature idéal » et celle de « son effectuation spatio-temporelle dans un état de choses »[28] — en parlant, à la suite de Claude Lévi- Strauss, de « signifiant flottant » et de « signifié flotté ». Il s’agit de conceptualiser une valeur dont l’unique fonction est de combler l’écart entre le signifiant et le signifié, c’est-à- dire un « différentiant », une « case vide » en déplacement constant dont dépend le fonctionnement même de la structure. Cette case vide a pour fonction « d’articuler les deux séries l’une à l’autre et de les réfléchir l’une dans l’autre, de les faire communiquer, coexister et ramifier »[29]. Grâce à la réflexion structuraliste, le sens n’est plus conçu comme apparence, mais comme « effet de surface et de position, produit parla circulation de la case vide dans les séries de la structure »[30]. Ni principe ni origine, le sens est produit : « il n’est pas à découvrir, à restaurer ni à re-employer, il est à produire par de nouvelles machineries. »[31]

Le XXe siècle, pourtant caractérisé comme le siècle de l’incertitude et du flou dans les sciences, réserve une place croissante aux modèles et aux modélisations les plus diverses —songeons par exemple à l’impact de la théorie mathématique des jeux—. Y a-t-il une véritable contradiction entre ces deux tendances ? La concomitance a priori paradoxale entre flou et modélisation n’est pas sans rappeler la dichotomie propre au jeu mécanique, dans lequel le fonctionnement optimal d’un rouage exige tout à la fois une grande latitude et une grande précision.

Dans tout ce brassage, ce foisonnement d’idées, on peut retenir la mise en examen de la fonction de l’art et particulièrement la fonction de l’œuvre, de même que des principes liés à son autonomie et à sa décontextualisation ; la possibilité, entre autres, que l’œuvre ne soit plus forcément une fin en soi ou l’aboutissement ultime obligé de toute création.

 

Bibliographie

    BAKHTINE, M.- Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Coll. Tel, 1987.

    Bakhtin M., Estetika Slovesnogo Tvorchestva [Relié] , Moscow (1979)

    BARBERIS, P.- BERGEZ, D. (dir.).- Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire, Armand Colin, coll. Lettres Sup, 2005.

    COMPAGNON, A.- Le Démon de la théorie, Éditions du Seuil (La couleur des idées), 1998.

    DERRIDA, J. Positions, Edition de Minuit, coll. Critique, 1972.

    DESSONS Gérard, Introduction à la poétique. Approche des théories de la littérature, Armand Colin, 2005

    DEULEUZE G., Logique du sens, Editions de Minuit, coll. Critique, 1969.

    DUCHET, C.,  Sociocritique, Paris : Nathan, 1979.

    HUISMAN, D.- Dictionnaire des philosophes, PUF, 2009

    RICOEUR, Paul, le Conflit des interprétations, ed. Seuil, coll. Esprit, 1969.

    RIFFATERRE, M.- La Production du texte, Seuil, coll. Poétique, 1979.

-Sémiotique de la poésie, Seuil, coll. Poétique, 1983

    SARTRE, J.-P.- Qu’est-ce que la littérature ?, Idées Gallimard, Folio, 1948

    TODOROV, T.- Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique, Seuil, coll. Poétique, 1981.



[1] DUCHET, C.- « Introduction. Positions et perspective », Sociocritique (Paris : Nathan, 1979), p. 4, apud

HAMON, Ph.- « Texte et idéologie. Pour une poétique de la norme », p. 109.

Plus récemment, et en s’inspirant de cette première définition, P. Barbéris écrit : « Sociocritique désignera donc la lecture de l’historique, du social, de l’idéologique, du culturel dans cette configuration étrange qu’est le texte. » [« IV. La sociocritique », BERGEZ, D. (dir.).- Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire, Armand Colin, coll. Lettres Sup, 2005. p. 123]

[2] BARBERIS, P.- « IV. La sociocritique », BERGEZ, D. (dir.).- Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire, op. cit, p. 152.

[3] Paul RICOEUR, « La Structure, le mot, l’événement », le Conflit des interprétations, ed. Seuil, coll. Esprit, 1969, p. 80.

[4] HESS, R.- « BARTHES Roland, 1915-1980 », HUISMAN, D.- Dictionnaire des philosophes, PUF, 2009,  p. 219.

[5] COMPAGNON, A.- Le Démon de la théorie, Le Démon de la théorie, Éditions du Seuil (La couleur des idées), 1998, p. 53

[6] Concept développé par Husserl  à la fin de sa vie.

[7] J.-P SARTRE, - Qu’est-ce que la littérature ?, Idées Gallimard, Folio, 1948 p. 48.

[8] (Lima de Freitas, Edgar Morin et Basarab Nicolescu, Charte du CIRET, art. 5 Centre international de recherches et d’études transdisciplinaires (CIRET). Le projet moral [en ligne]. http://nicol.club.fr/ciret/projfr.htm (consulté le 4 novembre 2008). 

 

[9] Gérard DESSONS, Introduction à la poétique. Approche des théories de la littérature, Armand Colin, 2005, p. 166-167.

[10] T.TODOROV, - Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique, Seuil, coll. Poétique, 1981, p. 8.

[11] La notion de transtextualité, développée par G. Genette à partir de celle de l’intertextualité, elle-même dérivée du dialogisme, repose en partie sur le réseau métaphorique du jeu, comme nous aurons l’occasion de le constater ci-dessous.

[12] Le Démon de la théorie, op.cit, p. 224-225.

[13] M. BAKHTINE, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, Coll. Tel, 1987, p. 102.

[14] T.TODOROV, - Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique, op. cit p. 55.

[15] Tel est le titre que T. Todorov a donné au septième chapitre de Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique. Pourtant, M. Bakhtine ne semblait guère apprécier cette discipline, à propos de laquelle il écrit, dans l’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance : « L’anthropologie philosophique avec sa méthode phénoménologique n’a rien à voir avec la science historique et sociale véritable et ne peut donner de solution à ce problème [vaincre le pessimisme de la conception existentialiste] ; de plus, elle est braquée sur la notion de fête détériorée de l’époque bourgeoise. » (p. 276)

[16] « Le texte est cette réalité immédiate (réalité de la pensée et des expériences) dans laquelle seule peuvent se constituer ces disciplines [les sciences humaines] et cette pensée. Là où il n’y a pas de texte, il n’y a pas non plus d’objet de recherche et de pensée. » [BAKHTINE, M.- « Problema teksta v lingvistike, filologii i drugikh gumanitarnykh naukakh. Opyt filosofskogo analiza » (« Le Problème du texte en linguistique, philologie et dans les autres sciences humaines. Essai d’analyse philosophique », Estetika slovesnogo tvorchestva (Esthétique de la création verbale, Moscou, 1979), p. 281, apud TODOROV, T.- Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique, p. 31)]. T. Todorov ajoute : « Ce n’est donc pas simplement l’homme qui constitue l’objet des sciences humaines ; c’est plutôt l’homme en tant qu’il est un producteur de textes. » (Idem)

[17] M.BAKHTINE, - Esthétique et théorie du roman, op. cit, p. 169-170.

[18] T.TODOROV, op. cit., p. 33.

[19] Ibid., p. 34.

[20] BAKHTINE, M.- « Iz zapisej 1970-1971 godov » (extraits des notes des années 1970-1971), Estetika

slovesnogo tvorchestva (Esthétique de la création verbale, Moscou, 1979), p. 349, apud TODOROV, T.- Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique, op. cit,  p. 38.

[21] T.TODOROV, op. cit., p. 50.

[22] M. BAKHTINE,- « K metodologii gumanitarnykh nauk » (« À propos de la méthodologie des sciences humaines »), Estetika slovesnogo tvorchestva (Esthétique de la création verbale, Moscou, 1979), p. 373, apud

TODOROV, T.- Mikhaïl Bakhtine. Le Principe dialogique, p. 170.

[23] M.BAKHTINE, - « K metodologii gumanitarnykh nauk », op cit.

[24] Cf. RIFFATERRE, M.- La Production du texte, Seuil, coll. Poétique, 1979. Et Sémiotique de la poésie, Seuil, coll. Poétique, 1983.

 

[25]Ibid, p.128.

[26] J. DERRIDA, - « Sémiologie et grammatologie », Positions, Edition de Minuit, coll. Critique, 1972, p. 37.

[27] Ibid, p.38.

[28] G.DELEUZE, - « Neuvième série. Du problématique », Logique du sens, Editions de Minuit, coll. Critique, 1969, p. 68.

[29]G.DELEUZE,- « Huitième série. De la structure », op. cit., p. 66.

[30] G.DELEUZE,- « Onzième série. Du non-sens », op. cit., p. 88.

[31]G.DELEUZE,.- « Onzième série. Du non-sens », op. cit., p. 90.

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administrateur théâtres

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Un monde de pantins? Nous vivons au pays pléthorique des jouets. Nous sommes inondés de tentations électroniques qui brisent en nous la soif de connaissance et la nécessité du moindre effort. Des jouets, il y en a tant et tant qu’on les casse et les met au rebut. Victimes de l’exploitant du lieu, on brait rapidement avec les ânes du cirque. Et la lumière là-dedans? Il n’y a qu’un triste Lumignon qui tire sur sa cigarette électronique.

A travers cette farce cruelle et vertueuse, Pinocchio a encore bien des choses à nous dire. Tête brûlée de la tête aux pieds, mais doté d’un cœur d’or, il désobéit par instinct et prend toutes les obliques qui traversent et transforment, mû par une curiosité avide. Seul bémol: il redoute le travail et l’effort! Les conseils pleuvent de toutes parts, sans effet: de Gepetto son père; du criquet, sa conscience extérieure qu’il a d’ailleurs froidement assassinée; de la fée bleue tour à tour, sœur et mère. Il n’écoute que ses pulsions et les boniments des imposteurs. Sauf que… il éprouve de l’amour pour son père virtuel et pour la fée bleue qui pardonne toutes ses incartades et l’aime sans conditions.

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Et cet amour le travaille de l’intérieur et lui permet de faire un choix! Le sien et pas celui des autres, mais un choix qui le transforme en homme. Il a compris que planter des pièces d’or dans le champ des miracles et attendre que cela pousse est dérisoire. En lui, naît enfin le désir d’apprendre, de travailler, de créer quelque chose pour le bien commun. «Pour être un homme, il faut être rigoureux et bienveillant!» souffle quelqu’un! Au passage, l’auteur Carlo Collodi ne se prive pas de railler la justice et les médecins… Les coups de griffe pleuvent dans cette histoire. Pinocchio se jette enfin à l’eau pour sauver son père parti à sa recherche depuis des mois… La rencontre se fait dans le ventre du monstre marin, un requin-baleine, où Gepetto perd sa lampe mais l’amour lumineux du fils les sauve tous les deux. Ouf! Au retour, la fée bleue est toujours présente mais c’est Pinocchio seul qui s’est fait naître à la vie !  Il appartient maintenant au monde sensible, fait de chair et de sang, de sève et de lumière. « Obéir, désobéir? Pinocchio le naïf fait éclater quelques-unes de nos certitudes. Sa conduite met en question le productivisme de nos sociétés. Ce n’est rien de moins que l’espoir qui nous est donné par le pouvoir de l’imaginaire collodien » écrit Jean-Claude Blanc (Collection du T.P.R., 1983).

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La mise en scène de Stephen Shank répond fidèlement  à l’hymne de créativité entonné par Collodi. Emaillée de savoureuses références musicales de Brahms à Charles Aznavour en passant par "La vie en rose" et "We will rock you", la distribution est éblouissante! Il y a Jean-Louis Leclercq dans Gepetto - un rôle qui lui va comme un gant - Pascal Racan pour le très fieffé Renard, et Marc De Roy pour un inimitable Chat. Avec une Sylvie Perederejev enchanteresse, à la fois: fille, jeune-fille, fée, Colombine, chèvre et mère ! Une armée de poissons fabuleux, des médecins, des gendarmes en bicornes, des bandits et surtout, Peter Ninane, le mignon bandit de la pire espèce…On oscille entre Commedia dell’ Arte et  Grand Guignol! Le metteur en scène, Stephen Shank s’en est donné à cœur joie, question créativité et inventions. Les multiples personnages sont habillés de costumes riches extrêmement recherchés signés Thierry Bosquet, tous gonflés de poésie et d’humour. L’imaginaire est ici le roi des planches. Il n’y a d’ailleurs que peu de décor, si ce n’est la mouvance des différents tableaux. La majesté des pierres de l’abbaye et les très beaux jeux de lumière suffisent amplement. Les chorégraphies s’enchaînent avec souplesse, dans un rythme et une vitalité extraordinaire qui jaillit littéralement des planches, comme autant de miracles, malgré les marches dures où se fracassent régulièrement les rêves du pantin. On ne peut rester de bois devant tout ce bois qui parle, rit et enchante. 

 12273031461?profile=originalSi le programme spécifie que le spectacle ne s’adresse aux enfants qu’à partir de huit ans, nous vous le conseillons sans hésiter dès sept ans. Certes, il s’agit d’une fable cruelle dénonçant les valeurs vides et les compromissions, mais les enfants de cet âge sont déjà exposés et même fascinés par la cruauté du monde. Ils sont au meilleur âge pour faire leur choix et se laisser séduire par les sensibles antennes du charmant criquet Denis Carpentier et suivre, le cœur en émoi profond, la marionnette allégorique qui veut devenir homme, magnifiquement incarnée par Maroine Amini, sacré meilleur espoir masculin au dernier prix de la critique.

http://www.deldiffusion.be/prochaines-productions/66-Pinocchio

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administrateur théâtres

la_dame_def_sans_vignette.jpg?width=280Le quotidien bourgeois du début du XX° siècle s’expose sur toutes ses coutures en cette saison au théâtre du Parc et jusqu’au 31 décembre !  « LA DAME DE CHEZ MAXIM » est l’un des joyaux de l’écriture de Georges Feydeau, une comédie burlesque au souffle épique  qui dénonce  le caractère grotesque, sinon absurde du conformisme social.

 En piste : Une Môme de Paris couleur crevette (une impayable Julie Duroisin) qui jongle avec la langue du ruisseau comme avec  celle de l’art poétique de Boileau ! « Non mais ! » Et qui enfile les cœurs des messieurs comme des perles en faisant révérences irrévérencieuses « et vas-y donc c’est pas mon père ! »  Elle va ébranler l’édifice tranquille d’un couple de la  bourgeoisie parisienne  bien-pensante.  La femme docteur Lucien  Petypon (prononcer « petit ») est certes une vielle toupie dévote qui adore le surnaturel  et croit aux apparitions religieuses ( Anne-Pascale Clairembourg, craquante étude de caractère). 5..JPG Ce médecin (un Stéphane Fenocchi d’une formidable humanité), flanqué de son ami Mongicourt (Nicolas Ossowski) se veut moderne et est prêt à utiliser le fameux  « fauteuil extatique » lors de ses séances de bistouri, une application moderne des recherches qui se font à l’époque, à Vienne. Allusion non déguisée aux méthodes du fondateur de la psychanalyse et utilisation récurrente de l’objet à des fins du plus haut comique de situation.  Mais là n’est pas la question. Le comique qui tourne au cauchemar est celui du  pauvre toubib - noceur d’un soir – qui va payer très  cher son unique écart nocturne avec la Môme Crevette. Entraîné dans l’aventure par son ami  et va entamer une chute aux enfers fulgurante dès le saut du lit, ou plutôt de la carpette. Pris en otage par  la jeune danseuse, il va devoir  faire bonne figure face à un oncle, le général Petypon  du Grêlé (John Dobrynine) venu lui demander d'assister au mariage de sa jeune pupille Clémentine avec l’un de ses officiers nommé Corignon (Sébastien Schmit), ex-amant de ladite Crevette. Décidée à se venger de l’abandon de celui-ci, la Môme Crevette va se faire passer pour la femme du docteur. La voilà  invitée  à la  noce, bien contre le gré du médecin qui n’arrive pas à arrêter la machine infernale dans laquelle il a été embarqué. C’est une occasion rêvée pour la Môminette  de se moquer de  la bêtise des dames  de province. 6..JPGElle ne se gêne nullement  pour  leur chanter à tue-tête une des  pépites de la chanson grivoise : Le Bonheur d'être demoiselle.  9..JPG Un  moment inoubliable, sans rien de vulgaire, qui fait  se  plier de rire le public du théâtre du Parc en entier. Un autre thème dans cette joyeuse partition est l’imminence perpétuelle de duels pour dettes d’honneur qui assaillent le pauvre mari, lui qui ne ferait pas de mal à une mouche!

 10..JPG Une cascade d’imbroglios et de coups de théâtre se succèdent à un rythme  de plus en plus effréné. Gabrielle, la très dévote  mère tourière  épouse du docteur est partout et le  pauvre  homme s’évertue à empêcher qu’elles se rencontrent. L’homme est ballotté comme un  jouet  dans l’océan de quiproquos par un destin comico-cynique. La mécanique de Feydeau est implacable. A la fin il n’y a pas assez de portes pour faire surgir les personnages en folie, ils tombent des murs, du ciel presque et viennent atterrir sur le dur plancher de la réalité. La mise en scène est  non seulement un  va et vient fulgurant entre portes tronquées, trappes, escaliers et cabinets dérobés mais elle  bouleverse les codes habituels du boulevard par les  mille et un détails inventifs qui cernent le cauchemar et frisent la folie. Avec  la metteuse en scène géniale qu’est Miriam YOUSSEF, on pénètre de l’autre côté du miroir. Et vous emporterez avec vous l’image inoubliable du  dernier tableau qui  est d’une qualité onirique à couper le souffle! Joli début d’année 2014, si vous y allez le 31 !

http://www.theatreduparc.be/spectacle/spectacle_2013_2014_002

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Voilà un an déjà...

Voilà un an déjà qu’est sorti mon livre « le Conte du Pays de Nan ». Un deuxième manuscrit vient d’être envoyé pour lecture à un éditeur bruxellois, et j’espère pouvoir le finaliser l’an prochain. J’ai repris ici quelques commentaires publiés depuis octobre 2010 sur mon premier essai (écrit au Japon de 1984 à 1986). Ils m’ont encouragé à reprendre et poursuivre mon travail d’écriture. D’autres critiques m’ont été promises. Si donc vous aussi avez lu mon texte, n’hésitez pas à m’envoyer vos impressions, questions ou critiques à mon adresse courriel (daniel.moline@ skynet.be). Elles seront toujours les bienvenues.

Daniel Moline

 

12272763882?profile=originalLe Conte du Pays de Nan
Editions Thélès, 3 septembre 2010, 233 p.- ISBN : 9782303003063

 

Présentation de livre par l’éditeur :
Un jeune homme, Guershom, est envoyé de Belgique jusqu’au centre du monde. Il se retrouve là-bas à attendre seul. Il y fait la rencontre de Ponko, une jeune femme qui se perd dans son image. Il assiste à la mort d’un chien. Cet événement le marque et le rend très tendu. Il arrive en enfer. Il possède un nouveau corps et se voit dépossédé des artifices de la civilisation, ce qui lui permettra de vivre l’aventure de l’amour, le va-et-vient du bien. Il ne sait comment trouver Dieu maintenant, enivré par toutes les filles qui l’entourent. Doté de sang-froid dans son ancienne vie, c’est désormais du sang-chaud qui coule dans ses veines. Le paradis, l’enfer, le purgatoire ne sont jamais loin… Un roman étrange et pénétrant, où chaque lieu exprime différents niveaux d’humanité. Sur les pas de Dante, ce roman propose, dans un foisonnement d’idées et de mots, une plongée créative à travers différents espaces. Mais derrière les symptômes se cache une cohérence plus tragique et sérieuse, une réflexion sur l’animalité et la lucidité. Daniel Moline vit en Belgique. Il a vécu au Japon de nombreuses années, pendant lesquelles il a été peintre et chargé de cours à l’université de Kobe.

Présentation de l’auteur sur Amazon.fr :
Depuis son arrivée au Japon en 1973, Daniel Moline n'a cessé de peindre et d'écrire. "Le Conte du Pays de Nan" est son premier texte publié. L'œuvre de Spinoza et le film de Nagisa Oshima "l'Empire des sens" sorti en 1976 semblent avoir joué un rôle déterminant dans sa réflexion sur le rapport complexe entre désir et connaissance, et sa recherche de l'unité affect-concept qui fait la force ultime du langage. L'impact de ces deux chefs-d'œuvre que sont "L'Ethique" et "L'Empire des sens" traverse ce Conte qu'il acheva d'écrire - pour l'essentiel - en 1986, avec la conscience aiguë de n'avoir pu résoudre le conflit. A cela il faudrait ajouter "Les Cinq Rouleaux" d'Henri Meschonnic, publié en 1970 aux Editions Gallimard, que l'auteur emporta avec lui au Japon. Cette présentation originale de cinq textes bibliques abondamment cités dans le Conte l'a manifestement séduit et inspiré jusque dans le mot de la fin.

 

Publié dans Critiques libres
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Critique rédigée par France Guerre (34 ans)

 

12272764283?profile=originalUn paradis soustrait


Ce livre n’est pas facile à lire, mais bon Dieu, quel livre ! Il est étrange, dans tous les sens du mot : inclassable, indéfinissable, inquiétant, déroutant, voire incompréhensible. Un vrai livre pour ceux qui aiment perdre leurs pères et leurs repères. Ne cherchant manifestement ni à plaire ni à déplaire au lecteur éventuel, l’auteur semble d’abord avoir écrit pour lui. A chaque page, ce livre résiste à qui essaie de le penser. Il n’y a pas d’entrée. Les chemins ne vont nulle part. Ça n’a pas de sens. Impossible de savoir où l’on est, à qui on a affaire, quel est ce paradis soustrait. Un homme rencontre trois femmes. Le texte se contente d’évoquer ces rencontres, procède par allusions sans faire mention de choses précises, fait croire qu’il cache du sens pour mieux nous égarer. Il offre une multitude d’itinéraires possibles dont les tracés, comme en un labyrinthe, formeraient des histoires jusqu’au point qui pose un sens interdit. S’organise-t-il ainsi de manière à provoquer et à décevoir chacune de nos trajectoires interprétatives ? Et pourtant il n’est pas insensé. Il a en lui une force. Il pose une question de vie ou de mort. Il est à la fois politique, éthique, mystique et poétique. Et si l’œil s’y perd avec la raison, comme dans le jardin des délices de Jérôme Bosch, l’oreille pourrait peut-être bien s’y retrouver dans l’enchaînement serré des mots. C’est peut-être un livre à lire et goûter à voix basse, à relire plusieurs fois avant d’y entrer pour le goûter vraiment ?

 

Critique rédigée par Laozi (40 ans)

 

12272764701?profile=originalErrances narratives et perte de sens au fond d’un véritable locus voluptatis


Voici un conte dont les chaines sonores et le pointillé coloré sont si déroutants qu’il semble appartenir à une autre épistémè que la nôtre. 23 juin 1975, 135 degrés de longitude est, 35 degrés de latitude nord, les Cinq rouleaux d’Henri Meschonnic… On ne peut être plus précis. Mais au cœur même de ces localisations chiffrées qui distinguent l’objectif du subjectif, il introduit l’inquiétante insécurité des folies du réel lui-même. En faisant jouer l’un sur l’autre le réel et la fiction - (ce pays de Nan, cette ville, ce bruit, ces ombres, cette femme, est-ce une illusion ou quelque chose de réel ?) - il trouble inlassablement l’opposition sur laquelle s’appuie l’affirmation positiviste de la réalité. Ce n’est pas tout. Sa lisibilité est radicalement mise en cause par la mouvance indéfinie des singularités naissantes de son lexique sous la détermination des idées. Se gardant de trop construire comme nous y porte notre syntaxe, l’auteur a donné un côté résolument parataxique à son récit, au point qu’il est difficile d’y distinguer le principal de l’accessoire. Au lieu de déterminer progressivement un objet de récit, il s’est mis volontairement à divaguer, cette divagation étant à entendre de façon rigoureuse comme débordant du lot de sens imparti aux divers mots. Comme on poursuit des yeux des oiseaux en vol, il s’est contenté de pointer avec ses mots vers ce par quoi tient le monde et qui fait la vie inépuisable dans la moindre procès des choses. N’ayant ni objet à décrire ni vérité à défendre, délivré de la pression du sens, il a voulu laisser les existants du récit aller d’eux-mêmes jusqu’au bout de leurs possibilités et ne pouvait que faire signe de loin, d’une rencontre à l’autre. Ce qui devait finir par rendre la parole énigmatique à force de dire son propre essor sans circonscrire. Voilà donc un roman qui se perd par excès de précision, où tous les sujets sont laissés non identifiés, où le héros lui-même erre comme un animal patûre une prairie. Ses sentiments sont sans motif apparent. Des repères lui ménagent des possibilités d’avancer, mais ils sont tous, comme en un rêve, déliés de signification assurée, et toute indication un peu précise est aussitôt estompée par ce qui la prolonge. Narrativités interminables, discursivités de plaisirs, ivresse de créer une multitude de possibles dans un cosmos incertain de ses postulats. Cela laisse-t-il quelque valeur à ce qui se dit ainsi au gré ? Je n’en sais rien. Mais j’ai le sentiment que cet auteur a commencé ici l’exploration d’une ressource de la parole que nous avons perdue dans nos discours déterminants.

 

Publié sur Amazon. fr et Critique Livre
Critique rédigée par Robert Scherelle, 23 septembre 2011
Critique lue : 510 fois

 

12272765077?profile=original135 degrés de longitude est, 35 degrés de latitude nord


23 juin 1975, 135 degrés de longitude est, 35 degrés de latitude nord. Au grand plaisir de ses yeux, un homme entre dans l'espace clos de Nishiwaki. Cette ville au centre du monde (N35 E135) est pour lui un véritable locus voluptatis. Il y multiplie les rencontres avec des femmes. Il s'y perd. Le conte s'enfonce dans l'ombre et s'opacifie à mesure que se détaille l'épiphanie de ses délices et de ses douleurs. Fuite délibérée de ce à quoi on ne peut donner de nom et dont on ne peut faire un objet de connaissance ? L'homme suit de loin, ou bien retarde, ou bien dénie le moment où le plaisir va sonner la mort du sens. Il joue indéfiniment à cache-cache avec le grand amour. Il se donne l'illusion de cet amour alors qu'il ne cesse de s'en retirer et de s'en éloigner par une distance que renforce chaque nouvelle rencontre qu'il fait. Est-ce trop ou pas assez pour faire une histoire ? Frôlant le grippage, le récit promet un secret à la place d'un autre. Il fait croire qu'il pourrait donner à voir autre chose que ce qu'il donne à entendre. Mais son mensonge ne donne rien à voir. Il est plutôt de tenir, préservé du sens, le seul plaisir d'entendre. Pour nous faire marcher en silence. Il ne dit rien d'autre que le rapport secret qu'entretient cette écriture avec des plaisirs soustraits aux significations. Circulez, chers passants promis à la lointe mort! Et allez-y d'un pas hardi! car s'il n'y a, en ce non-lieu, plus rien à dire, il vous reste le plaisir infini de vous y perdre !

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Nothing Rien Niks Nada

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Du 11/03 au 02/04/2011 à l'Atelier 210.

Du Panach' Club
Mis en scène: Eric de Staercke
Avec  le Panach' Club

"Rien ce n'est pas n'importe quoi! Rien ce n'est pas un petit peu. Rien, ce n'est pas "pas grand chose". Rien c'est tout, c'est absolu et infini! Rien c'est l'origine de tout et l'aboutissement de tout! Rien, c'est la liberté! Se battre pour un petit rien! Vivre pour rien et faire ça pour rien! Rien, c'est le sens de toute création! A quoi sert la culture, à quoi sert l’art, à quoi servons-nous ? Nous ne servons à rien! Et pourtant, on a besoin de rien ! Enfin de ce rien… pour vivre... Si ça ne vous dit rien, ça vous dit déjà quelque chose! Dans son style comico-déchirant absurdo-romantico-panacho-tango-nihiliste, le Panach’Club présente sa nouvelle création, visuelle, sonore et totale comme une page blanche. « Nothing – Rien – Niks - Nada » pourrait aussi s’appeler « 2011, l’odyssée de l’espace vide », un hommage à Peter Brook et Stanley Kubrick, maladroit et naïf, certes, mais c’est le geste qui compte !"
Parce que j'aime le néant, que le titre me fait penser à la pub de mobistar et par extension à une nouvelle mienne où j'usai de cette référence vaseuse, que l'Atelier 210 m'a, pour le moment, rarement déçu et qu'il y a Delphine Ysaye dont la prestation dans "Boomerang" m'avait énormément plu!

First of all, my mistake: No Delphine Ysaye in that play but whatever! Les autres comédiens du Panach' Club suffisent largement! 
Ensuite... Nous voici plongés dans une pièce pour le moins atypique, plutôt courte mais très expressive. En effet, nous sommes ici les spectateurs d'une incroyable performance (pour les éventuels adeptes du PPP,  ça ne signifie pas qu'on demande au public de parler, loiiiin de là). Sur la scène, ce ne sont plus des comédiens mais des corps en mouvement, ce ne sont plus des êtres humains mais de simples numéros, ce ne sont plus des individus mais des archétypes caractériels... Pour finir, ils ne sont plus rien, happés par  le monde actuel qui veut toujours aller vite, toujours plus vite mais qui, paradoxalement, passe la plupart de son temps à faire attendre ses citoyens.Tout nos opérateurs Mobistar sont occupés, veuillez patienter s'il-vous-plait... 
Rien ne nous est annoncé, rien ne nous est expliqué, ils laissent simplement le soin à notre hémisphère droit de profiter visuellement de la pièce tout en faisant travailler le gauche à la signification, le message qu'ils essaient de nous faire passer. Parce que lerien, absurdité sans nom, est partout,  rôde mais ne doit pas pour autant s'immiscer dans notre cervelet, le Panach' Club nous offre la possibilité d'interpréter à notre guise leurs questionnements sur ce monde sibyllin. 

Pas de points négatifs, donc? Peut-être ce manque d'ancrage dans le réel, le vrai, le vraisemblable, l'expliqué ou l'explicable leur feront perdre en cours de route une partie des spectateurs, trop terre-à-terre et cartésiens et on ne peut les blâmer. Sans indications, nous ne pouvons décemment pas savoir à quoi nous attendre et une partie de nous ne peut s'empêcher de guetter l'explication, l'arrivée du messie, celui qui offrira du sens à ce purgatoire pour le moins singulier. Les pourquoi restent donc sans réponses, occasionnant probablement quelques frustrations immuables et c'est bien dommage... Mais, à leur décharge, il n'est jamais aisé de garder les pieds sur terre lorsque la tête se perd dans les nuages et encore moins d'avoir un globe oculaire extrinsèque quand on est "à fond dedans".

Louons donc cette prouesse théâtrale et recommandons-la aux cartésiens, à l'esprit en constante mutation à la perpétuelle interrogation, qui recherchent vainement le sens de vie perdu!

http://www.atelier210.be/
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Albert Thibaudet publie en 1930 sa «Physiologie de la critique » . "Physiologie", parce que l'oeuvre entreprise par Thibaudet n'était ni une psychologie, ni une géographie, mais une simple introduction à l'histoire de la critique française et correspondait à cette "physiologie de l'homme en société, considéré dans ses rapports avec la terre", qui est une partie de la géographie: physiologie donc en un double sens: étude des "fonctions" de la critique, mais aussi étude des modes de peuplements, si l'on peut dire.

L'ouvrage distingue en effet, dans ses trois derniers chapitres, les trois fonctions de la critique: le goût, la construction, la création; et dans ses trois premiers chapitres, les trois régions naturelles: la critique spontanée, la critique professionnelle, la critique des maîtres. La critique spontanée, c'est celle des honnêtes gens qui lisent, qui parlent de leurs lectures: critique du jour , qui prend souvent la forme de la critique journalistique. Elle est entièrement tournée vers l'actuel. La critique professionnelle a une histoire bien définie: Chapelain, Voltaire, La Harpe, Brunetière et quelques autres. On sent que Thibaudet, qui est pourtant lui-même un critique professionnel dans toute la force du terme, ne goûte guère la critique des professeurs. C'est qu'il est bergsonien, et qu'il sait distinguer entre l' intelligence tournée vers le passé, et l' intuition qui coïncide avec la vie: d'où sa dénonciation de la critique qui prétend être à l'origine de l'oeuvre d' art et la déterminer à l'avance, et son souhait d'une critique qui chercherait à connaître la littérature de l'intérieur comme un organisme. La critique des maîtres, c'est par exemple le "William Shakespeare" de Victor Hugo, ou l' "Introduction à la méthode de Léonard de Vinci" de Paul Valéry ou encore certaines pages du "Génie du Christianisme" de Chateaubriand, critique qui est souvent une contemplation de ces essences que sont: le "génie", le "genre", le "livre". Après ces régions géographiques où habitent les critiques, leurs fonctions: le goût, la construction, la création. Le goût, comme le plaisir, conduit logiquement à une discipline, suppose une éducation et un discernement.

Mais la critique exige plus encore: elle construit des ordres, tel le genre, la tradition, la génération, le pays. Et cette construction, à son tour, suppose une capacité de création. Une critique créatrice est un idéal qui n'a été atteint que dans le "Phèdre" de Platon où Socrate fait coïncider merveilleusement création et critique. Toutefois, Thibaudet est conscient des limites de la critique et, toujours bergsonien, reconnaît que la critique correspond plutôt à quelque chose qui se défait qu'à quelque chose qui se fait, à la retombée matérielle d'un élan vital. Pour lui, la critique peut tout au plus créer des génies. "Génie du Christianisme", "Génie de la littérature anglaise", "Génie de Racine", êtres intermédiaires entre ciel et terre. Et son livre n'est-il pas lui-même, plus qu'une "Physiologie de la critique", un "Génie de la critique", où l'essence subtile et mesurée de la "dixième muse" tend à prendre conscience d'elle-même. Thibaudet est près de penser que ce génie intermédiaire est Amour, et qu'il sait respecter le pluralisme, la diversité féconde, les formes multiples de la Beauté.

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Autocritique… et recherche d’évènements

Je sais, c’est un exercice bien ardu que celui de critiquer son propre travail, qui plus est en tentant de rester froidement impartiale.Toutefois, je vais tenter de vous présenter le plus objectivement possible "L'Encyclopédie pratique du Mâle Moderne" (parue en 2004 aux Editions Galopin) et ensuite de "L'Encyclopédie pratique de la Femme Moderne" (parue en 2007 à la micro-édition Bébé Yéti). Il s'agit de deux livres d'humour satirique, parodiant les guides Marabout Flash.Au niveau des qualités que je trouve à mes propres écrits, je vous dirais que j’ai avant tout désiré que mon écriture soit destinée à un public fort large, sans pour autant tomber dans les affres du populisme. C’est sûr, ce n’est pas du Tolstoï… Mais ce n’est pas du Ruquier non plus ! C’est le genre de petit livre assez sympathique que l’on peut autant lire chez soi au coin du feu que durant un long trajet en train. Certains de mes lecteurs m’ont même dit que leur plus grand plaisir était d’aborder quelques chapitres avant de s’endormir le sourire aux lèvres. Un autre lecteur m’a même confessé s’être bidonné comme une baleine dans un avion et que sa gêne a été immense quand il a pris conscience qu’il avait sonorisé de ses rires toute la classe économique !Ensuite, même si j’ai une nette tendance à l’exagération burlesque, j’essaie de ne jamais sombrer dans la plus crue des caricatures. La majeure partie de mes portraits sont directement inspirés de gens que je connais personnellement. Et j’ai une tendresse particulière pour mon pauvre Papa qui a servi de muse à plusieurs reprises.Enfin, l’entreprise se veut uniquement et résolument ludique. Un soir, je me suis prise à écrire ceci :«Mâle et femme modernesJe les ai écrits en riant de tout corpsPour que vous en riez de bon cœur »Toujours dans cet esprit d’objectivité que je tente de mettre en exergue, je vais essayer d’exposer les défauts de mes livres sans pour autant verser dans l’auto-flagellation.Ceux qui me connaissent bien savent que je pèche par un excès flagrant de naturel et de spontanéité. Et que malgré l’image que l’on pourrait avoir de moi au travers de mes photos, je suis une vraie gitane, dénuée de la moindre sophistication. Et comme je parle comme j’écris, et que j’écris comme je parle, on imagine bien quelle est la débauche d’énergie qui émane de mes livres ! Je me dis que pour un lecteur plus calme, plus posé, je dois parfois être un peu soûlante. Je me laisse aussi parfois aller à de véritables orgies de métaphores et de comparaisons. Certains lecteurs me l’ont gentiment reproché, de même que certains de mes partis pris : on sent bien que certains défauts me sont grandement insupportables. Je ne peux en général souffrir le maniérisme, le mensonge, les tendances à la manipulation, les êtres superficiels et surfaits ainsi que certains types de prosélytisme.Et comme dans la « vraie vie », je m’entends nettement mieux avec les hommes qu’avec les femmes, j’ai eu tendance à être plus dure, plus sèche et moins empathique avec ma Femme qu’avec mon Mâle Moderne.Enfin, comme je l’ai dit précédemment, mes portraits sont toujours inspirés de gens que j’ai personnellement rencontrés, et si j’ai eu un gros différend avec tel ou telle quidam, je me laisse facilement emporter par la cruauté, ce qui est tout de même un peu incompatible avec le but premier de mes livres, à savoir du simple humour ironique et pas méchant.Maintenant que j’ai fait mon Confiteor avec la plus grande honnêteté dont je puise être capable, je m’adresse à vous dans un but bien précis : je suis à la recherche d’évènements où je pourrais présenter directement mes deux ouvrages. Qu’il s’agisse de librairies, d’exposition ou de présentations privées, je suis prête à me déplacer partout en Belgique, à partir de mi-septembre 2010.Ma plus grande motivation est le contact direct avec mes lecteurs. Ceux qui ont vécu ce genre d’expérience savent bien ce dont je parle : le fait de pouvoir discuter à bâtons rompus avec nos acheteurs est une expérience humaine d’une richesse incroyable. J’aime aussi dédicacer mes livres de façon personnelle. J’interroge toujours l’acquéreur sur ses traits principaux de caractère afin de pouvoir inscrire « Pour Germaine, pour la Femme Moderne volontaire et énergique » plutôt que de noter mécaniquement « Pour Germaine. Amicalement, Virginie. »Je recherche aussi activement d’autres auteurs désirant s’inscrire dans la même démarche, quel que soit leur style d’écriture. Plus on est de fous, plus on rit…. Et puis, l’union ne fait-il pas la force, après tout ?Je conclus ce billet par un petit coup de promotion : mon distributeur principal actuel se situe à Nivelles, dans le Brabant Wallon. Plusieurs librairies de la région se charge de la vente de mes livres, mais c’est la « Librairie des 4 Canons » qui centralise les points de vente. Alors, si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à vous y rendre… Et de plus, chose qui ne gâche rien, le patron est un homme d’une gentillesse et d’un professionnalisme hors du commun.Je reste à votre disposition par message privé pour toute demande complémentaire d’information.Merci à tous d’avoir eu la patience de me lire !Virginie
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