GEORGES ET GEORGES, CENTRE CULTUREL AUDERGHEM Une comédie conjugale grinçante d’Eric-Emmanuel Schmitt.
« Faites sauter le boîtier d'une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs. C'est une pièce de Feydeau qu'on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c'est une pièce de Feydeau vue de la salle - les heures passent, naturelles, rapides, exquises.» disait Sacha Guitry.
Héritier d’Eugène Labiche, auteur de vaudevilles célèbres, Georges Feydeau écrit et joue ses plus grandes réussites de 1892 (Monsieur chasse) à 1912 (Mais n'te promène donc pas toute nue !). Il produit une pièce par an. Le théâtre de Feydeau est explosif et d’une saveur langagière inimitable. Son théâtre regorge de mouvement, de portes qui claquent, de situations burlesques, de quiproquos et oscille entre observation intransigeante de la société et farce théâtrale sur le ton de la caricature et de la distanciation. Le délice des bons mots s’enchaîne à un abattage verbal effréné et déclenche la mécanique jubilatoire du rire. Trève de rire, en 1919, atteint par la syphilis, Feydeau est interné par ses fils et meurt deux ans après. Il avait divorcé d’avec sa femme suite à une terrible dispute, en 1916. Cet observateur de la société fin de siècle, qui avait fait rire jusqu’au délire le public de la Belle Epoque, finit ses jours dans une stupéfiante tristesse.
C’est peut-être cette situation inversée qui a inspiré Eric-Emmanuel Schmitt dans l’écriture de sa pièce « Georges et Georges », un pastiche de l'écriture de Feydeau, et un hommage à ce prince de l'écriture vaudevillesque. Rebondissant sur la phrase de Feydeau « N’est-elle pas plus morale, l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ? » (La Dame de chez Maxim), Eric-Emmanuel Schmitt met en scène le ménage de Georges et Marie-Anne Feydeau, atteints par la déconfiture d’un mariage usé jusqu’à l’ennui ou pire, jusqu’au ressentiment. Ni l’un ni l’autre ne sont plus « comme avant », c’est le nom de la maladie. Mais qui peut se targuer au bout de plusieurs décennies d’amour partagé d’être encore « comme avant ? ». Nous sommes des êtres vivants, et la vie, n’est-ce pas le changement, l’évolution, la transformation ? Donc si de part et d’autre, le couple se berce dans une puérile nostalgie, cela a un côté agaçant et futile.
L’élément intéressant et original est cette inversion des sentiments qui atteint Georges, pris de folie : il rit devant les situations insoutenables et « pleure jaune » quand il nage dans le bonheur. On fera appel au docteur Galopin (Alexandre Brasseur) et à son fauteuil révélateur de fantasmes pour venir le guérir, avec comme résultat un beau dédoublement de personnalité. Mise en scène bondissante de Steve Suissa dans un tourbillon de portes. Si vous aimez cela !
Davy Sardou, Molière 2014 du comédien dans un second rôle pour sa pièce « L'affrontement » présentée au Centre Culturel d’Auderghem l’an dernier, joue avec grande maîtrise le rôle du double Georges Feydeau avec Christelle Reboul comme « desperate wife » survoltée et particulièrement énervante. L’accumulation de situations cocasses est galopante, les costumes très carnavalesques, la course derrière le chimérique argent est de bon ton mais l’accent de la reine de Batavia est incompréhensible – du faux allemand- qui aurait pu être du flamand, on aurait préféré. Véronique Boulanger (récompensée du Mini-Molière 2014 de la meilleure actrice) finit par lasser.
Les facéties clownesques accompagnées d’aboiements de Thierry Lopez nous paraissent répétitives et lourdes et la soupe de griottes peu ragoûtante, si pas carrément vulgaire. Zoé Nonn (apparue dans le célèbre "Toc toc") joue la môme crevette, oui, très crédible, mais ce n’est pas Eric-Emmanuel Schmitt qui l’a inventée! Sic : « Il n’y a que dans les courts instants où la femme ne pense plus à ce qu’elle dit qu’elle dit vraiment ce qu’elle pense ! »
Le médecin « magnétothérapeute » insomniaque et maniaque sexuel, joue bien son rôle d’apprenti sorcier et de maître de ballet dont il a perdu les clés. L’ensemble, joué jusqu’à l’étourdissement (« génial » diront certains) laisse néanmoins une impression de beaucoup de bruit pour rien, et le rire si prémédité n’en finit pas de se tarir. On préfère vraiment Eric Emmanuel Schmitt dans le reste de son œuvre et surtout son dernier roman, tellement admirable, celui-là, que l’on voudrait l’offrir à tous ceux qu’on aime: « La nuit de feu ».
Davy Sardou : Georges et Georges
Christelle Reboul : Marianne, son épouse
Alexandre Brasseur : le docteur Galopin
Véronique Boulanger : La Reine de Batavia
Zoé Nonn : La Môme Crevette
Thierry Lopez : Hercule Chocotte
Jusqu’au 20/03/16
CENTRE CULTUREL AUDERGHEM
Boulevard du Souverain 183 – 1160 Bruxelles
Infos Réservations : 02/660 03 03