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administrateur partenariats

  "Du soleil comme s'il en pleuvait"

Abstraction lyrique

Liliane Magotte

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Une fraîche ondée de soleil

 

Mon âme accueille l'allégresse,

Une fraîche ondée de soleil,

Un exquis plaisir sans pareil,

Dans une bouffée de tendresse.

 

 

Une fraîche ondée de soleil,

Eparpillement de richesses.

Dans une bouffée de tendresse,

Des gouttes d'or et de vermeil.

 

 

Eparpillement de richesses.

Mon esprit demeure en éveil.

Des gouttes d'or et de vermeil.

Sans doute don d'une déesse.

 

 

Mon esprit demeure en éveil

Cette grâce vint sans promesse,

Sans doute don d'une déesse,

Qui prit de l'or dans le soleil.

 

 Suzanne Walther-Siksou

14 février 2015

Avec tous mes remerciements.

Un partenariat

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Elle s'est imposée

Une aquarelle d'Adyne Gohy

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a inspiré

Jardin d'été

de Sandra Dulier


Une rose avait éclos
dans un jardin d'été,
doucement sur le bord,
près de ce banc
où nos âmes
s'étaient rencontrées.
     

Tu étais ciel,
j'étais libellule,
tu étincelais
en rosée d'amour.
   
Je sais mon coeur
la douceur des jours,
le parfum des rêves
et la force de la délicatesse.
   
Tu taisais beaucoup,
tu embellissais
comme cette fleur,
symbole d'un sentiment
qui épinglait, et nos regards,
et nos gestes.
   
Les pétales du temps
s'étiolent parfois ;
on aurait cru ce sort
à nos sentiments réservé.
   
Il n'en fut rien,
ils éclosent encore
chaque matin
dans notre jardin d'été.

  

Sandra Dulier

12.02.2015

Un partenariat d'

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administrateur théâtres

De Bruxelles à Auxerre, à un jet de cœur

 

Nommé poète lauréat, un titre officiel qui fait de lui le serviteur de la monarchie anglaise, John Dryden, auteur phare du patriotisme du 17e siècle anglais, célèbre la gloire de l’Angleterre à travers des œuvres où se  mêlent l’histoire et la mythologie anglaise  avec la mythologie antique. C’est lui qui « raffina le langage, améliora les sentiments et fit briller la poésie anglaise ». En collaboration avec Henry Purcell un semi-opéra en 5 actes voit le jour en 1691 : King Arthur, sous-titré The British Worthy.

On est au Moyen-Age. Le roi Arthur a gagné toutes ses batailles contre les Saxons, sauf contre un irréductible Oswald qui lui a ravi sa fiancée, Emmeline, aveugle de naissance et fille du duc de Cornouailles. Les forces de la légitimité et du noble sentiment d’amour vont évidemment confondre les forces barbares et mettre en lumière la victoire britannique en se terminant par une ode au valeureux Saint Georges protecteur de l’ordre de la jarretière, distinction des chevaliers fondé en 1348. L’interprétation qu’en fait Jean Tubéry se concentre sur l’atmosphère des forêts enchantées remplies d’esprits farceurs et d’elfes polissons, l’allégresse des bergers, les sirènes et naïades tentatrices, un monde régi par la sensualité et le plaisir. Foin des exploits épiques, tout se résume à la victoire incontestée de Cupidon et de Vénus et à la célébration de la  volupté victorieuse. Entendez-vous les trompettes ? Une belle revanche contre le puritanisme outrancier de l’époque de Cromwell enfin révolue.   

Le chœur très  homogène des 11  solistes à part entière  fait preuve d'une vitalité débordante et d'une remarquable mobilité. Ils sont dirigés par  Lionel Meunier, absent ce soir, et ont étudié pour la plupart au Koninklijk Conservatorium de Den Haag. Il s’agit de l’Ensemble Vox Luminis avec  Sophie Junker,  Caroline Weynants, Kristen Witmer (sopranos), Helen Cassano, Daniel Elgersma, Jan Kullmann (altos), Olivier Berten, Robert Buckland, Philippe Froeliger (tenors), Tomáš Král, Sebastian Myrus (basses). Des voix souples et expressives, qui opposent les forces du mal apparentées au gel et au froid avec la célébration de la vie et des plaisirs de l’amour dans une dramaturgie lyrique  finement réglée. Les couleurs sont subtiles et le lyrisme émouvant. On se serait néanmoins passé de la récitante qui  fait des raccords parlés très elliptiques comparés au texte original du livret, mais surtout trop chargés d’emphase. La grande  musicalité des parties vocales de l’œuvre se suffit à elle-même, les ornements musicaux de chaque voix  franchissent des limites de très haute voltige, et remplissent le spectateur d’admiration et de bonheur devant une telle richesse mélodique.

Jean Tubéry conduit son ensemble de 9 musiciens de La Fenice qui jouent sur instruments d’époque avec feu et malice, et peut-être en fait-il  lui-même un peu trop. La langue anglaise et la musique de Purcell se conjuguent à merveille dans une sublime harmonie, que désirer de plus?  Mais cette soirée exceptionnelle  placée sous le signe de la fête païenne et de  l’humour  à la limite de la truculence,  plonge un public conquis dans le ravissement musical, à un jet de cœur de la Saint-Valentin ! Un généreux bis, bucolique à souhait, enflammera encore l'assistance et les musiciens: "For love ev'ry creature, Is formed by his nature   No joys are above The pleasure of love!" (Fourth Act). Next stop: aujourd’hui même, à Auxerre.  

La Fenice

King Arthur

Jean Tubéry direction - La Fenice , Vox Luminis
Henry Purcell, King Arthur, or The British Worthy
Mardi 10.02.2015 - 20:00
Note: Jean Tubéry est un musicien complet, régulièrement invité par BOZAR MUSIC depuis la fondation de son ensemble La Fenice en 1990. Ce cornettiste génial, curieux de tout, polyglotte, comédien ou danseur à ses heures est un passionné de musique, littérature et d’art pictural. Inlassablement, il explore, défriche, s’émerveille et nous convie avec lui à regarder la musique ancienne sous l’angle de l’éternelle jeunesse.

  

 http://www.impresario.ch/libretto/libpurkin_e.htm

 

 

 

 

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12273074268?profile=originalBertha Wegmann (1847-1926) :

Portrait de l'artiste Johanna Bauck, 1881.

Une peintre suédoise, peinte par une autre peintre, danoise. Toutes deux amies, elles louèrent un studio, à Munich puis à Paris, pour y travailler.

Gloire à la féminité !

Je vous propose dans ce billet un nouvel éclairage sur la peinture scandinave, et surtout de montrer combien important y fut le rôle des femmes.

Si aujourd'hui cela semble évident, ce ne fut pas toujours le cas dans notre sociétée si bien corsetée.

Bien sûr il y eut Sofonisba Anguissola (c. 1532-1625) ou Artemisia Gentileschi (1593-1652), Elisabeth Vigée-lebrun (1755-1842), Rosa Bonheur (1822-1899), Berthe Morisot (1841-1895) ou Mary Cassatt (1844-1926), mais longtemps elles demeurèrent exceptions.

Boccace avait prévenu : "L'art est très étranger à l'esprit des femmes, et ces choses ne peuvent être accomplies sans beaucoup de talent, qualité rare d'ordinaire chez elles.", 1370.

12273074692?profile=originalAmalia Lindegren (1814-1891), Suédoise :

Le petit-déjeuner, 1866.

Le "Breakfast", un autre "must" suédois.

Bon, me direz-vous, Boccace c'est le XIVe siècle, faut bien sortir du Moyen-Âge...

D'accord, alors ancrons-nous dans la "modernité" de l'ère industrielle.

D'ailleurs "Quelques femmes - exceptions très rares - ont pu donner, soit dans l'art, soit dans la littérature, l'illusion d'une force créatrice. Mais ce sont ou des êtres anormaux, en état de révolte contre la nature, ou de simples reflets du mâle.", Octave Mirbeau, 1900.

De l'art et du cochon.

Charmant, non ?

12273074501?profile=originalAmanda Sidvall (1844-1892), Suédoise :

Autoportrait, 1870.

Pourtant, fin dix-neuvième, la femme s'émancipe et "On ne compte plus les femmes typographes, dessinateurs, compables, caissières, courtières, agents d'affaires..."

Ce que l'on semble déjà déplorer.

Et "Dans l'art, c'est pire ; la femme l'encombre. La femme peintre, sculpteur, compositeur, romancier, sont autant de manières d'être où se manisfeste cette prétention à l'assimilation.", Dr Julien Chevalier, 1893.

T'as de la méthode ! T'assimiles, Mimile !

Chevaleresque, vous dis-je !

12273075870?profile=originalFanny Brate (1861-1940), Suédoise :

La fête, 1902.

Avec une lumière aérienne qui illumine la scène, nul doute que "La fête" soit réussie. C'est en tout cas la toile la plus célèbre de cette proche de Carl Larsson.

Heureusement, contre l'avis commun, la femme se rebiffe.

"Oser écrire, oser parler, oser agir sans l'abri du masque ou de l'éventail, n'était-ce pas sortir de cette réserve que les moeurs, les lois, les religions ont de temps immémoriaux, recommandée ou imposée aux femmes comme étant leur plus belle parure ? Aux hommes le forum, aux femmes le foyer...

Ainsi pensait la majorité.", Marguerite Durand, 1902.

12273076476?profile=originalBertha Wegmann (1847-1926), Danoise :

La femme en noir.

Même si influencé par Whistler, ce portrait laisse un parfum inoubliable.

Aussi pousuivons dans son sillage.

En Scandinavie, les femmes semblent moins en butte à l'hostilité, et leur production, toujours ignorée ici, vaut certes d'être exposée et louée.

12273076674?profile=originalHarriet Backer (1845-1932), Norvégienne :

Un cordonnier rural, 1887.

Elève des peintres français Gérôme et Bonnat, elle combine réalisme et impressionnisme, réalisant une synthèse parfaite.

Et si aujourd'hui les femmes sont beaucoups moins rares, elles restent à jamais d'exception.

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Eva Bonnier (1857-1909), Suédoise :

La gouvernante, Brita Maria (Mussa) Bauck, 1890.

Une peinture réaliste qui rend hommage au "petit personnel", qui lit et s'informe, quand il n'est pas cantonné aux fourneaux, voilà un sujet rarement traité.

Vous avez dit féministe  ?

C'est manifeste. Maria Deraisme (1828-1894), ardente féministe, libre-penseuse et peintre à ses heures, savait ce que femme veut.

"Ce que les femmes veulent, c'est de ne point être élevées, enseignées, façonnées suivant un type de convention ; type conçu dans la cervelle des poètes, des romanciers, des artistes, et par conséquent dépourvu de réalité.

Ce que les femmes veulent enfin, c'est qu'on renonce à cette distribution arbitraire, fictive, des facultés humaines, affirmant que l'homme représente la raison, la femme le sentiment."

"Leur juste part de droit et de liberté" en somme.

Michel Lansardière (texte et photos).

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♦ Au-delà des prières et des voeux

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Les gens que j’aime, ils ont toujours de quoi parler

De quoi être sérieux et tout le contraire,

Les gens que j’aime, ils ont aussi de quoi à taire

De quoi à s’en faire et de quoi à préserver

 

Les gens que j’aime, ils sont les mots et les silences

Le langage des pareils à vivre tellement

L’incertitude, l’inconstance, et le temps

L’obliger des sentiments de chance et malchance

 

Dans ma vie il y a de leurs histoires en morceaux

Je ne voudrais en rien m’en départir même à l’heure

Inévitable des dépressions, à demeure

Quelque part, tel hiver bien trop pour qu’il soit beau

 

Les gens que j’aime, ô comme ils se ressemblent

Par delà leurs apparences et leurs opinions

Par delà ce qui sépare le tort et la raison

Sur l’idée même d’être comme bon leur semble

 

Les gens que j’aime, ils sont témoins de leur temps

C’est un sens de l’accueil, un esprit de fenêtres

Ouvertes à tout ce que le monde peut permettre

Par l’attention tout amour et à bout touchant

 

Dans ma vie, il y a tant de leurs vérités humaines

C’est une source au recommencement de tout

L’augmenter des talents à prendre rendez vous

Avec tous ceux qui vers le meilleur nous entraînent

 

Les gens que j’aime, ils sont sans ces prétentions

De la renommée clinquante et par imposture,  

Ephémérides, choses tendres, choses dures

Ils sont au bout de cent points d’interrogation

 

Les gens que j’aime, ils sont ceux qui connaissent

Etre et ne plus être, le tout et puis le rien

Le lien au mystère de chaque destin

Les gens que j’aime, c’est le passeport tendresse

 

Dans ma vie, il y a tant de leurs beaux portraits 

C’est la chère écriture avant même la grâce

Le merci que je voudrais leur rendre, cette trace

En poésie que je signe pour que soit satisfait

 

Pour que soit satisfait l’élan du vivre ensemble

Entre les générations et puis en tout lieu

Des prières et des vœux qu’on soit jeune ou vieux

Tourné vers dieu ou pas, esprit sûr ou qui tremble

 

Les gens que j’aime, ils ont pour pays l’univers

L’indéfinissable mesure de leur pas

De leurs bras, chaque fois qu’ils sont cet envoi

A chérir et jusqu’à l’extra de l’ordinaire

 

 © Gil DEF - 03.01.2015

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administrateur théâtres

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« Je ne suis ni folle ni possédée ! »Suzanne Simonin

Il y a 50 ans déjà ! « La Religieuse » de Denis Diderot (1760-1781)  était adaptée au cinéma par  Jacques Rivette  et soulevait une puissante  vague d'indignation et d’appels à la censure de la part de la société bien-pensante.  La présidente de l'Union des Supérieures Majeures écrit le 12 octobre 1965 au ministre de l’information, Alain Peyrefitte et accuse la production d’être « un film blasphématoire qui déshonore les religieuses ». Le ministre, qui partage ce point de vue, lui promet qu'il fera tout en son pouvoir pour empêcher le film de nuire à l'image des religieuses. En effet, DIDEROT ne mâche pas ses mots : « Faire vœu de pauvreté, c’est s’engager par serment à être paresseux et voleur. Faire vœu de chasteté, c’est promettre à Dieu l’infraction constante de la plus sage et de la plus importante de ses lois. Faire vœu d’obéissance, c’est renoncer à la prérogative inaliénable de l’homme, la liberté. Si l’on observe ces vœux, on est criminel ; si on ne les observe pas, on est parjure. La vie claustrale est d’un fanatique ou d’un hypocrite. » Son réquisitoire contre le fanatisme est sans appel. Tout comme d’ailleurs celui de Jean-Jacques ROUSSEAU avec cette phrase célèbre extraite  "Du contrat social" en 1762 : "La terre entière regorgerait de sang et le genre humain périrait bientôt si la Philosophie et les lois ne retenaient les fureurs du fanatisme, et si la voix des hommes n'était plus forte que celle des dieux."

Une longue bataille juridique s’enflamme, la distribution et l’exportation du film interdit aux moins de 18 ans est empêchée. Il faut attendre 1975 pour la levée de censure par le Conseil d’état. Sujet toujours sensible, un nouveau film sort en 2013, avec Pauline Etienne et Isabelle Huppert.

826862457.jpg?width=450Les temps ont  certes changé depuis les années 60, mais il faut croire que la contrainte de la prise de voile imposée à une jeune ville de 16 ans menant à son enfermement à vie est un sujet qui n’a pas fini de passionner et de nous révolter. Daniel Scahaise à son tour exploite ce texte sulfureux avec  grande  empathie et justesse de ton.

Rappelons l’histoire en bref. Suzanne Simonin, enfant rejetée, née en dehors des liens du mariage, est contrainte par sa famille à rentrer dans les ordres, alors qu’elle n’aspire qu’à vivre dans « le monde ». Au couvent, elle est confrontée à l’arbitraire de mères supérieures tour à tour bienveillantes, cruelles ou vraiment trop caressantes…dans leurs transports interdits.  Véritable héroïne de la dignité,  loin de tout péché d’orgueil ou d’outrecuidance, la jeune fille résiste courageusement à la barbarie de l’enfermement, aux sévices corporels, aux brimades, aux privations par la PAROLE. Elle a décidé de lutter par tous les moyens pour recouvrer son identité et sa liberté d’action. Sa  seule arme est la plume…pour rédiger un mémoire à charge contre la Famille, l’Eglise et l’Etat. 

3840311950.jpg?width=450Chaque geste, chaque mouvement, chaque tressaillement  de Suzanne la mal aimée est un tableau de maître. Dolorès Delahaut qui l’incarne avec passion et raison à la fois, a des airs de Jeanne d’Arc.   Le plateau  central est  un  carré de marbre noir, traversé par les sombres forces de l’Injustice qui cerne de tous côtés  la vie palpitante qui bouillonne dans la jeune religieuse. Biche aux abois, elle  se bat avec l’énergie et la détermination de la chèvre de Monsieur Seguin, préférant au besoin, s’immoler plutôt que de renoncer à sa liberté.  Les jeux d’ombres, de lumières et de citations musicales ou sonores sont fascinants. Et la plume et l’écritoire, les seuls alliés de la jeune fille, de mener presque  une vie propre!  On croit voir le texte s’écrire en encre sympathique sur les pages de la confession de la religieuse.

 3936137295.3.jpg?width=450Le premier contact du public avec la scène est synonyme dès le départ, d'aveuglement et  de violence monastique « qui jettent l’économie animale dans un désordre dont elle ne peut sortir  ». Les chaises des spectateurs-juges sont disposées sur les quatre côtés de cet abîme qui pourrait tout aussi bien être un puits sans fond  où flotte,  retournée face contre terre, le corps sans vie de la jeune  religieuse. Morte ou vivante? Murée et enterrée vivante? Autour des spectateurs,  des parois faites  rideaux noirs tels les plis de la robe religieuse.   Deux mères supérieures impassibles  sont  assises avec vous au premier rang de part et d’autre du plateau.  Julie Lenain,  impressionnante dans son rôle de castratrice, de juge et de tortionnaire,  Hélène Theunissen  incarnant au fil de l’histoire, la souffrance physique d'un réalisme soufflant d’une infâme lubricité.  Distribution remarquable et vibrante de colère, de révolte et de violence pour interpréter un texte qui n'a pas vieilli... hélas!  La voix, la stature de Stéphane Ledune rendent le plaidoyer de Diderot pour Dieu et contre les institutions liberticides  d’une intensité stupéfiante! La fin de l’histoire, est un dernier coup de poignard d'une muflerie inouïe.

La Religieuse

Denis Diderot - Théâtre en Liberté

Du 13.01 au 14.02.2015

Réservez en ligne

 

Crédit Photos : Isabelle De Beir
:
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Indubitablement

 

 

Soliloque

De nos jours, il existe encore des sensibles,

Aussi des raffinés souffreteux et des drôles,

Des égarés rêveurs, des apprentis sorciers.

Il y a, dans la nuit, des énervés qui veillent,

Et dans les rues, le jour, des êtres allant pressés,

Pris dans l' impératif de l'ordre quotidien.

Beaucoup s'épuiseront attachés à leur tâche

Pourtant, il restera toujours des solitaires,

Pouvant prendre le temps de s'écouter penser.

Afin que leurs écrits soient certes inimitables,

Des poètes ont créé un étrange langage.

Ils confèrent aux mots un sens inusité.

Indubitablement, ils se sentent puissants,

Visiteurs d'un ailleurs, à eux seuls accessible.

Lors, divaguer en vers ressortit d'un grand art.

                                                                       25/5/1998

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Subtil

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                                                       Photo David Galstyan

Subtil :

Sub tela, sous la toile. 

Il faut soulever le voile pour le trouver. 

Subtil n'est pas montré, pas exposé, ne vit pas dans l'effet. Il préfère mériter qu'on vienne le chercher. Il aime se cacher, ne vante pas ses attraits, ne communique pas à grand bruit.

Il faut le découvrir dans les petites choses au détour d'un chemin.

Subtil requiert recherche, il n'est pas apparence.  Il loge dans le détail, au fond d'une pensée, ou niche dans un silence. Il sait l'humilité où réside la noblesse et d'ailleurs, il s'en fiche.

Souvent heureux tout seul, la distance le protège d'un monde consensuel.

Parfois paradoxal, oxymore est son double.

Il a ouvert sa porte à la dualité, accueilli son bâtard, part d'ombre.

Subtil est fugace, ombrageux, il peut sembler futile et pourrait vous choquer. 

C'est seulement qu'il se tient loin des facilités du jugement premier.

Il ne sera jamais là où vous voulez l'attendre. Il ne se vend pas, il ne s'achète pas mais veut parfois s'offrir à qui le sait recevoir.

Il cultive l'attente quand il lui faut du temps.

 

                                                                                                                          

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administrateur théâtres

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Les Joyeuses Commères de Windsor

De  Otto Nicolaï

Direction musicale: Christian Zacharias - Mise en scène : David Hermann

Avec : Franz Hawlata (Sir John Falstaff), Anneke Luyten (Frau Fluth), Werner Van Mechelen (Herr Fluth), Sabina Willeit (Frau Reich), Laurent Kubla (Herr Reich), Davide Giusti (Fenton), Sophie Junker (Anna Reich), Stefan Cifolelli (Stefan Cifolelli), Patrick Delcour (Dr.Caius), Sébastien Dutrieux (le thérapeute).

L’opéra de Liège accueille en ce début d’année 2015 une oeuvre dont l’ouverture figure souvent au programme des concerts du Nouvel An mais peu présente sur la scène lyrique internationale, malgré sa renommée. Ancré dans la tradition du singspiel, cet opéra aux airs volontairement italiens confirme le pouvoir de séduction de rôles féminins jouant les virtuoses de la malice.

Cet opéra d’Otto Nicolaï ne fut joué que 4 fois du vivant du compositeur,  au Königliches Opernhaus  de Berlin après sa première représentation le 9 mars 1849. Le livret d'Hermann von Mosenthal se base sur la comédie de William Shakespeare The Merry Wives of Windsor écrit en 1602. Dira-t-on que  dès 1893 le très célèbre Falstaff de Verdi lui volera la vedette ?

 

Falstaff, un affreux bon vivant bedonnant a le malheur de déclarer sa flamme intéressée en même temps à deux commères, mariées et complices… Tensions dans les couples : Monsieur Fluth est d’une jalousie maladive. Monsieur et madame Reich se disputent sur les prétendants qu’ils veulent imposer à leur fille Anna, qui aime un adorable Fenton.   Mais dans  son interprétation  résolument moderne, le metteur en scène David Hermann, présente Falstaff, le futur dindon de la farce, comme un objet de désir et de convoitises. Rendez-vous est pris avec la psychanalyse. En effet, Le metteur en scène a supprimé tous les dialogues, tirés de Shakespeare, et a ajouté à la production un psychanalyste en chair et en os,  flanqué de son divan, de sa pharmacie et de ses assistantes. Deus ex machina, ou narrateur résumant régulièrement l’action, il confesse régulièrement en son cabinet chaque personnage ou se lance dans la thérapie de couples. S’ajoute  donc à la drôlerie naturelle de l’opéra-comique concoctée par le compositeur allemand, un rôle moderne parlé en français, tenu avec le plus grand sérieux par Sébastien Dutrieux. Les décors acidulés ne sont pas sans rappeler les stéréotypes d'une banlieue chic des séries télévisées américaines des années 70. Vous serez régalés de la diversité et de l’inventivité des costumes et des accessoires: une collaboration raffinée entre les décors de Rifail Ajdarpasic et les costumes d’Ariane Isabell Unfried.   Falstaff est vu ici comme l’objet de tous les désirs et de toutes les convoitises, un fantasme qui prend réellement corps au troisième acte lors d’une mise en abime romantique où l’on retrouve Puck /Obéron  avec des citations de la musique de Weber, dans une atmosphère de fantasmagorie Shakespearienne  totalement onirique.

Sur toute l’œuvre, souffle un esprit parodique bienvenu. La musique dirigée avec vivacité et humour par  le grand Christian Zaccharias,  reflète aussi l’ambiance joyeuse de l’Allemagne du sud. Les femmes se donnent rendez-vous dans un Weinstube solidement kitsch dont le  fronton en triangle lumineux singe, à en croire  celui de l’opéra de Liège. Beaucoup de jeux de mots farceurs fusent entre l’allemand et le français, une action débordante anime la scène, sans aucun temps mort, les colères explosent, les griefs domestiques déferlent. Les voix sont au diapason de l’action. Anneke Luyten  investie corps et âme, projette avec force une bourgeoise brûlante, impatiente et déterminée. Le baryton Werner Van Mechelen véritable maître de comédie, séduit par sa présence scénique et sa diction exemplaire.  Laurent Kubla joue de son timbre élégant et souple qui souligne une belle expressivité.

Le jeune amoureux d’Anna (une délicieuse Sophie Junker) à la voix suave plus que caressante et juvénile (Davide Giusti) est un basquetteur à cheveux longs, au phrasé de Roméo complètement craquant!   Des applaudissements nourris et des ovations  accueillent chaque artiste lors du salut final dont on peut  souligner la distribution très homogène, totalement impliquée dans l’action, les deux prétendants Patrick Delcour et Stefan Cifolelli, assumant leur rôle avec beaucoup d’humour et de présence, sans parler de Flastaff-Franz Hawlata, qui s’éclate dans l’ambiguïté de son rôle.

Nouvelle production: Opéra Royal de Wallonie-Liège,
en coproduction avec Opéra de Lausanne

http://www.operaliege.be/fr/activites/operas/les-joyeuses-commeres-de-Windsor

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Affreux-ismes

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Tourisme, curisme

charisme, culturisme, 

tout rime avec cynisme

le dire est presque truisme 

 

Théisme avec soufisme,

lyrisme, mélodisme, 

j'aimerais laïcisme

avec oecuménisme.

 

Mais, purisme et barbarisme 

voilà antinomisme.

Et que dire de lettrisme 

allié à atticisme ?

 

Isthme avec séisme

peut être dangereux

comme puritanisme

couplé à triolisme.

 

Au tintement des ismes

je ne demande rien

que le son de la lune

pour écrire symbolisme.

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administrateur partenariats

"Fantaisie du désert"

Marie-Josèphe Bourgau

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Je laisse

Je laisse aux autres les amours au parfum de roses.

Ici, c'est le désert et les fleurs ne fleurissent pas sur le sable stérile.

Je laisse aux autres les rendez-vous au clair de lune.

Ici, c'est la solitude aussi profonde que celle de la lune dans l'immensité du ciel.

Je laisse aux autres les romans à l'eau de rose.

Ici, c'est la vraie vie, pas un conte de fée.

Je laisse aux autres l'amour qui fait voler au-dessus des nuages.

Ici, c'est au-dessous des nuages que je vis.

Mais lorsque les nuages se déchirent, les rayons brûlants du soleil

arrivent jusqu'à ma peau.

Antoinette Bärfuss

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administrateur théâtres

LE SECRET DES CIGALES/PATRICK SEBASTIEN (C.C.AUDERGHEM)

LE SECRET DES CIGALES/PATRICK SEBASTIEN (C.C.AUDERGHEM)

Au début  était le chant des cigales. Voici un vibrant hommage à Marcel Pagnol qui célèbre justement cette année  le cent-vingtième anniversaire du savoureux écrivain méridional. Le texte a été  concocté par Patrick Sébastien dans l’atelier théâtre de Rocamadour avec quelques complices... L’animateur de télévision bien connu nous  a tricoté une histoire de famille ourlée de chapelets de secrets, de silences tragiques et de mensonges bien noirs que le ciel de Provence se chargera d’éclaircir.

Le décor pourrait certes être plus proche de la couleur locale. Disons que l’on est, tout au plus en Belgique méridionale, dans des Ardennes Provençales!  Cela manque de tuiles romaines et de toile cirée estampillée de rameaux d'olives. Imaginez une cuisine de schiste nu et colombages, la table de cuisine revêtue d’un Vichy rouge et blanc, la grande horloge,  la commode kitch, des casseroles pendues par ordre de taille à l’archelle de l’autre côté du comptoir de cuisine  nanti d'un percolateur en plastique blanc, une porte vers le jardin et la route à droite et une autre à l’opposé surmontée d'un trophée de chasse, vers les chambres du haut où l’on entend tout ce qui se dit à la cuisine. Quelques chaises rustiques.

Mais dès les premières répliques, la magie théâtrale opère et soulève un vent de mistral gonflé de l’accent du Midi. Honoré/Patrick Sébastien, un misanthrope bourré de préjugés, vit seul dans sa maison avec Hippolyte, un garçon simple et serviable recueilli par sa défunte épouse, Marie-Louise. Sa sœur, Jeanne débarque  juste après les funérailles pour élucider les raisons de son absence au bord de la tombe de sa femme et  pour essayer de raccommoder les vieilles blessures familiales. Il a une fille unique Joséphine, nantie d’un diplôme d’infirmière avec laquelle il a rompu… apparemment pour de sombres raisons racistes.  Les secrets de famille se dénouent et les langues se délient au vin blanc plutôt qu’au pastis. La colère fait rage, les esprits s’emportent et s’affrontent, le comique des situations désamorce les emportements, le sang bouillonne. Hippolyte/Yves Pujol*,  enchaîne les pitreries et sa soif d'amour et de reconnaissance.

12273067272?profile=originalC’est Daudet qui raconte l’enfance malheureuse, c’est Guernica de Picasso qui est pris à témoin, c’est  Joséphine qui joue désespérément à cache-cache avec son père, c’est la vertu des principes contre celle des sentiments. C'est  un couple pudique qui voulait donner à l’autre  sa plus belle preuve d’amour?  Le grand vent du sud nous a apporté  le très précieux cadeau d'une langue vive,  du rire et  de l’émotion. Une immense tendresse finit par balayer les planches et la salle entière. Conquise par l’aboutissement théâtral, elle se lève et applaudit à tout rompre le brillant quatuor de comédiens tant cette soirée sur le mode mistral a fait du bien!  Oui, les cigales, ça chante en hiver, même quand la bise fut venue!  


Auteur: Patrick SEBASTIEN
Mise en Scène : Patrick SEBASTIEN et Olivier LEJEUNE
Décor : Nathalie BOUTOT et Gérald GALIANO
Avec : Patrick SEBASTIEN, Hélène NEVEU LE BAIL, Corinne DELPECH et *Yves PUJOL, grand humoriste, régulièrement au théâtre des variétés en One man show avec son spectacle "j'adore ma femme", coécrit avec Georges Wolinski et les auteurs de Nicolas Canteloup

 

 

20 au 24 janvier à 20h30, le 25 janvier à 15h.
Centre Culturel d'Auderghem boulevard du Souverain 183 à 1160 Bruxelles.

Réservation : 02.660.03.03 et www.cc-auderghem.be

 

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administrateur théâtres

   Dense ou Danse ?

Une « Oeuvre au Noir » lumineuse présentée comme un chant choral par un sextuor d’artistes-comédiens exaltés et totalement engagés vient d’être portée  sur la scène par  Christine Delmotte, la metteuse en scène passionnée qui a pris à bras le corps ce texte foisonnant de Marguerite Yourcenar.

Zénon chemine libre, insaisissable et plein d’esprit. Il incarne le corps et l’esprit de l’homme intègre libéré de tous les  intégrismes.   Son  mouvement perpétuel de recherche ne cesse de le métamorphoser. Il renaît devant chaque découverte qui fait avancer l’homme, fuyant l’idole de la vérité, lui préférant « les exactitudes », abhorrant par-dessus tout l’hypocrisie et la compromission. Il  nous est d’une modernité saisissante. «  Un autre m’attend ailleurs. Je vais à lui. Hic Zeno. Moi-même.» Socrate moderne, homme de bien il répand le réconfort, soigne les malades, éclaire de sa sagesse,  là où il passe -  auprès de nous, spectateurs étonnés du XXIe siècle -    faisant feu sacré de toute idée généreuse et novatrice.  Aventurier du savoir, il s’invente un art de vivre basé sur le questionnement, il ne prend jamais la grand-route, il prend les chemins de traverse. Tour à tour,  il « est », un par un, tous les aveugles de Breughel  cheminant dans la neige de la blanche certitude sous le pâle soleil nordique, il est aussi  Breughel, Paracelse, et Léonard de Vinci.  A lui tout seul  il bouillonne, tel un formidable  creuset d’alchimie humaine sublimée. Il sera aussi la victime de l’Inquisition, mais au fond de son cachot il s’autorisera à disposer de lui-même et accèdera à la sérénité dans son pèlerinage vers la mort. S’il n’a pas réussi à changer les matières vulgaires en or, il aura transformé la peur et meurt dans la lumière, n'ayant eu de cesse que de faire reculer les frontières de l'esprit. Quelle victoire sur l’obscurantisme !

  Seuls les non-dupes errent ! Le voyage est autant  intérieur que spatial et temporel. « Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ? » Partagée entre le « je » et le « il »  la parole de l’humaniste du XVIe siècle nous revient dans les  éclats  de voix d’un miroir  de l’histoire patiemment reconstituée  qui nous emmène sur les pas de l’errance et du voyage. Les généreux acteurs jouent le jeu avec adresse et empathie. Ils sont pieds nus, campés dans le XXIe siècle et tour à tour ils donnent corps au personnage mythique. Le texte est dense, on voudrait s’arrêter, mais le miroir de l’histoire n’en finit pas de scintiller… comme la neige ?

Une longue table de taverne ou de cantine d’artistes, des grilles de prison qui barrent les visages, quelques œuvres de grand maîtres projetées sur un débris de mur de briques, un plan de l’ancienne ville de Bruges,  une tringle où pendent des costumes d’époque, mais l’époque a-t-elle une quelconque importance ? Seuls comptent les talents !  Et les artistes en regorgent. Dans le jeux d'ombre et de lumière, la voix est maître. Une bonne dizaine d’œuvres chantées par Soumaya Hallak fait le lien entre les scènes et les époques. Les extraits éclectiques de l’histoire de la musique permettent un temps de pause  dans la  réflexion pour se fondre dans l’émotion musicale. Cela va  de la découverte du  « Pirate's gospel » d'Alela Diane en passant par un air Gascon d'Etienne Moulinié, un « Salve Regina » de Monteverdi puis « Godi turba mortal »tiré de la Pellegrina d'Emilio de Cavalieri, un « je t'ai aimé » extrait d'une chanson en arabe de Fairouz, le « Sancta Maria » de John Rutter, « le Lamento de Didon » d’ Henry Purcell et un renversant  « Lascia ch'io Pianga » de Georg Friedrich Händel pour terminer par « Crucifixion » de Samuel Barber. Le tout en solo, sans autre instrument que la voix humaine et l’une ou l’autre percussion, devant le parterre ébahi des spectateurs conscients qu’elle recommencera 26 soirs d’affilée! La dame est chanteuse lyrique, diplômée de la chapelle Musicale Reine Elizabeth sous la houlette de José Van Dam. 

 Les cinq autres comédiens sont d’une trempe tout aussi extraordinaire. La parole danse, libre et partagée. Il y a la délicieuse Stéphanie Van Vyve que l’on court voir à chacune de ses apparitions sur scène, il y a la découverte de Stéphanie Blanchoud qui incarne avec tant de dignité et d’humanité les derniers instants de Zénon. Il y a ce duo extraordinaire des voix masculines et chaudes de Serge Demoulin et Dominique Rongvaux qui avec Nathan Michel évoquent avec profondeur cet homme beau comme une cathédrale de la condition humaine. Oui, ce spectacle est inoubliable!

http://www.theatredesmartyrs.be/pages%20-%20saison/grande-salle/piece4.html

Marguerite Yourcenar - Cie Biloxi 48

Du 14.01 au 14.02.2015

Réservez en ligne

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12273069868?profile=originalIsabelle Demey : Voyage dans la ville 2 (encaustique sur bois).

Climat

Minuit moins le quart de lune

Regard blanc du tueur

Réverbère, éclair de brume

Sur un trottoir glacé crime

Verglas qui sonne. Pour qui ?

Une chien lève la patte

Trois gouttes de sang

Odeur d'urine

Liquide phosphorescent

Poisseux et rutilant

Silhouette, tête de polar

Pour un non-lieu.

Michel lansardière

12273069889?profile=originalIsabelle Demey : Reflet sur l'eau (huile sur bois).

Un partenariat d'

Arts 12272797098?profile=originalLettres

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administrateur théâtres

12273067452?profile=originalUn Don Juan aux semelles de vent!

 

Thierry Debroux, le metteur en scène, explique : « ce n’est pas l’attitude de libertin que Molière condamne à la fin de son texte mais l’aptitude de ses contemporains à feindre la dévotion. Pas étonnant que la pièce, bien qu’appréciée par Louis XIV, fut retirée assez vite de l’affiche et ne fut plus rejouée du vivant de son auteur. Une autre lecture de la pièce pourrait nous amener à penser que le véritable enfer de Dom Juan, c’est le consumérisme, et en cela il représente à merveille notre société contemporaine. Il consomme les femmes, comme notre société consomme les objets, mais cette consommation finit par le lasser. Il provoque toujours plus le ciel. Il sait qu’il fonce droit dans le mur...et plus Sganarelle ou Elvire tentent de lui ouvrir les yeux sur la catastrophe imminente, plus il s’obstine à se vautrer dans le scandale… ».

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 Voilà donc campé un Dom Juan mobile, épris de vitesse et de changement, fuyant l’étau de l’autorité et des responsabilités  au pas de course,  blasphémateur, tellement iconoclaste et impénitent que l’on finit par s’en faire une idée à la limite de la caricature. C’est Sganarelle - le héros de ce drame joué à l’origine par Molière lui-même - qui rassemble dans son personnage toute notre sympathie et notre admiration de spectateurs. D’entrée de jeu il a établi une connivence immédiate avec les fumeurs de la salle - une minorité sans doute - mais qui a atteint le reste du public de façon virale tant son jeu théâtral est juste, désopilant et plein d’esprit. Le tabac soudain fédérateur fait un tabac!  Dans ses manières si humaines, pleines de bon sens, loin de tout extrême, il dénonce les -ismes du monde et les fracas impies de son maître à coup de formules et de questions bien senties. On l’adore et on compatit avec ses faiblesses, puisqu’il sera le grand perdant : « Voilà par sa mort un chacun satisfait: Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n'y a que moi seul de malheureux… » « Mes gages, mes gages ?» hurle-t-il à la fin. Même les grands évanouis, les petits trinquent toujours.  Et Benoît Van Dorslaer est un tout grand comédien !

12273066458?profile=original Cependant,  à force d’effets  burlesques  foudroyants, ce Dom Juan interprété avec fougue et énergie par  Bernard Yerlès  ne perd-il pas  un peu la trace du libertin bon teint, apôtre de la transgression et suprêmement humain,  et qui se sent en incompatibilité absolue  avec les nœuds du monde qui l’entoure ? Lorsqu’il veut  désespérément inventer une nouvelle mesure des choses, des êtres et des événements et court assoiffé d’espace vital et de désir, ne court-il pas directement …à sa propre perte? Ironie du sort, il commettra lui-même le péché d'hypocrisie qu'il abhorre!

  En effet, le Dom Juan intemporel de Molière est un futur héros du 18ème siècle : il poursuit tel un Don Quichotte, une liberté  chimérique qui sans cesse se dérobe. Il rêve d’une égalité de chacun, dans la fraternité  et devant la Raison.  Si Dom Juan consent à donner la pièce au mendiant dans la scène du pauvre, il le fait par amour pour l’humanité, non par peur du châtiment divin. Jean-Jacques Rousseau écrit dans la première version de son "Du contrat social" en 1762 : "La terre entière regorgerait de sang et le genre humain périrait bientôt si la Philosophie et les lois ne retenaient les fureurs du fanatisme, et si la voix des hommes n'était plus forte que celle des dieux." Et bien que Sganarelle nous  soit si sympathique, n’est-il pas temps de  traverser une période hantée par les abus de pouvoir, le puritanisme et la bigoterie par le rire étincelant et blasphémateur grâce au personnage décrié de Dom Juan?  

 

 Situations baroques qui bouillonnent d'impertinence… et le public de rire de bon cœur  ou de se récrier au cours de cette tragi-comédie inquiète et impatiente. Les décors évanescents faits de splendides boiseries épurées et lumineuses enchaînent les paysages imaginaires  les plus variés puisque Molière a décidément rompu avec les règles classiques de l’unité de temps, de lieu et d’action.

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Au niveau de l'excellence théâtrale, le comédien Luc Van Grunderbeeck qui se glisse dans de multiples personnages (Dom Louis, le Pauvre et Le Commandeur) fait merveilles et sera salué avec passion!  La langue admirable de l'auteur dramaturge est une constante qui émeut et fait plaisir,  superbement préservée dans son rythme et sa poésie malgré l’absence de versification… Fermez les yeux, c’est Molière qui  berce l’humain  entre Dom Juan et Sganarelle!  

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Le mot de Thierry Debroux:

Madame, Mademoiselle, Monsieur,

 

Le 15 février 2015, au lendemain de notre dernière  

représentation, cela fera, jour pour jour, 350 ans que se  

donnait pour la première fois le Dom Juan de Molière. 

Profitant du départ des Italiens qui jouaient avec grand succès 

un Dom Juan, Molière s’empare de l’intrigue et en quelques 

jours, dit-on, écrit la pièce que vous verrez (ou reverrez) ce soir.

 

On a tout écrit sur Dom Juan et on l’a « cuisiné » avec mille 

épices différentes.Mozart, comme vous le savez, en a fait un opéra avec le 

concours de Da Ponte et tout récemment, au Théâtre Royal de  

la Monnaie, la mise en scène de ce chef-d’oeuvre a suscité une  

vive polémique.

 

Mais revenons à Molière. La pièce est étrange et mélange  

tous les genres. On passe sans transition d’une discussion  

philosophique à un numéro de commedia dell’arte… Molière  

fait de nombreux emprunts à la version italienne… mais  

dépasse la farce, effleure la tragédie, plonge dans le drame, ose  

le grand guignol…

 

Nous avons tenté de prendre en compte tous les chemins  

qu’emprunte l’écriture, tous les genres littéraires qui se  

superposent.

 

A l’époque où Molière écrivit ce chef-d’oeuvre, ses provocations  

lui attirèrent les foudres des intégristes. Il risqua sa vie comme  

l’ont risquée les dessinateurs de Charlie Hebdo, à qui je veux  

rendre hommage ici.

 

J’espère que vous passerez un bon moment en compagnie d’un  

auteur courageux. 

Du 15 janvier au 14 février 2015

(29 représentations).

http://www.theatreduparc.be/

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La violence et le sacré de René Girard (1972)

Girard René. La violence et le sacré. ; 1972.

 

On a parfois reproché à cette oeuvre son caractère de Système; parfois, à l'inverse, on s'en est félicité. Elle fait reposer l'ensemble de la culture et de l'histoire des homme sur un socle unique.

Ce socle fondateur est celui de la "rivalité mimétique". Chacun imite l'autre, désire s'approprier ce qu'il a: quand le modèle est aussi, un obstacle, tout commence.

Par un phénomène d'emballement, la rivalité entre individus devient violence sociale, indéfinie, réciproque.

Les sociétés ne peuvent tenir qu'en résistant à cette violence, et à tous les processus d'indifférenciation qui la relancent. Deux procédés essentiels: le sacrifice religieux et la punition judiciaire, qui réconcilient la société divisée par l'expulsion d'un "bouc émissaire".

Freud et Lévi-Strauss, maîtres à penser modernes, sont à dépasser. Le premier s'est trompé sur la nature du désir (privilégiant la sexualité au détriment du désir mimétique), le second sur l'importance de l' interdit (la règle d' échange compte plus pour lui que l'interdiction de la violence).

Né en 1923 à Avignon, René Girard a fait ses études à l'Ecole des Chartres puis aux Etats-Unis (archiviste-paléographe de l' Université d' Indiana), où il enseigne dans plusieurs universités, actuellement à Standford en Californie.

Il semble poursuivre, de livre en livre, le même ambitieux projet: dévoiler, en recourant aux données de toutes les sciences de l'homme, mais aussi aux textes littéraires et, surtout, aux écrits religieux, l'origine méconnue, inconsciente, cachée des sociétés: ce secret enfoui "depuis la fondation du monde".

Trois ouvrages, parmi d'autres publications, fournissent les jalons de son itinéraire: "Mensonges romantiques et vérité romanesque" (Grasset, 1961), "La violence et le sacré", 1972, "Des choses cachées depuis la fondation du monde" (Grasset, 1978).

 

Désir et violence

 

Si la violence est si importante pour les collectivités humaines, ce n'est pas  seulement parce que son désordre menace leur Ordre que, par ailleurs, il rend possible, c'est aussi que le désir le porte en lui comme la nuée porte l'orage.

 

Modèle et rival

 

Chacun désire, en effet, d'abord ce que l'autre désire.

Sous son impulsion, chacun imite l'autre, par un mécanisme qui fait de l'autre, nécessairement, un modèle ou/et un rival, ou un modèle et un rival à la fois, parfois même "un exemple à ne pas suivre" (imitation négative).

On a comparé, non sans raison, l'édifice construit par Girard, pour y loger l'homme, à "une pyramide qui repose sur une pointe: l'hypothèse mimétique" (J-P. Dupuy, "Ordres et désordres", Seuil, 1982).

 

L'aspiration au mimétisme révélée par le roman

 

"Mensonge romantique et vérité romanesque" confiait aux romanciers la tâche -et leur reconnaissait le pouvoir- de révéler l'aspiration qui est au coeur de toute inclination: chacun règle, sans s'en rendre compte, son pas sur celui de l'autre; le désir d'un objet est déterminé par le désir des autres pour le même objet. De Cervantès à Dostoïevski, le roman réfute l'illusion romantique d'une autonomie ou d'une spontanéité qui permettrait aux hommes de choisir ce qui les attire.

Autrui est le médiateur indispensable entre moi-même et l'objet de mon désir. D'où un triangle qui généralise ce dont Freud n'avait vu qu'un cas particulier -celui des attachements oedipiens:

 

                      Père                           Autrui

               (admiration-jalousie)             (modèle-rival)

               garçon       mère                 sujet    objet

 

Deux cas de figure possibles, deux espèces de médiations:

-La médiation externe. Le paradigme est ici Don Quichotte. L'enthousiasme pour la chevalerie est venu au héros de la lecture des exploits d' Amadis de Gaule. Le médiateur est donc, ici, imaginaire. Il ne saurait être qu'un modèle, jamais un rival à affronter.

-La médiation interne. Le médiateur est modèle et rival. Exemples littéraires: le snob proustien, l'homme du souterrain de Dostoïevski.

 

Variétés des stratégies

 

Entre ces deux cas de figure principaux, des organisations multiples du mimétisme sont possibles, les stratégies imitatives sont variées:

-La bouderie. Le boudeur tient à être seul et marginal à condition que les autres le sachent: il lui faut alors communiquer sa rupture de communication.

Ce paradoxe se résout parfois par un acte incompréhensible: négligemment l'enfant met le feu aux rideaux, avec détachement Merseault dans "L'étranger" de Camus, tire sur un Arabe (Girard, "Critique dans un souterrain: Dostoïevski, Camus, Dante, etc., 1976).

-La médiation double. Valenod et Julien Sorel, dans "Le rouge et le noir" de Stendhal, fourniraient un exemple précieux ("Mensonge romantique et vérité romanesque".

La configuration est la suivante: A et B s'imitent réciproquement. Chacun est pour l'autre un modèle. A croit deviner, à un signe fugitif, que le désir de B se porte sur le même objet que le sien. Il se précipite, il tient à devancer B. Celui-ci manifeste à son tour ce qui n'était encore qu'une visée intérieure: ce double mouvement a désigné l'enjeu, jusqu'alors caché ou rêvé de la rivalité.

-La coquetterie. "La coquette en sait plus long que Freud sur le désir. Elle n'ignore pas que le désir attire le désir. Pour se faire désirer donc, il faut convaincre les autres qu'on se désire soi-même." (Des choses cachées...).

Freud attribuait à la coquette une autosuffisance narcissique, mais il ne faut pas ignore que la coquette "a besoin de ces désirs masculins, dirigés contre elle, pourraient sa propre coquetterie".

Ainsi, dans "Le misanthrope" de Molière, Célimène "reconnaît le caractère stratégique de la coquetterie: elle affirme cyniquement à Arsinoé qu'elle pourrait bien se transformer en prude le jour où sa beauté serait perdue. La pruderie, elle aussi est une stratégie. Tout comme la misanthropie, d'ailleurs, qui lui ressemble énormément, est une espèce de pruderie intellectuelle (...), la stratégie défensive des perdants, de ceux qui parlent contre le désir, parce qu'ils n'arrivent pas à l'attirer et à la capitaliser."

Mais, pourquoi Célimène a-t-elle besoin d'une cour, un salon où "les admirateurs se pressent en foule, un véritable Versailles de la coquetterie"? Parce que "la coquetterie est d'autant plus excitante, sa séduction mimétique est d'autant plus forte que les désirs attirés par elle sont plus nombreux". La littérature, mieux que la philosophie, dit la vérité du désir, son caractère mimétique, les conflits qui en découlent quand le modèle est aussi un rival (cas de la médiation interne).

Dans celui de la médiation externe, le modèle est trop haut, trop inaccessible, pour qu'il y ait un affrontement du héros avec lui: ce qui explique l'aisance de Don Quichotte, sa facilité à se remettre de ses échecs, à courir en aventure, à chercher toujours fortune ailleurs.

Le désir mimétique: sur ce socle construit ou, plutôt, révélé par les écrivains, la culture humaine dans sa totalité s'est édifiée. "La violence et le sacré", ouvrage paru une dizaine d'années après "Mensonge romantique et vérité romanesque", s'est donné pour tâche de montrer comment.

 

Intrication du désir et de la violence

 

Le désir déchaîne la rivalité, est, ainsi, le moteur de la violence, et l'histoire des hommes n'est que l'interminable effort pour en éteindre le feu toujours couvant sous la cendre, prêt à renaître et s'agrandir.

"Rien n'est plus banal, en un sens que cette primauté de la violence dans le désir".

Mais il faut se garder de plusieurs contresens.

-Il ne faut, d'abord, pas croire qu'il s'agit d'un phénomène pathologique -sadisme, masochisme, etc,-, et qu'il existe un désir normal et naturel, purgé de toute relation à la violence. La violence est "toujours mêlée au désir". Elle est l'instrument, l'objet et le sujet universel de tous les désirs".

-Le désir mimétique, s'il est source des conflits indéfinis, ne doit pas être confondu avec ce que les psychologues, les éthologues, comme Lorenz, les philosophes (Hobbes: l'homme est un loup pour l'homme), ont appelé instinct d'agression, pulsion de destruction ou de mort (Freud).

"On sait aujourd'hui que les animaux sont individuellement pourvus de mécanismes régulateurs qui font que les combats ne vont presque jamais jusqu'à la mort du vaincu."

Lorenz (1903-1989), le célèbre zoologiste autrichien, l'a montré dans "L' agression" (1963), mais il a eu le tort de transposer à l'homme les résultats acquis sur l' animal:

"A propos de tels mécanismes qui favorisent la perpétuation de l' espèce, il est légitime, sans doute, d'utiliser le mot instinct. Mais il est absurde, alors, de recourir à ce même mot pour désigner le fait que l'homme, lui, est privé" de semblables mécanismes".

L' instinct de violence et la pusion de mort sont des positions mythiques qui servent aux hommes "à poser leur violence hors d'eux-mêmes, à en faire un dieu, un destin (...) dont ils ne sont plus responsables et qui les gouverne du dehors".

Un comble: nous verrons que les hommes ne se délivrent de leur violence qu'en expulsant un "bouc-émissaire", posé comme responsable, chargé de tout le mal, victime culpabilisée. Or l'instinct de violence sert de bouc-émissaire...à la violence!

 

-il importe, enfin, de bien distinguer l'analyse girardienne du désir et celle effectuée par Hegel dans "La phénoménologie de l' Esprit" (1807). Le désir, pour Hegel, porte en lui la violence, parce qu'il est le désir de s'approprier cette conscience étrangèe où il s'apparaît autre que soi et, donc, désir du désir de l'autre ou désir d'être reconnu par l'autre.

Il enclenche la "lutte pour la reconnaissance", lutte à mort qui est à l'origine de l'histoire et de la culture.

Mais, si la reconnaissance par autrui-quelle qu'en soit la forme (admiration, estime, respect, amour, etc.)-est la fin visée, celui qui pense l'avoir atteinte peut y trouver plénitude et jouisssance (ainsi le maître qui se satisfait du regard soumis de l' esclave).

Bien différent est de ce point de vue le désir mimétique: non plus désir du désir de l'autre, mais le désir selon l'autre et, donc, désir de s'approprier ce qui compte pour l'autre.

Il engage dans une compétition, qui ne saurait s'achever, une rivalité envieuse et jalouse, une concurrence frénétique pour les mêmes objets dont l'actuelle société de consommation ostentatoire fournit une bonne image historique.

Et il se contamine dans les foules fiévreuses où chacun suit l'autre sans se savoir lui-même suivi.

"Le mimétisme, en effet, c'est la contagion dans les rapports humains" (Des choses cachées depuis la fondation du monde").

 

L'hypothèse fondamentale

 

"La violence et le sacré" peut se résumer ainsi: une hypothèse fondamentale est proposée: les conséquences en sont tirées; sa portée explicative confirme sa validité: à la manière d'une clef universelle elle ouvre toutes les portes, rend raison de la culture et de l'histoire des hommes sans rien laisser dans l'ombre; ce qui permet d'affirmer en conclusion sa validité scientifique.

Au passage, Freud, Lévi-Strauss sont réfutés, et les théories du contrat social sont récusées. Tous participent au processus généralisé de méconnaissance, par lequel les hommes se trompent sur ce qu'ils font et refont indéfiniment.

L'hypothèse fondamentale est, on s'en douterait, celle du mimétisme, qui rend compte à la fois de l'origine de la violence (le désir d' imitation), de sa nature (la vengeance répondant sans cesse à la vengeance), de ses remèdes ou pseudo-remèdes (la contre-violence des sacrifices puis du système judiciaire) et de l'échec répété de ces remèdes (crise sacrificielle):

"La violence a des effets mimétiques extraordinaires: tantôt directs et positifs, tantôt indirects et négatifs. Plus les hommes s'efforcent de la maîtriser, plus ils lui fournissent des aliments; elle transforme en moyens d'action les obstacles qu'on croit lui opposer; elle ressemble à une flamme qui dévore tout, qu'on peut jeter sur elle, dans l'intention de l'étouffer".

 

Origine de la violence

 

Les écrivains révèlent le lien de l' imitation et de la rivalité envieuse et jalouse. Mais celle-ci est une relation interindividuelle: Célimène et Arsinoé, Célimène et Alceste. Parfois des petits groupes se confrontent: le salon des Verdurin et le salon des Guermantes, chez Proust.

Comment en arrive-t-on à la violence sociale et politique qui met à feu et à sang des communautés entières? Par une sorte d'emballement: "La violence réciproque, c'est l'escalade de la rivalité mimétique" (Choses cachées).

Trois facteurs à ce "runaway", pour employer le terme anglais. D'abord il faut tenir compte de ce que l' imitation qui déchaîne la violence n'est point n'importe laquelle, car il y en a plusieurs formes très différentes: la copie des apparences, par laquelle l'autre est singé, l' imitation identificatrice des conduites d'autrui, que Gabriel de Tarde (1803-1904) considérait comme le fait social élémentaire et la condition de la cohésion du groupe, l'imitation fusionnelle des foules porteuse d'une agressivité occasionnelle (étudiée par Le Bon en 1895 dans sa "Psychologie des foules", puis par Freud dans "Essais de psychanalyse" en 1920 et Moscovici dans "L'âge des foules", en 1981); et la "mimésis d' appropriation": celle-ci provoque la rivalité pour l'objet entre le modèle qui en indique la valeur et suscite la concurrence à son propos.

Ainsi, l'imitation est "à la fois" "force de cohésion et force de dissolution". Elle peut mener au conformisme grégaire, par certains aspects, mais elle peut enclencher, par d'autres, la guerre de tous contre tous.

 

Le double bind

 

Ensuite, cette guerre va s'activer sous l'effet d'un phénomène mis en lumière par le psychiatre américain Bateson, le "double bind", ou double injonction contradictoire: "imite-moi, mais, surtout reste à ta place", ne prends pas la mienne, disent les parents aux enfants, les maîtres aux disciples, les modèles à leurs idolâtres:

"Chaque fois que le disciple croit trouver l'être devant lui, il s'efforce de l'atteindre en désirant ce que l'autre lui désigne; et il rencontre chaque fois la violence du désir adverse".

Les effets désastreux du "double bind" s'ajoutent à ceux de la convergence des désirs vers les mêmes objets.

 

Le caractère contagieux de la violence

 

Enfin, la violence s'étend alors de façon contagieuse. On dénonce parfois les épidémies nées du spectacle de la violence. Celle-ci, longtemps comprimée, se répand aux alentours, a même "tendance à se précipiter sur un objet de rechange à défaut de l'objet originairement visé".

Autrement dit, née de l' imitation par une sorte d'effet en retour (de feedback), la violence a, elle-même, des effets mimétiques. L'image du cercle revient souvent: au cercle vicieux de l' imitation par laquelle chacun suit l'autre -sans oser le montrer, car il craint qu'on lui reproche son manque de "personnalité" -succède celui de la violence répondant à la violence. Les choses se passent comme si les protagonistes étaient pris dans des tourniquets impossibles à arrêter. A quoi s'ajoute, celui de la contre-violence opposée, certes, à la violence, mais issue, aussi, de sa contamination.

 

Nature de la violence

 

Indifférenciée, réciproque, indéfinie: ainsi se présente la violence originelle, le chaos premier, menace pour la vie sociale, qui édifiera contre elle les digues fragiles de l' Ordre.

Elle le fera d'abord en instaurant entre les hommes des différencces (d'emploi, de statut), s'il est vrai que toute destruction fait de l'autre un double inquiétant ou un jumeau angoissant. Car contrairement à l'idée reçue, c'est la ressemblance qui fait peur.

Malinowski (18841942), le célèbre ethnologue, l'avait déjà noté: chez le Trobriandais de Mélanésie qu'il étudia, on se méfie comme de la peste de la ressemblance des frères. On se félicite, comme chez nous, dira-t-on, de la ressemblance des enfants avec le père. René Girard résout ainsi ce paradoxe:

"Le père est (...) forme et la mère matière. En apportant la forme, le père différencie les enfants de leur mère et ainsi les uns des autres".

 

La vengeance

 

Si la phobie de l' indifférenciation est si forte, c'est que celle-ci est le terreau sur lequel poussera la violence indéfinie et réciproque des représailles répondant aux représailles: la vengeance. Et ses risques pour l'existence même de la société:

"La vengeance constitue un processus infini, interminable. Chaque fois qu'elle surgit en un point quelconque d'une communauté elle tend à s'étendre et à gagner l'ensemble du corps social. Ses conséquences peuvent être fatales dans une société de dimensions réduites".

D'autant qu'il ne suffit pas pour l'arrêter de convaincre les hommes que la violence est odieuse: "C'est bien parce qu'ils en sont convaicus qu'ils se font un devoir de la venger". Un comble: on tue à son tour par horreur de la violence.

Cela peut surprendre, mais, s'il y a tant d'appels à propos des massacres perpétrés dans l'ex-Yougoslavie, pour qu'on "recoure enfin à la force", ces appels ne sont-ils pas motivés par l'effroi des tueries, la colère, l'indignation?

René Girard retrouve dans les mythes et les tragédies grecques le thème des frères ennemis: que celui qui n'a pas sa culture ouvre les journaux et lise ce qui se passe à Sarajevo.

"C'est la symétrie conflictuelle qui définit le rapport fraternel à cette symétrie n'est même plus limitée ici à un petit nombre de héros tragiques: elle perd tout caractère anecdotique; c'est la communauté elle-même qui passe au premier plan".

De ce processus symétrique et circulaire, peut-on sortir?

 

Les remèdes à la violence

 

L'institution religieuse du sacrifice dans les sociétés primitives, puis l'organisation d'un système judiciaire dans les sociétés modernes, ont été les deux moyens successivement employés pour tenter de mettre fin à la violence indéfinie, d'en arrêter le mouvement macabre, de mettre fin à la contagion.

Successivement: les sociétés primitives ignorent l'administration de la justice, même quand elles tentent de gérer par les diverses variétés de duel les reprises sans fin des vengences.

Malinowski, parmi d'autres, l'a établi. Le sacrifice est alors une mesure préventive qui ressoude l'unité de la communauté. Et il "dépérit là où s'installe un système judiciaire, en Grèce et à Rome notamment".

Certes, il se perpétue "mais à l'état de forme à peu près vide", ce qui nous donne l'illusion "que les institutions religieuses n'ont aucune fonction réelle".

Nous n'en avons plus besoin, dès lors que nous avons mis en place un système judicaire, un moyen autre, curatif cette fois, d'exercer "une violence sans risque de vengeance".

 

Le bouc émissaire

 

La succession des procédures n'empêche pas leur parenté profonde. Elles fonctionnent suivant le même principe: celui du bouc émissaire, dont l'expulsion, par le sacrifice, ou la condamnation à mort, permet au groupe de retrouver sa cohésion menacée et de se sentir purifié de ce qui le souillait.

"Là où quelques instants plus tôt il y avait mille conflits particuliers, mille couples de frères ennemis isolés les uns des autres, il y a de nouveau une communauté, tout entière unie dans la haine que lui inspire un de ses membres seulement".

Le même risque est couru, ensuite, par les sociétés les plus éloignées (celles qui se réconcilient par le sacrifice et celles qui connaissent un système pénal: celui de retomber à tout moment dans la violence indifférenciée, dans ces périodes dites de "crise sacrificielle" pendant lesquelles les distinctions paraissent se dissoudre et, donc, l'ordre social se décomposer dans une sorte de confusion.

 

La fête

 

Dans la fête "excès permis, voire ordonné" (Freud), se prépare le sacrifice ou se mime la crise, quand elle ne dégènera pas soit en anti-fête-bacchanale devenue carême- soit en "fête qui tourne mal", dégénère en violence.

Ce dernier cas de figure pourrait bien servir à caractériser les "temps modernes", comme l'a si génialement montré le cinéaste Fellini ("La dolce vita").

 

Le système judiciaire

 

Enfin, le système judiciaire est, comme le sacrifice, d'essence religieuse, car il faut bien assurer la transcendance de l'instance punitive, de la violence pure, légitime, si l'on ne veut pas qu'elle retombe dans le cercle maléfique de la vengeance ininterrompue.

Si violence sauve ce que la violence impure dissout: elle a l'ambiguïté de ce qui est sacré, est à la fois bénéfique et maléfique, sainte et abhorrée. Et le livre entier aurait pu s'intituler: la violence ou le sacré.

Jeu croisé des méconnaissances: les primitifs n'ont pas vu la fonction sociale de leurs rites religieux, et nous, les modernes, nous oublions la fondation religieuse de nos pratiques sociales.

Pire: tenant à fonder le système pénal sur un contrat social, nous expulsons le religieux et faisons de ses superstitions la cause de toutes les violences. Le religieux est devenu notre bouc émissaire.

Commence alors une crise sacrificielle sans précédent, un extrême désordre qui, pour une fois, n'est pas promesse d'un ordre supérieur: la rivalité mimétique a poussé à son comble la course aux armements. La recherche démocratique d' égalité a été confondue avec la dissolution des différences sociales. Les jeux de la compétition, du classement distinctif, de la consommation ostentatoire -qui n'est plus, comme dans la théorie de Veblen, réservée à une minorité privilégiée- se sont déchaînés sous l'effet de la publicité qui active le désir d' imitation.

On peut tenter d'éviter "les occasions de rivalité mimétique": dans les cérémonies de politesse chacun s'efface devant l'autre, dans la recherche individualiste et "post-moderne" de plaisir, chacun ne paraît se préoccuper que de soi.

Mais on n'y échappe pas vraiment. Le mimétisme "est un phénomène retors qui peut resurgir là où on pense avoir triomphé de lui". C'est ainsi que "le renoncement lui-même peut devenir rivalité; c'est un procédé comique bien connu..." ("Choses cachées).

"Nous n'échappons pas au cercle". D'autant que même le savoir de la violence en méconnaît l'origine: autour d'elle, il "trace un cercle" sans jamais atteindre le centre.

 

Les maîtres du soupçon soupçonnés

 

La méconnaissance généralisée se retrouve chez les théoriciens (psychanalystes, ethnologues) qui s'imaginent l'avoir surmontée. Leur prétendu savoir s'appuie sur elle. Trois chapitres (ch. VII, VIII, IX) de "La violence et le sacré" entendent opérer en ce sens la "déconstruction" démystificatrice de Freud et Lévi-Strauss.

Le désir mimétique, parce qu'il est la source de la violence, est l'objet des premiers interdits. Par un jeu de méconnaissances, ici encore croisées, Freud s'est trompé sur le désir, Lévi-Strauss sur l' interdit. Les deux ont mésestimé l'importance de la violence.

 

Freud

 

La conception mimétique n'est, certes, pas absente chez Freud. Ni le rôle médiateur qui désigne à ses enfants le désirable. Mais Freud n'a pas vu d'abord, que si les interdits frappent la sexualité, c'est que celle-ci est conductrice de violence: "La sexualité provoque d'innombrables querelles, jalousies, rancunes et batailles; elle est une occasion permanente de désordres".

Les tabous portent moins sur la sexualité que sur la violence. L' inceste même n'est prohibé que parce qu'il ouvre la porte à l'indifférenciation, les confusions, et donc, la crise sacrificielle.

C'est que le désir fondamental n'est pas, contrairement à ce que ne cesse d'affirmer Freud, attrait amoureux, mais recherche d' imitation. Même les identifications sont liées, chez Freud, à la demande d' amour, et elles préparent le complexe d' Oedipe, le penchant libidinal pour la mère ou le parent de sexe opposé.

Or le complexe d' Oedipe, outre qu'il enferme la rivalité mimétique dans le cadre étroit de la famille, alors qu'elle se retrouve dans l'ensemble du corps social ("familialisme" que la même année où parut "La violence et le sacré", en 1972, dénonçait "L'anti-Oedipe" de Deleuze et Guattari), n'est qu'une des manifestations parmi d'autres du double bind ("imite-moi", "ne m'imite pas").

Les psychanalystes n'ont perçu cette double injonction que dans la relation parents-enfants, négligeant d'autres liens comme celui de maître à disciple. Même dans le cas du lien parents-enfant, ils n'en ont saisi que les résonnances subjectives (l'ambivalence des sentiments à l'égard du père, à la fois vénéré et haï ou jalousé).

Les psychatres qui ont forgé le concept de "double bind" ont cru qu'il ne s'appliquait qu'aux cas pathologiques. En fait le double bind est "Le fondement de tous les rapports entre les hommes".

Entraîné dans cette impasse, le désir "se jette aveuglement sur l'obstacle d'un désir concurrent", engendre ainsi son propre échec "et cet échec va renforcer la tendance mimétique". Le processus, se nourrissant en quelque sorte de lui-même, "va toujours s'exaspérant". Et "la violence et le désir ont désormais partie liée".

 

Lévi-Strauss

 

Le structuralisme de Lévi-Strauss le conduit à lire toujours l'interdit en terme de règle qui ordonne l'ensemble social. C'est ainsi que la prohibition de l' inceste n'est pas, pour lui, un refus négatif de l'union avec le consanguin, mais l'acceptation positive de l'obligation première de toute culture: l'obligation de l' échange réciproque, valable aussi pour la communication linguistique et les marchandages économiques. La priorité donnée à la règle sur l'interdit vient de la méthode même du structuralisme: si la société, comme la langue, est un système, la règle, ou le code, dit la condition de son fonctionnement.

Freud avait mieux vu la priorité de l'interdit mais il l'avait réduit à une phobie.

"En attribuant les restrictions sexuelles exogamiques à des intentions législatrices, on ne s'explique pas pour quelles raisons ces institutions ont été créées. D'où vient, en dernière analyse, la phobie de l' inceste qui doit être considérée comme la racine de l' exogamie" ("Totem et tabou", cité par Girard, "La violence et le sacré").

Les deux méconnaissances croisées -de la nature du désir, de la priorité de l' interdit- tiennent à une méconnaissance commune du rôle de la violence. C'est ainsi que Freud ne voit pas que la menace de castration n'est qu'un cas particulier de la peur de l'indifférenciation violente. De même que Lévi-Strauss réduit les mythes à des "solutions originales" de problèmes logiques, alors que, déplaçant vers l'extérieur la violence, ils protègent "de cette violenc et du savoir de cette violence le groupe élémentaire au sein duquel la paix doit absolument régner". Les savants modernes ne font guère autre chose.

Et les "philosophes du soupçon", ainsi nommés par Paul Ricoeur parce qu'ils doutent de l'homme lui-même, suspectent chez lui des motivations cachées, inconscientes, ne font guère qu'imputer la violence aux représentants de l' interdit, dont ils font leur bouc émissaire: les capitalistes (Marx), le Père (Freud), les esclaves animés par le ressentiment (Nietzsche). La société est fondée sur une violence: l'expulsion d'une victime culpabilisée. La pensée qui se croit la plus éclairée en imite le geste inaugural.

 

Le christianisme, une religion non sacrificielle

 

Dans "Des choses cachées depuis la fondation du monde" (1978), Girard désigna l'issue pour échapper au cercle, au mouvement brownien dans lequel les hommes, tels des particules en suspension dans un liquide ou un gaz, sont entraînés. Le Nouveau Testament livre la clé du code universel des civilisations. Les Evangiles, que la science, depuis plusieurs siècles, réduit à l'expression de peurs ou d'ignorace, rendraient compte de toute l'histoire. Et feraient basculer celle-ci. Jésus: avec lui la victime n'est pas coupable, la logique du bouc émissaire est dénoncée et dépassée. Une autre voie est indiquée pour que les sociétés se constituent: non plus une violence fondatrice, baptisée contre-violence, mais, en fait, vrai meurtre, "lynchage originel", mais la non-violence de la réconciliation et de l' amour: "Je suis venu apporter la miséricorde et non le sacrifice."

Si la Révélation ne s'est pas  imposée, si la chasse aux boucs émissaires a continué pendant des siècles, débouché même sur le plus grand Sacrifice de l'histoire (l' Holocauste), c'est que les hommes résistaient à un message qui leur demandait de ne pas croire que la violence est sacrée, d'origine divine, mais qu'ils en sont responsables.

La Révélation empêche les hommes de dire "qu'ils n'y sont pour rien": "c'est la faute aux boucs émissaires" (victimes culpabilisées), c'est Dieu qui l'a voulu (victimes sacralisées). Elle lève le voile sur "ces choses cachées". Elle est une "empêcheuse de tourner en rond".

 

Controverses

 

Nous passerons sur les débats théologiques: la lecture sacrificielle des Evangiles, même si l'on admet que Jésus s'est auto-sacrifié pour mettre fin aux sacrifices, empêcherait de voir en elles une vraie rupture par rapport au passé. La messe, se demandait Manuel de Diéguez, dans "Esprit", en avril 1971, n'est-elle pas une offrande sacrificielle?

Plus importantes sont les controverses épistémologiques. On admettra sans peine que Proust en sache plus long sur le désir que Freud et que seule une religion peut défaire le noeud que d'autres religions ont serré.

On s'interrogera néanmoins sur la validité scientifique d'une hypothèse qui est proposée comme la cléf universelle d'une violence dont toutes les formes sont réduites à l'unité et dont les figures historiques successives sont l'indéfini recommencement d'un identique mécanisme (cf. Pierre Manent, "Contrepoint", juin 1974, n° 14).

Manent se demande, non sans malice, si Girard n'est pas le frère ennemi des philosophes du soupçon. Dans ce cas il n'échapperait pas lui-même à la rivalité mimétique.

On a loué Girard d'aider à comprendre certaines logiques de l' économie et de la société contemporaines: le marché, la publicité, le marketing, la concurrence (Dupuy et Dumouchel, "L'enfer des choses. René Girard et la logique de l' économie", 1979; Dupuy, "Ordres et désordres", 1982).

On s'est interrogé du même coup sur sa philosophie, et ses options politiques: Girard s'en prend au "libéralisme avancé", mais aussi aux utopies du désir libéré qui "travaillent au perfectionnement de l'univers au sein duquel elles étouffent" et méconnaissent le lien du désir et de la violence, parfois même aux "rites révolutionnaires qui (...) exigent plus de victimes que les rites antérieurs" ("Le Monde", 27-28 mai 1979), enfin aux théoriciens du contrat social (Hobbes, Rousseau, etc.). Ceux-ci sont explicitement attaqués dans "La violence et le Sacré".

 

La dénonciation du contrat social

 

Leur idéalisme philosophique les conduit à enraciner le contrat dans le bon sens, la raison, la bienveillance mutuelle, et à escamoter, ainsi, la violence, à méconnaître "la menace que celle-ci fait peser sur toute la société humaine".

Pierre Manent (dans l'article cité plus haut) réfute fermement une telle critique. "On comprend mal l'argument. A quel problème cherchent à répondre les diverses théories du contrat social? Précisément à celui que pose la menace de la réciprocité violente." De surcroît "la grande difficulté pour Girard est d'expliquer la longueur du "cycle sacrificiel" de l' Occident, en d'autres termes le fait que l'interminable dissolution des différences qui caractérise notre histoire n'ait pas encore débouché sur la violence absolue".

Il parle même à ce propos de notre "mystérieuse impunité". Or, la théorie du contrat social en fournit une bonne explication: l'impunité occidentale "s'enracine dans un savoir qui est un pouvoir: l'autorité politique qui décide souverainement du choix de la victime, qui distingue souverainement la violence légitime et la violence illégitime".

Dès lors, "faut-il reprocher à l' Occident d'ignorer la violence d'où il provient, puisqu'il a décidé qu'à l'avenir, il déciderait de la bonne violence, c'est-à-dire qu'au sens fort il la définirait, la limiterait?"

Ces discussions passionnées, même lorsqu'elles ont cette virulence et ce ton réquisitoire, témoignent de l'importance reconnue à l'oeuvre de René Girard.

 

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Le soir des confidences...chuuut !

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Une aquarelle d'Adyne Gohy

a inspiré

Le secret


Un poème

de Suzanne Walther-Siksou


Il ne faut le dire à personne!

Je vais me cacher pour les voir,

Sans qu'ils puissent m'apercevoir.

Le feu joyeusement ronronne.



Je vais me cacher pour les voir.

Papa Noël jamais ne sonne.

Le feu joyeusement ronronne.

Comment maman fait pour savoir?



Papa Noël jamais ne sonne.

Je crois bien qu'il viendra ce soir.

Comment maman fait pour savoir,

Veillant à tout? Elle est si bonne!



Je crois bien qu'il viendra ce soir.

Il est si vieux que je m'étonne.

Veillant à tout, elle est si bonne,

Elle saura le recevoir.



Il ne faut le dire à personne!

Je vais me cacher pour les voir

Je crois bien qu'il viendra ce soir.

Le feu joyeusement ronronne.


Un partenariat d'

Arts 12272797098?profile=originalLettres

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Hommage de Norge

 

 

Elskamp de bois

 

« J’ai triste d’une ville en bois,

J’ai mal à mes sabots de bois »

(Max Elskamp)

 

 

Le petit bonhomme de bois

Dans sa chair taille un poème

Et sa chair est aux abois,

Cet arbre doux, ce bon chêne,

Ce lisse pommier, donneur

De rondes pommes amènes

Est une pulpe souffrante.

Ah, le bois taillé de main

Ferme saigne quand il chante !

Une sève de carmin

Colore toute l’image

Où le monde est engravé.

Et le savent à douleur

Ceux de dur et franc lignage,

Sans Pater et sans Ave,

Que rouge est couleur du cœur.

Et lors, grands âges qui vibrent :

Un petit homme benoît

Pénètre d’amour pour toi,

Pour moi,

Tant la rime que la fibre.

O petit homme de bois

De foi,

O petit homme de croix

De bois.

 

Norge

 

 

 

Hommage de Marie Gevers :

 

Max Elskamp

Naissance : 5 mai 1862. Mort : 10 décembre 1931 .

Centenaire : 5 Mai 1962.

 

 

Le jour de la naissance.

 

Max Elskamp pensait-il au jour de son centenaire en publiant l’un de ses principaux recueils de poèmes : « Enluminures » ? Il n’avait alors que trente-six ans… Les premiers vers sont émouvants à citer aujourd’hui :

 

Ici, c’est un vieil homme de cent ans

Qui dit, selon la chair, Flandre et le sang :

Souvenez-vous en, souvenez-vous en,

En ouvrant son cœur de ses doigts tremblants.

 

Toujours, nous retrouverons son cœur dans ses poèmes à la fois tendres, discrets, intenses, réservés, douloureux et d’une valeur poétique et littéraire absolue.

S’il parle de ses cent ans dès 1898, i chantera sa naissance bien plus tard, en 1922, déjà touché alors par la maladie qui devait peu à peu l’étreindre, puis l’éteindre. Néanmoins, dans « La Chanson de la Rue Saint-Paul », il s’écrie qu’il est né à la marée haute, sur le ton joyeux dont on dirait : « Je suis né coiffé ! »

 

C’est ta rue Saint-Paul

Celle où tu es né

Un matin de mai

A la marée haute !

 

Pour pouvoir évoquer avec précision, aujourd’hui, en souvenir du poète, son jour de naissance, je me suis adressée au savant météorologue « Star », qui a bien voulu me donner les indications nécessaires :

La marée haute natale de Max Elskamp, le 5 mai 1862, eut lieu à 8.06h. Les gens qui n’ont jamais vécu au bord d’un fleuve soumis à la marée ignorent ce que signifient ces mots « Marée haute ! ». Certes, il y a de l’inquiétude, les jours de gros temps où la poussée de l’eau menace, mais que d’allégresse par les jours ensoleillés d’azur !. Le ciel se berce largement à fleur des rives, le clapotis anime les pierres des quais et une activité règne au port. A la marée haute, les sirènes mugissent ou sifflent, car les bateaux chargés se confient au courant qui les entraînera vers l’estuaire, tandis que les navires amenés par le flot attachent les amarres et jettent l’ancre.

Or, en 1862, le mois de mai fut l’un des plus beaux du siècle et, les 5 et 6 mai, les plus chauds du mois. Toute l’œuvre du poète sera sillonnée de navires, de matelots, de nostalgie maritime, et soulevée par le désir de la mer.

M. Louis, Jean, François Elskamp, propriétaire d’un brick nommé l’Ortélius et d’un trois-mâts carré baptisé « Le Louis », fut le père de Max et l’un des notables de la rue Saint-Paul. Nous aimons à croire que l’un de ses deux vaisseaux, quittant le quai, vogua vers sa destination maritime au moment om l’enfant commençait son voyage sur l’océan des jours.

Le voisinage apprit vite que la jeune dame Elskamp venait de mettre au monde un fils, mais nul ne se doutait que l’enfant serait poète. Cependant, Elskamp lui-même pensait que –peut-être- la poésie s’était emparée de lui dès avant sa naissance. Il nous suggère cette idée dans l’une de ses chansons :

 

Un pauvre homme est entré chez moi

Pour des chansons qu’il venait vendredi Comme Pâques chantait en Flandre

Et mille oiseaux doux à entendre,

Un pauvre homme a chanté chez moi.

 

Si humblement, que c’était moi

Pour les refrains et les paroles

A tous et toutes bénévoles,

Si humblement que c’était moi,

Selon mon cœur, comme ma foi.

 

Ainsi Elskamp s’identifiait-il à l’Homme aux Chansons, venu dès Pâques, célébré le 20 Avril de celle année-là. Son poème « A ma mère » confirme qu’il croit devoir sa plus intime sensibilité et ses dons poétiques à l’amour de sa mère :

 

O Claire, Suzanne, Adolphine,

Ma mère qui m’étiez divine

 

Comme les Maries et qu’enfant,

J’adorais dès le matin blanc…

 

 

C’est ta rue Saint-Paul

Blanche comme un pôle…

 

Le soleil reluisait à toutes les façades repeintes à neuf dès le début du printemps, comme il se devait dans une rue « Dévote, marchande –Trafiquante et gaie, Blanche de servantes- Dès le jour monté. » Cette rue, orientée du sud-est au nord-ouest, court droit sur le fleuve. Les matinées y sont donc triomphantes de lumière et nous devinons ce que fut le premier baiser de la jeune mère à son nouveau-né, en ce beau matin clair :

 

« O ma mère, avec vos yeux bleus,

Que je regardais comme cieux,

Penchés sur moi tout de tendresse… »

 

Le soleil monta, évoluant dans le plus merveilleux des azurs : celui du printemps, près d’une grande eau mouvante.

Ce jour-là, le vent venait du côté du fleuve. Il entrait librement et caressait d’une souple haleine les maisons de la rue Saint-Paul. Elskamp s’est toujours souvenu de l’air que l’on y respirait, aux temps de son enfance :

« Maritime en tout – L’air qu’on y boit – Sent avec la mer – Le poisson sauré… »

Ensuite, le soleil fléchit en direction des polders de la rive d’en face. Les transbordeurs allaient, venaient, sans cesse, battant des aubes pour faire passer le fleuve aux gens qui, journée finie, rentraient au logis. La nouvelle marée monta. Elle fut haute à 20.15 h. Ramenait-elle au port l’Ortélius ou Le Louis ? Qui le dira ? Mais nous savons que la première nuit du poète se glissa doucement dans « sa rue bien-aimée ». Il dormait, dans son berceau fanfreluché, près de sa mère. « O ma mère, dans mon enfance, - J’étais en vous et vous en moi ».

Dans son recueil : « Dominical » Max Elskamp se présente « avec les enfants du dimanche ». Sans doute eût-il préféré naître « un dimanche à midi », comme Mélisande ? Mais c’était un lundi –jour de la lune- et la lune est bonne aux poètes. Celle du 5 mai 1862 (premier quartier le 6) ne se couchera qu’après minuit. Elle entrera du côté du fleuve, comme le vent et le parfum de l’eau, elle aura eu tout le temps de baigner de rêve la maison de la rue Saint-Paul. C’est à elle sans doute que Max Elskamp doit d’avoir connu l’illusion, Maya :

 

Maya, l’illusion,

Vous ai-je assez aimée ?

 

 

La lettre à Van Bever

 

L’influence de la rue Saint-Paul occupe vraiment toute l’œuvre de Max Elskamp. Il le sait. Il l’écrit dans une lettre très importante pour lui, puisqu’elle est destinée à préciser son travail et son inspiration en vue de la fameuse Anthologie de Van Bever et Léautaud.

 

(Date de la poste : 20 juin 1907)

« Je crois que j’ai été très influencé par ces choses qui datent de ma petite enfance. Après la vie m’a pris, plus neutre, me semble-t-il, et à part la pratique des métiers, et ce qui touche à l’âme traditionnelle du peuple, peu de choses ont réagi sur moi. »

Sa mère tant aimée n’a pu lui donner l’âme traditionnelle du peuple de la rue Saint_paul, car elle venait d’ailleurs :

O Claire, Suzanne Adolphine – O ma mère des Ecaussines, mais il lui doit la sensibilité nécessaire à l’avoir ressentie, comprise, assimilée. Il a pu en nourrir sa poésie, au point d’être parvenu à lui donner une langue différente de celle que lui offrait la rue Saint-Paul. Je crois d’ailleurs qu’une telle métamorphose fut favorable à la magie si particulière à l’œuvre de Max Elskamp.

L’âme traditionnelle du peuple, le poète ne peut l’avoir reçue que des servantes. A cette époque, et dans toute la bourgeoisie, les enfants étaient, presque totalement, élevés par les servantes. Elskamp s’en souvient : « Bonne nuit, les hommes, les femmes  -bras en croix sur le cœur ou l’âme  - et rêve aux doigts en bleu et blanc – les servantes près des enfants ».

Retrouver comptines, proverbes, locutions originaires de la rue Saint-Paul, dans les poèmes d’Elskamp formerait l’élément d’une étude bien intéressante. De la nourrice de Juliette aux servantes, qui scandaient pour Max Elskamp l’histoire d’Anna-la-lune, en passant par celles dont Chateaubriand nous donne le souvenir dans les « M »moires d’Outre-tombe », que de vigueur, que de poésie leur ont dû nombre de grands écrivains !

Elskamp a reçu du petit peuple de son enfance le goût du folklore, et sa magnifique collection d’objets patiemment rassemblés forme le fonds du Musée d’Anvers. Sa naissance ensoleillée ? Nous aimons à supposer qu’elle soit au départ de sa passion pour les cadrans solaires… Et là, sa sensibilité l’y portant, il fit don, en souvenir de sa mère des Ecaussines, des merveilles qu’il avait rassemblées, au Musée de la Vie Wallonne, à Liège.

 

Le Calvaire

 

« Notre maison, écrit-il encore à Van Bever, se trouvait pour ainsi dire  enclavée dans l’église Saint-Paul, et mon enfance s’est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée. » On voudrait citer ici tout le poème consacré au Calvaire

 

Mon Dieu qui mourez à Saint-Paul,

Un peu autrement que les autres…

Mon Dieu qui savez les étoiles

Qui fixent à chacun son lot…

 

Elskamp m’a écrit un jour : « Je crois aux étoiles ». Il croyait aussi à la mer, et le bonheur avait pour lui, comme symbole, un matelot : « Et c’est Lui, comme un matelot – c’est lui qu’on n’attendait plus, - et c’est lui, comme un matelot – qui s’en revient les bras tendus… »

Un matelot ne reste jamais longtemps au logis, si chaud si doux qu’il y fasse. Pour Max Elskamp, il l’a quitté, peu après qu’il eût lui-même quitté la chère rue Saint-Paul. Une grande douleur, une grande déception d’amour l’a emporté :

 

Un jour où j’avais cru trouver

Celle qui eût orné ma vie,

A qui je m’étais tout donné,

Mais qui, las ! ne m’a pas suivi…

 

Le père du poète a tenté de le consoler en lui offrant les vastes espaces maritimes : Elskamp, alors, a navigué :

 

Va, mon fils, je suis avec toi

Tu ne seras seul sous les voiles,

Va, pars et surtout garde foi,

Dans la vie et dans ton étoile !

 

Elskamp s’est attaché à corps perdu à ses parents, à sa sœur Marie. La mort les lui a enlevées :

 

C’est vous, mon Père bien aimé,

Qui m’avez dit adieu tout bas,

Vos yeux dans les miens comme entrés

Qui êtes mort entre mes bras.

 

A sa mère, il a dit :

 

Et lorsque vous êtes partie,

J’ai su que j’avais tout perdu.

 

Alors, le poète est entré en maladie.

J’ai dit ailleurs les circonstances de la mort de Max Elskamp, comment je l’appris, et quelles étaient les personnes rassemblées à la table de François Franck ce 10 décembre 1931. On soupait là, après la représentation à Anvers de l’Œdipe d’André Gide : pour cette première, Gide était présent, les Pitoeff, et quelques écrivains d’Anvers. En remémorant, aujourd’hui encore, après tant d’années, l’instant où Willy Konincks, en retard, entra en disant : « Max Elskamp est mort », je puis mesurer la puissance d’émotion soulevée par ces mots. Cependant, le poète en lui se taisait depuis des années… et ses voisins l’entendaient souvent crier dans ses délires… L’émotion fut si profonde, ce soir là, chez Franck, que le regard de Gide fit lentement le tour de la table, en la cueillant à chaque visage comme s’il avait voulu rassembler un herbier du souvenir d’un poète qu’il savait grand.

Je veux citer ici quelques lignes d’un article nécrologique que je possède, auquel manque la signature, mais que je crois dû à André Salmon : « S’exténuant à combattre le désespoir, il passe des années avec Bouddha, mais cette culture de l’idée du néant ne pouvait combler un tel poète. Il traversa le monde d’un pas tremblant – il nous quittait- il s’avançait seul dans la nuit. »

Aux fleurs d’émotion cueillies lors de la mort du poète, par André Gide, et puisque Max Elskamp aimait le folklore, les saints et les fleurs, je veux, à l’occasion de ce centenaire, ajouter deux fleurs qui le concernent particulièrement, il les doit à deux folkloristes : le Baron de Rheinsberg, et Isidore Teirlinck.

La fleur-marraine, offerte par son saint-patron, Maxime, est la « primula véris » ou primevère du printemps, et les servantes de son enfance lui auront dit qu’elle est une clef du Paradis, et vient droit de Saint-Pierre, grâce à qui elle germa dans l’humus des polders… Le 10 décembre, par quelle étrange coïncidence est voué au cyprès. Il figure au jour où le poète sombra dans la mort.

 

Marie Gevers, Mai 1962, in « Le Thyrse » revue d’art et de littérature, numéro consacré au centenaire de Max Elskamp.

 

 

 

 

Hommage de Robert Guiette

 

La Ville en Ex-voto

 

Sa « petite ville », Max Elskamp la chante dès « Dominical, « la ville de mes mille âmes ». Cette ville en bois, douce ville à bâtir, la ville en rond comme une bague, les bonnes madones aux coins des ruelles. Ce port marchand, cette ville très port-de-mer, il y montre des barques et des grands vaisseaux, et les bâtiments à voiles, les chapelles et les tours et les cloches, c’est toute sa longue litanie qu’il faudrait redire. Poésie frêle, à la voix fêlée. « Mes dimanches morts en Flandre » et « dans la paix bonne d’un pays tendre », avec les petites gens des beaux métiers, la mer à l’horizon.

C’est plus qu’un décor, cette ville, c’est un personnage avec lequel on cause gentiment, à voix basse, retenue, comme pour soi.

Max Elskamp était demeuré très attaché à son vieux quartier de la rue Saint Paul bien qu’il n’y habitât plus. Ecolier, il y retournait passer ses jeudis après midi. Avec son ami, Henri van de Velde, il allait, près de la grande écluse du Kattendyk, à marée haute, voir entrer les bateaux. Les deux amis se mêlaient à une foule affairée d’employés de la douane, de commis, d’affréteurs, de curieux et de femmes aux toilettes extravagantes. C’était parfois « un voilier gigantesque, fatigué et souillé, dont l’équipage composé de nègres agités ou d’hindous lents, n’attendait que d’avoir accosté pour offrir en vente : perroquets, singes, plumes de couleurs éclatantes, peaux d’animaux inconnus, os d’albatros ; ou au départ de pitoyables émigrants polonais ou russes qu’on descendait à fond de cale sans ménagement, avec enfants et bagages ! Spectacles qui fouettaient nos imagination en entraînaient nos pensées si loin, si loin… »

Plus tard, les travaux de rectification des quais entamèrent le plus ancien quartier de la ville, cette « ville en rond » dont il ne reste qu’un morceau. L’ancien pittoresque ne demeurait plus que dans le cœur et la pensée du poète : l’ancien « werf », les quais plantés d’arbres, la population même de ces rues étroites, besogneuses et joyeuses.

Lorsque le lecteur d’aujourd’hui découvre cette image dans les petits poèmes de Max Elskamp, il la compare à ce qu’il voit : la rive droite, tracée au cordeau, les entrepôts et les construction aujourd’hui démodés qui attestaient, vers 1910, la grandeur récente des firmes allemandes fixées à Anvers. Le poète écrivait : « les Rietdijk, les Frascati, toutes les belles prostitution d’antan sont abolies… » ; et depuis, le joli village de Tête-de-Flandre rasé, surgirent les tours, les tunnels et les buildings. Le lecteur se demande alors si, dans les poèmes, ce n’est pas une petite ville ou un village de la Flandre zélandaise que le poète aurait chantée, et non Anvers, cette actuelle grande ville moderne où les anciens monuments et même la cathédrale se trouvent dépaysés. La beauté du spectacle –beauté très réelle encore- est différente de ce qu’a dit le poète. Le fleuve seul, malgré la métamorphose de ses rives, est resté sans doute semblable à lui-même.

Comment imaginer que le poète pourrait encore dans le bruit et le mouvement que nous connaissons, aller bavarder avec les bateliers et les artisans, vanniers et cordiers pour lesquels il avait tant de sympathie ? Les vieux quartiers le voyaient passer, chaque jour, par leurs rues souvent solitaires comme des rues de béguinages, des rues où ne se rencontraient de loin en loin que des vieilles femmes sous leur mante. Elskamp ne se lassait pas d’errer par les vieilles impasses, les cours intérieures, voyant aux murs les madones entourées de guirlandes… Son petit chapeau rond et son macfarlane ne détonnaient pas dans les ruelles grises et mornes. Le poète y poursuivait sa longue méditation.

Que de fois je l’ai vu, vieillard, aller vers les quartiers de son enfance, comme enveloppé de solitude ! Une femme discrète et qui avait dû être très belle, l’accompagnait. Ils ne se parlaient pas. Ils allaient côte à côte, d’un pas sans hâte. Etait-ce « sa » rue Saint-Paul qui l’attirait ? Pensait-il à son poème, à l’église et au calvaire, à ses morts et à son passé ? Voyait-il revivre ses chers fantômes ? Ou bien poursuivait-il sa longue recherche de la Voie ? Refaisait-il la longue route des saints naïfs et des processions, celles des philosophes qu’il avait étudiés, celle de la souffrance et de l’inconnaissable, de cette longue vie qui serait une vie manquée s’il n’y avait les poèmes. Par tout cela, il avançait dans la Voie de la perfection bouddhique, celle qu’il s’était choisie et qui lui était propre.

Le décor désormais n’importait peut-être plus. Le poète avait magnifié sa ville natale, et l’avait réduite en son cœur, en son œuvre, immuable. Comme les vieux marins, du temps des grands voiliers, construisaient des trois-mâts qu’ils enfermaient dans des bouteilles, tout gréés.. Le site, pour jamais à l’image de son cœur, demeurait comme une sorte d’ex-voto de reconnaissance à la vie, tandis que sa pensée plongeait dans d’autres contemplations, hors du temps.

 

Robert Guiette.

 

 

 

 

Hommage de Jean Cocteau

 

 

1er Avril 1962

 

Il est de toute évidence que Guillaume Apollinaire, s’il doit aux « Serres chaudes » doit surtout à Max Elskamp. Il n’y a là rien qui le diminue, au contraire. Et si un grand poète fraternise avec un autre grand poète pour connaître ses œuvres, je m’en émerveille encore davantage. Mais il me semble que notre Apollinaire aimait Elskamp et que, de ces amours, naissent les monstres délicieux de la Poésie.

Ma découverte du poète anversois me laisse le souvenir d’un coup au cœur. Entre chaque page de l’herbier les belles plantes se mettaient à revivre et à embaumer ma chambre.

Je vous exprime toute ma reconnaissance de vous être adressé à moi, le presque belge.

Votre poète Jean Cocteau.

 

 

 

 

Hommage de Paul Neuhuys

 

Je me souviens de Max Elskamp

 

Je me souviens de Max Elskamp comme d’un causeur charmant. Il me parlait de la Chine, de la poésie… Je l’ai connu pendant la guerre 1914-1918. J’allais le voir dans sa paisible maison du boulevard Léopold (aujourd’hui avenue de Belgique) dans la bonne maison qui, dit-il, l’attend sous les arbres « en la blanche façon d’un très gauche évêché ».

Max Elskamp était alors à l’apogée de son activité poétique. J’étais un écolier des lettres, et il y avait dans son accueil quelque chose d’ineffablement bon, mais aussi de cruellement désabusé.

Max Elskamp, né à Anvers en 1862, y est mort en 1931. Toute sa vie il est demeuré attaché à sa ville natale, la ville « très port de mer » où il reçut un jour, en 1893 exactement, Paul Verlaine.

« Il y a là une certitude pour moi, me disait-il, un point sur lequel j’attire votre attention, c’est que malgré toute liberté, le poème est « musique » par nature ». Et il me citait à ce propos le « Pantoum négligé » de « Jadis et naguère » :

 

Trois petits pâtés, ma chemise brûle.

Monsieur le curé n’aime pas les os.

Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

Que n’émigrons-nous vers les Palaiseaux ?

 

-Le sens en est exquis à cause du son.

Elskamp parlait volontiers de la rime diminuée par l’assonance, de sa bémolisation (âne et âme) et de sa diézation (Anne et lame). Il m’ouvrait toute grandes les portes de sa bibliothèque, me

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