Stendhal dit avoir eu le 3 septembre 1838 "l'idée" de la Chartreuse de Parme; à cette même époque, il écrit un récit de la bataille de Waterloo. Le 4 novembre, installé rue Caumartin, à Paris, il dicte à un secrétaire la totalité de son roman en l'espace de sept semaines. Sans doute son éditeur lui a-t-il demandé d'en abréger la fin. La Chartreuse de Parme, qui paraît en deux volumes au début d'avril 1839, connaîtra un honnête succès; elle sera surtout saluée par un long article de Balzac paru dans la Revue parisienne du 25 septembre 1840.
Livre I. L'armée française entre à Milan le 15 mai 1796. Deux ans plus tard, au château de Grianta, naît Fabrice del Dongo, héros de l'histoire (chap.1). Sa tante Gina, devenue veuve du comte de Pietranera, vient s'installer à Grianta en 1814; elle se croit, à trente ans, au seuil de la vieillesse. Apprenant le retour de Napoléon de l'île d'Elbe, Fabrice court combattre à ses côtés (2). Il participe, avec la bravoure de l'inexpérience, à la bataille de Waterloo, où il aperçoit le général d'A..., que la marquise del Dongo avait hébergé à Grianta alors qu'il n'était que le lieutenant Robert. Sur la route du retour, il croise la toute jeune Clélia Conti, arrêtée par des gendarmes en compagnie de son père (3-5). Gina épouse le duc de Sanseverina, un homme âgé et discret, qui mourra bientôt; elle s'installe à Parme, où se trouve le comte Mosca, amoureux d'elle et futur Premier ministre (6). Elle y est rejointe par Fabrice, dont la tendre intimité avec sa tante rend Mosca fou de jalousie (7). Fabrice va pourtant s'éprendre, mais par caprice, de la petite actrice Marietta. Puis, au risque de se faire arrêter (son frère aîné ayant dénoncé aux autorités autrichiennes son équipée à Waterloo), il retourne en cachette à Grianta voir le vieil abbé Blanès, son père spirituel, qui lui a jadis enseigné l'astronomie et qui lui prédit la prison (8-10). Attaqué par Giletti, l'amant de Marietta, Fabrice le tue et doit s'enfuir à Ferrare, puis à Bologne, où il retrouve Marietta. Par jeu, il courtise une cantatrice, la Fausta, et blesse grièvement son rival (11-13).
Livre II. La Sanseverina menace le prince de quitter la cour de Parme, dont elle fait tout le charme, si Fabrice est inquiété, mais Mosca, par esprit courtisan, fait échouer cette opération de chantage. Condamné à douze ans de forteresse sous prétexte qu'il a tué Giletti, mais en réalité pour des raisons politiques, Fabrice est incarcéré dans la tour Farnèse; il a pu, en y pénétrant, apercevoir Clélia Conti dont le père est désormais gouverneur de la citadelle. Clélia s'apitoie sur le sort de ce jeune prisonnier, qu'elle croit - comme tout le monde - l'amant de sa tante (14 -15). En dépit de ses efforts pour fléchir Rassi, le ministre de la Justice, Mosca subit la rancune de la Sanseverina. Dans sa prison, Fabrice connaît un étrange bonheur. Il observe bientôt, de sa fenêtre, Clélia qui vient tous les jours nourrir ses oiseaux (16-18). D'abord effarouchée par les signes joyeux du prisonnier, Clélia, cédant à la pitié, accepte de correspondre avec lui (19). Fabrice risquant d'être empoisonné, la Sanseverina a préparé son évasion avec l'aide de Ferrante Palla, poète de génie, fou amoureux d'elle; mais il faut l'intervention énergique de Clélia pour que Fabrice accepte ce projet qui le privera de voir de la fenêtre de sa cellule celle dont il est devenu éperdument amoureux (20-21). L'évasion réussie, la duchesse donne à Ferrante Palla le signal de l'exécution du prince, tandis que Clélia est rongée par le remords d'avoir comploté contre son père. Le prince est exécuté. Inconsolable de ne plus voir Clélia, Fabrice passe désormais ses journées en face de la citadelle, et finit par se constituer de nouveau prisonnier (22-24). Follement inquiète des dangers qui le menacent, Clélia s'introduit dans sa cellule et se donne à lui, mais elle fait voeu à la Madone de ne plus jamais le voir. La Sanseverina, de son côté, a promis ses faveurs au nouveau prince s'il fait libérer Fabrice. Fabrice libéré, Clélia, devenue à son corps défendant marquise de Crescenzi, demeure fidèle à son voeu (25-26). Ayant acquitté sa dette envers le prince, la Sanseverina quitte à jamais Parme et va s'établir à Naples où elle épouse Mosca. Fabrice, à qui a été promis l'archevêché de Parme, s'est mis à prêcher; le chagrin l'a rendu méconnaissable et ses sermons bouleversent les foules (27). Clélia, qui s'est rendue à l'un de ses sermons, lui donne un rendez-vous dans l'obscurité et, trichant avec son voeu, reprend avec lui de tendres relations. Ils ont un fils, Sandrino, dont la mort précoce apparaît à Clélia comme un châtiment céleste. Clélia meurt; Fabrice, retiré à la chartreuse de Parme, ne lui survit qu'un an; la Sanseverina elle-même ne survit que peu de temps à ce neveu qu'elle adorait (28).
Pour écrire en un temps aussi bref une oeuvre aussi longue, il faut l'avoir longuement mûrie. Ayant perdu sa mère à l'âge de sept ans, Henri Beyle se laissa persuader par sa grand-tante Élisabeth Gagnon que sa patrie maternelle se situait de l'autre côté des Alpes. A dix sept ans,franchissant le Saint-Bernard, il la découvre à la suite de Bonaparte. Milan, Cimarosa, l'amour fou pour Angela Pietragrua, "catin sublime à l'italienne": ces souvenirs se pressent en foule quand il les détaille dans la Vie de Henry Brulard, en 1835. Environ à la même époque, il découvre de vieux manuscrits qui lui fourniront la matière des Chroniques italiennes. L'un de ces manuscrits, qui relate les amours tapageuses de Vandozza Farnèse avec son neveu Alexandre Farnèse (futur pape Paul III), le passionne au point qu'il projette d'en faire un romanzetto. Quant au récit de la bataille de Waterloo, rédigé à la fin de l'été de 1838, il s'inscrit dans la lignée de ses incessantes tentatives d'écrire un Napoléon. La Chartreuse de Parme naît ainsi à la croisée de ces trois oeuvres; elle permet à Stendhal de donner libre cours à une imagination qu'il s'efforçait de brider ailleurs.
L'Italie de la Renaissance lui a donc fourni le principal motif du roman. Mais, transposant l'histoire de la famille Farnèse au début du XIXe siècle, il va prêter à l'équivoque Alexandre, métamorphosé en Fabrice del Dongo, sa propre passion pour Napoléon et une vraie pureté d'élans amoureux. Les Italiens qu'il eut l'occasion de côtoyer au moment où il fut nommé consul à Civita-Vecchia, en 1830, ne répondaient pas toujours à l'image qu'il s'était, depuis l'enfance, fabriquée de sa patrie d'élection. De l'époque de la Renaissance, les héros de la Chartreuse vont conserver (en particulier la Sanseverina, en qui on verra volontiers une Angela Pietragrua idéalisée) une énergie qui ne recule pas devant le crime. Mais leur tendresse, leurs naïvetés, leur égotisme prolongent les confidences et les aspirations répétées par Stendhal dans ses récits de voyage, ses oeuvres intimes ou encore dans De l'amour. Par égotisme, que Stendhal emploie parfois dans un sens péjoratif, on entendra ici un culte du moi qui permet de faire fructifier le meilleur de soi-même tout en respectant le moi des autres - il faut savoir s'aimer pour aimer vraiment.
Dans un "Avertissement" où, pour écarter tout rapprochement avec des événements contemporains, il prétend que son roman a été écrit en 1830, Stendhal multiplie les masques: le narrateur est censé raconter une histoire qui s'est réellement passée à Parme du temps où "la duchesse [Sanseverina] y faisait la pluie et le beau temps". Cette histoire serait le produit d'un récit oral, dû au neveu d'un chanoine aujourd'hui décédé, et d'annales que celui-ci détenait. Déclarant "blâmables" les actions de la duchesse, le narrateur épouse ironiquement la mentalité du bourgeois français que choqueront les excès où mènent les passions. Au début du récit, il semble qu'il tienne les faits du lieutenant Robert (chap. 1), mais sa perspective se rétrécit au point de vue de Fabrice lors de la bataille de Waterloo, dont le récit fragmentaire épouse la naïveté et l'inexpérience du héros (chap. 3); d'autres épisodes seront vus par ses yeux, notamment son évasion (chap. 23), même si Stendhal attribue à un "magnifique sonnet" écrit par Ferrante Palla la connaissance de l'événement (mais faute de savoir écrire un sonnet, il choisit d'y faire seulement allusion...). L'histoire, pourtant, sera vécue aussi bien à travers les émotions de la Sanseverina: "Je ne sais si elle se trompait", dit d'elle le narrateur (chap. 2), avant d'écrire des pages où ses réflexions sont mêlées au monologue de l'héroïne. Ce sont des monologues aussi librement conduits qui nous feront partager les espérances et les tourments jaloux du comte Mosca, l'évolution des sentiments de Clélia, mais également, de façon très épisodique, les pensées de tel ou tel personnage très secondaire, comme Rassi ou l'archevêque Landriani. Bref, le point de départ du récit et à plus forte raison l'"Avertissement" sont oubliés: demeure d'un bout à l'autre un narrateur héritier de la tradition du roman anglais du XVIIIe siècle (Fielding, Richardson) qui intervient fréquemment pour s'excuser auprès du lecteur de hâter le cours de l'intrigue, laisser entendre qu'il pourrait fournir mille autres détails (ainsi est maintenue l'illusion que nous lisons non une histoire inventée, mais une chronique), ou intervenir en faveur de "notre héros" pour faire pardonner son esprit superstitieux ("Oserons-nous dire qu'il voulait consulter l'abbé Blanès?", chap. 8) ou sa peu reluisante conduite auprès de la Fausta (chap. 13).
Ce récit comporte un point (relativement) obscur: la naissance de Fabrice. Au vrai, le lecteur a deviné que le lieutenant Robert, hébergé au château de Grianta lors de l'occupation de l'Italie par les troupes françaises, est le vrai père du héros - ainsi Stendhal, qui s'est toujours voulu bâtard par haine de son père, réalise-t-il magiquement son voeu. Il comporte aussi des incohérences. Fabrice ne saurait voir d'une prison située à Parme le magnifique spectacle de la chaîne des Alpes (chap. 18), et quand, de la fenêtre de sa cellule, il entre en conversation avec Clélia au moyen d'un alphabet grossièrement confectionné, Stendhal oublie les conditions du dialogue pour faire longuement discuter les amants et leur permettre de "s'écrier" (chap. 19). Ce n'est pas la première fois que, préoccupé de traduire les pensées d'"âmes sensibles", il oublie les conditions matérielles de la fiction. Mettra-t-on au compte de sa distraction les variations d'âge de la Sanseverina? Les lecteurs de Rome, Naples et Florence et de De l'amour savent que dans le coeur des Italiens la passion se moque des années...
Quant aux infidélités à l'Histoire, elles tiennent surtout aux origines complexes de l'intrigue. S'il est vrai que le roman commence à la manière d'une chronique soigneusement datée, où l'auteur n'exagère qu'à peine la liesse des Italiens accueillant les libérateurs français, on ne cherchera pas dans les annales qui concernent la période cette principauté de Parme que Stendhal a choisie assez peu marquante pour ne pas indigner les adeptes du "roman historique". Ce genre avait fait école en France au début du siècle grâce aux romans de Walter Scott; il suppose que la fiction ne contrarie pas les données essentielles de l'Histoire. Du moment où il se laisse guider par les élans de coeur de ses héros et s'amuse à charger jusqu'à la caricature ceux qui leur font obstacle, Stendhal ne met aucun frein à sa fantaisie. Quant aux lieux qui sollicitent le plus l'imagination du lecteur, ceux où naît et meurt Fabrice, on ne les trouvera pas sur une carte: il n'existe pas de château de Grianta sur les rives du lac de Côme, en face de la villa Melzi, et sans doute Stendhal pensa-t-il à la chartreuse de Pavie, voire à celle qu'il connut enfant près de Grenoble, pour donner un terme à son roman, dont le titre ne prend curieusement sens qu'aux toutes dernières lignes.
"Notre héros", suivant l'expression répétée maintes fois par le narrateur, c'est évidemment Fabrice del Dongo. Ce jeune homme dont l'ascendance est, à l'image de celle de Beyle (si l'on en croit la grand-tante Gagnon), à la fois française et italienne, a hérité les grâces refusées à son créateur. Pour voler au secours de Napoléon, lui aussi franchit les Alpes - quoique en sens opposé. Mais sa beauté, sa hardiesse, sa spontanéité lui valent tous les succès. A l'inverse de Julien Sorel (le Rouge et le Noir), il doit aux avantages de la naissance de penser que le bonheur est naturel. On le croirait, jusqu'au séjour à la tour Farnèse, aussi impuissant à se sentir amoureux que l'était Octave à en fournir les preuves (voir Armance); mais ce retard montre que, au contraire de ceux qui modèlent leurs sentiments sur des mots, Fabrice a su attendre pour faire parler librement son coeur. Au plus l'épisode de la Fausta (chap. 13), qui le voit s'essayer à l'amour-pique (voir De l'amour, I, 38), trahit-il peut-être le penchant français de son tempérament pour la vanité. On notera pourtant que l'étrange bonheur qui le saisit au moment où, dans la tour Farnèse, il se croit à jamais prisonnier, ne doit rien à l'amour, mais aux seules ressources de son moi profond; plus qu'une condition nécessaire du bonheur, l'amour deviendra chez lui une manière privilégiée d'en saisir les nuances.
Le bonheur, tel est le vrai sujet du roman. "Est-ce donc au commencement de la vieillesse [...] que le bonheur se serait réfugié?", se demande la Sanseverina (chap.2) devant le lac de Côme où elle se retrouve pour communier avec Fabrice dans l'amour des beaux paysages et de la liberté - ce lac "sublime", écrit Stendhal, parce que les mots tout simples marquent chez lui la limite de l'émotion. Il est vrai que pour la duchesse plus que pour Fabrice, la"chasse au bonheur" passe d'abord par l'amour. Si elle est en harmonie avec ses passions, autant dire avec elle-même, défiant jusqu'au crime un pouvoir haï, elle est heureuse seulement dans les moments de complicité avec son neveu. Seuls les happy few à qui le roman est dédié ont en partage cette aptitude au bonheur. Mais le bonheur est fragile. Fabrice ne survivra pas à Clélia, non plus que la duchesse à Fabrice, même si Stendhal s'ingénie à user d'euphémismes pour apprendre au lecteur, aux dernières lignes, la fin de ses héros. Le comte Mosca leur survit. Lui aussi est engagé, comme Stendhal la cinquantaine passée, dans une inlassable chasse au bonheur. Serviteur zélé d'un pouvoir exécrable, il pratique l'égotisme, mais de manière suspecte: celle qui consiste à envisager le monde comme une comédie dans laquelle on peut se compromettre sans entamer l'essence de son moi. Follement amoureux de la Sanseverina, il est toujours sur le point de tout abandonner pour elle. Sa disponibilité ne lui permet pourtant pas d'égaler les vrais héros du roman, qui mettent leur esprit de renoncement en pratique jusqu'à la mort. Cette histoire où Fabrice et la duchesse ne cessent de jeter l'argent à pleines poignées avant de finir dans la pauvreté se conclut sur l'immense fortune du comte. Stendhal ne pouvait plus clairement situer celui-ci en retrait dans la hiérarchie de ses happy few.
Homme de coeur et d'esprit malgré tout, Mosca sert sans trop de remords un tyran, tandis que Fabio Conti, qui veut la mort de Fabrice, appartient au clan des libéraux. Fabrice récite, quand on l'en prie, le bréviaire de l'aristocratie avec lequel il a été formé. Si l'on évoque la belle figure de Ferrante Palla, poète républicain et régicide, il faudra atténuer la portée de ses idéaux politiques en rappelant qu'il tue le prince par amour pour la duchesse. Les représentants du peuple ont des manières sympathiques et leur courage est au-dessus de tout soupçon: ainsi de Ludovic, dévoué à la Sanseverina. Il paraît même que l'énergie qui distinguait les Italiens de la Renaissance s'est mieux perpétuée dans les classes modestes que parmi la "race comique" des courtisans (chap. 28); mais les rapports de la duchesse avec ses gens gardent un caractère singulièrement féodal. On demeure perplexe, en somme, devant le message politique de ce roman écrit par un partisan des Jacobins. Il faut se souvenir, pourtant, que Stendhal n'en était pas sur ce chapitre à une contradiction près. Lui qui aimait le peuple n'aurait pu, à l'image de Fabrice, vivre parmi lui. Il observa souvent que la tyrannie d'un prince servait de rempart contre la tyrannie de l'opinion, qui rend les régimes démocratiques insupportables. La Chartreuse de Parme, enfin, est un roman de l'individu, où l'élévation de l'âme n'a que faire des étiquettes politiques.
Balzac, dont le compte rendu paru dans la Revue parisienne est très élogieux, reprochera à Stendhal de n'avoir pas commencé son récit par "sa magnifique esquisse de la bataille de Waterloo", quitte à revenir en arrière pour évoquer ensuite le début de la vie de Fabrice. Mais Stendhal a pour habitude d'aller de l'avant, improvisant au fur et à mesure (un critique a heureusement comparé le déploiement de la Chartreuse à celle d'un chorus de jazz). L'ouvrage, observe encore Balzac, "ne perdrait rien à ce que l'abbé Blanès disparût entièrement". C'est méconnaître, cette fois, l'un des caractères principaux du roman. Les prévisions de l'abbé inscrivent les événements, du moins ceux de la vie de Fabrice, dans une destinée. Ainsi Stendhal, longtemps anticlérical et irréligieux, se conforme-t-il par sympathie pour ses héros aux superstitions de l'âme italienne. Ainsi encore Clélia peut-elle tricher avec son voeu de ne jamais revoir Fabrice en le rejoignant dans l'obscurité: cet accommodement ne suscite aucune ironie de la part du narrateur. Si Stendhal prit en haine le catholicisme et particulièrement les jésuites, c'est parce qu'après la mort de sa mère la religion s'incarna à ses yeux dans l'affreuse tyrannie de son précepteur, l'abbé Raillane. En lui restituant magiquement la patrie maternelle, la Chartreuse absout les péchés de la religion et lui rend les couleurs de l'innocence.
La Chartreuse de Parme est, avec Armance et le Rouge et le Noir, l'un des trois romans achevés de Stendhal. Il est vrai que la narration se hâte curieusement, aux dernières pages, vers son dénouement. Les exigences de l'éditeur ne suffisent sans doute pas à expliquer cette rapidité. Stendhal fournit-il un indice en confiant qu'il avait en vue, quand il a écrit la Chartreuse, la mort de Sandrino, le fils de Fabrice et de Clélia? Mais celle-ci est si rapidement évoquée à l'avant-dernière page qu'elle renforce plutôt le soupçon que la fin de l'histoire n'a pas eu l'ampleur que Stendhal prévoyait de lui donner. On se résigne mal, pourtant, à l'idée qu'il ait écourté l'intrigue pour de simples raisons commerciales. On verra volontiers la vraie fin du roman, avec Jean Prévost, dans le "Entre ici, ami de mon coeur" prononcé par Clélia (chap. 28). Quand les amants ont atteint un impossible bonheur, il reste à Stendhal à le défaire pour que l'histoire atteigne au tragique. De la lumière des premiers chapitres, le roman a viré au noir (chapelle de marbre noir où se retrouvent les amants, à laquelle se serait ajoutée une "chartreuse noire" si Stendhal s'était tenu à cette idée qui l'effleura en cours de rédaction ). "On ne peut pas apercevoir distinctement la partie du ciel trop voisine du soleil", disait-il dans la Vie de Henry Brulard (chap. 47) avant d'interrompre son récit. A l'inverse, il abrège la Chartreuse quand celle-ci s'est revêtue de teintes trop sombres. Pour l'essentiel, le récit a pris, à en croire Stendhal lui-même, les couleurs des tableaux du Corrège, dont les "grandes ombres, [...] nécessaires à faire valoir les clairs, [...] ont par elles-mêmes des grâces charmantes et qui jettent dans une douce rêverie" (De l'amour, chap. 31).
Il accueille avec une vraie joie l'article de Balzac. "Je n'avais jamais songé à l'art de faire un roman", avoue-t-il. Ce n'est pas feinte modestie, puisqu'il entreprend aussitôt de retoucher son style. Ces corrections, qui figurent sur l'exemplaire Chaper (détenteur du manuscrit), ont été reprises, mais en notes, par toutes les bonnes éditions critiques; parfois elles corrigent une obscurité, plus souvent elles alourdissent le trait et confirment que l'art de Stendhal est fait d'abord de liberté et de spontanéité.
Et voici que, ironie du sort..
Pourquoi ? peut-être parce que la "poésie"de l'aventure humaine n'est plus suffisante pour combler certaines frustrations.
Lucian Freud mettait dans son exercice de la chair mise en avant toute la détresse de l'être humain, détresse et fascination.
Je pense à Monet paignant les reflets de la lividité post mortem sur le visage d'une de ses proches
Bacon et tant d'autres ont exploré ce qui me fascine moi aussi.
Je veux dire que l'acte de peindre et dans ce cas là aussi dans le plaisir de faire.
Etude pour un corps livide 100x80 gegout©adagp
portrait en pied de dieu 145x110 gegout 2009©adagp
que les artistes peuvent contourner. Même si les pulsions sont parfois aussi fortes,
le fameux passage à l'acte se fera de façon détournée, pourtant la violence est là rampante..