« L’enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux manières de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »![]()
Italo Calvino, Les villes invisibles –
Le spectacle que nous avons vu décrit les cendres d’un XXe siècle honni, pour ses « progrès » fallacieux, ses litanies de -ismes de tout bord - bons et méchants, de l’impressionnisme au fascisme et au bolchevisme - son hypocrisie plus féroce encore que celle du XIXe siècle, à en croire l’auteur de ce texte qui nous est apparu comme un vrai martyre, et dont nous sommes ressortis avec un goût désagréable de cendres.
Selon l’auteur tchèque Patrik Ourednik, le XXe siècle s’était mis en tête la quête du paradis sur terre, sabrant ici et là le sentiment religieux, proposant la consommation comme horizon unique, promettant richesse et confort pour tous, comme on le faisait de la lecture pour tous au temps jadis !
La texture du texte - si texte il y a - est un amas tourbillonnant de redites dans tous les registres, un fatras de propos de café de commerce, secoué en tous sens dans la machine à laver du Temps et de l’Histoire où la chronologie est sans cesse dépecée ! L’accumulation d’aller-retours dans le temps s’avère artificiel et fort irritant car sans objet, sans fil rouge à part cette phrase récurrente « Et les sociologues disaient… » qui heureusement -échappatoire savoureux- se transformait régulièrement en « Et les loulous chantaient…un truc qui’m colle encore au cœur et au corps... » dans notre imaginaire désespéré.![]()
... Bribes savoureuses de « Rockollection » de Laurent Voulzy, homme heureux et lucide. Heureusement donc pour l’imaginaire, envolé loin des poncifs et des platitudes déversées sur scène. Par politesse on ne s’enfuit pas, mais ce texte a eu le don d’irriter plus d’un spectateur. Mais personne, c’est peut-être la conclusion ou la gageure, n’a vraiment envie de faire la révolution, C’est peut-être cela le problème, ou l’enjeu car personne ne semble avoir autre chose à proposer !
Venons-en à l’interprétation banale, terreuse et même pathétique, sans innovation et largement ennuyeuse de la comédienne Anne-Marie Loop dont la voix d’institutrice déclinante aurait pu avoir plus de charme ! Pourquoi transformer la comédienne en clown triste ou en majorette fatiguée ? Pourquoi utiliser un micro sans aucune raison évidente ? Cela devient un tic dans les seuls en scène ! Pourquoi défiler des vidéos expressément inesthétiques et de mauvaise qualité sauf pour souligner le propos fétide de l’auteur ? Pénible pour le spectateur ! Une ligne franchement satirique aurait peut-être mieux convenu à ce texte délavé. Tout cela finit par donner une douce nausée… Effet voulu ? La présence incongrue d’un grand chien noir et velu pendant tout le spectacle ne nous remue pas le moins du monde, bien qu’il subisse comme nous, lui avec une belle dose de compassion, les élucubrations en cours en mal d’humour.
![]()
Le spectacle s'est donné au théâtre des Tanneurs en octobre 2015
Les faits, les courants, les théories s’y télescopent, au gré d’une sorte de flux continu, une litanie sans ennui ni monotonie, sans souci non plus ni de hiérarchie ni de chronologie. Un tourbillon vertigineux et où sans cesse surgissent des bifurcations, des ruptures, des relances.
Ce texte dru, contenant peu de ponctuation, a séduit Virginie Thirion par son ton à la fois sérieux et ludique, sa traversée sans pesanteur de questions capitales, sa fantaisie aussi.
Outre la condition féminine, qui est l’un des fils rouges de sa lecture, il y a "l’historique de tous les ‘mieux’ envisagés par l’humanité tout au long de ce siècle". Mais aussi, souligne la metteuse en scène, "l’échec des grands mouvements politiques européens", ou encore "les grands traumatismes du XXe siècle".
A l’origine du projet, Virginie Thirion a travaillé comme pour ses mises en scène précédentes dans l’échange d’idées et de propositions avec l’acteur - l’actrice en l’occurrence, et non des moindres.
Anne-Marie Loop, comédienne au théâtre et au cinéma, professeur à l’Insas, voix de radio et de dessins animés, fait sien ce texte hors normes. A la manière d’une Madame Loyal, elle décroche le rideau rouge de cette "Brève histoire du XXe siècle" pour révéler la scénographie simplissime et astucieuse de Sarah de Battice, avec son gradin à claire-voie, ses petits accessoires, ses fugaces mais puissantes projections. Et son chien placide comme témoin de ce voyage dans l’espace et le temps, de cet inventaire digressif où il est question de gaz moutarde et de papier hygiénique, du vote des femmes et du talent des hommes pour la franche camaraderie, de Buchenwald et de sexe tarifé par téléphone, d’enfant roi et de télégraphie sans fil...
La musique, discrète, d’Eric Ronsse, les lumières, subtiles, d’Eric Vanden Dunghen, habillent avec finesse ce monologue vertigineux porté en toute simplicité par une très grande actrice.
Bruxelles, Tanneurs, jusqu’au 31 octobre, à 20h30 (mercredi à 19h). Durée : 1h20 env. De 5 à 12 €. Infos & rés. : 02.512.17.84, www.lestanneurs.be
http://www.lestanneurs.be/presse/europeana
http://www.lesuricate.org/europeana-aux-tanneurs/
http://plus.lesoir.be/10518/article/2015-10-23/leurope-passee-au-shaker
http://www.ruedutheatre.eu/article/3152/europeana-une-breve-histoire-du-20e-siecle/
Voilà un spectacle franc, ingénu et vrai. Plein de sel comique et émouvant ! Avouons-le, au départ on n’était pas trop partants pour un énième seul en scène sur le vivre ensemble. L’actualité nous rabâche assez de chapelets de violences, pour plonger une fois de plus dans le politically correct et remâcher indéfiniment nos infâmantes réalités. Mais voilà le sourire de RODA et sa quête d'identités. Un Roméo ? Roda on the road. What’s in a name ? A l’endroit ou à l’envers ? On le découvre un être totalement à l’aise sur le plateau et on l'ADOR, le cœur à l'endroit ou à l'envers. Le nom n'a rien à voir pour ceux qui, malencontreusement, penseraient à la margarine, bien sûr. Sautez plutôt dans la fraîcheur d’un conte moderne, racines à l’air. Du cèdre du Liban au sapin de Noël, une forêt entière y passe ! En passant par les oliviers made in Italy, ou presque!



Un texte bourdonnant qui semble donner la main à Baudelaire et Turner tout à la fois! Et Daumier quand il campe ses personnages. Vibrant et foisonnant, ce spectacle est phénoménal – on n’a jamais autant convoqué un monde visuel, auditif, tactile et olfactif dans une telle stridence. Cela a le souffle du pur genre épique mais c’est tout autant du picaresque moderne. Vous serez chahutés. Tempête de mistral y compris ! Et bien que le sublime comédien nous plonge au cœur d’une orgueilleuse Belle Epoque, ce sont les angoisses propres à notre temps qui émergent avec la force des cris d’un homme qui se noie… Prodigieux. De belles musiques (Debussy), une bande sonore et des lumières intelligentes accompagnent et surprennent. A l’affiche du Théâtre Jean Vilar, jusqu’au 18 octobre, en alternance avec « La danse du Diable », son autre spectacle que l’on dit encore plus stupéfiant. Mais de qui, direz-vous ? Celui de Philippe Caubère , peuchère, l’immense comédien.
Intense, aigu, sensible, Eric-Emmanuel Schmitt en montant sur scène ne peut que donner une résonnance unique, limpide et juste à son magnifique texte. Ses qualités de comédien font vivre chaque phrase comme de la poésie vivante d’un conte d’une profonde sagesse et personnifie avec grande délicatesse l’amour qu’il met en scène. Il campe chaque personnage avec virtuosité époustouflante. On le sent avoir la passion du théâtre, celle qui ne vise qu’à donner à l’autre du bonheur. Il est lui et les autres, imaginaires, tout à la fois et nous livre un témoignage brûlant d’humanité et de vérité.