Histoire vraie d’un artiste français qui adora La Vestale jusqu'à s'aller tuer pour elle, d'un balle dans la tête! Berlioz raconte: « On doit donner encore la Vestale... que je l’entende une seconde fois !.... Quelle œuvre !... comme l’amour y est peint !... et le fanatisme ! Tous ses prêtres-dogues, aboyant sur leur malheureuse victime... Quels accords dans ce finale de géant !... Quelle mélodie jusque dans les récitatifs !... Quel orchestre !... Il se meut si majestueusement... les basses ondulent comme les flots de l’Océan. Les instruments sont des acteurs dont la langue est aussi expressive que celle qui se parle sur la scène. Dérivis a été superbe dans son récitatif du second acte ; c’était le Jupiter tonnant. Madame Branchu, dans l’air : Impitoyables dieux !, m’a brisé la poitrine ; j’ai failli me trouver mal. Cette femme est le génie incarné de la tragédie lyrique ; elle me réconcilierait avec son sexe. Oh oui ! Je la verrai encore une fois, une fois... cette Vestale... production surhumaine, qui ne pouvait naître que dans un siècle de miracles comme celui de Napoléon. Je concentrerai dans trois heures toute la vitalité de vingt ans d’existence... après quoi... j’irai... ruminer mon bonheur dans l’éternité. » C’est dire si à l’époque (1807), La Vestale de Gaspare Spontini avait ravagé les cœurs!
On la retrouve en 2015 au Cirque Royal de Bruxelles, un endroit de choix pour monter cette œuvre méconnue dont on ne se souvient que chantée en italien par La Callas. L’Orchestre de la Monnaie dirigé par Alessandro De Marchi œuvre à découvert, aux yeux du public dans une moitié de l’arène tandis que l’action se déroule en surplomb, dans l’autre moitié du cercle. Les costumes de Marguerite Bordat font plus penser à L’Antigone de Jean Anouilh qu’au théâtre antique. La mise en scène, signée Eric Lacascade et montée l'année dernière au théâtre des Champs Elysées à Paris, est très stylisée. Epurée et classique à la fois, elle donne le ton d’un drame intemporel.
Comme dans « Les pêcheurs de perles », on retrouve l’amour en butte à la bigoterie religieuse, le thème du bouc émissaire, mais aussi la brûlante liberté d’esprit de la victime expiatoire. Deux thèses en présence: « Le salut exige une victime» s’oppose à un autre camp « Le salut des états ne demande pas de crime », c'est celui des jeunes vestales (La Choraline, direction Benoît Giaux). On est glacé par la scène de lynchage qui s’apparente aux scènes insoutenables vécues au sortir de la deuxième guerre mondiale par ces femmes tondues, honnies et persécutées avec hargne. On respire d’aise et de bonheur à la fin du drame comme dans « La Clémence de Titus » que présentait La Monnaie la saison dernière. On ressortira du spectacle avec une certaine exaltation devant l’homogénéité de la représentation et la poésie du texte transmise avec une très belle diction, que ce soient les chœurs ou les solistes qui mettent en valeur la beauté lyrique lumineuse de l’œuvre.
Pureté du jeu, pureté du feu, un flambeau d’amour renaît des cendres de la haine. Le feu symbolise la régénération et la purification, par l’amour et la lumière. Alexandra Deshorties est excellente dans le rôle de Julia et brille de noblesse naturelle. Son jeu impressionne par la vérité de ses gestes. La tessiture de la voix plonge dans les registres inférieurs de la tragédie désespérée et fuse dans les registres supérieurs du bonheur et de la tendresse charmante et juvénile. La finesse de son, loin d’être un reproche, est au diapason de la pureté des sentiments et de la pureté de la voix. On se sent à la fois envahi par l’innocence, l’illumination palpitante du désir et la rage du désespoir, deux forces qui peuvent changer le monde.
Yann Beuron, dans le rôle de Licinus a des tempos justes et chaleureux, des phrasés éloquents, une puissance romaine naturelle dépouillée de toute mièvrerie, une ardeur de guerrier et d’amant passionné. Il célèbre également la vraie amitié et l’amour vrai qu’il éprouve pour sa Julia : « Je vis pour défendre ses jours ! » Il s’offre héroïquement pour la sauver tandis qu’elle a choisi de crier en vestale de l’amour, sa liberté dernière : celle de marcher avec fierté vers la mort et de taire le nom de celui qu’elle aime. De bouc émissaire elle devient martyre glorieuse. Leurs duos sonnent juste et touchent les coeurs. La voix rayonnante du pontife (Jean Teitgen) domine, impressionne, mais n’arrive jamais à réduire l’innocence de l’amour au silence. Il s’entoure d’une hypocrite escadre de soutanes noires parées de longues chevelures suant la jouissance de l’anathème et s’alliant les odieux mouvements de la foule versatile. C’est voulu et lourd de propos.
Chargée du rôle de la grande Prêtresse, la mezzo-soprano Sylvie Brunet-Grupposo est auguste et très crédible, n’hésitant pas à laisser fondre son cœur de mère dans un duo déchirant avant que Julia ne soit enterrée vivante. Sur scène, quelques bancs, ou longues tables mouvantes, et au centre le siège du feu sacré dans une cage qui sera celle de l’héroïne, entouré de jeunes vestales exquises vêtues de cheveux de feu et de robes blanches. La plus jeune a à peine 19 ans. Les mouvements fascinants et le lyrisme des chœurs très nombreux utilisent plus que leur espace scénique, ils jouent d’une certaine proximité avec le spectateur, de quoi les clouer dans l’émotion.
Une œuvre sans aucune lenteur, des rythmes enflammés, du désespoir palpable, la flamme immortelle de l’amour omniprésente, le tout serti dans un très beau travail de chœurs (Martino Faggiani), ne fait que contribuer à l’allégresse qui naît lorsqu'une performance est reçue comme un cadeau.
Crédit Photos: © Clärchen und Mattias Baus