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Peinture (239)

Terres sacrées, pierres de légendes

12273388053?profile=originalCoup de foudre sur la sierra
(paesine, marbre de Florence)

Pouvoir incantatoire des pierres, puissamment évocateur, jeux de la nature, obsidienne, miroir fumant de l’Aztèque, larmes d’Apache, agate, lithophyse, œuf de tonnerre, fulgurite, céraunie, glossopètre, pierre de foudre, cristal de roche, marbre, pietra paesina


Dans ces messages codés, ces signaux de fumée, ces traces laissées par le temps, j’y ai vu d’étranges correspondances…

12273388283?profile=original Pluie de cendres sur un monde perdu
Gioacchino Toma (1836-1891)
(huile sur toile, détail ; La pioggia di cinere a Napoli)

« Les roches elles-mêmes semblent bavarder, fraternelles,
débordantes de sympathie.
Ce qui n’a rien d’étonnant,
nous avons tous les mêmes père et mère. »,
                                                                                               John Muir (1838-1914)

Dès lors poursuivons le dialogue.

12273388656?profile=originalCoup de tonnerre sur les Chiricahua Mountains

(paesine, marbre de Florence)

Il y a très longtemps, par une violente nuit d’orage, Eclair à plusieurs reprises frappa Femme Peinte en Blanc. C’est ainsi qu’elle donna le jour à Enfant de l’Eau. Quand Eclair jugea qu’Enfant de l’Eau était digne d’être son fils, il lui fit don d’une telle force qu’Enfant de l’Eau put anéantir Géant. Ainsi le Peuple des Forêts, tels que les Apaches se nommaient eux-mêmes, put vivre tranquillement, chassant, cueillant pour subvenir à ses besoins.

(Légende apache)

 

On dirait une terre d’orage

Levée en plein ciel

Une terre de rouille et de ruine

D’ombre

Et de marbre

 

Quelque chose de brutal et d’injuste

En pleine nature

Presque une vengeance       sauvage

De l’homme

Comme revenu de lui-même

Arnauld Pontier, Marbre, 2007

 

12273388869?profile=originalTerre apache

(paesine, marbre de Florence)

Cette pierre, née du hasard, ressemble étrangement au mont Graham.

Même profil que cette montagne sacrée, le « Mont Assis » des Apaches,

 Dzit Ncha Sí Án

« Ici, sur cette terre éternellement jeune et formidablement ancienne, [l’homme] se sent à la fois plus petit et plus grand. Ses yeux ont une portée exceptionnelle, car ils sont confrontés avec des choses qui se trouvent dans l’espace depuis des millions d’années. »,

                                                                                         Elliott Arnold (1912-1980)

« Les actes accomplis et les mots prononcés se sont immédiatement pétrifiés, comme l’exigeait une loi mystérieuse,

à jamais incompréhensible. »

id.

 

12273388696?profile=originalLe chant de la foudre

(paesine, marbre de Florence)

C’est aux sommets des monts Graham, Turnbull, Chiricahua et White Mountain, avec le grondement du tonnerre, que viennent se réfugier les nuages et les Êtres Tonnerres. C’est à eux que les Apaches adressent leurs prières. Gibier, récoltes, pluie, longue vie…

Alors les Gans, les Esprits de la Montagne, « ceux qui ne meurent pas », les envoyés d’Usen, le Grand Esprit des Apaches, le donneur de vie, purent danser.

(d’après les textes recueillis et traduits par Claude Dordis, in Voix des Apaches)

 

12273389874?profile=original Crown Dancer

Septaria (San Sebastian, Guipuscoa, Espagne)

(concrétion marneuse indurée dont les veines de rétractation sont emplies ici de calcite)

Le danseur couronné incarne le Gan, l’Esprit de la montagne.

Il « invoque et danse autour du feu et éloigne la maladie.

Il chasse le maléfice et apporte le bien. »,

Elliott Arnold.

Je suis l’Eclair éblouissant et éclatant,

La vie se tient là, dans sa coiffe,

Dans le cliquetis de ses pendentifs il y a la vie,

On entend ce bruit et il résonne

Et mon chant entoure les danseurs

Et les protège.

C’est le chant de la vie sous le soleil.

 

12273390098?profile=original Hilili

Bois flotté (ramassé pour être honnête sur une plage de Crète)

Les Crown dancers sont souvent cinq, quatre Gans représentent les points cardinaux et un clown sacré.

Koyemsi, le clown sacré des Hopis, introduit d’un cri l’entrée du

maître de cérémonie, Hilili

Riez, tremblez…

 

12273390688?profile=originalGrés de Kanab

(Utah, Etats-Unis)

 

12273390490?profile=originalMonument Valley

(Agate paysage du Brésil)

Vision panoramique, profondeur de champ, dans un technicolor éblouissant, on se projette dans un film de John Ford. Les vastes étendues entre Arizona et Utah, tout ça dans moins d’un millimètre d’épaisseur et dans la dimension d’une vignette (4 x 2,8cm).

 

« C’est un miroir merveilleux qui, à un moment donné,

a reçu l’empreinte et reflété l’image d’un grand spectacle…

la vitrification de notre planète. »,

George Sand (1804-1876)

 

12273391673?profile=original Esprit de la Montagne

Bout de terre sacrée

Grès de Monument Valley ramassé au pied d’une butte au cœur du

 Territoire Navajo.

 « Le moindre caillou, niché au fond d’une poche, peut représenter un instant de mémoire absolu. »,

Maurice Rajsfus (1928-2020)

 

 

 12273391295?profile=originalPeinture sur sable Navajo

Phil & Lucinda Benally, Indiens navajos de Shiprock (Nouveau-Mexique)

Le peuple Navajo croit en un monde d’équilibre.

Mais l’homme peut le renverser, provoquant désastre ou maladie. L’homme-médecine peut tenter de rétablir cet équilibre naturel et guérir celui qui y a contrevenu par des herbes, des prières, des peintures sur sable qui seront dispersées par le vent.

Et des chants.

Ho – Na – Dzon – Age – Ne – Yo

Où sont passés tous les miens ?

Chant de Geronimo

 

12273392669?profile=originalYo – l’oiseau

Agates (lithophyses de l’Esterel, Var)

 

12273393684?profile=originalKokopelli

Fac-similé d’un pétroglyphe anasazi incisé dans le grès acquis auprès d’un indien Hopi au Canyon de Chelly (Nevada, USA).

Courbé par la vieillesse et jouant de la flûte, Kokopelli symbolise la virilité masculine autant que l’humidité bienfaisante et féconde de la saison des pluies pour les peuples indiens du sud-ouest des Etats-Unis.

 

12273393890?profile=originalKachina

Hopi (XXe siècle. Racine de yucca, plumes, cuir)

Kachina-Aigle (?).

Les Kachinas-Oiseaux sont des esprits intercesseurs des dieux très aimés des Hopis. Ils dansent en poussant des cris stridents lorsqu’ils entrent dans la kiva (espace cérémoniel).

Ces poupées magiques fascinèrent les surréalistes, notamment Max Ernst et André Breton. Ce dernier, en juillet 1945, sillonna le Nevada, l’Arizona et le Nouveau Mexique, rencontra les Indiens Hopi, collecta ces Kachinas. Effigies des forces de la nature, règnes animal, végétal, minéral.

 

 

12273394478?profile=original Three Mesas, les ruines d’un monde

ou les veines ouvertes de l’Amérique indienne

Septaria

(les fentes de rétractation sont ici juste saupoudrées de pyrite)

 

 

12273395077?profile=originalCrépuscule indien

Jaspe paysage

Comme dans le Joueur de flûte de Hamelin,

 traités et promesses ne furent guère tenus.

On finit par les parquer dans des réserves

Terme de la Longue Marche Tragique

des Navajos et des Apaches

Piste des larmes

des Cherokee

Soleil Hopi.

12273395469?profile=originalPointe de lance indienne

Jaspe.

Utah

 

12273395500?profile=originalGrés paysage

Finitude d’un monde enclavé, étranglé

sur lequel je pleure.

12273395895?profile=original Politique de la terre brulée

Un monde aujourd’hui renait, déterminé.

Grés (Etats-Unis)

 

Apache sèche tes pleurs

Sur la piste

une étoile

a déposé

une fleur

un calice

Pour qu’au firmament

Terre et Hommes puissent

Passer la voute du temps.

M. L.

 

12273396690?profile=originalThunder egg

(lithophyse « œuf de tonnerre », Oregon)

 

12273397478?profile=originalGrés

Mais que sont les mots pour le temps…

 

12273397885?profile=originalLithophyse

Ce temps qui, tel Cronos le Titan, dévore ses enfants.

Cronos armé de sa faucille, Zeus tenant la foudre.

Tous les hommes sont de la même terre pourtant.

 

« Les oiseaux quittent la terre avec leurs ailes,

et nous, les hommes, pouvons également ce monde,

non pas avec des ailes, mais avec l’esprit. »,

Black Elk (1863-1950),

homme-médecine des Lakota oglala

 

Pour vous conter cette histoire j’ai nourri mon imaginaire de ces curieuses formes minérales, quand « la nature imite si bien les productions de l’art » (Patrin) autant que l’art semble imiter la nature.

12273398098?profile=originalPierre de Florence (Pietra paesina)

Peint par Jacques Deseve, gravé par Gérard-René Le Villain pour l’

Histoire naturelle des minéraux de Eugène-Melchior-Louis Patrin (1742-1815)

 

Michel Lansardière

(texte et photos)

 

Glossaire :

Obsidienne : roche volcanique vitreuse

Miroir fumant : miroir divinatoire en obsidienne destiné à invoquer le dieu Tezcatlipoca.

Larme d’Apache : obsidienne guttulaire.

Agate : quartz microcristallin, une calcédoine déposée en couches très graphiques et aux couleurs contrastées.

Lithophyse : nodule d’origine volcanique empli d’agate.

Œuf de tonnerre : lithophyse où l’agate forme souvent une étoile à cinq branches (thunder egg de l’Oregon).

Fulgurite : tube de silice creux formé par la foudre frappant le sable.

Céraunie : objet que l’on croyait d’origine céleste (cela pouvait être une hache de pierre préhistorique, un minéral comme la marcassite, une météorite, un fossile, bref une étrangeté dont on ne comprenait pas l’origine).

Glossopètre : encore un objet que l’on croyait tombé du ciel (nous sommes Gaulois que diantre ! Il s’agissait en fait d’une dent de requin fossile ou d’une pointe de flèche du temps d’avant Taranis).

Pierre de foudre : synonyme de céraunie.

Cristal de roche : quartz transparent et incolore.

Marbre : calcaire métamorphique, cristallin.

Pietra paesina : la paesine (ou pierre de Florence) est une forme de marbre au graphisme pouvant évoquer une ville en ruine (« pierre aux masures », marbre ruinatique). Très prisée à la Renaissance, on la trouvait fréquemment dans les cabinets de curiosités.

 

Nota : Murillo a peint sur obsidienne, des « miroirs fumants » d’origine aztèque ; Orazio Gentileschi, Antonio Carrache, le Cavalier d’Arpin ou Antonio Tempesta sur lapis-lazuli ; Filippo Napoletano, Francesco Ligozzi, Jacques Stella sur paesine… Après tout où trouver plus belle palette que notre planète.

Dans mes compositions seule la nature a œuvré (un sciage a suffi pour en révéler la subtilité, et un polissage parfois pour en sublimer la beauté), laissant libre-cours à l’imagination.

12273398875?profile=originalPeinture sur paesine (Toscane, début XVIIe)

« Il n’y a pas de miracles.

Plutôt tout est miracle. »,

                                                                                        Saint François d’Assise

M. L.

 

 

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12273350479?profile=originalEmilio Baz Viaud

Mexico, 1918-1991

Autoportrait de l’artiste adolescent

(aquarelle et brosse, 1935)

 

« Que dire de ce que l’on aime

et comment le faire aimer ? »,

André Breton

(préface au catalogue de l’exposition « Mexique », 1939)

 

Avec les Contemporáneos d’autres figures s’imposent…

 

      Trois billets pour faire pendant aux « Trois Grands », voilà qui n’est finalement pas trop pour une telle mosaïque de talents. Et atteindre « la réalité magique d’une autre culture » perçue par Antonin Arthaud.

      En marge du muralisme, on trouve les Contemporáneos, moins idéologues, poètes sans papiers. Alors on colle des étiquettes. Bien pratique pour écrire mon papier, le rendre apparemment plus cohérent, mais pas toujours très juste. On adhère ou pas, les groupes sont poreux, les artistes  évoluent et sont souvent inclassables, à contre-courants.

A défaut on parlera de modernisme, teinté de régionalisme, pour un peintre comme Jesús Helguera (1910-1971) par exemple, d’un symbolisme très nationaliste.

 

12273351096?profile=originalJesús Helguera

Patrie

(photo captée sur le net)

 

Mais place à deux représentants dûment estampillés Contemporáneos :

 

12273352067?profile=originalFrancisco Zúñiga Chavarria

San José (Costa Rica), 1912-Mexico, 1998

Nus au drap

(huile sur toile, ca 1938)

 

12273351895?profile=originalAlfonso Michel

Colima, 1897-Mexico, 1957

Nature morte

(huile sur masonite, 1956)

 

12273353093?profile=originalAlfonso Michel 

Nature morte

 (huile sur toile, 1954)

 

Parallèlement on croise des surréalistes ou apparentés, dont nous avons déjà rencontré quelques porte-paroles. Ici, avec ce « sens inné de la poésie, de l’art » (Breton), la terre est fertile.

 

12273353676?profile=originalManuel Rodriguez Lozano

Mexico, 1896-1971

Nu

(huile sur toile, 1935)

 

« Ô ciel de terre ô mer agile
Encerclée de corps
Ô légitime soif pavée de courbes
Timide si la peau qui brille
Perle en toute délectation
Sous la fumée vibratoire de la chaleur des étoiles
Invisibles »
,

César Moro

 

12273354272?profile=originalGunther Gerzso

Mexico, 1915-2000

Paysage

(huile sur masonite, 1955)

« Dans chaque tableau de Gerzso, il y a un secret invisible. »

« Géométries de feu et de glace bâties sur un espace qui se déchire :

 suspension des lois de la pesanteur. »,

Octavio Paz

 

Auxquels on pourra ajouter Jesús Reyes Ferreira (1880-1977), dit Chucho Reyes, autodidacte à la verve poétique.

 

      Jusqu’à… la Ruptura. Groupe aux contours flous d’artistes qui voulaient simplement affirmer leur liberté de créer, offrant ainsi des perspectives quelque peu discordantes et novatrices. 

 

12273354489?profile=originalAlberto Gironella

Mexico, 1929-1999

Reine à la tête de chien

 (huile sur toile, 1961)

Peintre du « radicalisme passionnel » selon Octavio Paz,

« meurtres et résurrections » seraient les « rites interminables de la passion », « une étreinte qui serait un combat »,

pratiquant l’art du détournement

 (ici de La reine Marianne d’Autriche de Diego Vélasquez),

 un peu à la manière de l’Espagnol Antonio Saura,

sans parler de Picasso, ou du Britannique Francis Bacon.

Ou déviant peut-être même Francis Picabia (1879-1953) dessinant « Le portrait de la reine du Pérou » et décrivant ces chiens qui « n’eurent bientôt d’autre ressource que de manger leurs maîtres », lorsque « l’un d’eux apporta dans la hutte de Dingue la tête de l’Indienne dont il était amoureux. » « Alors, prenant la tête de la femme de la gueule du chien, il s’amusa à la lancer. » Association inconsciente ? Hasard objectif ? Travail onirique ?

Le fait est que La reine Mariana de Gironella, un assemblage très Dada comprenant une tête de chien naturalisée, et Le double monde de Picabia ornaient le mur de l’atelier d’André Breton.

Association libre

Apparentement terrible

Etrange coïncidence…

12273355072?profile=originalQuentin Garel (né en 1975)

Orang-outan

(bronze, 2014)

 

Refermons notre polyptyque consacré au Mexique. Mais, avant cela…

Quid du Mexique aujourd’hui ? Que dire qui n’ait déjà été dit ?

 

      Mexico, cœur palpitant d’une autre Amérique, n’en finit pas d’inventer son propre langage pictural et il faut au moins citer d’autres de ses enfants turbulents de l’art contemporain, tels Juan Soriano (1920-2006), Pedro Coronel (1923-1985), son frère Rafael Coronel (né en 1931), qui fut le gendre de Diego Rivera, Manuel Felguérez (né en 1928), José Luis Cuevas (1934-2017),  un « tempérament extraordinaire, doublé d’une maîtrise innée » (O. Paz), Gabriel Mocotela (né en 1954), Julio Galán (1958-2006), Gabriel Orozco (né en 1962)…

      Une nouvelle génération, de peintres juchitecos notamment (les Juchitecos de l’état d’Oaxaca forment une communauté de langue zapotèque. Une société matriarcale où la femme gère la cité aussi bien que le foyer), assure également la relève. Parmi eux, mentionnons Francisco Toledo*1 (1940-2019), Oscar Martinez Olivera (né en 1951) ou Sabino Lόpez Aquino (né en 1960).

Sans compter les graffeurs et leurs muraux que nous avons découverts au précédent chapitre.  De nouvelles fenêtres s’ouvrent en ce vingt-et-unième siècle. Murs et façades se couvrent de soleils aérosols.

 

Gaffe... des graffeurs fous, des graines d’Aztèques vous brusquent de frasques en fresques…

« Pour la fierté de ton peuple, sur le chemin des anciens et la mémoire des oubliés. »

12273355481?profile=originalTlacolulokos (Dario Cánul et Cosijosea Cernas)

(acrylique sur toile, 2017)

(photo captée sur le net)

12273328286?profile=original

Les murs qui, chacun sait, ont des oreilles questionnent comme le fit Atahualpa Yupanqui (1908-1992) dans ses Preguntitas sobre Dios*2

« Grand-père est mort dans les labours

Sans prière ni confession

Et les Indiens l’ont enterré

Flûte de roseau et tambour. »

 

12273356893?profile=originalSaner

 (photo Steve Welnik)

 

      Parmi ces agitateurs de l’art urbain contemporain mexicain, Edgar Flores, né en 1981, alias Saner, est sans doute l’un des plus en vue avec ses personnages aux couleurs vives, ses masques et crânes inspirés d’un folklore local revisité. Il a collaboré avec Carlos Alberto Segovia Alanís, connu sous le pseudo de Sego (ou Ovbal pour ses œuvres abstraites), qui, quant à lui, hachure des créatures très organiques assez proches de ce que réalisait Mœbius (Jean Giraud dit, 1938-2012), lui-même imprégné par les paysages désertiques du Mexique, pays où longuement il séjourna. Une mention pour Stinkfish, né au Mexique en 1981 également, qui pratique une forme de guérilla urbaine dans un style « tropical psychédélique » à partir de photos détournées d’anonymes, mais il vit et travaille essentiellement en Colombie.

      Je taguerai quand même que de trouble à l’ordre public avec ces vandales, on est passé de perturbateurs à animateurs de cités ayant, pour certains, pignon sur rue. Des excitateurs d’un marché toujours très réactif qui mettent en effervescence les investisseurs, puisque parait-il, je ne suis ni critique ni conseilleur, c’est de la bombe.  « İ Santa Tortilla ! », comme dirait Speedy Gonzales.

 

12273357653?profile=originalSego y Ovbal

 

      Signalons enfin un peintre à l’hyperréalisme assez bluffant, Omar Ortiz, né en 1977 à Guadalajara, la capitale de l’Etat de Jalisco au centre-ouest du Mexique, et, dans un style assez proche, Enrique García Saucedo, né en 1971. A côté de ces artistes déjà confirmés, d’autres peintres émergent, tels Guillermo González Elizondo, Fernando Islas Cervantes, Diana Obdulia Montemayor Chapa, Diego Salvador Rios. Ou, dans le sillage de Posada, le prometteur illustrateur Carlos Lara, né en 1985. Etc. Cha-cha-cha.

 

      Voilà, en dix longs articles et une centaine d’illustrations, un tableau, ma foi assez complet (un bon gros livre en somme, inédit, accessible, libre et gratuit), de la peinture mexicaine au vingtième siècle, qu’il ne faut certes pas réduire à une ou deux figures plus charismatiques ou médiatiques, encore moins à une vision uniquement tournée sur l’Europe ou lorgnant exclusivement vers les Etats-Unis. On a trop chanté le parisianisme et l’Amérique. C’est aussi notre façon de faire tomber les murs (seules valent les cimaises, pas les cloisons), nuancer notre point de vue, réviser nos codes. Alors…

On oublie tout.

Sous le beau ciel de Mexico

Pour connaître…

Une aventure mexicaine
Sous le soleil de Mexico…

 

Mexico, Mexico...
Sous ton soleil qui chante,
Le temps paraît trop court
Pour goûter au bonheur de chaque jour.

Raymond Ovanessian, dit Vincy (1904-1968)

Adios amigos…

 

12273358055?profile=originalFrancisco Ángel Gutiérrez Carreola

Oaxaca, 1906-Mexico, 1945

L’adieu

(La despedida ; huile sur toile, 1939)

Dans le jargon tauromachique, la despedida

c’est aussi l’adieu du torero à l’arène.

Finie la corrida, il se fait alors couper la coleta,

une mèche derrière le col, signe distinctif de sa corporation.

 

Quoique, avant de tirer ma révérence, j’aimerais tant voir Veracruz et

« Les chiens noirs du Mexique

Qui dorment sans rêver. »

Boris Vian (1920-1959)

Quand les Juchitecos pensent que les chiens hurlent à la mort quand ils sentent la présence du démon et que fumer une cigarette éloigne le mal… Lointaine réminiscence de cette légende aztèque qui voulait que le xoloitzcuintle, ce chien nu mexicain qui était censé conduire les âmes jusqu’au Mictlan, le territoire des morts, et dont le nom même dérive du dieu cynocéphale Xolotl.

« La mémoire peut être un piège :

elle se croit réminiscence alors qu’elle est prémonition.

Il y a des moments où nous confondons nos souvenirs avec nos désirs. »

Carlos Fuentes (1928-2012)

 

Michel Lansardière (texte et photos)

 

*1 L’artiste juchiteco  Francisco Benjamin Lόpez Toledo s’est éteint le 5 septembre 2019 à Oaxaca alors qu’une vaste rétrospective (« Toledo Ve », « Toledo voit »), lui était consacrée au Musée National des Cultures Populaires de Mexico. Une reconnaissance pour ce peintre discret, la culture et la terre zapotèque qu’il défendait.

12273357892?profile=originalMe quito y me pongo arrugas como quiero

Petit hommage en images à celui qui décollait et avait des rides sous les yeux :

12273358489?profile=originalAutoportrait

*2 Ces Questions concernant Dieu du poète argentin ont été popularisées au Mexique par la grande Chavela Vargas (1919-2012). Elle fut l’amie de Diego Rivera et de Frida Kahlo.

 

Ce billet clôt, après plus de trois ans de recherches, une série de dix sur l’Ecole mexicaine de peinture, présentés en exclusivité sur Arts et Lettres. Ces dix billets couvrent près de deux siècles de peinture mexicaine, de 1850 à 2020 là où les meilleurs catalogues ne prennent en compte que la période 1900-1960.

Donc, si vous voulez voir ou revoir…

Une présentation générale de la peinture mexicaine du vingtième siècle :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-tres-grandes-rivera-orozco-siqueiros-1-re-partie-que-viva

Les « Trois Grands » :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres-grandes-2e-partie

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/jos-clemente-orozco-los-tres-grandes-3e-partie

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/david-alfaro-siqueiros-los-tres-grandes-4e-partie

Frida Kahlo et les autres femmes peintres du Mexique :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-1-re-partie-frida-kahlo

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-2e-partie-frida-mar-a-olga-rosa-et-c

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-rebelles-3e-parie-alice-lilia-leonora-remedios-au

Les autres peintres mexicains du vingtième siècle et au-delà, le muralisme, le surréalisme, le stridentisme… :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-jos-david-et-les-autres-que-viva-mexico

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-otros-para-nosotros-diego-jos-david-et-les-autres-que-viva

 

Fin

« Les mexicains aiment avoir le cœur brisé. Ça leur fait ouvrir de grands yeux et ça les rend tristes… et ils aiment ça. »,

Elliott Arnold (1912-1980)

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Raphaël : un trait de génie

12273335101?profile=originalLa Vierge assise avec l’Enfant et le petit saint Jean-Baptiste
Dessin préparatoire pour La Belle Jardinière,
un chef-d’œuvre exposé au Louvre.

      Inutile de vous présenter Raffaello Sanzio (1483-1520), il est un des artistes les plus célèbres de la Renaissance italienne, de la Sainte-Trinité de Vinci, Michel-Ange, Raphaël. Laissez-vous simplement guider par la main du Maître dont on fête cette année le cinq centième anniversaire de la disparition.
Tout paraît en effet si simple, si évident, il est si doué. Il a tout compris, tout assimilé, tout est allé si vite, mort si jeune, à 37 ans tout juste, il a tant produit…
Alors juste s’attarder sur son trait, avec en contre-point quelques tableaux, dont les trois conservés, véritable trésor, par le musée Condé de Chantilly (Oise). Et comme une exceptionnelle exposition, la seule organisée en France à cette occasion, lui est consacrée jusqu’au 20 août 2020, profitons-en…

12273336085?profile=originalUn ange passe…
Trois études d’un ange volant.
Sanguine

Grâce (grazia) et équilibre.

      Tel pourrait se qualifier le style de ce maître de la Renaissance italienne. Et le cabinet d’art graphique du château de Chantilly où ces dessins sont réunis nous donne l’occasion de flâner.
Aussi, comme je l’ai dit, je ne m’attarderai pas sur sa biographie, pas davantage sur l’œuvre peinte, sa technique… Non, juste rêver en sa compagnie.

« La Nature l’offrit au monde : déjà vaincue par l’art de Michel-Ange,
elle voulut l’être à la fois par l’art et la bonne grâce avec Raphaël. »,

Giorgio Vasari (1511, 1574)

12273336269?profile=originalMadone d’humilité couronnée par deux anges

Divine harmonie.

      Ces dessins c’est la genèse de l’œuvre. Action et réflexion. Une plongée dans l’esprit, dans l’intimité du peintre. Un moment de création partagé, au-delà du temps, de l’espace, dans le langage universel. Une connivence s’installe dans la pénombre propice, comme lorsqu’on vous chuchote un secret à l’oreille. Moment rare, privilégié, ces dessins ne sont jamais exposés, ils restent dans l’ombre, les cartons, à l’abri.

12273336876?profile=originalEtude pour Dispute du Saint-Sacrement
La Dispute (au sens de discussion) est la première des grandes fresques
qu’il exécuta pour le pape Jules II à Rome.

12273337657?profile=originalLa Dispute du Saint-Sacrement
Détail : partie inférieure gauche
Chambre de la Signature du Vatican.

12273337876?profile=originalEtude pour le Banquet des dieux aux noces d’Amour et Psyché
(Les Heures jetant des fleurs)
Sanguine

Suprême élégance, dolce maniera.

      Nous avons là des études, Raphaël préparant notamment ses fresques, elles serviront de modèles aux nombreux aides qui les exécuteront sous l’œil aguerri du maître.

12273338091?profile=originalHomme à demi drapé portant un fardeau
Etude préparatoire à la sanguine pour L’Incendie de Borgo

12273338677?profile=originalL’Incendie de Borgo
Chambre de l’Incendie de Borgo (Vatican)
Où l’on retrouve notre figure en bas à gauche de la fresque.

Deux fragments d’un grand carton préparatoire pour une fresque inconnue…

12273339075?profile=originalDeux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance
Fragment d’un grand carton pour une fresque perdue
(ca 1502)

12273339296?profile=originalDeux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance
Raphaël, d’une grande culture picturale et s’intéressant aux artistes de son temps, s’inspire ici pour le sanglier d’une gravure de Dürer.
Fragment d’un grand carton pour une fresque perdue
(ca 1502)

12273339888?profile=originalIb. : Deux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance
Le maître d’Urbino connaissait aussi bien les artistes de Florence, Rome ou Venise, mais aussi ceux d’Europe du Nord, ici il emprunte une figure à Dürer,
là à Van Eyck…
Détail

12273340075?profile=originalLa Vierge de la maison d’Orléans (1506)
(Musée Condé, Chantilly)
La nature morte (non visible sur la photo) derrière la figure de la Vierge
est un hommage rendu à Van Eyck,
une image tirée de son Saint Jérôme.
La culture, l’iconographie se diffusent…

12273340270?profile=originalJeune moine, vu de face, lisant un livre
Raphaël aussi étudiait beaucoup.

12273340691?profile=originalTête d’homme de trois-quarts

      Mais je ne saurai vous laisser sans présenter les trois tableaux de Raphaël que possède le musée Condé, réputé être en France le plus riche après celui du Louvre.

      A commencer par le plus célèbre, modèle de grâce et d’équilibre justement…

12273340877?profile=originalLes Trois Grâces (ca 1505)

Une renommée qui n’a cessé d’être reproduite, inspirant les artistes les plus divers.

12273341664?profile=originalHélie Poncet ( ?-1667)
Les Trois Grâces
Email de Limoges
(Musée national de la Renaissance, Ecouen)

12273341288?profile=originalLa Madone de Lorette (ca 1510)
Saint Joseph regarde la Vierge
qui couvre l’Enfant Jésus comme d’un linceul…

      J’ai voulu ne sélectionner que des œuvres autographes de Raphaël, mais vous découvrirez dans cette exposition d’autres dessins de son entourage, maître ou condisciple (Pietro di Cristoforo Vannucci, dit Le Pérugin ; Bernardino di Betto, dit Pinturicchio) et élèves ou collaborateurs (Piero di Giovanni Bonaccorsi, dit Perino del Vaga ; Polidoro Caldara, Polidoro da Caravaggio ; Giulio di Pietro di Filippo de Gianuzzi, dit Giulio Pippi ou Giulio Romano ou, pour les francophones, Jules Romain).
      Ces dessins, outre leur fragilité et quelques prêts, ne quittent jamais le château, le duc d’Aumale qui légua l’ensemble du domaine de Chantilly à la Fondation de France laissa des dispositions testamentaires strictes en ce sens.
      D’autres œuvres ne sont jamais montrées au public au-dehors du lieu où elles sont fixées, ce sont les fresques, j’aurai le plaisir de vous en présenter quelques-unes parmi les plus fameuses…
Pour patienter, une dernière œuvre de Raphaël que vous ne risquez pas de voir, sinon…

12273341887?profile=originalLe jugement de Pâris, 1562
Léonard Limosin (ca 1505-1576)
Email de Limoges
(Musée national de la Renaissance, Ecouen)
D’après une gravure de Marc-Antoine Raimondi
exécutée d’après un tableau perdu de Raphaël.
Et comme le château d’Ecouen, où est installé le
Musée national de la Renaissance,
n’est qu’à 20 kms de celui de Chantilly,
libre à vous de poursuivre la promenade.
Si en plus vous voulez trouver un peu de fraîcheur
dans un havre de paix et de culture…

Michel Lansardière (texte et photos)

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12273324895?profile=originalCarlos Mérida
Quetzaltenango (Guatemala), 1891-Mexico, 1984
Projection d’une chasse
(huile sur toile, 1938)

      İ Caramba ! il ne faudrait pas que ces trois grands chênes d’Amérique que sont Rivera, Orozco et Siqueiros cachent une forêt de talents. Aussi poursuis-je ici la revue des troupes de cette armée mexicaine de peintres dont le talent mérite d’être signalé.

      A commencer par des peintres muralistes ou rattachés à ce mouvement pictural. Ainsi rendons justice à : Ramόn Cano Manilla (1888-1974), Ernesto El Chango García Cabral (1890-1968), Carlos Mérida (1891-1984), Amado de la Cueva (1891-1926), Emilio García Cohero (1895-1939), Xavier Guerrero (1896-1974), Manuel Guillermo de Lourdes (1898-1971), Emilio Luis Amero Mimiaga (1901-1976), Juan O’Gorman (1905-1982), Julio Castellanos González (1905-1947), Francisco Montoya de la Cruz (1907-1994), Jorge González Camerena (1908-1980), Alfredo Zalce Torres (1908-2003), Luis Arenal Bastar (1909-1985), José Chávez Morado (1909-2002), Fancisco Eppens Helguera (1913-1990), Raúl Anguiano (1915-2006), Fernando Castro Pacheco (1918-2013), Francisco Pancho Mora (1922-2002), Arturo Monroy Becerril (né en 1924), Arturo Estreda Hernández (né en 1925), Arturo García Bustos (1926-2017) ou Guillermo Bravo Morán (1931-2004), pour simplement les nommer car trop souvent ignorés même de volumineux traités (cf. Les précurseurs dans un précédent chapitre).

Comme si, lorsqu’on est provincial, certains étaient actifs à Durango par exemple, il était difficile de retenir l’attention. Hors les murs de Mexico point de salut.

Ou, guère plus valorisant, relégués au rôle d’assistants, ombres de la main du Maître. Maître à qui on attribue le mérite. Et dans l’ombre de son ombre il est pourtant patent que la première muraliste fut une femme, Aurora Reyes Flores (1908-1985), peintre et poétesse. Tant, ainsi que le disait María Izquierdo (1902-1955), « Ce n’est pas facile d’être une femme et d’avoir du talent », ou, pour Camille Claudel en 1913 depuis son asile-exil, « C’était bien la peine de tant travailler et d’avoir du talent pour avoir une récompense comme ça. »  

 

12273325292?profile=originalJuan O’Gorman
Coyoacán, 1905-Mexico, 1982
Projet de monument pour La Naissance de Vénus
(détrempe sur contreplaqué, 1976)
Où les mânes du Facteur Cheval, Dada et le Surréalisme, planent…
Comme dans le jardin tropical de Las Pozas d’Edward James.

Aussi et avant tout architecte, il réalisa notamment la villa de San Ángel

pour Diego Rivera (la maison rose) et Frida Kahlo (la maison bleue).

Ces maisons jumelles et fonctionnalistes sont devenues un

 musée dédié aux trois artistes, le

Museo Estudio Diego Rivera de San Ángel, Mexico.

12273326058?profile=originalFaites entrer la lumière :

fonctionnelle avec ses deux ateliers indépendants, construite en 1933 par Juan O’Gorman selon des principes établis notamment par Le Corbusier (1887-1965), Walter Gropius (1883-1969), le fondateur du Bauhaus, ou Ludwig Mies van der Rohe (architecte allemand naturalisé américain, né en 1886 comme Diego Rivera à qui il ressemblait étrangement, mort en 1969).

Vingt ans plus tard, dans le même quartier de San Ángel, O’Gorman construisit une autre maison, inspirée cette fois du Palais idéal de Ferdinand Cheval (1836-1924).

La Maison Picassiette (Raymond Isidore, 1900-1964) n’est pas loin non plus.

Cette deuxième maison à San Ángel sera démolie en 1969.

Du fonctionnalisme au surréalisme…

Curieuses correspondances

 (photo captée sur le Net)

      Libérateur, le mouvement muraliste, né de la Révolution, porté par les « Trois Grands », devint école. Ecole qui se transforma rapidement en système, avec ses commandes publiques. Système qui entraîna la sclérose lorsque « La charge idéologique et didactique devient l’obstacle qui s’interpose fréquemment entre le spectateur d’aujourd’hui et les peintures de Rivera, d’Orozco et de Siqueiros. », Octavio Paz.

12273326456?profile=originalCarlos Mérida
Quetzaltenango (Guatemala), 1891-Mexico, 1984
Scène vaudoue
(huile sur toile, 1929)

« Ne vois-tu pas que le ciel est rouge ?
et jaune est le pré
Que les oranges ont un goût de rose. »
                                                                                  José Moreno Villa (1887-1955)

« Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange. »

Louis Aragon (1897-1982)

Alors se dégagent de nouvelles forces libératoires qui feront des années trente les plus bouillonnantes et les plus fécondes artistiquement. Et change la vision des choses.
       Certains feront des détours du côté du surréalisme (un surréalisme souvent de circonstances), Mérida toujours, ou Rufino Tamayo (1899-1991), qui fit l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis (déjà rencontré dans le billet consacré à son rival, Siqueiros). Et autres « Peintres de Mexico » (appellation d’origine contrôlée par Breton), Roberto Montenegro Nervo (1885-1968), Antonio ‘El Corcito’ Ruiz (1892-1964), Augustín Lazo Adalid (1896-1971), Manuel Rodríguez Lozano (1896-1971), Guillermo Meza Álvarez (1917-1997).

12273326490?profile=originalCarlos Mérida
Quetzaltenango (Guatemala), 1891-Mexico, 1984
L’amour est libre
(huile sur toile, 1940)
On peut penser à Mirò,
à Buñuel (mort au Mexique en 1983) et à Dalí,
à Un chien andalou
mais peut-on y penser en se rasant ?...

      En 1940 une « Exposiciόn internacional del surrealismo » se tint à la Galeria de Arte Mexicano avec des artistes tant européens (Ernst, Magritte, Mirò, de Chirico, Picasso, Dalí, Tanguy…) que locaux (Lazo, Lozano, Montenegro, Meza et Ruiz, ainsi que Mérida, bien que d’origine guatémaltèque, et José Moreno Villa, d’origine espagnole), cantonnés parmi les « Peintres de Mexico ». Kahlo, Rivera, pourtant peu « surréalistes », étant intronisés dans la section internationale. Le tout coordonné par Wolfgang Paalen et le poète péruvien César Moro*1, évidemment adoubé par Breton qui entend éminemment voir démontrée son intuition que « le Mexique tend à être le lieu surréaliste par excellence ».
Lieu que le poète et mécène Edward James (1907-1984) investit, installe et met en scène folies, ménagerie et sculptures pour en faire le jardin surréaliste idéal à Las Pozas sur la commune de Xilitla dans la Sierra Madre orientale. Utopie qui fit dire à son ami Salvador Dalí qu’il était « le seul fou authentique », « plus fou que tous les surréalistes réunis. » Et la jungle de La Huasteca devint son paradis, sa cité perdue, son « Xanadu surréaliste », le palais d’un Grand Khan émerveillant le Marco Polo de passage en ces lointaines et mystérieuses contrées.
Alors le Mexique, surréaliste ? Oui, si on veut, mais en Union libre,


« Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable. »
                                                                                                    André Breton, 1931

12273327054?profile=originalAntonio Ruiz
Texcoco, 1892-Mexico, 1964
Le rêve de La Malinche
(huile sur masonite, 1939)
Ecartelée entre le songe et la réalité…
Car tout est bon pour s’aliéner les naturels.
Le rapt destiné à former des interprètes par « truchement »,
l’alcool, le travail forcé, la spoliation, le massacre pur et simple,
mais aussi le métissage. Ainsi Hernán Cortés et la Malinche,
Garcilaso de la Vega et la princesse inca Chimpu Ocllo,
John Rolfe et Pocahontas…
Enracinée, car ici le surréalisme est bien ancré dans le réel.

« Oh, mes enfants ! Où pourrais-je vous emporter pour ne pas vous perdre ?» se lamentait la déesse Cihuacόatl lors de la Conquête du Mexique.
Une histoire qui, mêlée à celle de la Malinche, est à l’origine de la légende de La Llorona, « La Pleureuse » déambulant vêtue de blanc.
Qui ne sait rien de l’amour, Llorona
Ignore ce qu’est le martyre.

Ce qui n’empêche pas un certain humour noir, si prisé des surréalistes en général et de Breton en particulier qui en fit une anthologie. Aussi auraient-ils sûrement apprécié l’esprit de ce quatrain extrait d’une ballade traditionnelle mexicaine, Rosita Alvirez, inspirée d’un fait divers survenu en 1883 (ou 1900 selon la chanson).


« La nuit qu’on la tua,
Rosita eut de la chance :
Des trois balles qu’elle reçut,
Une seule était mortelle. »


Fatalisme latino-américain… Une mort vaut bien quatre vers pour qu’elle rengaine. Et Rosita aimait danser, alors pensez, trois balles.
Laissons passer cette oraison funèbre…

« Toi comme moi avons l’œil terne, pierre
Comme moi tu rêves d’un cataclysme
Parmi l’humidité la sécheresse ou le temps indifférent
Une même soif nous accable
Pareil destin : la terre l’ennui
De trop t’avoir fixée ô pierre
Me voilà dans l’exil
Parlant un langage de pierre
Aux oreilles du vent… »
                                                                                 César Moro, Pierre mère, 1943

12273327086?profile=originalJuan Carlos Bracho
Cosautlán de Carvajal, 1899-Mexico, 1966
La Race
Onyx-calcaire vert du Mexique, 1938
Où le festonnage de la pierre évoque nos circonvolutions,
la persistance de la mémoire.
Quand le rêve s’inscrit dans le marbre…
Nul besoin d’interprète, de divan.
Ou, pour paraphraser Magritte,
« L’art, tel que [les artistes mexicains] le conçoi[vent], est réfractaire à la psychanalyse. »
Il n’empêche, le sculpteur a ici habilement su jouer sa partition,
conjuguant son vocabulaire à l’écriture de la pierre,
ce qui n’aurait pas été non plus sans déplaire à Roger Caillois*2.

D’autres se tourneront vers le cubisme ou l’abstraction…

12273327673?profile=originalFernando García Ponce
Mérida, 1933-Mexico, 1987
Présence III
(acrylique, 1973)

      On peut dire que les Street artists contemporains, de Jean-Michel Basquiat à Kara Walker, en passant par la Renaissance de Harlem pendant l’entre-deux guerres, doivent beaucoup aux muralistes mexicains.
       Au Mexique même, un renouveau de l’art mural et de son esprit communautaire a vu le jour avec notamment le collectif d’artistes Tlacolulokos d’Oaxaca, animé par Javier Dario Cánul Melchor et Cosijosea Eleazar Cernas García, dont l’objectif est de redonner la parole au peuple indigène et de lutter contre les trafics, la corruption et la discrimination qui gangrènent le pays.
Ou encore Spaïk, les duos Cix Mugre, aux couleurs électrisantes, et Duek Glez avec qui il collabore généralement signant Cix&Duek, ou Octavio Alegria qui travaille avec l’Espagnole Ester del Prado pour former Alegria del Prado. Modernes et colorées leurs œuvres monumentales sont fortement ancrées dans la tradition et la mythologie préhispanique, avec cette touche de fantastique, de surréalisme qui fait souvent le charme du street-art. Avec eux le muralisme s’ouvre au XXIe siècle, de nouvelles pages s’écrivent sur les murs de nos villes. La rue est devenue livre ouvert sur le monde.
Et Mexico, une nouvelle Roma*3 ?
Roma ville ouverte, Roma sous les bombes de graffeurs fous qui signent généralement d’un pseudo (Andrik Noble, Franc Mun, Neza, Revost, Sego y Ovbal, Saner, Smithe, mais aussi Jorge Telleache). Et si, dans les quartiers, les hommes dominent, des femmes (Paola Beck, María Antonieta Canfield, Sofía Castellanos, Paola Delfín, Lourdes Villagόmez), teintes souvent plus douces et sensibilité environnementale plus affirmée, sont également très actives. Galeristes, spéculateurs et tour-opérateurs sont déjà en embuscade.
Les murales s’offrent une nouvelle jeunesse.

Passant, rafraîchis-toi…
Sirop de la rue, urbaine liqueur, les graffeurs investissent les rues
et nous interpellent avant que la police ne le fasse.

12273328286?profile=originalTlacolulokos (Dario Cánul et Cosijosea Cernas)
Para entrar al barrio (Pour entrer au quartier)
(fresque, Tlacolula de Matamoros, Oaxaca, 2017)
L’état d’Oaxaca, dont Tlacolula de Matamoros est aujourd’hui le chef-lieu, fut le cœur de la civilisation zapotèque. Avec cette expression d’une fierté revendiquée on est loin du stupide graffiti laissé par un tagueur qui n’exprime au mieux que son ego. Ici couleurs vives et messages forts sont des moyens de lutte contre la violence et l’illettrisme qui règnent dans le pays.
(photo captée sur le net)

      Tous ont aussi une dette envers la photographe Lola Álvarez Bravo*4 (née Dolores Martinez de Anda, 1903-1993), connue pour ses reportages et ses portraits de Frida Kahlo, qui innova en réalisant en 1948 les premiers muraux à partir de montages photographiques (elle mit également sur pied la seule exposition personnelle consacrée à Frida Kahlo de son vivant et dans son propre pays, au printemps 1953).

Les stridentistes enfin, groupe formé par le poète Manuel Maples Arce le 31 décembre 1921, avec des peintres tels Ramόn Alva de la Canal, vu au chapitre précédent, Germán Cueto, peintre et sculpteur, Fírmin Revueltas (1901-1935), ou Leopoldo Méndez (1902-1969).
Ce dernier, graveur digne successeur de Posada, fonde en 1937 l’Atelier Graphique Populaire (TGP) avec Pablo O’Higgins (1904-1983) et Luis Arenal Bastar (1909-1985).
       Le Taller de Gráfica Popular est un véritable chaudron où, autour de Méndez toujours très activiste, on conspue le fascisme, le capitalisme, le cléricalisme… et burine à tout va son effroi dans de féroces charges.
Une auberge (posada) mexicaine où gravitent graveurs et peintres en colère de Dieu tels Ignacio Aguirre (1900-1990), Everardo Razmírez Flores (1906-1992), Ángel Bracho (1911-2005), Antonio Pujol Jiménez (1913-1995), Jesús Escobedo Trejo (1918-1978), Gonzalo de la Paz Pérez (1919- ?), Francisco Pancho Mora (1922-2002)… pour ne citer que les moins connus.

12273328299?profile=originalAffiche réalisée par le TGP pour la Fédération des Travailleurs en soutien à Adolfo Ruiz Cortines (1889-1973).
Président du Mexique de 1952 à 1958, il poursuivit une politique d’industrialisation.
1952 est aussi l’année où les Mexicaines obtinrent le droit de vote.
(photo captée sur le net)

      On pourrait croire cet univers exclusivement masculin. Il n’en est rien. Fréquentèrent ce milieu de nombreuses graphistes. Œuvrant pour la liberté je ne saurai sans les nommer vous parler d’elles.

12273329090?profile=originalSarah Jiménez Vernis
Guyen Van Troy (xylographie, 1966)
Nguyễn Văn Trỗi (1940-1964) était un combattant Viêt-Cong pour le Front national de libération du Sud Viêt Nam. Il fut exécuté après une tentative d’attentat contre le Secrétaire à la Défense des Etats-Unis et l’ambassadeur américain. Contre l’impérialisme, il brandit une affiche à la gloire du Président de la République démocratique du Viêt-Nam, Hô Chi Minh.
(photo captée sur le net)

Sans plus de protocole, voici donc Elena Huerta Muzquiz (1908-1997), également muraliste ; Elizabeth Catlett Mora (1915-2012), d’origine afro-américaine elle fut aussi sculptrice et l’épouse du peintre Francisco Mora cité plus haut ; Celia Calderόn (1921-1969), par ailleurs aquarelliste ; Fanny Rabel*5 (née Rabinovitch, 1922-2008), excellente dessinatrice et pionnière du muralisme ; Mariana Yampolsky Urbach (1925-2002), américaine de naissance elle fut de plus une personnalité majeure de la photographie mexicaine ; Andrea Gόmez y Mendoza (1926-2012), pour le reste muraliste ; Sarah Jiménez Vernis (1927-2017), à la pointe sèche et acérée. Ou encore la plasticienne Leticia Ocharán (1942-1997)… Souvent restées dans l’ombre, elles poursuivirent néanmoins leurs desseins et prirent toute leur place dans la révolution plastique (et politique) de leur pays.

12273329262?profile=originalSarah Jiménez Vernis
Ferrocarrileros (Travailleurs du rail)
Combattantes sur tous les fronts, solidaires de toutes les causes du peuple,
comme ici des cheminots, les femmes…
(gravure sur linoléum, 1957)
(photo captée sur le net)

      Des listes qui peuvent sembler fastidieuses mais toutes et tous méritent une mention dans l’histoire de l’art, leurs œuvres d’être diffusées. Une énumération comme lieu de mémoire pour une posthume gloire. Une incantation pour la postérité et provoquer ce vertige poétique cher à Umberto Eco, comme on peut éprouver le syndrome de Stendhal.

12273329867?profile=originalLeopoldo Méndez
Mexico, 1902-1969
Le manège
(gravure sur linoléum, 1944)

« En route vers d’autres rêves nous sommes sortis avec la fin du jour ;
une étrange aventure nous a effeuillés dans le bonheur de la chair. »
                                                                              Manuel Maples Arce (1898-1981)

      La vie est un manège, un théâtre de marionnettes, aussi tournons cette page pour revenir à Germán Cueto et son épouse Lola pour un dernier tour et nous enivrer au son strident du limonaire.

12273329890?profile=originalGermán Cueto
Mexico, 1893-1975
Tête cubiste
(huile sur fibracel, 1948)

Germán Cueto fut également marionnettiste
avec sa femme Lola (née María Dolores Velásquez Rivas, 1897-1978),
exploitant la puissance subversive de leurs fantoches.
Je vais vous les présenter…

12273330859?profile=originalMarionnettes de Lola et Germán Cueto
Comme la caricature, le pamphlet, le street-art
la marionnette cogne sur le pouvoir.
Ainsi font font font Guiñol et Gnafron.

12273330699?profile=originalDebout devant la Casa Azul de Frida Kahlo à Coyoacán

(aujourd’hui Museo Frida Kahlo)


« Devinez, devinez qui je suis
Derrière mon loup, je fais ce qui me plaît… »*6
(photo captée sur le net)

12273331462?profile=originalÁngel Zárraga y Argüelles (1886-1946)
La femme et le pantin
(huile sur toile, 1909)

Rideau !
Toutefois, afin de montrer toute la diversité de la peinture mexicaine du XXe siècle et que la terre ne tourne pas autour du seul axe Paris/New-York, un dernier billet sera consacré aux Contemporáneos
Quant à la première partie de cette série, c’est ici :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-jos-david-et-les-autres-que-viva-mexico

Michel Lansardière (texte et photos)

*1 César Moro (Alfredo Quíspez Asín, dit ; 1903-1956), poète surréaliste, résida au Mexique de 1938 à 1948, il y développa son langage, devenant également le porte-parole du mouvement.


*2 Roger Caillois (1913-1978), compagnon de route des surréalistes, auteur, entre autres, de Pierres, L’écriture des pierres, Pierres réfléchies. Pour lui :
« Laisser passer en soi la nature, ce n’est pas pour l’homme tenter ou feindre de retourner au nerf ou à l’inerte, ni essayer de se démettre des pouvoirs qui lui sont échus.
C’est, au contraire, les approfondir, les exalter et les contraindre à de nouveaux devoirs. »
Ce que fit l’artiste, plier la pierre calcaire à son imaginaire, donnant à La Race indigène ce port fier et accomplissant ainsi cette formulation de son compatriote Octavio Paz :
« La fonction de l’art est nous ouvrir les portes qui donnent de l’autre côté de la réalité. »
A propos d’onyx, il en est de deux sortes, sans rapport aucun si ce n’est une certaine analogie de forme. L’onyx, une calcédoine ou agate, généralement à deux couches, blanche et noire, de la silice (SiO2) donc qui sert notamment à confectionner des camées. Et l’onyx, une sorte de marbre plus ou moins rubané et translucide, une calcite (CaCO3) en conséquent, utilisé pour la décoration ou la statuaire. En outre, la première est dure et résistante, la seconde tendre et cassante. Dans le cas de la pierre employée ici par le sculpteur on doit parler de marbre-onyx ou onyx-calcaire.


*3 Roma est un quartier de Mexico très investi par les street artists. Avec toutes ces infos gringos vous voilà tout de go un peu devenu Chilango (terme familier pour natif de Mexico, un peu comme en argot Parigot).


*4 Lola Álvarez Bravo fut d’abord l’assistante puis l’épouse, de 1925 à 1934, du célèbre photographe mexicain Manuel Álvarez Bravo (1902-2002). Deux autres photographes aujourd’hui renommées, Graciela Iturbide (née en 1942) et Flor Garduño (née en 1957) furent également ses assistantes. Toutes trois ont su saisir la tension entre tradition et modernité et capter l’attention d’un vaste public. Elles prolongent en quelque sorte le travail de Tina Modotti (née à Udine en Italie en 1896, morte à Mexico en 1942). Sensibilité à fleur de pellicule, perspective moderniste, révolutionnaire, elle immortalisa notamment les femmes de la petite communauté matriarcale de Tehuantepec dont je vous ai brièvement entretenu dans mon article « Femmes, fières, rebelles. » Elles sont d’indispensables témoins de leur temps. Cette note complète donc mon billet-hommage aux femmes peintres auquel je vous renvoie :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-rebelles-3e-parie-alice-lilia-leonora-remedios-au


Objectif en bandoulière, qu’il me soit permis d’ajouter ici dans un champ de vision élargi, Kati Horna (1912-2000), d’origine hongroise, mexicaine d’adoption décédée à Mexico, la Suissesse Eva Sulzer (1902-1990), autre « sorcière » du surréalisme qui réalisa un reportage en 1939 pour la revue DYN dirigée par Wolfgang Paalen, et Mariana Yamposky Urbach (1925-2002), graveuse et photographe d’origine américaine. Sans oublier Gisèle Freund (1908-2000), la « sociologue de l’image », qui passa au Mexique deux ans de sa vie, ce pays « où rien n’est médiocre ni insignifiant ». Toute une bande sensible qui a su aller au-delà de la surface et tirer leur vérité des épreuves.


*5 Fanny Rabel fut l’élève de Frida Kahlo, elle formait avec Arturo Monroy Becerril, Arturo Estreda Hernández et Arturo García Bustos, ceux que Frida appelait malicieusement los Fridos.


*6 … David Bowie
(photographie de Fernando Aceves, 20/10/1997). Germán Cueto, qui séjourna à Paris entre 1927 et 1932 avec sa femme Lola, créa de nombreux masques, en métal ou en terre-cuite, alliant cubisme et traditionalisme. Une coutume bien établie au Mexique où ils sont souvent réalisés en papier mâché. Et que l’on ne me dites pas comme Martine Aubry que « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », les paroles sont de La compagnie créole. Derrière mon écran, cet autre masque, je contrôle tout.

Lire la suite...

12273317458?profile=originalLeopoldo Méndez

Mexico, 1902-1969

Hommage à José Guadalupe Posada

(gravure sur linoléum, 1953)

On reconnaîtra au premier plan José Guadalupe Posada (1852-1913), burin en main, observant hors champ les exactions de la soldatesque sur les paysans. A gauche, les révolutionnaires Ricardo Flores Magόn (1873-1922) et, derrière ce dernier, Lázaro Guttiérrez de Lara (1870-1918). Au travail devant la casse d’imprimerie, un ouvrier typographe, qui pourrait être Leopoldo Méndez lui-même, son disciple né en 1902 comme le rappelle l’affiche à droite. Tous dénoncent la répression exercée par le président Porfirio Díaz (1830-1915). İ Revoluciόn !

(gravure sur linoléum, 1953)

« Tu as fondé ici l’imprimerie,

La lettre arriva à la nuit du peuple,

La nouvelle secrète ouvrit les lèvres. 

Tu as fondé ici l’imprimerie.

Tu as implanté l’école au couvent.

La toile d’araignée a reculé,

Et le recoin des dîmes étouffantes.

Tu as implanté l’école au couvent. »

Pablo Neruda*1

 

 12273317659?profile=originalÁngel Zárraga y Argüelles

Durango, 1886-Mexico, 1946

La poétesse

(huile sur toile, 1917)

 

      Sans même remonter aux fondamentaux que sont les fresques naturalistes de l’époque classique maya, je pense en particulier aux peintures murales de Bonampak ou de Cacaxtla, ce « ballet de formes et de couleurs franches » (Octavio Paz), il m’a semblé intéressant dans un premier temps de nous pencher sur les origines de la peinture mexicaine.

      Les Trois Grands, Rivera, Orozco, Siqueiros, par leurs talents respectifs et leurs fortes personnalités ont éclipsé les autres muralistes mexicains. Cet art se voulait pourtant collectif, et ils furent nombreux à se fondre dans ce mouvement, à un moment au moins de leurs carrières.

Ces petits sur l’affiche, qui ne manquaient pourtant pas de caractère, je vais donc simplement les citer pour mémoire et surtout, pour, quelques-uns d’entre eux, en profiter pour aussi abondamment que faire se peut illustrer ce billet.

Le muralisme n’est pas une génération spontanée de peintres décidés à s’exprimer hors les galeries et musées. Il est né bien sûr de la Révolution mexicaine de 1910, mais aussi des journaux, des affiches, de la caricature, de la tradition populaire. Ferments puissants qui lui ont permis d’éclore et de fleurir sur les murs. Et acte politique visant à unir la Nation grâce à cet « art collectif par excellence, qui appartient à tous et est accessible à tous », selon la formule de Diego Rivera.

Il eût donc ses précurseurs, ses éclaireurs, dont beaucoup rejoindront le muralisme après l’avoir inspiré…

 

12273317695?profile=originalJosé María Jara

 La veillée funèbre (détail)

« Qu’il y ait encore des échanges

ici-bas, avec vous, mes amis !

Seulement ici-bas sur la terre !

Demain ou plus tard,

selon ce que voudra le cœur

de l’Auteur de la Vie,

nous quitterons sa demeure. »

Les chants de Nezahualcόyotl*2

 

      Mais il fallut d’abord se libérer. Après la longue période de colonisation et de domination espagnole, la révolte est portée par « le cri de Dolorès » du père Miguel Hidalgo y Costilla (1753-1811), le 15 septembre 1810 :

« Mes enfants, voulez-vous être libres ? »

Après la rébellion et malgré une sanglante répression, le pays devint indépendant en 1821 pour se proclamer République fédérale des Etats-Unis du Mexique en 1824. Las, en 1864 Maximilien d’Autriche, porté par Napoléon III, est fait empereur du Mexique. Défait par Benito Juárez (1806-1872), le monarque est destitué puis exécuté trois ans plus tard. La république est à nouveau instituée, pour entrer de 1876, date de son élection, sous la trop longue présidence de Porfirio Diaz qui installa peu à peu un régime dictatorial jusqu’en 1911 et la Révolution menée au nord par José Doroteo Arango Arámbula, dit Pancho Villa, et Emiliano Zapata, El Caudillo del Sur.

 

« La cucaracha,

La cucaracha,

Ya no puede caminar

Porque no tiene,

Porque la falta,

Marijuana que fumar »

Air traditionnel devenu chant révolutionnaire

 (Le cafard, le cafard, ne peut plus cheminer, parce qu’il n’a pas, parce qu’il lui manque, de la marijuana à fumer. Cucaracha, le cafard, étant bien sûr l’occupant, l’exploiteur ou le tyran du moment)

 

« Terre et liberté ! »

clamaient les peones réunis autour d’Emiliano Zapata

pendant que Pancho Villa faisait son cinéma (La vida del general Villa, 1914*3).

« Droit de vote pour tous »,

« Non à la réélection ! »

tonnaient ceux qui soutenaient Francisco Madero qui,

une fois élu président en 1911,

ne rendit pas leurs terres aux paysans indiens.

 

Une période de troubles et de luttes intestines s’ensuivit jusqu’en 1920 et l’élection d’Álvaro Obregόn. Les temps resteront agités, néanmoins les commandes publiques de fresques stimuleront la création.

      En matière d’art, un rejet de l’académisme, des relents du colonialisme, dès lors s’impose. Certains artistes fréquenteront assidument les sites archéologiques afin de plonger aux racines préhispaniques de leur culture.

Cependant je ne saurais oublier ces portraits de villageois peints avec beaucoup de naturalisme par un indigène.

 

12273318462?profile=originalHermenegildo Bustos

Purisíma del Rincn, 1832-1907

Portrait de famille

(huile sur bois)

(photo captée sur le Net)

Facteur rural comme Cheval et tout aussi singulier. Un indien pieux aux multiples talents, grand portraitiste au demeurant.

Précurseur ?

Pas vraiment, il n’y eut ni avant ni après, il ne quitta jamais son canton, définitivement hors courant. Une sorte de primitif flamand égaré dans l’espace et le temps, « peintre amateur, sans maître » tel qu’il le revendiquait.

 

Pas plus que ne le sont les peintres de la Nouvelle-Espagne, Juan Correa (1646-1716), Cristόbal de Villalpando (1649-1714), José de Ibarra (1685-1756), ou même Miguel Mateo Maldonado y Cabrera (1695-1768), un peintre d’origine zapotèque, ou encore José de Páez (1720-1790), tous ces « Vieux Mexicains » versés dans l’imagerie religieuse.

Pas d’avantage José Augustín Arrieta (1803-1874), peintre de genre, Felipe Santiago Gutiérrez (1824-1904) ou Tiburcio Sánchez de la Barquera (1837-1902), tous deux bons portraitistes au style un peu hiératique, le très romantique Manuel Ocaranza (1841-1882), José María Velasco Gomez (1840-1912), excellent paysagiste, Gonzalo Carrasco Espinosa (1859-1936), un jésuite qui peignit essentiellement des sujets religieux. Ou encore El Velorio, tel qu’on surnomme José María Jara (1866-1939). Ce dernier, un extraordinaire artiste mexicain pure souche, n’affirma pas davantage un style personnel, pourtant ce nocturne, d’un caravagisme très tardif certes, ne cesse d’imprimer ma rétine…

 

12273318854?profile=originalJosé María Jara, dit El Velorio

Orizaba, 1866-Morelia, 1939

La veillée funèbre

(huile sur toile, 1869)

« Le vendredi à sept heures du soir

tu es morte

en regardant vers la porte

et la lumière t’a inondée.

 

Depuis un cercueil en bois

arbre creux endormi

ton corps retournera

dans un drap blanc

à l’ombre fraîche de la terre. »

Mόnica Mansour

(poétesse mexicaine née en Argentine en 1946,

extrait de Lumière)

 

      En revanche, il fallait bien ouvrir la fenêtre au modernisme et entrer, après s’être malgré tout imprégné des avant-gardes européennes (cubisme, fauvisme, futurisme), dans une pure mexicanité.

Lumière donc sur quelques autres de ces véritables précurseurs évoqués plus haut…

 

12273318486?profile=originalJuan Cordero

Teziutlán, 1824 – Mexico, 1884

Paysage

 (huile sur toile ; musée insulaire de La Palma)

 

12273319470?profile=originalSaturnino Herrán

Aguascalientes, 1887-Mexico, 1918

La moisson

(huile sur toile, 1909)

 

12273320095?profile=originalRoberto Montenegro

Guadalajara, 1885-Mexico, 1968

Pêcheur de Majorque

(huile sur toile, 1915)

 

 12273320669?profile=originalÁngel Zárraga y Argüelles

Durango, 1886-Mexico, 1946

Portrait de Pierre Bonnard

(huile sur toile, 1920)

 

      Nous ferons juste allusion à Joaquín Clausell (1866-1935) et Alfredo Ramos Martínez (1871-1946), tous deux fortement marqués par la France et les impressionnistes. Plus important certainement fut le rôle joué par Germán Gedovius (1867-1937), déjà à l’avant-garde à sa manière, mais encore trop pénétré de culture européenne. Ou celui de Julio Ruelas (1870-1907), peintre symboliste et illustrateur, un Mexicain à Paris (il est enterré au cimetière du Montparnasse) que l’on peut voir comme un précurseur de Posada.

Par contre nous noterons surtout au passage le rôle particulier que joua la gravure, avec ce fort pouvoir de diffusion culturelle qu’elle exerce et d’influence qui en découle. Avec ces devanciers que furent Gabriel Vicente Gahona (1828-1899), dit Picheta, Manuel Manilla (1830-1895) et ses gravures de Calaveras*4, Santiago Hernández (1832-1908), autre créateur de Calaveras, et José Trinidad Pedroza (1837-1920). Et trois activistes qui se signalèrent notamment dans ce domaine, José Guadalupe Posada (1852-1913), Leopoldo Méndez (1902-1969) et Pablo O’Higgins (1904-1983), originaire des Etats-Unis, qui devint l’assistant de Diego Rivera avant de s’affirmer comme peintre et illustrateur.

Populaire Posada… Possédé par la gravure, pointe incisive, subversive, force de la caricature. Initié à la lithogravure par José Trinidad Pedroza, il prit son essor notamment grâce à sa collaboration avec l’éditeur et imprimeur Antonio Vánegas Arroyo (1850-1917) qui lui permit de propager son œuvre à grande échelle sur une multitude de supports, des feuilles volantes pour l’essentiel. Lui, que son travail rapproche de Goya, Daumier ou Dubout, finit sa vie démuni quoique toujours très crâne, ses os jetés à la fosse commune. Au Panteόn de Dolores.

      En retour de flamme, outre ses milliers de gravures restées dans la mémoire populaire, il eût trois grands admirateurs, José Clemente Orozco (https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/jos-clemente-orozco-l...), Diego Rivera ( https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres...), et Leopoldo Méndez, qui, à leur manière, poursuivirent son œuvre. On connait moins bel héritage.

12273320876?profile=originalDiego Rivera (1886-1957)

Songe d’un dimanche après-midi à l’Alameda Central (détail, 1948)

Le petit garçon au parapluie, c’est Diego Rivera, il a dix ans il sait que ce n’est pas vrai mais il a le droit de rêver. Il est fier, il est grand, il porte élégamment le canotier. Derrière lui, protectrice, entre fantasme et possible équilibre, Soleil et Lune, yin et yang, Frida Kahlo. Il tient la main de La Cavalera Catrina, la Mort  joyeuse, bras dessus, bras dessous avec son créateur, José Guadalupe Posada, chapeau melon et canne en main dans l’Alameda Central, le jardin public du centre historique de Mexico.

(Museo Mural Diego Rivera, photo captée sur le Net)

 

12273320895?profile=originalJosé Guadalupe Posada

Aguascalientes, 1852-Mexico, 1913

Squelette des braves Ku Klux Klan

(typogravure, ca 1913)

 

Et Billie Holiday chantera en 1939

“ Southern trees bear a strange fruit

Blood on the leaves and blood at the root. ”

(« Les arbres du Sud portent un étrange fruit

Du sang sur les feuilles et du sang aux racines »)

sur une composition d’Abel Meeropol*5

De l’autre côté de la frontière,

là où la ségrégation sévissait,

 avec son lot de lynchages.

 

Et enfin, l’art eût ses agitateurs d’idées… Tels le Docteur Atl (Gerardo Murillo, dit ; 1875-1964), Marius de Zayas (1880-1961), caricaturiste installé à New-York, promoteur notamment du cubisme et du futurisme, ou Ramόn Alva de la Canal, figure du stridentisme puis du trentetrentisme (le mouvement İ 30-30 !) :

 

12273320284?profile=originalRamón Alva de la Canal

Mexico, 1892-1985

Les collines de Guerrero

(huile sur toile, 1920)

 

Dans le mouvement furtif du trentetrentisme pointèrent, entre autres, Fernando Leal (1896-1964), Francisco Díaz de Leόn (1897-1975) ou Gabriel Fernández Ledesma (1900-1983), seconds couteaux au trait vif et incisif comme une balle de carabine İ 30–30 !

Beaucoup d’autres ensuite viendront, suiveurs, suivistes, stridentistes, contemporáneos… ou inclassables, tous dignes d’intérêt que nous découvrirons dans un prochain chapitre…

 

12273321272?profile=originalİ Adelante caballeros ! Tel Dom Quichotte en avant pour de nouvelles aventures !

Il y a encore de l’eau au moulin et des batailles à mener… Chargez !

 (gravure de José Guadalupe Posada)

Michel Lansardière (texte et photos)

 

*1 Ricardo Eliécer Neftalí Reyes-Basoalto, alias Pablo Neruda (1904-1973). Le poète chilien chante en fait ici les louanges du général José Miguel Carrera Verdugo (1785-1821), héros de l’indépendance de son pays. Cette ode à la liberté, pour laquelle tous les deux sont morts, m’a semblé tout à fait adaptée au Mexique comme à Posada.

*2  Ou Chants d’orphelin (icnocuica) de Nezahualcόyotl (1402-1472), traduits du nahuatl par Georges Baudot (1935-2002). Des vers d’époque aztèque d’une poignante beauté.

*3 On pense que Zapata signa aussi un contrat avec la Mutual Film Corporation, mais moins charmeur que Villa, il ne devint pas un héros de « Western ». Des documentaires furent néanmoins réalisés. Zapata fut abattu lors d’un guet-apens le 10 avril 1919, Villa assassiné le 20 juillet 1923. De l’un comme de l’autre le cinéma en a fait ses choux gras.

Le président Madero fut lui aussi abattu, le 21 février 1913, en même temps que son vice-président, deux jours après son frère Gustavo.

*4 Calaveras : figures populaires représentant crânes et squelettes toujours très présentes lors de fêtes, carnavals et chez les graffeurs que nous découvrirons aussi au chapitre suivant. La Catrina en est le type, créé par Posada, moderne vanité virevoltant au rythme endiablé d’une danse macabre. El Día de muertos, jour de liesse populaire qui dure en fait du 31 octobre au 2 novembre, coïncidant ailleurs à Halloween, à la Toussaint et au Jour des défunts, est classé au patrimoine culturel de l’Unesco.

12273321285?profile=originalJosé Guadalupe Posada

La Cavalera Catrina

Force dévastatrice, libératrice de la caricature.

En France à la même époque, on peut rapprocher les Calaveras des « Diableries », qui furent très en vogue dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Créées par Louis Alfred Habert (1824-1893) et Pierre Adolphe Hennetier (1828-1888), ces saynètes bouffonnes publiées sous forme de vues stéréoscopiques par Adolphe Block (1829-1903).

12273321488?profile=originalLouis Alfred Habert

Mlle Satan en costume d’homme prône l’émancipation féminine

par la grève des crinolines.

*5 Abel Meeropol (1903-1986), auteur-compositeur, publia son poème Strange fruit en 1937 sous le pseudonyme de Lewis Allan, après avoir vu la photo du lynchage d’Abram Smith et de Thomas Shipp en 1930. Plus tard il adopta les enfants d’Ethel et Julius Rosenberg après leur exécution en 1953 dans la prison de Sing Sing pour espionnage au profit de l’URSS.

12273321682?profile=originalPhoto Lawrence H. Beitler (1885-1960)

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administrateur théâtres

Salvador Dalí et René Magritte : deux icônes du surréalisme en dialogue

Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique consacrent une exposition exceptionnelle à Salvador Dalí et René Magritte. Pour la toute première fois, les rapports et influences entre les deux plus grandes icônes du surréalisme sont étudiés et  mis en lumière. Il en ressort un authentique dialogue de potaches métissé de  compétition artistique. 

90 ans après leur rencontre...

Plus de 40 musées internationaux et collections privées ont prêté leurs œuvres aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB).Tous deux, Dalí et Magritte s’attachent à défier le réel, à questionner notre regard et à bousculer nos certitudes. L’exposition révèle leurs liens personnels mais aussi leurs approches philosophiques et esthétiques à travers plus de 100 peintures, sculptures, dessins et photographies...

La visite commence par une expérience immersive, la tête dans les nuages. La célèbre œuvre "Le temps menaçant" de Magritte étant absente de l'exposition, les organisateurs, quelque peu déçus, ont décidé de la recréer en images de synthèse, explique Michel Draguet, commissaire de l'exposition. Il s'agit d'une peinture que Magritte a réalisée lors de son séjour en août 1929 en Espagne, à Cadaqués, le port d'attache de Salvador Dali. Un été qui verra entrer la Méditerranée dans l'œuvre du Belge et se révélera décisif pour lui.

Tout au long du parcours, les deux icônes du surréalisme interagissent autour de thématiques qui les unissent, telles que "le rêve et l'hallucination", "les portraits", "les paysages", "dedans >< au-delà", ... Ce "dialogue de tableau à tableau témoigne d'une fabuleuse proximité dans la différence", souligne Michel Draguet. "La relation qui unit Magritte à Dali et Dali à Magritte est sans doute l'une des plus fécondes" de ce mouvement artistique.

Notez que  cette exposition se veut aussi accessible aux personnes aveugles ou malvoyantes, grâce notamment à quatre postes tactiles qui décrivent en braille des œuvres significatives des artistes, reproduites en relief. Plusieurs activités seront aussi organisées dans le cadre de l’événement.

Plus d'info | Billets

Espaces créatifs Accessibles en permanence  et gratuits. Co-créez avec Dalí et Magritte dans 4 espaces d’expérimentations artistiques, didactiques, et ludiques. Dormez les yeux ouverts! Traversez les  90 ans après leur rencontre. Plus de 40 musées internationaux et collections privées ont prêté leurs œuvres aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB).paysages infinis : dedans et au-delà! Jouez avec les mots, les images et les illusions! Créez, superposez, en un mot, « anamorphosez »! Daliriant ou Dalirant?  

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Anniversaire des dix ans du Musée Magritte :  le 24 novembre 2019

24.11 2019

Journée festive!  Save the date! Visitez gratuitement la plus grande collection d’œuvres du célèbre surréaliste belge et découvrez la nouvelle sélection du Musée. Visites contées, ateliers d’écriture, workshops,  "Take the pose" et pleins d’autres activités attendent petits et grands!

Plus d'infos

Intro Expo 12.10 | 9.11 | 7.12 | 18.1 | 8.2

En 30 minutes, le conférencier de ce bref exposé déploie l’essentiel des faits, références et analyses qui vous permettent de savourer pleinement l’exposition Dalí & Magritte. Familiarisé avec l’univers des deux artistes, vous abordez le parcours de l’exposition à votre rythme et selon vos envies…

Plus d'infos

Image result for daliVisite-lectures:  qu’a dit Dali ?

20.10 |10.11 | 12.01 | 09.02

Visite-lectures dans l’exposition, par un trio de guide-lecteurs native-speakers : Inès della Calle, Jack Ghosez & Myriam Dom. Des extraits choisis dans les biographies de Dali et dans ses écrits, La vie secrète de Salvador Dali, Visages cachés, seront lus en français et en espagnol et agrémentés de commentaires, dans des mises en scène aussi daliniennes que magritiennes !

Plus d'infos

Visites en famille

20.10 | 22.12 | 28.12

Venez découvrir en famille l’exposition consacrée à deux icônes du surréalisme.
Pour la toute première fois, les rapports et influences entre les deux plus grandes icônes du surréalisme sont mis en lumière. L’exposition révèle leurs liens personnels mais aussi philosophiques et esthétiques à travers plus de 80 peintures, sculptures, photographies, dessins, films et pièces d'archives.

Plus d'infos

Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
3 rue de la Régence - 1000 Bruxelles
Tél.: +32 (0)2 508 32 11
Fax: +32 (0)2 508 32 32


 

 

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12273310073?profile=originalAlice Rahon

La ballade de Frida Kahlo

 Acrylique, 1966

 

      Quel que fut le destin de ces artistes laissées plus ou moins dans l’ombre de Frida, toutes portent haut les couleurs du féminisme. Et Frida Kahlo reste pour ces dernières à la fois une figure symbolique et un porte-voix de part et d’autre de l’Atlantique. Elle est ainsi devenue une véritable icône de la Pop Culture à l’instar d’un Michael Jackson*1, de David Bowie ou de Madonna, qui par ailleurs collectionne ses œuvres…

 

C’est une maison bleue…

12273310859?profile=originalDavid Bowie devant la Casa Azul de Frida Kahlo

Coyoacán dans les faubourgs de Mexico, le 20/10/1997

Maison qui l’a vu naître et mourir.

Maison devenue musée et sanctuaire.

Un ossuaire kitch où il est de bon ton de se recueillir.

(photographie de Fernando Aceves captée sur le net)

 

12273310701?profile=originalSanta Madonna… !

(photo captée sur le net)

 

 … inspirant de nouveaux artistes ou ornant les chambre d’adolescents, se retrouvant sur les places publiques, comme ici sur le Museum Square à Rhodes…

 

12273311855?profile=originalFrida Kahlo

Portrait réalisé par une artiste sur la place Alexandrou à Rhodes, 2017 (Grèce)

(d’après une photographie prise en 1938 de Nickolas Muray)

 

…. ou sur les réseaux, notamment sur celui dédié à la culture, à la curiosité et à l’amitié, Arts & Lettres bien sûr.

 

12273312075?profile=originalFrida

Anik Bottichio

Acrylique sur toile

Une fleur qui vous dévore de l’intérieur.

Frida ou l’écume des jours.

 

12273313056?profile=originalDona Frida Kahlo de Rivera et Grazino

Bernard Tournier

Huile sur toile, 2011

(d’après une photographie de Nickolas Muray, 1892-1965, qui fut un temps son amant)

Michael, Frida… à chacun son faon.

Fan de tes grands yeux

De ton sourire

Je suis fan de toi

 

Mais, entre idolâtrie et business, dérives et produits dérivés, Frida sur un coussin dans une boutique de souvenirs, est-ce bien séant ? Faut-il en pleurer, faut-il en pouffer ?

 

12273313086?profile=originalBroderie mécanique (Réthymnon, Crète, Grèce)

Carré magique avec figure hypnotique aux vertus narcotiques ?

Surrealistic pillow ?

Frida, comme La Catrina*2, définitivement Queen of Pop

 

12273313481?profile=originalLilia Carrillo

Palabras sueltas

(photo captée sur le net)

 

      Mais je ne saurai terminer sans au moins citer quelques oubliées (les nommer c’est déjà les reconnaître) comme Rosario Cabrera Lόpez (1901-1975), considérée comme « la première grande peintre mexicaine du XXe siècle » [mais qui s’en souvient ?], Aurora Reyes Flores (1908-1985), Elena Huerta Muzquiz (1908-1997), Fanny Rabel (1922-2008), peintre d’origine polonaise, ou Rina Lazo Wasem*3 (1923-2019), d’origine guatémaltèque elle assista Rivera. Si elles furent le plus souvent liées au mouvement muraliste mexicain (ou surréaliste comme nous le verrons plus loin), l’objectif de ce troisième billet consacré aux femmes est de montrer qu’elles furent plus que les seconds couteaux de la peinture.

12273313856?profile=originalRosario Cabrera Lόpez

Femme avec une écharpe rose (huile sur toile)

(photo captée sur le net)

Ou encore Cordelia Urueta Sierra (1908-1995), une grande dame de l’abstraction, Isabel Chabela Villaseñor (1909-1953), artiste aux multiples talents, Celia Calderόn (1921-1969), au graphisme d’une grande finesse, ou Lilia Carrillo (1930-1974), peintre de la Ruptura, accents lyriques et mots simples.

 

12273313677?profile=originalRemedios Varo

Anglès (Espagne), 1908 – Mexico, 1963

Creaciόn de las aves, 1957

(photo captée sur le net)

« Je voudrais être la projection pulvérisée du soleil

 sur la parure de lierre de tes bras. »,

Benjamin Péret (1899-1959)

Comme un répons, un écho profond, étrange et pénétrant aux

Chants de Nezahualcόyotl

« Tu décores des plumes du quetzal

Tes amis, Aigles et Jaguars. »

 

Et comment négliger María de los Remedios Alicia Rodriga Varo y Uranga, ou plus simplement Remedios Varo, peintre espagnole mais dont l’œuvre s’est épanouie au Mexique où elle s’éteignit. Tout comme Bridget Tichenor, née en France puis naturalisée Mexicaine, ou l’anglaise Leonora Carrington qui comme elle s’accomplit au Mexique, réalisant entre autres Le monde magique des Mayas. Toutes trois travaillèrent dans le voisinage du surréalisme, dans le sillage notamment de Paalen et d’Ernst dont elles semblent suivre le commandement en toute liberté de rêver

« Errez et sur vos flancs viendront se fixer les ailes de l’augure. »

 

Mexicaines dans l’âme, ces belles étrangères délivrent de purs moments de poésie. Aussi, parmi la jeune garde, j’ajouterai Beatriz Aurora (née Castedo Mira en 1956 au Chili), peintre mexicaine de la geste zapatiste des guérilléros du Chiapas au style naïf.

 

12273313499?profile=originalBeatriz Aurora

Granjas integrales zapatistas

(photo captée sur le net)

 

Mexique terre d’accueil et de rencontres où…

« Le rêve à travers les temps nous ramène ce temps où, sous le choc de la spontanéité humaine, la Nature entière devenait ensorcelée »,

Antonin Artaud (1896-1948)

 

12273314455?profile=originalLeonora Carrington

Clayton Green (G-B), 1917 – Mexico, 2011

Green tea, 1942

(photo captée sur le net)

 

      Beaucoup de femmes peintres se sont engagées dans le surréalisme, notamment sur cette terre d’élection. Mais à vrai dire ce sont surtout des étrangères qui se fixèrent au Mexique pour y trouver paix et refuge. Et dans ce pays qui est le « lieu du surréalisme par excellence », ainsi parlait le pape Breton en personne, elles bâtirent leur grand œuvre.

A ce propos, j’ai déjà écrit dans mon article sur Frida Kahlo, qui ne les estimait guère, que les pygmalions du surréalisme portaient finalement un regard condescendant sur leurs consœurs*4. Propos fumeux mais ô combien décisifs de ces Messieurs échangés au fumoir, anodins babils côté boudoir. Réflexion et fulgurances, transcendance, joliesse de l’expression et légèreté de la touche. Galanteries de gala des galapiats. Pas gâtée(s) Galatée(s)…

« C’est que ta tête est close, ô statue abattue. »,

Paul Eluard (1895-1952)

« A ce qu’on m’a raconté,

Cette bonne Galathée

Se teint les cheveux en noir ;

Toute autre est la vérité,

Car ils étaient déjà noirs

Quand elle les a achetés. »,

Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781)

Epigramme rapportée par Freud, l’adulée idole des Surréalistes,

dans Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient.

Et effectivement, persuadés de leur importance, on connait les uns, on ignore généralement les autres. A l’exception peut-être de Toyen (Marie Čermínová, dite ; 1902-1980) qui participa à toutes les expositions du groupe (si on met à part l’interruption due à la guerre). Même dans des ouvrages exclusivement dédiés aux artistes femmes, souvent écrits par des femmes, elles sont fréquemment définies par rapport à un compagnon, à un mari, à un mentor, voire à leurs seules liaisons. Maîtres et maîtresses. Chacun sa muse. Ainsi réduites, ce sont eux qui en définitive prévalent et que tout le monde admire. Et si on célèbre leur beauté, convulsive forcément, on entend implicitement femmes fatales, scandales, vénales, ou femmes-enfants, immatures, mineures. Egéries ! Pour ne pas en pleurer de ces mâles embouchés sonnant les trompettes de la renommée.

« Vérité, Beauté, Poésie : elle est Tout :

 une fois de plus sous la figure de l’Autre.

Tout excepté soi-même. »,

Simone de Beauvoir (1908-1986)

Misogynie à part, si certaines femmes artistes furent délaissées (Carrington, Tichenor, Izquierdo, en particulier) lors de la sélection officielle supervisée par Wolfgang Paalen et César Moro sous le haut patronage d’André Breton, il faut bien reconnaitre qu’à l’« Exposiciόn internacional del surrealismo. Mexico. 1940 » d’autres furent présentées (Kahlo, Rahon, Varo, ainsi que la Chilienne Graciela Aranis ou les Suissesses Meret Oppenheim et Eva Sulzer) à cette occasion*5. Avec parcimonie, comme une indulgence, par simonie.

Quand bien même, six reines (pour une cinquantaine de contributeurs) ne font manifestement pas un appel des ténors du mouvement. Révélateur entre-soi.

« Autrui joue toujours dans la vie de l’individu le rôle d’un modèle,

d’un objet, d’un associé ou d’un adversaire. »

Sigmund Freud (1856-1939)

Mises en scène, elles jouent en fait les utilités. Ainsi l’apparition lors de l’inauguration d’Isabel Marin en « Grand Sphinx de la nuit » ; femme-objet  papillonnant dans ce pré carré d’invités pour qui, selon le canon dicté par le maître de chapelle, « la beauté sera érotique-voilée, exposante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. » Ambiguë position. Comme d’ajouter un genre à artiste.

      A l’évidence, on ne peut qu’être séduit par le « réalisme magique » de la trop rare Bridget Bate Tichenor (1917-1990). Née à Paris au hasard des pérégrinations de ses parents, elle élit résidence à Mexico en 1953 après s’être partagée entre l’Angleterre, la France et l’Italie, pour y réaliser son ouvrage tout le reste de son âge. Une œuvre où B.B.T nous tend la psyché, la fait pivoter puis disparaître dans l’œil de sorcière… Quand, pour Breton, « la plupart des artistes en sont encore à retourner en tous sens le cadran de la montre sans se faire la moindre idée du ressort caché dans la boîte opaque. »

Paradoxalement sa production restera dans l’ombre la plus obscure, tombant dans un sommeil profond. Breton, prophète, l’ignorant superbement, quand cependant

« La finalité du poète est d’émerveiller.

Je parle de l’achevé et non du malavisé.

Qui ne sait étonner qu’il se fasse étriller »

Le Cavalier Marin

(Gianbattista Marino, dit ; 1569-1625)

Et elles émerveillent, captivent et magnétisent de leur chant étrange et émouvant.

 

12273313698?profile=originalBridget Bate Tichenor

Les surréalistes ou Les spécialistes

Huile sur masonite, 1956

(photo captée sur le net)

Qui réveillera ces belles au bois dormant ?

Sûrement pas ces Messieurs les censeurs !

Fées libres, ces félibres étonnent autant qu’elles détonnent.

 

12273314665?profile=originalRemedios Varo

Le troubadour

Huile sur masonite, 1959

(photo captée sur le net)

      A mes yeux pourtant Leonora Carrington, Bridget Tichenor, Remedios Varo notamment, pour rester au Mexique, font bien partie des meilleurs peintres surréalistes du vingtième siècle. J’y ajouterai l’américaine Dorothea Tanning (1910-2012) qui sème le trouble comme personne tout en dénonçant narquoisement « la triste petite procession d’analyseurs qui se traînent jusqu’à l’autel de la libido en chantant leurs cantiques chevrotants. »

 

12273314289?profile=originalDorothea Tanning

La chambre d’amis

(huile sur toile, 1951)

« Les gens déambulent

chuchotent, se regardent

Nul ne sait que faire de la mort, ma sœur

Nul ne sait que faire de ta mort. »

Mόnica Mansour

(poétesse mexicaine née en Argentine en 1946,

extrait de Lumière)

 

12273315269?profile=originalDorothea Tanning

La chambre d’amis (détail)

 « Tout cela que la nuit dessine de sa main obscure :

Le plaisir qui révèle,

Le vice qui dénude. »

« Mais les psychologues voudront comprendre alors qu’il s’agit d’imaginer. »

Collage : Xavier Villaurrutia (1903-1950)

et Gaston Bachelard (1884-1962)

 

      Pour parfaire l’inventaire, levons coin du voile jeté sur Angelina Beloff (1879-1969), peintre et graveuse d’origine russe connue pour avoir été la première épouse de Diego Rivera, ce qui est tout de même très réducteur.

 

12273315068?profile=originalAngelina Beloff

Tepoztlán

Aquarelle

(photo captée sur le net)

      Et, bien que liée à l’Art déco dont elle fut l’étoile filante, j’ai une pensée pour Tamara de Lempicka (née Maria Gόrska ; 1898-1980). L’éruptive baronne polonaise passa les deux dernières années de sa vie à Cuernavaca, au-dessous du volcan des passions éteintes. A sa mort elle souhaita que ses cendres soient dispersées au sommet du Popocatepetl…

« On ne peut vivre sans amour »,

Malcolm Lowry (1909-1957)

 

12273315081?profile=originalTamara de Lempicka

Mexican girl, 1948

(photo captée sur le net)

 

Alors, femme, fière, rebelle, je m’enflamme et te porte aux nues pour

« Rien que cette lumière que sèment tes mains

Car tu es l’eau qui rêve

et qui persévère. »

Philippe Soupault (1897-1990)

 

Rebel Rebel… pour être vraies.

Para bailar la Bamba

Se necesita una poca de gracia,

Una poca de gracia y otra cosita.

Traditionnel (typique du son Jarocho)

Pour danser la Bamba

Cela nécessite un peu de grâce,

Un peu de grâce et autre petite chose.

Peut-être ce petit supplément

Qu’on appelle le talent

Grâce et talent ici réunis.

 12273315681?profile=originalTamara de Lempicka

Calla lilies*6, 1931

(photo captée sur le net)

 

      Quant à Georgia O’Keeffe (1887-1986), une autre figure majeure du modernisme, qui vécut au Nouveau-Mexique l’essentiel de sa vie. Elle nous invite à passer outre la frontière et à nous engager, car

« Il faut du courage pour créer un monde dans tout art. »

Aussi à vous toutes je dédie ce billet, quand bien même reste « quelque chose inexplorée sur la femme que seule une femme peut explorer. »

12273315470?profile=originalGeorgia O’Keeffe

Two calla lilies on pink, 1928

(photo captée sur le net)

Variations sur un même thème. Un thème également cher à Diego Rivera.

Tous les chemins mènent arum. Arum, fleur du désir ardent.

 

      Au fait, si machiste que cela le Mexicain ? Pas si simple… A Juchitán de Zaragoza, la « ville des femmes », en particulier, comme souvent dans l’état d’Oaxaca et l’isthme de Tehuantepec, les femmes administrent la vie économique et domestique tandis que les hommes sont aux champs, quoiqu’ils s’arrogent en général la sphère politique. Matriarcat particulier. Cette communauté de culture zapotèque respecte également les muxes, ces « hommes au cœur de femme ».

Et je ne saurai passer sous silence sœur Juana Inés de la Cruz (1648-1695), poétesse mexicaine et pionnière du féminisme, lorsqu’elle formule ce vœu :

« Pour l’âme, il n’existe ni cachot, ni prison qui la retiennent,

car seuls l’emprisonnent ceux qu’elle s’invente elle-même. »

Il n’en reste néanmoins vrai que le pays est particulièrement violent envers les femmes. Alors quand on est femme et indigène…

       A l’heure où les lointains descendants du conquistador Hernán Cortès et de l’empereur aztèque Moctezuma II se congratulent pour fêter le 500e anniversaire de la colonisation du Mexique et faire table rase du passé. Tous les espoirs peuvent paraître permis ! Fort de cacao tout de même...

Souvenez-vous. Les Mexicas reçurent le présage de s’établir là où ils verraient un aigle sur un cactus s’emparant d’un serpent*7. C’était même un commandement de Huitzilopochtli, dieu de la guerre et du soleil radieux, leur protecteur. L’apparition se réalisa sur une île au milieu du lac Texcoco, et là ils fondirent Tenochtitlán… Lorsque, moins de deux siècles plus tard, le perfide Cortès fondit sur eux ils le virent tel le serpent tout emplumé et le reçurent comme un fils du dieu Quetzalcóatl, avec ses guerriers, ses envoyés descendus des cieux… Les dieux sont tombés sur l’Aztèque.

Clap de fin de la civilisation méso-américaine.

S’ils ne veulent à nouveau tomber dans le lacs, ses petits-enfants devraient se méfier des augures…

Il serait plus avisé, autant pour les Indiens que les femmes, de rester sur le qui-vive.

« Lutter, c’est vivre. »,

Frida Kahlo

 

Michel Lansardière (texte, notes et photos, sauf mention contraire)

 

Retrouvez ici notre première partie « Femmes, fières et Mexicaines ! » consacrée à Frida Kahlo :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexi...

Et là le second volet de notre triptyque (Maria Izquierdo, Olga Costa, Rosa Rolanda…) :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-2e-partie-frida-mar-a-olga-rosa-et-c

 

On vient de retrouver la voix « chaude et mélodieuse » de Frida Kahlo, selon la ministre mexicaine de la culture, Alejandra Frausto.

Si cet enregistrement fait déjà grand bruit dans le landerneau médiatico-culturel, j’ai voulu suivre d’autres voies.

Décidément si

Le secret au bord des lèvres

Semble dépasser un peu,

Emergeant de ses ténèbres

Il goûte à l’air du ciel bleu

Jules Supervielle (1884-1960)*8

D’autres voix demandent à être entendues.

*1 Influences et concordances… Cf. l’exposition On the Wall qui, du 23/11/2018 au 14/02/2019, fut consacrée à Michael Jackson au Grand Palais à Paris, qui a succédé à la National Portrait Gallery de Londres. On pouvait aussi découvrir celle dédiée, au Victoria & Albert Museum (du 16 juin au 4 novembre 2018) aux effets personnels de Frida Kahlo ! On apprenait ainsi que son rouge à lèvre était le « Everything’s Rosy » de Revlon ! Où va se loger le fétichisme tout de même ! Il y a quand même des cultes de la personnalité dont on se passerait bien (et même des coups de pied au culte qui se perdent parfois. A ce propos, une collection de chaussures à son effigie vient d’être lancée ! Quel pied !?).

*2 La Catrina est une figure populaire au Mexique, un squelette de femme imaginé en 1912 par José Guadalupe Posada.

Calavera, crâne crâne, cadavérique créature portant chapeau et affûtiaux pour une danse macabre.

Ce fantôme de squelette

N’a pour toute toilette

Qu’un diadème de vers

Posé tout de travers.

Charles Baudelaire

12273315875?profile=originalCadavre exquis, Ô Catrina bella mariachi-tchi.

Cent sept ans que j’attends ! J’ai honte, mais gironde géronte.

*3 Rina Lazo est décédée ce 1er novembre 2019, pendant El Día de muertos, jour de fête populaire au Mexique qui s’étend en fait du 31 octobre au 2 novembre, ce qui est une forme de politesse que nous lui rendons. Elle habitait avec son compagnon, le peintre et graveur Arturo García Bustos (1926 -2017), la Maison de la Malinche, la maîtresse indienne de Cortès.

*4 Un mépris qui se manifestât aussi par l’organisation de « dîners de cons » où le convive était sacrifié sur l’autel de l’humour. Surréaliste.

*5 Remarquez que d’ordinaire j’illustre mes billets avec mes propres clichés, ce qui n’est pas le cas ici (à l’exception de Rahon et de Tanning, curieusement cette dernière étant pourtant peu légitime pour représenter la peinture mexicaine n’y ayant pas même vécu, mais présente à l’exposition Los Modernos à Lyon). C’est qu’aux grandes rétrospectives de Lille en 2004, de Paris en 2016 ou de Lyon en 2017, les femmes peintres au Mexique étaient somme toute sous-représentées (bien qu’on y ait accroché Izquierdo, Costa, Rolanda : voir mon précédent article). Guère mieux dans les catalogues et livres consultés, alors de guerre lasse j’ai eu recours pour cet article à des photos captées sur le Net. Il fallait bien rendre visibles les invisibles, en toute transparence c’est clair.

*6 Calla lily : arum ou zantedeschia.

*7 Une image toujours présente au centre du drapeau mexicain.

Federico Acosta et Ascanio Pignatelli, respectivement descendants de Moctezuma et de Cortès, se sont rencontrés le 8 novembre 2019 sur les ruines de l’ancienne Tenochtitlán, dans cœur historique de la capitale, le Zόcalo, là où précisément au centre de la place flotte un drapeau géant du pays. « Nous sommes une même famille maintenant », ont-ils déclarés. Une plaque commémorative avait déjà été posée en quasi catimini (vous ne trouverez dans le pays ni rue Cortès ni statue du mégalo) le 26 mars 2109 dans l’église de l’Immaculée Conception de la mégalopole. Baroque.

*8 Le poète, né à Montevideo (Uruguay), était l’ami de l’écrivain et diplomate Alfonso Reyes (1889-1959) alors qu’il était ministre du Mexique à Paris, par ailleurs oncle de la peintre muraliste Aurora Reyes Flores déjà citée dans ce billet. Il avait donc toute sa place dans cette série.

12273315700?profile=originalAurora Reyes Flores

Parral, 1908-Mexico, 1985

Presencia del maestro en la historia de Mexico (mural, 1960/62)

(photo captée sur le net)

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12273308670?profile=original (photo captée sur le net)

 

« Un tableau est un poème et rien d’autre. »

 

12273308498?profile=original Prométhée, 1944

 

      José Clemente Orozco (Zapotlán el Grande, 1883-Mexico, 1949), le plus enraciné peut-être, le plus fidèle à la Révolution mexicaine, le plus indépendant sûrement. Il se tiendra ainsi éloigné des mouvements picturaux européens, seul comptera pour lui José Guadalupe Posada (1852-1913).

 

12273308688?profile=originalLes femmes de soldats, 1926

 

      L’homme n’est pourtant pas à un paradoxe près, rejetant la peinture de chevalet (que je présente ici ; commandes officielles aidant il se convertit à la fresque), la culture européenne (il voyagea en France, en Italie, en Espagne, et résida aux Etats-Unis), ou désaccords politiques (engagé auprès des troupes du sud, il se rallia à celles du nord après leur victoire lors de la Révolution. Plus tard, il s’interrogera sur les dérives de la Révolution). Mais quoi de plus normal, nous sommes tous pétris de contradictions, nous évoluons ou nous adaptons aux circonstances. Et Viva la Revoluciόn !

« Toute œuvre d’art est une possibilité permanente de métamorphose,

offerte à tous les hommes. »,

Octavio Paz (1914-1998)

Il doute, c’est le propre d’un artiste, mais difficile de dire qu’il aille dans le sens de l’Histoire quand celle-ci emprunte de tels zigzags. Et Viva Zapata !

 

12273309482?profile=original Défilé zapatiste, ca 1930

 

      Hanté par la mort, très attaché à la culture de son pays, à son peuple, il montrera toujours une volonté farouche de bâtir une nouvelle approche artistique visant à exalter le caractère latino-américain. Et Viva la muerte !

Mais trêve de discours, le contexte ayant été évoqué dans la première partie de cette série, place donc à sa peinture… de chevalet, qu’un temps il jugea trop élitiste, qu’il me pardonne. Et Viva la diáspora francόfona !

 

12273309692?profile=original Indiennes, de la série « Les Teules », 1947 

(pyroxyline sur masonite)

 

… et à la poésie, avec ce beau et long sanglot du Mexique précolombien :

 

« Pleure : je suis poète

Entre mes mains, je vois les fleurs

Qui embellissent mon cœur : je suis poète

Où tu voudras mon cœur, mon esprit

A quelle poignée de turquoises,

comme une émeraude brillante

J’avais estimé mon poème

et mes belles fleurs

Réjouissez-vous mes amis :

personne ne restera sur terre

Pour cette raison, je pleure

et je répands mes fleurs... »

 

12273310286?profile=originalTête fléchée, de la série « Les Teules »

(pyroxyline sur masonite, 1947)

 

«... Par hasard viendras-tu avec moi

dans la région du mystère ?

Je n’y emporterai pas mes fleurs,

bien qu’étant poète

Réjouissez-vous,

nous sommes toujours vivants :

tu es en train d’entendre mon chant

Pour cette raison je pleure,

moi le poète :

Le poème n’a pas atteint la maison du Soleil,

Les jolies fleurs ne peuvent descendre

au royaume des morts.  »

Poème aztèque*

 

 12273310464?profile=originalSacrifice humain, de la série « Les Teules »

(pyroxyline sur masonite, 1947)

Lors de la Conquista, Hernán Cortès (1485-1547) et sa bande de rufians croisés sont horrifiés par les sacrifices humains réalisés en l’honneur du dieu de la Guerre et du Soleil, Huitzilopchtli. De leur côté les Aztèques, Moctezuma II (ca 1466-1520) en tête, pensent que les Espagnols sont des Teules, des envoyés des dieux annoncés par un mauvais présage. Le choc est inévitable. Mais que faire face à ces émissaires, invincibles et vengeurs ? Après la Noche Triste du 1er juillet 1520 les conquérants firent main basse sur la ville de Tenochtitlán, future Mexico. Le sort des Aztèques est scellé.

Parcourant sa toile

la clarté lunaire

tient l’araignée en éveil

José Juan Tablada (1871-1945)

12273310491?profile=originalHernán Cortès,

que Moctezuma accueillit en son sein comme le « Serpent à plumes »,

le descendant du dieu Quetzalcóatl. Funeste méprise.

Peinture murale de José Clemente Orozco

(photo captée sur le net)

 

      Il ne faut cependant pas le confondre avec son homologue et quasi homonyme Carlos Orozco Romero, peintre du « réalisme magique ». Un pont entre deux rives, deux rêves, peinture métaphysique et surréalisme.

 

12273311281?profile=originalCarlos Orozco Romero

Guadalajara, 1896-Mexico, 1984

Portrait de Maria Marin

(huile sur toile, 1937)

 

A suivre… avec David Alfaro Siqueiros.

Vous trouverez aux liens suivants :

İ Que viva Mexico ! Pour une présentation générale de la peinture mexicaine contemporaine:

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-tres-grandes-rive...

Diego Rivera :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres-grandes-2e-partie

 

Michel Lansardière (texte et photos, sauf mention contraire)

 

Extrait d’un poème en langue nahuatl, transcrit et traduit du Latin ou de l’Espagnol. Les plus beaux textes sont les Chants d’orphelin (icnocuica) de Nezahualcόyotl (1402-1472), le prince-poète de Texcoco, fils du roi Huehue Ixtlilxόchitl. Ces chants assemblent deux recueils, les Cantares Mexicanos et les Romances de los Seňores de la Nueva Espaňa. Ils reflètent une culture aztèque bien plus sensible qu’il n’y paraît.

« Je ne viens chercher, à la hâte,

que mon chant vertueux,

et avec lui, je cherche aussi

l’endroit où ils s’assemblent, eux, nos amis,

là où l’on exalte l’amitié. »

Chants de Nezahualcόyotl,

traduits du nahuatl par Georges Baudot.

Dans sa série « les Teules », comme auparavant pour Les horreurs de la Révolution, Orozco, sans prendre parti, s’est souvenu de tout cela, puisant son inspiration à la fois chez Francisco de Goya (1746-1828) et ses Désastres de la guerre et dans les poèmes synthétiques (haïkus) de José Juan Tablada. A sa manière, il a fait œuvre de syncrétisme, de modernisme, d’œcuménisme.

J’espère, avec ces quelques notes, avoir levé un voile.

12273312281?profile=originalJosé Clemente Orozco : Juventud (jeunesse)

(photo captée sur la toile)

 

« Le baume qui cicatrise la blessure du temps se nomme religion ;

le savoir qui nous amène à vivre avec notre blessure se nomme philosophie. »,

Octavio Paz


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12273305890?profile=originalMaría Izquierdo

Ma tante, un petit ami et moi *1

Huile sur toile, 1942

 

      Jouissant d’une immense aura depuis le succès du film éponyme qui lui fut dédié (Frida de Julie Taymor, 2002), qui fit suite au livre de Hayden Herrera, Frida Kahlo est devenue une icône internationale, une figure de proue du féminisme, qui malheureusement éclipse ses contemporaines mexicaines. J’ai pu le constater lors de la dernière exposition consacrée aux artistes mexicains (Los Modernos, au Musée des Beaux-Arts de Lyon du 2 décembre 2017 au 5 mars 2018) où une foule se massait devant les quelques œuvres de sa main, délaissant, ou presque, les autres artistes accroché(e)s aux cimaises.

Mais foin de polémique, j’ai voulu rendre ici un petit hommage aux autres femmes peintres du Mexique.

Place donc à…

 

12273307056?profile=originalMaría Izquierdo

Autoportrait, 1946

 

María Izquierdo (San Juan de los Lagos, 1902-Mexico, 1955) :

Artiste essentiellement autodidacte, comme le Douanier Rousseau qui fantasma le Mexique dans ses toiles et ses rêves d’exotisme naïfs. Compagne du peintre Rufino Tamayo (1899-1991), proche de Wolfgang Paalen et des surréalistes, elle milita au sein de la Ligue des écrivains et artistes révolutionnaires. Ce qui n’empêcha pas, en 1945, le trio Rivera, Siqueiros, Orozco d’opposer leur veto à une commande de fresque à María Izquierdo. Macho un poco, no ?

En tout état de cause, si les « Trois Grands » se montrèrent bien petits, nos conspirateurs d’opérette l’évincèrent. En art comme en littérature point n’est besoin de généraux de pronunciamientos.

 

12273307270?profile=originalMaría Izquierdo

Calvaire

Aquarelle, 1933

 

Olga Costa (Leipzig, 1913- Guanajuato, 1993) :

Peintre d’origine allemande, née Olga Kostakowsky Falvisant, elle s’activa à promouvoir les arts plastiques mexicains dont elle fut l’« ange blanc » selon Carlos Mérida.

  12273306698?profile=originalOlga Costa

Autoportrait

Huile sur toile, 1947

 

Rosa Rolanda (Azusa, Californie, 1898- Mexico, 1970) :

Peintre, photographe, danseuse et chorégraphe d’origine américaine, née Rosemonde Cowan, elle côtoya notamment Frida Kahlo et Diego Rivera.

 

12273307671?profile=originalRosa Rolanda

Autoportrait

Huile sur toile, 1952

Maria del Carmen Mondragόn Valseca (Tucabaya, 1893- Mexico, 1978), dite Nahui Olin :

Peintre et poète, elle fut la compagne de Gerardo Murillo, dit Dr. Atl (le signe de l’eau dans l’astrologie aztèque), qui lui donna le pseudonyme de Nahui Olin, en référence au nom nahuatl d’une fleur*2. Libre et sauvage beauté. 

 12273307486?profile=originalDr. Atl (Guadalajara, 1875-Mexico, 1964)

Nahui Olin : portrait futuriste

Pastel et huile, ca 1921

« Il faut te parer de tes fleurs,

la fleur de spatule rouge divine

à l’éclat de soleil,

la fleur de corbeau.

Avec elles couvrons-nous, sur la terre,

ici-bas, seulement ici-bas. »

Chants de Nezahualcόyotl (1402-1472),

traduits du nahuatl par Georges Baudot.

 

Alice Rahon (Chenecey-Buillon, Doubs, 1904-Mexico, 1987) :

D’origine française, mariée au peintre Wolfgang Paalen (1905-1959), elle fit partie du groupe surréaliste. Marquée dans ses chairs comme Frida Kahlo, gagna le Mexique à l’invitation de cette dernière, pays qu’elle ne quittera plus.

 

12273308463?profile=originalAlice Rahon

Autoportrait et autobiographie

 Huile et sable sur toile, 1948

 

12273309261?profile=originalWolfgang Paalen

Vienne (Autriche), 1905-Taxco (Mexique), 1959

Grand enfumage (Orphée)

Enfumage  et huile, ca 1935

Né à Vienne en 1905, Wolfgang Paalen adhéra au surréalisme en 1935. Il initia le procédé « automatique » du « fumage » (comme le sont le « cadavre exquis », grattage, frottage, collage, décollage…). Il s’établit au Mexique en 1939 où il décédera vingt ans plus tard. Il y travailla avec des artistes locaux comme le peintre et caricaturiste Miguel Covarrubias (1904-1957).

 

A suivre avec Lilia, Leonora, Remedios

Première partie consacrée à Frida Kahlo au lien suivant :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-1-re-partie-frida-kahlo?xg_source=activity

 

Michel Lansardière (texte et photos)

 

*1 Toile que l’on pourra rapprocher de celle de Frida Kahlo, réalisée en 1936, « Mes grands-parents, mes parents et moi (arbre généalogique) » exposée au MoMA de New York.

*2 Ollin, c’est aussi le mouvement cosmique du Soleil et de la Lune. Nahui Ollin représente les « quatre courses du Soleil », notion qui correspond à la perception cosmogonique des mythes fondateurs dans les cultures préhispaniques. Au commencement du monde il y avait Ometeolt (dieu-deux), puis quatre soleils (jaguar, vent, pluie, eau) se succédèrent…

Lors du quatrième cycle, Nahui Atl (quatre-eau, ou Atonatiuh, soleil d’eau), un homme et une femme sortirent indemnes du déluge mais, ayant désobéis à Tezcatlipoca (« miroir fumant », divinité primordiale), ils furent métamorphosés en chiens.

Nahui Ollin serait en fait le cinquième soleil, un nouvel âge qui verrait s’effondrer le monde dans de violents séismes…

Remarquons que ces quatre soleils nous renvoient aux quatre ères géologiques. L’ère quaternaire, dernière division du Cénozoïque, se serait terminée. Nous serions entré dans l’Anthropocène… le temps où l’homme, nouvelle force tellurique, est devenu capable de bouleverser la biosphère.  

Notons encore que la fleur nahui olin est à quatre (nahui) pétales. Fleur que l’on retrouve stylisée sur le manteau de Notre-Dame de Guadalupe, la sainte patronne du Mexique. La Vierge Marie serait apparue le 9 décembre 1531 (fêtée le 12 décembre, date de la quatrième et dernière apparition) à Juan Diego Cuauhtlatoatzin, qui sera le premier chrétien amérindien canonisé. Prélude à l’indépendance le père Miguel Hidalgo lance son « cri de Dolorès » le 15 septembre 1810 : « Vive la Vierge de Guadalupe ! » fédérant ses partisans. Plus tard les troupes zapatistes la brandiront en étendard. 

CQFD, dieux et deux font quatre, merci.

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Des mois se sont écoulés depuis ma dernière publication, pourtant, je ne vous oubliais pas !

Mais que de travail, d'obligations, de déplacements, d'implications, d'engagements urgents, et de priorités incontournables (qui ne m'ont pas laissé une minute pour souffler au point de ne plus arriver à suivre mon courrier) dans une cadence jamais soutenue jusqu'à la fin de l'année écoulée et au début de celle-ci ! 

Mais quelle joie aussi, de voir que cette vie à cent à l'heure a aboli le temps et permis des raccourcis suffisamment puissants et chargés d'énergie pour vous en envoyer mentalement assez, de quoi démarrer votre année avec une formidable volonté créative, et un mental d'acier.

Alors, très bonne année 2019 !

Avec la « Parabole de Liaucous », l'année commence sous l’aspect d’un mini-feuilleton vidéo réalisé à partir de l’histoire d’un jour, où je vous emmène avec moi dans une magnifique et peu banale randonnée…

Dans ce premier épisode, elle débute sous la forme d’une réflexion à haute voix pendant les premiers kilomètres de la balade, réflexion sur l’intérêt de l’aquarelle de terrain et du carnet « témoignage » (ou de voyage si vous préférez) dans notre monde contemporain.

Mon idée serait (sans prétention, mais avec efficacité) de pouvoir appliquer les enseignements reçus de cette réflexion (et de celles qui suivront dans les prochains épisodes) à la vie en général.

Vaste entreprise me direz-vous, mais qui a au moins l’intérêt de s’insérer dans la série d’expériences* qui m’a amenée à la création d’un grand nombre de mes peintures sur toile, dont l’origine sur le terrain passait par des actions similaires.

Dans cette série de vidéos, cette nouvelle démarche passe par un feed-back permanent entre l’action, la situation de l’instant, et différents symboles qui sont le fil conducteur de ma réflexion. Cela sur toile de fond de mes souvenirs les plus marquants de l’année écoulée qui défilent sous forme d’une mini rétrospective des principaux évènements qui pour moi, ont joué en 2018 un rôle assez déterminant pour influer sur mes projets 2019, et par conséquent sur tout ce que je pourrai vous apporter ou partager avec vous cette année.

Car ce qui compte dans l’expérience du passé est naturellement ce qui peut le mieux nous servir à préparer l’avenir, et donc, pour que ce qui m’a le plus profité en 2018 puisse vous servir, tant soit peu que les enseignements que j’en ai retirés puissent vous être profitables également.

Entrons dans ma "symbolique du sac" et dans celle de la montagne...

Si j’utilise ici des métaphores, en vous faisant partager cette randonnée comme si vous y étiez grâce à deux petites caméras de sport, simplement à la volée, sans stabilisateur ni calcul de cadrage, c’est intentionnel : vous êtes ainsi avec nous davantage au cœur de l’action, vous nous suivez sur la route ou les sentiers rocailleux, sur les parois ou en équilibre sur un fil au-dessus du vide, dans les airs accrochés aux élévateurs de nos parapentes.

Cela bouge beaucoup à l’image de la vie comme je l’aime, où tous les jours sont différents et où on apprend quelque chose à chaque instant.

C’est d’ailleurs grâce à cela que vous lisez ces lignes, car je ne les aurais certainement jamais écrites si n’étant pas animé pour toute chose d’une grande passion, je n’en retirais assez d’énergie pour la partager ensuite avec vous !

Que cette énergie vous accompagne donc toute cette année, qu’elle vous aide à chaque instant et vous protège, fait partie de mes souhaits.

Alors, encore une fois : très bonne et heureuse année 2019 avec ce premier épisode de la « parabole de Liaucous ».

P.S. : Pour la vidéo, c’est Thomas qui utilise la première « action-cam » et je l’en remercie vivement, quant à la seconde elle est avec moi (généralement fixée à mon casque). Merci également à Sebastien et à Max les deux autres acteurs de cette belle randonnée.

* Concernant les « expériences » que j’évoque plus haut, je vous renvoie aux pages déjà publiées ici, , ou .

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12273300852?profile=originalFrida Kahlo

Les deux Frida, 1939

Corps corseté, âme libre d’oiseau blessé, Frida

« dont les visions sont à la fois précises et hallucinantes. »,

   Octavio Paz

 

      On dépeint volontiers le Mexicain comme macho, il en serait même le stéréotype. Et l’on n’a pas nécessairement tort, ne serait-ce qu’en pensant au comportement de Diego Rivera à l’égard de sa compagne, Frida Kahlo. Pourtant sous le soleil du Mexique, des femmes se sont épanouies et ont montré un talent singulier, dans leurs toiles aussi bien que dans leurs photographies. Ainsi, à leur manière, elles ont marqué leur siècle et leur pays. Ce que nous allons montrer ici.

 

12273301455?profile=originalAutoportrait

Huile sur métal, 28/07/1938

 

A commencer par Frida Kahlo (Coyoacán, 1907-1954), Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderόn pour l’état civil, née d’un père allemand et d’une mère mexicaine.

« Un ruban autour d’une bombe », selon le mot d’André Breton, poupée désarticulée à la Hans Bellmer. 

 

12273302256?profile=originalThe frame-Autoportrait

 Huile sur aluminium sous verre, 1938

 

      On ne la présente plus depuis l’immense succès international du biopic Frida de Julie Taymor en 2002, la poliomyélite qui la diminue, son accident de bus en 1925, sa rencontre avec Diego Rivera (1886-1957), leurs amours, leurs amis (Trotski, Breton… Quoique, concernant ce dernier, Frida soit plus réservée : « El seňor Breton se prend trop au sérieux. »), ses emmerdes… Aussi faisons place à sa peinture.

Il faut admettre qu’elle s’est beaucoup représentée, de sa mise au monde à sa mise en tombe, femme brisée au miroir.

 

12273302488?profile=originalAutoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis

Huile sur métal, 1932

Carmen Rivera depuis son mariage avec Diego Rivera en 1929.

Ecartelée entre racines et modernité.

Fumée des usines Ford à Detroit élevées au dieu-argent,

pyramides du Soleil et de la Lune aux dieux de son pays où la nature est reine.

Organisation scientifique du travail et créativité spontanée.

Prospérité et froideur des gringos, pauvreté et chaleur des compañeros.

La nostalgie gagnait…

 

Sans cesse elle s’interroge, elle ou son image, sa confidente, sa déchirure,

cet abîme à sonder, toujours entre deux amours, deux civilisations, dis-moi

« Où pourrais-je diriger mon regard ? Si immense, si profond ! »

 

12273302879?profile=originalPortrait aux cheveux coupés

Huile sur toile, 1940

A quoi tient l’amour ou la considération ?...

« Regarde, si je t’ai aimé, ce fut pour ta chevelure,

Maintenant que tu es tondue, je ne t’aime plus. »

lit-on en bandeau (en-haut, absent de ma photo).

Une émancipation que démentira la Libération…

Frida, l’eau et le feu, l’Ange et la Mort, yin et yang.

Ou plutôt Ollin, le protecteur du jour,

et son pendant, Xolotl*, l’Etoile du Soir,

l’incarnation même de son pays et de sa dualité.

 

      Souvent qualifiée de surréaliste car, comme disait Magritte, « Est surréaliste ce qui paraît convenir à Breton. » Elle, tempérament plus orageux, le traita plus simplement d’ « hijo de p… » Respectueuse, certes, mais franche et directe la pétroleuse épistolière, c’est dire si ses relations pouvaient être compliquées. Langage fleuri qui contraste avec celle qui signait parfois Xochitl, première femme mortelle apparue sur terre dans la mythologie aztèque (ou Xochiquetzal, « belle fleur », déesse de l’amour et de la beauté entourée de papillons et d’oiseaux. Et Frida s’y connaissait en noms d’oiseaux, comme un vrai pistolero).

Alors surréaliste ou pas, quoi qu’il en soit elle est plus dans la recherche de sa vérité, à reconstruire le puzzle de sa vie, ou l’autoanalyse de sa réalité si l’on veut, que dans le songe ou l’illusion. Sa lucidité est sa liberté.

      Abrupte peut-être Frida quand elle méprisait les surréalistes, un cénacle d’intellectuels rabougris, prenant maîtresses ou souvent mariés à des artistes de premier plan (Dorothea Tanning et Max Ernst, Remedios Varo et Benjamin Péret, Greta Knutson et Tristan Tzara, Kay Sage et Yves Tanguy, Leonora Carrington…), qui, tout en célébrant leur beauté, les cantonnaient dans un rôle de muse, de faire-valoir, obscurs objets du désir. Critiques serviles et beaux-esprits virils souvent les mésestimèrent, reléguant leurs œuvres au rang de simples curiosités. On vénère les uns, premiers de cordée, on ignore leurs moitiés, grillons du foyer.

      Elle leur reprocha également leur manque de vision politique ou leur passivité à l’heure de la montée du fascisme. Oisifs discourant sans fin, vanité et mots oiseux.

      Certes dans l’antilogie, Frida ferma souvent les yeux sur les égarements de son muraliste réaliste et rigoriste, quand il n’était pas volage, de mari. Et fut même généralement suiviste (Diego est exclu du Parti communiste mexicain en 1929, elle rompt dans la foulée), voire récidiviste (elle divorce de Diego en décembre 1938, elle se remarie deux ans plus tard avec lui). Toujours ils se rabibocheront. Le cœur a ses raisons.

Surréaliste ou pas, en tout cas son œuvre ne se résume pas à cela. L’artiste est complexe et tourmentée, force obscure aux tonalités flamboyantes.

 

12273303863?profile=originalVue de Central Park

Crayon et aquarelle, 1932

De 1930 à 1933, Frida séjourne aux Etats-Unis avec son mari. Elle souhaite ardemment être mère mais ne connait que des fausses couches.


12273304073?profile=originalSans espoir

Huile sur masonite, 1945

(museo Dolores Olmedo, photo captée sur le net)

Soleil et Lune, impossible rendez-vous…

 

12273303690?profile=originalEnfant tehucana, Lucha Maria

ou Soleil et Lune

Huile sur masonite, 1942

L’antique cité de Teotihuacán abrita jusqu’à 200 000 âmes au VIIe siècle.

Elle est dominée par la pyramide du Soleil (la 3e au monde par sa taille)

et la pyramide de la Lune que relie entre elles la chaussée des Morts.

Les nuages s’accumulaient, le temps des sacrifices était revenu, les dieux de la guerre l’exigeaient si l’on voulait que le soleil brille encore.  

Toujours dans l’action politique Frida, pourtant militante de la paix (elle signe parfois Frieda, de l’allemand frieden, paix), souhaite que son pays s’engage face à l’emprise étouffante des forces de l’Axe. Le 2 juin 1942, le Mexique rejoindra les Alliés contre l’Allemagne nazie (les Etats-Unis étant entrés en guerre le 8 décembre 1941, au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor).

L’enfant alors pourra peut-être paraître apaisée.

 

La lune est araignée d’argent

qui tisse sa toile

dans la rivière qui la révèle

José Juan Tablada (1871-1945)

 

12273304498?profile=originalNature morte avec perruche et drapeau

Huile sur masonite (détail), 1951

 

      Rien de tout cela, peut-être, sans quelques autres femmes d’influence qui soutinrent les jeunes pousses prometteuses de la nation. Ainsi Dolores Olmedo qui collectionna activement les œuvres de Rivera et de Kahlo pour les offrir au peuple mexicain dans sa fondation. Ou María Asúnsolo, muse et mécène, déjà remarquée pour ses deux portraits réalisés par David Alfaro Siqueiros (https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/david-alfaro-siqueiros-los-tres-grandes-4e-partie), que l’on dévoile ici sous le pinceau du peintre brésilien Emiliano Augusto Cavalcanti de Albuquerque e Melo dit Di Cavalcanti (1897-1976).

 

12273305293?profile=originalEmiliano di Cavalcanti

Rio de Janeiro, 1897-1976

Portrait de María Asúnsolo

(huile sur toile, 1942)

 

A suivre… María, Olga, Rosa et quelques autres…

 

12273305486?profile=originalFrancisco Zúňiga Chavarria

Snan José, Costa Rica, 1912-Tlalpan, Mexique, 1998

Groupe de femmes

(bronze, 1974)

 

Michel Lansardière (texte et photos)

 

* Xolotl était le jumeau de Quetzalcóatl, le Serpent à Plumes, le dieu de l’intelligence de la mythologie aztèque. Diego Rivera a représenté Frida Kahlo au centre de sa fresque Songe d’un dimanche après-midi à l’Alameda (4,8 x 15m, 1948) tenant le symbole du yin et du yang au côté de la Mort avec un médaillon de ceinturon orné du glyphe Ollin le tenant lui enfant par la main droite et bras dessus bras dessous avec José Gualalupe Posada (1852-1913), surtout connu comme graveur et précurseur d’un art populaire proprement mexicain. La mort, aboutissement et complément de la vie, arbore aussi autour du cou un serpent à plumes comme la Grande Zoa portait le boa. Tandis que Frida, légèrement en retrait, veille sur Diego. Voir aussi Nahui Ollin au deuxième volet consacré aux femmes peintres mexicaines…

12273306468?profile=originalL’étreinte amoureuse de l’univers

La terre, Moi, Diego et Monsieur Xolotl, 1949

Xolotl, dieu cynocéphale passeur du soleil et des morts dans l’inframonde,

associé aux jumeaux, c’était aussi le nom du chien de Frida.

(photo captée sur le net)

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12273298683?profile=original Autoportrait (Le grand colonel), 1945

La peinture comme un uppercut.

Siqueiros, dit El Coronelazo, comme ses coreligionnaires Rivera et Orozco, fit de la Révolution politique une révolution plastique.

 

      David Alfaro Siqueiros (Chihuahua, 1896-Cuernavaca, 1974), le plus radical, le plus singulier, le plus novateur, expérimentant les possibilités du « hasard contrôlé », coulures, éclaboussures… « Siqueiros dépasse les limites étroites du tableau ; ce n’est plus une dimension statique, mais une surface dynamique. », Octavio Paz. Une leçon, comme un prélude à l’expressionnisme abstrait informel, que retiendront les adeptes de l’action painting, Pollock en tête.

C’est aussi le plus politique, fustigeant comme il dit « l’individualisme bourgeois » et « l’art des cénacles ultra-intellectuels ». Et, bien qu’il « répudi[ât] la peinture dite de chevalet » pour « exalt[er] les manifestations de l’art monumental », c’est pourtant bien son travail d’atelier auquel nous nous attacherons ici.

 

12273299482?profile=original Portrait de María Asúnsolo enfant

(pyroxyline sur masonite, 1935)

María Luisa Asúnsolo Morand (1904-1999) fut une galeriste mexicaine qui travailla à la promotion  de l’art de son pays, elle était la cousine germaine de la célèbre actrice Dolores Asúnsolo Lόpez Negrete (1904-1983), plus connue sous son nom de scène, Dolores del Río. Voilà pour les potins.

 

      Octavio Paz, prix Nobel de littérature en 1990, n’a pourtant pas toujours été tendre pour le muralisme en général et Siqueiros en particulier, qu’il dépeint en « artiste réfractaire dirigé par un imprésario napolitain, le tout sous le patronage spirituel d’un théologien obtus. » Trop idéologue, manichéen et théâtral. Pour autant il affirme que « son univers est celui des contrastes : matière et esprit, affirmation et négation, mouvement et stagnation. » Mais reconnait surtout « le peintre de chevalet, qui est peut-être le meilleur Siqueiros. »

 

12273301052?profile=original Portrait de María Asúnsolo descendant l’escalier

(duco sur contreplaqué)

En l’occurrence le fervent tiers-mondiste put se montrer mondain.

 

      Quoi qu’il en soit, l’homme Siqueiros par sa peinture, un cri autant qu’un coup de poing, se voulut d’utilité publique afin de dessiller les yeux du peuple, d’éveiller les consciences. L’art en tant qu’acte politique. La politique acte artistique.

 

12273301654?profile=original Zapata

(lithographie, 1931)

(photo captée sur le net)

 

Activiste, militant de toujours, il participa à tous les combats, de la Révolution mexicaine à la guerre civile espagnole, où il se battit aux cotés des Républicains.

 

12273301697?profile=originalPersonnage important

(huile, 1958)

Etude pour la fresque « Du porfirisme à la Révolution ».

 

Siqueiros sera ainsi le chantre d’un renouveau « héroïque et populaire » de la peinture mexicaine :

 

12273303052?profile=original Ethnographie, 1939

 

      Pendant la Grande Dépression des années trente aux Etats-Unis, Orozco, Rivera, Siqueiros exercèrent une forte influence sur les peintres nord-américains qui dénoncèrent les abus du capitalisme, avec son lot d’endettement et de chômage, sur les exclus autant que le racisme ambiant. Le peintre Joe Jones (1909-1963) notamment donna des cours d’arts plastiques aux chômeurs et réalisa une fresque contestataire, Social Protest in Old Saint Louis, aujourd’hui détruite, comme le fut celle, L’homme au carrefour, peinte par Diego Rivera pour le Rockfeller Center, où figurait un portrait de Lénine. Ainsi les murs fleurissaient tandis que mûrissaient les raisins de la colère.

 

12273303278?profile=originalNotre image actuelle, 1947

« Pour David Alfaro Siqueiros, tout est lumières et ombres, mouvement et contraste. », Octavio Paz.

 

      Il est également significatif à cet égard que Pollock, Jackson the driper, qui imprime dans son propre mouvement la rupture avec les moyens traditionnels de la peinture, fut aussi bien l’élève de l’américain Thomas Hart Benton (1889-1975), un peintre « régionaliste » bien ancré dans la réalité sociale, que du mexicain David Alfaro Siqueiros. Même s’il faut reconnaître que Pollock s’intéressait plus aux techniques picturales propres à la fresque et aux nouveaux supports qu’au message véhiculé.

D’autres « régionalistes » américains affirmeront leur identité nationale à l’instar de leurs confrères mexicains, tels Grant Wood (1891-1942) ou de Ben Shahn (1898-1969), qui travailla avec Diego Rivera et écrivit que « L’école française n’est pas pour moi. »

De même, rompant avec leur politique isolationniste, les Etats-Unis entrent en guerre le 6 avril 1917. Anarchistes, pacifistes, artistes se réfugient au Mexique. Le peintre réaliste américain George Bellows (1882-1925) déclara « Bénis soient les pacifistes. »

Une influence sur les muralistes qui n’est certainement pas non plus à négliger, même si les historiens d’art semblent ignorer cette piste.

      Toujours aux Etats-Unis, dans le contexte social de la ségrégation, des artistes afro-américains du mouvement « Harlem Renaissance », comme Aaron Douglas (1899-1979), avec sa fresque « Aspects of the Negro Life » (1934), Romare Bearden (1911-1988) et sa série la « Grande Migration » sur l’exode des Noirs vers le Nord, ou Jacob Lawrence (1917-2000) dans « The Block », s’empareront de ce moyen d’expression pour dénoncer les conditions de vie des Noirs américains et avancer leurs revendications.

Sans omettre non plus, parmi les pionniers, le muraliste français et très chicano Jean Charlot (1898-1979) qui s’installa au Mexique en 1922, où il collabora avec Rivera, Orozco et Siqueiros. Fernand Léger (1881-1955), Albert Gleizes (1881-1953), Robert Delaunay (1885-1941), furent également sensibles au mouvement muraliste.

 

12273304069?profile=original Jean Charlot (1898-1979)

La danse des Malinches

(huile sur toile, 1926)

 

      En Belgique, Siqueiros fit d’autres émules avec Edmond Dubrunfaut (1920-2007) et Roger Somville (1923-2014) qui fondèrent, avec Louis Deltour (1927-1998), le groupe « Forces murales » en 1947.

      Difficile d’ignorer également la rivalité entre Siqueiros et Rufino Tamayo. Ce dernier étant considéré par certains comme le véritable troisième « Grand », en tout cas adoubé comme tel par André Breton. Pour le moins « un des jalons les plus précieux de la peinture universelle de notre temps comme de l’histoire de l’art mexicain » selon Octavio Paz. « Une réponse personnelle et spontanée à la réalité de notre époque. » Ce que Siqueiros ne pouvait plus être, « Une réponse, un exorcisme, une transfiguration. »

Mais le « pape du surréalisme » pouvait être contesté, quand bien même ils étaient excommuniés, par quelques autres surréalistes… Et Siqueiros honni, banni, au cri de « A l’assassin ! »

Les uns, marxistes-léninistes orthodoxes, ou pis staliniens, prenant fait et cause pour Siqueiros, tels Louis Aragon ou Paul Eluard. Les autres, trotskistes convaincus, le vilipendent et soutiennent mordicus Tamayo, comme Breton ou Benjamin Péret.

Il faut dire que Siqueiros fut accusé d’avoir tué Trotski le 20 août 1940 et qu’il dut s’exiler au Chili pour cela. Par procuration peut-être (le véritable assassin étant Ramón Mercader, un agent du NKVD), complicité sûrement, voire le principal instigateur (malgré son alibi, « Guépéou ? J’étais pas là ! »), l’homme engagé étant tout de même impulsif et vindicatif, stalinien convaincu.

Mais au sein du groupe surréaliste, on n’avait pas attendu cela pour se chamailler à tout propos. Coups d’ergots, bataille d’égos, vaines querelles, chapelles.

Interminables controverses… « Haro ! » ou « Hourra ! », pour moi, le débat est ici clos.

 

12273303700?profile=original Rufino Tamayo

Oaxaca, 1899-Mexico, 1991

Deux personnages avec  un oiseau

(huile sur toile, 1960)

Il est libre l'oiseau...

 

Cependant une nouvelle série vous attend avec : Femmes, fières et Mexicaines ! Dont le premier volet, consacré à Frida Kahlo, est déjà disponible :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-1-re-partie-frida-kahlo

Une rétrospective de mes précédents billets est accessible, avec notamment les deux autres des Tres Grandes, Rivera et Orozco :

İ Que viva Mexico ! Pour une présentation générale de la peinture mexicaine contemporaine:

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-tres-grandes-rive...

Diego Rivera :  

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres...

José Clemente Orozco :                                          

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/jos-clemente-orozco-los-tres-grandes-3e-partie

Michel Lansardière (texte et photos)

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Diego Rivera (Los Tres Grandes, 2e partie)

12273298666?profile=originalAutoportrait 1940

(photo captée sur le net)

 

      Diego Rivera (Guanajuato, 1886-Mexico, 1957), le plus connu des Trois Grands. Enfin connu surtout pour son compagnonnage avec Picasso, Léger ou Braque, il a longuement séjourné à Paris, avec Breton ou Trotski, avec lesquels il signa « Pour un art révolutionnaire », ou pour sa relation tumultueuse et passionnée avec Frida Kahlo (1917-1954), et le film qui en a été tiré, plutôt que pour son œuvre. Il est vrai aussi qu’associées au muralisme ses fresques ne nous sont guère accessibles. C’est donc son travail au chevalet, guère plus visible de ce côté-ci de l’Atlantique, que j’ai choisi de mettre en avant.

Rivera est pourtant bien un géant de l’art du XXe siècle, à l’égal de Picasso. Mais plutôt que de deviser sur son travail, d’en faire la biographie, que l’on trouvera aisément ailleurs, je vais m’effacer derrière l’œuvre, en reprenant simplement le schéma, certes un peu simpliste et arbitraire, suivi dans la présentation générale de la peinture mexicaine contemporaine (cf. la 1ère partie de cet article). 

Paris et la bohème :

 

12273298885?profile=originalDiego Rivera

Paysage-Jardin de la Castaňeda

(huile sur toile, 1906)

  12273297899?profile=originalDiego Rivera

La maison sur le pont

(huile sur, toile, 1909)

 

12273299086?profile=originalDiego Rivera

Nu assis

(huile sur toile)

 

Paris où il fit atelier commun en 1916 avec son ami italien, le peintre futuriste, un temps cubiste, Gino Severini.

 

12273299665?profile=originalGino Severini

Cortone (Italie), 1883- Meudon, 1966

La famille du peintre

(huile sur toile, 1936)

Rivera et le cubisme :

 

12273300073?profile=originalDiego Rivera

Plaza de toros de Madrid

(huile sur toile, 1915)

 

12273300667?profile=originalDiego Rivera

L’architecte Jesús T. Acevedo

(huile sur toile, 1916)

Construction, déconstruction, reconstruction, les bases étaient jetées…

 

Racines et muralisme :

 

12273301473?profile=originalDiego Rivera

Vendeuse d’arums

(huile sur toile, 1942)

 

12273301885?profile=originalHistoire du Mexique : le monde aztèque

 Peinture murale du Palais national de Mexico réalisée entre 1929 et 1930.

 (photo captée sur le net)

 

A suivre… avec José Clemente Orozco.

Retrouvez ici une présentation générale de la peinture mexicaine contemporaine et du muralisme en particulier (İ Que viva Mexico !) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-tres-grandes-rivera-orozco-siqueiros-1-re-partie-que-viva?xg_source=activity

 

      Michel Lansardière (texte et photos, sauf mention contraire)

 

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12273296875?profile=originalDiego Rivera
Portrait d’Adolfo Best Maugard
(huile sur toile, 1913)
İ Que viva Mexico !
Adolfo Best Maugard (1891-1964), surnommé Fito Best, était un peintre et réalisateur mexicain, ici portraituré par Diego Rivera dans une approche cubiste où il exprime le mouvement, l’élan vers l’avenir, sa foi dans le modernisme.

      J’ai brièvement évoqué, dans l’article consacré au peintre bulgare Teofan Sekorov (cf. https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/teofan-sokerov-et-les-myst-res-de-la-foi-un-monstre-de-la ), les peintres muralistes mexicains. Bien que ne m’étant pas rendu au Mexique, deux expositions, qui se sont respectivement déroulées au Grand Palais à Paris pour la première (« Mexique 1900-1950. Diego Rivera, Frida Kahlo, José Clemente Orozco et les avant-gardes. ») et, pour la seconde, au Musée des Beaux-Arts de Lyon (« Los modernos. Dialogues France/Mexique »), me donnent ici l’occasion d’y revenir et d’approfondir un peu ce sujet. Sans oublier la formidable rétrospective qui eut lieu à Lille en 2004, « Mexique-Europe, Allers-Retours, 1910-1960 », dont le catalogue fait toujours référence.
       Los Tres Grandes, est le qualificatif que l’on a rapidement accolé aux trois grands initiateurs de la peinture murale au Mexique, à savoir Diego Rivera (1886-1957), José Clemente Orozco (1893-1949) et David Alfaro Siqueiros (1896-1974).

      Fierté. Telle est la première impression laissée par leurs œuvres. Des peintres fiers de leur pays, de leurs racines, de leurs habitants et de leur travail.

12273297064?profile=originalDiego Rivera
La molendera

(huile sur toile, 1924)
Penchée sur sa metate* cette paysanne pile le maïs, la base même de l’alimentation mexicaine.

      Ces peintres veulent se libérer de l’influence européenne, s’affirmer en tant que créateurs d’un art spécifiquement mexicain, compréhensible, à la portée de tous. Un art qui puiserait tant aux sources indiennes, précolombiennes, qu’au caractère mexicain en général afin de rendre au peuple toute sa dimension nationale et de pleinement l’intégrer dans la modernité.
Ils suivirent en cela l’exemple des peintres yankees régionalistes qui voulaient un art typiquement américain, et selon la théorisation exprimée par le poète Walt Whitman (1819-1892), dont ils semblent avoir écouté eux-aussi l’injonction/exhortation.

« O Liberté, tourne-toi, car la guerre est finie,
D’elle et tout désormais t’épandant, sans plus douter,
résolue, embrassant le monde,
Détourne-toi des pays restés face en arrière
à recueillir les témoignages du passé,
Des chanteurs qui chantent dans le sillage des gloires du passé,
Des poèmes du monde féodal, triomphes des rois, servitudes, castes,
Tourne-toi vers le monde des triomphes en réserve et à venir.

Vers ce monde où le futur,
plus grand que tout le passé,
Prompt et sûr, se prépare pour toi. »

Car il faut bien un creuset et se confronter au monde bien sûr, comme l’exprima le poète mexicain Octavio Paz (1914-1998) « toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations. » Un métissage qui donnera cet expressionnisme à la fois tragique et grandiose.
Et un élan qui, après la Révolution de 1910, fut donné par le secrétaire de l’Education publique José Vasconcelos Calderόn (1882-1959) qui, en 1921, passa commande de fresques glorifiant la culture nationale, et ce au moment où Diego Rivera faisait son retour au pays.

      On peut certainement distinguer, dans les débuts de la peinture mexicaine contemporaine, trois périodes, les deux premières sous influences, la troisième proprement américaine.
       Paris d’abord. Paris, capitale des Arts, son ambiance, ses quais, ses brumes, sa bohème.

12273297266?profile=originalDiego Rivera
Quai des Grands-Augustins

(huile sur toile, 1909)

Paris continuant d’exercer une influence majeure, ou plutôt s’exerça une émulation réciproque entre Paris et Mexico, avec un va-et-vient incessant d’artistes entre les deux pays (Antonin Arthaud, Philippe Soupault, André Breton…).

12273297291?profile=original Diego Rivera
Les vases communicants (Hommage à André Breton)
(gravure sur bois, 1933)

      Le cubisme ensuite, et, dans une moindre mesure, le futurisme italien, avec deux figures majeures de cette rupture narrative, Georges Braque et Pablo Picasso. De cette rencontre une avant-garde mexicaine naîtra en 1921, avec son mouvement propre, le stridentisme. Puis le trentetrentisme (le İ 30-30 ! étant la Winchester fétiche des révolutionnaires) en 1928, jusqu’à la Ruptura.

12273297698?profile=originalDiego Rivera
Portrait de Ramόn Gόmez de la Serra, 1915

      Le muralisme enfin, mouvement né aux Amériques, qui a grandi au Mexique, enfant rebelle fier de ses origines, propagateur de l’idéologie révolutionnaire, qui a son tour secouera l’avant-garde européenne.
On peut y ajouter une touche, quoique moins raide, de constructivisme soviétique. Le muralisme mexicain paré d’idéalisme alors se teinte d’un réalisme politique puissamment figuratif.

12273298088?profile=originalDavid Alfaro Siqueiros
Etude pour la fresque « Le Christ », 1965

      Et si un homme à lui seul est bien emblématique de ces différentes vagues, c’est bien Diego Rivera.
Et si une œuvre pouvait résumer ce bouillonnement intellectuel c’est probablement celle-là, flux et reflux, avers et revers révolutionnaires.

12273297098?profile=original Notre-Dame de Paris (verso, 1913)

Huile sur toile, deux œuvres recto, ci-dessous, et verso ci-dessus :

12273298490?profile=originalPaysage zapatiste (recto, 1915)

Sarape, le tissu de laine multicolore, fusil y sombrero, sur un fond volcanique, tous les symboles du Mexique sont ici réunis. Et  İ Viva Zapata !, sombre héros de la Révoluciόn popular.

      L’art, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, s’en retrouverait sens dessus dessous. Et le Mexique, comme en France Picasso, verrait en Rivera son atlante.
Pour faire suite à cette présentation, un triptyque sera consacré aux Tres Grandres, un panneau pour chacun de ces artistes. A commencer par Rivera, des années de formation et de bohème à la pleine maturité.

Michel Lansardière (texte et photos)

* Pierre à moudre d’origine aztèque, la metate servait aussi à broyer les fèves de cacao, ce chocolat, boisson sacrée des Aztèques, qui fut servi pour la première fois à Hernan Cortès (1485-1547) par l’empereur Moctezuma II dans une coupe en or. Ce dernier en boira la lie jusqu’au calice.

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Quelques notes d’un lointain syrinx me reviennent… Pan, sans doute, est à la traversière… empruntons donc cette voie de traverse, sur l’air des vendanges de l’amour.
       Cupidon nous accompagnera à la parade, déjà il me tend une plume… en garde ! elle peut être perfide.

12273291070?profile=original Paon et Cupidon
Détail des « Scènes de vendanges »
« L’Amour, ce fripon, ce brandon de discorde, a d’étranges formules. »,
                                                                    Moschos de Syracuse (IVe s. av. J.-C.)
Maison de Dionysos (Nea Paphos, Chypre)

Dernière tournée et ultimes tours pour Aphrodite, Eros, héros et héroïnes avant de leur tirer notre révérence.
       Susceptible, vindicative, exclusive, et intrigante, Aphrodite ne fut pas pour rien dans la mort tragique d’Hippolyte. A ses beaux yeux, il avait commis ce péché originel d’incliner pour la lunaire Artémis (Diane), vierge de surcroit, et tenant à le rester, pour qui il se vouait.
       Hippolyte était le fils de Thésée. Lorsque le vainqueur du Minotaure quitta la Crète, il conduisit Ariane et sa sœur, Phèdre, vers d’autres destinées. Chemin faisant, il se lie à une Amazone, Antiope, qui lui donna ce beau fils. Après le décès d’Antiope, il épousa Phèdre.

12273291261?profile=originalPhèdre et Hippolyte
Hippolyte s’apprête ici à partir à la chasse – chaussé, sachant chasser, avec son chien - lorsqu’il reçoit un diptyque de Phèdre, sa belle-mère, lui avouant son amour. Dans l’attente, Phèdre sur son trône se consume. Cupidon, ce petit scélérat, avait su embraser son cœur. Avec ce brûlot qu’elle lui inspira

« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée. »
Maison de Dionysos (Nea Paphos, Chypre)

Vous suivez ? Reprenons le fil, cherchons l’intruse et son agent de liaison.


C’est là qu’Aphrodite intervint comme le ferait un corbeau malfaisant, avec la complicité d’Eros, son envoyé spécial qui dicta sans états d’âme un fallacieux message à Phèdre. Calamiteux calame…
Alors que Thésée était absent, Phèdre le crut mort et déclara sa flamme à son gendre Hippolyte, qui, glacé d’effroi, la repoussa.
Sur ces entrefaites, Thésée réapparait. Craignant sa colère, l’épousée accusa alors Hippolyte de l’avoir violée. Fils maudit, Hippolyte partit et fut tué sur son char par une vague monstrueuse transmuée en un taureau furieux guidé par Poséidon en personne !

Après ce scandale dans la famille, Phèdre se suicida


« Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable. »,
                                                                                           Jean Racine (1639-1699)


Et Thésée, qui apprit la vérité par l’entremise d’Artémis, abandonna son royaume.
Amour fatal, tragédie mémorable.

Et Aphrodite est parfois dite Sôsandra, « celle qui sauve les hommes » ! Faut-il se voiler la face, se draper dans sa vertu !

12273290884?profile=original Eros monté sur un taureau
Survivances païennes en période paléochrétienne*1.
Ces œuvres datent, pour la plupart, du IVe siècle.
Mosaïque de la maison d’Aion (Nea Paphos, Chypre)

      Europe, princesse de Tyr, gambadait dans les prés avec son petit panier fleuri et ses amies. Zeus, au balcon d’un nuage, observait cette charmante scène champêtre d’où se détachait notre héroïne, tant elle était fraîche, fleur parmi les fleurs, prête à être cueillie. Un peu sauvage aussi. De son côté, la déesse de l’amour veillait pareillement, et aimant mêler les cœurs autant que le grain et l’ivraie dans l’ivresse des sens, elle demanda à Eros de décocher une de ses fameuses flèches, qui derechef atteint le dieu suprême. Incontinent, le père des dieux et des hommes, et roi des transformistes, se mua en taureau, échappant ainsi à la vigilance d’Héra, sa légitime épouse. Sans ambages, il héla la fille du roi Agénor, « Io ma sœur, en croupe ! » (c’était un rapteur avant l’heure), se rua sur la belle et l’emporta. Au galop sur les flots, ils gagnèrent Chypre, pour jouir de la félicité d’un amour partagé. Elle lui donna trois fils, puis épousa le roi de Crète. Et c’est comme ça que, descendus de l’Olympe et « des fils glorieux dont les sceptres exerceraient leur pouvoir sur tous les hommes », nous sommes tous Européens !

12273291297?profile=original L’enlèvement d’Europe
Ils atteignirent Matala et vécurent heureux en Crète, où on dit qu’à Gortyne le platane qui abrita leurs amours reste toujours vert… En toute saison*2 !
On ne mesurera jamais assez les bienfaits du régime crétois !
(IIIe s. ap. J.-C. ; mosaïque trouvée dans la ville de Rhodes en 1966)

      Clio pour sa part, un jour, désavoua Aphrodite et son amour trop tapageur pour Adonis. Clio pensait avoir la haute main sur l’histoire, la suite lui prouva que non. Ses piaillements l’incommodant, la déesse fit qu’une irrésistible inclination poussa la Muse de l’Histoire dans les bras du roi Piéros. Piéros, roi d’Emathie (Macédoine) et ses neuf filles, les Piérides*3, à qui il avait donné le nom des neuf Muses, raison pour laquelle, outre qu’elles rivalisaient avec elles au chant, elles furent métamorphosées en pies et corneilles, oiseaux rebelles que nul ne peut apprivoiser. Et pan sur son bec ! Faut pas la chercher. Et ne bayez pas ! La musique n’adoucit pas ses mœurs.

12273291494?profile=original ‘Tu croas ça toi’ croassèrent les Piérides, avec, comme dit Ovide, leur « caquet, une voix rauque et un insatiable désir de parler. ».

      Avançons-nous maintenant vers cette représentation populaire (pandemos) de la déesse où on voit Vénus chevaucher un bouc. Elle est du type Epitragia.
Les cheveux dans le vent, il lui monte des désirs divins dans le creux de ses reins, sur son terrible caprin.

12273292069?profile=original Vénus Pandemos
« Le vulgaire, dans la nature, se mêle souvent au sublime »,

Mme de Staël.

(ca 250 ans av. J.-C. ; marbre de Pentélique ; musée du Louvre, Paris)

      Une croyance répandue dans la Grèce antique voulait, ainsi que le rapporte Pline, que « les chèvres respirent par les oreilles… et que la fièvre ne les quitte jamais : ce serait pour cette raison que leur souffle est plus brûlant et qu’elles sont plus ardentes à l’amour… »*4.

12273292094?profile=originalLa chèvre de la mosaïque des « Quatre saisons »
Remarquez la flute de Pan (syrinx).
Faut-il y voir une bique lubrique ?
Bê… fabæ caprini fini ! réplique-t-elle bellement.
Maison de Dionysos (IVe s., Nea Paphos, Chypre)

      Priape, né sous la bonne étoile du berger qui l’éleva, veillait particulièrement les troupeaux de chèvres, première espèce ruminante à être domestiquée par l’homme.
Fils naturel d’Aphrodite et de Dionysos, mais si petit, si laid, si libidineux, que sa mère l’abandonna. Il devint donc le protecteur du cheptel et des jardins… Jardins où notre disgracieux homoncule réapparut plus tard sous forme du charmant nain ornemental*5 que nous connaissons tous. Gage de fertilité, son sexe énorme telle une masse d’armes avait aussi l’avantage d’éloigner les voleurs comme de servir d’épouvantail à moineaux !

12273291659?profile=original La jeunesse de Jupiter (ca 1700, détail)
Ignaz Elhafen (1658-1715)
(ivoire, Victoria & Albert Museum, Londres)


Pan au tambourin, une nymphe et Amalthée, la chèvre nourricière de Zeus. Pour Homère, Zeus, le plus glorieux des dieux, était le père d’Aphrodite, qu’il eût de de son union avec Dioné. Il devait y avoir un certain atavisme.

12273291872?profile=originalEstán como cabras
María del Carmen Díez Muňoz (Villadovid, 1989)
(linogravure, 2015 ; musée insulaire de La Palma)
Tant il est vrai qu’elle m’a rendu chèvre !

Cabri c’est fini.


       Malgré tout, je ne voudrais pas terminer sur une figure un peu trop fruste. Il suffit pour cela de changer de disque pour prendre celui, bien plus aimable à nos yeux, mais hélas perdu, que décrivait Anacréon, le chantre de Téos, il y a deux mille cinq cents ans. J’en appelle donc à l’aède…


« Qui donc osa graver la mer ? Quel art habile déroula sur ce disque les flots arrondis de l’onde azurée ? Quel est celui dont l’esprit inspiré des dieux a représenté sur le dos de l’humide élément la blanche et douce Cypris, reine des Immortels ? Il nous l’a montrée nue : les flots servent seuls de voile aux appas qu’il faut cacher : elle erre sur l’eau comme l’algue blanchissante que balance une onde paisible.
Le corps soutenu par la mer, elle sépare devant elle les vagues frémissantes et fend pour la première fois les flots répandus autour de son sein de roses, au-dessous de son cou délicat. Au milieu des sillons d’azur, comme un lys enlacé aux violettes, Cypris brille sur le calme de la mer. L’argent représente des dauphins en chœur et portant l’Amour et le Désir qui se jouent des finesses des hommes. La troupe des poissons, en cercle sur les flots, caresse la reine de Paphos partout où elle nage en souriant. »*6


       Assez chanté ses louanges, de dithyrambe… Cependant, sans l’abandonner, nous laisserons notre déesse se délasser, pour nous consacrer à ses Amours, turbulents enfants, et à leurs traits… de caractère.

12273291897?profile=originalLe repos de Vénus et de Vulcain
Les Amours affutent leurs flèches.
L’Albane (Francesco Albani, dit ; 1578-1660)
(musée du Louvre, Paris)

Vous pouvez, en attendant, retrouver notre héroïne dans les précédents épisodes de cette série :
1. A Paphos, l’effrontée Aphrodite fût :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/a-paphos-l-effront-e-aphrodite-f-t-aphrodite-1-5

2. A la poursuite d’Aphrodite la dorée :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/a-la-poursuite-d-aphrodite-la-dor-e-aphrodite-2-5

3. Toujours fondu d’Aphrodite ? :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/toujours-fondu-d-aphrodite-aphrodite-3-6

4. Dans le miroir de Vénus :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/dans-le-miroir-de-v-nus-aphrodite-4-7-1

5. Rhodos, Salmacis et hermaphrodite :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/recherche-aphrodite-perdument-aphrodite-5-7
6. Vénus ou l’écume de nos nuits :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/v-nus-ou-l-cume-de-nos-nuits-aphrodite-6-7

Michel Lansardière (texte et photos)

*1 L’île de Chypre a été évangélisée par Paul, Barnabé et Marc en 45. La religion chrétienne sera proclamée religion officielle de l’Empire romain en 392. En 395, à la mort de Théodose, l’empire est scindé en Empire romain d’Orient et Empire romain d’Occident. Il y eut aussi des foyers de résistance polythéiste, notamment pendant le règne de l’empereur Julien (331-363), l’Apostat pour les Chrétiens.


*2 Sempervirens, il l’est ! Vérifications faites, une espèce endémique à feuilles persistantes vit sur l’île (platanus orientalis cretica). Il n’en resterait qu’une trentaine de spécimens. Ils font naturellement partie des spermatophytes (angiospermes). Par la semence de Zeus !


*3 Les Piérides sont souvent assimilées aux Muses (idem pour les Carmènes) et données comme synonymes d’après leur lieu de naissance, la Piérie, en Macédoine. Leurs vocalises se répétaient en écho sur les monts Olympe, Piérus, Pinde, Parnasse et Hélicon pon pon pon pon.


*4 Antiquité ?... Avant la Seconde Guerre mondiale, un charlatan américain, John Romulus Brinkley (1885-1942), greffa des testicules de bouc, émissaire de puissance et de gloire, à des patients (plus de 15000 victimes tout de même !) voulant retrouver leur virilité. Ce personnage sulfureux, aux ambitions politiques, propagea les nauséabondes thèses nazies… Il est vrai que l’odeur hircine n’est pas celle de la sainteté, le Diable s’habille en angora.
Un film d’animation documentaire, Nuts ! (jeu de mots entre « cinglé » et « testicules »), se basant sur cette histoire a été réalisé en 2016 par Penny Lane.
Mais « le bonheur ne serait pas le bonheur sans une chèvre qui joue du violon » selon une réplique d’un personnage contemplant « La mariée » de Marc Chagall dans Coup de foudre à Notting Hill de Roger Michell.


*5 Kobolde et Nicker, sont des esprits de la terre des légendes saxonnes. Ces « Petits vieillards, à barbe blanche, armés d’un marteau, ceints de cuir protecteur des mineurs, la tête couverte d’un bonnet conique. La figure souriante, ils batifolent dans les grottes, trottinent le long des filons, à la recherche des pierres fines, des métaux précieux. » (Karl Grün, 1843-1890) sont aussi à l’origine de nos nains de jardin, comme des mots « cobalt » et « nickel ».

*6 Traduction d’Ernest Falconnet (1815-1891). Bien sûr, pour Anacréon et ses contemporains le dauphin était un poisson. Linné n’était pas né.
Le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778) a classé le monde animal en proposant une nomenclature binominale latine dans son Systema naturae. Dans la famille vénus, il a donc mis de l’ordre. Dans la langue vernaculaire la palourde avait tout pour praire. Il les trouva mauvais genre, communes. Une faune (on lui doit le mot pour désigner le peuplement animal, idem pour la flore) bêtement vulgaire. Esprit systématique, il nomma la première Venerupis decussata Linnaeus, 1758 et la praire Venus verrocusa L., 1758, et cætera. Vous admettrez, que cela redonne une certaine classe à une famille ainsi recomposée. Bien rangée, Vénus est bien à tiroirs taxinomiques autant que mythologiques, voire métaphysiques. Dois-je consulter, Dr Freud ?

12273291684?profile=originalVénus aux cheveux d’or
Auguste Arnaud (1825-1883)
(palais de Compiègne, Oise)
J’aurai tenté avec cette série de faire toute la lumière, ou presque, sur la déesse…
Initialement cette sculpture était partiellement dorée. Napoléon III en ayant fait l’acquisition au Salon de 1863 demanda à ce que l’on lui ôta cette parure.
Voir à propos de ses cheveux le billet 2/7 : « A la poursuite d’Aphrodite la dorée »
(lien ci-dessus)

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Picasso et la suite Vollard, 1927-1937

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       La Valette (Malte) a été choisie comme « Capitale européenne de la culture 2018. » A cette occasion une exposition, « The Flesh and the Spirit » (« La chair et l’esprit ») au Palais des Grands Maîtres, a particulièrement retenu mon attention.
Elle présente 140 œuvres de Pablo Picasso (1881-1973) et de Joan Mirό (1893-1983), à savoir 100 eaux-fortes réalisées par Picasso entre 1930 et 1937, dites « Suite Vollard », et 40 toiles de Miró.
Elle se terminera le 30 juin 2018, aussi ce sera peut-être pour vous aussi la possibilité de la visiter. A défaut, ce petit compte-rendu vous donnera une idée d’un aspect moins connu de l’œuvre de Picasso, car c’est aux gravures sur cuivre de Picasso que je vais ici consacrer quelques lignes.

      En 1927 Picasso rencontre Marie-Thérèse Walter, de trente ans sa cadette, qui devient son modèle et… sa maîtresse. Marie-Thérèse « toujours câline et si douce aux lèvres. » Il est toujours marié à Olga. Olga Koklova, qui était danseuse dans le corps des Ballets russes de Diaghilev lorsqu’il l’a rencontré et qu’il a épousé en 1918. Une situation embarrassante qui l’irrite et le déchire…

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D’autant qu’en 1934 Marie-Thérèse est enceinte et qu’Olga refuse de divorcer. Et Pablo ma foi guère pressé de céder la moitié de ses œuvres. Malgré Malgré tout la séparation, en 1935, est inévitable.

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      Pendant ce temps, outre Maya née en septembre 1934, Picasso peint et grave. Marie-Thérèse est sa lumière, son inspiratrice, son guide.

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      C’est alors qu’Ambroise Vollard (1866-1939), marchand d’art et éditeur, lui commande cent gravures, ou plutôt les lui troque contre deux tableaux, un Renoir et un Cézanne.
Ce sont ces cent gravures, où se retrouvent sa nouvelle muse et le thème du peintre dans son atelier, qui constitueront la « Suite Vollard ».

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Des dessins à la pointe sèche, sans repentir possible, où la forte charge érotique le dispute à la volupté du corps féminin.

       Une période qui fut propice à un retour à un trait plus classique et à la réflexion. Soi et les autres. Picasso, sa muse…

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Picasso est la force brute et vitale, le monstre, le Minotaure. Marie-Thérèse la sensualité, la sérénité, la matrice de l’œuvre.

Le noir et le blanc contrastent et se marient… sur le papier du moins, car Picasso a un nouvel ami, Paul Eluard, qui lui présente, fin 1935, une certaine Dora Maar, « diablement séduisante. » La blonde et la brune. L’eau et le feu. L’homme, l’animal. De la confrontation nait certainement l’émulation, et l’introspection, l’artiste étant après tout « un réceptacle d’émotions. »

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Finalement « il y a d’excellents taureaux et d’autres moins bons. » Et Picasso signe en 1937 une de ses plus célèbre toiles « La femme qui pleure » (Dora Maar). A nouveau tout se déconstruit, puis se recompose selon la volonté du maître.

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      A noter qu’en juin 1933, Albert Skira (1904-1973), qui avait déjà publié Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par Picasso, lance sa revue Le Minotaure, dont le premier numéro sera consacré à… Picasso.

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      En 1937 les deux peintres espagnols, Picasso et Miró, s’assemblèrent pour lutter contre le franquisme et, réagissant au massacre du village basque de Guernica en avril 1937, ouvriront un « pavillon antifranquiste » lors de l’exposition universelle de Paris des « Arts et des Techniques appliqués à la Vie moderne ». Face à cette résistance qui s’amorçait, le Pavillon allemand présentait un art nazi se voyant déjà triomphant pour « mille ans ». Un art forcément colossal et conventionnel. Parallèlement, le pouvoir fasciste lançait un manifeste contre l’« Art dégénéré ». De son côté, le Pavillon soviétique montrait le « réalisme socialiste » sous un jour qu’on promettait radieux, un art déclaré « officiel » par Staline et tout aussi académique.
Et le monde plongeait dans l’horreur…


Michel Lansardière (texte et photos)

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12273277496?profile=originalMangeurs de ricotta (détail)
Vincenzo Campi
Musée des Beaux-Arts, Lyon
Quand la canaille fait ripaille.
« Un repas est insipide s’il n’est assaisonné d’un brin de folie. »,

                                                                                              Erasme (1466/67-1536)

      « Le rire est satanique, il est donc profondément humain. », note Charles Baudelaire. Gare ! « Le Sage ne rit qu’en tremblant. »

12273277871?profile=originalLe bouffon Gonella
Attr. à Jean Fouquet (ca 1420-1480)
(les noms de Jan van Eyck, Giovanni Bellini, Breughel l’Ancien ont tour à tour été évoqués…)
Pietro Gonella était bouffon à la cour de Niccolò III d’Este à Ferrare.
Portrait sensible de celui qui, pauvre fou, voulut distraire, voire guérir, son maître, atteint de fièvre quarte (hyperthermie), en le poussant dans le Pô. Mal lui en prit, le condottiere la jugea saumâtre. Afin de lui rafraîchir les idées, il fut jugé. Notre blagueur mourut de peur lors du simulacre de son exécution, un bien mauvais tour pendable.

Aussi, « Je t’offre cette Fantaisie
Où j’ai savouré sans terreur
L’abominable poésie
De ta prodigieuse horreur. »
                                                                                            Maurice Rollinat (1846-1903), Le rire.
(Kunsthistorisches Museum, Vienne ; photo captée sur le Net)

« Mieux vaut un fol plein d’esprit qu’un bel esprit plein de folie. »,
                                                                            William Shakespeare (1564-1616)

      Chantres du bon goût, les beaux esprits, les érudits, souvent, font la fine bouche devant ces scènes d’un mauvais genre, commisération aux commissures. Peinture ridicule ! Bouffonneries ! Gueuseries ! Bamboches ! C’est ainsi que La Tour resta dans sa nuit ou que les frères Le Nain, avec leurs représentations paysannes, furent escamotés pendant deux siècles. La peinture d’Histoire, les scènes mythologiques ou religieuses constituant la fine fleur de l’art, comme les portraits des grands de ce monde destinés à épater la galerie. Pas ces trognes de personnages, peut-être truculents, mais surtout oh combien répugnants ! Des gueux, des vilains, des sans-dents (descendants contemporains, croqués ici avec malice par Charles De Wit) qui nous en apprennent pourtant plus sur la vie et les mœurs de l’époque que n’importe quelle toile à leurs yeux admirable. Et puis c’est beaucoup plus troublant qu’un carré blanc sur fond blanc qui, moi, me laisse coi. C’est pourquoi j’ai voulu mettre en perspective ces pièces oubliées de l’histoire de l’art avec des morceaux choisis de la littérature de l’époque. Un voyage en Italie différent auquel je vous convie, avec des peintres, Vincenzo Campi au premier chef, loin d’être mineurs, qui nous montrent une autre Renaissance, certes moins idéale.
Pourtant, si « le comique est, du point de vue artistique, une imitation ; le grotesque, est une création. », Baudelaire.

12273278855?profile=originalLe joueur de vielle
Georges de La Tour (1593-1652)
Un ancien conservateur du musée des Beaux-Arts de Nantes y a ’lu’ la signature de Juan Rizi (ou Ricci). D’autres experts ont vu l’ombre de Ribera, Murillo, Zurbarán… L’Italien Bernardo Strozzi a aussi été reconnu. Alors…

      Dernière représentation donc de mon petit theatrum pictorium*1 des refusés, ses peintres des émotions, du rire en particulier. Et puis, vulgaire (i.e. populaire), libérateur, le rire conjure des peurs. Qui rit en mars, malgré les averses, prépare le printemps.
Car on a beau dire, s’ébaudir dès Pâques fleuries (Rameaux) à la Pâque des roses (Pentecôte), sans attendre la Trinité, réjouit son goliard. D’ailleurs « Je sais qu’il vous faut en ce jour ]de Pâques[ sermon court et table longue. » déclarait déjà fort bonnement Robert de Sorbon (1201-1274). Charivari s’en suit.
       Ainsi échauffés, laissons fuser une dernière salve de pointes bien affutées par nos invités.


« Francs buveurs que Bacchus attire
Dans ces retraites qu’il chérit,
Avec nous venez boire et rire,
Plus on est de fous, plus on rit.*2 »
                                                                                      Armand Gouffé (1775-1845)

 12273278893?profile=originalLes jouisseurs
Charles De Wit
« Vous dînez aujourd’hui ; mais est-il bien certain
Que la fortune encor vous sourira demain ?
On le ne voit que trop, la déesse est volage :
Mangez donc pour deux jours, c’est un parti fort sage. »
                                                                                               Grimod de la Reynière

Utile précaution, car il faut bien admettre avec Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière (1758-1837), que j’ai plaisir à citer, tant, rien qu’à son nom prononcer, on en a plein la bouche, qu’


« Il y a trop de vin sur la terre pour dire la messe ;
il n’y en a pas assez pour faire tourner les moulins ;
donc il faut le boire. »

Oyez, oyez, mes larrons, le bien nommé André de la Vigne (ca 1470-1526), Roy de la Bazoche, extraire…


« De mes raisins le maculé verjus,
Cy j’estrandré de la vigne un vert jus. »


et ne vous offusquez pas, mes drôles, si…


« Perverse, adverse, qui trop diverse, verse
Liesse et ce que tu renverses vexe. »

« Le front triste ici trouvera de quoi dérider sa sévérité et rire une bonne fois », lit-on dans l’avertissement au lecteur des Nouvelles Récréations et Joyeux Devis (1558) de Bonaventure Des Périers, un disciple de l’Arétin, qui faisait sienne cette devise :


« Donnons, donnons quelque lieu à la folie. »


Car, comme le souligne le satiriste Jacques Du Lorens (1580-1655) :


« Le monde, à dire vray, n’est qu’une momerie. »

      Un autre Aretino (natif d’Arezzo), plus mémorable et admirable encore, Francesco Redi*3, se passionna pour les vers, il laissa notamment un Bacco in Toscana, long poème dithyrambique sur les plaisirs bachiques.

12273279859?profile=originalMangeurs de ricotta
Vincenzo Campi
Musée des Beaux-Arts, Lyon
« S’assoit à table, et, par ce qu’il était naturellement flegmatique, commençait son repas par quelques douzaines de jambons, de langues de bœuf fumées, de boutargues, d’andouilles, et tels autres en guise d’amuse-gueules.
Puis buvait un horrifique trait de vin blanc. »
                                                                              François Rabelais (1494 ?-1553)
En fait cette Buffonaria, cette pantalonnade, serait une satire de la lubricité et des excès de chère, à la manière des vanités, memento mori. En témoignerait la mouche folâtrant et corrompant le fromage (au reste les entames forment un masque mortuaire, un ancêtre du Cri ou de Scream). Mais le peintre pouvait-il anticiper les travaux de Redi*3 ?! Il a cependant pu vouloir indiquer que le temps, comme la mouche, est fugace.
Passe, passe le temps, il n’y en a plus pour très longtemps…
Encore, ici chez Campi, comme pour Passerotti, une lecture possible. Un sens caché qui donne sa profondeur au tableau, pour peu qu’on soit sensible au second degré.
N’oublions pas non plus qu’en période de carnaval*4 on enlève la viande (carnelevare)
au profit du fromage, des fèves, du poisson… qui n’ôtent en rien le désir charnel.
Et ce n’est pas pécher, il faut bien rêver, carême-prenant, croître et multiplier les pains.
 12273280475?profile=originalArt populaire : crèche napolitaine (XVIIIe s., détail)

Pour plus de précisions voir les notes *3 (avec La douzième nuit de Jan Steen) et *4.


Certains se demanderont ce qu’une crèche, même napolitaine, peut bien faire là, sauf à mélanger Noël et Carnaval… C’est qu’un personnage tel que Pedrolino, farceur autant que bâfreur, pouvait bien sournoisement s’immiscer dans le carré réservé aux rois mages de la Nativité…
12273280874?profile=originalUne autre crèche napolitaine du XVIIIe (Palazzo Parisio, Naxxar, Malte).

 12273281270?profile=originalLes percepteurs d’impôts (détail)
Marinus van Reymerswaele (ca 1490-1546)
(National Galery, Londres)
Personnages grotesques, dans un genre proche de celui de Quentin Metsys.
Chez ces gens-là, on ne rit pas, on picore et on plume.
Par contre on peut rire jaune d’un fesse-mathieu, de
« Son teint jaune, enfumé, de couleur malade
Ferait donner au diable et céruse et pommade. »,
                                                                                          Mathurin Régnier (in le Souper ridicule)

12273281488?profile=original Les gourmandes de la table ronde
Charles De Wit
« La soupe aux choux possède la réputation d’un mets cérébral
favorable à l’élaboration de la pensée.
Elle convient aux rachitiques, aux filles-mères et aux lapins. »,
                                                                                        Joseph Delteil (1894-1978)

12273282098?profile=originalLa femme et le pantin
Angel Zárraga y Argüelles (1886-1946)
(huile sur toile, 1909 ; coll. Andrés Blaisten, Mexico)
« L’art, ennemi de la franchise,
Ne veut point être reconnu ;
Mais l’Amour, qui ne va que nu,
Ne souffre point qu’on se déguise. »
                                                                                 Théophile de Viau (1590-1626)

      Faire bamboche, soit, mais la chair peut être triste, hélas ! Evadons-nous, gagnons l’azur, luttons contre la morosité, et laissons choir ce billet sur une dernière saillie assassine.
Pietro Del Tura, dit l’Arétin (1492-1556), poète toscan ami du Titien, mena une vie de débauche. Toujours crâne, démasquant les faux-semblants, il érigea la provocation en art, le « Fléau des princes » donnant à la pasquinade ses Lettres de noblesse. Drôle d’épistolier que ce « rédempteur de la vertu », tel qu’il se qualifiait. Lors d’une soirée de bombance il mourut de rire, s’étranglant d’une bonne blague, il tomba à la renverse et se fendit le crâne.


Ci-gît l’Arétin, poète toscan,
Qui a dit du mal de tout le monde sauf de Jésus-Christ,
S’excusant en disant : « Je ne le connais pas ! »

Une belle fin, non ?
Je vous laisse donc sur cette chute.



12273282671?profile=original

Michel Lansardière (texte et photos),
avec la connivence de Charles De Wit.


A larron, larron et demi, merci à lui.12273282884?profile=original

*1 Il est curieux de constater que c’est un peintre de genre, David Teniers le jeune (1610-1690), qui contribua à instituer ce distinguo entre les genres picturaux en publiant son Theatrum pictorium en 1660. Il s’agit du premier catalogue d’une collection, celle de l’archiduc Léopold-Guillaume de Habsbourg, où sont particulièrement représentés les grands peintres vénitiens (Titien, Bellini, Giorgione, Tintoret, Véronèse…). A contrario, un autre peintre de genre au réalisme méticuleux, Gerrit Dou (1613-1675), fut le chef de file des peintres fins (fijnschilders) qui firent les grandes heures du Siècle d’or hollandais et que Léopold-Guillaume soutint.
*2 Cette dernière locution étant empruntée à Dancourt (Florent Carton, dit ; 1661-1725), auteur et comédien.
*3 Si Francesco Redi (1626-1697) est l’auteur d’odes et sonnets, ainsi que de ce long poème lyrique en dialecte toscan, ce fut aussi et surtout un immense savant qui battit en brèche la théorie unanimement acceptée de la génération spontanée après avoir observé des mouches sur de la viande. Sans succès, puisqu’il fallut attendre deux siècles et Pasteur pour que ses observations soient reconnues (et encore, qui le connait ?). Il fut aussi le précurseur de la parasitologie, l’étude des vers et autres parasites. Notons enfin que le ver coquin est une chenille (la cochylis), un parasite de la vigne qui était supposé rendre frénétique ! Plût à Bacchus que j’en sois épargné, verre en main, déclamant des vers coquins !


« Moy-mesme en ce discours qui fais le suffisant,
Je me cognoy frappé, sans le pouvoir comprendre,
Et de mon ver-coquin je ne me puis deffendre. »,
                                                                                                         Mathurin Régnier (1573-1613)


« C’est pourquoi je vous conjure tous… de nettoyer la poudre de nos imperfections avec les époussettes de votre humanité, de donner un clystère d’excuses aux intestins de votre mécontentement. », Bruscambille (1575-1634). « Baste ! La comédie est une vie sans soucis et quelquefois sans six sous », id.


12273283078?profile=original La douzième nuit
Jan Steen (1626-1679)
Tous les sens, sens dessus dessous au son du grill(on) du foyer.
Nous sommes donc le 6 janvier, la fête de l’Epiphanie, adoration des Rois mages.
En Hollande protestante on se choisissait un ‘roi’, que l’on célébrait comme il se doit.
Et les convives de s’écrier : « Le roi boit ! »


*4 Le carnaval (entre le 6 janvier et le 9 mars), souvenir des lupercales et autres fêtes dionysiaques, est attesté depuis le Xe siècle, ainsi ceux de Rome (sur le Corso) ou de Venise, où le masque apparait au XIIIe siècle. Carnaval souvent banni en pays protestants, toléré en pays catholiques. Masque réprouvé par l’Eglise, car son port outrage la sainte face de l’Homme créée par Dieu à son image. Du reste, s’« Il faut faire carême-prenant avec sa femme et Pâques avec son curé », dit le proverbe, donneriez-vous votre fille à un carême-prenant ?


12273283852?profile=originalLa forlane
Une danse dans laquelle nous entraînent Pulcinella et ses amis.
Etonnez-vous après cela qu’il y ait polichinelle dans le tiroir !
  Giandominico Tiepolo (1727-1804)

Une dernière anecdote. En France, le carnaval était la seule période où, pour se déguiser, le port du pantalon était autorisé aux femmes. La loi du 26 brumaire an IX (07/11/1800), ou plus exactement cette « ordonnance concernant le travestissement des femmes », certes tombée en désuétude, a été abrogée le… 31 janvier 2013 !


12273283874?profile=original (figurines sculptées par Louis Alfred Habert, 1824-1893)


Une « diablerie », très en vogue au XIXe siècle, mais dont l’origine remonte au Moyen-Âge pour distraire et édifier l’assistance, où Mlle Satan en costume d’homme, champagne à la main et jambe en l’air, prône l’émancipation du vice et la grève des crinolines. Pantalone et ce diable d’Arlequin
(son nom viendrait d’Hellequin, génie malfaisant entraînant sa bande de démons dans un charivari d’enfer) en seraient tout retournés. De là à participer à la prochaine journée de la jupe…


12273284087?profile=originalDans les coulisses (Félicien Rops, 1833-1898)

Campi c’est fini… Les plus insatiables (avec une soixantaine d’illustrations au total) retrouveront ici tous mes articles consacrés au rire dans l’art :
1 : Frangipane et autres menus plaisirs (Niccolò Frangipane) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/frangipane-et-autres-...

2 : Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 1ère partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-1-r...

3 : Campi, à l’italienne (Campi, 2e partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-2e-...

4 : Passerotti et autres mets délicats (Bartolomeo Passerotti, 1ère partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/passerotti-et-autres-...

5 : Passerotti et autres mets délicats (Passerotti, 2e partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/passerotti-et-autres-mets-d-licats-croquembouche-2e-partie?xg_source=activity

« Rire est le propre de l’homme »,
Aristote (384-322 av. J.-C., propos que reprit Rabelais)

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administrateur théâtres
« Ils prennent le thé en face sans nappe ! » Théâtre tentation et amour du théâtre. A La Clarencière. What else ? Voici réunis sous le titre « Moulin à paroles », trois femmes de noir vêtues, jouées avec feu  par

la pétillante  comédienne Ariane Thymour Smith dans une mise en scène de Carole Baillien. Elle explore tour à tour  la folie de la solitude, le voyeurisme,  la vengeance,  les pulsions criminelles, la sensualité tantôt brimée ou tantôt explosive, à travers trois destins  de femmes  tout aussi noirs que l’anthracite que l’on s’épuisait  encore à arracher  manuellement de la terre à cette époque … Elles appartiennent au répertoire anglais. Le dramaturge, romancier, scénariste, réalisateur et acteur Alan Benett a écrit une première  série de « Talking heads » pour la BBC dans les années 80. Humour anglais omniprésent, sens aigu de la nouvelle incisive et bien construite, petits bijoux d’écriture dans la lignée de Roald Dahl.

Mon premier a comme titre original : "A Lady of Letters". Le premier tableau met en scène Irene
Ruddock, une femme
célibataire vivant près de Bradford qui n'a pas sa langue
dans sa poche et passe sa vie à écrire des lettres vindicatives
à son député,
à la police, au pharmacien , à tout le monde
pour remédier aux maux sociaux qu'elle dénonce sans ambages.

Après un trop grand nombre d'accusations qui frisent la calomnie, Irene se
retrouve en prison - où, pour la première fois de sa vie, ironiquement, elle se sent
vraiment …Vous verrez bien quoi!

Mon second"Her Big Chance" est farci d’humour de style libertin, autant que les

sketches de Nabila/Stéphane Degroodt! Lesley est une actrice en herbe, qui,
après une série de rôles secondaires à la télé peu prometteurs,s’imagine
qu’elle va enfin « percer » grâce à la
rencontre de l'aventureux Travis dans un nouveau film pour le marché du soft porn
ouest-allemand. Tongue twisters à l’appui, on n’en dira pas plus,
censuré pour les mois de 12 ans!

 

Mon troisième a pour titre original :"Bed Among the Lentils". Le troisième tableau
transforme la pimpante pipelette en femme de pasteur de caractère. Susan est alcoolique
et doit se rendre à Leeds pour faire ses secrètes provisions de liqueur à cause des dettes
contractées avec le commerçant local. Elle se détourne insensiblement de son raide et ambitieux
et mari encensé par ses ouailles
et noue une voluptueuse affaire extra-maritale avec un épicier indien Ramesh Ramesh.
Some like it hot !
Va-elle découvrir quelque chose à propos de Dieu ou se convertir
aux Alcooliques anonymes? Love me do… The Beatles

Mon tout est une soirée récréative, plaisante et distrayante, ponctuée
de jolis souvenirs des Beatles ou de Mrs. Robinson
que l'on écoute dans le noir.Toute une époque !
Nostalgie, quand tu nous tiens!





La Clarencière Du 19 au 21 avril 2018
Rue du Belvédère, 20 1050 IxellesContacthttp://www.laclarenciere.be
fabienne.govaerts@skynet.be
02/640.46.76

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12273273256?profile=original Commedia dell’arte
Dans ce théâtre miniature, autour de la table dressée et des victuailles, évoluent les personnages bigarrés de la Commedia dell’arte, Arlequin, Pierrot (Pedrolino), Crispin… Tous en verre filé et émaillé, travaillé à la lampe. Une technique des verriers vénitiens
du XVIe siècle, ici remise au goût du jour par des artisans nivernais
du milieu du XVIIIe siècle.
(atelier du maître émailleur Jacques Raux ? Musée national de la Renaissance, Ecouen)

« Pauvres gens qui n’ont ny pain ny dents
sont bien empeschez de faire crouste. »,
Jean Gracieux, alias Bruscambille, alias Des Lauriers (1575-1634),
comédien de l’Hôtel de Bourgogne.


Attention ! le brigadier va frapper, la pièce va se jouer, ce sera une bringue à tout casser avec Brighella et ses acolytes acoquinés…

Bateleurs et charlatans sur la place Saint-Marc, mime et pantomime,
batellerie et tours de passe-passe.

12273273662?profile=original Giacomo Franco (1550-1620)

Farces et sotties à Paris, momeries à Venise.

Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens…
12273274065?profile=originalAvec Maître Mondor et Tabarin (Philippe et Antoine Girard, dits),
pour lesquels les larmes « defchargent grandement le cerveau », acteurs et
marchands d’orviétan pour ceux qui avaient mauvaise mine place Dauphine (1622).

Accueillons le sieur Cabotin, saltimbanque et bonimenteur itinérant :


« Cabotin ne peut vivre au monde
Sans faire rire & plaifanter,
En tant de fecrets il abonde
Qu’on eft contrainct de l’efcouter. »


Et devisons gaîment…


« Il y a deux espèces de convives, ceux du dîner et ceux du souper ;
ceux du dîner sont souvent, presque toujours, des personnes sérieuses, âgées, des obligations, des ennuyeux.
Mais le souper, c’est différent ; il faut des qualités très difficile à réunir,
dont la plus indispensable est l’esprit.
… Là, seulement, on cause. »,

                                                         Henriette Louise de Waldner de Freundstein,
                                                baronne d’Oberkirch, excusez du peu (1754-1803)


Et n’oublions pas, précise Alain (1868-1951), que « Le rire est le propre de l’homme, car l’esprit s’y délivre des apparences », et « châtie certains défauts », ajouterait Henri Bergson (1859-1941), c’est « la seule cure contre la vanité. » En liminaire, voilà des propos de table bien réjouissants, mais poursuivons notre peinture des mœurs al dente.

« Qu’est-ce que le rire, sinon un reflet du ravissement de l’âme »,
                                       Dante Alighieri (1265-1321 ; Le Banquet ou Il Convivio)

12273274286?profile=originalScène de banquet
Niccolò Soggi (att. à ; 1480-1552)
Huile sur bois (abbaye de Chaalis, Oise)
Au son d’une trompette bien embouchée, becs fins, ne faites pas la fine bouche.

      Peindre le boire et le manger, les jeux de l’amour ou du hasard, soit, ces thèmes sont récurrents. Mais peindre le rire, l’ironie, voire le sarcasme (« La meilleure philosophie, relativement au monde, est d’allier à son égard le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris. », Chamfort, 1740-1794), pour le provoquer, voilà qui n’est pas banal et vaut qu’on s’en paye une bonne tranche. Car, si « rire de tout ce qui se fait ou se dit est d’un sot ; rire de rien est d’un imbécile. », Erasme (1466/67-1536).
Burlesque (de l’Italien burla, plaisanterie), grotesque, bizarrerie, parodie… enrichissent, quoi qu’il en soit, le vocabulaire pictural. Attendu qu’il est manifeste que toutes ces toiles sont faites pour provoquer.


       Provoquer la parole. Leur cadrage serré autour de plusieurs personnages qui vous invitent à participer, à entrer dans la danse. La table est mise, les festivités vont commencer, les langues se délier, les traits d’esprit fuser, avec ces…


« Frisques, gualliers*, joyeux, plaisants, mignons,
En général tous gentils compagnons. »
                                                                              François Rabelais (1494 ?-1553)


* Gaillards et lurons.

12273274677?profile=original Joyeuse compagnie
(ou Banquet caricatural, ca 1575)
Bartolomeo Passerotti (1529-1592)
Collection particulière
« Grande tétine, longue tétasse
Tétin, dois-je dire besace ? »,
                                                                                       Clément Marot (1496-1544)
Doit-on ne voir dans cette œuvre que paillards braillards
ou une charge contre le vice à caractère moralisant ?
Au premier plan (légèrement hors champ) des allusions explicites (gousse d’ail, saucisse sèche, figue ouverte) pourraient a contrario le laisser penser.
De même les têtes de Maures, hallucinées et langues pendantes.
Cela reste malgré tout du côté obscur de la farce,
comme cette maxime de Joseph Delteil,
lauréat en 1925 du prix Femina :
« Tâte ta saucisse à la Sainte-Agathe
Et ton saucisson à Pâques fleuries. »
Comprenne qui voudra.
Quoi qu’il en soit,
« Tétin qui porte tesmoignage
Du demeurant du personnage. », 

  Marot
12273275061?profile=originalScapin (Jacques Callot, 1592-1635)

12273275074?profile=originalMusiciens ambulants
Bernardo Strozzi (1581-1644)
Chalumeau, flute à bec et musette. Mazette, il semble qu’il Cappuccino Genovese, comme on surnommait Strozzi, manie encore l’art de l’équivoque. Musique et lecture profanes peut-être, que parait partager l’auditeur hagard derrière la flutiste. Honni soit qui mâle y pense,
mais interloqué lorsque j’apprends qu’à Venise une putte était une vierge,
une jeune fille, orpheline des ospedali, destinée au chœur de l’église ! Que les scuele piccole étaient des confraternités consacrées à la charité,
aux exercices de piété, commandant à l’occasion des œuvres d’art !

12273275099?profile=originalLe joyeux violoniste
Gerrit van Honthorst (1590-1656)
Un tronie (portrait) plein d’ironie, où Gherardo delle Notti, comme on l’appelait en Italie, montre que le musicien porte autant d’intérêt au vin qu’à la musique de l’âme.

      Provoquer l’hilarité, tant du hobereau que celle du maraud en maraude, de la grosse rigolade au rire sous cape, selon affinités.
Derrière le rictus ou le masque du carnaval, les barrières sociales sont abolies. De la complicité nait le rire - quitte à s’attirer le courroux des pisse-froid -, la franche camaraderie, le laisser-faire et le laisser-aller, même si ce n’est pas une valse, on s'offre encore le temps de s'offrir des détours du côté de l'amour.


« Et je veux qu'on rie
Je veux qu'on danse
Je veux qu'on s'amuse comme des fous
Je veux qu'on rie
Je veux qu'on danse
Quand c'est qu'on me mettra dans le trou. »,
                                                                                          Jacques Brel (1929-1978)

En attendant, nous ne sommes pas de bois, portons un toast, pour « ce que rire est le propre de l’homme », car :


« Jamais homme noble ne hait le bon vin : c’est apophtegme monacal. »,
                                                                                                                      Rabelais


Ce à quoi semble répondre, quatre siècles plus tard, l’abbé Noël Chabot (1869-1943) :


« Au seul vin de Monbazillac
Tu te cuiteras crânement. »


En chœur, mes verts coquins, reprenons l’hymne des épicuriens.


« Lever matin n’est point bon heur
Boire matin est le meilleur. »,
                                                                                                                      Rabelais


L’abbé Chabot fermant le ban d’un sermon qui sera repris en canon :


« Frères, si vous voulez monter au Paradis
Et obtenir de Dieu le sublime pardon,
Comme Jésus en vérité je vous le dis :
Venez de mon vin blanc vider quelques ballons. »

      Provoquer l’ordre moral dominant et l’autorité religieuse. De nombreuses allusions sexuelles ou scatologiques parsèment ces tableaux, bravant autant la curie que les bien-pensants, aguichant le spectateur. Le rire déclenchant l’ire du vertueux comme du monsignore chargé de veiller à la bonne tenue de ses ouailles selon la Règle de Saint Basile, pour qui Jésus lui-même n’a jamais ri. Allez, curé, je t’aimais bien tu sais.
Mais quand il s’agissait d’aller à confesse, ce n’est assurément pas à s’agenouiller derrière la grille du confessionnal que ces gaillards pensaient, mais plutôt à la gueuse qui les attendait derrière les murs du bâtiment dédié au Seigneur, n’en déplaise à leur directeur de conscience.

« Mes beaux pères religieux
Vous dînez pour un grand merci ;
Ô gens heureux ! Ô demi-dieux !
Plût à Dieu que je fusse ainsi !
Comme vous, vivrais sans souci ;
Car le vœu que l’argent vous ôte,
Il est clair qu’il défend aussi
Que vous ne payiez jamais votre hôte. »
                                                                                           Victor Brodeau ( ?-1540)

Et quand le diable vous invite, il faut venir avec une longue cuillère, quand bien même on ne craint pas de manger le lard en Carême.

12273275679?profile=originalLe Satyre chez le paysan
Jacob Jordaens (1593-1678)

12273275700?profile=originalMichel Lansardière (texte et photos)

Les pitres s’offriront un dernier tour de piste avec un nouveau chapitre consacré à ce genre pictural si particulier.
En attendant, vous pouvez retrouver ici :
Frangipane et autres menus plaisirs (Niccolò Frangipane) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/frangipane-et-autres-...

Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 1ère partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-1-r...

Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 2e partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-2e-...

Passerotti et autres mets délicats (Bartolomeo Passerotti, 1ère partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/passerotti-et-autres-mets-d-licats-r-ts-fromage-et-dessert-1-re

Le rire dans l'art et l'art d'en rire (discours et fantaisies de fin de banquet) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/le-rire-dans-l-art-et-l-art-d-en-rire-discours-et-fantaisies-de

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12273267079?profile=originalJoyeuse compagnie (détail)
(ou Banquet caricatural, ca 1575)
Bartolomeo Passerotti (1529-1592)

« L'Art est le produit de l'intelligence, de la réflexion et du vouloir,
il doit produire chez l'homme un sentiment d'euphorie. »,

                                                                                                           Charles De Wit


12273266695?profile=originalLa gougoutte
Charles De Wit

« Il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits »,
tout l’art consistant à « nous mettre face à la réalité elle-même. »,
                                                                                       Henri Bergson (1859-1941)

      Pour faire suite au précédent article, qui se terminait avec ces Quatre personnages riant avec un chat, je repasserais bien le mistigri pour aller voir Margot dégrafant son corsage, mais cette joyeuse compagnie me retient. Et je comprends mieux pourquoi tous les gars étaient là…

12273267494?profile=originalLe chat emmailloté
(ou La bouillie du chat)
Entourage de Frangipane, ca 1585
Musée d’Arts, Nantes
On retrouvera cette inspiration chez Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), qui nous a laissé un dessin. Son élève, Marguerite Gérard (1761-1837) reprit cette esquisse, mais donna aussi un superbe tableau intitulé « Le déjeuner du chat », exposé à Grasse.
On peut aussi rapprocher cette toile de celle de Jan Miense Molenaer (1609-1668),

Intérieur de cabaret, où un gril sert d’instrument de musique.


12273268466?profile=originalMusée d’art et d’histoire de Genève.

Voilà un matou qui semble nous dire à la manière d’Eustorg de Beaulieu (1495-1552) :


« Pour dormir, boire et manger,
Prendre ébat et me soulager,
Je ne crains homme de ma taille. »

      On trouve dans cette scène du Chat emmailloté un personnage masqué. Il s’apparente à Pulcinella, Polichinelle, bossu et masqué, le type même de la commedia dell’arte. L’une de ces répliques, en forme de précepte, étant


« Mangeons et buvons jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’huile dans la lampe,
car on ne sait jamais si dans l’au-delà il y aura des lampes,
s’il y aura des tavernes. »


En attendant un hypothétique paradis, pour lequel on donnerait bien sa langue au chat, il convient donc de s’en mettre plein la lampe sans attendre la mi-août pour faire les quatre cents coups. Tout un art de vivre !
       Toutefois, à bon chat, bon rat, remarquez l’enfant, au premier plan à droite, qui nous pousse à réfléchir sur cette mascarade qui se joue au-delà du miroir. L’œuvre s’ouvre ainsi sur un autre regard.
Pasquinades et turlupinades. Pasquino, était encore un de ces zannis, valet de comédie, fier-à-bras, impertinent et vorace. Alors qu’en France, Henri Legrand (1587-1637), dit Belleville, côté pile, créa en 1610 sur le modèle italien, le personnage de Turlupin*1, côté farce, l’intrigant, large chapeau et sabre au clair, bretteur railleur se gobergeant de ses moulinets.
Bien d’autres bouffons dérivent, directement ou indirectement, de ce folklore, ici ou ailleurs, citons encore Scaramouche, le Capitan ou Matamore, Paillasse, Cassandre, Pierrot et Colombine, le Gille du Mardi Gras, Punch et Judy, et tutti quanti.
Mardi gras*2, jour charnel, de crêpes et de carnaval… Carême-prenant, derrière un loup, tout est permis.


« En une, en deux, en trois,
Saute Mardi Gras »

      Drôle de présentation tout de même que ce Chat emmailloté, où le peintre ironise et paganise. Est-il revenu le temps des lupercales ?
Plus prosaïquement, « si tu ne veux pas de blé charbonneux, mange des crêpes à la Chandeleur. »

12273268867?profile=originalPrésentation de Jésus au Temple
Andrea Mantegna (1431-1506).
(Photo captée sur le net)

Déjà Andrea Mantegna introduisit une bonne touche d’humour (absent ici),
avec ses facétieux Amours, dans l’oculus de la Chambre des époux
du palais ducal de Mantoue, et un saisissant sens du raccourci.

Sans commenter davantage l’événement…


« Je me contenterai de simplement écrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves arguments. »,
                                                                                 Joachim du Bellay (1522-1560)

      C’est donc sans regrets et la plume légère je que poursuis ici ce que j’entrepris dans la première partie, adoncques…


« Mieux est de ris que de larmes écrire
Pour ce que rire est le propre de l’homme. »,
                                                                                                                      Rabelais

12273268671?profile=original Joueurs de cartes
Anonyme, premier quart du XVIIe s.
Musée de Tessé, Le Mans
« Non pas joueurs de dés, ni de quilles,
Mais de belles farces gentilles. »
                                                                                       Clément Marot (1496-1544)


Un style qui évoque celui des caravagistes d’Utrecht, que l’on retrouve aussi dans les…
12273269095?profile=originalJoueurs de cartes (ca 1625)
Jan Lievens (1607-1674)
Collection Leiden, New York

Ou comment le malheur des uns fait le bonheur des autres
et met, la chose est aisée, les rieurs du côté du plus fort.
« Dans le jeu l’amusement n’est pas réciproque :
presque toujours l’un des joueurs s’impatiente et se fâche,
ce qui diminue beaucoup le plaisir de son adversaire. »,
                                                                                                 Boccace (1313-1375)

D’ailleurs, « c’est un état d’être joueur »« On est convenu d’être incorrigible. », Charles de Secondat, dit Montesquieu (1689-1755).

12273269666?profile=original Le tricheur et ses comparses
Charles De Wit
Une autre manière de se mettre à table.

      Puissiez-vous avoir souri, car « le sourire est la perfection du rire. », Alain (Emile-Auguste Chartier dit, 1868-1951). Toutefois nous ne quitterons pas la table avant d’avoir goûté à la pièce montée qui nous attend.
Mais, au préalable… Vous reprendrez bien un peu de :
Frangipane et autres menus plaisirs (Niccolò Frangipane) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/frangipane-et-autres-...

Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 1ère partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-1-r...

Campi, à l’italienne (Vicenzo Campi, 2e partie) :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/campi-l-italienne-2e-partie-coquillages-et-crustac-s?xg_source=activity

Michel Lansardière (texte et photos),
et le compérage de Charles De Wit ! Merci à lui !

*1 Pasquino était le surnom donné à une statue romaine sur laquelle étaient placardés des pamphlets, à l’origine du sarcastique personnage. Les Libre-Esprit, un ordre mendiant créé au XIIe siècle, quant à eux, affublés du surnom de Turlupins, ils furent accusés de turpitudes, d’hérésie, et persécutés au XVIe s. Et moi, pauvre de moi, me mettant à la page, « d’parler comme un turlupin, je ne pense plus ‘merde’, pardi ! Mais je le dis. », Georges Brassens.

*2 En cette année de grâce 2018, Mardi gras sera fêté le 13 février. La fête de la Présentation de Jésus au Temple et de la Purification de Marie, le 2 février, jour de la Chandeleur, résurgence de la festa candelarum dédiée à Cérès et à sa fille Proserpine dans la Rome antique. Les lupercales, fêtes faunesques, étaient, elles, célébrées du 13 au 15 février. Quant à la Saint-Valentin, fête des amoureux, c’est, notez-le, le 14 février.


                                                               12273269495?profile=originalBanquet final
« Sept convives, repas ; neuf convives, fracas » (proverbe romain).

Que dire alors de treize ?

(photo captée sur le net)

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