Le destin des crevettes
Charles De Wit
Reprenons, et revenons à cette pitture ridicole, qui ne se pousse pas du col, pas de la peinture de cour, rien de divin, non. Juste une peinture de corps et d’esprit-de-vin. Une option viticole, élevant son cru plus ou moins au vitriol sans se la péter, qui fait la part belle à la gaudriole. Une satire du bourgeois, du nobliau, destinée au bourgeois, au hobereau, qu’affectionne le bourgeois. Peu importe que l’on raille et ferraille, tant qu’on se rallie et ripaille. Et pourvu que l’on parle de soi.
Dans les anciens Pays-Bas, un sous-genre est apparu du côté d’Anvers au XVIe siècle, les bordeelijes, ou « scènes de débauche », prisées des amateurs de représentations légères réservées à leur cabinet privé.
La tentation du désir charnel
Charles De Wit
Le Baron : Prêtez-moi une de vos nonnes pour passer la nuit.
L’abbesse : Monseigneur !...
Le Baron : Une maigre : c’est vendredi.
Victor Hugo (1802-1885)
Au XVIIe siècle un courant proche vit le jour. Mais l’axe n’en était plus Anvers ou ses faubourgs, ni Venise ou Padoue, mais plutôt Utrecht et Rome. Ce mouvement s’est cristallisé autour de la figure du peintre Pieter van Laer (1599-1652), dit Il Bambocchio. Bamboche, le « pantin », la « poupée », était contrefait, aimait les excès, ressemblant de fait à Pulcinella, Polichinelle. Les artistes réunis, étaient pour la plupart Néerlandais comme les frères Jan et Andries Both, et Italiens, notamment Michelangelo Cerquozzi. Leur thème de prédilection était la représentation de scènes du quotidien tournant souvent autour de la table ou du jeu, les bambochades.
« Mais Rome d’aujourd’hui, séjour charmant et beau,
Où l’on suit un train plus nouveau.
Le plaisir est la seule affaire
Dont se piquent ses habitants.
Qui n’aurait que vingt ou trente ans,
Ce serait voyage à faire. »
Jean de La Fontaine, 1674
Un groupe apparenté – Pieter van Laer, Bamboche, faisait partie des deux confréries – était les Bentvueghels, une sacrée « bande d’oiseaux », ou Schildersbent, une sacrée « bande de peintres » en rupture de ban avec les canons imposés par l’Accademia di San Luca, saint patron des peintres. Le capitaine de ces poètes disparus était Bacchus, leur rite d’initiation consistant essentiellement à écluser force canons. Après les libations, le nouvel adepte recevait un surnom de baptême évocateur, le Bouc, le Satyre… Ils étaient originaires du nord de la Belgique ou des Provinces-Unies, voire d’Allemagne. Un Cercle de Bourgogne en somme plus qu’une guilde de bonne conduite. Parmi eux on comptait deux descendants de Breughel l’Ancien, Abraham (1631-1697), dit le Rhingrave ou, plus tard, le Napolitain, et son cadet Jan Baptist (1647-1719), dit Méléagre, tous deux fils de Jan Breughel II le Jeune. Ou un certain Franciscus de Wit, dit Phébus... Tout se tient par la barbichette.
Aert (ou Arent) de Gelder (1645-1727) ?
Le rieur
Musée d’art et d’histoire de Genève
L’homme et le pantin ou la vie comme une pantomime.
Tout rieur vit aux dépens de celui qu’il dépeint. Quoi que…
De Gelder, qui fut l’élève de Rembrandt, est connu pour son Autoportrait en Zeuxis.
Zeuxis (464-398 av. J.-C.), avec sa gueule de peintre grec et ses cheveux aux quatre vents, serait mort de rire en portraiturant une vieille femme, trop laide pour être fixée sur la toile. Nous ne conservons donc d’eux aucuns traits (sinon d’humour).
A la fin du Seicento et au début du Settecento, quelques Italiens s’inscrivirent, peu ou prou là itou, dans cette veine, tels Giuseppe Maria Crespi (1665-1747), dit Lo Spagnolo de par sa mise, Alessandro Magnasco (1667-1749), Il Lissandrino, ou Giacomo Ceruti (1698-1767), le Pitocchetto.
Giacomo Ceruti
Garçon avec un panier de poissons (photo captée sur le net)
Enfin, parmi les modernes on peut penser à James Ensor (1860-1949), lui qui « cherch(ait) refuge vers les masques, afin de ]se[ libérer de toutes les peurs, les gêneurs. » Et un de nos meilleurs peintres contemporains, bien connu de notre réseau, j’ai nommé Charles De Wit, a bien compris cette tradition, si vivace dans le Nord et en Belgique depuis Bosch et les Breughel jusqu’à Ensor justement, cette dérision, ce carnaval qu’est la vie. Il m’a autorisé à reproduire ici trois de ses toiles.
Les poissonniers
Charles De Wit
Une peinture haute en couleur de scènes du quotidien, dans un style qui lui est propre, alliant modernité et tradition, aux tons souvent acides.
Homme d'esprit, ses toiles donnent à penser. Nous pousserons donc cette réflexion dans le billet consacré à Bartolomeo Passerotti.
La boutique de marée (détail)
Frans Snyders (Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg)
Ainsi Anciens et Modernes se répondent et s’enrichissent. Leurs palettes se mélangent avec un peu d’imagination et de fantaisie, pour notre distraction.
« J’ay des couleurs blanches et vermeillettes ;
D’inventions j’ay plaines corbeillettes ;
J’ay ce que j’ay, j’ay plus qu’il ne me fault,
Si n’ay point peur d’avoir aucun deffault. »
« J’ai du pot-au-feu, une langue fine
Un peu de poitrine, un filet mignon
J’ai ma femme aussi mais elle me chagrine
Avec ses clins d’œil au garçon. »
Jean Lemaire de Belges (1473-1525)
et André Raimbourg (dit Bourvil, 1917-1970)
Fin de cette seconde partie, pour vos commentaires merci…
« En riant je compose, en riant je veux lire,
Et voilà tout le fruit que je reçois d’écrire. »
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Quatre personnages riant avec un chat
Anonyme, ca 1545
Musée des Beaux-Arts, Angers
Une pochade, de la bouillie pour les chats ou presque, d’après Bartolomeo Veneto (ca 1470-1531). Ces Quatre personnages en quête d’hauteur sont néanmoins typiques du répertoire lombard du Quattrocento.
Mais laissons plutôt le latin aux chat-fourrés, levons nos verres et trinquons :
« Vivez, si m’en croyez, n’attendez pas à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Quoi qu’il en soit…
« Fais ce que voudras. »
En attendant la ronde des fromages et la farandole de desserts…
Les antipastis sont ici (Niccolò Frangipane) :
https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/frangipane-et-autres-...
Et la marée est servie là (Vincenzo Campi, 1/2) :
Michel Lansardière,
avec la complicité de Charles De Wit que je remercie chaleureusement.
Les poissonniers
Vincenzo Campi (1536-1591)
Commentaires
Merci Claudine. Bien content de te voir revenir. Charles a naturellement été associé à cette série pourtant consacrée à l'art de la Renaissance en Italie du Nord. Une facette peu connue où l'humour, l'ode à la vie et à ses plaisirs étaient au centre des préoccupations de ces artistes. Un humour que l'on retrouve notamment en Flandres et en Hollande à la même époque et qui se retrouve aujourd'hui notamment dans l'oeuvre de notre ami Charles.
Bonsoir Michel.
Je suis toujours admirative quand je lis tes articles. Celui-ci me plaît d'autant plus que j'y retrouve le talent de Charles De Wit. Merci et bonne soirée. Claudine
Un commentaire et une appréciation qui, alliés au plaisir de te retrouver, me vont au coeur. Pour la Chandeleur, un nouveau billet est prêt avec un autre peintre du burlesque, Passerotti. Avec des crêpes et un bon verre de cidre l'hiver sera moins gris ! Merci Nicole.
C'est toujous stimulant de recevoir des compliments. On retrouvera bientôt un nouveau peintre du plaisir des sens au XVIe siècle.
Merci à toi Antonia.
Quel bon moment , pétillant de rires, couleurs et gaieté de vivre ! " Notre" Grand Jacques aurait apprécié, lui aussi ! J'ai songé à plusieurs de ses chansons en découvrant ton article , Michel ! J'ai adoré ton évocation de Moustaki , petite et fine touche d'humour qui signe tous tes articles ! Merci du partage de tes recherches ! Carnaval n'est pas loin , ripaille et truculence évoquent avec force l'exubérance de la vie, faisant un pied de nez magistral à l'hiver ! Cordialement, Nicole
On s'enrichit un peu plus avec chaque d'article de ce genre, bien documenté et soutenu par de si belles images. Merci, Michel.
Merci Sonia pour cette appréciation.
Juste référence au cinéma italien, à Fellini et à son Satyricon, Pasolini, avec La Ricotta, Ferreri et La grande bouffe, bien sûr. Et d'autres.
J'ai préféré suivre une veine plus garguantuesque, avec Rabelais et d'autres auteurs, du XVIe siècle essentiellement, et explorer d'autres pistes.
Bonne expo et merci Arlette pour ce commentaire.
Merci Leloir et José pour votre appréciation.
Tout un programme très documenté et des abondances à la Fellini de la truculence à la Gargantua il y en a pour tous les goûts
Bonsoir Michel Bravo pour un tel sujet peu commun
Je vais voir Botéro ces jours ci à Aix Une autre forme de plénitude
Arlette