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Née ainsi...

Naïve, elle est née.

Naïve, elle est restée

Croyant aux boniments

Qu’on lui dit sincèrement.

 

Fragile, elle est née.

Fragile, elle est restée

Tout en s’endurcissant

En affrontant le temps.

 

Confiante, elle est née.

Confiante, elle est restée

Même si la méfiance

Lui fait perdre confiance.

 

Gentille, elle est née.

Gentille, elle est restée

Malgré tous les coups bas

Reçus ici ou là.

 

Serviable, elle est née.

Serviable, elle est restée

Malgré les profiteurs

Se moquant de son bonheur.

 

Sociable, elle est née.

Sociable, elle est restée

Dans cette société

Qui a voulu lui ôter

 

Son sourire angélique,

Sa menotte tendue,

Son cœur empli d’amour,

Ses yeux émerveillés.

 

Le soleil se couche

Et la lune s’attriste,

Elle aussi très déçue

N’ose plus trop y croire.

 

Le sourire s’efface,

La menotte se referme,

Le cœur saigne en silence,

Des larmes perlent aux cils.

 

Mais il suffit d’un rien,

Délicate attention,

Pour charger les batteries

Et sourire à la vie.

 

Deneyer Viviane 06/04/2011

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journal de bord, mardi 5 avril 2011

Neuf heures du matin.

 

Au programme, pour la suite de la journée ...

 

Rue de la Croix, 43

 

Monsieur Andrew Byrne reçoit, pratiqu'ment chaque jour, beaucoup de colis. Certains sont trop gros pour être glissés dans sa boîte aux lettres.

Monsieur Andrew n'est jamais chez lui ... quand je passe devant sa maison.

 

Je transporte donc, dans le vide, des paquets (par trois, par quatre, par cinq parfois) qui prennent, deux fois sur trois, presque toute la place dans le "refeel back" (étage) de mon caddy. Indépendamment du courrier, très volumineux, que je dois prendre, en même temps, avec moi. Je ne peux faire autrement. "C'est dans la règlementation", j'entends, implacablement. Ca va, je le savais. Ceci dit, quand on est fatigué de se farcir, sur le terrain, des scénarios aussi absurdes ...

 

Chaussée d'Ixelles, 361

 

Une boîte aux lettres a été baillonnée.

 

Faut déposer le courrier au GB du coin (fermé le mardi). OK, OK. Ca ne me cause pas problème. Sauf sur un point : quand je débarque dans cette mini-grande surface (le dernier lieu dans lequel je rentre, sur ma tournée, avec les quatre/cinq heures de marche, dans les pattes), je me trouve dans un capharnaüm. Aucun endroit "pratique" pour déposer le courrier. La jeune vendeuse est désagréable à l'excès et ... la surface devant laquelle elle travaille est bourrée, quand je me pointe, d'achats de clients qui passent à la caisse. Pas moyen d'accrocher un regard, de demander où déposer le courrier. Y a quelques mois, j'étais passé un recommandé. J'avais demandé de voir le gérant (peut-être avait-il la procuration justifiant la posssibilité de livrer le recommandé), sans voir le moindre souffle de vent s'animer sur le visage de la vendeuse. De quoi faire des bonds ! De quoi petter un câble ! J'étais sorti, sans demander mon reste. Dès ce jour, chaque fois que j'ai eu un recommandé adressé au "chaussée d'Ixelles, 361", j'ai systématiqu'ment avisé (le recommandé), avant de partir en tournée, en soulignant la mention "pas de mandataire désigné" (en toute légalité).

 

Hier, en fin de journée ...

 

En vidant mon caddy, je suis tombé sur cinq avis (de recommandés) destinés à cinq clients absents. Ils étaient pliés, planqués dans une cachette, sur laquelle je suis tombé ... très innocemment. J'ai été remplacé vendredi. C'est le gars qui a fait ma tournée qui a planqué les avis. Des plaintes à son sujet, je m'en suis farci (ça a continué, aujourd'hui). D'accord, faire des remplacements n'est pas une sinécure. Mais quand même : quand ça sent la cachette, ça sent volontiers la mauvaise foi. Faut pas abuser.

 

Des commentaires ...

 

"Monsieur, je vous en veux ... vous m'avez obligée à aller à la poste chercher mon recommandé, vous n'avez pas sonné"

 

Madame Duboscq, je vous aime beaucoup. Votre allure, votre chien. Je suis sur le cul quand j'apprends que vous dépassez les quatre vingt printemps. Votre coquetterie, votre allure rapide quand vous descendez la rue de l'Ermitage, afin de vous rendre au "Delhaize" du coin.

Savez-vous que je vous regarde avec le même plaisir, le même entrain que ... la plupart des amourettes qui, chaque jour, me lancent des étoiles dans les yeux ?

Savez-vous que j'ai été remplacé vendredi ?

Savez-vous que, mercredi ou jeudi, j'avais effectiv'ment un recommandé pour vous, que j'ai sonné, que j'ai attendu le temps nécessaire avant de rédiger un avis ?

 

"Vous mettez du mauvais courrier dans notre boîte aux lettres"

 

Ai-je entendu, de la part d'un couple, rue de la Croix (numéro 1). "Vous mettez du courrier dans notre boîte aux lettres". Directement, je suis pris à parti ... comme étant le responsable. Je sais pertinemment que Monsieur Ludovic François, qui faisait suivre son courrier à la boîte 17 pour commencer, à la boîte 27 ensuite ... est parti sans laisser de traces. "Vous mettez du courrier dans notre boîte aux lettres". En prenant (quand même) la peine de causer avec le couple (qui a l'air sympa, quand même), ils m'apprennent (et je les crois) qu'ils ignoraient que le facteur était parfois remplacé.

 

Un autre client, rue des Champs Elysées, qui s'étonne d'avoir reçu seul'ment aujourd'hui l'avis d'un recommandé qui date du 1er avril (jour où j'ai été remplacé). Forcément, il s'adresse à moi. Forcément, il a reçu l'avis aujourd'hui (j'ai repéré les avis égarés hier ... donc, je les replace avant qu'il ne soit trop tard dans la boîte aux lettres du client, afin qu'il puisse encore se retourner). Heureus'ment qu'il me connaît ... et qu'il me croit sur parole quand je lui explique la vérité.

 

"Tu ne l'as pas signalé à la poste ?", me dit-il, "non, tu as peur de ..."

 

Oui, Charles, je peux avoir peur de ... comme tu dis. Enfin : j'ai des cas de conscience. Je peux constater des faits, mais l'idée de balancer un collègue (que je n'ai pas suivi à la trace), c'est beaucoup pour moi, oui.

 

Et quand on est fatigué, en plus ...

 

Après le boulot ...

 

J'ai pas la force de prendre ma guitare et de partir jouer au métro, pour me détendre (comme je le fais à d'autres périodes). J'ai pas la force de sortir manger (je me contente de ... salop'ries). J'ai pas la force de faire ma pub (pour le spectacle du 9 avril, à la Bwesse a Music, à Dampremy), comme je le fais habituell'ment. Dois-je réagir ? Dois-je vivre paisiblement ce cycle ?

 

Hier, après le boulot ...

 

J'ai quand même accompli l'exploit de prendre le tram et de filer jusqu'à la station de métro "Mérode". Mon abonn'ment (de tram, de métro, de bus) mensuel expirait le 4 (du mois). La machine permettant le renouvell'ment (pour un mois), je la trouvais pas plus près de chez moi. J'ai sûr'ment été bien inspiré : je suis tombé sur une amie de fraîche date, en transit à Bruxelles, avant de repartir jusque fin juin à Strasbourg. Ca va, c'est pas l'isol'ment complet.

 

Ca n'a l'air de rien, cette importance accordée à l'abonn'ment ... pour ceux qui, a priori comme moi, vivent avant tout dans leurs étoiles.

 

Détrompez-vous : il m'arrive aussi de garder les pieds ancrés sur le sol. Un abonn'ment en règle, c'est une certitude, tous les matins, de grimper dans le tram ... sans payer. Dieu sait si ces arrang'ments contribuent à la tranquilité à laquelle on aspire (et grâce à laquelle on met le pied, ensuite, vers d'autres aventures). Car, voyez-vous, il m'est déjà arrivé de ne pas trouver la force de pointer ma carte à la date prévue et de décider, tous les matins, de prendre deux euros dans les mains, de monter systématiqu'ment à l'entrée du tram, de donner le fric au conducteur (protégé par une vitre et très souvent emmerdé lorsqu'il doit me donner mon ticket). Cette mise en condition, très pratique en soi (à son échelle) peut s'avérer pompante au jour le jour (surtout quand il faut rentrer dans un tram ... bourré). Je ne suis pas sûr qu'à long terme, je ne laisserais pas tomber les rennes ... au risque de tomber, alors, sur des contrôleurs qui me bassin'raient l'amende légale. J'ai beau ne pas être matérialiste, j'ai pas trop envie de jeter par la f'nêtre ... un budget, un capital que je me crée, chaque jour, en vue de réaliser des projets et de me rendre la vie la plus riche possible.

 

Je ne refuse pas la fatigue, en soi. Quand je m'arrête, quand je prends le temps de la ressentir, je m'allège.

 

Ce soir ...

 

J'aurais pu prendre le train jusque Andenne. Y a une émission, dans une radio, intitulée "Toi, l'artiste". ENtre 20 et 21 heures. On m'a demandé, hier, si je voulais participer. Dieu sait si je cours comme un gamin après ce genre d'aventure. Dieu sait si je suis du genre à savoir m'organiser, sur une journée (même après le boulot), pour me changer, prendre encore le train dans les temps requis, arriver à l'heure à l'émission, repartir par la suite (en train), en rejoignant Bruxelles avant minuit, me lever le lend'main pour repartir au boulot. Oui, je l'ai déjà fait. Oui, oui, oui. Dieu sait à quel point aussi je me suis déjà surmené. Y a deux ans, je me suis tapé un burn-out (durant deux mois et demie, j'ai été en incapacité de travail ... en grande partie parce que je ne me ménageais pas, parce que je n'écoutais pas mon corps).

 

Non, je n'irai pas à Andenne ce soir. Un autre mardi sera plus adapté.

 

En plus : dans mon état de fatigue, j'ai oublié de vérifier les heures de l'émission que l'animateur me proposait. Ce n'est pas dans mes habitudes. Dieu sait si, d'instinct, je vérifie ce genre de détail.

 

Je sais où j'en suis là dedans.

 

Le problème, dans ce genre de décision, c'est ... qu'on trouve des gens qui ne vous comprennent pas. Qui ont l'habitude de vous voir hyper actif dans pas mal de choses et qui, dès le moment où vous changez brusquement d'attitude, en déduisent probablement ... que vous le faites exprès (et qui vous cherchent même des poux, parfois).

 

Ah ...

 

J'ai eu une bonne nouvelle, hier, en rentrant.

 

Du 14 au 22 juillet, au Théâtre de la Closerie, du côté de Vézelay, Clamecy (France), y a une fête qui s'appelle "Belgitude". La chanson, j'imagine, a son mot à dire par là. Hi hi hi. Quand je sais que mon pote Gérard-André, qui tient le lieu, qui chante Aragon (dans le même esprit que Ferrat) a son mot à dire dans le projet, je suis très très optimiste. Et surtout : ces dates tombent pile poil avec mes deux semaines de congé de rôle.

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Quelques écrivains du XIXe siècle

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Philippe Auguste de VILLIERS DE L'ISLE-ADAM (1838 - 1889)

" Histrion véridique " (Mallarmé), railleur ami du rêve et indigent notoire, Villiers survit difficilement en cette fin bourgeoise du dix-neuvième siècle, vouée aux fastes positifs de la science. Echappé de la Bretagne, puis du Parnasse, il cultive un idéalisme mystique dont Isis (1862) tente de dénouer le drame. L'affrontement dialectique du réel et du spirituel organise l'ensemble de son œuvre, marquée par l'influence de Baudelaire, Poe, Hegel. Longtemps, l'écriture se cherche : le théâtre (Ellen, 1865, Morgane, 1866) explose dans le long poème dramatique d'Axël (1872, repris en 1885, publié en 1890 et joué en 1894), dont les accents wagnériens furent goûtés des symbolistes — quand il y eut des symbolistes ! Inconnu hors d'un cénacle fort restreint, Villiers vit d'expédients, tire à la ligne dans les journaux, se fait, dit-on, moniteur de boxe, va jusqu'à contrôler des convois de bestiaux. Revenant à la fin des années soixante-dix à une littérature plus facile d'accès, il semble enfin trouver sa voie, et connaît quelques succès, avec les Contes cruels par exemple. L'Eve future (1886), Tribulat Bonhomet (1887) développent sur le mode romanesque une thématique inédite, où l'innovation scientifique fait surgir une inquiétude. Les séries de nouvelles (L'Amour suprême, 1886, Nouveaux Contes cruels, 1888, Histoires insolites, 1888) explorent avec plus d'imagination encore les impasses du monde moderne, en opposant le rêve, l'amour, l'expérience des confins de la mort, à l'étroitesse du sens commun et de l'esprit positif. Dans la raillerie se joue un mysticisme meurtri, cherchant aux limites du bizarre et de l'horrible la présence de l'Idée.

 

Contes cruels (1883)

Dans la lignée du Barbey des Diaboliques, Villiers découvre dans la forme courte une intensité qui s'accorde à merveille avec sa personnalité littéraire. Il s'emploie ici à faire jouer le réel et l'imaginaire selon une dialectique qui recouvre l'opposition entre le matériel et le spirituel, en explorant des états limites : l'approche de la mort, la cruauté, l'amour vécu comme un absolu. N'hésitant pas à forcer sur le macabre, Villiers tempère la violence de ces récits d'une légère distance, laissant toujours planer le soupçon d'une mystification.



François-René de CHATEAUBRIAND (1768 - 1848)

" Je me suis rencontré entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves " écrira-t-il dans les Mémoires d'outre-tombe. Témoin à vingt ans de l'écroulement de l'Ancien Régime, il a dès lors le sentiment d'habiter, " avec un cœur plein, un monde vide ". Monarchiste dans l'âme, il fait le voyage d'Amérique, avant de revenir en France, pour bientôt émigrer. Ses compagnons d'exil lui semblent stupides et l'Angleterre ne lui profite guère, mais il en revient avec l'Essai sur les révolutions, qui décide de sa carrière littéraire. En l'espace de quelques années, il donne Atala, René, puis le Génie du christianisme. Entre les espaces vierges et la beauté des cathédrales, c'est une esthétique nouvelle qui prend corps, un premier romantisme qui déjà célèbre l'Histoire et se plaît à la solitude. Certes, le Génie dont l'auteur est salué comme un prophète est aussi l'apologie d'un ordre que Napoléon travaille à restaurer, mais sous le conservatisme politique perce une sensibilité nouvelle ; entre deux mondes, celui qui est mort et celui qui naît, Chateaubriand est déjà en retrait, seul avec lui-même. Le subjectivisme quelquefois délirant de son œuvre a pour corrolaire la difficulté à s'engager dans l'action. Il mènera une brève carrière politique sous la Restauration, sans jamais se départir de cette distance ombrageuse qui subsiste jusque dans ses pages les plus passionnées. Orgueil et lucidité le séparent d'un monde où il ne se reconnaît pas. Aussi, le christianisme de Chateaubriand est-il, comme le mal du siècle, affaire personnelle — lors même qu'il les vit comme des moments de l'Histoire. L'ennui, la solitude marquent le destin d'un voyageur qui sans cesse interroge les ruines de mondes disparus : l'Orient des Martyrs, de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, l'Amérique des Natchez, la France chrétienne du Génie et de la Vie de Rancé. Les Mémoires d'outre-tombe parachèveront cette recherche nostalgique en l'entraînant au cœur de l'être.

 

Atala (1801)

" Les amours de deux sauvages dans le désert " furent publiées à part, avant d'être ajoutées au Génie du christianisme puis intégrées aux Natchez. Nature et religion sont la source d'un lyrisme nouveau, où la plainte funèbre de l'amant se confond avec l'évocation des espaces immenses du Nouveau Monde. Le destin tragique d'Atala, prise entre promesse et passion, révèle la beauté d'un christianisme élevant l'homme au-dessus de lui-même. Le pathétique et l'approfondissement psychologique nourrissent d'humanité cette histoire exemplaire, réfléchie par les confessions angoissées de l'auteur et rythmée de morceaux purements lyriques.

 

René (1802)

Tristesse et rêveries solitaires, ou la peinture du " vague des passions ", dans un récit à forte dimension autobiographique qui accompagnait à l'origine le Génie du christianisme, mais fait partie des Natchez. Avec la mélancolie d'un cœur passionné dans un monde qui ne lui offre rien s'invente le mal du siècle. Il faut noter la condamnation du narrateur, par la voix de Chactas ; mais avant de dénoncer l'orgueil de René, Chateaubriand exprime pour la première fois un état d'esprit dans lequel une génération tout entière se reconnaîtra. Avec les dernières œuvres de Rousseau et le Werther de Goethe, René constitue le creuset d'une sensibilité lyrique qui dominera la littérature européenne de la première moitié du siècle.

 


Anne Louise Germaine de STAEL (1766 - 1817)

D'une enfance vouée à l'adoration du père, plusieurs fois appelé aux commandes de l'Etat, Germaine Necker conserve une spiritualité marquée par le protestantisme, mais aussi une foi toute philosophique dans les vertus du progrès. Les hommes la décevront — à commencer par les siens : M. de Staël, pour être suédois, n'en est pas moins médiocre, M. de Narbonne dont elle réussit à faire un ministre de la guerre n'est pas à la hauteur de ses espérances, Benjamin Constant enfin ne tiendra pas la longueur, quand bien même leur liaison s'étend sur plus d'une décennie. Du Caractère de M. Necker et de sa vie privée (1804) montre bien que l'idéalisation de la figure paternelle ne laissait guère d'espace à ces malheureux, mais la question tient aussi à un report toujours déçu d'ambitions qui ne pouvaient s'exprimer directement, dans une société qui par delà les changements de régime ne laisse aux femmes que la portion congrue. Aussi la littérature se charge-t-elle chez Mme de Staël d'enjeux politiques et sociaux, ce qui lui vaudra à plusieurs reprises l'exil. Pendant la Terreur, tout d'abord, après la parution de ses Réflexions sur le procès de la reine (1793). Sous le Consulat et l'Empire ensuite, en particulier après qu'elle eût publié De la littérature, dangereuse exaltation de la liberté et d'un pluralisme culturel incompatibles avec les valeurs impériales. Les Lettres sur Rousseau, en 1788, repéraient dans l'œuvre de son concitoyen un génie et une passion censées excuser ses erreurs ; le pouvoir napoléonien ne pardonnera les siennes jamais à Mme de Staël. Les plus graves ? Sans doute son libéralisme et sa défense des droits de l'individu, en littérature (Essai sur les fictions, 1795) comme en morale (De l'influence des passions sur le bonheur, 1796) — et comme en politique. Proscrite, exilée à Coppet, elle réunit les esprits les plus brillants de l'Europe (Bonstetten, Sismondi, Constant, le jeune Barante). Mme de Staël s'essaie à des romans (Delphine, 1802, et surtout Corinne, 1807), vit avec Constant une liaison de plus en plus orageuse, et anime, entre travail et conversation, son cénacle libéral. Autour de l'idée d'une métaphysique du progrès, le groupe tente de réunir l'héritage des Lumières avec une reconnaissance du spirituel. La rencontre de Goethe et Schiller (en 1803-1804), de W.A. Schlegel (1807) confortent Mme de Staël dans son admiration des cultures étrangères, et singulièrement des littératures du nord. De l'Allemagne (1810) sera évidemment saisi, et ne pourra réellement paraître qu'à Londres en 1813, après que l'ire impériale eût chassé son auteur de Coppet. Résignée au retour des Bourbons, elle ne survivra pas longtemps à un mariage contracté secrètement en 1815, peut-être la plus heureuse de ses liaisons.

 

Corinne ou l'Italie (1807)

Delphine montrait en 1802 les contradictions d'une vie féminine prise entre devoirs sociaux et loi du cœur. Corinne explore les mêmes voies, en marquant davantage l'implication de l'auteur dans sa fiction : car Corinne est poète, et son destin sera une figure de celui de cette Italie où elle a cru trouver le bonheur. L'échec de l'amour est aussi celui d'un pays incapable de vivre sa liberté. Problématique moderne que cette connexion pas seulement métaphorique entre l'existence individuelle et la vie des nations.



Alexandre DUMAS (1802 - 1870)

Outre Dumas fils, nous devons à Alexandre Dumas père un nombre considérable de drames et de romans qui participent à la fois de la passion romantique pour l'Histoire et de la nécessité de satisfaire d'immenses appétits. Viveur, exalté — il ira jusqu'à faire partie de l'expédition des Mille avec Garibaldi —, Dumas traverse la littérature du dix-neuvième siècle avec la grâce bedonnante d'un inventeur qui s'ignore. Certes, en ses débuts il entend faire œuvre de novateur et s'engage dans la bataille romantique avec Henri III, Anthony (ou l'invention du drame en habit noir) et surtout Kean ; mais son désir de gloire, qui s'accomplit dans le triomphe de La Tour de Nesle en 1832, l'amène vite à faire fi d'ambitions esthétiques trop marquées. Délaissant le drame pour le roman, il connaît avec Le Comte de Monte-Cristo un succès populaire qui ne se démentira plus. Définitivement lancé dans le feuilleton, il s'entoure de nègres et professe en privé un réjouissant cynisme (" L'Histoire ? Un clou auquel j'accroche mes romans ") qui ne l'empêche pas de collectionner les best-sellers, allongeant la sauce en faisant de ses volumes au demeurant fort bien ficelés des cycles (Les Trois mousquetaires, Vingt ans après, Le Vicomte de Bragelonne). C'est peut-être en ce prosaïque professionnalisme qu'il trouve sa paradoxale modernité. Car sous le mépris amusé de ses confrères se cache l'envie, et Alexandre Dumas apparaît dans sa réussite comme l'incarnation de cette condition nouvelle de l'homme de lettres, vivant de sa plume et monnayant sa gloire. A l'écoute d'un public qui ne cesse en ce milieu de siècle de s'élargir, il comprend l'un des tout premiers l'utilisation de la presse moderne et crée ainsi un modèle durable, que bon nombre d'écrivains plus discrets reprendront à leur compte.

 

Les Trois mousquetaires (1844)

On sait qu'ils étaient quatre, mais on oublie généralement que pour écrire ce roman Dumas s'est adjoint les services du jeune Auguste Maquet. Athos, Porthos et Aramis, figures hautes en couleur auxquelles s'associe le Gascon d'Artagnan, sont amenés à retrouver un bijou que tentent de dérober les agents du fourbe Richelieu. L'habileté du récit fait de cette œuvre le prototype durable du roman historique : aventures, hardiesse, passions vivaces d'un passé héroïsé, diversité des caractères, enjeux politiques et duels à l'épée répondent à un goût modelé par le romantisme.

 

Jules VALLES (1832 - 1885)

Véritable figure de la révolte, Vallès puise dans l'humiliation d'une jeunesse malheureuse un indéfectible sentiment de fraternité à l'égard du peuple ouvrier, auquel il prêtera sa voix. Il exerce à son arrivée à Paris différents métiers, qui sont autant d'expériences de l'exploitation : Le Bachelier donne à lire cette paradoxale condition d'un jeune homme lettré presque réduit à la misère, amené dans les griffes de patrons indélicats par les bloquages d'une société qui n'a que faire de lui. Aussi l'écriture, la parole publique sont-elles le moyen de refuser la fatalité d'une aliénation. Vallès donne aux revues révolutionnaires et socialistes des articles féroces, qu'il réunira dans Les Réfractaires (1866) et La Rue (1867). Polémiste habile, il participe à l'aventure de la Commune et dirige Le Cri du peuple, ce qui lui vaudra d'être condamné à mort par les bourgeois triomphants. Il s'exile alors pendant une dizaine d'années : c'est à Londres qu'il commence à rédiger son autobiographie romancée. Le cycle de Jacques Vingtras commence avec L'Enfant, dont le style alerte et surprenant conjugue le rire et l'émotion. Le Bachelier (1881) peint la suite d'un itinéraire placé sous le signe dialectique de l'humiliation et de la révolte, où le romanesque s'alimente d'une colère impuissante. Dramatisant une existence en butte à l'injustice d'une société indifférente à la misère, l'écriture joue à la fois de la singularité des anecdotes et de l'exemplarité d'une lutte qui trouve une dimension tragique dans les pages consacrées à la Commune : L'Insurgé paraît l'année même où meurt Vallès, rentré d'exil mais à jamais insoumis.

 

L'Insurgé (1886)

Ce qui, dans les romans précédents, se jouait dans l'écriture, s'accomplit ici dans l'action : devenu militant, Jacques Vingtras connaît enfin la Révolution (en l'occurrence la Commune), qui apparaît comme le catalyseur nécessaire d'une violence contenue pendant des années. L'histoire individuelle et l'histoire sociale se confondent alors en un moment unique de coïncidence avec soi-même. Ce testament spirituel, véritable bréviaire de la révolte, nourrira de ses images le mythe révolutionnaire cher au vingtième siècle.




Isidore Ducasse de LAUTREAMONT (1846 - 1870)

Qui lirait aujourd'hui les Chants de Maldoror si les surréalistes, cinquante ans après sa mort, n'avaient redécouvert l'un des écrivains les plus fascinants du dix-neuvième siècle ? De ce météore, on ne sait presque rien. Né à Montevideo, il est envoyé en pension dans le sud de la France ; arrivant à Paris en 1867, il y publie ses Chants, puis les deux premiers fascicules des Poésies, qui n'auront pas de suite : Isidore Ducasse meurt à vingt-quatre ans, dans un hôtel de Montmartre. Il laisse une œuvre étrange, qui n'aura presque aucun écho avant d'être exhumée par Breton. Ce poète maudit n'est pourtant jamais loin de son siècle : dans la figure de Maldoror se dessinent tous les révoltés lucifériens qui peuplent la littérature de Byron à Lamartine, et l'on perçoit dans le choix du mal des échos de Baudelaire, Musset, Mickiewicz. Mais il serait réducteur de ne voir en Ducasse que la pointe extrême d'un satanisme romantique à la Pétrus Borel. L'agressivité inouie des Chants, leur atroce bestiaire dépassent en monstruosité tout ce qui s'était vu jusqu'alors, à l'exception peut-être du Sade des Cent vingt journées ; encore ne rencontre-t-on pas chez Lautréamont la froideur méthodique du marquis, mais une rage elle-même dépassée par l'humour, qui dans le même temps la nourrit et la tempère. C'est qu'il y a du jeu dans cette folie. Emprunts livresques, parodies, réécriture ne cessent de se fondre en un discours qui s'emballe, se nie tout en s'exaltant, vibrant d'une énergie visionnaire. La poésie alors se trouve dans cette secousse donnée à la langue, dans ce dérèglement que n'aurait pas renié Rimbaud, et qui sera pour le vingtième siècle une leçon.

 

Les Chants de Maldoror (1869)

Né méchant, révolté contre son créateur qu'il ne cesse de défier par sa monstruosité, Maldoror apparaît comme un Christ inversé, évoluant au sein d'un univers hallucinant d'agressivité. La fureur contamine un texte qui s'emballe, se déchaîne, s'exaspère en blasphèmes. Les " délices de la cruauté " organisent un discours frénétique garanti d'une bascule dans l'absolu du cauchemar et de la folie par son humour constant. Jaillissant d'images, jouant d'un fantastique dont l'absurde assure la permanence, ce livre unique est aux sources du lyrisme moderne, modulant une voix déchirée aux limites de la logique et de la langue.



Edmond et Jules de GONCOURT (1822 - 1896 et 1830 - 1870)

Témoins irrévérencieux du monde des Lettres, dont leur célèbre Journal est une savoureuse chronique, les Goncourt seront célébrés comme des précurseurs par la jeune garde naturaliste. Héros fondateurs d'une esthétique qui triomphe autour de 1880, ils ont longtemps attendu un succès dont Jules ne connaît que les prémices. Le goût du vrai, au risque du sordide, fait de leurs romans de scandaleux manifestes d'un réalisme encore neuf, qui est d'abord très mal accueilli par la critique. Le public, quant à lui, ne leur réservera jamais qu'une estime discrète ; Edmond vieillissant ne verra pas sans une certaine amertume les livres de Zola atteindre des tirages énormes. Il est vrai que la mort de Jules, en laissant anéanti son aîné, a fait voler en éclats une écriture qui ne trouvait sa forme que dans l'équilibre de deux tempéraments. Moins expansif, Edmond s'était jusqu'alors concentré sur la construction romanesque, cependant que Jules travaillait le style. L'écriture artiste, se plaisant aux mots rares et aux expressions curieuses, légitime en quelque sorte la crudité ou la bassesse du sujet, en donnant à leurs romans écrits à quatre mains une couleur inimitable, qu'on ne retrouve pas dans les trois livres écrits par Edmond (La Fille Elisa, 1877, Les Frères Zemganno, 1879, et La Faustin, 1882). Prenant sa source dans l'historiographie et la critique d'art, l'écriture cherche ses modèles dans la peinture, dont les deux frères sont amateurs. Aussi la description l'emporte de beaucoup sur la narration, chez eux, contaminant le récit d'un imparfait quelquefois agaçant. L'architecture rigoureuse de leurs romans s'ordonne en tableaux successifs qui sont généralement autant d'étapes d'une dégradation : le réalisme des Goncourt est pessimiste, sans doute parce qu'il s'attache à explorer les zones obscures du monde de leur temps, interdites de littérature. Rien d'étonnant à ce que, comme chez Balzac quelques décennies auparavant, ce soit des figures de femmes qui dominent ; après les mœurs journalistiques évoquées dans Charles Demailly (1860), les titres sont révélateurs : Sœur Philomène (1861), Renée Mauperin (1864), Manette Salomon (1867), Germinie Lacerteux et Madame Gervaisais (1869). Resté seul, Edmond fait de son hôtel particulier à Auteuil le centre d'un cénacle littéraire où naît sans doute l'idée de l'Académie Goncourt, qu'instituera son testament.

 

Germinie Lacerteux (1865)

Imaginé d'après une histoire vraie, ce roman narre les aventures d'une domestique sombrant peu à peu dans la corruption. La courbe descendante du livre donne à ce destin le poids d'un fatum, délivrant ainsi le récit de tout discours moralisant. Le propos en effet n'est pas de dénoncer le vice, mais de dévoiler les turpitudes et tourments cachés d'une existence féminine multiforme que le Second Empire voudrait réduire à l'honnêteté matrimoniale et ménagère. Dire ce qui ne se dit pas suppose d'inventer un nouveau langage romanesque, diminuant la part de l'accident, de l'aventure, au profit de tableaux dont la succession traduira le cheminement insensible d'une existence réglée à une vie déréglée — c'est-à-dire du représentable à l'irreprésentable. Le réalisme des Goncourt s'affirme à la fois contre un discours dominant (la femme n'est qu'une mère ou qu'une bonne) et contre une littérature jouant du romanesque pour ne pas s'affronter au réel.




Alfred de MUSSET (1810 - 1857)

L'enfant prodige du romantisme est devenu un paradoxe de l'histoire littéraire. Longtemps, on admira le poète limpide aux audaces mesurées ; c'est à présent le dramaturge, complètement ignoré de son époque, qui retient notre attention. Musset entre en littérature à dix-huit ans, publie à vingt ses Contes d'Espagne et d'Italie. Violence, passion, couleur locale assurent au jeune auteur une réputation qui fait de lui une des principales figures du romantisme de 1830. Il fera très vite cavalier seul, peu sensible au modèle du guide prophétique et à la mission sociale de l'écrivain. Recherchant dans l'écriture l'expression communicative d'une émotion, il trouve dans une certaine fragilité, exaltée par les bouleversements amoureux, la source d'un lyrisme visant à l'authenticité, modulant la plainte d'une âme déchirée (Poésies). Le poète des Nuits est aussi l'auteur de morceaux plus légers ; mais très tôt une mélancolie le ronge, qui donne à ses proches l'impression d'un homme détruit. La Confession d'un enfant du siècle (1836) dresse le portrait d'un homme auquel la société contemporaine ne laisse plus aucun espoir de s'accomplir. Reste la possibilité de se perdre : la débauche, l'alcoolisme, témoigneront plus tard de cette dégradation du destin. Dans un monde fantomatique où règne le faux-semblant, le poète ne peut se forger d'identité que dans le doute, l'incertitude. Fantasio, Lorenzaccio mettent en scène ce jeu de masques où pointe dans l'angoisse du dédoublement l'impossibilité de rencontrer une vérité existentielle durable. On ne badine pas avec l'amour participe de cette figuration de la difficulté à être heureux, tout en initiant autour des jeux du paraître une dramaturgie originale, dont le retentissement sera tardif mais durable.

 

Fantasio (1834)

Un faux bouffon tente d'aider une vraie princesse : déguisements, quiproquos, gaieté font de cette pièce un étourdissant ballet où la farce et la tristesse se mêlent, autour de la personne de Fantasio, figure vivante du rire mélancolique en lequel l'art de Musset trouve ses racines chez Shakespeare et Hoffmann. C'est aussi une pièce politique, montrant dans les princes des fantoches et démystifiant allègrement la prétention du pouvoir au sérieux.

 

Lorenzaccio (1834)

La pièce la plus politique de Musset est aussi une réflexion sur l'identité. Pour lutter contre un duc tyrannique, son cousin Lorenzo a emprunté le masque du débauché ; pris à son propre jeu, il découvre en même temps l'impuissance des patriciens florentins qui devraient être ses alliés. L'inutile meurtre du duc confirme l'illusion de toute conspiration, et Lorenzo, recherché, s'abandonne à son châtiment. Méditation sur l'action, sur la vérité en politique, ce texte désabusé parut longtemps injouable avant d'être progressivement redécouvert. Jouant du théâtre dans le théâtre, de l'éclatement spatial, n'abusant pas des prestiges de l'Histoire, il apparaît rétrospectivement comme le plus ambitieux et le plus réussi des drames romantiques.

 


George SAND, Aurore Dupin dite (1804 - 1876)

D'une enfance dont l'Histoire de ma vie dit l'enchantement, elle garde une liberté qui s'exaltera dans la lutte. Avant d'être " la bonne dame de Nohant ", Aurore Dupin devient baronne Dudevant, puis se sépare rapidement de son mari pour mener une vie indépendante : Musset, Chopin, seront les compagnons de celle qui apparaît très vite comme une figure phare du romantisme. Ses premiers romans (Indiana, 1832) contestent une société bloquée, qui refuse à la femme son autonomie et n'accorde aux passions qu'une existence clandestine. Revendiquant le droit à un bonheur personnel, ils font de l'amour le fondement d'une régénération morale. Avec Consuelo (1842), George Sand pousse plus avant la dénonciation, mettant en accusation les erreurs et les mensonges d'un monde qui pourrait trouver sa vérité dans un socialisme à la Pierre Leroux, nourri d'amour de l'humanité : Le Meunier d'Angibault sera le roman de cette réconciliation. Mais l'échec de la révolution de 1848 amène la romancière à se désintéresser de la politique. Cultivant un art de vivre qui la ramène de plus en plus souvent à Nohant, elle entretient une abondante correspondance, s'attelle à sa longue autobiographie, et entre deux pièces de théâtre publie les romans qui font aujourd'hui son renom : François le champi, La Mare au diable, La Petite Fadette célèbrent une simplicité toute d'innocence et de rêverie, dans une prose émouvante et retenue. Rapidement classiques, ils berceront l'enfance d'un siècle d'écoliers, parmi lesquels figurent bon nombre d'écrivains. Aussi les images champêtres des romans de George Sand sont-elles devenues une part de notre mémoire en même temps qu'une référence littéraire souterraine, resurgissant à l'état brut chez Proust ou chez Colette.

 

La Mare au diable (1846)

Dans le silence d'une campagne endormie, deux voyageurs discutent, laissant la sérénité de la nuit les amener au bord des confidences. L'intrigue ne tarde pas à réunir ces amoureux qui s'ignorent ; la simplicité de l'histoire est à l'image de celle des sentiments, laissant au premier plan l'atmosphère envoûtante et paisible, image terrestre d'une harmonie cosmique dont les personnages n'ont qu'à suivre la loi.




Gérard de NERVAL, Gérard Labrunie, dit (1808 - 1855)

Le doux Gérard est peut-être le seul romantique allemand des lettres françaises. Du Valois dont les légendes enchantent son enfance à la bohème parisienne où il côtoie Gautier et la jeunesse flamboyante des années trente, c'est l'image d'une fête mélancolique qui marque ses débuts. Auteur remarqué d'une traduction de Faust, il compose des contes, touche au journalisme. Erudit, il est dans le même temps imprégné de l'esprit du dix-huitième siècle et passionné par l'ésotérisme. Le Voyage en Orient, Les Illuminés interrogent l'invisible, témoignant d'un intérêt constant pour le mystère. Il étudie, voyage en Angleterre, en Italie, en Egypte, séjourne en Allemagne à plusieurs reprises. Menant une existence chaotique, il s'endette, atteint d'une instabilité en laquelle se devine cette fragilité psychique qui aboutit à la crise de 1841. Interné, puis rendu à lui-même, il évolue dès lors aux frontières d'une raison menacée par les hallucinations. Le rêve devient lieu privilégié d'une écriture hantée par les figures féminines. Sous la limpidité des Filles du feu, l'espace et le temps perdent de leur fixité, laissant le lecteur dans un vertige qui s'exacerbe avec Les Chimères et surtout Aurélia. Tentant désespérément de fixer ce mouvement d'un esprit perdu, l'écriture voit vaciller ses repères. Le poète tout entier s'engage dans cette tentative de reconquête de soi-même, qui bouleverse les catégories littéraires : la poésie est chez Nerval comme chez Baudelaire aventure totale, transcendant prose et vers pour interroger les arcanes de l'être. Aussi l'échec à se retrouver, l'inachèvement d'Aurélia, le suicide attestent-ils l'intensité d'une expérience qui renouvelle radicalement les enjeux de l'écriture.

 

Les Filles du feu (1854)

Autour d'Octavie, Jemmy, et de quelques autres figures féminines qui se fondent dans l'évocation finale d'Isis, s'organisent plusieurs récits (et une comédie) où le romanesque s'alimente du jeu des souvenirs. La manière de Nerval trouve son expression la plus caractéristique avec Angélique, où le décousu fantaisiste du récit laisse la cohérence thématique se subsituer à l'unité narrative. Sylvie voit la rêverie envahir une écriture traversée de souvenirs, mêlant des temps et des espaces éloignés en un tissu littéraire très dense, dont les contours brouillés épousent l'imaginaire du narrateur. Le lecteur fait ainsi l'expérience d'une fascinante dérive du texte, jusqu'à sa reprise en main in extremis.




Charles BAUDELAIRE (1821 - 1867)

Tout semble commencer dans la magie brisée d'une enfance. Le remariage de sa mère avec le général Aupick place la vie du jeune Baudelaire sous le signe d'un ordre qu'il n'aura de cesse de braver. Ses frasques le font envoyer à Calcutta ; rebroussant chemin à La Réunion, il revient à Paris, majeur, dilapide son héritage et se voit rapidement pourvu d'un conseil judiciaire. Le poète, dès lors, hésite entre la bohème et d'étonnantes tentatives de s'intégrer à une société qui ne veut plus de lui : ses candidatures à l'Académie contrastent avec une existence délibérément vécue en marge, rythmée par des amours qui n'étaient pas toutes avouables. Jeanne Duval, Marie Daubrun, Madame Sabatier inspirent à Baudelaire des passions et des rêveries qui participent d'une expérience métaphysique. L'idéalisation de la chair est à la fois mouvement vers le divin et achoppement ; de même, le catholicisme qu'il a tant de mal à vivre répond à ce besoin profond : dépasser l'ennui d'un monde sans transcendance, voué à l'uniformité. Aussi le choix du mal peut-il être compris comme une tentative désespérée de restaurer du sens. Il revient à l'art de réaliser ce qui engage la vie même du poète : les couleurs de Delacroix, les images des Fleurs du Mal révèlent sous l'apparente atonie du monde une surnature dont peut jouir l'esprit rendu à l'Idée. Dès 1847, La Fanfarlo met en scène les prestiges du faux. La haine baudelairienne de la nature, évoquant à la fois Sade et Joseph de Maistre, fonde une esthétique qui passe par le bizarre et joue des images les plus étranges pour révéler les accords secrets de l'univers. Elle se constitue dans un dialogue ininterrompu avec la peinture (Curiosités esthétiques), et dans une confrontation quelquefois violente avec le romantisme, d'abord associé à la modernité puis en partie renié dans une radicale remise en jeu du lyrisme. Le Spleen de Paris poussera jusqu'à sa limite une expérience décisive pour l'écriture, fatale peut-être au poète : sentant approcher l'aphasie, Baudelaire se prendra à regretter d'avoir cultivé l'" hystérie " qui fait pourtant de lui le père de la poésie moderne.

 

Les Fleurs du mal (1857, 1861)

Le célèbre procès de 1857, en attirant l'attention sur l'érotisme et le satanisme, nous donne à voir dans le jeu des thèmes l'une des scandaleuses nouveautés du recueil. Plus profondément, l'anti-nature et surtout l'attention portée à la laideur ("Une charogne") inaugurent une poétique prenant acte de l'ennui du monde pour en extraire, par le verbe, une beauté. La création, dès lors, engage l'existence tout entière du poète, qui ne trouve de sens que dans l'accès, par le jeu des correspondances, à la surnature. A l'origine est le spleen, sensation vague de l'uniformité du monde. L'écriture l'atteste, tente de l'exprimer, tente aussi de le dépasser. L'inconnu, le nouveau, deviennent alors finalités poétiques, approchent une idéalité secrète, qui se découvre dans les méandres de la rêverie, le choc de la laideur, le passage fugitif d'une beauté. L'architecture du recueil retrace ce mouvement créateur, qui se rejoue dans chaque poème. Aussi l'apparent classicisme prosodique cache-t-il une remise en jeu définitive des pouvoirs de la poésie. Dans l'étrangeté de certaines images s'incarne la tentative d'établir des rapports nouveaux entre les objets les plus éloignés. Le lyrisme cesse d'être harmonie, devient travail sur la langue : rapprochements audacieux, bizarrerie sont les moyens d'une découverte impossible à la seule raison. Aussi l'imagination est-elle reine ici, dans le déploiement de la rêverie comme dans les violences soudaines d'un verbe malmené.

 

Le Spleen de Paris (1869)

A la suite d'Aloysius Bertrand, Baudelaire en passant du vers à la prose s'approche au plus près de l'essence de la poésie, débarrassée d'une forme qui pouvait sembler la résumer. Les " ondulations de la rêverie " organisent une écriture dense et suggestive, tentant de capter dans le spectacle infâme de la grande ville le beau moderne. "A une passante", dans les Fleurs, était une première tentative de saisir le fugitif ; suite d'instants où brièvement apparaît le sentiment d'un monde supérieur, d'une harmonie, les poèmes en prose font de cette poursuite une loi, en concentrant l'émotion dans un texte aussi court que possible.




Paul VERLAINE (1844 - 1896)

Il y a en Verlaine plusieurs poètes, dont les vagues figures voilent le visage de l'homme. Les Poèmes saturniens, proches encore du Parnasse, laissent entrevoir une manière singulière, triste et musicale, qui s'épanouit avec les Fêtes galantes. L'écriture tremblante, nuancée, indécise, exprime en discrètes sensations un désarroi qui perce sous les masques. L'inquiétude d'une vie livrée à la bohème, l'abandon à l'alcool, ont pour envers une aspiration à la stabilité, voire à la réussite sociale : au mariage en 1870 n'est pas étrangère la tentation de retrouver l'esprit bourgeois dans lequel le poète a été élevé. Las ! L'apaisement de La Bonne Chanson vole en éclats après la rencontre de Rimbaud, " époux infernal " qui réveille les démons du poète. Une liaison tumultueuse, entrecoupée de retours au bercail, s'achèvera dans les coups de revolver qui envoient Verlaine en prison. Commence alors, dans l'obscurité de la cellule, une métamorphose dont rendent compte les Romances sans paroles et qui trouvera son accomplissement dans une conversion au catholicisme. Sagesse, Amour, témoignent d'un renouvellement poétique : spiritualité, simplicité, retiennent l'attention des jeunes symbolistes, cependant que le poète voit progressivement s'évanouir tous ses espoirs de réintégration sociale. Les Poètes maudits (1884) prend ainsi l'allure d'un portrait de l'artiste en paria. Verlaine cependant retrouve une audience, vit tant bien que mal de sa plume, publiant des notes sur ses contemporains, des œuvres de fiction, et surtout des souvenirs : on décèle dans l'anthologie de Jadis et naguère (1884) une volonté d'en finir avec la poétique de " la musique avant toute chose " ; ses derniers recueils sont animés d'une volonté de clarté, de simplicité, qui aboutit à une fracture de l'inspiration. Erotisme, spiritualité informent deux écritures qui perdent à ne plus se confondre — mais Verlaine est déjà une légende, demeurant par delà ses écrits la figure par excellence du poète.

 

Poèmes saturniens (1866)

Premier recueil d'un auteur encore influencé par Leconte de Lisle, soucieux de ne pas se perdre en épanchements, les Poèmes saturniens tremblent cependant sous leur raideur hiératique d'une tristesse inscrite dans le titre même. Une musique nostalgique s'insinue ainsi dans le vers, modulant en mineur une douceur délicate et sentimentale ; le désarroi de l'âme s'exprime déjà dans la sensation, préparant ainsi les découvertes des Fêtes galantes.

 

Fêtes galantes (1869)

La grâce légère d'un paysage de songe, peuplé de figures ambiguës : sentimentales et frivoles, perverses et badines. Pour peindre cet univers de fragile bonheur, le vers se fait musical, un art faussement naïf laisse percer l'inquiétude dans la demi-teinte du mineur. Les images crépusculaires et nocturnes permettent à la suggestion et à la sensation de primer sur le discours, dans une esthétique qui annonce le symbolisme.

 

Romances sans paroles (1874)

Publié alors que Verlaine était en prison, ce recueil qui passa inaperçu contribua profondément à renouveler la poésie française. Fondant intérieur et extérieur dans le vague de la rêverie, le poème devient musique, rythme, mouvement, fixant d'impalpables états d'âme, de fugitives sensations dans un état d'esprit qu'on a pu rapprocher de l'impressionnisme naissant. Une prosodie nouvelle, marquée par l'impair, l'importance moindre accordée à la rime ouvrent en poésie une voie où s'illustrera Apollinaire.



Jules VERNE (1828 - 1905)

Ses biographes aiment à rappeler l'épisode de la fugue avortée, qui voit le jeune exalté promettre à sa mère de ne plus voyager qu'en rêve. Mais ce Nantais rêve moins de bateaux que de littérature, et c'est à Paris qu'il débarque en 1848. Pour sa famille, il fait son droit ; en réalité, il se préoccupe surtout de théâtre, rencontre Alexandre Dumas, fait monter une première pièce. Bientôt secrétaire du directeur de l'Opéra, il continue sans grand succès de se consacrer à l'art dramatique, avant de se tourner vers la prose ; quelques récits paraissent, où se manifeste déjà un intérêt pour l'exotisme, l'Histoire, la technique. Sensible au mouvement de son siècle, il fonde avec Nadar une Société pour la recherche de la navigation aérienne, étudie la physique, la géographie, nourrissant de fréquentes visites à la Bibliothèque nationale un projet qui prend corps : faire sortir l'aventure scientifique du cabinet des savants, éveiller et capter l'intérêt du public pour un progrès dont reste à écrire l'épopée. La publication de Cinq Semaines en ballon (1863) ouvre l'immense cycle des Voyages extraordinaires qui fera la fortune de l'éditeur Hetzel. Travailleur infatigable, Jules Verne joint à une imagination puissante un étonnant souci de précision, tant dans le domaine scientifique que sur le plan de l'écriture : la rigueur, l'exactitude de son vocabulaire, la sobriété de son style servent à merveille un réalisme de l'impossible. De la Terre à la Lune, Le Tour du monde en quatre-vingts jours, Vingt mille lieues sous les mers sont ainsi des rêves étrangement vivants, où raison et fantasmes se croisent aux limites du fantastique. Aussi le lecteur d'aujourd'hui s'étonne-t-il toujours de ces odyssées accomplies par l'Histoire.

 

De la Terre à la Lune (1865)

Après l'aventure aérostatique, le voyage devient ici véritablement extraordinaire, dilatant jusqu'au vertige l'espace de l'exploration. Un héros qui rappelle par bien des aspects Nadar, dont son nom est l'anagramme, voyage dans un obus géant transformé en wagon-lit. Autour de la Lune, en intégrant le récit de 1865, nous montrera avec humour une expédition animée par les menues anicroches d'un huis-clos interplanétaire.




Prosper MERIMEE (1803 - 1870)

Sous le masque des dignités et des sarcasmes — car il avait des prétentions à la cruauté —, Mérimée reste une énigme. En ce temps où l'on s'épanche volontiers, il cultive le secret, se veut anti-lyrique jusque dans ses poèmes. Le moi ? Il entend y substituer l'impersonnalité du conteur, quand bien même on retrouve dans certaines de ses nouvelles des silhouettes qui lui ressemblent étrangement. Ses goûts vont à l'énergie latine, à la prose russe. Ami de Tourguéniev, traducteur de Pouchkine et de Gogol, il se plaît à une écriture épurée, à une singulière économie du verbe. Il apprécie les écrivains de la Renaissance, des Lumières, se reconnaît moins dans ses contemporains, sauf à aller les chercher loin des salons parisiens. Mondain pourtant, il court les honneurs et traverse les régimes avec bonheur, trouvant dans ses responsabilités à l'Inspection générale des monuments historiques l'occasion de rédiger des ouvrages d'archéologie et d'histoire. L'historiographie correspond peut-être à son idéal littéraire, net et impersonnel : on songe à l'admiration de son ami Stendhal pour le Code civil... Mais ce sont ses nouvelles, cultivant heureusement l'art du raccourci, qui le rendent célèbre. Mérimée qui, dit-on, croit au Diable y joue habilement du fantastique, et rencontre à sa façon le goût de l'époque. Mateo Falcone, Colomba, Carmen, La Vénus d'Ille connaissent ainsi un succès durable, éclipsant pour un temps l'audacieux et précoce recueil du Théâtre de Clara Gazul, que l'on redécouvrira au vingtième siècle.

 

Carmen (1845)

Don José, honnête brigadier basque, devient contrebandier puis brigand pour les beaux yeux de Carmen, qui ne tarde pas à le délaisser, d'abord pour un époux gitan que José est obligé d'assassiner, puis pour un jeune picador. Seule la mort peut contraindre cette femme fière et libre, en laquelle José a rencontré son destin. La sauvagerie des cœurs enflammés est ici donnée explicitement comme une forme exotique, le détachement du narrateur s'épanouissant dans les considérations documentaires qui achèvent l'histoire.

La Vénus d'Ille (1837)

Le drame affleure quand une idole de cuivre est découverte dans une petite ville des Pyrénées, tandis qu'en de méridionales festivités se prépare un mariage. Les deux histoires se nouent autour d'un anneau échangé, qui consacre avec l'irruption du fantastique le retour dans une réalité banale des puissances païennes. L'horreur culmine dans l'étreinte mortelle de la statue et du marié, pour se fixer dans la folie qui saisit la jeune épousée. L'écriture parfaitement maîtrisée laisse monter une tension qui finit par toucher au paroxysme.

Colomba (1840)

A l'instar de ses modernes compatriotes, cette jeune Corse n'est rien moins qu'une colombe, cultivant au contraire les vertus insulaires, qu'elle s'applique à ranimer chez un jeune frère adouci sur le continent. Malgré les pathétiques efforts du préfet d'Ajaccio, la guerre reprend entre cette famille et un clan tout aussi déterminé. Les allures tragiques d'une vendetta poussée jusque dans ses ultimes conséquences s'alimentent de l'antique rudesse d'un peuple irréductible à toute autre loi que la sienne. Meurtres et folie font de la couleur locale non plus seulement le cadre mais la structure d'un récit au style net et tranchant comme le couteau d'un bandit.




Jules RENARD (1864 - 1910)

La publication posthume du Journal révéla l'ampleur du talent d'un écrivain " étranglé par son style ". Habile à la note cruelle, spécialiste du sourire pincé, cet héritier du naturalisme tisse de brefs croquis une œuvre minimaliste, partagée entre les scènes animales des Histoires naturelles et la description sans pitié d'une humanité mesquine. A ce rétrécissement des vies correspond un resserrement de l'écriture, ironique dans L'Ecornifleur et amère dans Poil de carotte. Auteur méticuleux, virtuose de la litote, Jules Renard s'invente un rythme lapidaire, cultive la netteté et la précision d'un entomologiste littéraire. Epinglant avec le même bonheur ses voisins de campagne et ses confrères, il trouve dans la vie champêtre la possibilité de garder une liberté vis-à-vis du monde des lettres. Les Bucoliques étonnent par leur simplicité émouvante, pleine de fraîcheur et de délicatesse ; le Journal abonde en portraits incisifs où les contemporains sont traités avec la même lucidité aigre-douce que les personnages de fiction. Retiré dans un petit village dont il devient rapidement le maire, Jules Renard fera cependant quelques tentatives pour s'imposer en littérature : quelquefois tirées de ses romans, ses pièces de théâtre (Le Pain de ménage, Le Plaisir de rompre) vivent d'une cruauté sèche et raffinée, où les mots d'auteur témoignent à la fois d'une distance et d'une volonté de séduire. L'adaptation à la scène de Poil de carotte est un succès. Mais l'espace public, très vite, apparaît inadapté à une écriture qui avec les années se concentre dans les pages denses et réflexives du Journal. Absorbant peu à peu les facultés créatives de l'écrivain, ce monument s'avère être le corps même d'une œuvre trouvant dans l'intimité sa vraie dimension.

 

Poil de carotte (1894)

En cette figure de mal-aimé se retrouve le talent ambigu d'un auteur à la fois cruel et émouvant. Le pathétique nourrit ici la satire, dans une habile description des mécanismes de l'amertume. Suite de croquis à la cohérence moins chronologique que thématique, ce roman est à la fois drôle et désespéré, montrant avec ironie la quotidienne impossibilité de communiquer d'une famille aux personnalités vivement dessinées. L'égoïsme fraternel, l'indiférence haineuse de la mère trouvent leur répondant dans la fourberie naissante du héros, inhabile à extérioriser ses sentiments.




Gustave FLAUBERT (1821 - 1880)

Sa vie commence dans le déchaînement lyrique du romantisme le plus échevelé. Les premières œuvres, drames historiques, contes, chroniques, fragments autobiographiques, s'animent d'une jeunesse fiévreuse où l'écrivain se laisse aller à son naturel : métaphysique, épris de fantastique et d'extraordinaire. Mais c'est à contre-nature que se développera son génie. Madame Bovary, dans l'ambiguïté même d'une identification tour à tour vécue et niée, inaugure une poétique anti-lyrique, refusant l'hyperbole, érigeant le réel en référence absolue. Paradoxe de ce réalisme : l'art ainsi conçu se tisse du fil le plus banal qui soit, et conquiert ainsi une dignité nouvelle, autonome en quelque sorte, si l'on considère le peu d'importance du sujet. Aussi le rêve flaubertien d'un " livre sur rien " participe-t-il d'une modernité littéraire dont l'un des fondements sera l'idée d'auto-référentialité. L'essentiel, dès lors, est dans la forme, dans ce style qui fait de la création littéraire un supplice. Il est cependant une respiration chez Flaubert, qui d'un livre à l'autre passe de l'ironie à l'épique, fait alterner Salammbô et la seconde Education sentimentale, les Trois contes et la Tentation de Saint-Antoine, pour laisser inachevé Bouvard et Pécuchet. Le Dictionnaire des idées reçues, dans sa dénonciation de la bêtise, reprend non pas tant l'une des thématiques principales que le mouvement même de l'œuvre. Refus de s'abandonner à une facilité narrative, haine du poncif, exigence d'un art absolu sont les principes d'une dévotion au beau qui sera aussi la règle toute monacale d'une vie d'ermite. Cloîtré à Croisset par le manque d'argent, Flaubert se nourrit de livres, dévore les classiques, et passe dans l'étude l'essentiel d'un temps que la correspondance nous restitue dans toute son immobilité. Obsédé d'exactitude historique, il dépense une énergie considérable dans les travaux préparatoires à Salammbô, à L'Education sentimentale ou Hérodias. La rédaction de Bouvard et Pécuchet sera à la fois passage à la limite et tentative d'exorciser ce vertige de culture, qui n'est pas sans évoquer le modèle romantique du savoir total : car la tendance du texte flaubertien à se faire somme, qui menace constamment de noyer la création dans l'érudition, est à la fois rêve hérité et fantasme d'avenir, en s'incarnant dans cette moderne figure d'une littérature ne parlant que d'elle-même.

 

Madame Bovary (1856)

Quoique précédé de nombreux essais littéraires, ce roman constitue un événement, tant dans l'histoire des lettres françaises que dans la carrière de Flaubert, qui pour la première fois ou presque avoue une œuvre en la publiant. C'est que le mouvement vers l'impersonnel qui l'a vu passer des fragments autobiographiques de sa jeunesse à la première Education sentimentale trouve ici son achèvement dans la mise en scène ironique d'une bêtise nourrie de romantisme. Refusant toutes les facilités d'un romanesque dramatique, le texte file une histoire insipide dans une architecture parfaite, cependant que le jeu des points de vue permet dans l'effacement même, éclatant, du narrateur, de constituer une savoureuse densité, en fondant la rêverie, sa critique — et l'ambiguë grandeur, sentie par Baudelaire, de ces ridicules aspirations à l'absolu.

 

Salammbô (1862)

L'Orient chamarré et la splendeur antique semblent un pays natal dans l'imaginaire flaubertien. Aussi la restitution réaliste d'une barbarie disparue résonne-t-elle des plus intimes fantasmes de l'écrivain. La rigueur scientifique des études préparatoires mêle l'archéologie la plus exacte à la plus haute poésie : la passion de Mathô, mercenaire révolté, pour la fille d'Hamilcar est prétexte à de somptueuses fresques où le récit, suspendu dans l'imparfait de la description, laisse s'évanouir toute histoire dans la magie d'un instant démesurément allongé, d'un temps pétrifié où les personnages eux-même semblent gagnés par la minéralité. — L'immobilité presque picturale de l'épopée n'empêche une lecture romanesque et pittoresque qui assura le succès du livre.

 

L'Education sentimentale (1869)

Largement autobiographique dans sa première version, ce projet qui occupe Flaubert pendant vingt ans devient portrait d'une génération, fresque historique faite de rendez-vous manqués : Frédéric, comme Emma, rêve mais recule devant toute réalisation, vit d'absence en somme. A ce héros auquel il n'arrive rien, qui verra le meilleur de son existence dans un épisode qu'il n'a pas vécu, Flaubert consacre une œuvre paradoxale, roman du néant et en même temps somme historique. L'écriture se fonde ainsi dans une fusion avec le réel, se confondant avec la vie jusque dans son absence de perspective. Nul apprentissage n'est possible : Flaubert ruine un sous-genre du roman en le portant à sa perfection.

 

Trois contes (1877)

Un Cœur simple, La Légende de Saint Julien l'Hospitalier, Hérodias filent dans la variété de genres et de cadres fort différents une réflexion sur l'innocence et la conscience ; la béatitude de Saint Julien est un retour à la simplicité de Félicité par le détour de la cruauté, cependant qu'Hérode incarne face à Iaokanann l'agitation d'une âme qui ne connaît pas la paix. La précision du style et la diversité de l'inspiration font du volume un condensé de l'art de Flaubert, entre l'éclat barbare et le fil invisible d'un temps tour à tour immobile et accéléré, entre l'Histoire (ou son absence) et la légende.




Théophile GAUTIER (1811 - 1872)

A peine sorti de l'enfance, il s'illustre aux côtés des romantiques dans la bataille d'Hernani ; on conservera longtemps le souvenir de son gilet rouge, étendard d'une école dont il s'éloigne pourtant rapidement. Les contes des Jeune-France, dès 1833, sont une peinture ironique de la bohème, où l'auteur goguenard se moque malicieusement des affectations romantiques. Avec Mademoiselle de Maupin, il s'engage dans une voie qui l'amènera à défendre l'art pour l'art, en refusant tant les facilités du lyrisme que la soumission au monde extérieur. Sensible à la trivialité de la France moderne, il visite l'Espagne, l'Orient, cherchant dans le dépaysement l'authenticité d'une vie plus intense. L'Egypte ancienne lui inspirera Le Roman de la momie, le règne de Louis XIII Les Grotesques, puis Le Capitaine Fracasse ; mais c'est surtout dans le fantastique que s'épanouit une écriture en exil du monde. Dès le long poème d'Albertus, puis dans les Contes qu'il donne tout au long de sa carrière, le doute traverse d'inquiétants récits hantés par la mort. L'inspiration historique rejoint le fantastique dans Arria Marcella et Le Roman de la momie. L'influence d'Hoffmann et d'Arnim rattache Gautier, comme son ami Nerval, au romantisme allemand autant qu'à une tradition française qui perdurerait dans la finesse colorée de son art. Epris de perfection, il use en ses récits d'une langue séduisante, au vocabulaire chatoyant. Emaux et camées transforment chaque mot en un " diamant ", serti dans les rythmes rares qui font du recueil un manifeste parnassien. Prophète entêté d'une littérature d'exigence, Gautier n'hésite cependant pas à jouer les feuilletonistes, et cultive une image paradoxale. Mais il trouvera dans l'amitié de Flaubert, dans le salut de Baudelaire qui lui dédie ses Fleurs du mal une reconnaissance ; Catulle Mendès, Hérédia, Leconte de Lisle verront en lui un maître.

 

Contes et récits fantastiques (1831)

Dès les années 1830 et jusqu'à la fin des années 1860, le fantastique occupe une place essentielle dans l'œuvre de Gautier. Mise en doute des lois triviales de la raison, recherche d'une autre réalité sont à la source d'une écriture de l'hallucination, où l'esprit voit ses repères vaciller. Aussi le ton souvent léger ne doit-il pas cacher l'inquiétude profonde, tendant à l'obsession, qui sous-tend ces récits traversés de doubles, où un monde hanté par la mort se voile comme en un rêve.

 

Le Roman de la momie (1858)

Les décors à demi légendaires de l'Egypte antique donnent son intérêt à cette histoire sentimentale traversée de souvenirs bibliques. Le luxe, les mystères d'un Orient nocturne, des bribes d'épopée participent d'un goût issu du romantisme, qui trouvera son écho dans l'imaginaire flaubertien ou l'œuvre de Gustave Moreau ; à ce titre, le récit de Gautier constitue dans sa dimension archéologique même un document sur le dix-neuvième siècle après Jésus-Christ.

 

Mademoiselle de Maupin (1835)

La préface de ce roman fera de Gautier le père spirituel du Parnasse et de tous ceux qui se réclament de l'art pour l'art : il y proclame l'indépendance absolue de l'art, enfin affranchi des conventions rigides d'une morale stérile. Les aventures galantes de l'héroïne, travestie en homme, illustrent à merveille cette irrévérence de jeune romantique, jouant sans complexe du romanesque. Une poétique de l'excès s'y déploie, riche en péripéties, digressions, descriptions, à la manière de ces grotesques du Grand Siècle chez qui Gautier se plaît à retrouver ses ancêtres littéraires.




Alfred de VIGNY (1797 - 1863)

D'une famille d'ancienne noblesse, le jeune Vigny rêve d'uniformes et de batailles, comme toute sa génération. Une brève carrière militaire ne brisera pas l'image du soldat, qui s'exaltera dans Servitude et grandeur militaires (1835). Plus féminin et contemplatif cependant qu'il ne le souhaiterait, Vigny trouve rapidement sa véritable voie. Un premier recueil, en 1822, révèle un poète de la douleur, vite reconnu par ses pairs : le jeune auteur rejoint bientôt le cénacle où autour de Nodier et Hugo se prépare la révolution romantique. Eloa (1824) le fait connaître du public, et l'année 1826 voit la parution des Poèmes antiques et modernes et d'un roman historique, Cinq-Mars, qui peint l'humiliation de la noblesse par la monarchie absolue. Dès ces premières œuvres, la poétique de Vigny semble marquée par la mise en scène dramatique d'une idée philosophique. L'essentiel de sa pensée se cristallise dans la thématique d'une injustice faite à l'homme. Le silence de Dieu, les noirceurs de l'Histoire accusent la solitude morale du grand homme (Moïse, 1822) et de l'artiste (Stello, 1832, puis Chatterton, 1835). Daphné, en 1837, témoigne d'un pessimisme religieux tempéré par une foi intacte en l'homme. Les déceptions de l'action politique (1848) n'altèrent pas un optimisme auquel Les Destinées (posthume, 1864) tenteront de donner corps, en mettant en scène de grandes figures et des entités mythiques. Point d'aboutissement de l'œuvre de Vigny, ces poèmes tout entiers tournés vers le sens se voient opposer aux symboles religieux (et à l'idolâtrie à laquelle ils sont associés) ; seule l'image poétique est à même de dispenser une vérité, et d'exprimer " l'esprit pur ".

 

Servitude et grandeur militaires (1835)

Incarnation d'une valeur qui n'a plus cours — l'honneur —, le soldat est au même titre que l'artiste une figure de paria moderne, incapable de trouver sa place dans un monde implicitement condamné par l'auteur. L'évocation émue da vie fruste des garnisons permet à Vigny de mettre en lumière une beauté morale et une dignité qui semblent avoir fui le monde moderne. Le Cachet rouge, La Veillée de Vincennes, La Canne de jonc composent un triptyque ; trois figures animent ces récits marqués par un sens de la fatalité qui ressort presque davantage de la tragédie que du roman.

 

Les Destinées (1864)

Réunissant les derniers poèmes composés par Vigny, ce recueil posthume refuse l'épanchement, se construisant au contraire sur une intellectualisation de l'expérience du poète. L'émotion ici se joue davantage dans l'invective que dans le pathos, quand bien même c'est l'expression d'une misère humaine qui nous est donnée à lire. Visant à mettre en lumière les vérités en lesquelles se manifeste " l'esprit pur ", défiguré par les religions, ces longs " poèmes philosophiques " rythment de leurs alexandrins un pessimisme professé par quelques grandes figures. De la dignité farouche de " La mort du loup " aux leçons de pitié de " La maison du berger ", l'homme se voit proposer quelques valeurs dans un monde indifférent à sa misère. " Bouteille à la mer ", le recueil prêche d'exemple en faisant au lecteur l'offrande de ses images.




Alphonse de LAMARTINE (1790 - 1869)

Sorti du collège où il a perdu la foi, il s'ennuie, fils d'une famille qui ne tolérerait pas un engagement au service de Napoléon. Il écrit, pris pourtant par un désir d'action que ne satisfait pas une brève carrière militaire sous la Restauration, puis quelques pas dans la diplomatie. Un amour clandestin, l'expérience de la mort, puis le retour au catholicisme, semblent le faire naître à lui-même : un poète. Les Méditations poétiques, en 1820, imposent sous la " forme vieille " que leur reprochera Rimbaud un rythme et des images qui tentent d'exprimer " l'âme ". Ses recueils suivants, jusqu'à la Chute d'un ange, approfondissent ce mouvement de la pensée vers l'image qui est pour lui l'essence de la poésie. Mettre au jour des états de l'âme, en écrire l'épopée : telle semble être l'unité d'un projet qui s'attache à figurer l'intériorité par divers moyens : reflets d'un paysage, histoire, mythe. Cette écriture touchant au sacré lui apparaît quelquefois comme une profanation ; peut-être ce scrupule explique-t-il l'abandon progressif de la poésie à partir de 1830. Mais c'est aussi qu'absorbé par une carrière politique qui le conduit pendant quelques mois de 1848 à la tête de l'Etat — devenu provisoirement la République —, il a été élu député, siège et combat dans les rangs de la gauche. Il a donné en 1847 une monumentale Histoire des Girondins, qui semble consacrer sa nouvelle vocation. Las ! Renversé en juin 1848, il doit retourner, à son corps défendant, à une littérature qui n'aura plus d'autre ambition que de le nourrir. Sa vieillesse sera laborieuse et impécunieuse, occupée d'Histoires, de Confidences, et d'un Cours familier de littérature où réapparaîtront quelques pièces poétiques.

 

Méditations (1820)

Précédant de peu l'explosion romantique, ces Méditations font date dans la poésie lyrique française. Ce n'est pas tant la forme, proche de celle de Parny et de Chénier, qu'une sensibilité nouvelle, religieuse et amoureuse. Les discours interrogent une pensée, élégies et méditations fixent des visions. Le poème se fait alors contemplation, rêverie, plonge dans les profondeurs de l'âme. A l'élévation qui le clôt répond la forme générale du recueil, qui recompose l'itinéraire d'une conversion. La mélancolie et le sentiment du vide inspirent un imaginaire en mouvement, une âme inquiète se plaisant aux lieux apaisés : toute une époque se retrouva dans cette poésie qui renouait avec le sacré.




Guy de MAUPASSANT (1850 - 1893)

La brève existence de Maupassant ne laisse pas de cacher des vies multipliées, qui ont donné naissance à autant de légendes. Habitué des maisons closes, canoteur moustachu, il est cet homme à femmes dont les farces salaces laissent rêveur le lecteur du Journal des Goncourt, et que la syphilis conduira à la folie et à la mort ; mais le viveur est aussi un pessimiste, convaincu d'une fatalité biologique et admirateur de Schopenhauer. Entre la vie et sa contemplation ironique, il semble hésiter, traversé d'un doute qui s'épanouira dans une écriture de la menace, où l'affleurement du tragique pétrifie le lecteur bientôt délivré par un rire amer (La Parure, La Maison Tellier). Ses romans jouent de la satire (Bel-Ami) ou du désenchantement (Une Vie), peignant un monde livré à l'absence de toute perspective, où les rêves s'écroulent et où les ambitions sont dérisoires. C'est un art violent que celui de Maupassant, jouant de la surprise et dénonçant avec vigueur les tares d'une société cupide et lâche. Le règne de la bêtise rappelle Flaubert, maître des débuts et initiateur d'un réalisme cruel. En revanche, malgré l'affiliation naturaliste qui semble s'avouer avec la publication de Boule de suif dans le recueil collectif des Soirées de Médan, Maupassant est plus loin de Zola. S'il décrit quelquefois des milieux, l'auteur d'Une Partie de campagne ne fonde pas son art sur le modèle scientifique et n'a que faire des preuves. Le fantastique lui apparaît plus à même de restituer l'absurdité angoissante d'un réel qui se dérobe aux lois de la raison : la hantise du double qui se fait jour dans Le Horla, l'étrangeté des Contes amènent aux frontières de l'inconscient, centrant l'écriture sur la perception plus que sur les objets. En cela Maupassant trouve une voie propre : sous la légèreté apparente d'une prose sans prétention se dissimule un inventeur.

 

Une Vie (1883)

Les désillusions d'une existence de femme constituent la trame de ce premier roman, dont la conception coûta sept années à Maupassant. L'innocence de la jeune fille contraste avec la prosaïque noirceur d'un époux non point diabolique, mais banalement intéressé et infidèle ; les joies de la maternité se retournent en tourments, les années se tissent de désenchantement. Pessimiste, le romancier refuse toutefois de se prononcer, et laisse un personnage conclure sur un mode ambigu, gardant à la narration une impassibilité toute flaubertienne.

 

Bel-Ami (1885)

... ou comment parvenir dans le journalisme, lorsqu'on n'a de talent que celui de plaire aux femmes et de convertir les audaces en succès, les succès en écus. La médiocrité du héros, sa rouerie que nul revers ne contrecarre, font de cette histoire d'une réussite un modèle de pessimisme grinçant. Vivement mené, le récit précis et satirique coûta d'autant moins à son auteur qu'il vivait lui-même dans le milieu qu'il décrit, et connut un succès comparable à celui de son personnage ; aussi peut-on voir dans ce roman une tentative de dédouanement, voire d'exorcisme.

 

Boule de suif (1880)

Parue à l'origine dans le recueil-manifeste des Soirées de Medan, Boule de suif est l'une des premières nouvelles de Maupassant, qui apparaît d'emblée comme un maître de ce genre si subtil. Dans le huis-clos d'une voiture de poste, différents bourgeois sont amenés par les évènements extérieurs (la guerre) à être secourus par une fille de rien, qu'ils abandonneront sans remords, plus tard, à ses propres difficultés. L'ordure n'est pas là où on croit : sous la parabole sociale se fait jour une écriture de la cruauté, révélant la pose et les dessous sordides d'existences anodines. C'est aux moralistes qu'on pense ici, en savourant l'acidité d'une vision du monde dont c'est peu dire qu'elle est pessimiste.

 

La Maison Tellier, Le Horla, Une Partie de campagne, La Parure

Les années 1880 voient paraître la presque totalité des contes et nouvelles de Maupassant ; la veine fantastique représentée par Le Horla (1887) ne représente qu'une facette de cette énorme production, dont les décors sont le plus souvent normands ou parisiens. L'univers des dimanches champêtres (Une Partie de campagne) constitue peut-être le paysage le plus spécifique à Maupassant, adoucissant en les réunissant le dérisoire des existences urbaines et l'horreur goguenarde des histoires paysannes. Quelquefois lestes, souvent satiriques, les contes et nouvelles mettent en scène un monde à l'économie dévoyée, où la sottise et la méchanceté l'emportent. De la farce au tragique (La Parure réunit les deux genres), cette victoire universelle se décline sur bien des modes, laissant au lecteur l'impression d'un pessimisme moins fondé sur un état présent de la société que sur la nature humaine, qui trouve simplement une forme particulière dans les débuts de la Troisième République.




STENDHAL, Henri Beyle dit (1783 - 1842)

Moderne s'il en est, Stendhal apparaît pourtant au sein de la génération romantique comme un aîné, durablement marqué par la Révolution qui accompagne une adolescence révoltée. La Vie de Henry Brulard nous le montre exalté, rêvant d'une Espagne romanesque ; bientôt engagé dans les armées de Napoléon, c'est en Italie qu'il se rencontre avec lui-même : douceur de vivre, opéra, art de la conversation, franchise passionnée composent la physionomie d'un pays fort différent des mesquineries de son milieu et de sa province natals. La chasse au bonheur, qui se déploie dans ses aventures féminines, et l'introspection analytique à laquelle il se livre depuis 1801 dans son Journal se fondent dans l'égotisme. C'est une forme particulière de recherche de soi, qu'expliciteront les Mémoires d'un touriste et la Vie de Henry Brulard mais qui se joue aussi dans les romans : entre naturel et artifice, l'écriture apparaît comme un moyen de coïncider avec soi-même, de se retrouver dans le masque des moi possibles. Aussi la création est-elle chez Stendhal une expérience de la liberté : il écrit sans plan, très vite, vibrant de l'énergie de personnages étrangement vivants. Sensible aux mille et un mensonges de la vanité, il nourrit de petits faits vrais un réalisme qui s'épanouit dans le détail anecdotique. La vision synthétique cède le plus souvent le pas au point de vue du personnage, à un ici et maintenant qui fonde une écriture de la sensation. L'intelligence, l'esprit ne sont pas de reste : l'auteur n'hésite jamais à manifester sa distance par quelque commentaire ironique. Dans ce jeu entre lucidité et adéquation passionnée, Le Rouge et le noir, La Chartreuse de Parme trouvent un ton unique dans notre littérature, qui est aussi un bonheur de lecture rarement égalé.

 

Le Rouge et le noir (1830)

Julien Sorel : un héros qui tente de se trouver dans le contrôle des événements, et ne rencontre sa singularité que quand tout lui échappe. Le jeu entre hypocrisie et abandon structure un roman d'apprentissage qui ne cesse de questionner la problématique vérité du héros. Adoptant le plus souvent le point de vue de Julien, le récit joue de la singularité d'un personnage recherchant à la fois le bonheur et la grandeur, évoluant dans une société d'absolue mesquinerie. L'ambition, tout en participant de la vanité, est alors une résistance légitime à l'étroitesse d'une existence refusant les bornes. Opposant son désir volatil à l'ordre d'un monde pesant, Julien dont le modèle est Napoléon accomplit une odyssée du singulier, dans un monde où l'épopée n'est plus possible.

 

La Chartreuse de Parme (1839)

Au cœur d'une Italie partagée entre l'aspiration au bonheur et l'ordre mesquin d'une politique rétrécie, Fabrice trouve sa grandeur dans l'insouciance et le mépris des petitesses mondaines. Variant les points de vue (Fabrice, Mosca, la Sanseverina), le roman fut composé en deux mois, dans l'exaltation d'un auteur euphorique ne se privant pas cependant d'ironiser. Aussi le roman, tout d'allégresse et d'invention, joue-t-il alternativement du lyrisme et d'une lucidité que l'on retrouve dans l'idée de faire du Code civil un modèle stylistique. L'écriture y gagne en vitesse, le roman trouve un rythme allègre, une légèreté rêveuse qui n'est pas sans évoquer l'art aérien et presque flou du Corrège, tant goûté par Stendhal : les personnages vivent dans une sorte d'état de grâce, laissant leur disposition native au bonheur s'épanouir dans les situations les plus inconfortables.




Arthur RIMBAUD (1854 - 1891)

" La poésie sera en avant ". Des révoltes et des blasphèmes d'une adolescence en refus, Rimbaud fait feu sur tout ordre morbide, travaillant à lancer son verbe à l'assaut de l'inoui. Dès " Ma Bohème " apparaît l'image d'un bonheur des marges, nourri d'une sensualité qui se fait rythme. Le poète donne libre cours à son ardeur en s'évadant d'une vie familiale étriquée : la Belgique, Londres où s'achève sa liaison mouvementée avec Verlaine, connu à Paris. Les Poésies vibrent d'une révolte qui s'incarne un temps dans la Commune, s'écrit dans la satire, et s'exalte dans l'hymne barbare du " Bateau ivre ". La lettre " du voyant " transforme les comptes à régler du lycéen de Charleville en un programme où la flamboyance du vers participe d'un " dérèglement de tous les sens ", où s'abolit en images l'ordre étroit de la raison et de la réalité. L'écriture de Rimbaud peu à peu se concentre, tente dans la liberté d'une versification bouleversée de " fixer des vertiges ". Une Saison en enfer dressera le bilan d'une expérience qui trouve toute sa mesure avec les poèmes en prose des Illuminations, où le verbe libéré se métamorphose en instrument d'exploration du cosmos et du moi. L'expérience poétique, pressentie par Nerval et Baudelaire comme une voie existentielle, devient chez Rimbaud fulguration seule à même d'éclairer la nuit humaine. La poésie devient alors prométhéenne, l'esthétique se fait moyen de recherche et d'accomplissement de l'être. Au cœur de la vie, l'itinéraire de Rimbaud est mouvement, suite de moments et de reniements. Les poétiques successives engagent la tentative par le verbe d'être au monde ; l'abandon de la poésie, le départ pour l'Arabie témoignent de l'intensité d'une expérience poussée jusqu'au silence.

 

Poésies (1891)

De l'influence hugolienne et parnassienne des débuts aux inventions verbales d'" Age d'or " ou " Eternité ", en passant par l'inspiration érotique, anticléricale et révolutionnaire en laquelle prend corps la révolte, les Poésies composent l'itinéraire d'un renouvellement. Le monde, qui s'exprime dans la synthèse de la sensation et de la pensée, l'être intérieur, dont l'exploration requiert l'alchimie verbale d'une écriture extralucide, sont les axes d'une recherche qui culmine dans l'assouplissement prosodique des " Derniers vers ". L'abandon progressif du discours et du jeu référentiel marque l'engagement existentiel d'un verbe qui ne se contente plus d'accompagner l'expérience mais la dirige.

 

Les Illuminations (1886)

Le passage du vers à la prose marque une étape dans l'exploration poétique de l'être ; brisant la logique réaliste du langage, l'écriture jaillit en fulgurances, rapprochements inouis où se saisit l'imaginaire, seule vérité. Tentant d'approcher l'éblouissement de la vision, les proses des Illuminations travaillent à désorganiser la sensation, réorchestrant les données de l'esprit pour en retrouver la pureté. Aussi y a-t-il ici une part d'iconoclasme, dans le bris de toute imagerie passée ; il s'agit en torturant la langue et son usage littéraire (lyrisme brisé, jeu entre exaltation et négation, images inconnues, incohérence, hermétisme dont le poète garde la " clé ") de parvenir à faire jaillir, sensible, une forme nouvelle de l'être.

 

Une Saison en enfer (1873)

Seul ouvrage publié par Rimbaud, cette autobiographie spirituelle use d'une écriture dense, quelquefois hachée, pour retracer et congédier dans le même temps une immersion dans les mécanismes de la folie. L'exploration du moi touche à son terme dans une désagrégation de la nécessité d'écrire, le poète " rendu au sol " ayant en quelque sorte épuisé l'expérience sacrée du désordre, reléguée au rang de vieillerie poétique. Un certain nombre de textes des Illuminations seront cependant écrits après Une Saison en enfer, qui plus qu'un ultime cri avant le silence apparaît comme le moment d'une épuration esthétique.




Victor HUGO (1802 - 1885)

Du légitimisme à la République qui le célébrera comme un roi, l'itinéraire de Hugo ne cesse de croiser l'histoire, sans cesse interrogée et quelquefois provoquée, d'un siècle agité. Chef de file incontesté du romantisme, il s'essaie d'abord à la poésie, teintant d'exotisme ses Orientales et composant des Ballades échevelées. Mais, tout en amorçant une évolution politique dont témoigne Le Dernier Jour d'un condamné, c'est le théâtre qu'il révolutionne avec Cromwell et sa célèbre préface ; Hernani, puis Ruy Blas consacrent la victoire d'une école qui s'abandonnera à sa logique en éclatant en individualités vite séparées. La liberté absolue de l'art, l'alliance du sublime et du grotesque, le goût de la reconstitution historique fondent en même temps que le romantisme de 1830 l'esthétique personnelle de Hugo. Concevant le poète comme un écho de son siècle, il ne cessera d'interroger un monde marqué par la monstruosité. Entre lyrisme et réalisme, sa voie passe par le roman (Notre-Dame de Paris) et une poésie aux ambitions de totalité, sensible aux harmonies secrètes d'un monde spirituel (Les Feuilles d'automne, 1831, Les Voix intérieures, 1837). Convaincu d'une mission du poète, il se détourne un temps de la littérature, pour passer à la politique. Démocrate et libéral, député en 1848, il s'exile après le coup d'Etat de Napoléon le petit, qu'il ne cessera de brocarder (Les Châtiments). Mais c'est à Jersey, puis à Guernesey qu'il se trouve définitivement, achevant les monuments de La Légende des siècles et des Misérables, et cette " histoire d'une âme " que sont Les Contemplations. Dialogue avec un cosmos infini, jaillissement d'images, l'écriture trouve sa dimension dans une épopée humaine s'accomplissant dans la misère et la rédemption. La parole participe du divin, introduit par la poésie à la vision d'un équilibre cosmique où l'Histoire se transcende dans l'esprit, où les faits se fondent en symboles. Avec l'exil, Hugo s'est fait prophète de la totalité ; de retour à Paris, il publie encore cette trilogie inachevée que constituent L'Homme qui rit et Quatre-vingt-treize, patriarche survivant à lui-même et à tous jusque dans les révélations posthumes que sont Dieu ou La Fin de Satan.

 

Notre-Dame de Paris (1831)

L'Histoire, le monde gothique, apparaissent ici comme le domaine d'élection d'une difformité chère au romantisme. S'incarnant dans différentes figures parmi lesquelles se détache celle de Quasimido, le grotesque fait pièce à la beauté lumineuse d'Esmeralda, point de mire d'un roman qui la voit passer d'une main à une autre. Schématisant les caractères, préférant les effets de fresque au détail de la psychologie, Hugo met en scène une humanité grouillant à l'ombre mystérieuse d'une cathédrale fantasmée, rendue non point à une vérité historique mais à la puissance évocatoire d'une imagination transmutant le pittoresque en symbole, jouant d'un réalisme dramatisé qui fait encore grande impression.

 

Hernani (1830)

Un proscrit, un futur empereur, un vieil oncle convoitent les faveurs de la belle Doña Sol ; l'avènement de Charles-Quint ne brise pas entièrement le cercle des promesses et des passions. L'honneur castillan, sous-titre de la pièce, est un mobile aussi fort que l'amour et donne à ce drame une couleur locale qui n'a rien de purement décoratif. C'est en effet une des problématiques romantiques majeures que de situer ailleurs et dans un passé plus ou moins lointain un monde où l'action et les valeurs correspondent — par opposition au présent marqué par la discordance et l'impureté. Quant à la célèbre bataille, elle opposa les jeunes romantiques conduits par Gautier à un public que devait choquer le mépris affiché des règles classiques, incarné dès lors par l'enjambement " escalier / Dérobé. " Le tumulte fit de la première représentation, en février 1830, le jour symbolique d'une révolution théâtrale qui fut l'un des apports majeurs — et sans doute le plus visible — du romantisme.

 

Ruy Blas (1838)

Répondant en quelque sorte à Hernani en se nouant autour de la décadence d'un empire, ce drame montre un valet accomplissant puis dépassant la vengeance de son maître en devenant l'amant de la reine. Bientôt ministre, il est rattrappé par son passé en un dénouement terrible, où s'exalte un théâtre rendu à sa vocation émotive. Jusque dans le style, voué à l'éclat de la scène, c'est bien ici un art spectaculaire, plutôt que réaliste ; l'écriture dramatique d'Hugo s'y avère tendue vers l'effet (touchant, terrifiant) plutôt que soucieuse de finesse psychologique.

 

Les Châtiments (1853)

Le vers hugolien, avant l'élan spirituel des Contemplations, se fait dans ces satires mordant et acide, non sans une démesure qui va jusqu'à comparer le poète au tonnerre, par exemple. A l'ombre du grand Napoléon, l'auteur du coup d'Etat de décembre apparaît comme un minus paradoxalement doublé d'un tyran absolu, véritable incarnation du mal. Ainsi, cet ouvrage est comique aussi bien dans sa visée que dans la puissance dérisoire de son attaque — le drame d'Hugo fut ici de ne pas trouver d'ennemi à sa mesure.

 

Les Contemplations (1856)

Bâti comme un tombeau à Léopoldine, morte noyée en 1843, ce recueil interroge une absence, figurant l'abîme dans un titre-date muet, qui partage l'itinéraire spirituel entre le passé et un présent marqué par le deuil. La figure du poète, dès lors, peut s'exalter dans la vision qui fait du verbe poétique une émanation du verbe divin. A l'écoute de la " bouche d'ombre ", communiant avec le cosmos, Hugo découvre dans sa parole une voix du monde qui fait du poète un prophète. Devenue religion, la poésie devient moyen sacré de répondre au mystère, à ce silence incarné pathétiquement par la morte.

 

Les Misérables (1862)

Longtemps gardé dans les cartons d'un auteur qui ne l'acheva que plus de quinze ans après l'avoir commencé, ce gigantesque roman tient à la fois du mélodrame (par le nombre étonnant de coïncidences), du feuilleton (par l'agencement régulier de pierres d'attente) et de l'épopée, mêlant lyrisme et réalisme en un réquisitoire social d'une ampleur inégalée. Les métamorphoses et la rédemption de Jean Valjean accusent une injustice destructrice, trouvant son fondement dans une logique sociale sans pitié et sa meilleure expression dans la figure atroce des Thénardier. Les développements d'une intrigue courant sur plusieurs générations (Fantine, puis Cosette), croisant l'histoire du siècle (Waterloo, les journées révolutionnaires), autorisent le romancier à entrer dans des digressions documentaires ou discursives dont la longueur extraordinaire ne dérange aucunement l'économie d'une œuvre à l'architecture monumentale. Hugo, davantage encore qu'il ne l'a fait jusqu'alors, use d'une poétique archétypale, jouant du pittoresque pour mieux saturer de sens ses personnages principaux, qui dès lors valent comme emblèmes de l'humanité.

 

Quatre-vingt-treize (1874)

Le dernier roman de Victor Hugo s'attache une fois de plus à interroger en l'homme la présence d'un mal qui manifestement lui est extérieur : même dans les horreurs de la période révolutionnaire, des trois âmes d'élite qui s'opposent et se déchirent ici, aucune ne saurait incarner le mal, auquel semble échapper le peuple, dépourvu des idéaux des protagonistes mais pourvu d'une sorte d'instinct de bonté qui lui permet d'accéder à la rédemption.

 

La Légende des siècles (1859 - 1877 - 1883)

" Poème de l'homme ", cette vaste épopée fut commencée en 1840 et ne devait s'achever que plus de quarante ans après, un an seulement avant la mort de Hugo. La destinée de l'humanité s'y révèle conquête de la liberté, rédemption progressive, des brumes du passé à un avenir qui se confond quelquefois avec le salut. Fragmenté, monumental cependant, le recueil passe du pur lyrisme au pamphlet, de la poésie sociale à l'épopée : en cette somme se lit toute l'ambition d'un poète de la totalité.




José-Maria de HEREDIA (1842 - 1905)

" Orfévrerie, damasquinerie, cuirs cordouans " : telle est la notice consacrée à cet artisan du verbe par le Petit Bottin des lettres et des arts, en 1886. Né à Cuba, Heredia est éduqué en France, et vient très jeune à la littérature. Sous la houlette de Leconte de Lisle, qui deviendra son ami sans jamais cesser d'être son maître, il publie ses premières tentatives poétiques dans le volume I du Parnasse contemporain (1866). Dans ce recueil où se côtoient des personnalités aussi différentes que Villiers de l'Isle-Adam et Sully Prudhomme, peu de vrais " parnassiens ". Heredia sera l'un des seuls, avec Catulle Mendès, à représenter durablement une école dont Banville donne quelques années plus tard l'art poétique. Inspirés de Gautier (Préface à Mademoiselle de Maupin) et dans une moindre mesure de Baudelaire, les parnassiens entendent rompre avec le romantisme, accusé de favoriser une certaine facilité. Toute de rigueur, leur écriture promeut le travail patient du vers, refuse l'épanchement sentimental. La beauté n'est possible qu'au prix d'un effacement du poète. Cette volonté d'impersonnalité n'est pas sans rapport avec le réalisme qui s'invente alors, mais les parnassiens n'ont que faire du monde moderne, auquel ils préfèrent les beautés plus durables du passé. Les Trophées, publié en 1893 alors que le groupe s'est dissous depuis une quinzaine d'années, apparaît comme le chef d'œuvre tardif de l'école. Trop tardif ? Déjà, Mallarmé a enterré ce mouvement essentiel de la poésie française, pris au piège de ce qu'il voulait réfuter : le temps. Académicien en 1894, Heredia aura la douleur de voir son œuvre échapper à l'immortalité accordée à sa personne.

 

Les Trophées (1893)

Ce recueil rassemble cent dix-huit sonnets, dont un bon nombre a déjà été publié en revue. Différentes sections s'organisent selon un ordre historique et thématique, selon un mouvement que l'on s'est plu à comparer à La Légende des siècles. Mais l'inspiration épique de Victor Hugo est aux antipodes de ces miniatures dont le modèle est moins le chant que le tableau. L'érudition, la beauté sereine d'un vers au rythme net et aux riches jeux sonores participent d'un art où le labeur poétique s'efface dans le poli du vers. La richesse lexicographique et la subtilité prosodique situent la poétique de Heredia dans un espace moderne, loin du classicisme auquel on pourrait être tenté de l'apparenter : car déjà l'idée s'y dissout dans une forme qui se suffit presque à elle-même.




Alphonse DAUDET (1840 - 1897)

Entre autobiographie et roman, Le Petit Chose nous donne à voir l'enfance d'un auteur à jamais marqué par sa Provence natale. Monté à Paris après la ruine de ses parents, Daudet donne d'abord un recueil de vers bien accueilli par la critique, avant de s'orienter vers la prose ; les Lettres de mon moulin lui apportent le succès en imposant l'image d'un " marchand de bonheur ", dont tour à tour il jouera ou tentera de se défaire. Après l'épopée comique de Tartarin (1872), Daudet s'engage pour une douzaine d'années dans le naturalisme, avec des études de mœurs comme Jack, Le Nabab, à la tonalité plus triste. L'Evangéliste est une dénonciation vigoureuse de l'endoctrinement missionnaire, jouant du pathétique pour engager le roman dans le débat d'idées contemporain. Mais, rétif à tout enrôlement, Daudet revient à l'inspiration provençale qui fait son originalité. Dès Numa Roumestan, l'étude de " Mœurs parisiennes " s'est colorée de scènes et de parfums, d'une mythomanie surtout qui s'épanouira dans la reprise en 1885 du cycle tarasconnais. Tartarin sur les Alpes tient au naturalisme par la peinture violente du tourisme suisse, mais dépasse toute doctrine par une fantaisie en laquelle Daudet reconnaît son caractère et qui fait le vrai sel de ses romans. Sa singularité tient sans doute à ce mélange d'un tempérament et d'une visée esthétique : le réalisme de Daudet, quand il n'est pas misérabiliste, est franchement cocasse, quand bien même ses romans tournent quelquefois au drame (L'Immortel, 1888). Aussi, par delà la variété des sujets, sera-t-on sensible à la persistance d'un ton, d'une façon alerte et déliée de mener le récit, qui maintient jusque dans les situations les plus graves une ironie aisément reconnaissable.

 

Lettres de mon moulin (1869)

Devenus un classique de la littérature enfantine, ces contes mettent en scène sur fond provençal une série de figures légendaires ou contemporaines. La sympathie manifeste qui unit l'auteur aux personnages — aux faibles et aux déshérités en particulier — n'empêche pas une remarquable légèreté dans le traitement des caractères, à peine esquissés et cependant pleins de saveur. La verve du conteur laisse toujours sa place à une ironie en demi-teinte, qui fait de la naïveté des histoires un bonheur de lecture.




Stéphane MALLARME (1842 - 1898)

Grise fut sa vie, toute de silence et d'effacement : dans l'obscurité d'une carrière de professeur, la charge précoce d'une famille, on décèle chez Mallarmé une volonté de perdition. On l'imagine face à son écritoire, reprenant sous la lampe son labeur solitaire ; prophète cependant, qui au soir de sa vie pouvait voir en son salon bourgeois quelques disciples recueillir les rares oracles d'un maître admiré. Tel Flaubert, il lutta contre une nature loquace, condensa sa parole et la fit impersonnelle ; il rêva aussi d'un livre parfait, auquel nous introduisent peut-être les fragments posthumes d'Igitur et l'éclatement typographique du Coup de dés. Mais ses Poésies s'éparpillent en bribes, les morceaux de circonstances ne cessent de retarder le grand œuvre. Cultivant paradoxalement une vision sacrée de la poésie et la conscience aiguë du travail nécessaire au polissement du vers, Mallarmé disloque la syntaxe, sertit chaque mot dans une construction le coupant de tout référent. Hermétique, son vers qui longtemps reste fidèle à la métrique traditionnelle rayonne ainsi en images concentriques. L'architecture, l'art du détour éludent la nomination pour jouer habilement d'une suggestion qui laisse chaque poème se tisser d'absence, n'être plus que langage. La parole dès lors atteint l'essentiel, cette pureté dont le poète voudrait qu'elle se rapproche de l'idée pure, débarrassée de toute factualité. Rêveur d'un verbe absolu, Mallarmé réalise dans son échec même une fondamentale révolution de l'écriture poétique, visant dorénavant au corps à corps avec la langue : il fait de l'aventure du dire le corps même de son œuvre, des arcanes du verbe l'horizon du poème.

 

Poésies (1899)

Peu de temps avant sa mort, Mallarmé réunit l'ensemble de ses poèmes dans ce recueil qui parut à titre posthume. Souvent remaniés, ils s'organisent cependant de sorte que l'on perçoive le mouvement de l'œuvre, de l'inspiration baudelairienne des débuts à la densité toute mallarméenne de la fin. " Hérodiade " et " L'Après-midi d'un faune " constituent deux étapes vers un artisanat du vers qui en centrant la poésie sur le langage laisse affleurer le néant. L'apprentissage d'une lecture nouvelle se révèle alors nécessaire, oubliant l'habituelle linéarité pour jouir, dans le ralentissement d'une compréhension difficile, de la matière même du langage.




Benjamin CONSTANT (1767 - 1830)

Homme aux multiples visages, Constant est à la fois le joueur endetté aux amours tumultueuses, l'un des créateurs de l'idéologie libérale, le philosophe passionné par le fait religieux et le romancier singulier, auteur de Cécile (1810, pub. 1951) et d'Adolphe (1816). Orphelin de mère, il est confié à divers précepteurs par son père, officier au service de la Hollande. Un début de vie marqué par l'errance, propice à la découverte du monde et des femmes. Le Cahier rouge (1811, pub. 1907) relate les expériences de ces vingt premières années. En 1787, il fait la connaissance d'Isabelle van Tuyll van Seerooskerken, bientôt Mme de Charrière. De vingt-sept ans son cadet, il ne cessera de converser et de correspondre avec elle jusqu'à la rupture définitive en 1794 ; cette passion platonique semble confirmer la discrimination que Constant établit, dans son œuvre littéraire comme dans sa vie, entre l'amour de l'esprit et celui du corps. C'est en 1794 qu'il rencontre Mme de Staël, déjà célèbre pour son esprit et ses puissantes relations. Sa liaison avec elle lui permet dans un premier temps de réaliser la carrière politique dont il a l'ambition depuis longtemps. Ayant acquis la nationalité française en 1798, il achète des propriétés en France, devient secrétaire du Club de Salm, est nommé membre du Tribunat... et s'attire la colère de Bonaparte. Suit une sombre période d'inactivité, pendant laquelle il rédige les premiers cahiers de son journal intime. Il suit Mme de Staël en exil à Coppet, et voyage avec elle en Allemagne. Il y rencontre Wieland, Goethe et Schiller, dont il publiera en 1809 une traduction en vers de la tragédie Wallenstein, précédée des Réflexions sur le théâtre allemand, texte essentiel dans l'histoire du romantisme. Les années 1806 à 1809 se révèlent aussi pauvres en matière politique que riches en conquêtes amoureuses. La multiplicité et la complexité de sa vie sentimentale (il épouse secrètement Charlotte de Hardenberg et n'osera jamais l'avouer à Mme de Staël) lui inspirent Cécile, qu'il renoncera à publier de son vivant, et Adolphe, qu'il compose en 1806 et donne en 1816 — c'est-à-dire un an avant la mort de Mme de Staël. Chef du parti libéral sous la Restauration, rendu populaire par ses pamphlets, il mourra lui-même à l'aube de la Révolution de Juillet, sans avoir pu achever la grande étude sur la religion qui occupe ses dernières années.

 

Adolphe (1816)

Ce roman largement autobiographique, écrit à la première personne, met en scène le sentiment ambigu d'un amant sans amour. Mal du siècle, que cette incapacité de l'individu à rentrer réellement dans le jeu du monde ; Adolphe est un cousin de René et de l'Oberman de Senancour. Le récit suit les méandres d'un esprit indécis, pris entre son désir de générosité et une froideur qui finit toujours par l'emporter, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Dans cette écriture rapide et dépouillée se réalise le type du roman d'analyse psychologique, magnifié par l'étrange alliance de confession et de distance permise par la personnalité du narrateur.




Jules-Amédée BARBEY D'AUREVILLY (1808 - 1889)

Son traité Du Dandysme ressemble à un autoportrait ; comme Baudelaire, Barbey cultive la différence comme un art, se distingue par des allures mérovingiennes, érigeant sa personne en ultime chef-d'œuvre. Infidèle à Brummel, il écrit cependant ; mais en littérature comme dans la vie il reste un franc-tireur. Hautain, indépendant, il poursuit de sa haine un monde embourgeoisé auquel il oppose la noblesse de l'époque révolutionnaire où s'illustre la chouannerie. Converti en 1841, légitimiste, il poursuit en parallèle une carrière de polémiste dans les journaux monarchistes et une œuvre romanesque dont L'Ensorcelée est peut-être la meilleure illustration. Les superstitions d'un monde qui n'a pas encore connu le désenchantement, l'aristocratique vaillance des chouans, font de son univers romanesque le lieu de la grandeur et de l'intensité des passions. Violents, extrêmes, ses récits se tissent d'une écriture toute de tension, précise et expressive. A la lisière du fantastique, ils jouent avec l'horreur, et dépassent ainsi toute idéologie : aussi Barbey traîne-t-il un parfum de scandale dans les salons où l'on lit la Revue des Deux Mondes. Le Diable et le bon Dieu : la fascination de ce catholique pour le mal trouve son expression la plus intense dans le cadre resserré de la nouvelle, avec ces Diaboliques réunies sur le tard, qui contribuèrent largement au renouveau du récit court dans les années 1870. Sous prétexte de moralisme, elles explorent les turpitudes d'un univers sans issue, où nulle loi ne s'exerce que celles du crime et des passions. Barbey trouve dans un certain sadisme le contrepoint nécessaire de ses obédiences religieuses, dans la mise en scène d'individualités irréductibles la possibilité de sauver sa propre personnalité de toute fusion grégaire. Solitaire jusque dans ses croyances, cultivant le passé dans le présent, le Connétable trouve dans l'admirable beauté du mal une paradoxale modernité, que reconnaîtront Bloy et Bernanos.

 

Les Diaboliques (1874)

Ces nouvelles composées entre 1850 et 1874 jouent de la catholique croyance au Diable pour mettre en scène un univers de perversions secrètes et de crimes impunis, où la femme, animée de passions irrépressibles, incarne une fatalité du mal qui touche jusqu'à l'innocence la plus tendre. Audacieux dans ses thèmes, le recueil manifeste surtout une maîtrise stupéfiante des techniques narratives, laissant planer l'incertitude et jouant des points de vue pour associer lecteur et narrateur dans une trouble fascination, où la séduction et l'horreur s'entremêlent. Le mal reste ici spectacle, mais contamine un récit tendu entre objectivité et complicité.

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Quelques écrivains du XVIIIe siècle

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François-Marie Arouet VOLTAIRE (1694 - 1778)

Incontestablement le grand homme des Lumières : lorsque en 1778, après dix-huit années passées à Ferney, il rentre à Paris, on le célèbre comme un dieu — ce qui, hélas, précipite sa mort. Du poète qui à vingt-neuf ans publie La Henriade à l'auteur des contes qui font aujourd'hui son renom, son itinéraire littéraire étonne par sa richesse, suivant, précédant, ne quittant jamais le mouvement de son siècle, jusqu'à l'exil qui fait de lui le cœur vivant de l'Europe, correspondant des rois, chef de file des philosophes, et, avant la lettre, intellectuel : c'est-à-dire non plus seulement homme de lettres, mais défenseur actif et passionné d'une cause, combattant infatigable dont chaque ligne devient une arme, mettant dans la balance son autorité, jouant de la publication pour faire de la république des lettres un forum. Tragédien (Zaïre, Mahomet), historien (Le siècle de Louis XIV), vulgarisateur scientifique (Eléments de la philosophie de Newton), il trouve véritablement sa voie avec les Lettres philosophiques, dont la liberté d'esprit et de ton consacre la naissance des Lumières : expérience de l'autre, intérêt pour la chose publique, goût de la tolérance et scepticisme face au préjugé. Le Traité sur la tolérance, le Poème sur le désastre de Lisbonne, puis le Dictionnaire philosophique frayent un chemin qu'empruntera la génération de l'Encyclopédie, cependant qu'entre deux pamphlets la verve satirique s'épanouit dans Le Mondain, avant d'éclater dans les contes dont les plus connus sont Candide, Micromégas, L'Ingénu, Zadig, Jeannot et Colin. Le rire toutefois est amer, l'expérience de la désillusion est aussi celle, bien réelle, de l'écrivain appelé dans les Cours, puis chassé pour crime d'indépendance, travaillant infatigablement à construire, à défendre sa liberté, achevant une vie nomade dans la retraite paisible de Ferney, maître en son jardin, roi en son royaume : celui des esprits. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de lire, en caractères d'une taille scandaleusement égale, sur la chapelle bâtie à Ferney par ce déiste : A DIEU. VOLTAIRE.

 

Candide ou l'Optimisme (1759)

Le monde est bon, dit Pangloss ; mais son élève le jeune Candide ne cesse de faire l'expérience du contraire : le mal a l'avantage sur le bien, l'absurde règne, le désordre est omniprésent. A côté de pointes contre l'intolérance, le bellicisme, c'est en fait Leibniz qui est visé, le principe de raison suffisante et la " fatalité en bien " se révélant fort loin des réalités. Le pessimisme de Voltaire trouve ici son expression la plus achevée, et en même temps la plus tonique. Un espoir demeure : la seule morale possible en cet univers de précarité et d'incertitude semble bien de " cultiver son jardin ".

 

Micromégas (1752)

Un gigantesque habitant de Sirius (héritier en son gigantisme de Rabelais et Swift), exilé de la Cour de sa planète, se rend sur Saturne, y rencontre un nain ressemblant fort à Fontenelle (l'auteur des Entretiens sur la pluralité des mondes), et voyage avec lui. Parvenus bien évidemment sur la Terre, ils n'aperçoivent d'abord nulle trace de vie, puis finissent par se rendre compte de la présence d'une vie microscopique. Parmi ces amibes, un navire où se trouvent des hommes ; les bons géants finissent par communiquer avec eux. Suit une revue satirique des philosophies ; seul le disciple de Locke se rapproche de la raison, aux yeux des étrangers. Une tempête perd le vaisseau, qui se retrouve dans une poche de Micromégas : bonne occasion pour un discours rappelant aux humains leur petitesse et leur orgueil.

 

Zadig ou la destinée (1747-48 ; encore augmenté dans les éditions suivantes)

Dans un Orient de mille et une nuits, un jeune homme apprend la sagesse en perdant d'abord un œil, puis ses illusions. Différentes aventures le montrent occupé de politique, où ses essais pour faire justice à la raison lui valent quelquefois des désagréments ; en luttant contre les différents abus, il devient philosophe, et finit roi.




Charles Louis de Secondat de MONTESQUIEU (1689 - 1755)

Entre son Bordelais natal et Paris où il s'éteint " en philosophe " si l'on en croit Voltaire, en chrétien selon d'autres, Charles Louis de Secondat est fils d'un siècle dont il épouse toutes les ambiguïtés. Du président à mortier (1716) à l'académicien (1728), on est étonné de découvrir en l'auteur des Lettres persanes l'exemple le plus achevé d'une carrière réussie : le parlement l'intéresse davantage que la magistrature, mais il n'en demeure pas moins profondément lié à cette noblesse de robe, alliée à la bourgeoisie, dont il est issu. L'écrivain joue le jeu du monde, est reçu dans les salons, rencontre les philosophes ; le baron défend ses droits seigneuriaux. Parisien, voire cosmopolite (il visite l'Europe entre 1728 et 1731), il cultive aussi la solitude au milieu des vignobles de La Brède. En toutes choses, il conserve cette réserve, ce quant-à-soi qui lui font le regard persan. Mesure gardée du terrien amusé par son siècle ? Bien davantage : relativisme. Le mot-clé des Lumières est tout entier dans cette personnalité qui ne cesse d'affronter les faits à leur contraire, les mettant en perspective, variant le point de vue. C'est le principe de son unique roman ; c'est aussi le sens de son intérêt pour l'histoire, que L'Esprit des lois consacrera non plus tant comme le fondement de toute légitimité que comme un principe d'explication et de compréhension. Sa pensée politique, dès lors, se construit sur la conscience de déterminismes, tout en visant à extraire de la somme des possibles les bases d'un régime modéré, garantissant la liberté. Jésuites et jansénistes s'entendirent pour trouver scandaleuse cette liberté et contribuèrent ainsi à la gloire du baron, dont l'ouvrage fut mis à l'Index en 1751. Cet homme de paix se trouva ainsi mêlé au combat philosophique — à sa manière : ce n'est pas un traité politique mais un Essai sur le goût qu'il donne en 1754 à d'Alembert pour l'Encyclopédie.

 

Lettres persanes (1721)

Parues anonymement, ces Lettres composent un roman jouant du regard étonné de deux voyageurs persans, Rica et Usbek, pour dresser une satire féroce de la France et du monde occidental : pratiques sociales (Lettre XXVIII, sur le théâtre), politiques (Lettre CVII, sur le roi) et religieuses (Lettre XXIX) sont présentées comme absurdes. L'incompréhension permet une mise à plat de toute institution, cependant que la constante comparaison de l'Occident avec le monde musulman accomplit un double mouvement de relativisation et de dévalorisation. L'exotique devient la référence, l'Europe cesse d'être le lieu unique du point de vue, et se révèle ainsi barbare et comique à la fois. L'Orient par ailleurs en prend aussi pour son grade : les intrigues de sérail constituent un parallèle au fil des découvertes touristiques, et aboutissent à une catastrophe, qui signe l'échec du despotisme oriental.



Jean-Jacques ROUSSEAU (1712 - 1778)

On ne saurait que renvoyer aux Confessions pour dire l'errance d'une vie entrecoupée de haltes heureuses, où l'amour d'une Madame de Warens, l'amitié d'un Diderot, la générosité d'hôtesses accueillantes rendent le nomade à ses passions, écrire, herboriser, rêver. De l'enfance genevoise (" Je me croyais grec ou romain. ") aux persécutions réelles ou imaginaires des dernières années, qui font surgir ces merveilleux monuments de justification que sont les Confessions ou les Rêveries du promeneur solitaire, l'itinéraire de Rousseau passe par Turin, Annecy, Chambéry et Paris, hésite entre religions et déisme, entre musique et littérature. Le Discours sur les sciences et les arts lui apporte enfin, en 1749, la confirmation d'une vocation qui ne faiblira plus, et que le succès couronne vite. Sa pensée s'approfondit dans le Discours sur l'origine de l'inégalité, dans les articles qu'il rédige pour l'Encyclopédie ; une figure de l'homme en aliéné, contrepoint à l'optimisme des Lumières, se dessine peu à peu dans son œuvre, orientant la réflexion politique (Le Contrat social), pédagogique (Emile), expliquant aussi le départ de Paris. Entre la campagne et quelques voyages aux couleurs d'exil, il semble ne trouver d'assise que pour tout voir s'écrouler, brouille avec ses hôtes, proscription, pauvreté. La Nouvelle Héloïse fait le tableau d'un bonheur possible loin du monde, bonheur vécu fugitivement, rêvé par un auteur que les années persuadent d'une conspiration universelle à son endroit — et c'est peut-être cette maladie qui, en lui donnant une si forte perception de ce qu'est la personne, ouvre la voie à cette prodigieuse capacité d'invention littéraire et politique, centrant la modernité à venir sur l'individu et le moi.

 

Les Confessions (1782 - 1788)

Entre l'évocation heureuse et la défense passionnée, les Confessions ouvrent la voie à une forme toute nouvelle d'autobiographie, comprenant la personne dans sa totalité. Ne recherchant pas comme Montaigne l'universalité humaine (il ne s'agit pas de s'étudier), ne trouvant de justification ni dans son exemplarité (comme Saint Augustin) ni dans le témoignage qu'il donnerait sur une vie publique (comme les mémorialistes), Rousseau en dit plus qu'on n'avait jamais dit sur soi-même (quitte, malgré les protestations d'honnêteté, à travestir légèrement) et surtout se pose, simple être humain, comme digne d'intérêt. Le romanesque, l'anecdote historique, sont certes présents ; mais ils ne sont pas l'essentiel, qui demeure cette attention extraordinaire portée à la personne pour elle-même, à travers la longue évocation d'une enfance, l'intérêt porté à l'intériorité et au sentiment. Une façon nouvelle de se peindre naît avec les Confessions ; en un sens, l'idée même de se peindre.

 

Les Rêveries du promeneur solitaire (1782)

Ecrit dans les toutes dernières années de Rousseau, à la suite des Confessions, cet " informe journal " joue avec le présent et les souvenirs, bons (Cinquième promenade) ou mauvais. Transformant l'évocation en une subtile analyse de l'âme, Rousseau use ici d'une prose simple et émouvante, loin des rigueurs martiales des discours ou des périodes passionnées de Julie ; apaisé, le vieil homme constate sans aigreur qu'il n'a su et ne saurait être heureux en société. L'intériorité se livre ici en liberté, sans souci de se défendre, en une naturelle expansion.




Pierre Choderlos de LACLOS (1741 - 1803)

Comme l'abbé Prévost, il s'engage d'abord dans la carrière des armes, où il fera preuve de plus de constance que son romanesque prédécesseur. L'ennui des garnisons semble bien à l'origine de ses premières tentatives littéraires, qui sont publiées en 1773 dans l'Almanach des Muses : poésies et contes en vers, que suivent quelques années plus tard deux opéras. Le succès tarde, son avancement aussi, jusqu'à la parution en 1782 des Liaisons dangereuses, qui suscitent un engouement sans précédent. Pour ou contre, tous se laissent prendre au feu de ce roman qui connaîtra cinquante éditions du vivant de l'auteur. On s'ingénie à chercher les modèles de ses personnages, on cherche à percer les secrets de leur conduite, à saisir le fin mot d'une histoire dont la critique mettra longtemps à réaliser qu'elle tire tout son sel de n'en avoir point, et de multiplier ainsi les lectures possibles. Cependant que ses lecteurs eux aussi se multiplient, Laclos mène une vie de salon et devient académicien... à La Rochelle, où le retiennent ses obligations militaires. Il passe ensuite à Toul, avant d'entrer en politique à la Révolution. Secrétaire du duc d'Orléans, puis journaliste, il est nommé commissaire aux armées, pour ensuite être appelé à la tête des établissements français en Inde. Arrêté, libéré, il louvoie assez habilement jusqu'au 18 Brumaire, et rejoint les armées sous Napoléon. Il meurt à Tarente, non pas noyé à la Chénier mais dysentérique, homme de réel et non de Lettres, romancier sans roman, sinon ce chef d'œuvre unique qui n'aura de suite que quelques mémoires et un projet abandonné.

 

Les Liaisons dangereuses (1782)

La fiction parfaite, et l'ambiguïté absolue. Entre la " rumeur grenobloise " qui agita si longtemps les exégètes et les interprétations forcées, un roman qui survit plus qu'aucun autre à l'inflation critique, et reste encore neuf à celui qui l'ouvre. C'est qu'il est formellement rebelle au discours, évitant cet écueil des ouvrages libertins, de même que ses personnages échappent à des habitudes littéraires bien ancrées : que Valmont — un libertin — se passionne, que la présidente — une prude — s'enflamme, et les repères se troublent. Entre deux littératures (le roman libertin, le roman sentimental) naît ainsi un texte ironique et ouvert, aux parallèles troublants, coloré de vérité par la forme épistolaire dont les ressources sont ici poussées à leur limite (jeu sur l'implicite, contrastes, points de vue).



.Denis DIDEROT (1713 - 1784)

L'éditeur de l'Encyclopédie fut d'abord l'élève des jésuites, avant d'embrasser une carrière hésitante, entre leçons de mathématiques et traductions. La trentaine venue, une adaptation de Shaftesbury, puis les Pensées philosophiques le voient s'engager sur une voie dont il ne s'écartera plus, radicalisant peu à peu sa pensée vers un athéisme convaincu. Les conséquences ne se font pas attendre : dès 1749, il est incarcéré à Vincennes, la Lettre sur les aveugles ayant paru blasphématoire. Sorti de prison, bien décidé à n'y pas rentrer de sitôt (La Religieuse ne sera ainsi publiée qu'après sa mort), il se lance dans l'aventure de l'Encyclopédie, qui durera vingt-cinq ans, et pour laquelle il rédigera plus de cinq mille articles. Parallèlement, il donne plusieurs pièces d'un théâtre pathétique et vertueux, le drame bourgeois (Le Père de famille), invente une critique d'art avec ses Salons, met en question le genre romanesque avec Le Neveu de Rameau et surtout Jacques le fataliste. Parleur et disputeur infatigable, il ne cesse d'échanger : les Lettres à Sophie Volland font écho à sa correspondance avec Catherine II, chez laquelle il séjourne en 1773 et 1774. La discussion chez lui envahit le roman, s'épanouit sur scène, structure l'écriture philosophique, qui vit de la présence de l'autre : lettres encore, dialogues (Supplément au voyage de Bougainville, Paradoxe sur le comédien). Sa pensée de même ne cesse de s'affronter à l'altérité, de batailler ; à l'instar de l'Encyclopédie elle-même, le champ de son intérêt semble ne pas connaître de limites, interrogeant sans cesse, remettant en cause tout ce qui se présente à ses yeux. En cela il est bien philosophe, au sens de son siècle : c'est-à-dire moins créateur d'un système que chercheur sceptique d'un sens ou d'une vérité utiles dans un monde en mouvement.

 

Le Neveu de Rameau (1805, dans une traduction de Goethe ; écrit en 1762)

Ce dialogue pétillant entre un promeneur du Palais-Royal (Diderot lui-même, selon toute vraisemblance) et le neveu du compositeur auquel s'attaqua Rousseau joue des ressources de la mauvaise compagnie. Le neveu, parasite social du plus haut pittoresque, manifeste un cynisme désopilant dans le récit de sa conduite : mené par son estomac, faisant sa cour à qui le nourrira, il se montre avec franchise tel en somme que sont tous ses contemporains. Les saillies de ce polichinelle ne laissent intacte aucune des célébrités du temps, cependant qu'il aborde tous les sujets avec une liberté d'esprit corrosive. Proche en cela du philosophe (qui par ailleurs dut lui aussi courir derrière la soupe en sa jeunesse bohème), le neveu en mainte occasion se révèle être le porte-parole probable d'un interlocuteur qui reconnaît dans ses extravagances bon nombre d'idées justes. La folie est bien ici opérateur de vérité, en même temps qu'elle anime de ses surprises un récit décousu, mené dans un visible bonheur d'écrire par un Diderot heureux de voir régner le désordre.

 

Jacques le fataliste et son maître (1796)

Un maître et son valet voyagent et philosophent, tout en causant. Jacques prêche à son maître la résignation, car tout ce qui est arrivé devait l'être. Ce qui ne l'empêche de se plaindre, tout en essayant de conter ses aventures malgré les continuelles interruptions du maître, qui brise et avive l'intérêt romanesque des anecdotes menacées de ne jamais se conclure. Différents récits parviennent néanmoins à se faire jour, enchâssés les uns dans les autres, entrecroisés, voire contés à deux voix quand Jacques et son maître tentent de réunir leurs souvenirs. Le maître lui aussi s'essaie à raconter, et il arrive en outre aux deux discoureurs des aventures : vol, maladie, prison. Héritier de Sterne et de Rabelais, Diderot en ce roman se montre virevoltant, audacieux, faisant littéralement éclater le cadre romanesque classique en usant et abusant des digressions, en multipliant les fils de l'histoire, en jouant constamment du paradoxe de l'exhibition romanesque du romanesque.

 

Paradoxe sur le comédien (1830, écrit en 1773-1778)

Ce paradoxe consiste en l'inutilité pour l'acteur d'éprouver le sentiment qu'il nous montre. Nul besoin pour lui de sensibilité, mais d'une pénétration capable de lui faire comprendre la valeur universelle du personnage qu'il joue, d'en construire l'archétype. Le raisonnement s'étend ensuite à l'ensemble des arts, où l'homme sensible se voit préférer l'esprit profond. La simplicité de l'idée centrale du Paradoxe ne saurait rendre compte de la variété des thèmes et du jaillissement d'idées, quelquefois contradictoires, qui abordent les problèmes esthétiques essentiels de l'époque : fonctions et place de la nature, existence de l'inspiration.




Donatien-François de SADE (1740 - 1814)

Fils de famille agité, agrémentant une brève carrière militaire de quelques essais littéraires, Sade doit peut-être à la rigueur de sa belle-famille l'épanouissement carcéral de son génie. Il passe une trentaine d'années en prison, n'en sort que pendant de brefs intermèdes, et finit ses jours à Charenton parmi les fous. La réclusion transforme le passe-temps juvénile en passion pour l'écriture, exacerbe les fantasmes qui prendront corps par le verbe. Justine (1787) apparaît comme le prélude à une œuvre qui s'accomplit essentiellement pendant la décennie 1790. Libéré mais ruiné par la Révolution, le marquis tente de vivre de sa plume, en publiant Oxtiern, Les Crimes de l'amour, puis La Marquise de Gange et quelques romans historiques, comme Isabelle de Bavière. Aline et Valcour reprend tous les ingrédients romanesques du dix-huitième siècle pour les refondre en une construction ironique. Parallèlement, une œuvre clandestine s'élabore, menant l'écriture jusqu'aux frontières de l'imaginable, là où la représentation s'affole. La Philosophie dans le boudoir entrelace un discours philosophique radical et des postures érotiques extrêmes, où le plaisir s'accomplit dans la cruauté. Les deux dernières versions de Justine, L'Histoire de Juliette, les Cent vingt journées de Sodome font l'expérience d'une littérature sauvage, où le discours libertin s'abolit dans la tuerie. Retournement des Lumières contre elles-mêmes (ainsi de l'image de la nature, tour à tour exaltée et bafouée), dont le seul horizon, par delà tout ordre divin ou humain, est l'individu, l'œuvre de Sade accomplit une permanente transgression, joue dans l'outrance une essentielle libération de tous les possibles de l'esprit humain.

 

Les Infortunes de la vertu (1787)

Ce conte noir constitue la première version de ce qui deviendra La Nouvelle Justine. Prenant le contrepied de l'écriture moralisante d'un Richardson, Sade y expérimente une écriture négative, débarrassée au nom du réalisme (Idée sur les romans) de tout moralisme. La variation déjà est ressassement d'une vérité qui traverse toute l'œuvre future : que dans un monde sans transcendance il ne saurait exister d'ordre, que l'erreur est de se soumettre à des valeurs qui échouent. La douce Justine ne cesse d'en faire l'expérience, sans jamais en tirer la leçon. L'écriture à la première personne contient encore le tremblement fantasmatique, la " littérature " conserve sa lisibilité à cette première descente aux enfers.



Jacques CAZOTTE (1719 - 1792)

Redécouvert par Nerval dans les années 1840, Cazotte est aux yeux ses contemporains un personnage étrange, à mi-chemin entre la bonhommie souriante du fantaisiste et la figure plus inquiétante de l'illuminé. Ce n'est pourtant à l'origine qu'un honnête fonctionnaire, qui accomplit sa carrière dans la Marine. Deux longs séjours en Martinique (1744 - 1752 et 1754 - 1760) lui font connaître le vaudou. Il quitte le service en 1760, et l'héritage de son frère — qu'il devra disputer aux jésuites — lui permet de se retirer à la campagne. Depuis sa prime jeunesse, il s'adonne au genre très à la mode alors du conte. Au cours des années 1760, se glisse dans ses œuvres une inquiétude spirituelle qui s'épanouira avec Le Diable amoureux (1772), lu à l'époque comme une aimable sotie mais que l'on peut considérer comme l'acte de naissance du fantastique en France. L'irrésolution qui caractérise cette écriture se traduit chez l'auteur par un attrait de plus en plus net pour l'occultisme. Il devient martiniste en 1778, et malgré plusieurs reconversions au catholicisme ne cessera jamais de s'intéresser aux doctrines ésotériques. Figure de ce qu'on a nommé l'illuminisme, Cazotte mène une existence tranquille jusqu'à la Révolution, à laquelle il n'est guère favorable. En août 1792, ce visionnaire peu clairvoyant fait passer au roi un plan d'évasion — sans succès ; l'un et l'autre seront guillotinés. Commence alors une existence posthume digne d'un véritable médium : Laharpe lui attribue une prédiction de la Révolution faite en 1788, Rétif publie ses Posthumes sous le nom de Cazotte... Cette vie après la mort se transformera peu à peu en simple survie littéraire, la génération de 1830 reconnaissant dans le fantastique des Lumières une des voies où s'invente le romantisme.

 

Le Diable amoureux (1772)

Nerval voyait l'expression d'un drame métaphysique dans cet ouvrage qui n'est peut-être à l'origine qu'un simple produit de la mode. Il faut se souvenir en effet que Cazotte n'est pas un initié à l'heure où il rédige ce roman. L'ironie constante interdit de prendre à la lettre l'aventure de ce jeune officier séduit par une jeune fille à l'identité énigmatique. Mais le fantastique se joue dans le maintien d'une interrogation, dans l'impossibilité de conclure à la réalité ou à l'irréalité des phénomènes décrits. Entre le merveilleux (qui n'est jamais mis en doute, en littérature) et la rationalité du monde réel, un espace du doute apparaît, où s'invente une dimension littéraire inédite. C'est aussi un bouleversement culturel, une faille de la raison, ouverte au moment même où triomphent les Lumières.




Alain-René LESAGE (1668 - 1747)

Orphelin ruiné par ses oncles, il devient avocat, puis polygraphe. Ses traductions du grec ancien et de l'espagnol préludent à une œuvre dont on a quelquefois voulu dénier l'originalité, au prétexte que ses romans n'auraient été que des adaptations. Point n'est besoin de rendre sa place à Lesage, dont les fictions hispanisantes n'ont jamais qu'un objet, la société française de son époque. C'est avec des comédies qu'il fait ses débuts d'auteur. Auteur attitré de la Comédie française depuis 1702, il donne Crispin (1707) et surtout Turcaret (1709), satire mordante des collecteurs d'impôts. Auteur prolifique, il compose également des dizaines de farces destinées au Théâtre de la Foire Saint-Germain, qui remplace à l'époque la Comédie italienne, fermée par le roi vieillissant. Le Diable boiteux (1707), puis Gil Blas de Santillane font découvrir un romancier habile, dont les satires d'abord morales s'attachent progressivement aux réalités sociales et économiques d'une société gagnée par la corruption. Renouvelant ainsi le genre romanesque, Lesage explore les solutions du problème de la vraisemblance qui s'est posé à la fin du dix-septième siècle ; d'abord en exhibant l'invraisemblance, ce qui est une façon de se dédouaner, puis en réinvestissant l'écriture picaresque pour utiliser les ressources de la fiction autobiographique. Il ouvre ainsi la voie à Prévost et Marivaux, en donnant sa forme définitive à l'une des formules romanesques les plus intéressantes de son siècle, avec le roman par lettres. A une époque où le discours littéraire est encore largement bridé par le pouvoir, Lesage contribue à faire du roman un espace de liberté, où le vérité s'énonce dans l'art du travestissement.

 

Histoire de Gil Blas de Santillane (1735)

Mémoires imaginaires dont le cadre espagnol ressemble furieusement à la France de la Régence, les aventures picaresques de Gil Blas sont la satire brillante et légère d'une société gagnée par le pouvoir de l'argent. L'ironie romanesque s'y joue dans la vision naïve et sans cesse désabusée d'un narrateur évoluant dans toutes les sphères de la société, aventurier du regard dont l'ambition n'est pas tant de trouver sa place (ce qui fonde le picaresque) que de se maintenir à flot dans un univers de faux-semblants. Livré à l'inconstance des circonstances, Gil Blas observe avec amusement les pratiques douteuses d'une humanité à la fois variée et toujours semblable.



Pierre Carlet de Chamblain de MARIVAUX (1688 -1763)

Ses jeunes années sont actives : il commence par des romans, commet une Iliade travestie, collabore au Nouveau Mercure et se marie, devient auteur dramatique, puis veuf. Arlequin poli par l'amour inaugure en 1723 une longue série de comédies à l'italienne, qui empruntent à la commedia dell'arte ses personnages et ses intrigues, adoucies d'une délicatesse de sentiments qui rencontra l'adhésion du public. La Double Inconstance, Le Jeu de l'amour et du hasard, Les Fausses confidences sont des succès qui, avec une trentaine d'autres pièces (dont une tragédie), mènent leur auteur à l'Académie, où il est élu contre Voltaire. Avant cette consécration, il a déployé l'activité protéiforme des hommes de lettres de son temps, touchant de la philosophie, lançant surtout avec Le Spectateur, imité du Spectator britannique, l'un des premiers journaux français (1721 - 1724). L'intérêt qu'il y manifeste pour ce que Hugo nommera plus tard les choses vues incite à réviser les jugements trop hâtifs à son égard. On aurait tort de voir en Marivaux l'auteur léger de divertissements sans conséquences ; il existe dans ses comédies (et pas seulement dans l'Ile des esclaves) une interrogation sociale que prolongeront les romans de la maturité. La Vie de Marianne et Le Paysan parvenu exploitent toutes les ressources du picaresque pour approfondir cette vérité sociale, souce de bonheur romanesque et dramatique, qu'est le hasard. Ainsi le marivaudage n'est-il pas seulement plaisir du déguisement, mais aussi questionnement d'identités sociales dont le bien-fondé n'est pas si évident. Marivaux est bien l'auteur à la mode comblant les goûts des sujets de Louis XV, qui se pressent avec passion dans les rares salles parisiennes autorisées ; mais il est, plus profondément, un écrivain complet, à l'écoute de son époque.

 

Vie de Marianne (1731 - 1742)

Dans un univers réaliste qui, à la différence du Gil Blas de Lesage, est celui de la société de son temps, ce roman narre les nombreuses péripéties de la vie d'une jeune orpheline. Son avancée dans la vie se heurte à mille difficultés, qui donnent lieu à de fines analyses psychologiques et à la peinture des milieux les plus divers. Commençant dans l'aventure romanesque par excellence d'une attaque de brigands, l'existence de Marianne se décline ensuite davantage sur le mode de la vie privée ; c'est une nouvelle façon de concevoir le roman qui s'invente, oubliant l'extraordinaire ou le burlesque pour se concentrer sur le sentiment.

 

Le Jeu de l'amour et du hasard (1730)

En trois actes, l'histoire d'un double déguisement : deux fiancés qui ne se connaissent pas veulent s'éprouver en échangeant leurs costumes avec ceux de leurs serviteurs. L'amour reconnaît les siens ; mais le jeu se prolonge sur l'initiative de la jeune fille, qui conserve son déguisement afin d'être épousée pour elle-même, cependant que les valets se courtisent comiquement, chacun craignant de voir révélée son identité. Vertige social, le jeune homme accepte de braver la fictive différence de condition — mais, grâce au ciel, chacun retrouve sa place.

 

Les Fausses Confidences (1737)

L'amoureux impécunieux d'une riche veuve s'introduit dans la maison d'icelle et laisse conduire l'intrigue par un ancien valet, qui répand à loisir de vraies et fausses confidences afin de gagner le cœur de la dame. Elle en vient elle-même à tenter de forcer les aveux, et l'amour triomphe. L'ambiguïté des situations, habituelle chez Marivaux, prend une intensité toute particulière dans cette comédie où l'on souffre. Le réalisme se conjugue au jeu des réticences, silences forcés et sentiments brimés, pour créer une atmosphère plus tendue que dans les autres pièces de Marivaux.

 

La Double Inconstance (1723)

En ce début de la carrière de Marivaux, c'est une comédie sur la fin du sentiment. Arlequin, devenu un valet doux et amoureux, se fait voler sa fiancée par un prince. Ce dernier l'invite à la Cour, dans l'espoir de le rendre infidèle. Espoir qui n'est point trompé : on assiste au reflux d'un amour et à la naissance d'un autre, selon le principe du quadrille, déjà. Tout finit bien, ce qui n'empêche un léger pessimisme quant à l'inconstance des sentiments ; c'est à une mise en doute de l'idylle et des pastorales chères à la littérature de son temps que se livre un Marivaux plus moderne qu'il n'y paraît, sur ce point.

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Pierre-Augustin Caron de BEAUMARCHAIS (1732 - 1799)

Ses vies feraient le bonheur d'un romancier. De procès en procès, on le voit jeune horloger, puis professeur de harpe, puis intrigant, homme d'affaires enfin. Il fréquente la Cour, et compose dans sa jeunesse quelques féeries fort gaies, destinées à divertir financiers et grands seigneurs. Travaillant à embrouiller et à débrouiller des affaires de famille quelque peu compliquées, il a l'idée d'un drame bourgeois, Eugénie, dont il expose la poétique dans un Essai sur le genre dramatique sérieux. Le succès est mitigé, ce qui ne l'empêche pas de tenter un second essai, qui sera cette fois un échec. A l'occasion d'un procès occasionné par l'héritage contesté de l'un de ses protecteurs, il publie quatre mémoires dont le retentissement considérable contribue à faire de lui un homme public — jouant dans le même temps les agents secrets en Angleterre et en Hollande. Naviguant entre scène et coulisses, il se passionne pour le théâtre, et connaît un premier succès en 1775 avec Le Barbier de Séville — qui a dû être redécoupé après la première représentation. On le voit alors se multiplier, négociant, fondant, à côté de maisons de commerce, la Société des auteurs dramatiques (destinée à protéger leurs intérêts), se lançant dans l'édition des œuvres complètes de Voltaire, vivant et dépensant sans compter, plusieurs fois ruiné, plusieurs fois millionaire. Longtemps gardé dans ses cartons, Le Mariage de Figaro suscite avant même sa création un intérêt attisé par les tentatives de censure qu'il subit. Enfin jouée en 1784, la pièce rencontre aussitôt une audience extraordinaire. Beaumarchais, lui, poursuit sa vie aventureuse, convole pour la troisième fois, va en justice, est emprisonné sous la Révolution, émigre, revient en France, et donne une comédie larmoyante, La Mère coupable, qui clôt " le roman de la famille Almaviva ". Celui de Pierre-Augustin Caron s'achève à la veille du dix-neuvième siècle — mais Figaro, double élu, lui survit.

 

Le Barbier de Séville (1775)

Cette comédie d'intrigue, qui aurait pu être un opéra, rompt avec les drames bourgeois des débuts. Verve, humour, déguisements, et un mariage à la fin ; mais ce qui pourrait s'apparenter à un marivaudage s'enrichit d'une inhabituelle vie des personnages, dont les caractères sont fouillés et dont la personnalité est nuancée. Enfin, Figaro parachève le type du valet de comédie, avant de le dépasser dans Le Mariage de Figaro. Ajoutons cette nuance, que ce valet n'en est déjà plus un, reprenant du service après un parcours personnel qui lui confère la liberté et l'allure d'un bourgeois, et donne ainsi à ses fourberies un sens nouveau : l'esprit d'entreprise.

 

Le Mariage de Figaro (joué en 1784, publié en 1785, écrit en 1778)

On l'attendait depuis plusieurs années : des femmes furent étouffées lors de la première, tant la foule afflua. L'attente du mariage sans cesse retardé est d'ailleurs le principe même d'une pièce qui est à la fois l'apogée de la comédie et plus qu'une comédie. La loi du désir, incarnée par un Chérubin aux frontières du jeu et du sérieux, mène un monde où les intrigues et les intérêts s'affrontent. Les mots volent, plaisir léger qui au détour d'une phrase laisse surgir l'Histoire. Les équivalences dramatiques, le monologue de Figaro, interrogent une société agitée d'injustices. Attaquant les privilèges, la pièce donne à l'intrigue une signification sociale, montrant qu'elle est rendue nécessaire par la rigidité des ordres. Mais " tout finit par des chansons " — restent l'extraordinaire rythme et les jeux de l'espace et des objets, qui révolutionnent le théâtre.



Nicolas Edme RETIF DE LA BRETONNE (1734 - 1806)

Ce polygraphe aura dû attendre deux siècles avant de quitter le second rayon. Longtemps connu comme un auteur sulfureux (son Anti-Justine fut souvent éditée sous le manteau), Rétif retrouve aujourd'hui sa dimension véritable, celle d'un créateur balzacien avant la lettre, dont l'énorme production (plus de deux cents volumes) participe à divers titres, par delà les scories, maladresses, et négligences dont elle est parsemée, du grand remue-ménage littéraire qui prélude à l'explosion romantique. On n'emploie plus guère aujourd'hui l'idée de préromantisme ; aussi faudrait-il plutôt évoquer une modernité en train de s'inventer — par les marges : car ce fils de paysan bourguignon, typographe à ses débuts, ne parviendra jamais à entrer de plain-pied dans l'univers littéraire de son époque. C'est en quelque sorte par ignorance qu'il bouscule les conventions qui régissent la littérature en cette fin de dix-huitième siècle. Ecrivain professionnel, mais écarté des pensions, il envisage les lettres comme un métier ; ce qui ne l'empêche pas d'avoir une haute idée de sa mission, en donnant plusieurs projets de réforme (La Mimographe, Les Gynographes, Le Pornographe — terme inventé pour l'occasion — tentent respectivement de régir le théâtre, les femmes, et la prostitution). Son œuvre est animée d'une ambition spéculative qui la conduit à faire éclater le cadre de la fiction traditionnelle ; ses récits se gonflent d'utopies, de traités. Au fil des livres s'esquisse une ambition totalisante qui nourrit une écriture rapide, peu embarrassée du bon et du mauvais goût. Dans ses gigantesques séries de nouvelles (Les Contemporaines) se dessine le projet d'une littérature élargie aux frontières du monde, englobant tout ce qui peut être vu : c'est en ignorant toute mesure, en bafouant les règles du beau littéraire que Rétif révolutionne les lettres. Introduisant un réalisme neuf avec Le Paysan perverti et La Paysanne pervertie, il renouvelle à la suite de Rousseau les enjeux du roman, en introduisant dans la fiction de larges pans d'autobiographie. Peu à peu, c'est sa propre vie qu'il met en scène, avec des livres comme La Dernière Aventure d'un homme de quarante-cinq ans et surtout Monsieur Nicolas, monument de l'autobiographie. Il faudrait citer encore son théâtre, sa passion fétichiste pour le pied, ses amours incestueuses, sa réforme de l'orthographe, ses amitiés, et son totem : le hibou.

 

La Paysanne pervertie (1784)

ou les dangers de la ville ; la jeune Ursule, sœur innocente de l'Edmond du Paysan perverti, est petit à petit corrompue par la vie urbaine. Sous la visée moralisante, exaltant les vertus de la vie champêtre — paradis perdu rétivien —, ce roman par lettres conjugue d'une façon originale l'ambition didactique et les audaces de la représentation. La délégation du récit aux personnages permet la pluralité des points de vue et joue dans le sens d'une plus grande liberté des paroles ; c'est par personnage interposé que Rétif introduit sa langue et ses audaces dans l'espace littéraire français. Rappelons enfin que le personnage de Gaudet est un ancêtre direct du Vautrin de Balzac.

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Quelques écrivains du XVIIe siècle

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Marie-Madeleine de LA FAYETTE (1634 - 1693)

Femme de lettres et de salons, Madame de La Fayette a vécu dans une société choisie, qui était celle des milieux précieux et de l'hôtel de Rambouillet : Madame de Sévigné, la Grande Mademoiselle, Ménage, Mademoiselle de Scudéry, La Rochefoucauld enfin, dont elle est l'amie intime. Entre mondanité et repli, elle cultive l'art de la conversation et celui de la lecture, la solitude et l'amitié. C'est à quatre mains, avec Ménage, qu'elle écrit La Princesse de Montpensier, publié anonymement en 1662. A la façon d'un La Rochefoucauld, qui condescend à la publication, elle reste une grande dame qui se respecte assez pour ne pas briser de convenances et conserver sa réputation. Zaïde, qu'elle compose à la fin des années 1660, est ainsi avoué par Segrais. Plaire, se couler dans un monde épris de galanterie et de romans, telles semblent bien pourtant les raisons qui poussent à écrire l'amie si sage de Madame (Henriette d'Angleterre), observatrice distante et dubitative des intrigues de cette Cour enfiévrée par la jeunesse de Louis XIV. La Princesse de Clèves, qui paraît sans nom d'auteur en 1678, met en scène une héroïne rompant, puis rattrappée par cet univers de liaisons et d'intrigues. Devenue auteur presque malgré elle, incarnant le renouveau d'un genre qui, s'il est à l'époque mal considéré, suscite les passions les plus vives, Madame de La Fayette est elle aussi rattrappée par le monde, avec le succès immense de son roman et les polémiques sans fin que suscite sa moralité. Absorbée par le siècle, elle donnera encore les Mémoires, qui en narrant ses intrigues et aventures diplomatiques attestent de la victoire de la Cour sur la plume.

 

La Princesse de Clèves (1778)

Les amours contrariées du séduisant Nemours et d'une jeune épouse fidèle, qui demande à son mari de la soustraire à la tentation. L'amant s'obstine, le mari doute et meurt, la femme opte pour une fidélité posthume qui la fait mourir de langueur. De ce canevas si simple, le roman fait un piège où tombe tout lecteur. Court, concentré sur quelques événements presque purement psychologiques, ce récit qui tranche sur la production romanesque de son temps joue du silence audacieux et de l'innocence impudique de consciences troublées par la passion, prises entre morale et vérité. L'irruption du conjugal dans le romanesque crée à l'époque un scandale, cristalisé sur la scène de l'aveu mais dû à cette arrivée intempestive qui renouvelle complètement la problématique romanesque : la littérature psychologique, celle des cas de conscience et des sacrifices de la vie privée, est en train de naître.




Hector Savinien CYRANO DE BERGERAC (1619 - 1652)

Une enfance soumise au pouvoir des pédants laisse à Cyrano un esprit de révolte qui ne se démentira jamais. Sa courte vie est marquée par un sentiment de marginalité et d'étrangeté, sans doute lié à son homosexualité. Cette difficulté à se couler dans un ordre se jouera dans une pensée libre, rétive à tout système. Figure marquante de ce libertinage semi-clandestin qui traverse le dix-septième siècle, Cyrano est influencé par Gassendi et la pensée naturaliste italienne. Mais si la Nature semble bien être la référence décisive chez lui, son anti-dogmatisme survit à toute doctrine, y compris au matérialisme quelquefois un peu étroit de ses amis libertins. Sceptique, il l'est radicalement, ne se contentant pas de nier une croyance pour en adopter une autre. Il existe pour lui un problème du savoir, comme un problème du langage. Contre l'aristotélisme qui domine encore son époque, il vit jusque dans son propre verbe l'expérience d'une fondamentale polysémie, et reste méfiant à l'égard d'une langue à laquelle ses contemporains accordent un crédit aveugle. La modernité de Cyrano se joue ainsi dans les calembours et inventions verbales qui font éclater l'illusion de la véracité du langage. Si sa littérature est pédagogique, elle enseigne surtout le scepticisme, et ses romans s'appliquent avant tout à mettre en doute les savoirs, quels qu'ils soient. Le Pédant joué (une comédie écrite vers 1654) mime cette dérision de la science ; l'histoire comique des Etats et empires de la Lune, celle des Etats et empires du soleil (post., 1652) apparaissent comme des exercices jubilatoires, radicalisant le doute et jouant de la satire dans la grande tradition de Lucien. Signalons enfin La Mort d'Agrippine, une tragédie de 1653, et des Lettres (1654) qui donnent idée de ce qu'aurait pu être une œuvre trop tôt interrompue.

 

L'Autre monde ou Les états et empires de la Lune (1657)

Le premier éditeur de ce texte en donna une version expurgée, destinée à nuancer la radicalité d'une pensée qui s'avance ici à découvert. Cet autre monde dont il est question, et auquel le narrateur accède après un détour par le Canada et une escale au paradis, n'est pourtant pas un absolu, qui se jouerait dans l'inversion terme à terme des réalités terrestres. Si la Nature semble avoir voix au chapitre sur la Lune, le roman évite l'écueil du didactisme en maintenant un espace du doute. Les satires sur la religion, la mise en cause de la tradition scientifique aboutissent davantage à une ironique confrontation de systèmes qu'à un discours univoque. Donné comme une histoire comique (sous-genre romanesque illustré par Sorel et caractérisé, par rapport à un " vrai " roman comme L'Astrée, par une moindre dignité des héros) ce roman — dans l'acception moderne du terme — est ainsi œuvre ouverte, extravagance au sens fort, jouant d'une fantaisie qui libère la pensée.

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Jean-François Paul de Gondi, CARDINAL DE RETZ (1613 - 1679)

On s'épuiserait à résumer ses Mémoires, publiés après la mort de Louis XIV mais dont les manuscrits, qui commencèrent à circuler sous le règne du Roi-Soleil, causèrent quelques frissons à leurs premiers lecteurs. Comme son successeur Saint-Simon, Retz est un vaincu en politique. Peu satisfait de l'état ecclésiastique auquel le destine sa qualité de cadet, il apparaît d'abord sous la figure d'un jeune homme libertin, commet avec La Conjuration de Fiesque (1631) une première ébauche de ce manuel du conspirateur que voudront être les Mémoires. Brûlant de s'essayer à la politique, il tente sa chance pendant la fronde, profite de sa popularité pour enflammer les masses populaires, fait fuir la cour, louvoie entre ses alliés, tant et si bien qu'il finit en prison. Evadé en 1654, il gagne l'Italie et se remet à intriguer, jusqu'à ce qu'on lui conseille amicalement de quitter Rome. Il rentre en grâce à la fin des années 1660, mais n'obtiendra jamais réellement le pardon du roi, encore enfant pourtant pendant les grandes années du cardinal. Encouragé par Mme de Sévigné, Retz commence en 1671 à rédiger ses Mémoires, se convertit — ce qui peut surprendre, d'un prince de l'Eglise — en 1672, et finit sa vie à l'abbaye de Saint-Denis. De son livre ressort une figure de conspirateur génial, chef de guerre sans scrupule, qui outrepasse sans doute la vérité ; on s'accorde aujourd'hui à penser que si le cardinal est une figure marquante dans l'histoire des lettres françaises, il a sans doute quelque peu exagéré son importance politique et jusqu'à sa noirceur. Mais sa survie littéraire atteste la réussite paradoxale d'une existence marquée par un désir inassouvi de grandeur.

 

Mémoires (1717)

Ce récit d'une vie agitée s'ouvre sur une déclaration d'exactitude qui ne semble pas correspondre à la réalité. Destiné au public, il ne vise pas, comme les Mémoires de mademoiselle de Montpensier, à favoriser l'introspection, mais se trouve au contraire placé sous le signe de l'action. L'intériorité se réalise dans l'intrigue, la prévision, cependant que l'acte politique — préparé, calculé — occupe presque tout l'espace de la narration. Des portraits sans complaisance viennent mettre en valeur la figure machiavélique de l'auteur, dont tous ou presque sont les dupes. Peu à peu toutefois, l'échec se manifeste, demande à être expliqué, et les leçons de stratégie deviennent amères.




Jacques-Bénigne BOSSUET (1627 - 1704)

Ce maître de la rhétorique n'acceptait pas sans réticence qu'une parole pût plaire. Célébrant le modèle de Saint-Paul et son efficace simplicité, il s'en détache pourtant par un éclat, une pompe à peine atténués par la lecture quotidienne de Virgile. Elève de Vincent de Paul, Bossuet est ordonné en 1654, et commence sa carrière dans l'Est de la France avant de se fixer à Paris en 1659. Ses talents de prédicateur le rendent vite célèbre ; prêchant devant le roi et la Cour, il fait de l'enseignement évangélique une parole plus encore que publique, politique (Oraison de Michel Le Tellier). Prônant avec l'absolutisme la vision gallicane d'une église d'Etat, indépendante de Rome, il appelle de ses vœux une politique chrétienne. Engagé dans le siècle, il use de la parole comme d'un instrument de conquête, s'adaptant à ses auditoires parisiens et versaillais, travaillant les cœurs et les esprits, jouant de la terreur et de l'espoir pour mieux enchaîner les âmes. Bataillant sans relâche contre les protestants, le quiétisme de Madame Guyon, l'exégèse biblique de Richard Simon, il a l'occasion de préciser sa vision providentielle du monde en devenant précepteur du Dauphin, pour qui il écrit le Discours sur l'histoire universelle (1681). Précepteur, il l'est dès les premières de ses Oraisons funèbres, qui entraînent le traditionnel éloge vers la voie plus didactique des Sermons. Entre l'instruction aux libertins et la leçon faite aux rois, sa parole se fait prophétique, tirant sens de la vie des Grands pour donner ordre au monde.

 

Oraisons funèbres (publiées en 1672 et 1689)

Bossuet contribua à modifier profondément ce genre en infléchissant l'obligatoire panégyrique posthume vers une méditation morale et religieuse intense, construite sur une idée centrale qui peut être une citation biblique. L'orateur réinvestit une thématique chrétienne dans une forme romaine. Conversions (Condé, la princesse Palatine), endurances extraordinaires dont la foi est le secret (Anne d'Autriche), composent une histoire édifiante de la vie des Grands, que l'auditoire est amené à méditer, entraîné par les périodes harmonieuses et pathétiques.

 

Sermons (1643 - 1702, publiés à titre posthume en 1772 - 1778)

L'éloquence est ici au service de l'enseignement, la parole du prédicateur se faisant plus discrète. Prêchés devant la Cour ou en des lieux plus modestes, ils développent une doctrine insistant sur la mort et la vanité des choses humaines. Brutaux à l'occasion, ils témoignent d'une piété austère et directive, dont la violente image de l'homme a pour pendant la force du rachat, où la dénonciation des injustices ramène à la Providence et à son ordre caché.

 




Marie de SEVIGNE (1626 - 1696)

Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, s'impose comme une figure profondément originale dans un siècle où l'imitation est encore un principe des beaux-arts. Elle devient vite classique cependant, investissant le champ littéraire sans l'avoir véritablement voulu. Si elle a bien conscience qu'une publication est possible, si la correspondance au dix-septième siècle ne relève pas d'une stricte intimité, ce n'est qu'à titre posthume, en 1726, que ses Lettres seront publiées. On y découvre, telle qu'en son journal, une personnalité étonnante de liberté en même temps que soucieuse de l'honneur de sa maison, liée par le sang et l'éducation à un cercle d'écrivains qui préfigurent les salons lettrés du siècle suivant : Ménage (son précepteur), Bussy-Rabutin (son cousin), La Rochefoucauld, Madame de La Fayette, la Grande Mademoiselle. Sa correspondante la plus régulière demeure sa fille, dont le mariage et le départ pour Grignan la séparent en 1671. L'absence exalte une passion qui couvait et lance définitivement l'écriture : deux ou trois lettres par semaine pour commenter l'actualité parisienne et versaillaise (être au courant : chose indispensable en province, quand on veut tenir son rang), faire chronique de son siècle, de ses proches, de soi-même, maintenir un contact dont de trop rares voyages avivent le besoin. Railleuse et passionnée, goûtant le geste d'un grand comme les promenades de son château breton, Madame de Sévigné prend cœur à tout sans jamais se départir d'une savoureuse ironie — car elle reste avec son siècle méfiante envers le moi. Au détour d'une ligne, dans le phrasé d'un style varié et naturel, il se fait jour pourtant, malgré les sympathies jansénistes et la tenue de la grande dame, qui invente une forme de confession, entre la liberté de la plume et le souci de l'autre.

 

Lettres

Il a fallu attendre quelques centaines d'années pour en avoir une édition fiable : la première avait été expurgée, dans le souci d'épargner aux survivants du grand siècle les railleries posthumes de la marquise. Sa crudité quelquefois étonne, témoignant de l'absence de tout projet littéraire public. Mais le naturel et la souplesse du style ne font pas oublier cet incoercible désir de séduire, qui rattache l'authenticité épistolaire à la rhétorique. L'insertion occasionnelle de vers, évoquant la littérature galante, nous rappelle que cette correspondance est aussi un produit culturel. Et son succès au dix-huitième siècle, en un temps où l'on s'engoue pour le roman par lettres, témoigne des ambiguïtés de ce naturel sans cesse traversé d'une volonté toute littéraire de faire du style — pour jouer, pour distraire, pour un plaisir partagé de celle qui dit suivre le fil de sa plume et de ses lecteurs multipliés.




MOLIERE, Jean-Baptiste Poquelin, dit (1622 - 1673)

La Critique de l'Ecole des Femmes énonce fièrement cette seule loi du théâtre : plaire. Molière le voulut, dès l'abandon précoce de la vocation drapière des Poquelin. Le succès tarde ; quinze ans sur les scènes de province le rompent aux ficelles d'un métier alors bien peu considéré (que l'on se souvienne du Roman comique), avant que les ultimes fêtes de Vaux ne le révèlent. Fouquet y perd tout, Molière y gagne la faveur royale. Il laisse alors la farce pour des divertissements plus spectaculaires, réfléchissant les fastes de la jeunesse de Louis. Auteur, acteur, metteur en scène, régisseur de sa troupe où il va jusqu'à prendre femme, il compose une trentaine de pièces, monte avec Lully des comédies-ballets (comme Amphitryon) qui animent les châteaux royaux. Ses grandes comédies sont présentées au public dans la salle du Palais-Royal. On s'y presse : Les Précieuses ridicules, L'Ecole des femmes, Les Femmes savantes sont des succès mémorables. Si Tartuffe se heurte à l'efficace opposition des dévots, Molière revient à la charge et enrichit la comédie d'une vision sociale sceptique et corrosive, où se croisent dupeurs (médecins, prêtres), habiles révoltés (femmes, fils, valets) et cet inévitable barbon qu'il joue le plus souvent lui-même, représentant ridicule d'une loi qui s'effondre et tourne en manie : celle de l'Avare, du Bourgeois gentilhomme, du Malade imaginaire. Ainsi, la comédie farcesque (Le Médecin malgré lui, Les Fourberies de Scapin) prend-elle très vite la couleur macabre du Misanthrope et de Dom Juan, joueurs désabusés qui paient de leur vie et de leur solitude un regard proche de la folie à force de raison et de vérité. Le jeu est chose sérieuse ; Molière le savait avant d'en donner, abandonné par la faveur royale, une dernière preuve en mourant sur la scène du Malade imaginaire.

 

Les Fourberies de Scapin (1671)

C'est l'une des dernières pièces écrites par Molière, mais elle se rapproche davantage des comédies de ses débuts. Brève (trois actes), bouffonne, physique (scène du sac), elle est tout entière menée par le personnage du valet, qui prend en main le mariage des deux jeunes gens et ridiculise leurs pères, en multipliant les inventions : la duperie généralisée, les mises en scène de Scapin, font de cette pièce autre chose qu'un avatar tardif de la comédie d'intrigue des débuts de Molière, du théâtre sur le théâtre, la mise à nu d'un faire — une réflexion, en somme.

 

Le Médecin malgré lui (1666)

Farce pleine de subtilités, cette pièce associe une thématique comique, c'est-à-dire usant drôlement des ressorts de la vie quotidienne et de personnages de bas niveau social, et une composition très ferme, soutenue par une langue parfaite : tous les ingrédients d'un succès qui fut immense, en ce temps où le genre comique était marqué par une écriture plus relâchée. Satire de la médecine, ici pratiquée à son corps défendant par Sganarelle, la pièce use dans une intrigue classique (la maladie jouée, l'héritage providentiel et le mariage final) de toute la panoplie de la comédie d'intrigue à l'italienne, qui rejoint ici la tradition française de la farce : mystifications et délire logorrhéiques évoquent irrésistiblement Pathelin.

 

L'Avare (1668)

Avec cette pièce jouée la même année qu'Amphitryon, également adapté de Plaute, Molière abandonne le vers pour une prose qu'il trouvait plus naturelle mais que spectateurs et critiques n'admirent guère quand la pièce fut créée. Type achevé de la comédie à caractère (c'est-à-dire fondant les personnages sur une qualité, un défaut, ou un état social) l'Avare présente avec Harpagon l'un des grands monomanes de Molière, envahissant de sa folie une intrigue classique, à valet rusé et retournement final.

 

Le Malade imaginaire (1672 - 1673)

Dernière pièce composée par Molière, cette comédie se signale par le faible volume des emprunts : la critique s'est demandée si le fond n'en était pas autobiographique. De fait, la critique du monde médical, habituelle dans le théâtre de Molière, prend ici un tour particulièrement féroce ; le modèle de la mauvaise foi dévoilée et de la confusion des intérêts permet autour de l'hypocondriaque l'association objective de la marâtre et des médecins. Comme dans Tartuffe, c'est à une mise en cause de l'institution que se livre un Molière vengeur, et la mascarade, le jeu des déguisements (la servante médecin, la mort jouée) s'assombrissent de la proximité du drame et de la violence du propos. Il n'est pas tant question de personnes que de formes sociales, et le rire ne fait pas oublier qu'il est question de vie — et de mort.

 

Le Misanthrope (1666)

... fut un échec sur scène. La haine universelle d'Alceste parle encore cependant, et l'opinion de Boileau a fini par prévaloir : Molière reste avant tout le créateur du Misanthrope, figure extrême avec Dom Juan de la monomanie critique, dont la folie fait voler en éclat tout ce qu'elle touche. Dans un univers de mensonge et d'hypocrisie dont les acteurs finissent par être dévoilés, le grand mécanisme de la désillusion donne ici toute sa mesure. Eclatant dans la juxtaposition des scènes, incarnée par un personnage complexe, à la fois comique et tragique, une vérité invivable se fait jour. L'union retardée puis rompue d'Alceste et de Célimène fonde l'intrigue d'une pièce dont l'intérêt réside davantage dans le travail sur les caractères que dans une action qui est ici secondaire.

 

Dom Juan (1665 - 1666)

Victime de la colère des dévots, cette pièce ne fut jouée que quelques semaines, avant d'être oubliée pendant deux siècles. Le " grand seigneur méchant homme " incarne pourtant avec panache toutes les ambiguïtés d'un mythe récent mais nourri déjà d'un demi-siècle de théâtre depuis Tirso de Molina. Entre comédie et tragédie, le thème théologique de l'endurcissement du pécheur est ici compliqué des manifestations de la raison, une raison qui tourne à l'aveuglement et à la folie mais n'en est pas moins un révélateur corrosif de l'hypocrisie du monde. Héros d'un désir qui est avant tout provocation, défi à une providence absente, appel à Dieu presque, Dom Juan finit par trouver dans le commandeur un répondant, garant ultime d'un ordre du monde sérieusement mis en question. Douteur invétéré, il est à la fois valorisé (par son courage, sa générosité, son intransigeance) et puni, se dressant comme une figure unique parmi les grands monomanes de Molière.

 

Le Bourgeois gentilhomme (1670)

Créée à Chambord pour le roi, cette comédie-ballet en cinq actes fut écrite dans le même esprit que Monsieur de Pourceaugnac : agrémentée d'intermèdes chantés et dansés (Molière travaille encore à cette date avec Lully), elle est destinée à un public de Cour, qui plus qu'un autre saura goûter les ridicules de M. Jourdain, dont les prétentions et l'émerveillement font une dupe assez facile pour deux aristocrates, puis pour le jeune Cléonte, bourgeois comme lui et qui pour cela se voit refuser la main de Lucile, la fille de M. Jourdain. Suit un travestissement du prétendant qui, devenu le fils du Grand Turc, jouera à anoblir un Jourdain transporté et consentant. Ces deux thématiques essentiellement moliéresques que sont la folie et le paraître, la qualité du texte, ont assuré à la pièce un succès qui ne s'est jamais démenti.

 

Les Femmes savantes (1672)

... ou, une fois de plus, la folie au pouvoir : à l'instar d'un Jourdain, Philaminte, Armande et Bélise entendent régler la vie de leurs proches sur leur propre manie : elles introduisent au sein de leur famille des prétendants aussi pédants qu'elles, menaçant ainsi les amours de la jeune Henriette. Avant l'heureuse conclusion, le spectacle des ridicules et les jeux du paraître, les intérêts dévoilés enfin fondent un plaisir théâtral du faux-semblant, en paradoxale harmonie avec la promotion dans la pièce du naturel.

 

L'Ecole des femmes (1662)

L'histoire en est connue, et par ailleurs relativement classique : un barbon tient recluse une jeune fille afin de l'épouser, confondant innocence et ignorance. Il sera joué, et avec lui tombe une idéologie de l'asservissement imbécile de la femme — les dévots ne pardonneront pas cette chute à Molière. En même temps qu'est préparée la querelle du Tartuffe, c'est une révolution théâtrale qu'opère l'Ecole des femmes, pièce à bien des égards fondatrice. Sans insister sur les qualités des dialogues (entre Arnolphe et Agnès), sur les trouvailles scénographiques (l'amant raconte ses progrès au cocu) il faut en effet comprendre que le passage de trois à cinq actes permet un approfondissement considérable des caractères, accru encore par ce coup de génie : Arnolphe, le cocu, est le personnage central, présent dans presque toutes les scènes. Il devient ainsi le premier des grands monomanes de Molière, une figure de l'aveuglement, et, dans sa volonté de s'expliquer, bien plus qu'une fonction : un discours, et un personnage.

 

Les Précieuses ridicules (1659)

En un acte, la première pièce publiée d'un auteur qui réussit grâce à elle son retour définitif à Paris. C'est d'ailleurs contre la province et ses caricatures de la préciosité que se dresse cette satire. Le paraître, le déguisement, la folie : tout Molière est déjà là ; conseillés par leurs maîtres, deux valets entreprennent de séduire d'impertinentes jeunes bourgeoises en singeant le langage et les gestes des romans à la mode ; une bastonnade met fin à la comédie, pour la plus grande honte des fausses précieuses. Entre farce (pour la duperie) et comédie à l'italienne (par le rôle des valets), cette pièce innove par un réalisme alors inusité, qui prend la forme du burlesque.

 

Tartuffe (1664)

... ou l'imposteur. Corriger les mœurs est certes une fonction essentielle de la comédie, mais celles des dévots sont taboues en 1664 ; de surcroît, une dimension politique se fait jour chez Tartuffe, qui put apparaître comme l'incarnation du clan religieux gravitant autour d'Anne d'Autriche. On comprend alors sans peine les difficultés que connut Molière pour faire représenter une pièce à laquelle il tenait manifestement beaucoup. Violente en effet est la présentation de ce dévot s'introduisant au cœur des familles, profiteur lubrique réduisant tout à sa loi, menaçant de briser les liens les plus sacrés sous le prétexte de détacher Orgon, le père, des biens de ce monde. L'hypocrisie cache bien sûr l'être le plus intéressé, dont le succès semble assuré par l'aveuglement du chef de famille. Reste le roi, dont l'intervention seule peut sauver ces bourgeois entièrement piégés, malgré les intrigues de quelques membres de la famille. A la fois ridicule et rusé, entre l'amant du trio bien connu et le traître politique, Tartuffe est une figure à la fois ancienne et entièrement neuve, centre d'une pièce qui plus qu'aucune autre chez Molière fait du théâtre un lieu de représentation de la société, aux enjeux et à l'engagement marqués.

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Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT (1594 - 1661)

" Je loge en moi tout l'univers ", écrit ce poète de la luxuriance baroque, marin, soldat, voyageur, qui entre l'Amérique et les tavernes compose l'une des œuvres les plus originales de son siècle. Huguenot, puis catholique, Saint-Amant semble en réalité plus proche du courant libertin que des différentes confessions sous la bannière desquelles il se range tour à tour. Protégé par le comte d'Harcourt, il est à la fois l'ami de Théophile, comme lui héritier de Villon et membre de la confrérie des Goinfres, et un poète de cour. Le burlesque, dont il est avec Scarron l'un des inventeurs, réunit les ingrédients du rire mondain, nourri d'allusions mythologiques, et une insolence plus débridée, familière, voire argotique (Rome ridicule, 1643). C'est là une voie poétique nouvelle, jouant des charmes de la personnalité pour fonder une esthétique de la surprise. Qu'il réinvente l'ode pour y célébrer ses propres états d'âme (La Solitude, composée vers 1618), qu'en ses caprices il montre une ingéniosité digne du cavalier Marin, Saint-Amant cherche toujours à surprendre un lecteur incapable de résister à cette poésie de la sensation, où la fantaisie dame le pion à cette raison dont le siècle s'entiche. Le fantastique des songes et visions nocturnes (Les Visions, 1624) fraie la voie au merveilleux chrétien de l'idylle héroïque (Moïse sauvé des eaux, 1653), cependant qu'une veine descriptive s'épanouit dans les poèmes dits des Saisons. Du monde au moi, Saint-Amant cherche à saisir dans l'imprévu une approche de l'inspiration.

 

Poésies (1629, 1642, 1649)

Des trois volumes d'Œuvres, c'est généralement le premier, plus riche en poèmes courts, que l'on lit. La virtuosité verbale se joue dans le travail lexical en une coexistence inédite du haut et du bas. Saint-Amant use des ruptures de ton pour se forger un style composite, destiné par sa vivacité à susciter l'admiration du lecteur mondain. Mais cette recherche passe par le naturel et le personnel, l'art contourné devient jaillissement verbal, brisant le cadre étroit de la lecture mondaine. L'extravagance de Saint-Amant dépasse ainsi les jeux de la politesse, entre en communication avec un monde physique qu'elle contribue à inventer.



Pierre CORNEILLE (1606 - 1684)

Bourgeois, il célèbre le monde expirant des valeurs aristocratiques dans un théâtre de la force, où l'acte et la parole se confondent en sublime. Chacun s'éprouve dans l'éclat d'une gloire qui est paradoxale soumission au regard de l'autre. Cet univers de vainqueurs et de vaincus est avant tout héroïque ; mais il trouve une dimension tragique dans la douleur du dépassement de soi et dans la difficile confrontation entre les intérêts de l'individu et ceux d'un ordre politique, providentiel, ou idéologique. L'œuvre explore une Histoire conçue comme rencontre entre le héros et l'Etat, où au fil des pièces se consomme le sacrifice de l'être dans une politique de plus en plus autonome. Des fondateurs (Horace, Auguste) aux victimes (Tite), l'histoire des héros cornéliens fait écho à celle d'un poète qui affirme peu à peu sa maîtrise, s'élève au rang des Grands, avant d'être détrôné par Racine. Si la vie de Corneille, entre l'office paisible des débuts et les madrigaux de l'hôtel de Rambouillet, est rien moins qu'héroïque, on s'étonne cependant du combat que ne cessa de mener un auteur s'échinant à promouvoir ses pièces, à défendre sa poétique (Examens, Discours), voire à réclamer ses droits, préfigurant ainsi un Beaumarchais. Si certaines de ses pièces ne seront vraiment apréciées que de nos jours (Rodogune), il connaît de son vivant un immense succès (L'Illusion comique, puis ces quatre fables de la fondation que sont Horace, Le Cid, Cinna, Polyeucte). Pénétré du sentiment de sa valeur, refusant de s'inféoder durablement à un protecteur, il jouit royalement de son empire sur le public. En ce siècle où un homme bien né ne condescend que rarement à écrire, Corneille impose ainsi une véritable dignité de l'écrivain. Aussi participe-t-il dans sa célébration d'une morale défunte à la fondation de l'âge moderne.

 

L'Illusion comique (1636)

Auteur de comédies qui lui ont déjà apporté quelque notoriété, Corneille donne avec cette pièce un étourdissant mélange des genres, exhibant et démontant les moyens de l'illusion théâtrale tout en les faisant jouer à plein sur des spectateurs piégés. Théâtre dans le théâtre, la pièce est en fait un assemblage de poupées russes, qui nous montre une tragédie jouée par les personnages d'une comédie qu'un magicien fait voir à un vieillard. Métamorphoses des acteurs, éclatement des repères temporels et spatiaux contribuent à brouiller le jeu de codes théâtraux qui se bousculent. Dans le kaléidoscope ainsi créé, quelques figures se détachent, dont celle du ridicule Matamore — spadassin vantard qui n'est autre qu'une figure de l'acteur.

 

Horace (1640)

Sur les épaules du héros reposent les destinées de l'empire. Malheureusement liés par différents mariages, les Horace et les Curiace doivent combattre pour départager Albe et Rome. Sur le mythe fondateur raconté par Tite-Live, Corneille jette son héros entre les exhortations impitoyablement vertueuses d'un père et les inquiétudes d'un gynécée lié à l'ennemi. Horace vainc, puis tue sa sœur dont les scrupules l'offensent. Raison est rendue à l'Etat, et le patriotisme est récompensé par l'oubli du fratricide. L'héroïsme se nourrit ici de puissance sur soi-même, la représentation se dramatise du contraste entre les larmes féminines et les rigueurs de la loi, incarnée dans la voix du père.

 

Le Cid (1637)

De l'histoire traditionnelle inspirée du champion médiéval, différents auteurs avaient tirées des œuvres de qualité diverse. Corneille n'en conserve que le conflit entre l'amour et de l'honneur, dramatisé au maximum et qui devient le pivot de sa tragi-comédie. Le dénouement est suspendu à une réitération en laquelle s'exacerbent la bravoure, l'amour, et le devoir, noués en une situation dont seule la ruse aura raison. On contesta entre autres points l'unité de temps et l'invraisemblance de l'amour d'une fille pour le meurtier de son père ; Corneille ne digéra jamais ces attaques et revint souvent à la défense de cette pièce, avec laquelle la tragédie française est en passe de prendre sa forme définitive.

 

Cinna (1642)

Que l'extraordinaire soit aussi vraisemblable : tel est l'enjeu poétique d'une pièce dont l'auteur souhaite qu'elle rachète aux yeux des savants les extravagances du Cid et d'Horace. Auguste est le véritable héros de cette tragédie de la conquête de soi, où la maîtrise de l'univers s'affirme dans la maîtrise de soi. Tel est le sens d'une clémence qui finit par avoir raison des caprices de quelques conspirateurs, convertis in fine par un souverain trouvant ainsi sa légitimité.




Nicolas BOILEAU (1636 - 1711)

L'histoire littéraire a longtemps gardé de lui une image de maître d'école un peu grincheux qui ne correspond pas à la réalité. Sa position sera longtemps marginale dans le monde des lettres, et son élection à l'Académie, en 1684, apparaît comme un défi à l'institution. Issu de la bourgeoisie parlementaire, Boileau est comme Racine élève du collège d'Harcourt. Détenteur d'un bénéfice ecclésiastique, il n'aura guère de souci matériel et pourra se permettre de protester contre le système nouveau des pensions — jusqu'à ce qu'on le fasse taire en lui en accordant une : en 1677, il sera nommé historiographe du roi. C'est avec ses Satires (1660 - 1708) qu'il se fait d'abord connaître : violentes, incisives, elles attaquent personnellement des écrivains en vue, qui souvent en prennent ombrage. Protégé par Mme de Montespan, Boileau sévit ainsi pendant une décennie, avant d'adoucir son propos en donnant des Epîtres (1669 - 1698). Prenant position contre le merveilleux chrétien (alors associé à un certain nationalisme culturel), Boileau s'oppose à Desmarets de Saint-Sorlin, puis à Perrault et Fontenelle. Dans cette querelle dite des Anciens et des Modernes, l'auteur burlesque du Lutrin (1674) exalte la leçon de Malherbe en donnant les critères d'une beauté simple, toute de clarté et dont le ressort serait la grandeur de la pensée. Au nom de quoi il attaque presque toute l'Académie... L'Art poétique (1674), suivi d'une traduction du traité Du sublime, alors attribué à Longin, apparaît moins, a posteriori, comme le manifeste d'une doctrine que comme l'expression d'un goût personnel. Mais les enjeux n'en sont pas moins essentiels : la définition d'un métier de l'écrivain va de pair avec l'idée d'une littérature du sens, appelée à révéler, en lui donnant forme, une vérité jusqu'alors informulée.

 

Satires (1660 - 1708)

De l'ardeur de la prime jeunesse à l'amertume du vieil âge, les satires de Boileau concentrent toute la verve d'un écrivain dont les productions outrepassent la pensée théorique. Affirmer une indépendance, tel semble le premier enjeu d'un exercice que Boileau pratique en digne émule des modèles antiques. Contre les femmes (X), c'est-à-dire la mollesse du goût moderne, contre l'équivoque (XII) — celle, morale, des jésuites ou littéraire des plumes académiques — et contre les écrivains eux-mêmes, victimes du stylet acéré d'un auteur d'une rare vivacité.




François de Salignac de La Mothe FENELON (1651 - 1715)

On a du mal aujourd'hui à mesurer ce que fut la célébrité de Fénelon, auteur du best-seller absolu — après la Bible — jusqu'en 1914 ; ce qui est pour le moins paradoxal, s'agissant d'un ouvrage rédigé à l'intention d'un seul, dont la publication n'avait pas été voulue par son auteur. On oppose traditionnellement celui-ci à Bossuet ; ecclésiastique comme lui (et comme la majorité des écrivains de son siècle), il cultive davantage les douceurs sentimentales du quiétisme que la parole tonnante du prédicateur, préfère les subtilités du monde grec à la rigueur martiale du latin, et sans fuir les honneurs, évolue plus facilement dans la sphère privée que sur la scène publique. C'est toute l'ambiguïté de la fonction qu'il occupe à partir de 1696 auprès des enfants du Grand Dauphin : nommé leur précepteur, il doit en particulier assurer l'éducation du duc de Bourgogne, héritier du trône : de là la dimension politique du Télémaque, dont la sévère critique des caprices princiers, destinée à un jeune homme difficile, déplut au roi et valut à son auteur un exil doré à l'évêché de Cambrai. Le succès immédiat de l'ouvrage faisait d'ailleurs de celui que la postérité appellerait, pour sa douceur et la finesse racée de sa plume, le cygne, une figure éminente dans le monde des lettres du dix-huitième siècle commençant. Et si éloigné qu'il nous paraisse aujourd'hui d'un Voltaire, il faut bien comprendre ce que lui doit toute la littérature des Lumières ; entre sentiment et musicalité, c'est une nouvelle façon d'écrire qui se fait jour avec Fénelon. Son souvenir anime encore bien des pages du dix-neuvième siècle, dont les plus grands auteurs (Balzac, Nerval, Baudelaire, et jusqu'au Zola de La Faute de l'abbé Mouret) ont en tête l'immense réserve d'images du Télémaque, devenu mémoire de toute arcadie.

 

Télémaque (1699)

ou comment, parti à la recherche de son père, le fils d'Ulysse parcourt la terre et les Enfers, accompagné de son précepteur Mentor, qui s'avère être Minerve : de véritables aventures dessinent l'itinéraire d'une formation, à travers divers royaumes. Destiné à un prince, cet ouvrage fonde une pédagogie du romanesque, où l'intérêt du pupille, soutenu par les nombreuses péripéties (naufrages, batailles) est amené à se fixer sur une typologie politique axée sur la question centrale de l'ambition. Le style, les couleurs antiques (le roman est un développement du livre IV de l'Odyssée) dessinent au contraire à travers la poétique une autre idée de la grandeur, majestueuse sans ostentation, à la fois ordonnée (rhétorique) et naturelle, loin de la pompe toute versaillaise d'un Bossuet. Le modèle social de Salente est déjà passéiste à l'époque, mais les harmonies nouvelles de la prose du prélat et ses nombreuses images connaîtront une fortune éclatante, dont la trace est encore sensible chez les modernes, à commencer par le premier : Baudelaire.





Charles PERRAULT (1628 - 1703)

L'écrivain que nous connaissons est déjà un vieil homme. Du jeune Perrault, on sait qu'à l'ombre de son frère Claude (théoricien de l'architecture), il s'essaie au burlesque, avant de devenir pour Colbert une sorte de ministre de la Culture. Dès lors, sa tâche sera claire, et l'on peut considérer que l'essentiel de son activité d'auteur sera consacré à la défense, voire à l'apologie de la littérature de son temps. Le Poème sur le siècle de Louis le Grand entame une campagne qui va se prolonger pendant plus de dix ans, jusqu'aux Contes qui constituent aussi une illustration des thèses de leur auteur. Perrault défend la grandeur des modernes, s'opposant à Boileau pour définir un modèle esthétique hors de l'Antiquité. Théoricien et critique, il infléchit dans le sens d'une modernité bien comprise les arguments des chantres d'une littérature nationale : feignant de voir dans les partisans des Anciens des défenseurs de la plus plate imitation, il prône l'invention, défend la légitimité du particulier contre la toute-puissance de l'universel. Aux ouvrages critiques, il joint une inlassable activité dans le monde des lettres : secrétaire de l'Académie, il dispose des deniers de l'Etat, distribue les distinctions pour encourager une production littéraire autochtone dont Colbert a bien compris qu'elle ferait la gloire du régime — l'ironie de l'histoire étant que ceux de ses contemporains qui nous semblent aujourd'hui justifier les thèses de Perrault sont presque tous partisans des Anciens.

 

Contes (1694 et 1697)

Initialement constitués en deux recueils (le premier en vers, le second en prose), ces Contes, dits quelquefois de ma mère l'Oye (titre du second recueil) puisent dans une réalité française et merveilleuse et dans le savoir populaire la matière d'une interrogation constante sur les structures de cette petite société qu'est la famille. L'inspiration en est diverse, du folklore aux œuvres de Boccace. Les contes sont aussi une mode de cette fin du dix-septième siècle, mode dont Perrault semble avoir apporté la preuve qu'elle pouvait donner naissance à des chefs d'œuvre durables.



Blaise PASCAL (1623 - 1662)

A en croire la biographie rédigée par sa sœur Giberte, la vie de Pascal serait bien proche de celle d'un saint. En fait, c'est davantage à la notion pourtant si vague de génie que l'on serait tenté de se référer pour qualifier cet esprit universel. Chacun connaît l'anecdote des propositions d'Euclide retrouvées ; l'Essai sur les coniques (1640), les travaux sur le vide, la machine arithmétique (1645) nous laissent deviner un précoce homme de science, qui rencontre Descartes et correspond avec Fermat. Profondément religieux, il trouve dans le jansénisme une exigence et une logique qui vont au rebours du catholicisme libéral et casuistique de son temps. Après l'expérience mystique relatée par le Mémorial de 1654, il se retire du monde. Il fréquente Port-Royal, s'engage bientôt dans la bataille contre les Jésuites en publiant Les Provinciales, qui ont un succès considérable et sont mises à l'Index. De cette expérience du combat littéraire naît une réflexion sur les forces de la rhétorique (De l'esprit géométrique et de l'art de persuader, 1657). Après Les Provinciales, Pascal songe à entreprendre une Apologie de la religion chrétienne qu'il ne pourra achever mais dont les fragments, réunis après sa mort et publiés par ses amis de Port-Royal, deviendront les Pensées. Commence alors une vie posthume qui verra l'écrivain effacé par les figures diverses que lui donneront les siècles suivant : cruel inventeur de langue pour Voltaire, sceptique bouleversé au dix-neuvième siècle, jusqu'à ce que le vingtième siècle nous redonne connaissance de ce converti passionné, créateur paradoxal d'une rhétorique du naturel où l'amour du vrai est soutenu par les forces trompeuses du langage.

 

Pensées (1669 — rédigées entre 1657 et 1662)

Ebranler l'incroyant, l'amener à " écouter Dieu ", c'est-à-dire à la lecture des textes sacrés : tel est le projet de l'Apologie tel que Pascal a pu l'exposer devant ses amis de Port-Royal. L'apologétique de l'époque part de Dieu pour arriver à l'homme ; Pascal part de l'homme, s'étend longtemps sur la misère d'une condition qu'un reste de grandeur ne laisse pas sans issue. Toute l'entreprise amène à faire désirer la grâce, par la peinture violente de l'homme sans Dieu. Misère des comportements humains menés par la concupiscence, c'est-à-dire tournés vers la créature et non plus le créateur : de là une fuite sans fin et sans signification. Misère de la connaissance, où le sceptique est balancé à son corps défendant entre les opinions les plus opposées, perdant son assiette jusqu'à ressentir comme en un vertige le besoin d'une vérité stable. L'apologiste exacerbe les contradictions de la condition humaine, montre à quel point elles sont invivables, laisse des questions sans réponse, avant de mettre son lecteur au pied du mur : il faut choisir. Commence alors, après l'argument du pari, l'exposé des preuves historiques, autour de la figure de la rédemption christique, qui fait pendant à celle de l'homme déchu. S'attaquant à la raison mais plus encore au cœur d'un incroyant qui serait surtout un indifférent, Pascal invente une écriture violente, intéressant le lecteur à son propre sort en usant tour à tour du style le plus haché, des périodes les plus travaillées, et au besoin en faisant entendre la voix effrayée de l'incroyant, que l'on a longtemps prise pour la sienne.




Jean RACINE (1639 - 1699)

Sa vie est traversée d'une ambition : parvenir, et d'une fidélité, à Port-Royal où il reçoit sa première éducation et où l'Abrégé de l'histoire de Port-Royal (1697) marque son retour. Entre la carrière théâtrale et la piété janséniste, contradiction ? Elle existe : homme de théâtre, Racine accède à la Cour et à ses passions ; abandonnant la scène, il renoncera à tout cela. Mais la polémique avec Nicole, en 1666, ne doit pas faire illusion : l'auteur du Traité sur la comédie attaque surtout Corneille et ses personnages ivres de leur gloire. Racine, jusque dans les sujets les plus païens, est animé d'une vision du monde profondément augustinienne. L'homme immolé par la chair ou détruit par la folie du siècle prend figure de victime sacrificielle, errante, sens perdu d'avoir trop désiré les objets fugaces de la terre. La fatalité de la passion ressemble de fort près à la vision pascalienne de l'homme damné, vivant dans la concupiscence et y trouvant sa perte. Il serait trop facile de voir en Racine un modèle de cette erreur, cultivant l'estime du roi et les succès sur la scène (Andromaque, Britannicus, Bérénice, Bajazet, Mithridate, Iphigénie) pour finalement trouver son salut dans une vie pieuse et rangée, repentante presque ; si en 1677 il renonce pour longtemps au théâtre, c'est surtout à cause du demi-échec de Phèdre, et c'est aussi parce qu'avec sa fonction d'historiographe du roi et son titre d'académicien il a enfin trouvé cette place après laquelle nous le voyons courir dès 1661. Dès lors, il ne sort presque plus du silence, donnant encore sur le tard Esther et Athalie, où se renoue plus solidement que jamais le lien entre l'écriture, débarassée du siècle, et la foi.

 

Andromaque (1667)

Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque — mais la veuve d'Hector n'aime personne, sinon son enfant. La galanterie devient ici tragique, dessinant un schéma qui se perpétuera dans les pièces à venir. La fatalité amoureuse, conjuguée aux intérêts de l'Etat, amène à la catastrophe : folie, mort. Au contraire du dépassement cornélien, le mécanisme du choix impossible débouche ici sur l'écrasement de l'être, attaché à sa passion comme à un destin. C'est une poétique qui naît, avec une intrigue déjà simplifiée, un lexique restreint ; le succès de la pièce consacra avec la victoire de Racine sur Corneille une nouvelle idée du théâtre, où le drame tout intérieur se tisse de paroles données, reprises, et ne trouve de solution que dans la mort vers laquelle il s'achemine.

 

Britannicus (1669)

Néron en " monstre naissant ", sa mère Agripppine le voyant échapper à sa tutelle, Britannicus enfin, demi-frère promis au sacrifice : une pièce romaine, aux enjeux politiques plus marqués que dans Andromaque. Mais si l'intérêt de Néron est bien de faire place nette autour de lui, seuls sa folie et surtout l'affrontement avec sa mère l'entraînent à cette cruauté encore avivée par son amour pour Junie, promise à Britannicus. Jusqu'à la catastrophe, nul héros, mais la terreur et la pitié, cependant que la mécanique tragique s'emballe, précipitant les innocents dans la mort et Néron vers lui-même.

 

Bérénice (1670)

Titus, vainqueur de la Judée, ramène à Rome la reine Bérénice. Confident de leurs amours, Antiochus aime la reine ; Titus, lui, décide de se plier à la loi romaine et de ne plus l'épouser : les conflits entre l'intérêt politique et les passions humaines se compliquent ici d'un troisième terme, l'oubli de soi pour l'autre. Chacun des personnages survit à la crise amputé d'une partie de lui-même, le sacrifice étant celui de l'amour — non pas à la façon cornélienne de l'héroïsme, mais sur le modèle pathétique de la plainte. Sans intrigue presque, d'une violence contenue, la tragédie apparaît ici sublimée en un drame sans persécution, sans monstre, glissant presque sans heurt vers une fin tristement logique. L'horreur ne réside plus dans la conclusion fatale d'un cycle de violence, mais dans la continuité et la survie.

 

Bajazet (1672)

Tragédie orientale, Bajazet se déroule dans l'espace clos du sérail de Constantinople. L'univers ottoman, même contemporain, apparaît comme le lieu de toutes les violences, exacerbées par un érotisme trouble qui annonce Phèdre. Roxane, la favorite du sultan, espère sauver le jeune frère de celui-ci, condamné, et le faire monter sur le trône. L'ingrat en aime une autre ; entre chantage et vengeance, l'action tourne vite au drame et se conclut dans la mort ou le suicide des principaux protagonistes. Comme dans Britannicus, Racine montre ici l'innocence brisée par les intrigues brutales d'une passion irrépressible, associée au pouvoir.

 

Iphigénie (1674)

Le retour de Racine à Euripide et au mythe fut un succès sur la scène. Promise au sacrifice, la fille d'Agamemnon croit épouser Achille, avant de découvrir une rivale, Eriphile, et avec elle son destin. Différents personnages s'emploient à retarder la venue d'une conclusion qui semble inévitable, jusqu'au coup de théâtre final, qui voit la mort d'Eriphile libérer Iphigénie. La sororité est en fait dédoublement, permettant l'accomplissement du fatum, d'une parole divine dont toute la pièce se révèle lecture, déchiffrement progressif : sous le masque des dieux se devine la chrétienne providence, à laquelle le poète invite à prêter l'oreille.

 

Phèdre (1677)

Inspirée d'Euripide, cette tragédie dont la création fut entachée d'un parfum de scandale fut la dernière de Racine avant un silence de treize ans. Le drame se noue autour de la passion violente et illicite de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. L'amour de celui-ci pour la jeune Aricie, la jalousie de Phèdre, le retour soudain du père, Thésée, structurent cette histoire d'amour et de mort, qui s'envenime après qu'Hippolyte a repoussé les avances de sa belle-mère ; celle-ci lance alors une calomnie qui aboutit à la mort d'Hippolyte ; désespérée, Phèdre meurt devant Thésée, en un ultime aveu. La pastorale brisée, l'écrasement du jeune couple sont d'un tragique moins dense que l'existence même de Phèdre, bourreau entraîné par une passion qui provoque sa mort.





François de LA ROCHEFOUCAULD (1613 -1680)

Homme de guerre et d'ambition, le duc bataille et complote pendant plusieurs dizaines d'années pour voir reconnaître son importance, avant de se faire, maté par Louis XIV et la cinquantaine venue, le chantre désabusé du néant de l'activité et des vanités humaines. Tout finit, tout commence par ses Mémoires, qui marquent le passage au littéraire et tentent de redessiner une Histoire qui échappe à ce grand féodal — on retrouvera chez Saint-Simon la même réappropriation du monde par l'écriture. Devenu homme de salon, il fréquente chez Madame de Sablé, Mademoiselle de Scudéry, chez la Grande Mademoiselle ; on pratique beaucoup dans ces sociétés l'art de la maxime, dont s'accommode visiblement bien le duc. Il joue bientôt les francs-tireurs et publie seul, après avoir consulté ses amis, un recueil qui fait aussitôt l'objet de contrefaçons. Ces Réflexions ou sentences et maximes morales connaissent un vif succès, dont témoignent les éditions successives. L'une des clés de cet engouement semble résider dans la brutalité nihiliste d'une peinture de l'homme qui s'oppose résolument à l'imagerie idéale des romans précieux alors en vogue. Que le moraliste, conseillé par Madame de La Fayette, adoucisse au fil des années l'arrogance amère de sa plume n'enlève rien à la violence de cette image de l'homme qui va au rebours de toute idéalisation, sans pour autant proposer au lecteur l'issue pascalienne d'une grandeur en Dieu. La lucidité de La Rochefoucauld va pourtant de pair avec un imaginaire héroïque où la valeur est absolue : mais cette valeur règne dans un passé mythique, à jamais révolu. De ce monde rêvé, vivant encore chez un Corneille, les Maximes sont le Requiem, chant de mort qui du présent fait table rase.

 

Réflexions ou sentences et maximes morales (1664 - 1665)

On s'étonnera à juste titre de la longueur de cet intitulé, prolixité inhabituelle au duc et à laquelle la postérité a préféré — à juste titre — les Maximes. Dense, serré, hautain, le style de La Rochefoucauld est à l'image d'une pensée qui ne connaît pas le relatif et travaille inlassablement à ramener l'apparence au réel, la vertu à l'amour-propre, toutes choses à l'intérêt qui les fait naître. Dans une méfiance toute moderne envers les séductions du langage, les assertions lapidaires construisent sur la ruine des illusions un monument classique.



Jean de LA BRUYERE (1645 - 1696)

Son portrait par Largillière ne laisse pas de fasciner : cet homme patelin serait la plume la plus méchante de son siècle ? Avant le triomphant succès de scandale des Caractères, La Bruyère vécut caché, en véritable moraliste : l'obscurité d'un office, puis un poste de précepteur chez les Condé lui laissent toute lattitude d'observer les différents mondes, sans être connu que de ses proches. Cette liberté se paye d'une sensible amertume, d'une aigreur qui le rapproche par delà les conditions, de celle, hautaine, d'un La Rochefoucauld. A l'instar de ces entomologistes qu'il moquera, il prend des notes, classifie, épingle, au jour le jour. Collectionneur malgré lui, il dresse un catalogue des tares, un panorama des vices et des ridicules, qui sous la référence à Théophraste est un portrait fidèle de la société de son temps. Saisissant les attitudes, figeant les poses, La Bruyère invoque l'universalité, cependant que ses lecteurs tentent avec succès de repérer dans ses portraits moraux de bien vivantes personnes : dès la parution de son livre, des listes de clés circulent manuscrites, qui seront publiées après sa mort. Aussi l'obscur précepteur, projeté subitement sur la scène publique, se fait-il des ennemis. Mais les éditions successives, qui s'accroissent sans cesse de nouveaux caractères, l'imposent définitivement comme un écrivain, seul à pratiquer un genre qu'il a presque inventé. Il entre donc en 1693 à l'Académie, où son discours de réception est remarqué. Mort en pleine gloire trois ans plus tard, il met ainsi la touche finale à ce portrait dont tous les autres ne sont que le reflet, multiplié comme en un prisme : le sien.

 

Les Caractères (1688 pour la première édition)

Inspirés des trente Caractères de Théophraste, dont ils sont donnés pour la suite, ces morceaux de prose éparpillés constituent un modèle de l'écriture moraliste, usant d'un style varié, haché, tranchant comme les maximes qui l'animent. Sous les noms grecs, rattachant l'ouvrage à quelque intemporalité, se cache une peinture très précise de la société de son temps. De sorte que l'ouvrage louvoie entre le singulier (tel ou tel collectionneur) et l'universel (" De l'homme "). Explosant dans la charge finale contre les esprits forts, un pessimisme proche de celui de Pascal domine l'œuvre. Fondamentalement conservateur, La Bruyère invente pourtant une manière de voir, très concrète, isolant les tics et la théâtralité physique de chacun : le dix-huitième siècle s'en souviendra, lisant et récrivant sans relâche ce moderne qui s'ignore.




Jean de LA FONTAINE (1621 - 1695)

" Volage en vers comme en amours ", La Fontaine ? Aérien, certes, mais sous l'apparente diversité de l'œuvre et les papillonements de la vie, on découvre d'insoupçonnées fidélités. A Fouquet d'abord, qu'au contraire de nombre de ses contemporains il n'abandonne pas lorsque Louis XIV s'avise de prendre ombrage des fastes de Vaux. A une perfection de l'écriture, ensuite, que ne démentent ni les contes érotiques, ni les œuvres de circonstance. Il se rencontre en cela avec le classicisme, qu'il représentera durablement dans les écoles. Quelle cruauté pourtant dans ses Fables aux antipodes de toute mièvrerie, où le monde animal est placé sous le signe de la force, de la prédation ! La morale dans laquelle la fable affirme sa légitimité est quelquefois digne des plus belles pages de Machiavel. La nature, qu'il célèbre ailleurs à la façon d'Epicure, est chez La Fontaine carnivore ; aussi la pastorale et l'idylle de ses premiers essais se voient-elles supplantées par ce genre jusqu'alors dédaigné, qui dans une forme antique réintroduit des images de la littérature populaire du Moyen-Age. Si, fidèle aux habitudes littéraires de son temps, il imite et traduit (Esope, Phèdre, Ovide), le fabuliste se fait inventeur et virtuose, en nourrissant son art de réminiscences. La souplesse et l'ingéniosité du vers et de la strophe permettent une expressivité maximum, la poésie se voyant dotée des possibilités de la prose. Son art du récit laisse rêveur, mais c'est dans l'animalisation totémique des caractères que La Fontaine trouve sa place dans la mémoire collective. Aussi ses formules et clausules sont-elles devenues proverbes, revenant à la sagesse populaire par le détour inattendu de la plus haute littérature.

 

Fables (1668, 1671, 1678 et 1694)

Instruire et divertir sont l'objectif des six premiers livres, dédiés au Grand Dauphin ; les suivants promettent " un air et un tour nouveau ". Entre les traductions en vers d'Esope et une personnalité qui s'affirme au fil des éditions, La Fontaine développe et dramatise l'antique apologue tout en l'enrichissant de traditions plus modernes : littératures médiévale, indienne (Pilpay), renaissante (les emblèmes). Aussi invente-t-il peu de sujets, mais déploie son génie dans l'art de l'anecdote, la théâtralisation, la liberté du ton, faisant de la fable un condensé de tous les genres.

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Quelques écrivains du XVIe siècle

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Jean de SPONDE (1557 - 1595)

Oublié pendant plusieurs siècles, Jean de Sponde a aujourd'hui retrouvé sa véritable place dans l'histoire littéraire française. On se plaît à l'opposer à d'Aubigné, protestant pur et dur à jamais irréconcilié ; protégé par Henri IV, Sponde quant à lui abandonne le calvinisme pour le catholicisme, deux ans avant une mort précoce. D'abord connu comme polémiste religieux, c'est avant tout un homme de savoir. Traducteur d'Aristote, Homère et Hésiode, il touche aussi à la physique, à l'astronomie, et à l'alchimie. A l'instar d'un Du Bartas, et comme beaucoup de poètes de sa génération, il trouve dans la science une ressource, usant d'images ingénieuses et de comparaisons quelquefois fort abstraites. Le monde physique n'est cependant pas l'objet d'une poétique tout entière tournée vers l'intériorité, des chansons recueillies dans les Amours (post., 1604) aux pièces religieuses dont les plus célèbres sont les Stances et sonnets sur la mort. Erotique ou métaphysique, l'introspection méditative donne au poème une forme singulière : une langue presque orale quelquefois s'anime d'un lyrisme grave, dont l'audacieuse versification n'enlève rien à la gravité et, même si le terme prête à sourire, à la sincérité des sentiments exprimés. Raffinée mais évitant tout maniérisme gratuit, la poésie de Sponde participe de cette " inconstance noire " (J. Rousset) qui est la face triste du baroque : nostalgie des certitudes, ambivalence des sentiments devant l'universelle métamorphose — dont le passage de vie à mort n'est que le plus inquiétant avatar. Entre vanité des choses humaines et incertitudes métaphysiques, une angoisse s'exprime que la religion ne saurait tout entière apaiser.


Stances et sonnets sur la mort (1597)

Nourrie d'images bibliques, la poésie religieuse de Sponde trouve sa forme dans deux traditions : la stanza, strophe autonome d'origine italienne, et le sonnet français. Le motif omniprésent de l'obscurité réfère autant ici à un état d'ignorance qu'au choix d'une cécité : dans un univers où toute vision est trompeuse, où entre masque et fumée règne l'inconstance, le poète tente d'abolir le spectacle du monde pour retrouver en lui la lumière divine. Image fuyante par excellence, la mort fait naître l'angoisse et suscite une poétique du heurt, de l'interrogation, où le travail sur l'image répond à la difficulté à trouver une certitude. Ainsi se noue un lien inédit entre violence et complexité, raffinement et sincérité.



Louise LABE (v. 1523 - 1566)

Vingt-quatre Sonnets, trois Elégies et un Débat de Folie et d'Amour ont suffi à la gloire de Louise Labé, en son temps épouse du marchand cordier Ennemond Perrin. Elle fut célèbre cependant (La deuxième élégie le suggère), tint salon et attira la fine fleur des lettres lyonnaises. L'époque n'incite pas les femmes à la publication, mais l'éloge de Scève montre que Louise Labé s'impose comme une figure dans cette capitale littéraire qu'est le Lyon renaissant. Marquée comme sa ville et son époque par l'influence italienne et le souvenir de Pétrarque, elle aime d'un amour malheureux le poète Olivier de Magny : l'essentiel de son œuvre se tisse sur la déploration passionnée, vibrante, et charnelle de l'amante qui plus que tout redoute l'absence — une absence dont se nourrit sa poésie. Les thèmes italiens (la souffrance inéluctable, l'inégalité amoureuse, le désordre des sens et de l'esprit) sont mis en valeur par l'hyperbole, la répétition, l'antithèse ; c'est une poésie violente que celle de Louise Labé, empruntant davantage ses inflexions à la musique qu'au modèle plastique, dominant à l'époque ; en cela elle trouve écho chez les modernes, qui goûtent en outre l'authentique douleur, mise en forme avec une habile simplicité.


Sonnets (1555)

D'inspiration explicitement pétrarquiste (le premier poème du recueil est écrit en italien), les Sonnets de Louise Labé se démarquent des prémices du genre, importé en France par Marot. Aux jeux sur le langage et aux préciosités galantes se substitue l'expression plus dépouillée, usant de figures moins variées, de la passion. Certes, le thème amoureux est vers 1550 très nettement dominant dans les sonnets (à l'exception des Regrets de Du Bellay), mais Louise Labé explore un espace singulier, oubliant le discours et la pointe pour moduler des accents personnels, authentiques, passionnés, proches du chant, voire du cri.



Elégies (1555)

Le modèle classique de la plainte s'enrichit ici d'une résonance autobiographique ; au delà de l'anecdote, c'est un portrait de l'artiste (elle évoque sa gloire montante) qui nous est donné à lire. La poétesse se pare d'attributs masculins, cependant que l'amant est toujours suspect de froideur ; cette inversion des rôles classiques, que reprendra Guilleragues dans les Lettres portugaises, revivifie un genre hérité de l'antiquité.




Pierre de RONSARD (1524 - 1585)

Ronsard, c'est d'abord la Pléiade : l'amitié avec Baïf, Du Bellay, une vision divine de l'inspiration, l'affirmation d'une manière qui peut être art de l'imitation, l'idée bien arrêtée enfin sous la défense de la langue française et l'amour du mot rare de réinvestir la mythologie païenne. Qu'on le perçoive comme le chef de cette école n'est pas sans rapport avec le caractère prolifique de son talent : pris dans le même jeu courtisan que Marot, Ronsard apparaît comme un poète multiplié, occupant sans relâche des lieux lyriques qu'il contribue à élargir, à explorer en tous sens. Des Amours de 1552 au naufrage de La Franciade, cette grande épopée dont rêvera encore un Voltaire, il cultive en ses Bocages toutes les formes de la poésie, refondant ses recueils, récrivant, corrigeant, amendant des pièces à la diversité et à l'abondance surprenantes. S'il recherche d'abord le suffrage de la Cour — il y connaîtra le succès avant d'être éclipsé par la gloire montante de Desportes —, sa poésie très vite devient parole publique, avec les Discours ou certaines Odes. Il conçoit le poète comme un intermédiaire entre Dieu et les hommes ; inspiré et donc autorisé à la parole, il tente d'aider à l'ordre du monde. Entre les prises de position religieuses et les célébrations presque païennes de la Nature, une même veine parcourt une œuvre souvent didactique — mais au détour d'une page, l'églogue devient bergerie, la bergerie mascarade. De cette immense production, la postérité retient surtout la poésie amoureuse, des Amours de ses débuts aux Sonnets pour Hélène composés sur le tard et restant comme le dernier mot d'un art poétique ouvert, aussi singulier que divers.


Odes (1550 — sans cesse reprises et augmentées)

Ce livre fut un événement ; Ronsard y défend comme en un manifeste la nécessité d'une poésie élevée, ambitieuse, contre la pratique poétique de son temps, qui voyait la forme — généralement courte — l'emporter sur le sens. L'inspiration ou fureur donne au contraire au poète une mission : conduire, éclairer — c'est toute une conception de l'homme de lettres qui commence ici à s'inventer. Les odes de Ronsard sont avant tout célébration, d'un moment amoureux, d'un paysage, d'un prince, dont la beauté s'enrichit par le jeu des références (allusions, omniprésence de la mythologie antique, souvenirs d'Horace et de Pindare).



Le Second livre des Amours (1552, édition augmentée en 1555 et 1556)

Rêvées, ces amours pour Cassandre sont d'inspiration pétrarquiste, maintenant la belle dans un absolu inaccessible qui comble et désespère le poète — lequel n'est cependant pas sans célébrer la chair, voire en jouir. Plus que dans les Odes, la complexité linguistique et le jeu des références (identité troyenne de Cassandre) rendent difficile la lecture du recueil. Les deux Continuations sont en revanche plus familières — le passage du décasyllabe à l'alexandrin permet la coïncidence du vers et de la phrase, tandis que la variété amoureuse est encouragée : Ronsard gagne en autonomie face au modèle pétrarquiste, développant un style et une vision plus personnels.



Sonnets pour Hélène (1578)

Publiés à la suite des Amours, dans l'une de ces multiples éditions remaniées qui sont une spécialité de Ronsard. Hélène de Surgères en est la figure centrale, Hélène qui comme Cassandre est française et troyenne. Cette œuvre tardive semble un retour au pétrarquisme (absolu de la femme, véritable guide de l'âme), mais se développe aussi sur l'argumentation du poète désireux de voir la belle s'adoucir ; c'est là porte ouverte à un réalisme un peu grinçant, refusant la duperie ; le recueil se construit sur ces variations, en une langue très pure, presque classique déjà.




Joachim DU BELLAY (1522 - 1560)

Si toujours on l'associe à Ronsard pour figurer la poésie renaissante, Du Bellay ne connut pas le succès courtisan d'un ami dont la Défense et illustration de la langue française conteste les choix poétiques. S'accommodant moins facilement de cette rencontre culturelle avec l'Antiquité qu'est la Renaissance, il partage sa courte carrière entre la France et une Italie rêvée, vécue, décevante. Comme presque tous ses contemporains, c'est du latin qu'il part en son petit Liré ; la lecture des Italiens, puis sa vigoureuse apologie du français littéraire ne peuvent effacer la fascination pour la langue mère : sa traduction d'une partie de l'Enéide témoigne d'une position ambiguë, entre le goût humaniste des sources et une poétique innovante. Le voyage à Rome, qu'il entreprend en 1554 avec son oncle le cardinal Jean Du Bellay, lui permet de mesurer la distance qui sépare le rêve antique et la trivialité moderne. Aussi, les Regrets et les Antiquités de Rome sont-ils les livres d'un deuil — mais la volupté des Poemata s'écrit encore en latin... De même en sa poésie du Bellay joue-t-il de l'imitation (Horace, Virgile, Ovide) tout en récusant les jeux de la mythologie ; de même il remodèle le néoplatonisme en lui adjoignant une théorie des humeurs. Inscrite en faux dans la culture, son écriture est en perpétuelle tension avec des référents qu'elle reconstruit selon un ordre bouleversé : ainsi du sonnet, que seul ou presque à son époque il détourne de la thématique amoureuse. Marquée par une essentielle hétérogénéité, son œuvre va des pièces courtisanes à la dénonciation des vanités, du pétrarquisme (Olive) à sa critique, trouvant son étrange et vivante unité dans la difficulté à rencontrer une stabilité poétique, à se fixer sur un modèle durable.


Les Regrets (1558)

En ce recueil ne règne pas le style élevé des Antiquités, mais une variété qui est celle même d'une ville où grandeur passée et trivialité présente, puissance et ridicules se mêlent. Dans ces contradictions du Bellay malgré lui se retrouve : du déplaisir de cette ville naît une rencontre avec lui-même, c'est-à-dire avec son style. La voie poétique nouvelle qu'initie le recueil est celle du mélange, du contraste, de la mobilité vivante des choses vues. L'écriture louvoie entre satire et élégie ; la nostalgie d'une France idéalisée donne au regard sa force, mais la dernière partie, qui évoque le retour, achève le cycle en faisant porter la désillusion et l'amertume sur ce qui était exalté au début du recueil. Le poème ainsi confondu avec l'instant vivant donne à sentir le tremblement du temps.





Clément MAROT (1496 - 1544)

Fils de Jehan Marot, il conserve de la grande rhétorique un goût marqué pour les jeux de langage, attachant une grande importance à la forme. Travail que la poésie pour lui, au contraire d'un Ronsard qui la voudra d'inspiration divine ; mais Marot, à la différence de ses aînés, polit son art pour en effacer toute trace de labeur, donnant davantage l'image d'une — fausse — facilité. Travail d'autre part car pour vivre il doit quémander quelques subsides aux puissants, s'attacher à leur personne, faire sa cour enfin (Petite épître au roi). Il demande aussi leur soutien quand la justice le serre de trop près : proche du courant évangéliste (il traduit les Psaumes en sa vieillesse et en son jeune âge mange du lard en Carême), il connaît la prison (L'Enfer est une féroce satire de la justice française) et devra pour finir s'exiler. La virtuosité et l'ingéniosité dont il fait preuve, et qui doivent assurer le succès de ses requêtes, sont en effet le secret d'une grande liberté de ton, qui se déploie généralement sur le mode badin, mais peut se révéler dangereuse pour le poète. Les demandes d'aide des Epîtres sont quelquefois la conséquence de l'audace de telle épigramme dont la cible a quelque rapport avec l'ordre établi. Elles dessinent ainsi, au fil des explications, un semblant de biographie de Marot : ce sont pièces de circonstance, comme l'ensemble de sa production (réunie aujourd'hui dans L'Adolescence clémentine), qui nous donnent à connaître une figure attachante, entre le rire heureux et les heures noires de la Renaissance.


L'Adolescence clémentine (1532 ; une Suite paraît en 1534).

Ce recueil des pièces de jeunesse de Marot, le seul qu'il donna avant les éditions de ses Œuvres en1538 et 1544, est fort composite : des grands poèmes allégoriques des débuts aux Epigrammes, en passant par les Epîtres, Rondeaux et Ballades, auxquels les éditions modernes joignent les traductions des Psaumes, c'est Marot dans toute sa variété et surtout dans toute sa portée. Proche encore du Roman de la Rose dans Le Temple de Cupidon, on le voit à partir de L'Enfer dépasser les allégories pour jouer plus légèrement de l'équivoque, montrant une aisance quelquefois vertigineuse dans une langue toute de fluidité. Les pointes se multiplient, le regard s'aiguise, la mise en scène de soi et de l'autre gagne en finesse et en ironie. Quelques pièces sérieuses émaillent un ensemble plutôt jovial, voire satirique (Epitaphes, Epigrammes).





Michel de MONTAIGNE (1533 - 1592)

Pendant quelque trente ans, l'écriture des Essais se confond avec sa vie. Une éducation classique, nourrie d'humanités, puis l'entrée au parlement de Bordeaux : il y rencontre Etienne de la Boétie, dont la mort motivera en partie la rédaction de ce tombeau que sont initialement les Essais. A trente-sept ans, en 1570-71, il vend sa charge et se retire en son domaine pour trouver le calme et laisser à son esprit le loisir de " s'entretenir soy-mesme ". Conservant cependant une vie publique (il sera élu maire de Bordeaux à deux reprises dans les années quatre-vingts), voyageant à l'occasion, il s'aperçoit que la retraite nourrit les " chimères " et que la conversation avec soi-même est un bien autre souci que la conduite des affaires. Il se lance alors vraiment dans l'aventure des Essais, qui tentent de fixer le dialogue ininterrompu d'un honnête homme avec le monde, les anciens, lui-même enfin. Edition après édition, les livres s'enrichissent, se nourrissent de commentaires, de réactions, d'additions quelquefois contradictoires qui nous restituent dans tout son relief une figure d'homme libre, à mi-chemin entre l'universalité de l'humaine condition et une personnalité inoubliable, dont le tour d'esprit, le style, l'originalité du livre rappellent sans cesse la présence. Nourris d'une vie qu'ils absorbent à mesure qu'elle se rapproche de son terme, les Essais ne trouveront leur forme définitive que dans l'édition posthume de 1595, à l'orée d'un siècle qui méditera les interrogations et les doutes de Montaigne.


Essais (1580, 1595 pour l'édition définitive)

A la variété du monde répond celle du texte, couvrant " à sauts et à gambades " tous sujets, mobile dans son écriture comme dans sa pensée, corollaire inévitable enfin d'une fondamentale incertitude dont l'Apologie de Raymond Sebond (II, 12) développe avec force les grandes lignes. L'instabilité du jugement humain conduit au scepticisme, nuancé dans les derniers ajouts par l'aveu d'une confiance dans les " leçons " de la nature. De quoi s'agit-il ? De tirer un enseignement, aussi divers soit-il, du dialogue avec les anciens ; d'élaborer une morale, toute de prudence et de maîtrise ; et, faute de point d'appui sûr dans les sciences, d'être soi-même la matière de son livre, c'est-à-dire de se prendre comme objet d'étude, tirant leçon de l'expérience du monde et explorant sans relâche un problématique être intérieur. C'est une forme d'écriture de soi qu'invente Montaigne ; non point encore autobiographique au sens moderne, mais cherchant toujours son miroir dans l'universel, conversant sans relâche, entre la vanité bien comprise de toute quête de la sagesse et une perpétuelle recherche.





MARGUERITE DE NAVARRE (1492 - 1549)

La sœur de François Ier occupe une place singulière dans la littérature française du seizième siècle. Protectrice des arts, elle se révèlera peu à peu comme un auteur accompli, même si l'Heptaméron n'est publié qu'après sa mort. En un siècle où la grande question est religieuse, c'est en héritière de l'évangélisme érasmien qu'elle pose les premiers jalons de son itinéraire intellectuel. Avec Briçonnet et Lefèvre d'Etaples, au début des années 1520, elle forme le cercle de Meaux, où se discutent les formes d'une religion intériorisée, vivifiée par la pratique des textes. Si le groupe disparaît rapidement, pris dans la tourmente des conflits religieux, son influence se fera sentir jusque tard dans le siècle. Quant à celle qui deviendra la grand'mère de Henri IV, elle n'abandonnera pas ses principes, donnant secours à Marot et quelques autres quand l'occasion s'en présentera, appuyant également avec succès les idées nouvelles auprès de son frère, jusqu'à l'affaire des Placards (1534). C'est qu'elle possède une réelle influence, participant par exemple aux négociations qui suivent la défaite de Pavie, en 1525. Parallèlement à cette activité politique, elle entreprend une œuvre poétique d'abord marquée par la réflexion spirituelle et inspirée de formes italiennes (Miroir de l'âme pécheresse, 1531, Dialogue en forme de vision nocturne, 1533). Méditations habilement versifiées, ses poésies reprennent les images classiques de la mystique, pour tenter de séparer l'esprit, voué à la pureté, d'une chair perdue d'avance. Et si l'Heptaméron, rédigé pendant les dernières années de sa vie, semble emprunter une voie profane et charnelle, la dialectique du péché et de la grâce s'y joue sensiblement dans les mêmes termes. Ainsi Marguerite bâtit-elle une œuvre, au sens fort du terme, jouant tour à tour des joies sereines de l'intimité et des plaisirs de la conversation pour explorer, par le verbe, une question vitale.


Heptaméron (1558)

Sous le signe de deux références essentielles : la vérité et le Décaméron de Boccace, dont Marguerite a encouragé la retraduction, l'Heptaméron réunit soixante-douze nouvelles, unifiées par un cadre narratif dont l'unité est la journée. L'importance des conversations entre devisants, qui commentent et discutent le sens de chaque récit, permet de mettre en évidence les enjeux (nouveaux) des nouvelles, et les liens qui les unissent : retournements, parallélisme, exception dynamisent le recueil, cependant que les ressorts dramatiques internes, encore largement stéréotypés mais développant déjà quelques situations romanesques et sentimentales, tournent essentiellement autour de l'amour. Entre platonisme et gaudriole, il s'agit d'en explorer les modalités, de découvrir d'éventuelles justifications à un péché auquel nul n'échappe — et que compliquent les rapports de force qui brouillent les relations entre hommes et femmes.





François RABELAIS (1484 ? - 1553)

Du terroir tourangeau aux voyages romains, la vie de Rabelais se partage entre la littérature et la médecine, l'apostolat et l'apostasie, de même que son œuvre sera marquée par une fondamentale indécision, une ambiguïté ruinant d'avance maint discours de vérité tentant de se l'approprier. La légende d'un Rabelais athée amateur de fantastiques ripailles naît de cette mésinterprétation de l'œuvre, pourtant plus accessible que sa vie. De sensibilité évangéliste, il est hostile à toute superstition, mais pas irréligieux : ses romans (Gargantua surtout) nous le montrent prenant position contre les prétentions ultramontaines, se moquant des miracles, des moines ; Pantagruel cependant sera à côté du bon vivant une âme élevée, manifestant des sentiments que l'on peut appeler chrétiens. Il faut également rappeler la dimension humaniste de celui qui se fait l'éditeur d'Hippocrate et de Manardi. Le Tiers Livre en particulier met en œuvre une culture dont on n'a plus idée, une connaissance intime de l'Antiquité qui ne prend pas la forme allusive chère à la Pléiade, mais se diffuse de façon beaucoup plus discrète (ou au contraire comiquement pédante) dans un texte volontairement archaïsant, paradoxalement truffé de néologismes qui composent un lexique incomparable : plus de vingt-cinq mille mots, dont la moitié lui appartiennent en propre. La forme du banquet qu'adoptent les quatre romans privilégie une oralité où se rencontrent la culture populaire du carnaval et les références grecques ou latines. L'épopée fantaisiste devient ainsi au cœur de cette multivocité du monde quête du sens (Pantagruel, Tiers et Quart livres), d'un sens qui bien sûr se dérobera jusqu'au bout : le Cinquième livre, en partie apocryphe, ne nous en dit pas plus dans l'oracle de la Dive Bouteille (" Trinch ") que la logorrhée des personnages, enfilant bêtises et vérités, n'a pu atteindre de certitude.


Pantagruel (1532)

Publié sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier, ce premier roman est dans la chronologie gigantale le second, celui du fils. Doté d'une généalogie phénoménale et fantaisiste qui l'apparente au Christ, Pantagruel fait le tour des universités françaises, accompagné de son précepteur Epistémon, afin de devenir, conformément au programme humaniste tracé par son père, un " abîme de science " ; il rencontre Panurge, champion du verbe, qui use des signes en virtuose et occupe bientôt le premier plan en racontant son histoire. Suivent quelques aventures universitaires, judiciaires, et plusieurs disputations — mais la guerre contre les Dipsodes coupe court à ces plaisirs, et entraîne le roman sur la voie de l'épopée comique, où Pantagruel brille par sa force et ses vertus, cependant qu'Epistémon tué puis ressuscité raconte les Enfers.



Gargantua (1534)

... ou déjà la perte du sens, celui des Fandreluches antidotées ou des propos avinés de Janotus de Bragmardo. Les exploits gigantesques et facétieux de Gargantua, enfant héroïque et inventeur précoce d'un torchecul, plongent d'emblée le lecteur dans un comique contrebalancé par des signes de sérieux, tels les discours d'Eudémon ou ce blason de l'androgyne qui désigne le géant comme un être parfait. L'éducation de Gargantua occupe le début du roman, suivie de sa mise en pratique dans la comique guerre Pichrocoline, où s'illustre Frère Jean des Entommeures, cependant que Grandgousier, père du héros, apparaît comme un modèle royal. Le roman se clôt avec la fondation de l'abbaye de Thélème, conclusion logique des satires antireligieuses (éducation, pélerins mangés en salade) et dont la devise est " Fay ce que vouldras ".
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Quelques écrivains du moyen age

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La Farce de maître Pathelin (v. 1464)

— ou comment le marchand Guillaume fut grugé par l'habile Pathelin, lequel n'hésite pas à feindre la folie, à entreprendre un délire polyglotte, apparaissant au malheureux marchand comme le diable en personne. Suit un procès où l'avocat défend Thibaud l'agnelet, berger, contre le même Guillaume — qui s'entend répondre cette fois-ci par des bêlements. Mais tel est pris qui croyait prendre : quand Pathelin parle honoraires, le berger continue de bêler. Cette œuvre de longue haleine (plus de 1500 vers) est déjà plus que la farce qu'elle avoue être ; une comédie, aux caractères élaborés et aux rebondissements nombreux. Tromperie universelle et jeu sur la parole ; c'est un monde de faux-semblants qui se dévoile sur scène, où chaque chose a son envers, chaque succès son revers, où le langage même n'est plus chose stable — et telle est la morale de la postérité, qui retient le " Revenons à nos moutons " du procès, formule quasi proverbiale et presque fixée, pour oublier l'absurdité triomphante de l'onomatopée finale : " Bêêê ".



La Chanson de Roland (vers 1100)

L'une des plus anciennes chansons de geste ; elle constitua un modèle, ce qui ne signifie pas qu'elle soit issue du néant. Certes, à la différence du Tristan, elle semble n'avoir eu à l'origine qu'un seul auteur (le Turoldus du dernier vers ?), mais elle s'inscrit dans une tradition d'historiographie de propagande héritée des Romains et des Francs. La scène est en Espagne, et voit l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne attaquée par les Infidèles — des traîtres, bien évidemment, tout comme ce Ganelon qui devait conclure la paix avec eux ! Le comte Roland est tué ; appelé par le vaillant paladin juste avant son trépas, l'empereur revient et extermine de nombreux païens, remportant ainsi une victoire totale. Transmise par les trouvères, la Chanson, sur fond de vérité historique, exalte des valeurs et des fonctions propres au monde des cours (la prouesse), mais touche aussi un public plus large dont il s'agit en ces temps de croisade de renforcer la haine du monde musulman. Le roman arthurien tentera d'unir à la prouesse la délicatesse courtoise ; les chansons de geste sont d'une matière plus rude : la geste est action, célébrée dans un récit chanté. C'est une forme d'épopée : Dieu aide les siens, valeurs héroïques et triomphe de la chrétienté sont indissociables — même s'il faut en passer par l'échec. L'univers occidental connaît cependant aussi la traîtrise (Ganelon), mais rien ne met véritablement en doute la sagesse (incarnée par Olivier et Charlemagne) et surtout le droit des héros francs.

 

Le Roman de Renart (v. 1200)

Renart le goupil est une bête de langage, usant de ses artifices comme d'autant de moyens de tourner la loi, de tourner en dérision les autres animaux, et de faire tourner en bourique le maître de son univers, Noble le lion. Une vingtaine d'auteurs pour vingt-six épisodes, où le sire de Maupertuis est tantôt loué, tantôt blâmé des bons tours qu'il joue à ses victimes — au premier chef ce pauvre Ysengrin. Le roman est ici jeu culturel, parodie des pratiques officielles et de leur lettre : la chanson (croisade), les romans courtois, la littérature judiciaire ; ironie du verbe et satire souvent violente font de cet univers animal une représentation corrosive de la société de Moyen-Age, une mise en question qui va plus loin qu'on ne l'a vu par la suite, en en faisant un classique de la littérature enfantine.


MARIE DE FRANCE (deuxième moitié du XIIème siècle)

Marie ai num, si sui de France. On ne saura rien de plus. Originaire de ce qu'on appelle aujourd'hui l'Ile de France, Marie écrit en anglo-normand, et semble être liée à la cour d'Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt, à qui elle dédie sa première œuvre connue, les Lais. L'Angleterre de l'époque, tout spécialement dans sa partie continentale, apparaît comme un espace littéraire extrêmement riche. La lyrique des troubadours s'y épanouit, on y compose les premiers romans antiques, tandis que l'histoire mythique de la dynastie donne son cadre à ce qu'on appellera la matière de Bretagne. Au cœur de ce carrefour culturel, Marie hérite de traditions diverses, qui ne se fondront jamais entièrement, donnant naissance à des œuvres d'inspiration et d'écriture différentes. Des jongleurs bretons, elle reprend les sujets et une thématique lyrique jouant sur le merveilleux : les Lais narrent l'amour et ses drames. Composant quelques années plus tard l'Isopet (vers 1180), recueil de fables tirées d'Esope, la poétesse s'inscrit dans une tradition culturellement moins audacieuse, faisant moins œuvre d'invention que de translation (c'est d'ailleurs d'une traduction qu'il s'agit — non du latin mais de l'anglais...). Avec sa dernière œuvre connue, L'Espurgatoire saint Patrice (vers 1190), Marie explore une troisième voie littéraire, en empruntant à la tradition chrétienne un sujet et surtout une richesse descriptive qui renouvellent son art, marqué jusqu'alors par la rapidité et l'économie. De cet itinéraire poétique, on retiendra l'affirmation grandissante d'une vocation didactique étroitement associée à une orthodoxie morale et littéraire. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que les Lais seuls aient conservé leur fraîcheur — et leurs lecteurs.

 

Lais (vers 1170)

Avec cette suite de récits lyriques inspirés de légendes celtiques, le folklore oral devient sujet littéraire, accède à la dignité de l'écrit. Il ne s'agit pas pour la poétesse de prétendre égaler les anciens, mais d'apporter un surplus de sens à une culture antique que l'on ne saurait se contenter de gloser. L'invention tient autant au choix des sources qu'à une écriture très particulière, rythmée par l'octosyllabe, et dont la narration rapide est centrée sur un thème unique : la rencontre décisive de l'amour, qui ne laisse aucune alternative à des épreuves quelquefois invivables. Privilégiant le drame, les Lais ont pour cadre un univers proche du monde courtois, dont les contraintes seraient toutefois assouplies. C'est que l'idéologie en est différente : Eliduc clôt le volume en rappellant que le seul amour heureux est en Dieu.



CHRETIEN DE TROYES (v.1135 - v.1183 ou 1195)

Qu'on ne sache que très peu qui fut Chrétien ne change rien au fait qu'il soit, l'un des tout premiers au Moyen-Age, un véritable écrivain, signant ses œuvres, pourvu d'un corpus identifié. Proche de la cour de Champagne, il participe de cette mouvance lyrique de la fin du douzième siècle qui, avec les trouvères, voit la langue d'oïl s'affirmer définitivement face à l'occitan. Le roman est aussi cette langue ; avec Chrétien, il commence à prendre son sens moderne. Ecrits en vers, lus (et non chantés) devant le public des cours, les romans de Chrétien sont œuvre de clerc : des textes non retrouvés, dont il donne la liste au début du Cligès, plusieurs sont adaptés d'Ovide, et il semble avoir écrit son Tristan — sans Tristan ! Clerc donc : héritier d'un savoir, prenant la suite et le revendiquant. Les cinq romans qui nous sont parvenus (le Chevalier de la Charrette, Cligès, Yvain, Erec et Enide, le Conte du Graal) empruntent leur thématique au Brut de Wace, et principalement au cycle arthurien. Mais il invente : ses héros sont chevaliers errants (certain hidalgo s'en souviendra), unissant la courtoisie à la prouesse des protagonistes des chansons de geste, vivant dans un monde plein de mystère et où l'aventure a succédé à la guerre. Ces caractéristiques, sans cesse reprises au treizième siècle, constituent son univers romanesque en modèle durable, interrogé, copié, critiqué, mais restant indiscutablement la référence majeure jusqu'au quatorzième siècle. Et le type de ces jeunes gens partant à la découverte du monde et d'eux-mêmes a connu, sous divers avatars, une fortune éclatante : il y a dans Balzac des souvenirs de celui qui restera comme le plus grand écrivain français du Moyen-Age.

 

Le Chevalier de la charrette (v. 1170-1180)

Le sujet en fut donné à Chrétien par Marie de France. Sauver la reine Guenièvre, emmenée à la suite d'un duel dont elle était l'enjeu : moult chevaliers s'y risquent, dont un jeune inconnu, qui se livre pour le besoin de la cause à monter sur une charrette, comme un malfaiteur. Après bien des aventures, ce jeune Lancelot délivre sa reine, qui, paradoxe courtois, lui tient rigueur d'avoir hésité à monter dans la charrette. Il veut mourir ; elle fléchit, mais l'adultère est vite connu, malgré un doute sur la personne : suivent quelques duels où Lancelot tente avec succès de sauver la réputation de Guenièvre. Honneur et courtoisie peuvent entrer en conflit, mais aussi s'exalter mutuellement : le roman de Chrétien se nourrit de cet enrichissement des lignes de conduite d'un héros qui n'est plus seulement l'athlétique va-t'en-guerre des chansons de geste, mais un homme cherchant son être, confondant dans sa quête la conquête d'un objet (la reine) et la connaissance de soi.

 


RUTEBEUF (? - v. 1280)

Sa vie n'est guère connue qu'à travers la mise en scène qu'il en fait dans quelques uns de ses soixante poèmes. On peut l'imaginer en " pauvre jongleur ", vivant à Paris on ne sait de quoi, de sa plume déjà, commandes à l'occasion pour telle ou telle institution, confrérie, voire pour le roi. Ses liens avec le monde du théâtre (sérieux ou ludique) nous laissent voir à côté du lettré (il connaît le latin) un ménestrel préoccupé de sa survie, connaissant toutes les tentations dans un univers urbain qui est en pleine métamorphose. Le poète prend position aux côtés de l'université contre les ordres monastiques qui se multiplient, les désordres de la cour papale, les errements du roi. Religieux, comme en témoignent nombre de pièces ou traductions, il fustige le siècle et l'Eglise d'une parole acérée, usant du calembour, du double sens, jouant à l'occasion des ressources d'une écriture allégorique qu'il a pratiquée sur le mode sérieux, influençant un Jean de Meun (Bataille des vices contre les vertus, Voie de Paradis) : ses dits se font pamphlets, cependant qu'une veine plus douce irrigue l'œuvre de vies de saints, de litanies à la vierge. La partie la plus attachante de son œuvre est celle où, préfigurant Villon, il se prend comme sujet : le Mariage Rutebeuf, la Pauvreté Rutebeuf, la Repentance Rutebeuf, la Complainte Rutebeuf, d'autres poèmes enfin, que l'on regroupe généralement sous le titre de Poèmes de l'infortune.

 

Poèmes de l'infortune (v. 1260 - 1270)

ou le livre de la dépossession. Parmi les différentes figures de l'écrivain qui se profilent dans l'œuvre de Rutebeuf, pamphlétaire, prédicateur, prophète quelquefois, on voit ici apparaître celle du pauvre jongleur, abandonné de tout et de tous, ayant perdu argent, crédit, espoir, et jusqu'à un œil. Le texte emprunte parfois ses accents au genre de la requête (la Complainte Rutebeuf), mais dépasse le misérabilisme intéressé et atteint une émotion vraie, jouant d'un rire léger, loin de la caricature à laquelle il se livre dans le Dit des Ribauds de Grève ou le Mariage Rutebeuf, pour ciseler une œuvre délicate et profonde, témoignant de cette ultime richesse, exaltée par la détresse, qui reste au poète : son art.

 



GUILLAUME DE LORRIS et JEAN DE MEUN (XIIIème siècle)

Les deux auteurs du Roman de la Rose ne se connurent vraisemblablement pas. De Guillaume, on ne sait presque rien, sinon qu'il écrivit vers 1230 les premiers vers d'un ouvrage qu'il ne put achever : son texte s'interrompt au milieu d'un monologue, avant d'avoir rempli son programme narratif. Ces quatre mille vers ne constituent certes qu'un cinquième du Roman définitif, mais ils en sont la matrice. Ils introduisent le fil narratif de la quête amoureuse, mettent en place la fiction du songe autobiographique et imposent avec l'usage des allégories une perspective didactique. Le cadre imaginaire du Verger de Déduit situe la quête dans un espace courtois, où peut se jouer une initiation érotique — l'objet même de ce roman dont la Rose est le point de fuite. Le point de vue idéaliste et délicat de Guillaume est inspiré par le néoplatonisme en vogue dans les cours du début du treizième siècle.

En reprenant vers 1270 le manuscrit resté inachevé, Jean de Meun modifie profondément l'esprit et les ambitions de l'ouvrage de Guillaume. Clerc maître ès arts, traducteur de Végèce, Abélard et Boèce, Jean semble plus âgé que ne l'était son prédécesseur. Plus soucieux aussi de rationalité, il transforme le traité amoureux en itinéraire philosophique, construisant une somme romanesque dont l'objet n'est plus seulement l'éros mais le monde. Ni collaboration, ni simple continuation, l'apport de Jean de Meun constitue un enrichissement et un approfondissement quelquefois contradictoire de l'œuvre de Guillaume. On a coutume de les opposer ; il serait plus juste de dire que le point de vue de Guillaume est intégré par Jean à une Disputatio où s'expriment des opinions contradictoires. Le dernier mot revient à la Nature, inspiratrice d'une morale universelle reprenant à chacun des discours précédents sa part de vérité.

 

Le Roman de la Rose

Itinéraire érotique, Le Roman de la Rose retarde jusqu'aux dernières pages l'aboutissement de la quête, cependant que l'amant — à son corps défendant — est mis au fait des doctrines amoureuses de Raison, Nature, Vénus, et autres allégories discoureuses. Les images courtoises jouent délicieusement du double sens, chez Guillaume, et le drame naît des inévitables obstacles qu'Amour apprend à contourner. Avec Jean, le roman prend une dimension nouvelle, en faisant de cette pédagogie même le nœud de l'intrigue ; quelle doctrine suivre ? Le récit alors ralentit, les digressions se multiplient. L'apprentissage érotique devient prétexte à la découverte du monde. L'écriture s'enrichit, emprunte à l'occasion ses ressources à la satire, pour aboutir à une morale exaltant l'amour, force cosmique.



François VILLON (1431 - après 1465)

Figure étonnante que celle de ce maître ès arts disparaissant de la circulation vers 1463, après avoir trempé dans différentes affaires louches : un personnage, dont les couleurs sont rehaussées par les portraits qui émaillent son œuvre, portraits poussés au noir, obsédés par la perte, la mort, la décrépitude. Villon fréquenta la Coquille, association de malfaiteurs dont il emprunta l'argot, dans telle ou telle pièce aux beautés à présent obscures ; il fut aussi connu des grands, qui plusieurs fois le sauvèrent de la potence. Le voisinage avec la mort n'est pas sans informer la thématique de ses Ballades et de l'écriture testamentaire où il s'illustre (Lais, Grand Testament, réunis sous le titre de Testaments). Entre grimace et gravité, une esthétique s'y fait jour, fidèle dans les ballades aux enseignements de la rhétorique mais enrichissant considérablement dans le Testament le champ poétique par son savant désordre, le mélange des tons, la présence d'archaïsmes, l'oralité occasionnelle, la richesse explosive du sens, qui constitue le recueil en somme, multipliant les lectures possibles, jouant systématiquement du double sens. Entre rire et méditation douloureuse sur le passé, une légende s'y forge : Villon lègue à la postérité une figure du poète en maudit, qui tend à cacher celle de l'artiste et de l'inventeur.

 

Ballades

Trois couplets suivis d'un envoi : sous cette forme fixe, qu'il aménage à l'occasion, toute la prodigieuse variété de Villon. Les ballades sont le creuset du Testament, qui en reprendra quelques unes. On ne saurait les introduire sans toutes les décrire, tant leur style et leur ton diffèrent, l'écriture de chacune inventant sa propre poétique ; ainsi de la mélancolique nostalgie des Dames du temps jadis, qui s'exprime aussi par l'usage en cette ballade d'un lexique archaïsant ; ou des Ballades du jargon, jouant de l'argot des coquillards. Signalons la Ballade des pendus, qui parla si fort à la sensibilité romantique, et qui annonce par bien des aspects le Testament.

 

 

Testaments

Le Lais (legs) de 1456 n'apparaît en regard du Grand Testament que comme une plaisante satire, qui à chacun attribue un objet, un symbole, voire une enseigne de son quartier ; aux moines, de gras chapons, etc. La violence de l'autoportrait final annonce le Testament de 1461, qui explore avec une profondeur nouvelle la voie ouverte deux siècles auparavant par Rutebeuf : la dimension personnelle éclate, soutenue par une marqueterie poétique. La confession alterne avec d'autres voix, les registres et les styles, les époques mêmes s'entremêlent. Tester n'est que prétexte à un bilan souvent amer, dressé au regard de figures et de moralités qui rappellent la fuite du temps, l'échéance inéluctable de la mort, la nécessité de s'amender. Mais le regret s'accompagne de rire, dans telle ou telle ballade ou dans les legs facétieux à ses compagnons de ribote. Farce aux couleurs macabres, le Testament est aussi une somme poétique, le lieu d'éploiement d'un verbe à la richesse inégalée, passant de la trivialité la plus crue aux jeux du sens les plus subtils.

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POUR UN DESSIN

Admiration

Devant la dextérité d'un tracé la justesse du trait délicat qui fait jaillir une silhouette 

Un grand sage - lettré chinois reçut un jour une commande Un an après rien n'était fait .Devant le notable furieux il prit un papier de riz et d'un seul jet traça le paysage demandé12272728856?profile=original

L'unique trait de crayon ou de pinceau se construit dans l'esprit, c'est alors que l'oeuvre atteint sa plénitude et la vie même

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La peinture belge depuis le XIXe siècle

Le dix-neuvième siècle engendre dans nos régions une production impressionnante d'oeuvres d'art. Leur classification en écoles et en courants est souvent plus difficile qu'au vingtième siècle. Pourquoi ? Ce n'est pas le manque d'intérêt des arts de cette époque qui en est cause: les catalogues des multiples ventes aux enchères et des galeries en témoignent. Mais, dans nos musées, la part du dix-neuvième siècle est médiocrement représentée. Cette situation freine les recherches de l'amateur d'art désireux de se repérer dans le dédale des ateliers, des groupes et des cercles. Le sujet en outre n'a guère suscité de littérature récente. On doit donc en appeler aux critiques du temps, tels Victor Joly, August Snieders, Camille Lemonnier et Jules Du Jardin et, plus tard, Gustave Vanzype, Sander Pierron et Paul Fierens.
En vérité, un panorama contemporain qui pourrait prétendre à l'exhaustivité fait cruellement défaut. Certes, il existe des informations hétéroclites dans le Dictionnaire des peintres belges nés entre 1780 et 1875, de P. et V. Berko, ainsi que dans d'autres ouvrages de cette galerie concernant l'égyptomanie, les marines, les fleurs et les animaux du dix-neuvième siècle. Les publications muséales en fournissent aussi, notamment dans Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 275 ans d'enseignement (1987) et 1770-1830, Autour du Néo-Classicisme en Belgique (1985). La situation ne s'améliore que pour la fin du siècle, avec ce qui concerne le groupe des XX*, qui bénéficie de synthèses aussi bien que de monographies (Jean Delville, James Ensor, Henri Evenepoel, Willy Finch, Fernand Khnopff, Georges Lemmen, Constantin Meunier, Theo Van Rysselberghe).

La peinture en Belgique avant 1830

L'occupation et l'annexion françaises furent une catastrophe pour notre patrimoine artistique. Les autorités autrichiennes ne furent pas seules à ordonner, mesure préventive mais définitive, le transfert de trésors artistiques, à commencer par "le Trésor de Bourgogne". Les révolutionnaires français pillèrent de même nos provinces, ponctionnées déjà à maintes reprises, et cette fois à une échelle sans précédent. Il s'agissait surtout d'art ancien, du Moyen Age et du Baroque, donc de pièces capitales pour l'histoire nationale: elles ne furent qu'en partie rapatriées, ceci après la chute du régime napoléonien.
On peut se demander également si le contexte général ne s'avéra pas non plus nuisible à la création de l'époque tant Paris offrait alors de possibilités. Ainsi, en 1771, le brugeois Joseph-Benoît Suvée (1743-1807) y obtint le Grand Prix, aux dépens de Jacques-Louis David (1748-1825). En effet, comme Bruges n'était pas encore française, il déclara être originaire d'Armentières et grâce à cette fausse déclaration, il accomplit une carrière magnifique: il fut le premier directeur de l'Académie française à Rome, et sa dépouille fut solemnellement déposée au Panthéon (1807). La chose impressionna: maints jeunes gens partirent à Paris chercher la renommée. Quelques-uns y réussirent. François-Joseph Kinsoen (1772-1839), brugeois lui aussi, devint peintre à la cour de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. Le sculpteur liégeois Henri-Joseph Rutxhiel (1775-1837) devint un des portraitistes de Napoléon et de sa famille, mais fit aussi les bustes du tsar, de l'amiral Wellington et de Louis XVIII. Joseph-Denis Odevaere (1775-1830) eut la commande de deux scènes historiques pour le siège du pouvoir à Rome, actuellement le Quirinal. L'anversois Mathieu-Ignace Van Brée (1773-1839) peignit en 1811 la monumentale Entrée de Napoléon à Amsterdam. Paris était devenue la porte du monde. Le gantois Pierre Van Hanselaere (1786-1862) fut nommé directeur de l'Académie de Naples, où enseignait l'anversois Simon Denis (1755-1813). D'autres, par contre, choisirent de tenter la chance à Londres, comme Jean Antoine De Vaere (1754-1830), et même en Russie, cas de Joseph Camberlain (1756-1821). Les spécialistes bien formés abondaient sur le territoire belge: les peintres de genre et de fleurs étaient connus même à Paris, tels les frères Redouté, peintres de fleurs, Jacques Albert Senave (1758-1823) de Lo, peintre de genre, Pierre-Joseph Sauvage (1744-1818) de Tournai, spécialiste du trompe-l'oeil.
Quand l'Empire s'écroula, le régime hollandais contrôla tout le pays. Ses inclinations allaient au néo-classicisme toujours en vigueur. Cependant, parallèlement, augmentait l'intérêt envers l'art national, expression d'une nouvelle identité, oui, mais reflet aussi d'une tradition. Le retour de Paris d'une série de chefs-d'oeuvre et d'archives pesa sans doute beaucoup. Guillaume II, souverain de l'éphémère royaume uni des Pays-Bas (1815-1830), soutenait efficacement la culture belge, mécénat très peu perçu. La plupart des auteurs en parlèrent le moins possible, afin de magnifier l'image nationale et bien qu'il s'agisse d'artistes et de thèmes issus d'un passé commun.
Durant cette période, le grand exilé français Jacques-Louis David oeuvra à Bruxelles de 1816 à sa mort, en 1825. Son influence fut considérable, notamment sur notre compatriote François-Joseph Navez (1787-1869), qui transmit les idées de Jacques-Louis David dans ses cours à l'Académie de Bruxelles. Joseph Paelinck(1781-1839), un des premiers élèves de Jacques-Louis David, après avoir travaillé dans son atelier parisien, devint peintre à la cour de la reine de Hollande. Il ne fut pas le dernier belge à oeuvrer dans le Nord. Un anversois, Jacques-Joseph Eeckhout (1793-1861), orfèvre et peintre, emménagea à La Haye en 1831 et dirigea l'Académie municipale en 1839. Un exploit pour quelqu'un qui avait collaboré avec Gustave Wappers (1803-1874), peintre belge patriotique de sujets historiques !

La peinture belge après 1830

La révolution de 1830 ne marqua sûrement pas un tournant dans le développement de l'art du dix-neuvième siècle. Car le jeune Etat belge voulut, à son tour et grâce à l'art, affirmer son identité en exploitant la tradition historique. La peinture historique, qui était propagande politique et genre intéressant, devint ainsi pour deux générations durant expression artistique attitrée et produit d'exportation. Elle glissa ensuite dans l'oubli.
Gustave Wappers, après avoir reçu une formation néo-classique à Anvers, puis à Paris, découvrit le romantisme. Il exposa en 1830 au Salon de Bruxelles La Capitulation du bourgmestre Van der Werff, oeuvre tout de suite considérée comme manifeste politique. Il semble qu'on aît alors oublié que le maître de Gustave Wappers, Mathieu-Ignace Van Brée, avait peint le même sujet en 1817 pour le prince d'Orange, à savoir une scène du siège espagnol de Leiden. Gustave Wappers, mieux inspiré dans les scènes romantiques et anecdotiques, obtint ainsi plusieurs commandes officielles, dont Les Jours de septembre 1830. Nicaise De Keyser(1813-1887) peignit La Bataille des Eperons d'Or et La Bataille de Woeringen. Henri de Caisne (1799-1852) brossa Le Compromis des Nobles. Louis Gallait (1810-1887) présenta à la même époque L'Abdication de Charles V et Le Dernier hommage aux comtes Egmont et Hornes. Or le grand tableau de Louis Gallait, La Peste à Tournai, ne vaut pas La Révolte de l'enfer et Patrocles d'Antoine Wiertz (1806-1885), peintre talentueux et ambitieux. Antoine Wiertz souhaitait égaler, voire éclipser les plus grands, dont Rubens, lutte perdue d'avance et plutôt ridicule. L'Etat belge le soutint en lui offrant un vaste atelier. Cet exemple illustre à quel point les autorités entendaient promouvoir l'identité artistique nationale: le jugement négatif des critiques parisiens à l'égard de Antoine Wiertz ne fut pas le handicap attendu mais la cause de multiples avantages !
La peinture historique de ce siècle connut plus tard un prolongement intéressant, hélas disparu: les panoramas. Ces toiles géantes, représentant à la fois de grands événements et des scènes exotiques, étaient installées dans des rotondes. Deux compagnies bruxelloises, animées par les agents boursiers Jourdain et Duwez-Marlier, régissaient un marché européen assez lucratif via leurs filiales. Elles imposaient aussi leurs dimensions, le standard étant 14 mètres sur 40 mètres, exactement comme trois quarts de siècle plus tard, les studios de dessin belges définirent la taille des bandes dessinées européennes.
Pour ces oeuvres qui devaient être les chefs-d'oeuvre de la peinture illusionniste, on engagea des artistes capables de couvrir une vaste toile en peu de temps, tels les français Charles Castellani et Alphonse de Neuville, l'allemand Anton von Werner, le néerlandais Willem Mesdag et chez nous, e.a. Charles Verlat (1824-1890) et Emile Wauters (1846-1933), avec e.a. Le Panorama du Caire, sans compter une foule de collaborateurs demeurés anonymes. Alfred Stevens (1823-1906) aida Henri Gervex pour Le Panorama du Siècle destiné à l'Exposition universelle de Paris de 1899. La critique contemporaine dédaigna cette expression artistique liée à une photographie en plein essor. C'est Alfred Bastien (1873-1955) qui effectua les derniers panoramas en Belgique, Le Panorama du Congo (1913), avec la collaboration de Paul Mathieu (1872-1932), et Le Panorama de l'Yser (1921). Il n'en reste que des fragments, ce qui est bien regrettable, ces mass-média annonçant en quelque sorte le film à grand spectacle.

Existence quotidienne

Ceux qui pratiquaient la peinture de genre n'emportèrent pas tout de suite de succès. Ils prolongeaient la tradition commencée et développée aux seizième et dix-septième siècles. Cette règle se maintint, en dépit du romantisme. Leur art traditionaliste fut à la base de nombreuses fraudes présentant des copies du dix-neuvième siècle comme des originaux du dix-septième siècle . Le collectionneur doit s'en méfier. Le grand public les appréciait et il en est toujours ainsi. Avec la peinture historique, cette peinture de genre contrebalance les innovations du dix-neuvième siècle, à savoir les tendances réaliste, naturaliste, impressionniste et symboliste et, même au vingtième siècle, elle constitue encore et toujours l'antinomie de l'avant-garde, à ceci presque que c'est cette dernière qui accapare maintenant le devant de la scène.
Il faut donc dans l'esprit du dix-neuvième siècle distinguer entre ce genre envahissant et le réalisme débutant. L'aspect anecdotique et romantique en est la clé. Les intentions sentimentales et pittoresques, caractéristiques du genre, cédèrent lentement la place à l'observation de la réalité, en fonction vraisemblablement des tempéraments artistiques, car ce siècle ne manqua pas d'artistes audacieux. Certains allèrent jusqu'à récuser un enseignement académique sclérosé et eurent souvent quelque peine à se faire un nom dans le monde artistique. Et pourtant, ce marché offrait davantage d'opportunités que par le passé puisqu'il touchait un public considérablement élargi. Mais ces acheteurs potentiels, plus nombreux qu'auparavant, demeuraient tributaires de l'évolution accélérée des modes et des goûts.
Dès le début du siècle, les grands Salons furent organisés à Bruxelles, Anvers, Gand et Liège. On y montrait une quantité impressionnante d'oeuvres, accrochées en longs alignements sur toute la hauteur des cimaises. Il n'était pas très difficile de participer à ces manifestations. Il l'était davantage d'obtenir un bon emplacement. Car le jury favorisait ses semblables, artistes eux aussi établis, qui incarnaient des valeurs sûres. Comment des jeunesgens auraient-ils pu admettre un système qui les rejettait ou qui les reléguait ?
Dès le milieu du siècle, la ville et ses académies perdent leur attrait. Plusieurs jeunes artistes emménagent à la campagne non pour peindre des scènes pittoresques, mais pour dévoiler la nature au travers des saisons et des travaux villageois. Il ne leur fallait pas aller loin. C'est ainsi qu'apparut en 1846 un petit atelier dans les prés de Schaerbeek, derrière le Jardin botanique: six peintres y travaillent dans ce nouvel esprit. Quelques années plus tard, d'autres jeunes intégrent cet Atelier Saint-Luc fondé par Tony Voncken, Louis Dubois (1830-1880), Léopold Speeckaert (1834-1915), Charles Hermans (1839-1924), Félicien Rops (1833-1898), Armand Dandoy (1834-1898), Jules Raeymaekers (1833-1904) et même Constantin Meunier (1831-1905). Ce lieu dont l'ambiance était fort joyeuse constituait une sorte d'académie libre.
Vingt ans après - en 1868 - une association plus durable fut fondée, La Société libre des Beaux-Arts*. Outre quelques membres de l'Atelier Saint-Luc, y figurent Louis Artan (1837-1890), Théodore Baron (1840-1899), Joseph Coosemans (1828-1904), Louis Crépin (1828-1887), Marie Collart(1842-1911), Edouard Huberti (1818-1880), Eugène Smits (1826-1912), Théodore T'Scharner (1826-1906), Henri Van der Hecht (1841-1901), Camille Van Camp (1834-1891), Alfred Verwée (1838-1895), ainsi que des artistes plus âgés, tels Paul-Jean Clays (1817-1900) et Jean-Baptiste Robie (1821-1910). Il y avait même des membres d'honneur étrangers: C. Corot, J.-F. Millet, H. Daumier, G. Courbet, Ch. Daubigny, J.-L. Gérôme, E. et J. Breton, Alfred Stevens (1823-1906) qui, lui, résidait déjà à Paris, W. Maris et C. Rochussen. Ils voulaient à la fois produire une oeuvre intègre - donc sans effets spéciaux - et accéder aux milieux artistiques officiels. Concilier les deux objectifs n'avait rien d'évident. Le premier effet de leur lobbying fut l'attribution, au Salon de Bruxelles de 1869, d'une Médaille d'Or à l'artiste indépendant et non-académique qu'était Hippolyte Boulenger (1837-1874).
Cette inspiration exempte de théorie avait impressionné l'étranger lors de l'Exposition universelle de Londres, en 1862, comme en témoignent les commentaires de l'époque. Cela concernait tout particulièrement les oeuvres de Charles Degroux (1825-1870), Liévin De Winne (1821-1880), Joseph Stevens (1816-1892), Alfred Stevens (1823-1906), Edouard Huberti (1818-1880), Edmond De Schampheleer (1824-1899), Alfred de Knyff (1819-1885), Paul-Jean Clays (1817-1900), Jean-Baptiste Van Moer (1819-1884). Les artistes belges semblent accorder peu d'attention aux théories artistiques ou, quand ils en ont, elle fléchit vite. Cela n'a jamais empêché la créativité individuelle. Mais complique singulièrement la classification de leurs productions à l'intérieur des schémas internationaux. Il est rare qu'un peintre belge incarne pleinement une conception ou une tendance. Néanmoins, pareil repérage importe aux connaisseurs, et cela vaut dans le monde entier.
Le réalisme naquit partiellement à l'écart des villes, ou, plus précisément, de l'existence urbaine artistique, académique et officielle. Tervueren répondait à ce critère. Là, de jeunes artistes concrétisaient leur idéal. Mais Tervueren était déjà connu comme résidence royale. Joseph Coosemans (1818-1904) y fut secrétaire communal avant de s'engager dans la peinture. La démarche est semblable, mais plus tard, chez un Albijn van den Abeele (1835-1818) à Laethem-Saint-Martin. Joseph Coosemans apprit beaucoup des peintres qui oeuvraient au village, dont Théodore Fourmois (1814-1871). La venue d'Hippolyte Boulenger (1837-1874), qui rejoignit Alphonse Asselbergs (1839-1916), Jules Raeymaekers (1833-1904) et Jules Montigny (1840-1899), augmenta le renom artistique de la commune. La critique le constata vite et, bien qu'on ironisa sur "l'Ecole" de Tervueren, on reconnut jusque dans les Salons que là était la modernité picturale. La mort inattendue de Hippolyte Boulenger en 1874, à l'âge de 37 ans, n'entrava pas l'évolution. Nul ne saura ce que Hippolyte Boulenger, comme d'autres qui décédèrent fort jeunes, tels Edouard Agneessens (1842-1885), Henri Evenepoel (1872-1899) ou Rik Wouters (1882-1916), aurait pu accomplir.
Tervueren, la Vallée Josaphat à Schaerbeek, le Rouge-Cloître à Auderghem devinrent ainsi une halte obligatoire pour les artistes, tandis qu'au sud de Bruxelles, Boitsfort, Uccle, Linkebeek et Beersel drainaient de plus en plus de peintres. L'exode urbain avait commencé. Les peintres de Tervueren, comme beaucoup d'autres, allèrent explorer le littoral (Heist, Knocke) et la vallée de la Meuse (Anseremme). En même temps, la Campine, un paysage naturel séduisant puisqu'à l'époque encore vierge, attira de nombreux peintres. Tous ne venaitent pas de Tervueren. Isidoor Meyers (1836-1916) et Jacques Rosseels (1828-1912) appartenaient à l'Académie de Termonde, mais fréquentaient surtout les peintres anversois du cercle Als Ik Kan* (Comme je peux). Avec Adriaan-Jozef Heymans (1839-1921), ils avaient peint à Kalmthout. Un autre membre du cercle, Franz Courtens (1854-1953), y travailla également et donna libre cours aux jeux de lumière. C'est par conséquent dans ces parages que surgirent de minuscules colonies d'artistes: Wechelderzande qui hébergea Flor Crabeels (1829-1896), puis Henry van de Velde (1863-1957); Mol avec Jakob Smits (1856-1928); d'autres encore.
Un des sites qui deviendra animé et réputé d'ici quelques années fut Laethem-Saint-Martin. Au début, ce sont des élèves de l'Académie de Gand qui y emménagent. Ils relèvent davantage du réalisme que de l'impressionnisme. L'arrivée du poète Karel Van de Woestijne et de Georges Minne (1866-1941), après une période bruxelloise intense, orienta la jeune colonie: elle devint une annexe du symbolisme urbain, perceptible dans l'oeuvre de Gustave Van de Woestyne (1881-1947) et, quelquefois, dans celui de Valerius De Saedeleer (1867-1941). La région de la Lys devint ainsi le point où convergeaient symbolisme et luminisme - Emile Claus (1849-1921) - et expressionnisme débutant, avec Albert Servaes (1883-1966). Son rayonnement gagna ensuite Etikhove.
Au même moment, déferlait une seconde vague d'innovateurs: Bruxelles, 1883. La Société libre des Beaux-Arts, Les XX* en étaient cause. Ce cercle était restreint. Les différentes tendances artistiques de la fin du siècle y cohabitaient. Réalistes, naturalistes, impressionnistes, pointillistes et symbolistes présents dans une seule organisation, cela ne pouvait qu'entraîner des heurts. Mais Les XX* surent organiser des expositions fondamentales. Elles réunissent les grands maîtres belges et étrangers. Et pourtant, certains membres des XX demeurèrent dans l'ombre, aujourd'hui comme hier: Achille Chainaye (1862-1915), Jean Delvin (1853-1922), Charles Goethals (1853-1885), Frans Simons (1855-1919), Gustave Vanaise (1854-1902), Frantz Charlet (1862-1928), Willy Schlobacht (1964-1951), Rodolphe Wytsman (1860-1927), Henry De Groux (1866-1930) et Robert Picard (1870-1941).
Dans cette année 1883, fut fondé à Anvers un cercle de jeunes artistes Als Ik Kan, (Comme je peux) auquel appartint Henry van de Velde (1863-1957) avant d'être intégré aux XX* en 1888. L'historiographie n'a retenu que ceux ayant accédé à la notoriété. Il est possible que le goût des contemporains aît été moins tranché . Il est frappant par exemple de voir Anna Boch (1848-1936), peintre, acquérir à l'exposition des XX* en 1889 simultanément un tableau d'Henry De Groux (1866-1930) et un autre de Vincent Van Gogh, cela au moment ou presque où Henry De Groux quittait les XX (1890), furieux que ses toiles jouxtent celles du Hollandais.
Cette année-là, naquit à Anvers un jeune cercle encore plus représentatif que Als Ik Kan: Les XIII. L'histoire de ces nombreux groupes artistiques est toujours à écrire et réserve maintes surprises, assurément.
On exagérerait quelque peu en opposant le symbolisme plutôt urbain, avec e.a. Fernand Khnopff (1958-1921), Xavier Mellery (1845-1921), William Degouve de Nuncques (1867-1935) et Jean Delville (1867-1953), à l'art social développé surtout hors des cités. En fait, pendant plus d'une génération, les deux tendances ont cohabité, réalité que masque la classification en fonction des grands courants de peinture: il y eut parallélisme et non pas succession chronologique.
L'art social belge, qui jouit d'une renommée mondiale, repose dans cette seconde moitié du siècle sur l'étude de la nature et de ses composantes. L'industrialisation du pays, le développement des ports, l'intensification de l'agriculture fournissent autant de sujets révélateurs des conditions de vie, y compris de l'exploitation de l'homme par l'homme. L'art social ne constitue pas un genre à lui seul. Il donne lieu à une interprétation réaliste ou naturaliste, e.a. avec Constantin Meunier (1831-1905), Léon Frédéric (1856-1940), Emile Claus (1849-1924), Frans Van Leemputten (1850-1914), Guillaume Van Strydonck (1861-1937), Théodore Verstraete (1850-1907), James Ensor (1860-1949) et Eugène Van Mieghem (1875-1930). On retrouve ces thèmes dans le symbolisme de Xavier Mellery (1845-1921) et d'Henry De Groux (1866-1930) comme dans l'expressionnisme du vingtième siècle, avec Eugène Laermans (1864-1940), précurseur en la matière, et Constant Permeke (1886-1952), et, bien sûr, dans le réalisme social des années vingt. Même l'art qu'aimait la bourgeoisie cultivée des années 1900, l'Art Nouveau, renferme plus d'un élément emprunté au vérisme social, ce qui n'a rien de surprenant, puisque cet art fut principalement acheté et soutenu par les riches industriels.
Si l'art social dénonçait les aspects sordides de la collectivité, une autre tendance exprimait, elle, le côté trouble de l'individu. Plusieurs artistes se préoccupèrent de mystérieux et de fantastique. Ce sont les décors sombres de Xavier Mellery, la poésie nocturne de ses béguinages ou de ses cimetières, la mort déguisée ou présente que suggèrent James Ensor puis Jules De Bruycker (1870-1945), les visions fantastiques d'Henry De Groux. Dans ses aquarelles représentant des paysages et des intérieurs aux effets de lumière inattendus, Leon Spilliaert (1881-1946) pose un regard halluciné sur des boîtes en carton, des portions de plage, leur conférant une apparence déconcertante. Ses travaux ultérieurs traduisent aussi une quête de l'étrange. Ce genre perdura au vingtième siècle dans l'oeuvre des peintres d'églises et de béguinages, tel Alfred Delaunois (1875-1941) et même de Felix Timmermans (1886-1947), du moins dans ses illustrations.

La peinture de la Belle Epoque

La période 1883-1914 fut très féconde. Elle engendra plusieurs nouveautés. Du Congo Belge arrivaient des matériaux rares et précieux (ivoire, bois exotiques) qu'utilisèrent les artistes, e.a. Charles Van der Stappen (1843-1910) et Philippe Wolfers (1858-1929). Ce n'est qu'un exemple. Plusieurs styles se côtoyaient. La sculpture monumentale s'épanouit avec Jules Lagae (1862-1931. La photographie accédait lentement au statut d'art. Bruxelles et Anvers étaient considérées comme des places d'art internationales. Elles regardaient vers Paris, mais également et presque autant vers l'Allemagne et l'Angleterre. Ainsi les artistes belges exposaient de Vienne à Londres, de la Finlande à l'Italie.
Pour les jeunes artistes qui avaient fui la sophistication de l'Art Nouveau bruxellois en allant vers Boitsfort, Uccle, Linkebeek et Beersel, Paris était une référence tout comme le furent James Ensor et Auguste Oleffe (1867-1931). Quand Ferdinand Schirren (1872-1944) revint au pays (1907), après avoir fréquenté les fauves français, il demeura isolé des années durant. Pourtant, il annonçait le Fauvisme brabançon des années 1910.
Un cercle artistique ne surgit pas du néant. Il lui faut des partisans, des acquéreurs. Bruxelles comptait plusieurs brasseurs fort aisés, mais, seul, François Van Haelen collectionna l'art moderne en achetant e.a. des oeuvres de James Ensor, Willy Finch (1854-1930), Jean Degreef (1852-1894) et Périclès Pantazis (1849-1884). Son assistance, sa sympathie des jeunes artistes attirèrent à Beersel de plus en plus des peintres. En outre, une galerie importante, la Galerie Georges Giroux, axa sa politique sur la découverte des jeunes talents. Elle obtint ainsi une audience qui rejaillit sur les fauvistes débutants, souvent autodidactes. Rik Wouters (1882-1916) devint la vedette de cette galerie. L'application de couleurs vives, décalées par rapport à la nature, séduisit de nombreux artistes: Charles Dehoy (1872-1940), Jean Brusselmans (1884-1953), Willem Paerels (1878-1962), Anne-Pierre de Kat (1881-1968), Pierre Scoupreman (1873-1960), Jos Albert (1886-1981), Médard Maertens (1875-1946), Félix De Boeck (1898-1995) et, hors Bruxelles, Georges Vantongerloo (1886-1965), Paul Joostens (1889-1960), Floris Jespers (1889-1965), bref, tous ceux qui allaient constituer les avant-gardistes. Là aussi, le chantier est ouvert quant à l'étude du Fauvisme brabançon.

La peinture entre la première guerre et l'avant-garde

Les années dix furent cruciales à maints égards et celles de la guerre importèrent autant que les précédentes. Le conflit mondial ne décima pas vraiment les jeunes artistes, grâce à une stabilisation relativement rapide du front de l'Yser et aux possibilités de fuite qu'offraient la Hollande et l'Angleterre durant la phase de négociations. Frits Van den Berghe (1883-1939), Gustave De Smet (1877-1943) et d'autres découvrirent ainsi l'expressionnisme aux Pays-Bas. Rik Wouters y trouva la consécration peu de temps avant de mourir. Gustave Van de Woestyne (1881-1947), Georges Minne (1866-1941), Léon De Smet (1881-1966), Emile Claus (1849-1924), Hippolyte Daeye (1873-1952), Constant Permeke (1886-1952), d'autres enfin partirent avec eux pour l'Angleterre, où ils pourraient exposer et évoluer, cas de Léon De Smet (1881-1966) et de Constant Permeke, et travailler en toute liberté, comme Emile Claus.
Il est étrange que l'oeuvre des exilés ait éclipsé l'oeuvre des artistes restés à combattre sur l'Yser. Celle-ci demeura en effet assez confidentielle. Il l'est aussi que tant d'oeuvres, et d'oeuvres colorées, aient été produites au contact du front. La Belgique n'avait pas de peintres militaires officiels et ne possédait aucune tradition dans ce domaine. On ignore si la présence de quelques volontaires plus âgés, pratiquant la peinture, tels Alfred Bastien (1873-1955), Maurice Wagemans (1877-1927), Médard Maertens (1875-1946), Anne-Pierre de Kat (1881-1968) - d'ailleurs de nationalité néerlandaise ! - , Fernand Allard L'Olivier (1883-1933), et d'autres, a inspiré l'Etat-Major. Le fait est que 1916 vit l'instauration d'une compagnie de peintres, dite Section Artistique*, groupant des peintres de tout âge. Leur mission consistait à représenter des scènes de guerre. Elle était aussi de noter les lignes ennemies et de camoufler, e.a. les postes d'artillerie. La confrontation avec une expérience sans équivalent - un paysage quasi lunaire, tout à fait déchiré, un ennemi invisible mais perceptible, la lumière des explosions et des fusées - engendra des oeuvres sans structure logique ou, plutôt, dans lesquelles les structures étaient remplacées par de fulgurants contrastes de couleurs. L'intensité du choc explique que certains peintres, dont Achiel Van Sassenbrouck (1886-1979), Marc-Henri Meunier (1873-1922), Alfred Bastien, Léon Huygens (1876-1918) et André Lynen (1888-1984), aient accouché de leurs meilleures oeuvres dans les plaines boueuses de l'Yser. Il est à relever que l'expression avant-gardiste ne s'y imposa pas: l'observation directe était prioritaire. Cet objectif explique que des peintres amateurs tout à fait ou presque anonymes aient produit des oeuvres de petit format dont la qualité surprend parfois. La guerre brassa également les gens. Ce fut le cas de Médard Maertens qui y rencontra une jeune infirmière, Marthe Guillain (1890-1974). Elle devint son épouse et s'engagea résolument au service de l'art.
L'Occupation compliquait le quotidien. Elle n'étouffa pas l'enthousiasme des jeunes artistes retenus en Belgique. Anvers vit éclore de nouvelles techniques, e.a. celles qui exploitaient le papier coloré, au sein d'un cercle d'artistes réunis autour de Paul Joostens (1889-1960) et de Georges Vantongerloo (1886-1965) qui commença comme fauviste, avec Jozef Peeters (1895-1960) et Edmond Van Dooren (1895-1965). L'oeuvre majeure du groupe est un collage monumental dû à Paul Joostens. Cette oeuvre sans titre fut peut-être le plus grand collage alors effectué en Europe. Les contacts avec l'avant-garde étrangère d'avant guerre, e.a. Berlin et Paris, continuèrent et aboutirent à un véritable courant avant-gardiste, d'abord à Anvers, puis à Bruxelles, une fois conclu l'armistice de 1918.

La modernité d'après guerre

La fin des années dix ouvrit d'un coup plusieurs pistes: Dada, l'avant-garde abstraite, l'expressionnisme, le surréalisme. La génération des fauvistes brabançons qui avait participé à la guerre avait perdu leur figure de proue, Rik Wouters, et constatait que le monde avait changé. Le grand public ne s'intéressait pas à l'art de guerre: on voulait oublier le drame aussi vite que possible. L'inspiration fauve, elle, s'était ternie dans les tranchées. L'expressionnisme plut à la clientèleen raison du zèle de ses amateurs, à commencer par A. De Ridder et P.-G. Van Hecke. Ils éditèrent en outre quelques revues qu'ils surent diffuser, comme Sélection et Variétés. Les tenants des couleurs sombres chassèrent ainsi, sinon du marché, du moins de l'attention des critiques, les peintres de marines parfois conventionnelles mais très colorées, dont Théo Blickx (1875-1963), le maître de Rik Wouters, et Paul Cauchie (1875-1952).
Le succès de l'expressionnisme flamand coïncida avec le succès international de l'Art Déco, aux dépens des mouvements d'avant-garde qui l'avaient nourri. Au plan de la qualité, les artistes qui démarquaient le cubisme français ou tendaient vers l'Art Déco n'avaient pas la force brutale de Constant Permeke, de Gustave De Smet ou d'autres membres de l'Ecole de Laethem. Laethem et ses environs, où travaillaient aussi des luministes réputés, devint la Mecque du nouvel art. Il faut souligner que la bourgeoisie francophone de l'époque préférait les artistes de ce village flamand à leurs épigones français. Une telle attitude a certainement nui aux artistes plus âgés et n'appartenant pas à ce courant, cas de Valerius De Saedeleer, artistes installés dans les hameaux voisins, Etikhove notamment, lequel attend encore d'être classé comme colonie d'artistes. Laethem, village où logeaient des impressionnistes, des luministes et des expressionnistes tardifs, ne reçut aucun peintre relevant de l'avant-garde, de l'abstraction, ni de surréalisme. Il fut frappé par la crise de 1929 et l'effondrement du marché d'art. Ce phénomène touche particulièrement les avant-gardistes, à l'instar des expressionnistes qui n'avaient pas encore de public et qui, par conséquent, auraient été bien en peine de le récupérer. A Bruxelles, Anvers et dans maints cénacles européens, on connaissait ces artistes d'avant-garde mais personne ne les achetait.
Les premiers surréalistes n'eurent pas davantage de chance. Les difficultés et les tribulations de René Magritte (1898-1967) et de Paul Delvaux (1897-1994) ont été souvent relatées. L'histoire de Frans Pereboom (1897-1969) est exemplaire. Au cours des années vingt, il réalisa une oeuvre prometteuse influencée par le futurisme et le surréalisme. Il y renonça pour devenir avocat et militer dans les partis de gauche. Il ne fut pas seul à agir ainsi.
Les expressionnistes, les récents comme les tardifs, Albert Servaes, Constant Permeke, Gust De Smet, Frits Van den Berghe, Jean Brusselmans, Ramah (1887-1947), Hubert Malfait (1898-1971), Jules De Sutter (1895-1970), et les premiers modernistes, Victor Servranckx (1897-1965), Marcel-Louis Baugniet (1896-1995), Karel Maes (1900-1974), Pierre-Louis Flouquet (1900-1967), Floris Jespers, Georges Vantongerloo et d'autres avaient un sérieux concurrent, le groupe Nervia*, fondé à Mons en 1928. Ce groupe qui, comme celui de Laethem, ne défendait aucun programme, comportait surtout des élèves de l'Académie de Mons: Louis Buisseret (1888-1956), qui en devint directeur en 1928, Anto Carte (1886-1954), Frans Depooter (1898-1987), Léon Devos (1897-1974), Léon Navez (1900-1967), Taf Wallet (1902) et Jean Winance (1911). Pierre Paulus (1881-1959), proche de l'expressionnisme, et Rodolphe Strebelle (1880-1959), installé à Bruxelles, n'avaient pas étudié à cette Académie. Le groupe entendait accroître la présence wallonne sur la scène artistique nationale. Ce but marquait le souci d'une identité artistique particulière, distincte de l'art bruxellois francophone. Ces artistes interprétaient librement l'esprit académique, mais en respectant les proportions et la grâce de lignes. Ils désiraient maintenir la tradition latine, opposée à la tradition flamande ou germanique. Ils perdaient de vue que le flamand Gustave Van de Woestyne n'était pas loin d'eux et constituait pour certains, source d'inspiration.
En dehors de Nervia, le réalisme se maintint dans le travail parfois mondain mais de haute qualité technique d'Emile Baes (1879-1954), Louis-Gustave Cambier (1874-1949), Henri Thomas (1878-1972), Georges Fichefet (1864-1954) e.a. Pendant ce temps, Henri-Victor Wolvens (1896-1977) et Paul Maas (1890-1962) cheminaient entre réalisme et expressionnisme, engendrant une oeuvre très expressive qui, parfois, annonce l'abstraction lyrique ou même l'action painting en ce qui concerne Henri-Victor Wolvens. Bien que la vision d'Henri-Victor Wolvens soit d'ordinaire plus réaliste que celle de Constant Permeke, il l'égale en expressivité grâce à une pâte appliquée de façon vigoureuse et spontanée, avec un sens quasi inné de toutes les formes de lumière. Ainsi Henri-Victor Wolvens s'avère plus moderne et innovant que son étiquette de peintre spécialiste des plages colorées ne le laisse supposer.
Qu'en 1912 Paul Haesaerts l'ait catalogué "animiste" étonne aujourd'hui. Mais il avait peut-être constaté que Henri-Victor Wolvens atteignait là son apogée. Comparé à lui, les autres animistes produisaient une peinture moins ferme et moins dynamique. War Van Overstraeten (1891-1981), Albert Dasnoy (1901-1992), Albert Van Dyck (1902-1951), Jozef Vinck (1900-1979), Marcel Stobbaerts (1899-1979), Jacques Maes (1905-1968), Mayou Iserentant (1903-1978) et Louis Van Lint (1909-1987) ont quitté ce courant quelques années plus tard. Quelques-uns sont tombés dans l'oubli. Leur souci de la vie quotidienne paraissait une fuite au moment où la politique, le nazisme comme le communisme, imprégnait l'art et la critique. Cependant, cet animisme, ressenti comme casanier et terre à terre, faisait partie intégrante du réalisme inhérent à l'art belge. Ce souci de coller à l'apparence des choses resta ancré au delà de l'entrée en scène de La Jeune Peinture Belge* et de Cobra*.

De La Jeune Peinture Belge à l'abstraction

A la Libération, l'animisme balbutiant fut expulsé par e.a. Paul Haesaerts, qui soutenait les efforts de Robert Delevoy et de plusieurs collectionneurs pour hisser l'art belge au niveau international, en le rapprochant du modèle universel du moment qui était parisien. Il en résulta un mouvement artistique, La Jeune Peinture Belge*, dont on fit la publicité et la promotion de manière professionnelle. Il dura peu en raison de la mort soudaine de son président René Lust. Cette courte existence fut très agitée. D'une part, il fit maints adeptes. De l'autre, il perdit des peintres de l'envergure d'un Rik Slabbinck (1914-1991), Antoine Mortier (1908-1999) et Luc Peire (1916-1994). Le courant s'ouvrit à l'abstraction qui, après 1950, devint pour ainsi dire le genre artistique officiel, en Belgique comme à Paris et ailleurs. Cette uniformisation en enterra plus d'un: Emile Mahy (1903-1979), l'auteur de charmantes vues urbaines bruxelloises, Charles Pry (1915), qui tendait vers le surréalisme, René Barbaix (1909-1966), Paul Van Esche (1907-1981), Colette Verken, Henri Brasseur (1918-1981), etc.
La Jeune Peinture Belge est probablement le premier mouvement artistique où les femmes occupèrent une place déterminante. Les créations d'Anne Bonnet (1908-1960), Mig Quinet (1906-2001) et Odette Collon (1926) valent celles de leurs confrères. La suite de leur carrière prouva qu'il n'est pas facile pour une femme de rester sur scène. Marthe Donas (1885-1967) essaya d'y revenir mais, après des débuts brillants dans les années dix, sa seconde carrière, entamée vers 1950, fut hélas moins convaincante.
C'est alors que Jo Delahaut (1911-1992) découvrit ses précurseurs abstraits, dont Karel Maes (1900-1974), Jozef Peeters (1895-1960) et Victor Servranckx (1897-1965). Cette génération avant-gardiste fut la première à retenir l'attention sous forme de rétrospectives et de publications. Il s'en suivit une réhabilitation des oeuvres antérieures et leur reproduction. Cette première vague généra aussi des historiens de l'abstraction internationale, à commencer par Michel Seuphor (1901-1999), installé à Paris.
La deuxième génération d'abstraits incluait de nombreux peintres qui ne venaient pas de La Jeune Peinture Belge*, d'où la bigarrure de l'ensemble. La séparation classique entre abstraction lyrique et abstraction géométrique ne suffit pas à clarifier cette énorme production.
Les abstraits s'intéressèrent de plus en plus au support et à la pâte, créant ainsi des surfaces intéressantes, parfois spectaculaires, à manipuler avec précaution. C'est le cas e.a. pour Marc Mendelson (1915), Bram Bogart (1921), Suzanne Thienpont (1905), Bert De Leeuw (1926), Octave Landuyt (1922). Certains assurèrent la transition assez naturelle vers le pop'art et l'op'art. De ce point de vue, Henri Gabriel (1918-1994) réalisa des créations remarquables, souvent des mobiles en papier, aluminium ou plexi, quoique peu prisées de nos jours.

Cobra et Cobra-après-Cobra

Ce qui était à l'origine une étape vers l'abstraction, s'imposa comme une tendance: elle survécut à l'abstraction en raison de sa réussite commerciale. En Belgique, cela mobilisa peu d'artistes. Il y eut d'abord Pierre Alechinsky (1927) et, à un moindre degré, Christian Dotremont (1922-1979) et Serge Vandercam (1924). Vers 1950, beaucoup d'artistes - plus nombreux que l'on ne le croit - travaillèrent selon les idées de Cobra*, par exemple Géo Sempels (1926-1990) et Suzanne Thienpont (1905).
La descendance de Cobra se poursuit jusqu'à aujourd'hui. Elle n'empêcha cependant pas que survivent les traditions académiques. La relève de ses gardiens opére malgré tout et, peu à peu, l'enseignement délaisse les techniques d'antan, à l'exception de quelques instituts. A l'époque, on interpréta cette rupture comme une sorte de libération ou d'apaisement, surtout du côté des assemblagistes et des artistes conceptuels. Eux plaçaient leurs dessins dans les revues de mode et dans les produits de la société de consommation. Les artistes qui, ostensiblement, entretenaient l'héritage, luttaient contre une critique et une mentalité qui prônaient l'abstraction. Hors de là, point de salut. Cela ne les condamna pas toujours. Un coloriste vigoureux et raffiné comme Rik Slabbinck (1917-1991) parvint à percer, quoique son oeuvre fut d'apparence réaliste et, avec le temps, se soit apparenté au pop'art. Au reste, cette alliance se rencontre chez d'autres qui utilisaient le bois brûlé. Isoler et agrandir des objets quotidiens ne signifiait pas du tout un défi pour ces artistes, vu la force ancienne du réalisme. Moins connu, voire méconnu, fut l'apport d'Emile Salkin (1900-1977). Dès 1957, il créa des dessins en fonction du bruit et du rythme de la ville. Plus tard, son oeuvre monumentale sur la circulation urbaine constitua un sommet du pop'art. Elle aussi malheureusement passa inaperçue.
Pendant ce temps, le surréalisme s'imposait à l'étranger. Très vite, René Magritte puis Paul Delvaux eurent une cote internationale. Cela donna le branle à l'ensemble des surréalistes. Ils parurent au grand jour au moyen notamment de nombreuses publications. Leurs relations avec le fantastique furent patentes au sein du groupe qui avait pour fer de lance la revue Fantasmagie. De ce groupe, seul Aubin Pasque (1903-1981) émergea. Son travail aida à reconsidérer les symbolistes et les idéalistes, négligés après guerre. La plupart des textes provenaient surtout de La Louvière, un peu de Montbliard où fut fondée une Académie. Celle-ci rassembla Pol Bury (1922), Pierre Alechinsky (1927), Christian Dotremont (1922-1979), Georges Vercheval (1934) et André Balthazar.
Cependant, sans interpeller les journalistes et les commentateurs qui font croire que les vraies valeurs se limitent à celles qu'ils évoquent, un important courant réaliste persista. Tandis qu'une espèce de réalisme revisitée rentrait dans l'art officiel avec, entre autres, Roger Raveel (1921) et Pjeroo Roobjee (1945).

Retour à la Beauté Classique


Cette notion d'art officiel, soutien de l'Etat, présence dans les musées et expositions officielles, convient tout à fait aux générations avant-gardistes postérieures (pop'art, op'art, Nouvelle Ecole flamande, conceptuels, assemblagistes) qu'illustre un Jozef Van Ruyssevelt (1941-1985) ou un Louis Van Gorp(1932). De ce fait, coexistent un art avant-gardiste sponsorisé et un art réaliste quasi photographique déclaré trop commercial pour attirer la sollicitude des autorités, de l'establishment et des instances officielles. La chose est absurde car y eut-il jamais artiste plus commercial que Rubens ?
Cette dénonciation réciproque des deux traditions artistiques, dédain ouvert ou mépris silencieux, est assez stérile. Il existe cependant de jeunes peintres, dont Jan Van Imschoot (1963), Luc Tuymans (1958) et Bert De Beul (1961) - sans nier l'impact de Gerhard Richter - qui veulent jeter un pont entre ces deux mondes. Il est néanmoins prématuré de voir là le signe que renaît la Beauté Classique, représentée en 1994 à l'exposition du même nom au Musée royal des Beaux-Arts à Anvers. Il semble en tout cas qu'on ait mis un terme aux expériences obligatoires qui usaient d'un vocabulaire pictural né au début du vingtième siècle. L'oeuvre de plusieurs artistes encore inconnus en témoigne. Tout porte à croire que cette fin du vingtième siècle favorisera les individus qui approchent l'art sans sectarisme.

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administrateur théâtres

La Puce à L'Oreille (Le théâtre des Galeries)

12272726475?profile=original     Le Vaudeville ? Déjà Boileau disait de lui :

 

D’un trait de ce poème en bons mots si fertile,

Le Français, né malin, forma le vaudeville :

Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,

Passe de bouche en bouche et s’accroît en marchant.

 

 

Très jeune, Georges Feydeau usa de bons mots et écrivit des pièces à rires pour échapper aux devoirs d’école, … avec l’assentiment paternel.  Il était heureux. En faire un moyen de subsistance changea toute l’affaire: le voilà coincé dans des structures  contraignantes desquelles il voudrait sans cesse s’échapper. Paradoxe, même si ses pièces sont drôles,  il ne rit plus. Il adore l’amour, paradoxe, il en mourra, veillé par Sacha Guitry. Mais ses pièces restent. Le genre peut paraître secondaire mais… il y infuse de l’esprit mordant et de la critique sociale, sans être aussi venimeux qu’Octave Mirbeau. Il dénonce cette bourgeoisie pétrie d’hypocrisie, de bassesses et de moralité fort complaisante.

 

Dans La Puce à L’Oreille, l’imbroglio inextricable  de quiproquos les plus burlesques et de situations les plus risquées, tourne à la folie!  La couleur de la puce? Puce me direz-vous ! Non, Verte ! Verte comme la jalousie, insidieuse, dévorante, dévastatrice.  Elle règne en maîtresse absolue, du valet,  au plus nanti des assureurs.

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Les patronymes sont exquis: Victor-Emmanuel  et Raymonde Chandebise, Carlos  et Lucienne Homenidès de Histangua, Romain Tournel : …Ris, Tournel !…. On n’y échappe pas !

Le Docteur Finache qui « soigne » aux sels d’ammoniaque. Notre illustre comédien Michel Hindericks joue avec brio, Augustin Ferraillon, chef de l'Hôtel du Minet Galant. Sa femme Olympe, tout droit sortie des peintures de Toulouse Lautrec...est interprétée avec délices par Laure Godisiabois et ses rires de gorge sont  inimitables. Les décors - de l’art nouveau à l’art galant -  ne sont pas en reste.

 

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Les costumes sont magnifiques et caricaturaux : un robe de soie fuchsia qui déambule dans un décor saumon, une autre robe couleur puce, taillée dans la même soie que  la nappe qui recouvre la table sous laquelle  d’aucuns devront se cacher pour échapper à d’embarrassantes situations. Les détails humoristiques fourmillent… Robes de chambres, chemises de nuit et bonnets,  livrées de valets et de séducteurs, coiffes de bonnes, l’embonpoint de l’espagnol, sommité de la jalousie féroce, tout contribue aux rires!

 

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Le comique du neveu Camille  qui ne peut prononcer les consonnes fait mouche malgré le procédé un peu gros quand même.   Image incontournable d’une  dégénérescence de caste? La farce sera à son comble si on ajoute le comique technique d’une chambre  galante qui s’escamote et présente  subitement l’image d’un pauvre hère hébété malade et  alité, ou d’autres situations coquasses. L’auguste personnage de Victor-Emmanuel semble atteint de delirium tremens. Le jeu des sosies… lui fait voir des fantômes et perdre toute notion d’identité. On ne se remet pas des accès de rire à répétitions, qui bien involontairement nous échappent, nous qui, d’ordinaire, allons  au théâtre pour les idées et les grands sentiments.

 

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Le spectateur est happé par cette pièce délirante et s’y trouve heureux. Un tour de force du texte et de son interprétation magistrale par cette troupe de comédiens magnifiquement rôdée.

 

Victor-Emmanuel Chandebise

Michel Poncelet

Raymonde Chandebise

Perrine Delers

Lucienne Homenides

Angélique Leleux

Camille Chandebise

Luc Gilson

Romain Tournel

Pierre Pigeolet

Augustin Ferraillon

Michel Hinderyckx

Olympe Ferraillon

Laure Godisiabois

Docteur Finache

Marc De Roy

Carlos Homenides de Histangua

Toni d’Antonio

Etienne

Jean-Paul Clerbois

Antoinette

Cécile Florin

Rugby

Benoît Strulus

Baptistin

Bernard Lefrancq

Eugénie

Marjorie Berger

--

Mise en scène

Bernard Lefrancq

Décors

Francesco Deleo

Costumes

Ludwig Moreau

 

http://www.trg.be/Public/Page.php?ID=2686&ancestor1=2463&saison=2448

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Ton souffle filigrane

Maintenant que tu es là

Nos mains se retrouvent

Et nos yeux sont inondés de soleil

Tes baisers légers au coin de mes lèvres

Écartelés par la lumière

Mille et une feuilles

Ailes papillons dispersées dans l’éther

Ton souffle doux filigrane

Murmures du printemps

Mais bientôt les tilleuls seront en fleurs

Et les feuillages en petits cœurs

Fragrances d’éden et la joie demeure

Oui il y a de l’âme encore

 

04/04/11

Nada

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de la lumière pour les morts

Je m'envestis dans la tourbe.

 Ce millieu hostile, en tout cas stérile.

 J'ai le souvenir de ce terrain enfoncé au creux de moi-même. Humus enchorgné, fumet acide ou si peu de choses parviennent à s'épanouir.

(des lumières vivantes pour les morts)

 phrase issue du livre de Johan Theorin

 50x50 acry sur toile avec marouflage

gegout©adagp 2011

tourbière marouflée

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journal de bord, lundi 4 avril 2011

Rue de Vergnies.

 

Y a du linge sur les balcons.

 

Chaussée d'Ixelles.

 

On a baillonné une boîte aux lettres.

 

Rue des Champs-Elysées.

 

Des roses dépassent un grillage. Un chien gronde dans les parages.

 

Place Flagey, juste avant dix-sept heures.

 

Des tables jaunes. des tables bleues.

 

En Côte d'Ivoire, dse émeutes commencent. La Libye pass'rait-elle déjà le relais ?

 

Sur Internet, ma page "yahoo" cale toujours ... trois fois sur quatre. Aux avancées de la nuit, y a parfois un semblant de relâche.

 

Rue de l'Ermitage, 48.

 

J'ai récupéré, au dessus des boîtes aux lettres, du courrier adressé à la ... rue des Champs Elysées, 48.

 

"Ils savent pas lire ?", me demanderont les clients.

J'ai envie d'abonder dans leur sens.

Mais je sais aussi que ...

 

Les facteurs remplaçants, dans le nouveau système, n'ont plus le temps d'être formés au métier (comme j'ai encore eu la chance de l'être, en 1989, quand je suis entré à la poste). Au bout de trois jours (parfois moins), on les envoie déjà sur le terrain. Quand je suis entré à la poste, l'initiation durait trois semaines (par certains points, c'était déjà insuffisant, mais bon ...).

 

Avant, le système de tri, sur les tournées, fonctionnait ainsi : les casiers, bien distincts, étaient répertoriés par rues. Et non par numéro.

Je prendrai un exemple symbolique, en partant de la tournée que j'accomplis : un casier disait "chaussée d'Ixelles, 324 à 290",un autre casier disait "rue de Vergnies, 1 à 21". Et ainsi de suite. Dans la dynamique de travail, on regardait d'abord le nom de la rue, avant de s'attarder au numéro.

Aujourd'hui, le système de tri, sur les tournées, fonctionne ainsi : y a plus de casier. La tournée est représentée du début jusqu'à la fin, chaque numéro de maison est séparé de l'autre, les différentes rues sont illustrées par des couleurs. J'avoue que ... je préfère ce système-là, il me paraît plus précis que l'autre. Mais rendons-nous à l'évidence : comme chaque numéro est isolé, l'attention envers le numéro prime. Pas étonnant que, tout en mémorisant le numéro, on se trompe parfois de rue. Moi-même, qui ai du métier, qui connaît ma tournée, mes clients, quand je me retrouve le matin, avec parfois plus de huit bacs à trier, quand on sait que le temps de tri est limité, qu'on doit garder un rythme, je me trompe aussi de rue, quand je prépare le bazar, au matin. Bien entendu, en tournée, je rectifie le tir : les noms des clients, sur les lettres, sont suffisamment explicites ...

 

Dix-neuf heures trente.

 

Je n'irai pas coucher tard.

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Petit survol de la gravure en Belgique

L'estampe a connu dans nos provinces une production ininterrompue du quinzième au dix-huitième siècle et son rayonnement s'est étendu bien au-delà de nos frontières; mais, comme chez nos voisins du Nord et de l'Est, le dix-huitième siècle constitue une période creuse, sans histoire.


L'Essor de la lithographie

Lorsque la Belgique accède à l'indépendance en 1830, la lithographie est déjà présente mais depuis peu. Un des frères d'Alois Senefelder (1771-1834), l'inventeur de la lithographie, fait les premiers essais à Bruxelles. Charles Senefelder annonce même des cours de lithographie et leur publication dans un volume vendu par souscription au prix de 15 F. A partir de là, d'autres ateliers ouvrent à Bruxelles, et, en province, à Mons, Tournai et Gand.
Après avoir réalisé des planches de voyage, Jean-Baptiste Madou (1796-1877) aborde le portrait et représente avec succès les événements de la jeune nation. A ses côtés, d'habiles praticiens produisent une abondante imagerie sous forme de romances, keepsakes et autres albums lithographiques qui sont faits pour être feuilletés en famille, le soir sous la lampe, dans la chaleur intime du salon: Henri Vander Haert (1790-1846), Charles Baugniet (1814-1886), Joseph Schubert (1816-1885), Paul Lauters (1806-1875), Charles Billoin (1813-1869), Gustave Simonau (1812-1870), Théodore Fourmois (1814-1871), François Stroobant (1819-1916), Eugène Verboeckhoven (1798-1881) et d'autres encore.
En 1856, paraît à Bruxelles le premier numéro d'une publication satirique, fondée par quelques jeunes écrivains sous le titre Uylenspiegel, journal des ébats politiques et littéraires, ornée d'une ou de plusieurs lithographies originales. C'est là que Félicien Rops (1833-1898) fait ses premières armes, compositions qui se distinguent par leur qualité, comme Tête de vieille anversoise, Un monsieur et une dame, et l'Enterrement au pays wallon. Mais Félicien Rops revient vite à l'eau-forte dont les possibilités et l'esthétique lui conviennent mieux.


La renaissance de l'eau-forte

En réaction contre la mièvrerie et le caractère léger de la gravure anecdotique fin dix-huitième siècle, le burin, instrument noble, qui avait si bien servi l'art du dix-septième siècle, est repris, perfectionné et retrouve une nouvelle jeunesse en renouant avec la tradition rubénienne. Ce réveil est cautionné par Luigi Calamatta (1801-1869), graveur italien installé à Bruxelles, en 1836, qui forme des élèves alors fort applaudis mais oubliés aujourd'hui. Auguste Danse (1829-1929) est le dernier représentant de cette école.
L'épanouissement de l'école belge de peinture après 1830 est l'oeuvre de Henri Leys (1815-1869). Il réhabilitel'eau-forte originale et peut être considéré comme le chef de file de l'école anversoise moderne. Les eaux-fortes de Leys dégagent une force de suggestion qui le hausse au niveau des grands maîtres. Pourtant, l'artiste ne mesure pas toute l'importance qu'à son oeuvre gravée, à moins que, comme Manet, il ne la prenne pas au sérieux. A côté de lui gravitent des peintres venus à l'eau-forte: Jozef Linnig (1815-1891), Egide Linnig (1821-1860) et Jan Stobbaerts (1838-1814). Fils du peintre Ferdinand De Braekeleer (1792-1883), neveu et élève de Henri Leys, Henri De Braekeleer (1840-1888) voit sa carrière de graveur se dérouler parallèlement à celle de peintre, simplement et aisément. Ses estampes sont comme ses tableaux des impressions fidèles, naïves de la nature, sans aucun des raffinements que procurent les artifices de l'impression propres à l'époque.
La carrière de James Ensor (1860-1949) aquafortiste est très courte. Elle commence en 1886, alors qu'il a vingt-six ans, pour se teminer en 1904 avec La plage à La Panne. Par respect pour sa mémoire nous passons sous silence les dernières planches d'une pauvreté déconcertante. Ce fulgurant parcours est un véritable feu d'artifice; en moins de vingt-six ans il grave cent vingt-neuf cuivres dont vingt-deux sont d'authentiques réussites.
A la fin du dix-neuvième siècle de nombreux artistes travaillent en Belgique en dehors de l'influence de James Ensor ou des écoles du Nord; c'est le cas d'Hippolyte Boulenger (1837-1874), Alfred Verwée (1838-1895), Adolphe Hamesse (1849-1925) et Charles Degroux (1825-1870).
L'école anversoise, toujours vivace, arrive en 1914 avec des talents et des promesses, mais la majeure partie des artistes se réclame toujours de Henri Leys et de Henri De Braekeleer, malheureusement sans renouveler son expression. Jakob Smits (1855-1928), un Hollandais installé en Campine, dans une simple maison de paysan, construit lentement, parallèlement à sa peinture, gauchement, son oeuvre gravé sans aucune formation technique, avec des moyens plus que limités. Autodidacte, il a trouvé en lui les ressources nécessaires pour rendre, sans aucun recours à l'impressionnisme, la vie et la lumière du ciel campinois. Son exemple n'eut pas de suite à l'exception de Dirk Baksteen (1886-1971) qui ne retint malheureusement que le côté extérieur de cette oeuvre toute intérieure et se répéta dans la représentation des calvaires ou des fermettes campinoises.
En feuilletant les estampes de Jules De Bruycker (1870-1945), on est frappé par son ampleur exceptionnelle, sa réalisation technique et surtout par l'esprit particulier qui l'imprègne dans la tradition de Brueghel; malheureusement l'anecdote des sujets et les tics d'écriture provoquent la lassitude.


L'Expressionnisme en estampes

L'expressionnisme qui s'est épanoui en Europe après le premier conflit mondial, s'est réalisé parfaitement chez nos peintres et plus particulièrement dans le groupe de Laethem-Saint-Martin. Gustave De Smet (1877-1943) et Jean de Bosschère (1878-1953) ont conçu dans cet esprit de belles estampes. Néanmoins, le pionnier de cette tendance dans notre pays fut Albert Servaes (1883-1966) qui l'annonçait déjà avant 1914 et qui a signé d'étonnantes lithographies. Toujours dans cette ligne, mais tempérés par l'esprit de Laboureur, Floris Jespers (1889-1965) et Joris Minne (1897-1988) s'imposent à notre attention. Ce dernier, fortement discipliné par son appartenance au Groupe des Cinq, est avenu plus tardivement au burin et à la pointe sèche où il a pu donner libre cours à son inspiration.
L'influence du néo-impressionnisme français et la personnalité d'Ensor ont conduit plusieurs artistes à employer la lumière comme élément constructif de leurs estampes; c'est ainsi que Théo Van Rysselberghe (1862-1926) a gravé des paysages où les traits sont petits et courts comme les touches de couleurs surs des toiles de Seurat. Dans la même ligne s'inscrit Rik Wouters (1882-1916), autodidacte pour qui seul compte le trait et pour qui les procédés savants ou les trucages d'impression n'existent pas. Ses compositions sont remarquables par la sûreté de la pointe qui mord le métal et qui donne une impression de noirs et de blancs très purs.


Le renouveau de la gravure à Liège

Parallèlement à la gravure anversoise renouvelée sous la houlette de Henri Leys et Henri De Braekeleer, à Liège, Adrien de Witte (1850-1935) prépare l'essor de la période moderne dans la tradition des Coclers, Natalis, de Bry, Lombard et Suavius. Adrien de Witte traduit fidèlement, sincèrement tout ce qui est plastiquement réalisable, avec un souci de justesse jamais défaillant.
A cet isolé succédera un groupe de disciples qui formera le noyau de l'école liégeoise de gravure au 20e siècle. Le plébéen François Maréchal (1861-1945) est le graveur par excellence, au réalisme intransigeant allant jusqu'à reproduire avec une tenace fidélité, certains décors connus. Son métier puissant et incisif lui aurait permis d'être un maître de l'estampe moderne s'il ne lui avait manqué le goût et la sensibilité indispensables. Armand Rassenfosse (1862-1934), intellectuel et dilettante distingué, aux goûts littéraires prononcés, a produit une oeuvre considérable au cours d'une longue et féconde carrière artistique. Elève d'Adrien de Witte, ami et disciple de Félicien Rops, il a longtemps subi son influence dont il ne s'est affranchi qu'après 1910. Souvent oublié comme graveur, le fougeux peintre de l'Ardenne, Richard Heintz (1871-1929), refusa tout autant le legs de ses aînés que l'enseignement académique. Indépendant jusqu'à la sauvagerie, il libéra la peinture liégeoise des contraintes traditionnelles et son action s'étendit également au domaine de l'estampe par quelques eaux-fortes magistrales qu'il jeta rapidement sur le cuivre sans s'embarrasser de technique. Plus près de nous, Jean Donnay (1897-1992), Georges Comhaire (1909), Roger Thomas (1912-1978) et Emile Hougardy (1899-1981) ont entretenu la pratique du beau métier et l'amour de la culture littéraire.
Pour terminer ce panorama de la gravure liégeoise, citons Auguste Mambour (1896-1968) dont le crayon lithographique puissant a dessiné de remarquables études africaines et Joseph Bonvoisin (1896-1960) qui exprime dans ses burins d'une technique irréprochable, un sens philosophique à la fois esthétique et mystique.


Renaissance de la gravure sur bois

La gravure sur bois qui a produit des chefs-d'oeuvre au seizième siècle, brilla d'un dernier éclat, au dix-septième siècle, avec Christoffel Jegher, l'interprète privilégié de Rubens, puis déclina devant le travail plus fin et plus nuancé de la taille douce. Cependant, le bois n'avait pas totalement disparu car il était toujours apprécié dans l'art du livre où il fournissait bandeaux, culs-de-lampe et vignettes d'ornementation. De son côté, l'image populaire restait fidèle au bois gravé colorié, principalement à Turnhout, centre de fabrication de la carte à jouer.
Il faudra attendre l'impulsion du groupe Lumière* avec le dynamique Roger Avermaete (1893-1988) à Anvers, sa revue, ses publications et ses expositions pour révéler la gravure moderne sur bois dans notre pays. C'est en effet au sein de ce groupe que se rencontrent Frans Masereel (1889-1972), travaillant à Genève, Jan-Frans Cantré (1886-1931) de Gand, Jozef Cantré (1890-1957), installé à Blaricum aux Pays-Bas, Joris Minne (1897-1988) et Henri van Straten (1892-1944) d'Anvers. Les peintres de Flandre s'enthousiasment pour ce nouveau procédé, mais il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus, beaucoup renonçant après quelques tentatives, cas de Fernand Schirren (1872-1944), de Jos Albert (1886-1981) et de Floris Jespers (1889-1965). Il faut aussi parler des artistes honnêtes dont les conceptions esthétiques datent quelque peu, comme celles d'Albert van Holsbeeck (1877-1948), d'Emile-Henri Tielemans (1883-1960), Albert Droesbeke (1896-1929). Il y a aussi les marginaux abstraits, tels Karel Maes (1900-1974), Pierre-Louis Flouquet (1900-1967) et Marcel-Louis Baugniet (1896-1995). Il y a enfin des graveurs occasionnels qui réalisent leurs bois avec des yeux de peintre, sans se rendre compte que ce procédé possède ses lois propres, comme Jean Brusselmans (1884-1953), ou qui retiennent l'attention par la valeur du dessin et de la pensée, ce qui vaut pour Felix Timmermans (1889-1947) et Max Elskamp (1862-1931).
Tous ces travaux sans liens apparents ont pourtant une caractéristique commune: l'influence prépondérante des artistes flamands et, corollaire, l'influence insignifiante de l'étranger. Leur conception est très pure et très simple à la fois: les traits en réserve et les aplats blancs s'inscrivent sur la surface noire du bois ou du lino, mais ne rompent jamais la forme du bois. Elle ne découle d'aucune théorie et n'est issue d'aucun groupe: elle s'est imposée lentement à des artistes comme Masereel, les frères Cantré, Minne et van Straten qui, tous, constituent un fleuron de l'art graphique belge.
Après l'austérité et l'intransigeance du Groupe des Cinq, une réaction s'amorce chez les jeunes xylographes, qui conduit à un mode d'expression plus nuancé, reprenant les conceptions esthétiques de Victor Delhez (1901-1985). Ce mouvement s'est développé à l'Ecole supérieure des Beaux-Arts d'Anvers sous l'influence de deux professeurs, Mark Severin (1906-1987) et Maurice Brocas (1892-1948). Maladroit et naïf, Edgard Tytgat (1879-1957) échappe aux classifications. Autodidacte, il peint et grave comme il respire et n'écoute jamais que sa fantaisie personnelle, pleine d'une humanité profonde, agrémentée d'un humour bon enfant, parfois coquin. Il introduit la couleur dans ses planches qu'il imprime lui-même à la manière des anciens avec des pigments liés au blanc d'oeuf.
Si la xylographie n'a pas toujours réussi aux artistes abstraits, les techniques de la taille douce ont permis à René Mels (1909-1977) de s'exprimer pleinement en prenant ses distances vis à vis de la nature et du visage humain et en utilisant des moyens puissants pour creuser le métal en vue de donner une troisième dimension à ses estampes formées souvent d'assemblages de pièces métalliques travaillées et encrées en couleurs.
De son côté Luc Peire (1916-1994), avec la lithographie comme avec la taille douce, édifie ses rythmes par une opposition des surfaces rectangulaires aux lignes verticales du dessin. Enfin Raoul Ubac (1910-1985), au métier sobre, ayant le goût de l'artisinat et de la belle matière, s'exprime aussi bien par le burin que la lithographie, mais il taille également des ardoises dont il tire des empreintes, et le gentil Jean-Michel Folon (1934) dessine des images tendres.


Une nouvelle technique: la sérigraphie

Le développement de la sérigraphie aux Etats-Unis a crée un nouveau style issu du pop'art qui a connu un certain succès chez nous. La sérigraphie a permis également aux peintres, généralement abstraits, de s'exprimer plus facilement en multipliant les essais: Jan Burssens (1925), Jo Delahaut (1911-1992), Jean Milo (1906-1993), Jean Rets (1910-1998), Marc Mendelson (1915) et Gaston Bertrand (1910-1994).


Les graveurs se réunissent

Avant de clore cette introduction, il est nécessaire de rappeler l'influence qu'ont eu les sociétés d'artistes sur l'évolution des arts graphiques. Avec la renaissance de l'eau-forte, plusieurs associations se formèrent pour promouvoir cet art à la mode. En 1862, A. Cadart et A. Delâtre créèrent, à Paris, la Société des Aquafortistes qui édita tous les grands artistes français de l'époque, ainsi que des étrangers dont quelques Belges. Devant le succès rencontré par cette réalisation, Félicien Rops (1833-1898) fonde, à Bruxelles, la Société internationale des Aquafortistes* avec pour objectif, rénover l'eau-forte belge et mettre en valeur un art moderne en réaction contre l'Ecole anversoise et les milieux officiels. En outre, il désirait faire de cette société le rendez-vous des graveurs internationaux. Dans un petit pays comme le nôtre, ce projet ambitieux et quelque peu farfelu n'avait aucune chance d'aboutir; néanmoins on voit paraître, dès 1875, les albums d'estampes Cahier d'études de la Société internationale des Aquafortistes*. Pour pallier le manque de collaborateurs, principalement étrangers, et le désintérêt du public, Félicien Rops livre des eaux-fortes sous les pseudonymes de Niederkorn et William Lesly. Feu de paille, la Société à bout de moyens financiers, privée de son mécène, Félicien Rops parti pour Paris, cesse ses activités malgré la protection de la Comtesse de Flandre (1845-1912), elle-même artiste.
En 1870, A. Siret, directeur du Journal des Beaux-Arts à Bruxelles, décida de donner en prime à ses lecteurs un album de dix eaux-fortes: Album du Journal des Beaux-Arts, renfermant les travaux d'artistes de renom, ainsi que de jeunes talents choisis par un concours: Franz Stroobant (1819-1916), Léon Dansaert (1830-1909), Charles Degroux (1825-1870), Rik Schaefels (1827-1904), Félicien Rops (1833-1898), Liévin Jacquelart (1820-1870). Le dernier concours du Journal des Beaux-Arts eut lieu en 1883, marquant ainsi la fin de cette initiative.
Fondée en 1881, la Société des Aquafortistes anversois* (Vereniging van Antwerpsche Etsers) limite le nombre de ses membres à 40, dont les trois quarts doivent être des artistes, parmi lesquels on retrouve la Comtesse de Flandre. La Société a publié annuellement pour les souscripteurs un album d'estampes d'artistes en renom: François Lamorinière (1828-1911), Charles Verlat (1824-1890), Theodoor Verstraete (1850-1907), Charles Mertens (1865-1919), Jules Guiette (1852-1901), Piet Verhaert (1852-1908)…
Bruxelles, à son tour, veut intervenir dans le renouveau de l'eau-forte et constitue, en 1887, la Société (royale) des Aquafortistes belges* sous la présidence de la Comtesse de Flandre et avec le concours des milieux officiels. Sur le modèle de la Société anversoise, elle publie, chaque année de 1887 à 1891, un album d'estampes destiné aux souscripteurs: Albert Baertsoen (1866-1922), Emile Baes (1889-1953), Louis Titz (1859-1932), Armand Heins (1856-1938).
En 1924, H. Liebrecht et Emile-Henri Tielemans (1883-1960) fondent la Gravure Originale Belge* qui a publié, jusqu'en 1939, 11 albums d'eaux-fortes et de bois gravés par ses membres: Dirk Baksteen (1886-1971), Jan-Frans Cantré (1886-1931), Maurice Langaskens (1884-1946), Armand Rassenfosse (1862-1934), Victor Stuyvaert (1897-1974), Walter Vaes (1882-1958).
Enfin, en 1964, est fondé, à Bruxelles, le groupe Cap d'Encre*, réunissant sept graveurs: Pierre Alechinsky (1927), Marc Laffineur (1940), Gustave Marchoul (1924), Jules Lismonde (1908) et André Toussaint (1923), avec pour but la promotion de la gravure de qualité par des expositions, des éditions et l'aide aux jeunes graveurs par la diffusion de leurs oeuvres. Le plus important d'entre eux, Pierre Alechinsky (1927), défenseur de la pensée libre et de la création spontanée, ami de Christian Dotremont (1922-1979) avec qui il a réalisé des travaux communs, s'exprime ainsi: "Au départ il n 'y a rien, au départ je ne sais rien, je n'ai aucune information sur moi-même. Après coup, il y a tout... souvent cela appelle des compléments d'information, sous la forme de notations marginales ou d'autres textes clarifiant, par contraste ou concomitance harmonieuse le motif central". L'aîné du groupe Jules Lismonde, est un dessinateur exclusif, un abstrait absolu dont la rigueur est tempérée par les tons qui vont du noir au gris le plus délicat, par la qualité des papiers et l'élégance des graphismes. En 1966, le groupe s'est adjoint un jeune artiste de valeur, Gabriel Belgeonne (1935), amoureux du beau métier, de la taille propre et pure, des rythmes éternels.
Nous terminons ici, car il est très difficile d'apprécier ses contemporains par manque de recul d'abord; en outre, ils sont en pleine évolution et ceux qui à vingt ans promettent beaucoup peuvent ne durer qu'un feu de paille par manque d'inspiration, par contre d'autres tâtonnent et sont lents à trouver leur voie.
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poete du dimanche

FESTIVAL DE LA POESIE FRANCAISE




Jeu de mots







Quels sont ces gens
Qui comptent
Leurs syllabes
Et coupent les mots
En pieds
Pour faire plus beau ?
Pied bot

Devant ces crimes
Mes idées fuient au galop
O Cupidon
O raison
Funeste oraison

Idées poinçonnées par
L’horloge rythmique
Ma pensée dit :
Non ! À la rime pénitentiaire
Non ! À la rime galère
Non ! Au génocide d’idées
Elle RECLAME droit de Cité

Devant l’Inquisition
Des Beaux Esprits
Le poète comparaît
Inquiet

La rime en bataille
Il craint le fouet mais
Sur une page
Blanche
S’étale sa…rébellion
Et, en boustrophédon
Oh ! Oh !
Nous lisons :
Je ne suis pas un fabliau
Je ne m’appelle pas Boileau
Je suis poète du dimanche,
J’aime jouer avec les mots
Les faire rouler hors des enclos

Il connaît, ce poète
La vigueur des « maux »
Il en sait toutes les nuances
Pourtant, frôlant
L’impertinence
Il clame toujours
Plus haut :

Je ne suis pas un fabliau,
Je ne m’appelle pas Boileau
Je suis poète du dimanche,
J’aime jouer avec les mots
Les faire rouler hors des enclos

Il y a les mots discours
Que l’on n’emploie pas tous les jours :
Drôlichons, abscons
Les mots « faubourg »
Les mots tendres
Qu’on aime entendre
Tous les jours
Mots
TROUBADOURS

Il y a des mots-porcelaines
Mots de Qu’on bourre
Mots sujet
« Qu’on sonne » !

Point n’est besoin
De mots vulgaires
Ainsi, la soupe
Devient
Velouté et
La « patate »
Pomme de terre
Nous acceptons la pomme frite

Toutes ces dames de se pâmer, de dire, de raconter

« Il se trouve un jardinier
Un peu sot
Bête, serait le mot
Il se nomme, voyons ?
C’est trop fort !
Attendez, que cela me revienne !
Attendez donc, encore
Oui, oui c’est élémentaire
Il s’appelle Voltaire

Ciel ! Voltaire, dites-vous ?
Ne serait-ce point ?
Si, Si
Mais encore ? Celui qui ?
Lui-même ! Vous dis-je
Il désirait,
Ma chèèèère,
Je vous le donne en cent,
Je vous le donne en mille,
Il désirait
Cultiver, CANDIDEMENT,
Son jardin
Quel manant !
Mais si mais si,
La chose est vraie,
La chose est sûre

Laissons donc ces petites gens
Arroser, suivant la coutume l
Leurs légumes
Je ne suis pas un fabliau je ne m’appelle pas Boileau
Je suis poète du dimanche j’aime jouer avec les mots
Les faire rouler hors des enclos

Tel mot bâtard
Me plaît beaucoup
Il ne vient de
Nulle part mais…je m’en fous
Il me charme et
Voilà tout

Tels mots sont équivoques
Ainsi vers, verres, vert
Vous exigez des vers à soie
Des verres pour soi
Moi ? Je désire
Des vers à moi
Il vous faut des verres
A vin
Pour y noyer
Votre chagrin
Moi ? Je veux mes vers LIBRES
Hybrides

Je ne suis pas un fabliau, je ne m’appelle pas Boileau
Je suis poète du dimanche,
J’aime jouer avec les mots
Les faire rouler hors des enclos

Je n’aime pas les
Mots labeurs
Issus de pleurs
Mots crucifiés telles des
Idées fixes
Mots coulants
Mots brûlants
Mot CROISES
Soldats de ma
JERUSALEM

Mots pieux
O Dieu !
Odieux
Olivier, Mont, Père !
Pitié, pitié pour eux

Le Verbe s’est fait
Chaire-chair
Tabernacle
PENSEE CALVAIRE
En vérité je vous le dis

Je ne suis pas un fabliau je ne m’appelle pas Boileau, je suis poète du dimanche, j’aime jouer avec les mots
Les faire rouler hors des enclos

Il va ce poète récitant ces mots
Egrenant son rosaire
Jusqu’au tombeau
Ces méchants vers
Valent bien
Vos PRIERES

Il va
Cherchant le
REFUGE
Pour l’ETERNEL TRANSFUGE
Morceau de LUMIERE
Sur TERRE
Ave ! Ave !
LE VERBE EST PARMI NOUS

JE SUIS CELUI QUI EST

Les Grands Inquisiteurs
Rient aux éclats
Mais Qu’est-ce donc ce charabia ?

Celui qui est ?
Celui qui est !
C’est court
Bref
Pas clair du tout
Je suis celui qui est ?
Impossible
Même dans le livre des livres
Nous ne te trouvons pas
Alors ! Dis- nous

Où ?
Quand ?
Comment ?
Pourquoi ?
De quoi s’agissait- il encore ?
D’UN VERBE
TORTURE A MORT !

Y a-t-il ; longtemps de cela ? Etes-vous certain que j’étais là ?
Que je le savais cela a-t-il été prouvé ?
Vous dites ?
Je ne comprends pas
Depuis longtemps ! Ah bon !
Depuis toujours !
Savais pas ; Non, non
Encore au temps présent
Et au Futur aussi
Sans conditionnel possible
C’est un Impératif !
JE SUIS CELUI QUI EST
Mais
Je ne suis pas un fabliau je ne m’appelle pas Boileau, je suis poète du dimanche
J’aime jouer avec les mots
Les faire rouler hors des enclos

Les verbes se font chers ma chère
Non…cher mais CHAIRE très chère !
Le croyez-vous ?
Et vous ?
Elle rit :
Hi ! Hi !! Hi!
Hou ! Hou ! Hou !
Parmi nous !
A mort Barrabas
Vive le VERBE
A ce cri le poète
Evanoui
Revient à nous
Revient à lui

J’ai fait un rêve horrible Imaginez-vous j’affirmais
« Je ne suis pas un fabliau, je ne m’appelle pas Boileau
Je suis poète du dimanche, j’aime jouer avec les mots, les faire rouler hors des enclos.

andree colon
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ADIEU 1

Adieu 1

PB est seul dans sa chambre et travaille dans le plus grand des silences possibles comme tous les matins





Il déposa son revolver devant lui et en caressa la crosse



Il n’est pas réellement angoissé ni franchement déprimé. Il se pose la question du « Pourquoi vieillir ? « Pas du « Pourquoi mourir ? » Mais du « Pourquoi vieillir ? » Il lui paraissait tellement évident que plutôt que de supputer le moment, l’heure, le jour de sa mort Il serait infiniment plus sage plus serein et pour tout dire plus logique de Prévoir » Tout est là. « Déterminer » sa mort. « Choisir » le moment du suicide. Mot tabou, défendu : « Suicide » mot étrange, à l’oreille il est vrai mais,, plus encore à écrire Lui, au contraire, le calligraphiait « suicide, » Délivrance, acte ultime d’autonomie. Echapper à la « Terreur des Blouses blanches » , à la chosification, aux numéros matricules qui jonchent notre vie. Depuis l’heure de notre naissance jusqu’à celle de notre suicide enregistré face à un numéro. Suicide : Evasion devant les hospices et autres joyeusetés pour « petits vieux », en attente de cessation de vie. Suicide : Appel au secours disent les « Psychoses » qui savent toujours tout, sur tout. Oui vous avez raison, oui, voyez comme la vieillesse m’a bonifié Je suis tout ouï…. oui, oui,
La possibilité du suicide lui rend la vie tolérable.

Le temps des larmes s’assèche quelque peu, Vient, à présent, le Temps du vide, de l’inoccupé, de la vacance non voulue.
Il ferme les yeux et se souvient Le coin de la rue où, tous les vendredis, il refaisait le monde avec son ami Bob Encore un qui sait laisser mourir plutôt que de supporter l’imbécillité du monde des soignants Bob qui a refusé sans rien dire ! ! ! ! D’être infantilisé bêtifié à plaisir
Il s’est levé sous l’emprise d’une émotion soudaine Il sifflote dans sa chambre, fait celui qui ne sent rien tandis que ses pensées, clandestines, frappent à la vitre du souvenir, passent à l’assaut des «convenances » se déversent en grandes coulées chaudes sur ses joues, Il se fait un Musée, se remémorant, engrangeant son passé au plus vite de crainte que les contours de l’être aimé ne se difforme. Il comble, à la hâte, les blancs, au-dedans, pour avoir une histoire, son histoire à raconter « chantefable » qu’il répète à satiété
Depuis des mois, depuis des jours, peu à peu, il entre dans la zone
» Détachement » Il donne ses affaires, ses vêtements, ses jeux, ses livres, pour faire de la place, dit-il ; On applaudit à cette initiative car … Quel boulot pour la famille quand un vieux meurt Quel fatras ! Pourquoi garder toutes ces vieilleries ? Quel capharnaüm ! Des tas. Comme vous faites bien d’être prévoyant, lui assure son Aide familiale ! Il prévoit son testament de vie. Prévoit le don de son corps à l’ULB COMPRENDS QUE LE MORT c’est lui. Il se dit adieu, se dépouille peu à peu de tout ce qui lui semblait important il y a encore peu Il s’en va au-dedans, à l’insu de tous, il part sans crainte ou si peu. Il est disponible, toujours présent. s’écoute sans fin…sans faille se blottit dans ses « couplets » dans ses « refrains » Je faisais, je disais, j’ai pensé, je, je, je. Il se laisse aller dans l’eau du Styx où, invulnérable à la morsure du souvenir il glisse. Il s’imagine la pièce entre les lèvres pour le Grand Voyage Il prit son manuscrit
« Apollon, dieu de la musique, de la poésie, de la connaissance Apollon méconnu, dieu de la divination guide mes pas ;
Mène--moi à la lumière du Parnasse. Vois la pièce entre mes lèvres. Offre-moi, oui, offre--moi le Fil d’Ariane pour le voyage initiatique et laisse-moi m’asseoir dans l’Olympe. Poebus, fils de Zeus, n’ai-je pas payé tribu ? Reçois-moi ; l’AUSPICE en est favorable. »
Il referma son livre ; déposa son revolver devant lui et en caressa la crosse
« Questions pour un champion » battait son plein. La TV faisait son « ronron »
Il songea à son Lancelot du Lac, messager dépositaire de ses amours clandestines Chloroformé à la souffrance, le voici dans un brouillard épais, dans une indifférence bienheureuse. Il écrit ces lignes, les dernières ; il le sait, il s’en est fixé lui-même le nombre 500 pages, cinq cents pages bien torchées. Et pfft…
Il nota Les psy ne supportent pas d’être remis en question Il sourit avec cynisme Depuis le temps qu’il s’en fout. Il paie pour qu’elle fasse semblant d’écouter, de l’écouter et, c’est ce qu’elle fait. Il nota encore Les psy se présentent comme des courroies de transmission entre le monde onirique et le monde réel Psys Télescopes avides d’images, ils prennent, voient, regardent, écoutent, plus encore imaginent… Déduisent avec hardiesse ce qu’on ne leur dit pas. Le non-dit l’éloquence du « non-dit » Ils Savent ! Ils sont Freudiens, Lacaniens Ils sont Nostradamus de notre avenir. Il nous faut être, étoiles bien rangées dans la galaxie, le système ! ! « Rangé » tel est le mot clef Nous voici ; ankylosés de l’analyse, le fantassin de l’explication tous azimuts qu’on nous dispense à gogo car, ils expliquent, argumentent nous poussant, gentiment, vers la chronicité. Nous sommes d’un bon rendement allez. ! Nous représentons le montant de la Maison de demain, les études des enfants, de leurs enfants bien évidemment
Depuis une bonne demi-heure « Neurone » lui parle plutôt lui récite les Romantiques, le Parnasse, les Symbolistes. « Neurone », encore un qui se prend pour un intellllectuellll…. Il écoute à peine ce merdique, ce buveur d’encre ce « Neurone » Il dit : « Oui » bien civilement Il est « ailleurs d’ailleurs » habité d’un grand tapage intérieur ; ramdam de réflexions ; Il note à la hâte
« Tout gueule en moi. « Je ne suis que cela, « une Plume une machine à produire du texte » Je suis un bogue de programmation une erreur, un hiatus. Je suis tout sauf, moi. On veut tout de moi. Je peux, je dois écrire sur tout, surtout, sauf, sur moi. « Et, sans rien dire, toujours souriant, joyeux, plein d’entrain, Je lève le FOC pour le sublime et chimérique dialogue. Voyage fantasmagorique
« Sens interdit, sans interdit » J’échouerai au rivage de l’impossible, de l’incohérence Je ne me recrée plus. Aide-moi, Zeus, j’ai mal à mon âme El était mon ellipse. El était spirale, volute, méandres
El était dangereuse ! Pour qui ? Dangereuse pour quoi ? C’est défendu ! Par qui ? Pourquoi ?
Il se regarde souffrir, il se souvient d’avoir eu si mal, d’avoir été
« Très mal » , comme on dit. Il s’étend, se raconte, se prolonge comme une ombre. Il, s’écoute, s’observe dans le creuset du jadis Il songe, s’étale comme un fruit trop mûr
Il la revoit. Il sourit C’est loin, très loin ! Le Temps passe rythmé par le balancier de la peur Il reprend son revolver, le guidon n’est pas droit remarque-t-il, contrarié.



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Jambes : un peintre du « Grand Dérangement » à la Tour d’Anhaive
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Les vacances de printemps arrivent… l’occasion pour vous de découvrir ou redécouvrir une exposition consacrée aux huiles récentes du peintre louisianais Francis X. Pavy.

Accessible jusqu'au 30 avril 2011 dans les locaux rénovés de la Seigneurie d’Anhaive.

Canada, an de grâce 1755. Le Grand Conseil (anglais) de Halifax décide que les colons venus de France ne feront jamais de bons sujets de la Couronne. Il faut donc les expulser, sinon les détruire. C’est alors que va commencer un exode sanglant et cruel. On l’appellera le « Grand Dérangement ».
Descendant des « évacués » en Louisiane, Francis X. Pavy (Lafayette °1954) est en quelque sorte une mémoire et un pionnier. Si le souvenir des vieilles légendes du bayou que les exilés de tous les horizons (Cajuns, noirs, indiens…) se racontaient le soir à la veillée a durablement marqué l’artiste, ses tableaux respirent aussi le « way of life » d’une Amérique actuelle. Celle du Grand Sud, avec ses cow-boys électriques, les armoires de frigos qui « claquent » comme des portières de Cadillac, le tout nimbé d’accordéonistes bleu pétrole, de pélicans fluo (le symbole de l’État de Louisiane) et autres emblèmes revisités par un peintre qui a su exprimer son pays avec un humour allié à une émotion vraie, sensible et superbement originale.
Une excellente opportunité pour saluer le printemps par une visite dans un lieu mémorable, rehaussé d’une exposition qui en appelle à la vie !


Seigneurie d’Anhaive
1 place Jean de Flandre
5100 Namur - Jambes
(plan d'accès)
Tél. : 081/322.330
Ouvert du lundi au vendredi de 13h30 à 17h30.
Le samedi de 14h à 18h
Et lors des vacances de printemps le dimanche de 14h à 18h
Entrée gratuite

La Seigneurie d'Anhaive à Jambes

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