Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Quelques écrivains du moyen age

12272727661?profile=original
La Farce de maître Pathelin (v. 1464)

— ou comment le marchand Guillaume fut grugé par l'habile Pathelin, lequel n'hésite pas à feindre la folie, à entreprendre un délire polyglotte, apparaissant au malheureux marchand comme le diable en personne. Suit un procès où l'avocat défend Thibaud l'agnelet, berger, contre le même Guillaume — qui s'entend répondre cette fois-ci par des bêlements. Mais tel est pris qui croyait prendre : quand Pathelin parle honoraires, le berger continue de bêler. Cette œuvre de longue haleine (plus de 1500 vers) est déjà plus que la farce qu'elle avoue être ; une comédie, aux caractères élaborés et aux rebondissements nombreux. Tromperie universelle et jeu sur la parole ; c'est un monde de faux-semblants qui se dévoile sur scène, où chaque chose a son envers, chaque succès son revers, où le langage même n'est plus chose stable — et telle est la morale de la postérité, qui retient le " Revenons à nos moutons " du procès, formule quasi proverbiale et presque fixée, pour oublier l'absurdité triomphante de l'onomatopée finale : " Bêêê ".



La Chanson de Roland (vers 1100)

L'une des plus anciennes chansons de geste ; elle constitua un modèle, ce qui ne signifie pas qu'elle soit issue du néant. Certes, à la différence du Tristan, elle semble n'avoir eu à l'origine qu'un seul auteur (le Turoldus du dernier vers ?), mais elle s'inscrit dans une tradition d'historiographie de propagande héritée des Romains et des Francs. La scène est en Espagne, et voit l'arrière-garde de l'armée de Charlemagne attaquée par les Infidèles — des traîtres, bien évidemment, tout comme ce Ganelon qui devait conclure la paix avec eux ! Le comte Roland est tué ; appelé par le vaillant paladin juste avant son trépas, l'empereur revient et extermine de nombreux païens, remportant ainsi une victoire totale. Transmise par les trouvères, la Chanson, sur fond de vérité historique, exalte des valeurs et des fonctions propres au monde des cours (la prouesse), mais touche aussi un public plus large dont il s'agit en ces temps de croisade de renforcer la haine du monde musulman. Le roman arthurien tentera d'unir à la prouesse la délicatesse courtoise ; les chansons de geste sont d'une matière plus rude : la geste est action, célébrée dans un récit chanté. C'est une forme d'épopée : Dieu aide les siens, valeurs héroïques et triomphe de la chrétienté sont indissociables — même s'il faut en passer par l'échec. L'univers occidental connaît cependant aussi la traîtrise (Ganelon), mais rien ne met véritablement en doute la sagesse (incarnée par Olivier et Charlemagne) et surtout le droit des héros francs.

 

Le Roman de Renart (v. 1200)

Renart le goupil est une bête de langage, usant de ses artifices comme d'autant de moyens de tourner la loi, de tourner en dérision les autres animaux, et de faire tourner en bourique le maître de son univers, Noble le lion. Une vingtaine d'auteurs pour vingt-six épisodes, où le sire de Maupertuis est tantôt loué, tantôt blâmé des bons tours qu'il joue à ses victimes — au premier chef ce pauvre Ysengrin. Le roman est ici jeu culturel, parodie des pratiques officielles et de leur lettre : la chanson (croisade), les romans courtois, la littérature judiciaire ; ironie du verbe et satire souvent violente font de cet univers animal une représentation corrosive de la société de Moyen-Age, une mise en question qui va plus loin qu'on ne l'a vu par la suite, en en faisant un classique de la littérature enfantine.


MARIE DE FRANCE (deuxième moitié du XIIème siècle)

Marie ai num, si sui de France. On ne saura rien de plus. Originaire de ce qu'on appelle aujourd'hui l'Ile de France, Marie écrit en anglo-normand, et semble être liée à la cour d'Aliénor d'Aquitaine et Henri II Plantagenêt, à qui elle dédie sa première œuvre connue, les Lais. L'Angleterre de l'époque, tout spécialement dans sa partie continentale, apparaît comme un espace littéraire extrêmement riche. La lyrique des troubadours s'y épanouit, on y compose les premiers romans antiques, tandis que l'histoire mythique de la dynastie donne son cadre à ce qu'on appellera la matière de Bretagne. Au cœur de ce carrefour culturel, Marie hérite de traditions diverses, qui ne se fondront jamais entièrement, donnant naissance à des œuvres d'inspiration et d'écriture différentes. Des jongleurs bretons, elle reprend les sujets et une thématique lyrique jouant sur le merveilleux : les Lais narrent l'amour et ses drames. Composant quelques années plus tard l'Isopet (vers 1180), recueil de fables tirées d'Esope, la poétesse s'inscrit dans une tradition culturellement moins audacieuse, faisant moins œuvre d'invention que de translation (c'est d'ailleurs d'une traduction qu'il s'agit — non du latin mais de l'anglais...). Avec sa dernière œuvre connue, L'Espurgatoire saint Patrice (vers 1190), Marie explore une troisième voie littéraire, en empruntant à la tradition chrétienne un sujet et surtout une richesse descriptive qui renouvellent son art, marqué jusqu'alors par la rapidité et l'économie. De cet itinéraire poétique, on retiendra l'affirmation grandissante d'une vocation didactique étroitement associée à une orthodoxie morale et littéraire. Aussi ne s'étonnera-t-on pas que les Lais seuls aient conservé leur fraîcheur — et leurs lecteurs.

 

Lais (vers 1170)

Avec cette suite de récits lyriques inspirés de légendes celtiques, le folklore oral devient sujet littéraire, accède à la dignité de l'écrit. Il ne s'agit pas pour la poétesse de prétendre égaler les anciens, mais d'apporter un surplus de sens à une culture antique que l'on ne saurait se contenter de gloser. L'invention tient autant au choix des sources qu'à une écriture très particulière, rythmée par l'octosyllabe, et dont la narration rapide est centrée sur un thème unique : la rencontre décisive de l'amour, qui ne laisse aucune alternative à des épreuves quelquefois invivables. Privilégiant le drame, les Lais ont pour cadre un univers proche du monde courtois, dont les contraintes seraient toutefois assouplies. C'est que l'idéologie en est différente : Eliduc clôt le volume en rappellant que le seul amour heureux est en Dieu.



CHRETIEN DE TROYES (v.1135 - v.1183 ou 1195)

Qu'on ne sache que très peu qui fut Chrétien ne change rien au fait qu'il soit, l'un des tout premiers au Moyen-Age, un véritable écrivain, signant ses œuvres, pourvu d'un corpus identifié. Proche de la cour de Champagne, il participe de cette mouvance lyrique de la fin du douzième siècle qui, avec les trouvères, voit la langue d'oïl s'affirmer définitivement face à l'occitan. Le roman est aussi cette langue ; avec Chrétien, il commence à prendre son sens moderne. Ecrits en vers, lus (et non chantés) devant le public des cours, les romans de Chrétien sont œuvre de clerc : des textes non retrouvés, dont il donne la liste au début du Cligès, plusieurs sont adaptés d'Ovide, et il semble avoir écrit son Tristan — sans Tristan ! Clerc donc : héritier d'un savoir, prenant la suite et le revendiquant. Les cinq romans qui nous sont parvenus (le Chevalier de la Charrette, Cligès, Yvain, Erec et Enide, le Conte du Graal) empruntent leur thématique au Brut de Wace, et principalement au cycle arthurien. Mais il invente : ses héros sont chevaliers errants (certain hidalgo s'en souviendra), unissant la courtoisie à la prouesse des protagonistes des chansons de geste, vivant dans un monde plein de mystère et où l'aventure a succédé à la guerre. Ces caractéristiques, sans cesse reprises au treizième siècle, constituent son univers romanesque en modèle durable, interrogé, copié, critiqué, mais restant indiscutablement la référence majeure jusqu'au quatorzième siècle. Et le type de ces jeunes gens partant à la découverte du monde et d'eux-mêmes a connu, sous divers avatars, une fortune éclatante : il y a dans Balzac des souvenirs de celui qui restera comme le plus grand écrivain français du Moyen-Age.

 

Le Chevalier de la charrette (v. 1170-1180)

Le sujet en fut donné à Chrétien par Marie de France. Sauver la reine Guenièvre, emmenée à la suite d'un duel dont elle était l'enjeu : moult chevaliers s'y risquent, dont un jeune inconnu, qui se livre pour le besoin de la cause à monter sur une charrette, comme un malfaiteur. Après bien des aventures, ce jeune Lancelot délivre sa reine, qui, paradoxe courtois, lui tient rigueur d'avoir hésité à monter dans la charrette. Il veut mourir ; elle fléchit, mais l'adultère est vite connu, malgré un doute sur la personne : suivent quelques duels où Lancelot tente avec succès de sauver la réputation de Guenièvre. Honneur et courtoisie peuvent entrer en conflit, mais aussi s'exalter mutuellement : le roman de Chrétien se nourrit de cet enrichissement des lignes de conduite d'un héros qui n'est plus seulement l'athlétique va-t'en-guerre des chansons de geste, mais un homme cherchant son être, confondant dans sa quête la conquête d'un objet (la reine) et la connaissance de soi.

 


RUTEBEUF (? - v. 1280)

Sa vie n'est guère connue qu'à travers la mise en scène qu'il en fait dans quelques uns de ses soixante poèmes. On peut l'imaginer en " pauvre jongleur ", vivant à Paris on ne sait de quoi, de sa plume déjà, commandes à l'occasion pour telle ou telle institution, confrérie, voire pour le roi. Ses liens avec le monde du théâtre (sérieux ou ludique) nous laissent voir à côté du lettré (il connaît le latin) un ménestrel préoccupé de sa survie, connaissant toutes les tentations dans un univers urbain qui est en pleine métamorphose. Le poète prend position aux côtés de l'université contre les ordres monastiques qui se multiplient, les désordres de la cour papale, les errements du roi. Religieux, comme en témoignent nombre de pièces ou traductions, il fustige le siècle et l'Eglise d'une parole acérée, usant du calembour, du double sens, jouant à l'occasion des ressources d'une écriture allégorique qu'il a pratiquée sur le mode sérieux, influençant un Jean de Meun (Bataille des vices contre les vertus, Voie de Paradis) : ses dits se font pamphlets, cependant qu'une veine plus douce irrigue l'œuvre de vies de saints, de litanies à la vierge. La partie la plus attachante de son œuvre est celle où, préfigurant Villon, il se prend comme sujet : le Mariage Rutebeuf, la Pauvreté Rutebeuf, la Repentance Rutebeuf, la Complainte Rutebeuf, d'autres poèmes enfin, que l'on regroupe généralement sous le titre de Poèmes de l'infortune.

 

Poèmes de l'infortune (v. 1260 - 1270)

ou le livre de la dépossession. Parmi les différentes figures de l'écrivain qui se profilent dans l'œuvre de Rutebeuf, pamphlétaire, prédicateur, prophète quelquefois, on voit ici apparaître celle du pauvre jongleur, abandonné de tout et de tous, ayant perdu argent, crédit, espoir, et jusqu'à un œil. Le texte emprunte parfois ses accents au genre de la requête (la Complainte Rutebeuf), mais dépasse le misérabilisme intéressé et atteint une émotion vraie, jouant d'un rire léger, loin de la caricature à laquelle il se livre dans le Dit des Ribauds de Grève ou le Mariage Rutebeuf, pour ciseler une œuvre délicate et profonde, témoignant de cette ultime richesse, exaltée par la détresse, qui reste au poète : son art.

 



GUILLAUME DE LORRIS et JEAN DE MEUN (XIIIème siècle)

Les deux auteurs du Roman de la Rose ne se connurent vraisemblablement pas. De Guillaume, on ne sait presque rien, sinon qu'il écrivit vers 1230 les premiers vers d'un ouvrage qu'il ne put achever : son texte s'interrompt au milieu d'un monologue, avant d'avoir rempli son programme narratif. Ces quatre mille vers ne constituent certes qu'un cinquième du Roman définitif, mais ils en sont la matrice. Ils introduisent le fil narratif de la quête amoureuse, mettent en place la fiction du songe autobiographique et imposent avec l'usage des allégories une perspective didactique. Le cadre imaginaire du Verger de Déduit situe la quête dans un espace courtois, où peut se jouer une initiation érotique — l'objet même de ce roman dont la Rose est le point de fuite. Le point de vue idéaliste et délicat de Guillaume est inspiré par le néoplatonisme en vogue dans les cours du début du treizième siècle.

En reprenant vers 1270 le manuscrit resté inachevé, Jean de Meun modifie profondément l'esprit et les ambitions de l'ouvrage de Guillaume. Clerc maître ès arts, traducteur de Végèce, Abélard et Boèce, Jean semble plus âgé que ne l'était son prédécesseur. Plus soucieux aussi de rationalité, il transforme le traité amoureux en itinéraire philosophique, construisant une somme romanesque dont l'objet n'est plus seulement l'éros mais le monde. Ni collaboration, ni simple continuation, l'apport de Jean de Meun constitue un enrichissement et un approfondissement quelquefois contradictoire de l'œuvre de Guillaume. On a coutume de les opposer ; il serait plus juste de dire que le point de vue de Guillaume est intégré par Jean à une Disputatio où s'expriment des opinions contradictoires. Le dernier mot revient à la Nature, inspiratrice d'une morale universelle reprenant à chacun des discours précédents sa part de vérité.

 

Le Roman de la Rose

Itinéraire érotique, Le Roman de la Rose retarde jusqu'aux dernières pages l'aboutissement de la quête, cependant que l'amant — à son corps défendant — est mis au fait des doctrines amoureuses de Raison, Nature, Vénus, et autres allégories discoureuses. Les images courtoises jouent délicieusement du double sens, chez Guillaume, et le drame naît des inévitables obstacles qu'Amour apprend à contourner. Avec Jean, le roman prend une dimension nouvelle, en faisant de cette pédagogie même le nœud de l'intrigue ; quelle doctrine suivre ? Le récit alors ralentit, les digressions se multiplient. L'apprentissage érotique devient prétexte à la découverte du monde. L'écriture s'enrichit, emprunte à l'occasion ses ressources à la satire, pour aboutir à une morale exaltant l'amour, force cosmique.



François VILLON (1431 - après 1465)

Figure étonnante que celle de ce maître ès arts disparaissant de la circulation vers 1463, après avoir trempé dans différentes affaires louches : un personnage, dont les couleurs sont rehaussées par les portraits qui émaillent son œuvre, portraits poussés au noir, obsédés par la perte, la mort, la décrépitude. Villon fréquenta la Coquille, association de malfaiteurs dont il emprunta l'argot, dans telle ou telle pièce aux beautés à présent obscures ; il fut aussi connu des grands, qui plusieurs fois le sauvèrent de la potence. Le voisinage avec la mort n'est pas sans informer la thématique de ses Ballades et de l'écriture testamentaire où il s'illustre (Lais, Grand Testament, réunis sous le titre de Testaments). Entre grimace et gravité, une esthétique s'y fait jour, fidèle dans les ballades aux enseignements de la rhétorique mais enrichissant considérablement dans le Testament le champ poétique par son savant désordre, le mélange des tons, la présence d'archaïsmes, l'oralité occasionnelle, la richesse explosive du sens, qui constitue le recueil en somme, multipliant les lectures possibles, jouant systématiquement du double sens. Entre rire et méditation douloureuse sur le passé, une légende s'y forge : Villon lègue à la postérité une figure du poète en maudit, qui tend à cacher celle de l'artiste et de l'inventeur.

 

Ballades

Trois couplets suivis d'un envoi : sous cette forme fixe, qu'il aménage à l'occasion, toute la prodigieuse variété de Villon. Les ballades sont le creuset du Testament, qui en reprendra quelques unes. On ne saurait les introduire sans toutes les décrire, tant leur style et leur ton diffèrent, l'écriture de chacune inventant sa propre poétique ; ainsi de la mélancolique nostalgie des Dames du temps jadis, qui s'exprime aussi par l'usage en cette ballade d'un lexique archaïsant ; ou des Ballades du jargon, jouant de l'argot des coquillards. Signalons la Ballade des pendus, qui parla si fort à la sensibilité romantique, et qui annonce par bien des aspects le Testament.

 

 

Testaments

Le Lais (legs) de 1456 n'apparaît en regard du Grand Testament que comme une plaisante satire, qui à chacun attribue un objet, un symbole, voire une enseigne de son quartier ; aux moines, de gras chapons, etc. La violence de l'autoportrait final annonce le Testament de 1461, qui explore avec une profondeur nouvelle la voie ouverte deux siècles auparavant par Rutebeuf : la dimension personnelle éclate, soutenue par une marqueterie poétique. La confession alterne avec d'autres voix, les registres et les styles, les époques mêmes s'entremêlent. Tester n'est que prétexte à un bilan souvent amer, dressé au regard de figures et de moralités qui rappellent la fuite du temps, l'échéance inéluctable de la mort, la nécessité de s'amender. Mais le regret s'accompagne de rire, dans telle ou telle ballade ou dans les legs facétieux à ses compagnons de ribote. Farce aux couleurs macabres, le Testament est aussi une somme poétique, le lieu d'éploiement d'un verbe à la richesse inégalée, passant de la trivialité la plus crue aux jeux du sens les plus subtils.

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles